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Histoire économique et sociale

1. Aperçu des déboires et gros problèmes fondamentaux dans le monde

a) Les ¾ de la population mondiale vivent dans des conditions économiques et sociales


déplorables ( au seuil de la pauvreté et du minimum vital ). Ces ¾ de la population mondiale
sont concentrés dans le tiers monde. Le monde occidental domine et exploite ces régions.
b) Même au sein du monde considéré comme développé, il subsiste des parties peu
développées et pauvres ( pays ex-communistes ). L’effondrement du communisme et de
son économie ont plongé des personnes dans la misère.
c) Même dans les pays développés les plus riches, des poches de pauvreté subsistent encore
( le Hainaut par exemple ) et un chômage structurel massif depuis 1975. De plus, on est
en train depuis 10 à 20 ans de démanteler l’Etat providence ( institutions sociales qui
nous protègent, maladies, vieillesse, chômage, décès,… ). On incite donc les gens à
prendre en charge leur assurance-maladie, leur retraite, on privatise,…
d) Dans le passé ( 18e – 19e s ), les ouvriers payaient le coût humain de la révolution
industrielle. L’industrialisation est une magnifique aventure mais sur le plan social, elle a
entraîné de véritables catastrophes ( conditions ouvrières effroyables par exemple ). Les
problèmes rencontrés en Europe et aux Etats-Unis dans le passé se reproduisent dans les
pays qui connaissent l’industrialisation maintenant.
e) Quand on pense à la situation actuelle mais aussi au passé, on ne doit pas oublier les
différentes formes d’asservissement de l’homme par l’homme ( la liberté des individus en
est diminuée ). L’esclavage en est un exemple et n’appartient malheureusement pas à
l’histoire. Il a été en théorie aboli partout dans le monde mais il reste néanmoins 10% de
la population mondiale qui vit dans des conditions d’esclavage.
f) Cette évolution économique et sociale n’a pas été tranquille et des crises récurrentes ont
bouleversé les populations entraînant de terribles conséquences. Mais n’oublions pas le
progrès qui en découle !

2. Progrès significatifs

a) La majorité de la population du monde dit évolué vit dans l’abondance à l’abri des famines
et du manque de choses nécessaires et primordiales. Même une partie du tiers monde
atteint cette abondance. Cette surabondance a fait disparaître des fléaux chez nous :
- les famines ( la dernière grande vague de famine remonte à 1840 ) ;
- la mortalité infantile. Il y a eu une transition démographique liée à
l’industrialisation. La mortalité infantile et le nombre d’enfants ont diminué et
l’espérance de vie s’est allongée ;
- les conditions insalubres et non-hygiéniques des logements ont fait la place à
l’hyperhygiènisme ( qui diminue cependant l’immunité ) ;
- l’inaccessibilité de la culture a été supprimée grâce à sa démocratisation.
L’instauration de l’obligation d’instruction ne date que de 1914 ! C’est donc un
acquis très récent ( tout comme les études universitaires ). Il y a aussi un
décalage très important entre les pays européens de culture catholique et
protestante : les pays protestants ( comme les pays scandinaves ) sont plus
développés que les pays catholiques.
b) Un autre progrès non négligeable est la régime politique qu’est le nôtre : la démocratie
libérale et pluraliste. Libérale car elle se réfère à la liberté individuelle. Pluraliste car

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personne ne détient la vérité absolue ( il doit y avait des échanges d’idées et les citoyens
sont appelés à faire valoir leurs droits ).
Seul les pays riches et développés fonctionnent grâce à la démocratie libérale et
pluraliste. Les pays arabes ( comme les Emirats ) sont riches mais seul les puissants le
sont et ce sont des régimes autoritaires. La démocratie est néanmoins bien malade.
Malgré ses problèmes, elle reste quand même le moins mauvais régime politique jamais
connu au monde. La grande alternative historique ( le communisme - pas de mauvaises
idées mais trop radical ) s’est effondré mais le communisme a eu de nombreuses
répercussions chez nous. Face à ce vide d’alternatives, il n’y a que la démocratie. Comment
l’améliorer ? Chacun a sa réponse.

Certains pays du Tiers Monde sont sur le chemin qui les sortira de la pauvreté massive. Il ne faut
pas que les revers que nous avons connus se reproduisent chez eux.

3. Revers du progrès

a) Dans les pays développés, il y a eu des évolutions problématiques comme la misère, le


chômage, l’inégalité croissante des revenus et de la richesse,…
Des mutations structurelles de l’économie ont marginalisé les travailleurs ( 1/3 des
contribuables belges ne paient pas d’impôts car ils n’ont pas de revenus suffisants pour
être taxés ). L’effondrement de l’industrie wallonne a touché les travailleurs ( les
charbonnages et la sidérurgie ont été touchés – hyperrationalisation de la sidérurgie et
concurrence internationale ).
b) Le développement industriel est à l’origine des problèmes fondamentaux.
c) L’évolution démographique.

4. Les termes travail et travailleurs

En français, le terme travail apparaît assez tardivement. Au Moyen-Age, il n’y a pas de terme
générique pour désigner les activités du travail. Le mot n’apparaît qu’au 12 es ( moment avancé du
Moyen-Age ). Le sens du mot ne s’approche du sens actuel qu’aux alentours du 15 e-16es ( au
moment de la transition Moyen-Age aux Temps Modernes, de l’abolition de la féodalité, du
schisme entre catholiques et protestants et de l’émergence de la bourgeoisie ).

Le mot travail a été précédé par le verbe travailler qui vient du mot latin tripaliare signifiant
torturer, tourmenter ( tripaliare vient de trepalium désignant la torture à l’aide d’un
instrument ). En ancien français, travailler signifie souffrir, faire souffrir ( physique ou moral )
et se travailler signifie se demander. Le verbe travailler a été ensuite utilisé pour désigner les
femmes sur le point d’accoucher, les gens sur le point de mourir. Ce sens a disparu sauf dans
l’expression « salle de travail ». Les mots travailleur et travailleuse apparaissent au 13es.

Entre le 15e et le 16es, le mot travailler signifie endommager qqch, battre qq, molester qq d’où
l’expression « travailler les côtes de qq ». On retrouve l’idée de souffrance dans « travailler
l’esprit de qq » ( tourmenter qq ).

Au Moyen-Age, une 2e acceptation apparaît aussi : se travailler signifie aussi faire de grands
efforts, exercer une activité exigeant de l’effort et de la souffrance.
Peu à peu, l’idée d’effort prend le pas sur l’idée de peine.

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A partir du 16es apparaît le sens d’exercer une activité régulière pour assurer sa subsistance.
Faire travailler signifie alors embaucher.

Au 19es apparaît la notion d’effectuer un exercice fonctionnel.

Travail sous-entend à l’origine une idée de souffrance, de peine, de fatigue,…


Ensuite apparaît l’idée de métier, d’activité source de revenus.
En 1600, l’idée d’activité quotidienne permettant de subsister apparaît.
Au 19es, le sens d’activité humaine organisée au sein d’un groupe social et exercée de manière
régulière apparaît.

Travailleur et travailleuse désignent au 19es des salariés des secteurs agricoles et industriels
dans un courant de pensée marxiste et socialiste. Marx a établi la distinction entre travailleur et
capitaliste ( organisateur du travail et détenteur du capital ). Aujourd’hui, les syndicalistes
utilisent encore plus facilement le terme d’ouvriers. Jusqu’à l’industrialisation, le travailler était
principalement manuel. Il y avait très peu de travailleurs intellectuels.

Le mot travail est devenu un terme générique alors que travailleur désigne plus les salariés et les
ouvriers de l’industrie. Travailleur est moins général.

5. Pourquoi n’applique-t-on pas le terme « travailleur » aux employés, aux managers,… ?

a) Il n’existe pas de réalité objective dans le monde humain en dehors de la perception


humaine. Il y a des différences selon les pays mais aussi selon les groupes sociaux, les
individus d’un même pays, … Le langage est l’une de ces différences. Nous n’avons pas le
même vocabulaire, les mêmes concepts, les mêmes idées de pensée,… Ce n’est pas un
hasard si on sous-entend salarié/ouvrier et pas manager ou employé lorsque l’on parle du
mot travailleur.
b) Issue de notre héritage culturel antique, il existe une distinction fondamentale dans la
vision du monde entre une réalité supérieure et inférieure. Dans toutes ces cultures
empruntes d’une culture religieuse et magique, il y a une réalité divine ( supérieure ) et
humaine ( inférieure ). La réalité divine, c’est l’au-delà, le monde après l’amour, de quoi
nous sommes capables de penser, … Notre destin serait déterminé par Dieu et nous ne
serions que des marionnettes. Les humains ont besoin de cette entité supérieure et ils
essaient de l’appréhender par la religion, une pensée religieuse et magique. Dans toutes
ces cultures, il y aura toujours un groupe de personnes qui assurent la relation entre Dieu
et nous ( prêtres, curés, pasteurs,… ). Le travail est étranger à cette réalité supérieure.
Les dieux de travaillent pas et seuls les êtres humains travaillent pour survivre. Le travail
apparaît avec l’expulsion d’Adam et Eve du Paradis.

6. La division sociale du travail

Dans toutes les sociétés se forment des élites sociales :


- les personnes qui font le relais entre les réalités divine et humaine ;
- les guerriers ( qui vont devenir la noblesse ) ;
- les intellectuels ( les 1er sont les prêtres et ensuite les gens qui travaillent au
service des prêtres et des nobles ).
Exemple-type : dans la culture égyptienne, les scribes.

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Ces 3 catégories ne travaillent pas et ils se réservent le privilège de ne pas travailler de leurs
mains. Donc, le travail manuel est considéré comme infâme. Si les élites sociales doivent
travailler, ils se réservent le travail intellectuel considéré comme supérieur. Cela explique
pourquoi la religion chrétienne a véhiculé cette pensée. Notre société valorise encore toujours
d’avantage le travail intellectuel que le travail manuel. Cette distinction entraîne des
conséquences :
Sur le plan politique, les conséquences ont un lien avec la domination des élites sociales. Dès
l’Antiquité, ces élites se réservent des privilèges dont est exclus le reste de la société ( = régime
autocratique ). Le pouvoir politique est donc exercé uniquement par ces élites sociales. Au
Moyen-Age, il y avait 3 groupes de personnes qui constituaient la société :
- oratores ( prêtres, intellectuels,… )
- bellatores ( ceux qui font la guerre )
- laboratores ( ceux qui travaillent, les paysans )
C’est comparable au système actuel des castes en Inde.

Rappel : le suffrage universel en Belgique

Pour les hommes : après la 1re guerre mondiale ( 1919 )


Pour les hommes et les femmes : après la 2e guerre ( 1948 )
En 1830, lors de l’indépendance de la Belgique, la Constitution Belge était
considérée comme progressiste car le régime n’était pas autocratique.
Cependant, le droit de vote n’était accordé qu’à ceux qui ne possédaient
qu’un certain niveau de richesse. C’était ce que l’on appelait le droit de vote capacitaire. Il fallut
attendre 1894 pour que la bourgeoisie accepte l’idée que les ouvriers avaient eux aussi leur mot à
dire. A cette époque, un ouvrier qui
voulait avoir le droit de vote devait passer un examen pour prouver qu’il
possédait assez de connaissances pour voter. C’est le parti socialiste qui
exerça une pression pour accorder le suffrage universel ( naissance du part
socialiste en Belgique en 1885 ).

Remarque :
Labeur, laborieux, labourer, laboureur,… indique une notion de travail pénible, fastidieux et
épuisant. Donc une vision négative du travail. Tandis que œuvre ( qui vient de opera ) et dont
l’origine est la même que le mot ouvrier a une connotation positive.
Pour illustrer correctement la problématique du travail et de la division sociale du travail,
intéressons-nous aux travailleurs débutants ( apprentis ) dans les métiers manuels ( 19 es – 20es ) !

L’apprenti débute dans une entreprise pour apprendre un métier ( apprenti boucher, maçon,
boulanger, … ). Il existe beaucoup de termes synonymes d’apprenti et d’apprentissage du métier (
une centaine de synonymes, parfois généraux, parfois spécifiques, oubliés,… ). Ces synonymes
n’évoquent pas la formation professionnelle mais sont plutôt des sobriquets collectifs ou des
surnoms.

Apprenti mécanicien = fils du squelette sobriquets individuels


Apprenti pâtissier = le veau comptable

Sobriquets collectifs = groupes sémantiques ou thèmes évoqués


Groupes sémantiques :
1er groupe = présente l’apprenti comme un enfant, un ado
2e groupe = présente l’apprenti comme un débutant, un novice

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3e groupe = présente l’apprenti comme qq de sensé exécutant des travaux auxilaires our
préparateurs ( manœuvre, fille de course,… )
4e groupe = présente l’apprenti comme qq ayant un statut de domestique
5e groupe = présente l’apprenti comme une cible de moqueries, injures,…
6e groupe = termes traduisant la hiérarchie existant au sein des apprentis

Exemples et explications :

1er groupe : garçon, gamin, freluquet ( connoté ), gosse, môme, moutard, petite fifille, petite
gars, le petit bœuf ( = apprenti tailleur ), marcassin ( apprenti peintre ), carrelin,…
Variétés de termes avec une connotation particulière ( allégorique, enfantine, …) où les apprentis
sont identifiés par leur âge.

2e groupe : bec jaune, bistreau ( petite domestique débutant ), arpette ( ou arpête )


Mise en évidence que l’apprenti n’est qu’un débutant. Il y avait ( et il y a encore ) des rites
d’accueil pour débutants ( donner une tâche impossible ou pas existante ! ).

