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Aube, Arthur Rimbaud : commentaire

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Par Amélie Vioux

« Aube » : Introduction

« Aube » fait partie du recueil de poèmes en prose Illuminations écrit par Rimbaud entre
1873 et 1875. Le titre du recueil donne lieu à diverses interprétations : on peut penser aux
enluminures (« illumination » en anglais), mais aussi et surtout aux visions du poète, que
Rimbaud définit d’ailleurs comme un « voyant » dans sa lettre à Paul Demeny le 15 mai
1871. C’est justement une vision ou un songe poétique que Rimbaud nous livre ici.

Problématique : En quoi ce poème constitue-t-il un récit initiatique ?

Annonce de plan :

Nous verrons que ce poème en prose présente les principales caractéristiques d’un récit
(I). Ce récit est celui de l’éveil de la nature sous l’action d’un narrateur-poète (II) qui
mène une quête initiatique (III).

I – Un poème qui présente les caractéristiques d’un récit

A – Les caractéristiques spatio-temporelles du récit

1 – Les caractéristiques temporelles

Le poème « Aube » suit une évolution chronologique. Le poème commence en effet par
« aube » (qui constitue le titre du poème mais qui apparaît aussi à la ligne 1) et se termine
par « midi ».

Les temps verbaux sont ceux du récit. On trouve ainsi :


♦ L’imparfait (« bougeait », « était »), qui est le temps des descriptions par excellence
♦ Le passé simple (« regardèrent », « se levèrent ») qui indique une action ponctuelle
♦ Quelques verbes au passé composé (« j’ai embrassé », « j’ai marché »), temps lié ici au
narrateur (« je » est toujours le sujet des verbes au passé composé) et qui donne une
impression d’oralité.

2 – Les caractéristiques spatiales

Le poème est le récit d’un voyage temporel mais aussi spatial.

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On observe une multiplicité des compléments circonstanciels de lieu qui évoquent
l’itinéraire du poète : « des palais », « la route du bois », « dans l’allée », « par la plaine »,
etc., avant de se terminer par « en bas des bois ».

B – Une situation énonciative de récit

L’énonciation est caractéristique d’un récit : le narrateur, qui est aussi un personnage, est
représenté par la première personne du singulier (« je » ).

Par ailleurs, la fleur « qui [lui] dit son nom », et l’aube qui est personnifiée en « déesse »
peuvent être considérées comme des personnages du récit.

Il est également important de rappeler qu’« Aube » est un poème en prose, ce qui le
rapproche encore du récit.

C – Un schéma narratif

On retrouve dans ce poème en prose un schéma narratif classique : situation initiale,


élément perturbateur, suite de péripéties et chute finale.

La situation initiale montre une nature « morte », sombre (« camps d’ombres) et immobile
(« rien ne bougeait » ).

L’élément perturbateur est le « je » qui introduit le premier mouvement du poème par le


verbe d’action (« j’ai marché »).

Ce réveil de la nature marque le début des péripéties du récit qui sont principalement
narrées au passé simple ( « regardèrent » , « se levèrent » , « me dit » etc) jusqu’à la chute
finale signalée par le verbe « tomber ».

Transition : « Aube » est un poème qui présente toutes les caractéristiques formelles d’un
récit. Ce récit narre l’éveil de la nature sous l’action du narrateur-poète.

II – L’éveil de la nature sous l’action du poète

A – L’éveil de la nature

Le poème « Aube » raconte l’éveil de la nature au petit matin.

Dans la première ligne, la nature est caractérisée par son silence et son immobilité. On
observe plusieurs négations qui soulignent l’absence de mouvement :
« Rien ne bougeait » , « Les camps d’ombres ne quittaient pas la route » .

Le lecteur est plongé dans la semi-obscurité : « les camps d’ombres » . L’adjectif « morte »
souligne l’absence de vie.

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Pourtant, l’arrivée du poète va insuffler la vie à ce paysage inanimé.

La nature qui s’éveille est personnifiée. Elle acquiert des caractéristiques humaines
(« haleines ») et se trouve sujet de verbes qui renvoient à des facultés humaines
(« regarder », « se lever », « dire »).

Les animaux ne sont pas expressément nommés mais sont présents par métonymie
(l’haleine représente leur respiration, lorsqu’ils s’éveillent, et les « ailes » représentent les
oiseaux.)

Le silence des premières lignes est rompu par la fleur qui donne « son nom » au poète. On
assiste ainsi à l’émergence de la parole, signe de vie, dans un monde jusque là silencieux.

