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Chapitre 2 : Registres de langue

Introduction
Dans la vie de tous les jours, nous constatons que les locuteurs dans leurs différents
échanges vont varier la forme de leurs énoncés, lorsqu’il s’agit d’exprimer le même message, en
fonction de la situation de communication, de l’interlocuteur, bref, en fonction de données
extralinguistiques. Ainsi, pour traduire le même contenu, le locuteur changera la forme la phrase,
certains mots, parfois même la réalisation orale, selon la relation avec personne à qui il s’adresse,
le cadre de l’échange, etc. C’est à ces différentes formes que l’on donne le nom de registre de
langue.
Pendant longtemps ces variétés étaient appelées niveaux de langue. Cette appellation de
niveau de langue a été abandonnée parce que l’on s’est rendu qu’elle était inappropriée. En effet,
la notion de niveau a une connotation de jugement de valeur comme si l’on hiérarchisait les
formes, de la moins bonne à la meilleure ou vice versa. En réalité, il ne s’agit de les classer de
cette façon mais plutôt de leur donner un nom indiquant qu’il s’agit de telle ou telle variété de
langue. Aucune des variétés n’est bonne, moins bonne, meilleure en soi. La qualité de chacune
d’elles est l’emploi adapté ou non au contexte. Dans la perspective d’un jugement de valeur, si la
variété jugée la meilleure est employée là où il faut la variété considérée comme la moins bonne,
l’expression sera inappropriée et donc fautive. Par ailleurs, la notion de niveau de langue dans le
domaine de l’enseignement/apprentissage des langues renvoie à niveau de connaissance de la
langue : niveau débutant, niveau intermédiaire, niveau avancé.

I. Définition et typologie
I.1. Définition
Les registres de langue sont les formes que le locuteur donne à son discours pour l’adapter
aux aspects extralinguistiques que sont la situation de communication (professionnelle, familiale,
amicale, etc.), la nature de la relation qu’il a avec l’interlocuteur (amitié, camaraderie, supériorité
ou subordination professionnelle, etc.), l'intention visée par le message (simple information,
ordre, persuasion, séduction), etc.

I.2. Typologie
La typologie des registres de langue est fonction de l’ordre de réalisation. On estime, en
effet, que selon que l’on s’exprime à l’oral ou à l’écrit les situations de communication ne sont
pas numériquement et sur le plan de la nature les mêmes. C’est ainsi que l’on distingue cinq
registres à l’oral et trois à l’écrit.

I.2.1. Les cinq registres de la langue orale

Registres Caractéristiques Contexte d'utilisation


Recherche d’effets stylistiques avec
Oratoire l’emploi de phrases complexes, d’un Discours, sermons
langage imagé et de figures de style
Soutenu Recherche de précision avec l’emploi Conférences, communications
d’un vocabulaire spécialisé (jargon) savantes, cours à l’université, dans
les écoles professionnelles et les
et d’une syntaxe soignée
grandes écoles
Médian
Langue commune, français standard
ou Radiodiffusion, télévision, cours au
caractérisé par une syntaxe et un
commun primaire, au secondaire et au lycée,
vocabulaire usuels neutres, non
ou conversations et entretiens sérieux
marqués
courant
Langue comportant des écarts par
rapport à la syntaxe et au vocabulaire Conversations entre amis, copains
Familier
du registre médian et manifestant la et proches
présence de régionalismes
Langue révélant de nombreux écarts
par rapport à la syntaxe et au
Relâché vocabulaire du registre médian et Conversations entre copains
manifestant la présence de termes
argotiques et des régionalismes

Le registre médian ou commun est la forme étalon à partir de laquelle sont appréciés les
autres registres. Ainsi, ces registres constituent comme des sortes d’écarts par rapport ce registre
moyen, fonctionnant comme une référence, une modèle.
Le registre oratoire est un registre par lequel le locuteur cherche à convaincre. C’est pour
cela qu’il recourt à des figures de style et à des images. Dans beaucoup de cas, les phrases
complexes qu’il comporte a pour objet d’impressionner.
Le registre soutenu recherche une expression précise. Selon le type textuel, il s’adresse à un
public spécialisé, d’où l’emploi d’un jargon technique réservé à des initiés ou, dans le domaine
littéraire, à des locuteurs ayant une grande compétence linguistique d’où le recours à des phrases
se référant à des modèles empruntés à un certain classicisme.
Le registre familier use de néologismes, de constructions s’écartant quelque peu de la
norme standard, mais les modifications ne déforment que très peu le message, ce qui fait qu’il
n’est pas senti comme inacceptable.
Le registre relâché, contrairement au registre familier, viole de façon plus importante les
règles de la langue standard au point que, dans le cas du discours argotique, le message peut être
fermé aux non-initiés.