3e groupe : aide, rattacheur ( chez les tisserands ), sac à colle ( chez les relieurs ), trottinette,…
Dans la réalité, les apprentis étaient confinés à remplir des tâches peu formatives et subalternes
et restaient éloignés des opérations délicates du corps de métier. Ils étaient confinés à des
tâches subalternes plus longtemps qu’ils n’auraient dû et ils devaient faire beaucoup d’efforts
pour accéder à la profession.
Expression : il faut voler le métier avec les yeux. Cette idée de vol de métier fait écho à cette
pratique qu’est la rétention, l’apprentissage. Quel est l’intérêt pour l’ouvrier, le patron, de ne pas
tout montrer à l’apprenti ? Cette rétention du patron trouve son origine dans une période de
l’histoire où il y avait beaucoup de concurrence entre les plus et les moins qualifiés. Les patrons
avaient tout intérêt à ne pas tout apprendre aux apprentis ! Cette pratique de rétention du
savoir-faire se retrouve dans les termes attribués aux apprentis.

4e groupe : tartare ( chez les tailleurs ; dans l’armée russe, tartare désignait le serviteur d’un
soldat ), goujat ( apprenti maçon ; racine hébreuse qui signifie servante chrétienne ).
Façon de souligner le statut de débutant.

5e groupe : aplotin ( Mons-Borinage ; propre-à-rien, maladroit ), galibot ( débutant mineur ;


mauvais ouvrier ).
Termes injurieux qui reprochent à l’apprenti de ne rien savoir.

6e groupe : arpête ( gens les plus bas de la hiérarchie )


petite main ( un peu plus haut )
deuxième main ( apprenti plus avancé )
première main ( qualifié )

En résumé, quand on entend apprenti, on pense que c’est un jeune qui apprend son futur métier.
En fait, ce n’est pas du tout ça ! Il y a aussi une socialisation professionnelle en milieu de travail
qualifié. Les adultes faisaient une distinction entre eux et les apprentis qu’ils considéraient
comme inférieurs, domestiques, incapables,… Depuis, leur statut a un peu évolué grâce à
l’obligation scolaire. Néanmoins, un apprenti n’est toujours pas considéré comme travailleur
puisqu’il apprend. Il est marginalisé par son propre groupe de travail !

Et nous, étudiants, sommes-nous des travailleurs ?

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On aurait tendance à dire oui car étudier apporter beaucoup de travail. Mais nous ne sommes pas
considérés comme travailleurs par la société ! Personne ne nous paie, nous n’avons pas de contrat
et nous-mêmes ne nous considérons pas comme travailleurs mais comme étudiants ! Notre statut
est comparable à celui des apprentis et légalement, notre statut est ambigu. Chaque époque et
chaque culture définit ce qu’est le travail et encore aujourd’hui, le terme a des connotations
particulières qui nous échappent.

7. Quelques définitions du terme travail

a) Dictionnaire des Questions Economiques et Sociales ( 1997 ) : le terme travail ne désigne pas
l’activité en soi mais l’activité génératrice de revenus. Ainsi une femme qui élève ses enfants ne
travaille pas selon les critères. La notion de travail au sens moderne est donc inséparable du fait
de gagner de l’argent en contrepartie de l’effort fourni. Le bénévolat n’est donc pas considéré
comme un travail mais comme une activité. L’origine du terme ( trepalium ) indique clairement
l’origine du travail. Dans la société contemporaine, le travail, s’il demeure pénible, a perdu ce sens
de douleur et de souffrance pour devenir un acte créateur de richesse, générateur de revenus et
de considérations sociales. Le travail détermine ainsi la position sociale de chaque individu : il y a
des formes de travail plus valorisées que d’autres mais être privé de travail est encore plus
dévalorisant. Lorsque le travail est salarié, il s’exerce dans le cadre d’un emploi. Tous ces
éléments définissent le travail et permettent de situer ce qu’est le travail à l’heure actuelle.

b) Dictionnaire d’Economie et des Faits Economiques Sociaux Contemporains


( 1996 ) : le travail est une activité humaine manuelle ou intellectuelle destinée à produire des
biens et des services.
L’attitude culturelle à l’égard du travail, considérée comme une activité spécialisée et nécessaire
a varié au cours du temps :
- dans l’Antiquité grecque, le travail était réservé aux esclaves et aux étrangers
résidant dans la cité ;
- dans la tradition biblique, le travail est perçu comme la conséquence du péché
originel ;
- à la Renaissance, avec la Réforme, cette conception négative se transforme et la
réussite dans le travail est considérée comme le signe de la prédestination du
salut ;
- au 19es, le travail devient une valeur cardinale de la société capitaliste en plein
essor ;
- au 20es, dans la société de consommation de masse, les loisirs comme alternatives
au travail deviennent un but en soi. Les économistes ont une approche différente
du travail selon les époques. Pour Marx, le travail est l’unique source de la valeur
des marchandises et tend à devenir dans la société capitaliste exclusivement un
travail salarié, exploité par le capital et aliéné. Pour les néoclassiques, le travail
est l’un des facteurs de production qui avec le capital notamment contribue à la
production dans un rapport qui dépend de leur productivité et de leurs prix
respectifs. Tous observent depuis Adam Smith, économiste anglais du 18 es, que la
capacité productive du travail est démultipliée par la division du travail et par la
mécanisation puis par l’automatisation et aujourd’hui l’informatisation. On insiste
ainsi à une profonde transformation :
 Le temps de travail diminue et le taux de chômage augmente depuis 1974
parce qu’au delà des fluctuations conjoncturelles, il y a un progrès continu de
la productivité du travail qui expliquent ces phénomènes.

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 La distance du contenu du travail change. Les métiers de l’ouvrier traditionnel
où prédominent les tâches manuelles sont en voie de disparition. Les tâches
d’exécution dans l’industrie et les services sont transformées par
l’automatisation et l’informatisation.
En conclusion, il semble qu’on assiste aujourd’hui à la disparition du travail au sens
traditionnel du terme. Plus on remonte dans le temps, plus on se rend compte que
la définition du travail a changé. Théoriquement, le travail s’applique à n’importe
quelle activité humaine. Le travail va plus loin que la dimension technique et
économique et il pourrait s’appliquer aux activités psychologiques, intellectuelles,

Il y a la psychologie du travail, le droit du travail,… Ce sont d’autres dimensions du
travail. La distinction entre travail et non travail est très récente. Avant la
révolution industrielle, cette distinction n’existait pas.

8. La notion de temps de travail

Lorsque l’on parle aujourd’hui de temps de travail, on considère que le travail est limité dans le
temps. Avant la révolution industrielle, cette distinction n’existait pas. Le travail était alors lié à
la vie sociale : le temps de travail et l’activité sociale se mélangeaient. Le patronat a ainsi dû
imposer une nouvelle discipline de travail et éduquer les ouvriers que leur journée de travail
s’arrêtait lorsqu’ils avaient terminé leur travail et que lorsqu’ils travaillaient, ils ne devaient que
travailler. Ce concept était inconnu. Pour les artisans et les gens de la campagne, leur journée de
travail se mélangeait aussi à leur vie sociale : ils mangeaient ensemble, buvaient, parlaient,…
Le patronat a dû imposer des règlements très stricts pour faire respecter le temps de travail
aux ouvriers. Cette discipline n’a donc pas toujours existé. On peut réellement dire que toute
activité humaine pourrait a priori passer comme étant du travail. Ce n’est pas la nature de ce que
qq fait qui explique que nous considérions que qq fait une activité de travail ou pas. C’est un
phénomène qui relève de la conception sociale la réalité, de concepts qui dominent dans une
société donnée à un moment donné.

Exemples :
On philosophe entre amis = pas du travail ;
On philosophe à l’université = travail ;
On peint la maison = pas travail ;
On peint une maison pour qq moyennant paiement = travail ;
On aide ses enfants à l’école ( devoirs ) = pas travail ;
On enseigne à l’école = travail ;
On fait le ménage = pas travail ;
On fait le ménage moyennant paiement = travail.
Le travail de la prostituée est considéré comme travail car il est rémunéré.

Plusieurs processus font qu’on admet que certaines choses sont du travail et d’autres pas. Il y a
du travail qui est admis et du travail qui ne l’est pas :
- le travail en noir n’est pas légal mais est du travail quand même ;
- le travail bénévole n’est économiquement pas du travail mais en est quand même
un.
Dans une société donnée et à un moment donné, il y a toujours des distinctions culturelles entre
le travail licite et illicite, rémunéré et non-rémunéré, valorisant ou pas, ceux qui sont en
formation,…
En conclusion, il y a deux grandes notions qui permettent d’analyser les phénomènes expliqués :

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- La division sociale du travail, c’est le constat que tout le monde n’a pas les mêmes
activités, les mêmes revenus. Il y a une diversification de plus en plus importante,
une spécialisation de plus en plus poussée. Cette division sociale du travail a des
conséquences et pour beaucoup de gens, notre place dans la société est définie
par la position de notre travail dans la société.
- La professionnalisation est un sous-phénomène à l’intérieur de la division sociale
du travail. La professionnalisation est une activité donnée qui s’exerce dans le
cadre d’un métier ou d’une profession qui se distingue des autres activités qui se
font en dehors du cadre professionnel. C’est fondamental. Dans chaque société et
chaque époque se pose la question de savoir quelle activité est une profession et
quelle ne l’est pas. Si on exerce une activité dans le cadre d’un métier, cette
activité est d’emblée plus valorisée et reconnue puisqu’elle est licite. Cela nous
donne plus vite accès aux sources du travail.
De plus, la professionnalisation influence beaucoup la culture économique et
sociale d’une civilisation, d’un pays,…
Dans toutes les époques, on s’est posé cette question : qu’est-ce que le travail et qu’est-ce qui
n’en est pas ?
9. La division sociale du travail ( suite )

Les historiens de la Préhistoire sont unanimes à considérer qu’il y a un lien entre l’émergence de
l’homo sapiens ( développement de son cerveau et de sa capacité de communiquer ) et de l’homo
faber ainsi que leurs capacités à poser leurs empruntes sur le monde. Le travail joue un rôle
capital pour l’histoire de l’humanité. Il y a une attraction entre les capacités intellectuelles,
manuelles et de communication. La notion de technique est cruciale pour distinguer l’animal
qu’était l’homme au départ et l’homme ensuite. L’homme fabriquait des outils, des armes et des
objets décoratifs ( = objets artificiels ) qui font office de prolongements de la main et du
cerveau humain permettant d’agir sur l’environnement. Ceci diffère de la vision chrétienne du
travail. A partir du moment où ces hommes développent ces capacités, une division sociale et une
spécialisation commencent à se développer.

Cette division sociale était très rudimentaire et cela pour diverses raisons :
- l’humanité avait une taille limitée. Le nombre limité de personnes est concentré dans des petits
groupes. En effet, quelques dizaines d’individus vivent ensemble et une division du travail s’opère
dans ces petits groupes qui mènent une vie nomade dans un isolement complet. Peu d’échanges
commerciaux ont lieu et ce qui est nécessaire à la survie est produit à l’intérieur du groupe
( cueillette, chasse, pèche ) ;
- cette économie et ce mode de vie nomade ne permet pas de faire des réserves et des stocks ( il
n’y a aucun surplus et on vit au jour le jour ).

La première division du travail se fait en fonction de l’âge ( 3 groupes ) :


1) Les plus jeunes ( sont les plus faibles pour la chasse et la pèche )
2) Les adultes ( dans la force de l’âge pour la chasse et la pèche )
3) Les plus âgés ( 30 ans ; vont être confinés à la cueillette )

La deuxième division du travail se fait en fonction du sexe des individus. Les préhistoriens
considèrent que les femmes auraient été écartées de la chasse. La fonction de reproduction des
femmes serait la raison qui expliquerait pourquoi les hommes se seraient réservés la chasse. On
constate que personne ne pouvait se soustraire de participer aux travaux nécessaires à la vie et à
la survie du groupe.

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Ces premières formes de spécialisation sont loin du concept de professionnalisation. Ce sont des
spécialistes « à temps partiel ».

Une personne apparaît : le premier artisan professionnel, c’est-à-dire le tailleur de pierres. C’est
donc le début de l’activité artisanale ( fabrication d’outils et d’armes pour la chasse ). Le
deuxième type de travailleur, c’est le sorcier ( travailleur plus intellectuel ). C’est le début de la
professionnalisation.

Quelques éléments de chronologie : évolution technique ( âge de pierre )

La Préhistoire est divisée en 3 périodes :


1) Le paléolithique ( il y a  2,5 millions d’années )
2) Le mésolithique ( de  -9000  -4000 /3500 )
3) Le néolithique ( de  –5000 à  –2500/ -2000 )

1) Le paléolithique est divisé en 4 périodes :


- inférieur ou ancien ( de –2,5 millions d’années à –1,5 millions d’années ).
A cette époque :
 on retrouve les premières traces d’outils en pierre ( galets et pierres dont la
forme se prêtait au broyage, concassage, coupage,… ). Ensuite, ces outils ont été façonnés et ont
permis de fabriquer des objets ( armes ).
 développement des formes de chasse ( arcs, flèches,… ) et maîtrise du feu.
Cette innovation a été extrêmement importante. D’abord, l’homme a récupéré les braises
naturelles. Ensuite, il a frotté deux pierres les unes contre les autres pour créer des étincelles.

- moyen ( de –200 000 ans à –40 000 ans ).


A cette époque
 la technique du travail de la pierre s’est améliorée ( culture levaillois : lames
de couteau, racloir,… ) . Le besoin grandissant d’une matière première ( pierre de qualité ) pour un
meilleur façonnage a débouché sur l’utilisation du silex.
 les premiers ateliers de taille de la pierre apparaissent. Au départ, les outils
de pierre étaient fabriqués en fonction de ce que l’on avait sous la main. Ensuite, la technique
s’est développée et le groupe s’est installé à proximité des gisements de silex.
 la spécialisation a été poussée plus loin et l’activité est devenue régulière. Les
premières formes de production en série ont fait leur apparition à cette époque. Il y a eu des
meilleurs performances et la production a été standardisée. A partir du moment où on produit en
série, on dépasse une production uniquement destinée aux besoins du groupe et cette production
peu servir pour des échanges commerciaux. Cela a des conséquences sur la vie économique.

- supérieur ( de –40 000 ans à –10 000 ans ).


A cette époque :
 évolution technologique du travail de la pierre ( les lames deviennent très fines
et longues ).
 il y a un catalogue d’objets disponibles et donc une plus grande
diversification !