Toutes les transformations vont dans le sens d’une gradation :

♦ de l’immobilité au mouvement (« rien ne bougeait » à « en courant »)


♦ Du froid à la chaleur (« morte », « tiède », « midi »)
♦ du minéral (« pierreries ») au végétal (« fleur »), à l’animal (« coq »)
♦ De la quête amoureuse (« je la chassais ») à l’union (« je l’ai entourée ») entre l’homme
et la déesse.

C’est sous l’action de l’enfant-poète que la nature s’anime et se transforme. Il est le chef
d’orchestre de cet éveil.

B – L’action du poète magicien


C’est sous l’action de l’enfant-poète, du « je », que la nature s’éveille et se transforme.

Le narrateur-poète semble posséder des pouvoirs presque magiques puisque son seul
mouvement provoque le réveil de la nature :
« J’ai marché, réveillant… »

C’est en raison de son « entreprise » que la fleur lui dit son nom (« La première entreprise
fut (…) une fleur qui me dit son nom » ).

L’adverbe « Alors » introduit, comme une simple suite logique, le pouvoir de dévoilement du
poète : « Alors, je levai un à un les voiles » .

On peut songer à la lettre de Rimbaud à Paul Demeny, dans laquelle il avait affirmé que le
poète devait « se faire voyant ». Ici, le narrateur-poète semble bien avoir un pouvoir de
dévoilement de la vérité (lever le voile)

Le verbe « dénoncer » introduit également l’idée du dévoilement de la vérité (on dénonce


quelque chose de faux).

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Transition : Ce récit narre l’éveil de la nature sous l’action presque magique du narrateur-
poète. L’itinéraire de l’enfant-poète peut revêtir plusieurs significations.

III – Une quête initiatique

A – Une quête amoureuse

Le poème peut se lire comme une initiation amoureuse de l’enfant.

La métaphore amoureuse est présente dès la première ligne grâce au verbe embrasser :
« j’ai embrassé l’aube d’été » .

« La première entreprise » est une première conquête amoureuse : celle de la fleur qui
lui dit son nom.

On retrouve le champ lexical de la sensualité avec :


♦ L’image de longs cheveux blonds (« wasserfall blond qui s’échevela »)
♦ Le déshabillage de la déesse : « je levai un à un les voiles » .
♦ Le rapprochement de deux corps (« je l’ai entourée », « j’ai senti un peu son immense
corps »).

Par ailleurs, l’évocation du « laurier » peut être lue comme une référence à la nymphe
Daphné, qui fut transformée en laurier au moment où Apollon, fou amoureux d’elle, allait la
rattraper.

B – Une quête poétique

Le poème peut également être lu comme une métaphore de la création poétique.

L’aube, personnifiée en femme-déesse, est alors une muse, une source d’inspiration, que
le poète cherche à tout prix à rattraper pour pouvoir se lancer dans l’écriture.

Le laurier qui apparaît à la fin du poème, et qui peut être interprété comme symbole de la
victoire du poète est également une référence aux feuilles de laurier que mâchait la pythie
de Delphes (la prêtresse de l’oracle de Delphes) avant de livrer ses divinations. On retrouve
encore le rôle du poète qui, selon Rimbaud, doit se faire « voyant ».

Mais le succès du jeune narrateur-poète est à nuancer.

C – Un semi-échec

Malgré l’étreinte finale avec la déesse, la réussite du narrateur-poète est nuancée par
l’adverbe d’atténuation « un peu » : « J’ai senti un peu son immense corps » .

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Le poème se termine sur une notion d’échec, avec un mouvement du « haut » (« en haut
de la route ») vers le « bas » (« bas des bois », « tombèrent ») .

L’allitération en [b] (« L’aube et l’enfant tombèrent au bas des bois ») donne une
impression de lourdeur qui accompagne la chute.

Le « je » du narrateur interne devient subitement «l’ enfant » vu de l’extérieur (« L’aube


et l’enfant tombèrent au bas des bois » .) Ce changement de point de vue marque la rupture
du songe et le retour à la réalité humaine.

Ce contact avec la déesse est tout de même positif, car à midi, lorsque le narrateur s’éveille,
il lui reste le souvenir de l’aube qui lui permet l’écriture du poème.

Conclusion

Malgré une fin nuancée, « Aube » donne le sentiment d’un élan vital et permet à Rimbaud
d’exprimer la puissance de la poésie et du poète-voyant qui dévoile la vérité du monde.

Dans « Aube », le moment de la création poétique est exprimé. Le lecteur assiste à la


naissance du jour et du texte.

On retrouve un rapport sensuel et dialogique avec la nature dans l’œuvre de Colette,


notamment dans Sido, où Colette raconte ses promenades solitaires à l’aube.

5/5

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