I.2.2. Les trois registres de la langue écrite

Registres Caractéristiques Contexte d'utilisation


Recherche d’effets stylistiques et de
Discours ou sermons écrits destinés
précision avec l’emploi de phrases
éventuellement à être lus, théâtre
Soutenu / oratoire complexes, d’un langage imagé, de
classique, poésie lyrique, textes
figures de style et d’un vocabulaire
scientifiques
spécialisé
Médian Langue commune, français standard Correspondances officielles
ou caractérisé par une syntaxe et un (comptes rendus, procès-verbaux,
commun vocabulaire usuels neutres, non notes de service, lettres circulaires,
marqués rapports, etc.), articles de journaux
Langue comportant des écarts par
Dans la littérature, passages de
rapport à la syntaxe et au vocabulaire
discours direct de personnages
Familier / relâché du registre médian et manifestant la
s’adressant à des amis, à des
présence de régionalismes et de
copains ou à des proches
termes argotiques

II. Caractéristiques linguistiques des registres de langue


Les registres de langue touchent les principaux domaines de la langue.

II. 1. Morphologie : prononciation et graphie


Il s’agit d’observer la réalisation orale des locuteurs au sujet de certains mots, et parfois de
leur mise à l’écrit dans les textes littéraires notamment.
- Considérons la réalisation de l’adverbe d’affirmation oui. En registres oratoire,
soutenu, soutenu/oratoire et médian, il est prononcé [wi] et écrit « oui ». En registres
familier et relâché, il est réalisé [wε] et écrit « ouais » (notamment dans les textes
littéraires).
- W.-C. : water-closet (prononciation [vese] (vécé) en France et en français standard,
« double vécé » en Belgique et « wécé » au Burkina). La prononciation vécé est celle
de registre médian et soutenu, et les deux autres, « double vécé » et « wécé », du fait
de leurs régionalismes, sont de registres familier et relâché.
- Dans la réalisation orale du mot gens le –s ne se prononce pas en français standard.
En registres oratoire, soutenu et médian, la réalisation du mot est [Ʒã]. Lorsque le –s
est prononcé [Ʒãs], comme c’est le cas pour certains locuteurs au Burkina, la
production est de registres familier ou relâché.
- La même analyse doit être faite de la lettre -p- dans baptême, dompter, compter qui
ne se prononce pas en français standard. Sa non réalisation dans ces mots inscrit
l’expression dans les registres oratoire, soutenu et médian. Dans les cas où la lettre
« p » et prononcée, l’expression est de registre familier ou relâché.

II. 2. Syntaxe

Les morphèmes grammaticaux


• L’adverbe discontinu de négation
Pour construire une phrase négative, le français dispose d’un adverbe dit discontinu formé
de l’élément étymologique de la négation ne et d’un deuxième élément de reprise appelé
emphatiseur ou auxiliaire de négation, pouvant être pas, plus, jamais, que, point, guère. Selon les
choix de construction, la forme de la négation participe à la caractérisation du registre de langue.
En registre médian, la négation s’exprime à l’aide de
ne … pas
plus
jamais
que.

En registre familier et relâché, l’expression de la négation se ramène à l’emploi uniquement


du deuxième élément adverbial, à savoir pas, plus, jamais ou que.
En registre soutenu, elle s’exprime à l’aide de
ne … point
guère.
Remarque
Point signifie pas du tout : Je ne travaille point. = Je ne travaille pas du tout.
Guère veut dire pas beaucoup, peu, rarement : Je ne travaille guère. = Je ne travaille pas beaucoup (ou
rarement, très peu).