- tardif ( de –10 000 ans à –8 000 ans ).


A cette époque :
 régression technologique ( façonnage plus rude et moins précis ). Cette

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régression serait due au mode de vie de la dernière période glaciaire. La taille des groupes
aurait diminué et cela aurait eu des effets négatifs sur le travail artisanal. Par ailleurs, jusqu’à la
révolution industrielle, les activités économiques de l’homme dépendaient grandement du climat.

2) Le mésolithique :
A cette époque :
 capacité de produire des microlithes ( pierres taillées de très petite
dimension ).
 outils en pierre  grands et lourds ( haches ).

3) Le néolithique :
A cette époque :
 capacité de scier et de polir les pierres
 capacité de forer des trous dans les pierres afin de les monter sur un manche.
Les dernières périodes se confondent avec les premières formes de civilisation. La préhistoire se
termine avec le néolithique et une spécialisation du travail. Très peu d’objets en bois datant de la
préhistoire ont été conservés ( car le bois se conserve mal ). Au fur et à mesure que les
techniques de pierre se développent, le savoir-faire se développe aussi.

Pendant le paléolithique, les hommes se servaient au hasard d ‘objets et leur savoir-faire était
peu développé. Au moment où sont apparus les premiers ateliers, une forme d’apprentissage s’est
développée et ce fait est un élément important dans la division du travail. Auparavant, tout
homme pouvait devenir chasseur. Avec l’artisanat, n’importe qui ne pouvait pas devenir artisan.
Cela est comparable au monopole qu’exerce encore certaines familles en Afrique et en Asie sur
certaines activités artisanales.

La taille de la pierre n’a été qu’un domaine technologique qui ait permis à l’homme d’agir sur son
environnement. Différentes innovations apparaissent en même temps que le développement de
l’agriculture :
- la poterie ( travail de l’argile )
- le filage et le tissage ( travail du textile )
- la métallurgie ( travail des métaux )

Domaines géographiques et données chronologiques concernant :


- la poterie. Les objets en argile les plus anciens datent de  -9 000 ans. C’était une technique
très rudimentaire qui consistait en la superposition de rouleaux d’argile séchés au soleil ). Ces
premiers objets ont été retrouvés au Moyen-Orient. Le tour de potier a été inventé au Moyen-
Orient en  6 000 avant JC. Des objets de formes diverses et plus sophistiquées ont été créés.
Ces objets étaient utilitaires. La fabrication de récipients en argile renvoie à la capacité des
sociétés de cette époque à créer des réserves ( conservées dans des récipients ) et à l’apparition
des échanges commerciaux.
- le filage et le tissage (  - 6 000 ). Les premiers métiers à tisser ont été retrouvés en Anatolie
( Turquie ). Les vêtements permettaient un plus grand raffinement et une distinction sociale. Les
tissus deviennent l’objet d’un intense commerce. Les techniques de peinture des vêtements se
développent et évoluent. Cela entraîne de nouvelles professionnalisations.
- la métallurgie. Le travail du cuivre remonte à  - 7 000 mais le grand développement de la
métallurgie date de la découverte du bronze ( 2e moitié du 3e millénaire avant JC ). Le travail du
fer remonte à – 1 500 / - 1 000. La métallurgie prend de l’importance dans le domaine économique
à cause des qualités différentes des métaux utilisés. En effet, le cuivre est trop malléable

10
( haches en cuivre ? non ), le bronze s’use très vite. Le fer est plus solide ( premières traces au
Proche-Orient ). Au 18es, l’acier est inventé.

La poterie, le filage et le tissage, la métallurgie représentent l’éventail important de nouvelles


techniques et qualifications du travail manuel ( nouvelles occupations ).
Au départ, la production était destinée aux besoins de la population locale et des marchés extra-
locaux. A la fin de la préhistoire, beaucoup d’échanges commerciaux s’effectuaient. Les potiers,
tisserands et métallurgistes de cette époque ne correspondent pas tout à fait à ce que nous
pourrions nous représenter aujourd’hui. Ils exerçaient d’autres activités ( agricoles par
exemple ) en plus de la leur : on pourrait les considérer comme des travailleurs partiels.

Les métallurgistes ont développé les premiers une spécialisation plus spécifique et cela est dû à
un phénomène géographique. Les gisements de minerais se situent souvent dans les régions
montagneuses moins propices à l’agriculture. De ce fait, il y a moins de possibilités de
s’intéresser à l’agriculture, d’où importation pour vivre de nourriture échangée contre leur
production. Ils dépendent plus de leur activité artisanale et un commerce spécialisé de minerais,
produits finis et semi-finis se développe alors.

Ces grandes inventions artisanales ont eu un impact sur la répartition des travaux entre les
femmes et les hommes ( 1er critère ) et entre les enfants et adultes ( 2e critère ) :
- pour la métallurgie, ce sont surtout les hommes ( force, dangereux métier,…)
- pour la poterie et le textile, ce sont les hommes et les femmes qui exercent ces activités de
manière égale.
Il y a donc un impact relatif de l’âge et du sexe sur la spécialisation.

Si l’âge et le sexe n’ont qu’un impact relatif sur la spécialisation, il faut imaginer d’autres raisons
et d’autres processus qui vont aboutir à ce que certains deviennent des professionnels.

10. La professionnalisation

La professionnalisation est un sous-phénomène de la division du travail. On ne devient pas


forcément professionnel si on se spécialise dans une activité. Beaucoup de personnes exercent
différentes activités dites professionnelles parallèlement ou successivement dans leur vie : on
n’exerce pas forcément toute sa vie la même profession ( = pluriactivité ou polyactivité><
monoactivité ). Ces deux termes montrent le degré de professionnalisation et la
professionnalisation n’est pas forcément synonyme « d’activité exercée toute sa vie ». La
pluriactivité pose un problème : comment comptabiliser des activités professionnelles lorsque des
individus exercent différentes activités ? Quelle est l’activité principale ? Secondaire ? … La
professionnalisation est la forme de division du travail qui est la plus valorisée ( socialement,
culturellement et matériellement ).

Qu’est-ce qui caractérise la professionnalisation ?


- la professionnalisation est le résultat d’une spécialisation sur le plan technique et sur le contenu
d’une activité. Or, la spécialisation ne suffit pas pour transformer une activité quelconque en
métier ou en profession.
Ex : ménagère, bénévolat  professionnalisation
- cette activité professionnelle doit être une occupation permanente et durable pour constituer
un métier ou une profession.
- règles ou réglementation d’une activité.

11
Qu’est-ce qui est réglé ou réglementé dans une activité professionnelle ?
- la formation professionnelle ( apprentissage du métier ) ;
- l’accès à la profession où l’on rencontre souvent une tendance à contrôler l’accès à la profession,
voire à limiter l’accès ;
- l’exercice, la pratique d’un métier au jour le jour ( = déontologie professionnelle ).

Cette réglementation peut avoir une forme coutumière, non-écrite, verbalisée ou écrite. Elle peut
être purement interne et propre au groupe des professionnels qui décident eux-mêmes des
règlements ou règles et l’application de leur respect. Ce règlement professionnel peut aussi être
formulé et reconnu à qqch d’extérieur au groupe professionnel comme le pouvoir municipal, royal,
étatique, publique,… C’est ce qu’on appelle la réglementation professionnelle. Cette
réglementation est plus forte et contraignante lorsqu’elle reflète la volonté de tous les membres
du corps professionnel et lorsqu’elle bénéficie d’une reconnaissance par un pouvoir externe à la
profession.

La professionnalisation et la réglementation professionnelle vont souvent de pair avec une


certaine institutionnalisation : les membres d’un groupe professionnel forment une organisation
( = corporation de métier, syndicats patronaux et ouvriers ).

Enfin, la professionnalisation est aussi caractérisée par la culture professionnelle ( = identité


propre à un métier ). On se reconnaît entre soi par le biais de la vie associative, la sociabilité
( contacts formels ou informels ) et les vêtements de travail parfois typiques à un métier.

Avant la révolution industrielle, les métiers avaient déjà développé une sécurité sociale ( des
formes d’entraide en cas de chômage, crise économique, maladie,… ). La durabilité de l’activité, le
fait de la réglementation professionnelle, l’institutionnalisation et la culture professionnelle
peuvent être réunis en un groupement fort qui forme le modèle de métier qui a connu le plus de
succès dans notre culture occidentale. Tous ces éléments constituent la professionnalisation.

Le cadre de vie jour un rôle dans la professionnalisation : le milieu urbain a toujours été propice
aux métiers et aux professions ( artisans, activités commerciales et intellectuelles ). La
professionnalisation a beaucoup plus bénéficié aux hommes qu’aux femmes. Les citadines vont
participer à la formation de mouvements professionnels, à la réglementation de l’exercice de leur
métier.

Le modèle classique du groupement professionnel : la corporation de métier ( en Occident –


Europe en particulier ). Une corporation est un groupe d’hommes exerçant une même activité
professionnelle et ayant réussi à réglementer les différents éléments cités ci-dessus. Au Moyen-
Age et aux Temps Modernes, les corporations de métier étaient dotées de chartes
( réglementations professionnelles écrites ) sanctionnées, reconnues et protégées par les
pouvoirs publics. Le premier souci des corporations de métier était de garantir le monopole de la
profession. Seul une personne s’étant faite membre de la corporation pouvait exercer cette
profession. Un des grands motifs de la formation des mouvements professionnels patronaux ou
ouvriers a été de régler, contrôler le marché du travail, de limiter la concurrence ou la supprimer
et ainsi s’assurer les moyens de subsistance nécessaires.

Puis, pour justifier ce monopole, les gens de métier ont invoqué que :
- pour exercer ce métier correctement, il fallait avoir été apprenti, donc avoir reçu une
formation.
C’était une façon de préserver la profession ( sorte de déontologie professionnelle ) ;

12
- cette formation était souvent payante et pas n’importe qui pouvait devenir apprenti ;
- la durée de cette formation pouvait varier d’une ville à l’autre, d’une profession à l’autre mais
aussi dune époque à l’autre sans que l’apprenti ne soit rémunéré ( de 1 an à 10 ans ! ).

Toutes ces conditions dressaient des barrières à la profession ( les enfants issus des petites
familles ne peuvent devenir apprentis ) et une véritable sélection sociale s’opérait. Cette
formation pouvait être consacrée avec un examen professionnel attestant les capacités de
l’individu à exercer cette profession.

Pour accéder à la maîtrise, il y avait trois grades ( pour passer du statut apprenti à celui de
maître et on pouvait exiger un bon nombre de choses comme par exemple que l’aspirant ait réalisé
un chef d’œuvre, qu’il ait servi un certain nombre d’années en tant qu’apprenti ou encore un
certain nombre d’années en tant que compagnon ( compagnonnage = nombre d’années que les
ouvriers passaient à travailler dans d’autres villes ).

Il y avait là tout un éventail de choses concernant la formation et l’accès à la maîtrise qui


rendaient l’accès à la profession très difficile. Par ailleurs, les statuts pouvaient prévoir la
limitation u nombre de maîtres, c’est-à-dire qu’un fois atteint un certain nombre, on pouvait
empêcher les aspirants à atteindre la maîtrise. Cela a donné lieu à de nombreux conflits entre les
corporations de métier et les pouvoirs royaux qui n’étaient pas favorables à cette limitation.

Les corporations de métier ont développé une sociabilité très particulière : il y avait au moins une
messe annuelle dédiée au saint patron de la corporation, un banquet, un comité chargé de
surveiller la réglementation, le nombre d’ouvriers employés ou encore la qualité de la
marchandise. Il y avait aussi une certaine forme de sécurité sociale.

Les corporations ont presque toutes disparue sous l’influence du libéralisme économique. En
effet, le libéralisme considérait que les corporations constituaient des entraves à la liberté du
travail et à la liberté de gagner sa vie. Ainsi, depuis la révolution française ( loi Le Chappelier ),
les corporations ont été supprimées légalement ( dans les pays latins – un peu après dans les
autres pays ).

Aujourd’hui, bien que les corporations n’existent plus, le phénomène du corporatisme subsiste
encore. Les groupements professionnels ont tendance à favoriser une législation. Il existe encore
quelques métiers qui limitent strictement l’accès à la profession comme les médecins ou les
notaires avec leur numerus clausus.

Autres phénomènes corporatistes : syndicats d’ouvriers. Au sein des syndicats d’ouvriers du 18 e-


19es, il y avait une tendance corporatiste afin à réglementer le marché du travail.

11. Le chiffonnier

Exemple d’un métier afin d’illustrer la professionnalisation, la division du travail et la valorisation


ou non-valorisation : le métier de chiffonnier . C’était un métier assez marginal. Lorsqu’on pense à
chiffonnier, on voit une personne plutôt pauvre, plutôt mal-habillée avec un gros sac sur son dos,
sillonnant les rues et à la recherche de chiffons ou de vieux objets qu’elle va revendre. On a donc
l’image d’un type plutôt louche, donc une image assez méprisante.

Ce travail est apparu avec la fabrication de papier en Europe vers la fin du Moyen-Age. A
l’époque, le papier se fabriquait à partir de chiffons. Il y eut un élément de professionnalisation

13
car le terme chiffonnier désigne une personne chargée de collecter des chiffons. En général, les
chiffonniers ambulants sont des pauvres.

Néanmoins, la spécialisation du métier de chiffonnier est relative car ce métier est voisin avec
celui des tailleurs de pierre et celui des fripiers. Les fripiers sont ceux qui revendent les
vêtements de seconde main après les avoir réparés : ils sont donc prédestinés à ramasser des
chiffons.

Les chiffonniers récupéraient aussi d’autres objets usés comme du vieux fer, du verre, etc.
C’était ce qu’on pouvait appeler une économie de récupération !
Les chiffonniers étaient en général soupçonnés de recèle et souvent associés à la saleté car les
objets récupérés étaient souvent sales et en état de décomposition.

