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Séance n°5 : La mort de Manon

Introduction

Présentation de l’extrait :
Manon Lescaut de l’abbé Prévost est publiée en 1731. Ce roman qui est fait scandale et est interdit entre 1733 et
1735. Constituant le septième et dernier tome des Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré
du monde. Ce roman raconte les aventures de deux jeunes amoureux : le chevalier Des Grieux et Manon
Lescaut. Selon son auteur il est un traité de morale sur les dangers de la passion.
Dans cet excipit, des Grieux achève son récit à Renoncour, l’homme de qualité. Manon et des Grieux vivent
enfin des moments heureux et en paix, jusqu’à ce que le gouverneur du village décide de marier son fils,
Synnelet à Manon. Des Grieux se bat en duel avec Synnelet, et pensant l’avoir tué, s’enfuit avec Manon dans le
désert. Dans ce désert, Manon meurt d’épuisement.
Ce célèbre passage est émouvant et tragique à la fois, puisque nous assistons à la mort de l’héroïne, à laquelle
nous nous sommes attachés durant le roman, que cette mort est racontée par son amant. Loin de fonctionner
comme une condamnation morale, ce dénouement offre à Manon la possibilité d’une rédemption : Manon meurt
comme une sainte.

Problématique : Comment le récit de des Grieux fait-il de la mort de Manon un épisode pathétique et édifiant à
la fois ?

Plan :
L. 1 à 6 : Des Grieux multiplie les détours langagiers comme pour retarder le récit de la mort de Manon qui est,
pour lui, une nouvelle épreuve.
L. 7- 14 : Le récit de la mort d’une sainte
L. 14-17 : Un récit euphémisé et pathétique
L. 18-20 : La poignante solitude de des Grieux

I- L. 1 à 6 : Des Grieux multiplie les détours langagiers comme pour retarder le récit de la mort
de Manon qui est, pour lui, une nouvelle épreuve.

Même un an après la mort de Manon, Des Grieux éprouve une réelle difficulté à raconter cet événement.
C’est pourquoi, dans ces deux premiers paragraphes, il en retarde le récit.

1. La première phrase du passage amorce le récit de la mort de Manon.


« Je passai la nuit entière à veiller près d’elle, et à prier le Ciel de lui accorder un sommeil doux et
paisible.».
 Il s’agit d’un récit rétrospectif, mené aux temps du passé : passé simple (« passai ») et imparfait
(« étaient ») et plus-que -parfait (« aviez résolu »).
 Des Grieux se montre dévoué et tente de sauver sa maîtresse : « passai la nuit à veiller ».

2. Mais rapidement, dès la deuxième phrase, Des Grieux interrompt ce récit et s’adresse à Dieu.
 l’apostrophe « Ô Dieu ! » + discours direct → marques du lyrisme : à travers cette interjection, des
Grieux exprime sa souffrance.
 Cette prière reste vaine et le Ciel refuse par un « rigoureux jugement », telle une punition, d’accéder
aux « vœux » de des Grieux.

3. Il s’adresse ensuite directement à Renoncour, le destinataire principal de son récit.


 Il s’agit d’une rupture narrative qui vise à mobiliser l’attention du lecteur et créer un effet d’attente.
Le marquis de Renoncour, « l’homme de qualité » est le destinataire immédiat de Des Grieux (récit-
cadre) : « Pardonnez, si j’achève en peu de mots un récit qui me tue. »
Il s’adresse à lui au discours direct, au présent « j’achève », « tue » (moment de l’énonciation).
 Il emploie l’impératif « pardonnez » à la deuxième personne du pluriel. On notera qu’à travers
Renoncour, c’est au lecteur qu’il s’adresse aussi.
Cet impératif sonne comme une supplication à travers laquelle il supplie de comprendre,
d’éprouver de la compassion pour lui.

4. enfin, il évoque son traumatisme.