Addenda
D’une manière générale, la négation pure peut s'exprimer par non et ne. Non est la forme
tonique (Voulez-vous lui parler ? Non !) et ne la forme atone (Je ne veux pas lui parler).
1. Non peut lier des éléments de phrases de même fonction en les opposant ( Prenez non
les routes bitumées, mais les chemins pavés). Il s’antépose à certains mots auxquels il
est joint par un trait d’union pour former des noms composés (un non-combattant, un
non-lieu, un non-initié, un non-sens, le non-paiement). Lorsque le composé est employé
adjectivement, non reste détaché (une unité non combattante, une règle non apprise, un
travail non achevé). Non s'emploie lorsque la négation ne porte pas sur un verbe.
2. Ne est l'adverbe de la négation du verbe. Le plus souvent, la négation, pour être
complète, s'accompagne d'un autre mot que l'on appelle emphatiseur, adverbe de reprise
ou auxiliaire de négation (pas, plus, point, etc.). On dit alors que les deux forment
l’adverbe discontinu de négation.
Ne s'emploie obligatoirement seul :
- Dans certaines expressions figées : N'ayez crainte. Qu'à cela ne tienne.
N’empêche que... N’importe… ;
- Lorsqu'il est utilisé avec ni répété : Il ne veut ni partir ni démissionner.
On peut employer ne seul :
- Avec les verbes « cesser », « oser », « pouvoir » : Il ne cesse de pleuvoir ;
- Lorsqu’une proposition subordonnée relative dépend d'une proposition principale
négative ou interrogative : Il n'existe pas d'enfant qui ne soit gourmand ;
- Avec un « si » conditionnel : Tu ne réussiras rien si tu ne sais te maîtriser ;
- Devant « autre » suivi de « que » : Il n'a d'autre choix que de réussir ;
- Après le pronom interrogatif ou l’adjectif interrogatif : Quel enfant n'est
gourmand ?
- Après les expressions du temps « depuis que, il y a que, voici/voilà que » : Il y a
deux ans que je ne l'ai vu.

Ne explétif ou quand ne n’exprime pas la négation


Un mot explétif est un mot qui n'est pas nécessaire au sens de la phrase et dont l'usage, et
non la grammaire, dicte l'emploi.
Dans un certain nombre d’emplois, par exemple dans Pour éviter que ne soient divulgués
les renseignements…, ne n’a pas de valeur proprement négative ; il est dit « explétif ».
On trouve le ne explétif dans les subordonnées accompagnant les verbes dont le sens est :
craindre, éviter, empêcher, ne pas douter. On le trouve également dans les propositions
comparatives marquant l’inégalité de même qu’après les locutions conjonctives « avant que » et « à
moins que » : Je crains que l’ennemi ne puisse en tirer un avantage / Avant que l’avis n’ait été
affiché… / À moins que tu ne viennes avec lui dans l’après-midi.
À noter que la négation complète (ne pas, ne plus, etc.) s’impose si la subordonnée a une
valeur proprement négative : Il est interdit d’enlever l’écriteau du conteneur avant que la quantité
de marchandises dangereuses contenues ne présente plus de danger pour la santé. / Il craint que
les témoins ne se présentent pas.
Si le non-emploi du ne explétif n’est pas considéré comme une faute de grammaire, son
emploi là où l’usage ne l’admet pas constitue une faute. Le candidat nie qu’il «ne» se soit trompé
est une phrase incorrecte.
En cas de doute, on doit éviter de l’employer.
• Le pronom on
On est un pronom indéfini qui se réfère à une ou plusieurs personnes. Il occupe la fonction
sujet dans la phrase.
Il est le seul pronom français qui peut être des trois personnes grammaticales.
- Lorsqu’il est employé à la troisième personne, la construction est de registre médian : On
frappe à la porte.
- Lorsqu’il est employé aux deux autres personnes, l’énoncé est de registre familier ou
relâché :
Première personne : On revient dans quelques instants / Nous, on pense que vous avez
raison / Mon ami et moi, on est allés au cinéma.
Deuxième personne : On a fini de manger ?
- Il peut s’employer aux registres soutenu et oratoire. Pour ce faire, on le fait précéder de
« l’ ». « L’ » est alors appelé consonne euphonique. Une consonne euphonique est une
consonne qui rend la prononciation plus douce et plus coulante. Ce « l’ » n’a aucune
fonction syntaxique et n’appartient à aucune des neuf parties du discours. Il n’est ni un
déterminant du nom (article défini), ni un pronom personnel. On dit qu’il est explétif.
Originellement, son rôle était d’éviter la rencontre de deux voyelles qui créerait un hiatus,
c’est-à-dire la rencontre de deux voyelles phonétiques à l’intérieur du mot ou entre deux
mots. Comparons la réalisation orale de L’endroit où on est et L’endroit où l’on est. De
nos jours, son emploi inscrit l’expression dans le registre soutenu ou oratoire. C’est ce qui
justifie le fait qu’il peut se mettre en début de phrase : L’on suppose que cela est vrai.