Cependant, la réalité historique du métier de chiffonnier est beaucoup plus complexe que l’image
négative de la profession. En effet, ce groupe représente tout un éventail de la population, à
savoir les :
- personnes exerçant cette activité de manière intermittente ( vagabonds ) mais qui ne sont pas
de véritables chiffonniers ;
- chiffonniers ambulants. A cause de la taille des villes, ils se répartissent le travail par quartier
et ils opèrent entre eux une division sociale ( ceux qui n’ont qu’une sacoche, ceux qui ont une
charrette, ceux qui vont directement chez les particuliers pour racheter des étoffes dans les
quartiers plus riches ) ;
- marchands de chiffons. Là s’opère aussi une division sociale entre le petites marchands et les
grossistes qui centralisent le ramassage ;
- marchands de chiffons en gros et fabricants de papier ( familles très riches et très
puissantes ).

La profession était dès lors très diversifiée socialement et avait un très grand degré de
spécialisation qui allait du pauvre vagabond au puissant fabriquant de papier.
Dans les villes moyennes et plus grandes, on délimitait les zones de ramassage des chiffons.
Chaque chiffonnier avait son propre quartier où il exerçait son activité.
Sans doute l’expression « se battre comme des chiffonniers » vient-elle de cette époque où
certains chiffonniers empiétaient peut-être un peu trop sur le quartier de l’autre.

Par la suite, le poste de chiffonnier en chef de quartier devient une concession qui peut être
vendue ou rachetée, un peu comme l’emploi de garçon de café dans certains quartiers en France.

Un autre élément qui montre la structuration du métier : les chiffonniers disposent d’un même
lieu de rencontre et d’échanges, à savoir les vieux marchés.
Ce sont en quelque sorte les ancêtres de nos brocantes et marchés aux puces actuels. Les vieux
marchés permettaient de troquer, de s’informer, etc.

Ensuite, dans certaines grandes villes, les chiffonniers s’organisent en corporation de métier
avec vénération d’un saint patron, ce qui montre bien la structuration du métier. Bref, tout ceci
participe aussi à la culture professionnelle, à la sociabilité entre gens exerçant une même activité
professionnelle, à la vénération d’un saint patron de métier qui implique une messe annuelle ainsi
que des banquets, des activités de soutien aux membres de la profession.

Il faut donc distinguer la vision extérieure du métier, c’est-à-dire la vision de ceux qui ne
l’exercent pas, de celle de ceux qui l’exercent ( = vision intérieure ou auto-perception). Ces deux

14
visions sont différentes dans le cas où le travail n’est pas bien considéré par le reste de la
population.

Le métier de chiffonnier s’est éteint vers la fin du 19es lorsque la fabrication du papier a connu
une évolution importante, à savoir de nouveaux procédés et une nouvelle matière première, le
bois. Le bois était une matière première moins chère et beaucoup plus facile à travailler et à se
procurer. Cependant, le papier de bois présente un désavantage : il se conserve beaucoup moins
bien que celui de chiffons.

De ce fait, une grande partie de la production de revues, de journaux en papier de bois est
aujourd‘hui menacée. D’importantes campagnes de sauvetage ont ainsi lieu dans toutes les
grandes bibliothèques du monde : on transpose les journaux, les livres en papier de bois sur
microfilms. On utilise aussi des produits chimiques qui permettent de mieux conserver le papier
de bois.

Le métier de chiffonnier en tant que tel n’existe plus bien que le papier de chiffons soit encore
fabriqué de nos jours mais en petite quantité. C’est devenu à présent un papier de luxe.

Le chiffonnier en tant que professionnel qui récupère des vieux trucs ( matières premières ) a
fleuri dans le Tiers Monde. Dans les bidonvilles, on rencontre des quartiers entiers habités par
des chiffonniers. Ces derniers travaillent en sillonnant les rues ou les terrains vagues des
mégapoles.

12. Exemple d’actualité : Haïti

Haïti est le pays l’un des pays les plus pauvres et les moins développés au monde. Haïti est un bon
exemple pour montrer qu’il y a un lien entre la professionnalisation et l’économie du pays. Si
l’économie haïtienne est l’une des moins bonnes, c’est principalement dû au fait que :
- il y a 60% /70% d’analphabètes ;
- que le secteur qui occupe le plus de personnes est l’économie informelle ( où les gens se
débrouillent comme ils peuvent ). Le niveau de qualification et de spécialisation sont bas et une
partie de la population vit quand même dans un cadre professionnel plus structuré. Le PNB d’Haïti
trouve principalement son origine dans les capitaux envoyés par les émigrés ( Canada et USA ),
donc la diaspora haïtienne ;
- le crime organisé joue un très grand rôle dans la professionnalisation ( trafic de drogues ) ;
- il n’y a aucune tradition démocratique. On a récemment fêté le bicentenaire de l’indépendance
haïtienne et malgré cela, le régime politique haïtien a toujours été la dictature. Même le dernier
président Jean-Bertrand Aristide a lui aussi viré à la dictature. Les institutions étatiques sont
infiltrées par les organisations corrompues
( policiers corrompus ). La corruption est terriblement répandue en Haïti.

La majorité de la population échappe au phénomène de la professionnalisation et le degré


d’économie est un très bon indicateur du degré de professionnalisation.

13. Le corporatisme

La corporation est apparue comme l’aboutissement pré-moderne de la professionnalisation.


Comme dit plus haut, la corporation n’existe plus ( en France ) depuis la révolution française ( et
la loi Le Chappelier ). En Belgique, lorsque les troupes françaises envahissent et occupent les
territoires de la future Belgique en 1794, les français introduisent leur législation. Voilà comment

15
les corporations ont aussi été abolies en Belgique. En 1831, à l’indépendance de la Belgique, les
lois françaises ont été conservées et on n’a pas réintroduit les corporations.

Toutefois, le phénomène du corporatisme a continué. Le corporatisme est une tendance au sein


des membres d’un métier ou d’une profession à obtenir une réglementation de leur métier et à
rendre par cette réglementation l’accès à leur métier plus ou moins difficile. Leurs objectifs sont
de limiter le nombre de personnes exerçant ce métier ( donc la concurrence ) et d’assurer les
revenus des membres du métier ou de la profession. Plus beaucoup de métiers agissent encore
ainsi
( médecins, notaires, kinés ).

Ce corporatisme se rencontre aussi dans le monde ouvrier. Les syndicats d’ouvriers étaient au
départ des émanations de la culture corporatiste. Les premiers syndicats modernes étaient
toujours des syndicats de métier et souvent des héritiers d’associations de compagnonnage car
elles réunissaient des compagnons de métier ( = ouvriers de métier sous l’Ancien Régime ). Les
compagnons étaient des membres de seconde classe au sein de la corporation car ils ne
disposaient pas des mêmes droits que les chefs artisans, ils ne participaient pas aux décisions et
devaient dire « amen » à tout ce que le maître décidait !

Cette situation les a poussés à défendre leurs intérêts, à savoir le maintien d’un salaire suffisant,
la surveillance de l’apprentissage, l’intervention dans la distribution des emplois vacants et
l’organisation de réseaux de compagnons itinérants en créant des compagnonnages.

Ces anciens compagnonnages se sont transformés en syndicats d’ouvriers au début du 19 es.


Certains étaient de véritables héritiers directs du compagnonnage. C’était le cas, par exemple,
chez les typographes et chez les joailliers où il existait de véritables réseaux internationaux, des
syndicats permettant à des ouvriers de trouver du travail dans d’autres pays ( en Europe et
même aux Etats-Unis ! ).

Autre exemple de métier : celui des verriers. Leur syndicat était au départ un syndicat de
métier, à savoir le syndicat des souffleurs de verre. On distinguait alors les verriers du chaud et
du froid et puis ceux qui manipulaient le verre et enfin les souffleurs de verres qui constituaient
en quelque sorte l’élite, la noblesse de la profession. Leur syndicat était extrêmement puissant et
influant et sa façon de réglementer l’accès au métier était assez drastique parce qu’il régnait au
début le principe de l’hérédité professionnelle. Ne pouvait devenir un souffleur de verre que le
fils d’un souffleur de verre. Cette hérédité professionnelle a éclaté au 19 es lorsque le secteur du
verre a pris une énorme expansion : les fils de souffleurs n’étaient pas assez nombreux et il a
fallu recruter.

Ceci nous montre qu’au sein du mouvement ouvrier, il y a encore des tendances corporatistes
même après l’abolition des corporations. Par ailleurs, il est évident que les groupements
d’industriels s’organisent en vue de la défense de leurs intérêts particuliers. Ce n’est plus la
forme d’une corporation à l’ancienne mais la forme d’une chambre de commerce qui existe partout
dans le monde développé mais qui prend aussi la forme de lobby, c’est-à-dire un groupement de
représentants de certains fabriquants qui interviennent auprès des décideurs politiques pour
influencer la prise de décision en matière de politique économique et sociale et en vue d’obtenir
des lois et des réglementations légales les plus favorables à leur secteur.

Le fonctionnement de la Communauté Européenne repose en bonne partie sur l’activité des


lobbies très présents auprès des autorités et des politiciens représentés au sein du Parlement

16
Européen. Ce ne sont pas que des industriels : ce sont aussi des représentants du monde agricole
et paysan.

La professionnalisation est la forme la plus sophistiquée de la division sociale du travail. Il y a


cependant des limites à la professionnalisation :
- tout le monde n’est pas concerné : il y a plus d’hommes que de femmes dans l’histoire qui en ont
profité. C’est tout récemment que cette tendance tend à se rééquilibrer ;
- en fonction du degré de développement économique, la professionnalisation concerne une
majorité ou une minorité de personnes ( exemple d’Haïti ) ;
- le fait que la poly ou pluriactivité est aussi un élément qui relativise l’importance de la
professionnalisation en ce sens où il y a un nombre important de personnes qui ne se limitent pas
ou qui ne peuvent se limiter à exercer une seule activité dans un certain domaine ;
- les activités qui sont devenues un métier reconnu ont tendance à magnifier le travail et les
professionnels qui exercent ce travail.

14. Mythes et utopies concernant le travail

Depuis que l’Humanité existe, les hommes ont toujours rêvé d’une société où il ne faudrait pas
travailler. Dans notre histoire, toutes sortes de mythes et d’utopies d’une société sans travail se
sont développés. Il y a évidemment un contraste avec la réalité car nulle part on n’a vu se
développer une telle société. Ce genre de mythes peut s’expliquer par le fait que le travail est
nécessaire pour l’homme et que malgré tout le travail qu’il fait, il n’est pas toujours à l’abri des
famines et de la pauvreté.
Notre culture judéo-chrétienne a « inventé » cet endroit appelé « Paradis » où l’homme ne
travaille pas.

Cependant, ce n’est pas du tout la première apparition d’un tel mythe. Dans la mythologie
égyptienne, il y avait des croyances tout à fait similaires : on pensait qu’une fois dans l’au-delà,
l’homme ne devrait plus travailler. Toutefois, les égyptiens croyaient quand même que l’homme
moyen devait travailler dans l’au-delà. Les plus riches, par contre, avaient trouvé un truc pour se
mettre à l’abri de cette nécessité. En effet, des petites statuettes ont été trouvées dans des
tombes de personnes aisées. Ces statuettes étaient munies d’outils les plus divers et leur nombre
était égal au nombre de jours de l’année. Le nom du défunt y était inscrit. Ces statuettes étaient
censées travailler à la place de celui-ci dans l’au-delà. On peut comprendre ce très astucieux
système dans une société où l’économie reposait sur des esclaves.

Un autre exemple dans la mythologie de l’antiquité grecque qui divisait les âges de l’homme en
trois époques ( ou âges ) :
1) L’âge d’or
2) L’âge de fer
3) L’âge d’airain ( correspondrait à l’actualité des grecs de l’antiquité ).
On remarque que la symbolique de l’or ( métal précieux ) s’opposait au fer
( considéré comme non précieux ). La différence entre l’âge d’or et l’âge d’airain était qu’à l’âge
d’or, les hommes ne devaient pas travailler car ils vivaient en parfaite harmonie avec les dieux. A
l’âge d’airain, l’homme est dissocié des dieux qui jouent à leur guise avec eux. Mais surtout,
comme dans la religion catholique, les hommes sont exclus du domaine divin et doivent travailler.

Tradition païenne qui a existé à côté de celle chrétienne : dans la tradition flamande, on a connu
le mythe du pays de cocagne. Le pays de cocagne était une région imaginaire où personne ne

17
devait travailler, où tout était là en abondance et où personne n’avait jamais faim. Cela reflète de
terribles famines qui ravageaient à cette époque les population.

Au 18e/19es ont eu lieu les découvertes dites du Pacifique qui semblaient être des paradis sur
terre où les gens faisaient preuve d’une fainéantise incroyable car ils vivaient dans l’abondance
( nature luxuriante ).

Enfin, il y a même une idéologie politique extrêmement influente et puissante qui a essayé
d’imaginer une société où le travail ne serait plus une charge, où le temps de travail serait très
limité, où les richesses produites seraient équitablement réparties et où il n’y aurait plus
d’exploitation par ceux qui détiennent le capital. C’est le communisme et ses branches socialistes
qui ont imaginé qu’il serait possible de parvenir à une telle société.

Il est d’ailleurs intéressant de voir que l’idéologie communiste est directement liée à la révolution
industrielle et ce pour diverses raisons :
- la révolution industrielle représente l’apparition des grandes usines ;
- la concentration d’un nombre important d’ouvriers dans les villes ;
- les exploitations de l’homme par l’homme ;
- les conditions de travail extrêmement pénibles ;
- la mécanisation qui semble être promesse d’un avenir meilleur.

Les théoriciens communistes se sont dit que la mécanisation permettrait sûrement de supprimer
le travail manuel et de faire exécuter presque tout par les machines. Au fur et à mesure, les
machines remplaceraient l’homme et le temps de travail serait fortement diminué. De plus, si on
parvenait à répartir l’ensemble des tâches sur l’ensemble de la population, alors le temps de
travail serait limité à quelques heures par jour et ainsi la mécanisation permettrait de
transformer le travail en une activité plutôt légère et réjouissante.