 L’émotion que ressent Des Grieux à raconter l’épisode de la mort de Manon semble « sincère » : « Ô
Dieu ! que mes vœux étaient vifs et sincères !»
 Cette émotion est due à la violence du traumatisme : propos hyperboliques du narrateur : « un malheur
qui n’eut jamais d’exemple », « je le porte sans cesse dans ma mémoire », « qui me tue »
 Des Grieux emploie le champ lexical de la narration (« peu de mots », « un récit », « je vous raconte »,
« l’exprimer ») lié à celui de l’horreur (« me tue », « un malheur », « reculer d’horreur »). Ce récit de la
mort de Manon reste une véritable torture pour lui, qui est obligé de revivre la scène avec les mêmes
émotions. D’ailleurs, c’est « le récit » qui est le sujet du verbe « tue ».
 Tous ces procédés visent à renforcer le pathétisme.
=˃ Ces détours du langage et la sobriété du récit obligent le lecteur à ressentir de l’empathie pour Des
Grieux et le contraint aussi à imaginer l’épisode de la mort de Manon
Ces détours de langage étant faits, Des Grieux retrouve alors la maîtrise de sa narration (II).

II. L7 à 15 : Le récit de la mort d’une sainte

1. La perception progressive de la mort de Manon


 Tout d’abord, le paragraphe débute par une phrase paisible : « Nous avions passé tranquillement
une partie de la nuit. » L’adverbe « tranquillement » contribue à la dramatisation de l’épisode puisqu’il
s’oppose à ce qui va suivre.
 Puis, alors que des Grieux « croyai[t] » vivre une scène paisible, le lecteur comprend que la situation
risque de prendre une tournure dramatique. C’est le vocabulaire des sensations qui permet au
lecteur de le comprendre : « moindre souffle », « mains froides et tremblantes » que des Grieux tente
d’« échauffer ».
 Enfin, c’est des Grieux qui en prend conscience :
o deni de des Grieux qui il ne saisit pas le tragique de la situation + champ lexical du sommeil dans
son récit : « endormie », « sommeil », « tranquillement » : CDG pense que Manon est simplement
fatiguée par cette longue marche dans le désert.
o C’est seulement à la fin du paragraphe, qu’il réalise que Manon va mourir. En effet, le conjonction
de coordination « Mais » montre changement dans pensée CDG :groupe verbal « fit connaître » et
le champ lexical de la mort

2. A travers ce récit de la mort de Manon, Des Grieux décrit une passion absolue.
 Des Grieux apparaît transit d’amour
o Durant l’agonie de Manon, Des Grieux se montre entièrement dévoué à sa : il protège son
sommeil, tente de la réchauffer et lui prodigue « les tendres consolations de l’amour ».
 Mais Des Grieux insiste également sur la réciprocité de cet amour :
o Cette réciprocité se manifeste surtout par les gestes, puisque Manon est pratiquement
privée de parole : « pour saisir les miennes »/ « le serrement de ses mains »/ « continuait de
tenir les miennes ».
 Manon à ce moment, accepte l’amour de des Grieux, ce qu’elle avait toujours refusé jusqu’alors.

3. Manon est sublimée à travers le récit de des Grieux.


Ce récit se rapproche d’un discours funèbre tant il est élogieux à l’égard de Manon.
 Au moment de sa mort, le portrait de Manon, qu’en fait des Grieux, change. En effet, tout au long
du roman, nous avons vu une Manon très attachée au plaisir, mais aussi pécheresse, immorale.
Dans ce passage, elle apparaît à travers le champ lexical de la tranquillité (« tranquillement »,
« endormie ») très stoïque face à la mort, elle accepte son sort ; elle apparaît courageuse.