Rappelons qu’il existe deux autres consonnes euphoniques :


-t- : a-t-il dit (Attention : dans Va-t’en, « t » n’est pas une consonne euphonique mais
le pronom de la deuxième personne « toi » : Va toi d’ici est le sens de Va-t’en).
-s- : vas-y, manges-en.

• Les pronoms démonstratifs cela et ça


Les pronoms démonstratifs cela et ça sont des synonymes. La différence entre les deux
réside dans leur appartenance à des registres de langue différents.
Cela est de registres oratoire, soutenu et médian : Cela peut se comprendre.
Ça est de registres familier et relâché : Ça peut se comprendre.

La construction phrastique
Dans la structuration de la phrase et dans la concordance des termes à l’intérieur de la
phrase, on constate des variations liées aux registres de langue.
 Considérons la phrase suivante : C’est les étudiants qui ont fait ça.
L’absence de concordance entre le sujet « C’ », le verbe « est » et l’attribut du sujet « les
étudiants » donne une phrase en principe incorrecte. La récurrence d’une telle construction l’a fait
inscrire dans un registre de langue, le registre familier. La construction équivalente en registre
médian est Ce sont les étudiants qui ont fait cela.
On note que la phrase interrogative connait des variations selon les registres de langue :
- Où vas-tu ? : registre soutenu
- Où est-ce que tu vas ? : registre médian
- Tu vas où ? : registre familier.

II. 3. Lexique
Au plan lexical, les registres de langue se caractérisent de la façon suivante :
- Registre familier : vocabulaire particulier, de nature plaisante, cocasse, voire
grivoise ;
- Registre courant : usage de termes jugés neutres ;
- Registre soutenu : usage de termes recherchés, souvent savants.
Dans certains cas, il y a des équivalences à tous les registres.
Considérons les exemples ci-après

Registre relâché Registre familier Registre courant Registre soutenu


Vieux Papa Père Géniteur
Vieille Maman Mère Génitrice
Engueuler Engueuler Gronder Sermonner, invectiver
Emmerder Embêter Agacer Importuner

Dans d’autres cas, le même mot est répété


Registre relâché Registre familier Registre courant Registre soutenu
Tata Tantie Tante Tante
Tonton Tonton Oncle Oncle
Virer Virer licencier Congédier

L’analyse grammaticale considère certaines troncations comme produisant des mots


relevant d’un registre familier : Ciné pour cinéma / Mon beau pour Mon beau-frère / Prof pour
Professeur / Ouaga pour Ouagadougou / Fred pour Frédéric
L’adjonction de certains suffixes à des mots, avec parfois une modification, crée des unités
lexicales de registre familier ou relâché : Michou pour Michel
Enfin, l’emploi de termes argotiques relève du registre familier ou relâché : bagnole pour
voiture / bled pour lieu isolé / bobard pour mensonge.

Conclusion
La compétence linguistique doit permettre au locuteur de savoir faire la part entre les
constructions de tel ou tel registre. On retiendra que qu’il n’existe pas de registre qui est bon ou
mauvais en soi. C’est l’emploi adapté ou non aux aspects extralinguistiques qui rend l’expression
correcte ou inapproprié.
Pour le traducteur, il est nécessaire de veiller à la conformité du texte traduit en français
avec le registre du texte de départ.

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