A défaut d’une autre idéologie ayant développé l’idée d’une société sans travail, on peut dire que
la société postindustrielle est une société qui ne se situe pas loin de cette utopie. La société des
loisirs liée à l’évolution du nombre d’heures de travail est une sorte de promesse qu’un plus grand
nombre de personnes profitera à l’avenir des temps libres. L’apothéose de cette tendance est
sans doute Disneyland, monde artificiel utopique, univers où le travail n’existe pas et où seul le
divertissement règne. Disneyland est un peu substitut d’anciennes mythologies incarnées par le
société des loisirs. Si l’homme a certainement tendance à valoriser le travail, à l’organiser, le
structurer, il a aussi tendance à vouloir échapper au travail car le travail peut représenter qqch
de lourd et d’aliénant.

15. La révolution du néolithique

La révolution du néolithique désigne une longue période de plusieurs milliers d’années qui s’écoule
entre l’apparition de la domestication, de l’élevage de certains types d’animaux, de la culture de
certaines plantes sauvages et sa diffusion au travers du monde. Les premières traces de
domestication, d’élevage, de culture,… remontent à -9 000 / – 8 000. Entre cette première
apparition et sa diffusion s’écoulent 8 à 9 000 ans. Vers -9 000 / – 8 000, à peu près toutes les
parties habitables de la planète sont déjà peuplées par l’être humain ( tous les continents
jusqu’en Australie ). Le dernier continent à être peuplé est le continent américain. Une des rares
contrées non investies par l’homme à cette époque est le Canada actuel où les premières
populations n’arrivent que vers –5000. De larges zones où l’agriculture ne sera pas pratiquée

18
subsisteront car la nature ne le permet pas ( par exemple, le Grand Nord où subsistera une
civilisation de pêcheurs et de chasseurs ).

Les premiers foyers connus de l’agriculture se situent d’une part au Proche-Orient


( région d’Israël, de la Jordanie et de la Syrie ) et d’autre part en Amérique du Sud
( dans les Andes ). Ces deux premiers foyers sont apparus indépendamment de l’un de l’autre. Ce
n’est pas en Afrique que l’agriculture est apparue alors que le continent africain est le berceau de
l’humanité. Si on passe en revue les grands continents, on voit que l’agriculture en Afrique
apparaît d’abord au Nord ( -6 000 ans ) et puis se répand vers le sud ( an 0 ).

Puis, il y a un foyer d’agriculture qui s’étend vers l’Europe du Sud-Est, du Sud, du Centre et du
Nord. C’est également vers –6 000 que l’on trouve le premier foyer européen agricole et c’est
vers –4 000 que le nord de l’Europe est atteint.

En Asie, l’agriculture fait d’abord son apparition vers –6 000 aussi ( en Chine – riziculture ) mais il
a fallu attendre –1 000 pour que l’agriculture s’étende partout en Asie et atteigne le Japon et la
Corée.

Enfin, dans les Amériques du Sud et du Nord, il y a un foyer très ancien en Amérique du Sud. Ce
n’est finalement que vers le début de notre ère que toute la partie nord soit également investie
par des agriculteurs. C’est très étonnant car paradoxalement, le flux de peuplement du continent
américain s’est fait par la nord.

L’un des plus grands changements dû à l’agriculture est la sédentarisation des populations. La vie
nomade est progressivement abandonnée, les déplacements saisonniers cessent et les gens
s’installent durablement dans un endroit précis. C’est un processus qui a mis beaucoup de temps.
D ‘ailleurs, lorsque l’Empire Romain éclate en 476, c’est dû à une invasions de peuplades qui
traversaient à l’époque toute l’Europe de l’Europe de l’Est vers l’Espagne et le Nord. Même 9 000
après l’apparition de l’agriculture, il y avait encore des mouvements de population extrêmement
importants.

L’abandon du nomadisme donne de nouvelles formes d’habitat. On abandonne les abris naturels au
profit d’abris construits par l’être humain. Les principales matières premières sont les végétaux,
le bois et l’argile. En effet, on a très tôt commencé à fabriquer ce qu’on appelle aujourd’hui des
briques. C’est aussi un habitat différent dans le mesure où des villages se forment ( groupement
de plusieurs maisons - petites concentrations d’humains - qq dizaines de personnes ).

Puis, déjà à cette période, lorsque l’agriculture prend de l’ampleur et les villages apparaissent, se
sont formées les premières véritables villes de l’antiquité. On peut donc dire que le phénomène
urbain est directement lié au phénomène de l’agriculture car jamais une ville ne se serait formée
dans une société de chasseurs.
En effet, des chasseurs ne sauraient pas construire d’abris et ils ne disposeraient pas d’une
assez grande quantité de nourriture. Or, l’agriculture est un mode de travail qui permet de
produire ( et de plus en plus au fil du temps ) des excédents alimentaires pour nourrir ceux qui ne
travaillent pas la terre mais qui exercent d’autres activités professionnelles. Jérico serait la
première ville de la Préhistoire.

Une nouvelle organisation du travail apparaît en même temps que l’agriculture. Cette nouvelle
organisation concerne la répartition des tâches entre hommes et femmes. Les femmes sont plus
impliquées dans les activités agricoles que dans les activités de chasse. Ici, la division sociale du

19
travail par le sexe n’a pas joué autant. Mais il y aussi une nouvelle organisation du travail car les
paysans s’associent librement pour labourer leurs terres et pour assurer la récolte. Ce sont
toujours de communautés de villageois qui exploitent ensemble collectivement des terres ayant
de la valeur.

Lorsque les premiers grands empires ( Egypte, Mésopotamie, Perse ) apparaissent, l’organisation
du travail agricole sera poussée un peu plus loin, c’est-à-dire au recours à une main d’œuvre
forcée d’esclaves. Cela a permis de travailler des étendues plus importantes de terre et de
construire les premiers systèmes d’irrigation.

L’agriculture permet de produire des surplus qui peuvent être utilisés comme monnaie d’échange.
Cela va donner une grande impulsion au développement du commerce. Il y a donc une
intensification des activités commerciales et cela permet l’éclosion d’activités artisanales
exercées surtout dans les villes et les villages plus importants. Une division du travail s’y opère
aussi ( entre villes et villages, citadins et campagnards ). Toutes ces grandes structures
présentes dans la vie économique actuelle remontent en quelque sorte à l’apparition de
l’agriculture.
Autre conséquence de l’agriculture : l’émergence de ces premiers grands empires en Mésopotamie
et en Egypte notamment, en Chine un peu plus tard et en Inde.
Le structures sociales évoluent donc et la population est en croissance car on peut nourrir de plus
en plus de personnes. En même temps, le régime politique évolue et les petites communautés
locales qui pouvaient vivre indépendamment des unes et des autres se sont de plus en plus
associées pour se regrouper en entités politiques plus grandes et plus importantes. Cela donne
lieu à des pays d’une étendue remarquable avec une structure pyramidale très accentuée, à de
véritables empires avec des personnes à leur tête ( pharaon par exemple ). Tout ce régime
aristocratique et ces grands propriétaires terriens sont aussi nés avec l’agriculture, la naissance
des villes et des grands empires.

Ce n’est qu’à partir de la révolution industrielle que les régimes aristocratiques vont laisser leur
place au profit des régimes bourgeois et démocratiques. C’est au moment où les structures
sociales se complexifient que la liberté politique et économique des individus est fortement
réduite. Les paysans de cette époque se retrouvent souvent sous la férule de potentats
régionaux puis nationaux.

Le spécialistes se sont souvent demandés si on avait d’abord domestiqué les animaux ou si on


avait d’abord cultivé les plantes. La discussion est toujours en cours et on n’a pas de réponse
claire. On connaît encore aujourd’hui, dans la forêt amazonienne, de petites tribus nomades qui
pratiquent de l’agriculture primitive. Nomadisme et agriculture ne seraient donc pas tout à fait
exclus. On connaît aussi certaines tribus africaines qui sont purement des éleveurs de bétail, qui
ne pratiquent pas l’agriculture et qui sont seulement nomades. Il y a un élément qu’on n’arrive pas
à trouver !

16. Quelques éléments de chronologie concernant la domestication des animaux

Les deux premiers grands foyers de domestication sont :


- le premier se situe en Eurasie et au Proche Orient ;
- le second se situe en Amérique du Sud et Centrale.

Dans ce second foyer, la domestication est relativement récente car elle remonterait à –3 000.
Ce serait notamment le lamas qui aurait été domestiqué.

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La domestication au Proche Orient semble la plus précoce car on a retrouvé des traces qui
remontent à –9 000. Il y aurait une parfaite coïncidence entre les premières formes de culture
et les premières tentatives de domestication. Le premier animal domestiqué d’utilité agricole
après le chien ( utilisé par les chasseurs ) aurait été le mouton. Des traces ont été retrouvées
dans certains villages du nord de l’Irak.

Après les moutons, les chèvres ont été domestiquées vers –8 000, ensuite les porcs vers –7 000
et enfin les bovidés vers –6 000. Pour le cheval, il faut attendre –5 000 et le premier foyer de
domestication se situe plutôt en Europe Centrale, du Sud-Ouest et en Sibérie où l’élevage de
chevaux a continué à jouer un rôle essentiel pour l’économie locale jusqu’il y a peu.

Quels intérêts à domestiquer les animaux ?


- disposer d’une réserve vivante de viande. Contrairement à la chasse où on ne savait pas ce qu’on
aurait à manger le lendemain, la domestication d’animaux met à l’abri les hommes de ce risque. Il
y a en permanence une réserve de viande ;
- la domestication va de pair avec une augmentation considérable du rendement de ces animaux.
Par exemple, si on compare la production de lait d’une vache sauvage à celle d’une vache
domestiquée, une vache sauvage produit sur l’année environ 500 litres de lait et une vache
domestiquée, quant à elle, produit plusieurs milliers de litres ( jusqu’à 20 000 litres par an
aujourd’hui ! ! ! ) ;
- certains animaux domestiques sont une source d’énergie. Ils permettent d’effectuer des
travaux que l’homme n’est pas en mesure de faire sans l’aide de ces animaux, par exemple pour la
traction d’araires, pour labourer les champs, pour les transports ( moissons, surplus ) et pour
actionner les premières meules avant l’invention des moulins à vent et à eau.

La panoplie classique d’animaux domestiques n’a pas changé entre le néolithique et le 19 es malgré
l’affinement des techniques de sélection des animaux. Ce n’est qu’avec la révolution industrielle
que l’élevage des animaux va réellement changer.
D’une part, l’industrialisation a permis d’augmenter les cheptels. Auparavant, l’élevage ne
comprenait pas un nombre important d’animaux. D’autre part, les méthodes d’alimentation et puis
de sélection des races ont permis de produire des animaux parfois étonnants.

Pendant les premiers millénaires, l’agriculture ne reposait pas sur l’élevage mais sur la culture des
champs. La culture des champs était beaucoup plus importante que l’élevage. C’est l’alimentation
des animaux qui a limité leur nombre. Aussi les surplus alimentaires n’ont pas été suffisamment
importants pour nourrir les bêtes et c’est donc pour ça que la culture des champs a prévalu sur
l’élevage des animaux.

Dans nos contrées, les principales cultures de plantes étaient des cultures de céréales ( blé,
seigle, orge et avoine ) en association avec, selon les régions et les climats, la vigne, les oliviers et
les fruitiers.

La chasse, la pèche et la cueillette restent des activités complémentaires à l’agriculture. Ces


activités ne disparaîtront pas bien qu’aujourd’hui, elles soient devenues ( la chasse et la pèche )
plus des activités sportives. La chasse est devenue au fil des millénaires une activité surtout
réservée à la noblesse qui a privé les paysans de chasser. De ce fait, les paysans ont dû faire du

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braconnage. Le garde-chasse apparaît aussi avec le braconnage afin de garantir la chasse aux
nobles.

Regard à la loupe sur le passage de l’économie de la chasse à l’économie agricole : le site le plus
ancien au monde où l’on a observé comment s’est opéré ce grand changement s’appelle ABOU
HUREÏRA et se situe en Syrie. Ce site a été fouillé dans les années 70 et on y a découvert les
premières traces de pratique de la culture et de la domestication d’animaux mais aussi les traces
d’un campement de chasseurs. On a remarqué que ces chasseurs ont procédé à certains
changements de leur régime alimentaire ( graines sauvages ). De plus, ce campement n’était pas
un campement provisoire mais il semble que les chasseurs y revenaient.

On s’est ensuite demandé comment ces gens passaient leur temps et on a fouillé et trouvé une
sépulture humaine. Les squelettes ont été étudiés et leur étude a montré qu’ils avaient subi des
pathologies au niveau des orteils, des chevilles et des genoux car ces chasseurs passaient des
heures agenouillés. C’est pour ça que les bras et les épaules étaient développées. Leurs tâches
faisaient donc travailler les muscles des bras. La pathologie du bas du dos montre que leur
activité impliquait un mouvement de balancement continuel d’avant en arrière. Bref, ces gens
transformaient des graines en farine. Cette activité ayant laissé des traces sur leurs ossements,
cela laisse supposer que ces farines constituaient une grande partie de leur alimentation ( plus
que la viande ) et ce changement ( -10 000 ) de nourriture a eu des conséquences sur leur
organisme.

Pendant quelques siècles, le site reste inoccupé et vers –9 000 il est de nouveau occupé. Ce n’est
cette fois-ci plus un simple campement de chasseurs mais une agglomération agricole plus
importante. Les débris végétaux retrouvés sont assez différents : il y a un plus grand éventail de
plantes et surtout pour la première fois des plantes cultivées ( de l’orge, du seigle, des lentilles,
des pois chiches,… ). Les squelettes retrouvés montrent que les gens passaient beaucoup de
temps à moudre des graines en farine. On a constaté que cette pathologie ( ci-dessus explicitée )
se trouvait autant sur les squelettes masculins que féminins ( important pour la division sociale du
travail ).

Les plantes cultivées constituaient la majeure partie de leur alimentation. Cependant, on constate
encore que la viande intervient également et que c’est encore à cette époque de la viande
d’animaux sauvages ( os retrouvés qui permettent d’affirmer ça)
Il y a donc une transformation progressive : ces gens restent encore chasseurs
( gazelles, mammouths ) tout en commençant à cultiver.