III. L15 à 17 : un récit euphémisé et pathétique

1. Le récit est à nouveau interrompu par une adresse directe à Renoncour


 « N’exigez point de moi que je vous décrive mes sentiments, ni que je vous rapporte ses dernières
expressions. » A nouveau, des Grieux interrompt son récit et s’adresse directement à Renoncour, ce
qui nous rappelle que nous sommes dans un récit-cadre (récit qui sert de cadre à un récit enchâssé).
Cette adresse peut d’ailleurs paraître surprenante puisque Renoncour n’intervient pas !
 Cette adresse souligne l’ellipse faite par Des Grieux : son silence sur les « sentiments » et les
« dernières expressions » de Manon
 Cette adresse sonne comme une supplication à travers l’emploi de l’impératif, « n’exigez » ; un appel
à l’empathie de Renoncour (et aux lecteurs) amené(s) à partager les sentiments et la douleur de des
Grieux.
2. Surtout, le moment même de la mort de Manon est raconté avec sobriété et pudeur…
 Des Grieux interrompt son récit, manière pudique de montrer que sa souffrance est trop grande
pour être racontée ou par crainte de raviver la souffrance en donnant des détails ou encore pour
garder en lui les souvenirs les plus intimes et sacrés. On relève deux déclarations de réticences
« N’exigez pas de moi » et « c’est tout ce que j’ai la force de vous raconter » et le moment même de la
mort de Manon se résume à deux phrases très courtes.
 « Je la perdis ; je reçus d’elle des marques d’amour, au moment même qu’elle expirait. » : par le biais
d’une ellipse narrative, le moment critique de la mort est soustrait au lecteur.
 De plus, par pudeur, des Grieux multiplie les euphémismes :
o « je la perdis » : il s’agit d’un euphémisme (= elle mourut) qui suggère la mort de manière sobre et
épurée.
o De même, « je reçus des marques d’amour » sonne comme un euphémisme empli de sensualité qui
montre Manon aimante au moment de sa mort.
o « Ce fatal et déplorable événement » : il s’agit d’une périphrase euphémistique pour désigner la
mort.

3. … ce qui renforce le pathétisme du récit


A ce moment tragique du récit, des Grieux amène le lecteur à ressentir la souffrance du narrateur et de la
pitié pour Manon.
 « au moment même » : complément circonstanciel de temps qui montre la simultanéité. Manon qui
meurt alors qu’elle aime, qu’ils pourraient vivre heureux, c’est maintenant qu’elle est prête à vivre un
amour pur, sincère, sans histoire.
 L’adjectif « fatal » qui désigne le destin est associé à « déplorable » (= pleurer sur, regretter), le
tragique est donc associé au pathétique d’autant que ces deux adjectifs sont rejetés en fin de phrase.

IV. L18 à 20 : la poignante solitude de des Grieux .

 La solitude de Des Grieux se manifeste tout d’abord par la présence des pronoms personnels « je »,
« me » : Manon n’est plus et le narrateur se retrouve seul.
 C’est sur le ton de la plainte, et non de la révolte, qu’il exprime cette solitude : rejeté du monde des
hommes tout au long du roman, il est aujourd’hui rejeté du monde de Dieu.
o On relève le champ lexical religieux : « âme », « Ciel », « puni ».
o Le ciel est tenu pour responsable de la mort de Manon, c’est une punition divine : « il a voulu »,
le « Ciel » est sujet et est celui qui « rigoureusement puni[t] ».
o Des Grieux, il estime être doublement puni au moment même où leur amour est purifié :
 d’abord parce qu’il a perdu Manon, ce qui le condamne à une vie monotone « une vie
languissante et misérable » une vie de mourant, sans but (« trainé »). On notera l’assonance en
[an], l’allitération en [l], la longueur des deux adjectifs (3 syllabes) : il est un mort-vivant
condamné à une vie longue et sans intérêt.
 ensuite parce que Ciel lui refuse la mort : « Mon âme ne suivit pas la sienne ». Il désire mourir
mais c’est une mort symbolique que lui inflige le Ciel : il a perdu le goût de vivre et a banni
l’idée d’être heureux désormais : « Je renonce volontairement à la mener jamais plus
heureuse. ». L’adverbe « jamais » exprime bien cette condamnation irrévocable.

Eléments de conclusion
Le lecteur est touché par ce récit de Des Grieux : même s’il a pu juger sévèrement leur immoralité tout au long
du roman, il s’émeut devant ce destin tragique et romanesque des héros, poursuivis, malgré leur jeunesse par la
fatalité qui les empêche d’accéder au bonheur, au moment où ils sont enfin réunis.

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