Vers –7 500, les ossements de gazelles deviennent plus rares et font place à des ossements de
moutons et de chèvres. On pouvait aussi déterminer l’âge de ces animaux au moment de leur
abattage et on a remarqué que ces gens gardaient les femelles plus longtemps que les mâles car
les femelles étaient utilisées pour la reproduction tandis que les mâles étaient sources de
nourriture. La domestication de ces animaux ainsi que leur élevage est la cause de la baisse
d’intensité de la chasse.

Remarque :
Deux foyers importants qui remontent à –6 000 et indépendants des autres en actuelle Thaïlande
et au Mexique actuel.

17. La domestication d’animaux et l’élevage

22
L’élevage est resté jusqu’au 19es une activité moins importante que la culture des champs ( pour
l’Europe ). La culture des champs permettait d’avoir des réserves de nourriture et des surplus de
céréales pour nourrir les animaux. Le régime alimentaire de ces populations était donc
majoritairement composé de matières végétales
( jusqu’au 19es ). Notre régime alimentaire actuel est une rupture totale d’avec celui de nos
ancêtres ( importance de la viande et des produits laitiers n’existait pas par le passé ). C’est une
véritable révolution.

La supériorité de la culture des champs a avoir avec ce qui est cultivé sur les sols. En effet, à
l’époque domine la culture des céréales ( le blé, le seigle, l’orge et l’avoine). En fonction du climat,
on cultive aussi les olives, le vin et les fruits.
Et cette prédominance des céréales présente un désavantage car il y a un grand manque de
variation de plantes cultivées. Ce sont toujours les mêmes plantes qui reviennent sur les mêmes
sols.

Les paysans se trouvent dans l’incapacité de pratiquer l’assolement, qui désigne la rotation des
cultures. Or, quand on cultive constamment les mêmes plantes sur les mêmes terres, le sol
s’appauvrit et on perd du rendement. Les paysans de la préhistoire et longtemps jusqu’à notre
époque ont dû pratiquer la jachère.

La jachère, c’est laisser reposer une parcelle de terre. Si on a deux champs, on en cultive un une
année sur deux. Il y a aussi des régimes de jachère biennales et triennales en fonction du climat
et de la richesse du sol. Le nombre des terres cultivables à l’époque était plus réduit ( beaucoup
de forêts recouvraient la planète ) et on ne cultivait que peu sur cette petite partie réduite car il
fallait laisser reposer certaines terres. Il n’y avait donc pas d’immenses superficies de terres
cultivables et pas assez pour en plus nourrir le bétail.

Tout ceci engendre une sorte de cercle vicieux car l’élevage d’animaux apporte un apport
important pour enrichir le sol ( le fumier est l’engrais le plus naturel jusqu’au 19 es ). On ne peut
donc pas enrichir beaucoup puisqu’il y a peu de bétail. Dès lors, le rendement ne peut être
augmenté.

Dans les campagnes, à l’époque, on utilisait comme engrais non seulement les excréments des
animaux mais aussi ceux des humains. La récupération d’excréments humains a aussi été utilisée
pour deux activités artisanales, à savoir la tannerie et les métiers du textile ( la laine ).

Le tannage consistait à faire baigner les peaux d’animaux dans un mélange d’excréments humains,
de pigeons, de chiens,… Ceci dégageait une puanteur épouvantable. C’est la raison pour laquelle les
tanneries se situaient en dehors des villages. Quant à la laine, elle était nettoyée à l’aide d’urine.
Au début de l’industrie textile, on récoltait encore systématiquement l’urine des gens pour
dégraisser la laine avant de la transformer en fil.

Ce sont surtout les ordres religieux qui ont trouvé la meilleure façon de travailler les terres pour
augmenter leur rendement. Ce sont en quelque sorte les pionniers de la science agronomique.
Cependant, en ce qui concerne le paysan moyen du Moyen Age, il ne dispose pas de ces
connaissances et travaille de façon empiriste et traditionaliste. Jusqu’aux Temps Modernes,
l’agriculture n’était pas une activité individuelle mais collective où la communauté villageoise
primait sur l’individu et ses efforts. Il ne faut pas oublier qu’une bonne partie des paysans de
l’Antiquité, du Moyen Age et un peu des Temps Modernes sont d’abord des esclaves et puis des
cerfs. Ce sont des gens qui ne sont pas libres ou qui ne disposent que d’une liberté très limitée.

23
Donc, les paysans doivent rendre une bonne partie des surplus engrangés aux propriétaires
terriens ( l’aristocratie ). De plus, les semences ne sont pas sélectionnées et ce sont toujours les
mêmes terres qui sont cultivées même si la jachère existe. Tout rend le rendement assez
difficile.
18. L’agriculture

Dans ce schéma agricole ancien, jusqu’au Moyen Age en Europe et aux Temps Modernes pour
certains endroits, l’agriculture se présente comme étant un travail discontinu sur l’année entre
des labours et des ensemencements. Les occupations agricoles, même le sarclage, semblent être
peu poussées. Outre l’agriculture, les paysans se consacrent à d’autres activités : ils sont
colporteurs, rouliers, maçons, charpentiers, tailleurs, etc. Il y avait aussi une polyactivité.

Ce schéma ancestral qui a duré du début de la révolution néolithique jusqu’au 19 es va se


transformer avec l’introduction de nouvelles plantes. La découverte du nouveau monde va y jouer
un rôle crucial ( à partir du 15es ) : on va ramener des nouvelles plantes qui auront des
répercussions énormes sur la manière de cultiver les terres.

Il y a eu trois changements directement liés à l’introduction de ces nouvelles plantes :


1) Le rythme des cultures va être modifié dans le sens où il y a une plus grande variété des
plantes utilisées et une complémentarité entre les différentes plantes ;
2) Le calendrier des travaux agricoles va être modifié. Il y a une intensification du travail du
paysan et son travail va occuper une plus grande partie de son temps ;
3) Le risque de la famine va nettement diminuer. Et ironie du sort, c’est l’une de ces nouvelles
plantes qui sera à l’origine de la dernière grande famine en Europe.

Quelles sont ces nouvelles plantes ?


- le maïs a été d’abord introduit en France avant de se répandre ailleurs en Europe. Cette plante
présente deux intérêts majeurs : c’est une plante riche en protéines et elle peut être intercalée
entre deux récoltes de céréales tout en supprimant la jachère ( année de céréales, année de maïs
et puis année de céréales ) parce que le maïs enrichit le sol. La terre peut donc être cultivée sans
arrêt. Le maïs est l’une des plantes les plus cultivées et le plus grand producteur au monde sont
les Etats-Unis
40 % de la production mondiale ). Le maïs sert aussi de nourriture pour le bétail ;
- la pomme de terre a mis plus de temps pour être acceptée par les paysans et pour se répandre.
En effet, la pomme de terre est plus exigeante au moment de la plantation et elle nécessite des
soins plus intensifs ( binage, sarclage ). Mais tout comme le maïs, la pomme de terre présente un
double intérêt alimentaire et peut aussi s’insérer entre deux récoltes de céréales ;
- la betterave à sucre peut également et facilement être alternée avec la culture de céréales
tout en enrichissant aussi le sol. La betterave fourragère est destinée aux animaux et liée à
l’augmentation des cheptels et à l’expansion de l’élevage.
- le trèfle qui va aussi être utilisé pour faire disparaître la jachère.

Remarque : le maïs et la pomme de terre sont originaires d’Amérique du Sud

Avec la diffusion de ces plantes, la jachère va disparaître et la terre ne connaîtra plus de repos.
Du même coup, le paysan ne connaît plus le repos non plus. En principe, chaque parcelle de terre
peut être travaillée chaque année. En même temps, les travaux d’aération du sol et de la
suppression des mauvaises herbes prennent de l’ampleur car ces nouvelles plantes exigent ces
travaux.

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L’arrivée de ces nouvelles plantes coïncide avec la fin du Moyen Age, le début des temps
modernes et de l’agronomie. Les connaissances agronomiques et techniques agricoles se
développent considérablement. L’initiative individuelle des paysans va gagner du terrain ( surtout
avec la fin du régime féodal ) et de ce fait, la manière ancestrale du travail de la terre va se
dynamiser. Grâce à cette nouvelle palette de plantes cultivées, les paysans obtiennent un bien
meilleur rendement et une augmentation de plantes directement cultivées pour l’élevage.

Avant la mécanisation de l’agriculture, un autre élément a permis d’augmenter le rendement du


travail des paysans : les engrais naturels ont été supplantés par les engrais artificiels ( chimiques
) à partir de la deuxième moitié du 19es. On pourrait aussi citer le gag de la découverte d’un
engrais naturel encore utilisé aujourd’hui par des jardiniers : la découverte du guano. Le guano
est constitué d’un ensemble d’excréments d’oiseaux que l’on trouve sur certaines îles du Pacifique
situées devant la côté péruvienne ( les Galápagos par exemple ). La découverte des Galápagos a
donc beaucoup d’importance car le guano y est particulièrement concentré. Il sera par la suite
importé à grande échelle vers l’Europe et les USA.

Grâce aux engrais, on obtient des meilleurs rendements et les surplus permettent de nourrir
l’élevage.

De plus, le début du 19es voit apparaître la première révolution industrielle dans diverses régions
d’Europe. Elle s’accompagne d’une évolution démographique
( augmentation de la population ) et une urbanisation renforcée ( croissance importante des
villes ). Elle coïncide aussi avec une modification du régime alimentaire car la viande va prendre
une part plus importante dans le régime alimentaire des populations à partir du 19 es. Ces facteurs
agissent sur la demande de viande et sur la capacité de produire une quantité plus importante.
Ceci débouche sur l’extension de l’élevage.

Regard à la loupe pour illustrer ce phénomène : la traditionnelle choucroute alsacienne. Elle est
née au 19es dans le contexte de l’industrialisation, de l’extension de l’élevage de porc ( principal
ingrédient de la choucroute ) et du changement de régime alimentaire. L’origine des plats indique
l‘évolution de notre agriculture.

Autre changement dans le travail agricole : le perfectionnement de l’outillage du paysan. Il ne


faut pas oublier qu’au début de l’agriculture, le labour des champs se fait manuellement et que
l’outil principal est la houe. A l’antiquité apparaissent des araires. Attention de ne pas confondre
les araires avec les charrues qui, elles, retournent la terre ( l’araire ne creuse qu’un petit
sillon ) ! L’évolution des techniques agricoles est terriblement lente entre – 9 000 et le 19 es
quand les premières machines agricoles sont inventées. Les paysans disposaient d’un savoir
technique empirique ( pas de recherche scientifique av 19es ). Il y a des améliorations techniques
dans la mesure où on va construire des araires non plus tirées par un seul bœuf mais par
plusieurs.

Vers la fin des Temps Modernes, une véritable charrue qui ouvre la terre et la retourne en même
temps voit le jour. De plus, l’outillage est de plus en plus fabriqué en fer ( au départ c’était en
bois ) et le rendement s’intensifie. Lorsque l’on travaille avec une araire, on a besoin de deux
personnes voire plus ( un qui passe avec l’araire et un autre qui casse les mottes de terre pour
ouvrir et aérer le sol ). Avec la charrue , une seule personne est nécessaire.

Au 19es, l’outillage agricole limité se diversifie grâce à la construction de herses, de


scarificateurs et d’autres extirpateurs de mauvaises herbes ; tirées par chevaux et vaches.

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L’outillage devient plus varié et plus sophistiqué. Une véritable recherche scientifique menée par
des ingénieurs agricoles se met en place pour construire des outils agricoles performants.

Les premières machines à vapeur apparaissent dans les campagnes ( appareils immenses et
informes ). Ces premières machines sont utilisées pour actionner des batteuses mécaniques. Le
partage des grains était un des travaux qui exigeait le plus de temps et de main d’œuvre. Grâce à
sa mécanisation, le rendement devient beaucoup plus important.

Plus tard, les faucheuses mécaniques sont inventées. Le fauchage était le deuxième travail
agricole qui demandait le plus de temps et de main d’œuvre. Avec sa mécanisation, le travail
s’accélère.
Il faut en outre ne pas oublier la liaison directe entre la mécanisation de l’agriculture et l’essor
du travail industriel. En effet, l’industrie avait besoin de main d’œuvre. Cette main d’œuvre vivait
dans les campagnes. Afin que la main d’œuvre des campagnes soit libre pour travailler en ville, il
fallait rationaliser l’agriculture. Ainsi il y avait un excédent de main d’œuvre dans les campagnes.
Cet excédent a migré en masse vers les villes et ces paysans sont devenus des ouvriers de
l’industrie.

Grâce à tous ces éléments, le travail agricole s’intensifie et occupe une plus grande partie de
l’année. Les disettes deviennent quasiment exceptionnelles ( dernière famine vers 1840 liée à la
maladie de la pomme de terre ). Cette dernière famine était due au phénomène de monoculture.
Si une seule plante est cultivée et si elle est touchée par la maladie, alors c’est la catastrophe.
Depuis lors, les famines ont été évitées.

Les récoltes pénibles physiquement appartiennent désormais au passé. Elles sont dorénavant
effectuées en un temps record. Tout s’accélère et de ce fait, les récoltes obtenues sont plus
vites disponibles pour le commerce agricole. Ce dernier va donc se développer en même temps que
cette rationalisation de l’agriculture. Le grand commerce agricole existe certes depuis l’antiquité
mais il a seulement pris son envol au 19es.

Aujourd’hui, nous nous trouvons dans un monde partagé entre une agriculture hyper productive
avec des excédents monumentaux dans l’hémisphère nord et une agriculture plus traditionnelle,
beaucoup moins rationalisée et mécanisée et avec moins de rendement dans l’hémisphère sud. Ce
déséquilibre est un grave problème.

Le taux de personnes actives dans l’agriculture est un indicateur de l’évolution technique de


l’agriculture. Dans les pays dits développés, 5% de la population active dispose d’un travail dans
l’agriculture alors que dans certains pays, ce même taux dépasse 70%. Du néolithique à
aujourd’hui, la population paysanne a toujours été majoritaire. La seconde moitié du 20 es ( 1950 )
marque le moment où une majorité de la population n’est plus active dans l’agriculture.

Ces augmentations du rendement de l’agriculture ont été chiffrées par des économistes qui ont
comparé la productivité agricole obtenue pendant le néolithique et celle obtenue pendant la
seconde guerre mondiale ( 500% de plus qu’au néolithique ) ( facteur 5 ). Et depuis la seconde
guerre mondiale, la productivité agricole a augmenté de 750% ! Cela montre que pendant presque
10 000 ans, la productivité agricole a été quadruplée et en moins de 50 ans, elle atteint 750% !
On peut vraiment parler d’intensification de l’agriculture !

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Paul Vebrard ( ? ) évoque que ce facteur 5 n’est pas une augmentation continue et que les plus
grands progrès ont été accomplis entre1750 et 1945. Cela montre la lenteur mais aussi la
rapidité des changements depuis le perfectionnement des techniques et la mécanisation.

Quels sont les facteurs qui expliquent l’augmentation des rendements agricoles ?
- la nouvelle phase de mécanisation de l’agriculture : les premières faucheuses mécaniques sont
construites dès le 19es mais elles sont coûteuses et tous les paysans ne sont pas capables de
payer un tel engin. Cela va mettre bcp de temps à se généraliser et c’est depuis les années 30 que
l’agriculture moderne s’est vraiment diffusée ;
- l’ajout massif de produits chimiques dans l’agriculture ( à compléter )
- l’application de la biologie et de la génétique à l’agriculture (à partir des années 80).

Les organismes génétiquement modifiés en sont un exemple. Ils ont provoqué une grande
polémique. Il est nécessaire d’évaluer les risques d’utilisation de telles plantes. Les OGM
permettraient d’augmenter le rendement. Quels arguments poussent des pays comme les Etats-
Unis à utiliser ces plantes ? Quelle est l’utilité sociale des OGM ? A quoi bon augmenter encore
les excédents agricoles ? Il y a à la fois des aspects environnementaux qui peuvent entrer en
considération dans ce débat mais aussi des aspects sociaux.

Toutes ces modifications de l’agriculture nous ont définitivement mis à l’abri des famines.

Regard à la loupe sur la Belgique : développement d’élevages intensifs de porc en Flandre avec
ente autre le phénomène de versements illégaux de lisier sur les champs wallons. On a donc en
Belgique un exemple de problème environnemental lié à la modernisation de l’agriculture.

De plus, ces changements ont aussi provoqué l’effondrement du travail agricole ( en Belgique,
seulement 2 à 3% de la population active travaille les champs ).
Pourtant, la Belgique est un grand exportateur de produits agricoles malgré ce faible taux. Ce
taux s’explique aussi par l’exode rural ( moins marqué en Belgique qu’en France ). Les villages sont
entièrement « colonisés » par les citadins et il n’y a plus d’agriculteurs ! En plus, les régions qui ne
sont plus travaillées par les agriculteurs sont victimes de problèmes environnementaux aussi car
les agriculteurs participent à l’équilibre environnemental des terres.

Autre conséquence des changements de l’agriculture : la physionomie du paysan a changé. Le


paysan est devenu un véritable entrepreneur, ingénieur. La formation des paysans a été
scolarisée depuis la 2e moitié du 20es quand sont nés les premiers instituts d’enseignement
agricole ( Gembloux par exemple). L’influence de la science sur l’agriculteur s’est donc intensifiée.
Pour devenir agriculteur, il faut avoir suivi un enseignement et avoir obtenu un diplôme
d’agronome ou d’ingénieur agronome.
Le paysan est devenu un véritable industriel agricole.

Cette évolution de l’agriculture occidentale a fait pencher la balance du commerce agricole


international en faveur du monde développé. La domination économique du nord se fait à la fois
par la supériorité industrielle et agricole.

Enfin, on peut se demander si l’agriculture industrielle a été favorable à la qualité des produits.
L’évolution modeste et timide de l’agriculture biologique fait écho à certaines insatisfactions du
public face à la pauvre qualité des produits issus de l’agriculture industrielle. Malheureusement,
l’agriculture biologique ne présente qu’un petit segment du marché et se limite à une petite partie
de la population car beaucoup de gens ne sont pas prêts à payer plus pour ces produits.

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Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les agriculteurs du Tiers Monde dépendent et travaillent
pour le compte de grandes multinationales. De plus, la modernisation de l’agriculture a permis
d’assurer une sécurité alimentaire pour une bonne partie de la population mondiale. Mais
contrairement à ce que l’on pourrait penser, certains types de maladies qui touchent les animaux
ne sont pas apparues avec la modernisation de l’agriculture. Par exemple, la fièvre aphteuse avait
déjà touché des animaux au 16es en Italie du Nord. Il ne faut donc pas imputer tous les maux à la
modernisation de l’agriculture !

19. Statut du paysan dans la société

Au début, au moment où un petit groupe de chasseurs passe à l’agriculture, les paysans


représentent des personnes libres et non dominées par un industriel ou de grands propriétaires
terriens. Mais un plus tard, avec la constitution des premiers grands empires ( Egypte,
Mésopotamie, Grèce, Rome ) vers la fin de la Préhistoire et le début de l’Antiquité, les personnes
qui travaillent dans l’agriculture ont pour la bonne partie un statut d’esclave.

La libération de la paysannerie du monde n’est intervenue que des milliers d’années plus tard. En
Europe, cette « libération » s’est produite entre l’Antiquité et le Moyen Age quand on est passé
du régime « esclavage » au régime féodal où la majorité des paysans appartenait à un
propriétaire terrien qui pouvait être soit un aristocrate soit un représentant de l’Eglise. Ce
régime est appelé régime agraire féodal ou du servage ( les paysans sont les cerfs).

Puis, le servage a été aboli vers la fin du Moyen Age / début des Temps Modernes
( 15e – 16es ) en Europe occidentale. En Europe orientale, par contre, le servage médiéval s’est
perpétré plus longtemps ( en Pologne, en Russie ). En Russie, la libération des paysans cerfs s’est
produite dans les années 1860. Ce n’est donc que depuis l’époque contemporaine que les paysans
sont redevenus des citoyens à part entière disposant de leur corps et de leur bien. Mais la
libération des paysans s’est réalisée au prix d’une prolétarisation massive des paysans les plus
pauvres.

En effet, la révolution française a aboli les vestiges de la féodalité, a libéré les paysans ( élan
démocratique ). Cependant, les paysans ont quand même été obligés à payer les anciens
propriétaires terriens pour les dédommager de la suppression des privilèges féodaux. Seule une
partie des paysans fortunés ne pouvait donc se libérer. Les pauvres, quant à eux, devaient vendre
leurs biens pour se racheter. La partie des ouvriers d’usine recrutés à la campagne sont en fait
ces paysans qui avaient perdu leurs biens en dédommageant les privilégiés . Ce fut donc un
passage assez douloureux et coûteux pour la paysannerie française ou allemande de cette époque.

Etre paysan signifiait ainsi souvent être privé d’une partie de ses libertés et se trouver sous la
domination des propriétaires terriens. Ils étaient donc asservis, exploités et mal considérés
( encore aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif, les paysans sont peu scolarisés, peu cultivés ). Le
fait de devenir un citoyen à part entière pour le paysan était une nouveauté qui est seulement
née avec l’avènement du régime démocratique et la montée de la bourgeoisie industrielle.

Dans le Tiers Monde, certaines formes d’esclavage n’ont pas disparu et à peu près 10% de la
population vivrait encore dans des conditions d’esclavage. Au Brésil, le programme du parti
gagnant aux dernières élections assurait l’amélioration des conditions de vie des paysans
brésiliens. L’esclavage est donc encore d’actualité de nos jours.

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Ce statut particulier des paysans et cette évolution technologique très lente du travail des
paysans vont de pair avec une certaine mentalité typique de la majorité de la paysannerie du
monde entier. En effet, les paysans sont l’incarnation d’une mentalité économique tournée vers
l’autarcie et la subsistance.

20. Les notions de subsistance et d’autarcie

La subsistance signifie que l’on produit ce qui est nécessaire à la survie. On ne produit pas pour
produire, on ne cherche pas l’augmentation de la production ou de la productivité mais on produit
pour vivre ! Vivre en autarcie signifie vivre dans un monde clos où on n’a pas besoin d’apports
extérieurs dans la vie quotidienne, les échanges pour le commerce ne sont pas nécessaires. Les
habitudes d’achat à la campagne comparées à celles de la vie ont été totalement différentes
jusqu’après la deuxième guerre mondiale. Les gens achetaient beaucoup moins de choses à la
campagne et fabriquaient beaucoup plus qu’à la ville ( exemple : le pain ).

Subsistance et autarcie signifient que de tous temps, les milieux paysans ont été relativement
réticents à s’adapter à l’esprit capitaliste. L’esprit capitaliste peut être décelé depuis la fin des
Moyen Age et le début des Temps Modernes. Capitaliste et paysannerie semblent donc être des
attitudes complètement opposées. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de paysans capitalistes
mais c’est sûr que ce n’est pas dans le milieu paysan que sont apparus les premiers capitalistes !

Cet éloignement vis-à-vis du capitalisme se traduit aussi par une diffusion plus dense de l’argent
en milieu agricole comparé au milieu urbain. Le monde des campagnes a été plus tardivement
pénétré par l’argent et les échanges commerciaux.

21. Le paysan

Autarcie, subsistance et attitude réticente envers l’argent vont aussi avec un sens très fort de
la communauté, du bien commun et de la solidarité. Le paysan traditionnel n’est pas très
individualiste mais est plutôt tourné vers la collectivité.
Ce sens de la communauté se retrouve aussi dans l’organisation du travail : on travaille en commun
sur l’ensemble des terres en se rendant mutuellement service en période de récolte. Ce sens de
l’entraide et de l’hospitalité se traduit encore aujourd’hui par des mouvements associatifs par
exemple ( coopératives de production ou de commercialisation ). En Belgique, actuellement, une
association très ancrée dans le mouvement agricole se situe en Flandre ( le Boer….. ? = union des
paysans ).

Cette mentalité de solidarité et d’entraide s’étend non seulement dans le domaine du travail mais
aussi dans d’autres aspects de la vie du village. Tous les aspects des relations sociales y sont pris
en considération et c’est compréhensible vu que les villages ne comptent que quelques centaines
de personnes et que les gens se connaissent donc entre eux. Le monde paysan est donc aussi un
monde d’entraide dans la vie quotidienne ( en dehors du travail ). Ce n’est pas pour autant que
tout le monde s’aime et s’entraide ( loin de là ! ) mais cette mentalité de solidarité est un fait
typique de la société paysanne.

Une certaine individualisation de l’esprit des paysans va se faire avec l’évolution du travail de la
terre. En effet, il y a un lien étroit entre l’introduction de nouvelles plantes, la suppression de la
jachère, la possibilité de varier les plantes et les cultures dans les champs et pour les uns et les
autres de s’organiser.

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Depuis la fin du Moyen Age, les paysans gagnent des libertés par rapport à la féodalité et
commencent à disposer plus individuellement de leurs terres. Parallèlement à ça, on observe aux
Temps Modernes l’apparition de véritables entrepreneurs agricoles ( peu nombreux ) qui ne font
pas partie de la paysannerie mais qui sont de riches bourgeois.

Ces riches commerçants vont acheter des terres et y faire travailler des paysans. L’exploitation
va donc être organisée de façon plus rationnelle dans le but de faire du profit avec les surplus
engrangés. Ce sont quelques individus isolés et extérieurs au monde paysan et au travers de qui
se profile un début de capitalisme. Entre 1500 et aujourd’hui, il y a eu une longue évolution qui a
fait en sorte que tous les paysans sont devenus des entrepreneurs agricoles.

De nos jours, chaque agriculteur travaille sur ses propres terres, essaie d’accroître sa
production, d’augmenter sa productivité et de faire un maximum de bénéfices.
Le capitalisme et l’individualisme ont clairement gagné les esprits paysans ( dans les pays
industrialisés ). Ce n’est pas le cas dans les autres pays du monde et du Tiers Monde où la
mentalité traditionnelle est encore très forte.

Le paysan du passé entretient un rapport très particulier avec la terre et la nature. Ce rapport
reflète évidemment sa totale dépendance envers la qualité des sols de travail et le climat. La
pensée scientifique est assez étrangère aux paysans du passé et de ce fait, les idées que les gens
se font sur la terre, le climat, les récoltes sont empruntes de croyances religieuses. Les paysans
croyaient que la terre et la nature étaient peuplés d’esprits bénéfiques et maléfiques et cela
presque depuis le début de l’agriculture. Des cultes religieux visant à invoquer la clémence des
dieux pour assurer de bonnes récoltes se sont donc développés. L’esprit religieux est un trait
caractéristique qui a influencé la mentalité rurale jusqu’il y a peu de temps !

Par exemple, les églises catholiques ont eu l’intelligence d’appréhender cet esprit religieux chez
les paysans en intégrant une multitude de dieux et d’esprits maléfiques sous la forme de saints.
Chaque jour de l’année est lié à un saint. Ce culte est en fait une façon d’intégrer ce monde
superstitieux des paysans anciens dans la religion catholique. C’était une stratégie pour que les
paysans adhèrent à la croyance chrétienne !

Cet esprit superstitieux est également marqué par un grand conservatisme. Le monde paysan
n’est pas innovateur et expérimentateur. Le paysan type est un être très méfiant vis-à-vis de la
nouveauté car il ne fait confiance qu’à ce qui a fait ses preuves, que ce qui est traditionnel et
faisant partie de l’usage.

De ce fait, les campagnes ont toujours eu une réputation d’être les bastions du conservatisme
technique, culturel, religieux mais aussi politique. On rencontre une certaine continuité jusqu’à
nos jours ( le parti catholique belge avait ses assises en particulier dans le monde rural ). Malgré
que cette tendance immobiliste ou conservatrice était très affirmée, cela n’excluait pas les
changements. Seulement, ces changements s’opéraient assez lentement avant qu’ils ne fussent
largement diffusés. L’augmentation de la productivité agricole depuis le néolithique est une
exemple qui montre à quel point cette productivité a augmenté lentement du fait que les paysans
étaient réticents aux changements.

D’ailleurs, un des problèmes actuels du développement de l’agriculture du Tiers Monde tient à ce


conservatisme des paysans. Comment moderniser cette agriculture si les gens sont réticents à
l’égard des innovations technologiques, des engrais chimiques, de la biotechnologie, etc. ? Cela

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explique pourquoi ce sont majoritairement les sociétés occidentales qui vont introduire ces
nouvelles techniques dans les pays du Tiers Monde.

Ce conservatisme va aussi de pair avec la réticence envers le capitalisme. A partir du moment où


on ne dispose pas de moyens matériels pour procéder à des changements ( qui coûtent ), on se
retrouve dans un cercle vicieux.

En gros, voici le portrait de la mentalité paysanne d’antan dont on retrouve pas mal de
représentants dans les pays du Tiers Monde. En outre, signalons qu’une généralisation n’est pas
possible. Il y a certaines nuances : il y a eu différentes catégories de paysans. La mentalité des
paysans était liée au statut occupé dans la société.

On distingue quatre types de paysans :


a) le paysan qui travaille au sein d’une communauté villageoise sur des terres communes. Ce genre
de paysan n’est pas propriétaire individuel d’une parcelle. C’est le type du premier paysan apparu
dans l’histoire. Il travaille au sein du groupe, va organiser son travail en concertation avec tout le
monde et représente l’incarnation la plus aboutie du paysan vivant en autarcie ;
b) le paysans qui travaille uniquement en famille alors que la communauté villageoise lui propose
ses services. Il est propriétaire de ses terres. Il ne travaille qu’avec la force de travail fournie
par sa famille. C’est le genre de paysan qui possède une petite exploitation familiale mais qui
reste encore assez proche du paysan orienté vers la subsistance et l’autarcie à la différence qu’il
organise son travail déjà de manière beaucoup plus individualiste. L’ensemble de ces petits
paysans propriétaires s’associent entre eux pour former des coopératives ;
c) le paysans qui fonctionne sur une exploitation familiale mais qui engage d’autres personnes
( domestiques de ferme, ouvriers agricoles ) qui sont des salariés. Ça concerne une minorité de
paysans plus aisés qui possèdent des exploitations plus importantes où il n’est plus possible de
travailler uniquement avec la force de travail de la famille. Ces ouvriers agricoles salariés ne
possèdent donc pas de terres à eux.
Il y a là une distinction très importante entre paysans possédant leurs terres et ceux qui n’en ont
plus. Ces derniers doivent travailler pour des paysans plus riches afin de survivre ( ouvriers
agricoles salariés ) ;
d) l’entrepreneur agricole est un paysan qui est apparu aux Temps Modernes en Europe. Il réunit
des terres avec une superficie très étendue, fait travailler un très grand nombre de paysans
dans une exploitation centralisée ou dans un ensemble de petites exploitations. Il est d’ailleurs
possible que dans ce schéma, les paysans travaillant pour cet entrepreneur embauchent à leur
tour des domestiques et des ouvriers agricoles.

Enfin, pour le passé plus récent, il y a de véritables industriels agricoles qui vont intégrer dans
leurs exploitations les techniques de travail les plus modernes. C’est un exemple d’industrie
agricole qui est à la base de la culture intensive telle qu’on la connaît aujourd’hui. C’est l’opposé du
premier type de paysan : l’individualisme et le capitalisme prévalent sur la communauté.

Pendant longtemps, le travail des paysans a été et très critiqué. Comme les paysans ont été
pendant longtemps des hommes et des femmes exploités et dominés, cela a pesé sur leur
appréciation dans la société. Un élément explique cette perte de reconnaissance professionnelle
vis-à-vis des paysans : il n’y a pas de formation professionnelle. Les paysans ne vont pas à l’école
pour apprendre le travail de la terre, ni lire des livres sur le sujet. La connaissance
professionnelle des paysans est totalement empirique. On apprend en travaillant. La transmission
du savoir-faire est surtout d’ordre familial. Depuis le 19 es, les choses ont évolué. Aujourd’hui, on

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devient ingénieur agricole. Il y a donc un cursus de formation scolarisé. Mais c’est un phénomène
récent !

Autre élément expliquant pourquoi le paysans n’étaient pas considérés comme professionnels : il y
avait peu de spécialisation dans ce domaine du travail alors que dans les villes, on pouvait
rencontrer des centaines de métiers artisanaux. Dans les villages, il n’y avait pas de choix entre
autant de spécialisation : soit l’élevage, soit la culture des champs, soit les deux. On pouvait bien
se spécialiser dans un certain type de bétail mais ça se limitait à ça ! L’assortiment de
spécialisations était limité.

La nature associative des paysans était très développée : la communauté incluait le travail.
Néanmoins, ces associations n’étaient pas comparables à des corporations de métiers car elles
englobaient chaque fois le village en entier. Il n’y avait pas vraiment de défense des paysans vis-
à-vis de groupements concurrents.

Le travail des paysans n’était pas payé en espèce alors que le fait d’être payé en argent est un
des phénomènes de la professionnalisation.

22. Les artisans

Dans la chronologie, les activités artisanales sont antérieures à l’agriculture ( le tailleur de silex
en est un exemple ). La vraie professionnalisation des artisans commence avec les tailleurs de
silex. L’artisanat sera une des groupes socioprofessionnels au sein desquels la notion de métier
sera fortement développée ( beaucoup plus que chez les paysans ).

Poids quantitatif des artisans par rapport aux paysans : du néolithique au 19es, les paysans
formaient la grande majorité des populations. Les artisans n’étaient qu’une minorité. Aujourd’hui,
dans les pays développés, on trouve plus d’artisans que de paysans. L’artisanat emploie plus de
personnes que le secteur agricole. Il y a eu un renversement de la situation.

Cependant, la frontière entre paysans et artisans n’était pas étanche. Il n’y avait pas mal de
situations hybrides entre ces deux groupes. Le travail des terres avant l’introduction des
nouvelles plantes et le caractère discontinu de l’agriculture ont fait que beaucoup de paysans
faisaient aussi des activités artisanales. Dans les petites villes et les villages, beaucoup d’artisans
étaient en même temps des agriculteurs.

Qu’est-ce qui caractérise les artisans ? Commençons par l’artisan actif en ville. En effet, c’est
dans les villes que l’artisanat s’est développé et a pris de l’importante en donnant lieu aux
corporations . C’est dans les villes que s’est profilée l’image type de l’artisan.

Eléments caractérisant l’artisan :


a) un travailleur manuel qualifié. Ainsi, la qualification des travailleurs manuels est le premier
élément qui distingue l’artisan des autres travailleurs. Beaucoup de paysans disposaient de
leurs terres et ce sont ces terres qui fondaient son identité. Pour l’artisan, c’était son savoir-
faire et sa qualification qui fondait son identité en tant que travailleur ;
b) un travailleur manuel qualifié qui a besoin d’une formation. La formation va prendre chez les
artisans une forme plus spécifique que chez les paysans. Avant de devenir artisan, il faut
avoir été apprenti. On distingue clairement une période de formation pour pouvoir exercer un
métier de l’artisanat. Cette formation est d’abord empirique : il n’y a pas de formation

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théorisée et scolarisée avant le 19es. La scolarisation de la formation artisanale va
commencer plus tôt que chez les paysans ;
c) le statut économique de l’artisan. L’artisan type est un travailleur indépendant. Il jouit d’une
certaine liberté économique. Ceci distinguait l’artisan du paysan qui dépendait
économiquement des propriétaires terriens. Etre artisan indépendant signifie être
propriétaire de son atelier ( lieu de production ) et de ses outils (moyens de production).
L’artisan indépendant travaillait la plupart du temps dans une entreprise de taille plutôt
limitée. L’artisan type possédait un petit atelier familial où il travaillait lui-même avec sa
femme et ses enfants. La taille de l’entreprise était aussi un fait caractéristique du statut
économique de l’artisan. Les maîtres artisans qui engageaient un ouvrier ou un apprenti
formaient une minorité. La majorité des artisans ne travaillait pas avec des personnes
extérieures à leur famille. De plus, les corporations de métiers ont souvent limité le nombre
d’ouvriers et d’apprentis pouvant être engagés justement pour préserver le statut
d’indépendance économique de l’artisan. On voulait empêcher que quelques artisans
deviennent trop grands et trop puissants et écrasent les autres. C’était une volonté explicite
de la part des corporations de limiter la taille des entreprises. Ce plafond se situait entre 5
et 10 personnes pouvant être engagées. Le travail était créé par ce petit artisan indépendant
et réalisé sur commande ( pas à l’avance ) d’une clientèle aisée ;
d) La fonction économique de l’artisan. On en distinguait quatre :
- La première fonction pouvait être la production de biens de consommation pour
les marchés locaux ;
- La deuxième fonction pouvait être la production de biens de consommation pour
les marchés extralocaux, régionaux, nationaux ou internationaux ;
- La troisième fonction pouvait être la production de biens en sous-traitance ;
- La quatrième pouvait être rendre des services : entretien, réparation d’objets…
e) Le mode de production. C’est la manière de travailler. La production artisanale traditionnelle
consiste en la fabrication de pièces uniques ou de petites séries. Les artisans travaillent sur
la commande de clients locaux. Cela signifie que la standardisation du travail est peu élevée.
De plus, le travail manuel, son savoir-faire est prépondérant par rapport aux outils qu’il
utilise. Les outils ne sont que le prolongement de son savoir-faire et cette prépondérance du
savoir-faire distingue le travail artisanal du travail mécanisé et industriel où le savoir-faire
est incorporé dans la machine. Les artisans ont de ce fait plus de conscience professionnelle
et se différencient des ouvriers qu’ils considéraient comme des travailleurs manuels peu
qualifiés. Ensuite, pour les artisans, le travail est plus important que le capital. Cela signifie
que pour exercer un métier artisanal, il ne faut pas posséder beaucoup de capitaux. Avec peu
de capitaux, on peut devenir artisan ! Les artisans se différencient ainsi des meuniers ou des
fabriquants de papier qui, eux, avaient besoin de moyens pour installer leur entreprise. Enfin,
dans le mode de production, le travail se faisait surtout au sein de l’atelier mais il pouvait
également s’exercer chez le client. Il y avait en effet pas mal d’artisans qui étaient
itinérants ( dans les campagnes surtout ). Le tailleur et le cordonnier par exemple.
f) Le statut social de l’artisan. Au Moyen Age et aux Temps Modernes, l’artisanat des villes
faisait partie de la bourgeoisie ( Attention ! Un artisan appelé bourgeois au Moyen Age n’a
pas le même sens que le mot bourgeois employé au 19 es ! Le bourgeois du Moyen Age et des
Temps Modernes est qqn qui habite un bourg ! ). Etre bourgeois au Moyen Age était
particulièrement intéressant car le bourgeois bénéficiait de privilèges ( de droits ) qui
étaient différents des droits des paysans. Les bourgeois ne dépendaient pas d’un seigneur :
ils étaient à priori des hommes libres. Ils se gouvernaient eux-mêmes. Les bourgeois se
choisissaient entre eux un maître qu’ils appelaient bourgmestre. Un certain nombre de
personnes ( les échevins ) étaient élues pour aider le bourgmestre et former une sorte de
gouvernement. L’artisan bourgeois était néanmoins dominé par les classes supérieures des

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villes ( les familles patriciennes qui étaient des nobles installés en ville ) et par la petite
classe des grands marchands ( plus puissants économiquement ). L’influence politique et
économique des artisans a été moindre que celle des familles patriciennes et commerçantes.
Depuis l’industrialisation, le statut social des artisans a évolué. L’artisan type fait partie de la
petite bourgeoisie ou de la classe moyenne ( on préfère utiliser le terme « classe moyenne »
que le terme « petite bourgeoisie » qui est plus péjoratif). La majorité des artisans étaient
des personnes plutôt modestes sur le plan économique ( tandis que le terme « bourgeois »
désigne plutôt les grands industriels ). L’artisanat a été considéré au 19 es comme une classe
située entre la classe ouvrière et les classes supérieures. Quand le socialisme a prôné la lutte
des classes, la bourgeoisie, elle, a insisté sur l’existence d’une classe tampon située entre eux
et les ouvriers et cette classe tampon était la petite bourgeoisie ou la classe moyenne. Les
petites commerçant étaient donc représentés comme un rang « à part » et un objectif à
atteindre pour les ouvriers.

Quelques exemples de métiers pour illustrer les fonctions économiques du point d) :


- 1re fonction pour les métiers comme boucher, boulanger, brasseur, tailleur,…
- 2e fonction pour les métiers comme tisserand ( une bonne partie de sa production est destinée
aux marchés plus importants )
- 3e fonction pour les entreprises artisanales qui travaillent pour l’industrie automobile
( les constructeurs automobiles ne sont pas producteurs des pièces de la voiture ! )
- 4e fonction pour les métiers comme mécanicien ( ils ne produisent pas mais sont spécialisés dans
les services )

La notion de subsistance est également présente chez les artisans et il y a ainsi une certaine
similitude avec les paysans. L’objectif économique premier de l’artisan moyen était de subvenir
aux besoins de sa personne et de sa famille et non pas de produire beaucoup pour obtenir des
bénéfices maximums. D’ailleurs, tout le système des corporations permettait aux artisans de se
protéger de la concurrence ( entre eux mais aussi avec d’autres groupes ). Les corporations
essayaient d’obtenir le monopole des activités artisanales. Les artisans étaient néanmoins moins
tournés vers la subsistance que les paysans car ils étaient dans l’impossibilité de vivre en
autarcie. L’artisan devait vendre sa production ou ses services et c’était avec les revenus qu’il
s’achetait ce dont il avait besoin. L’artisan était donc beaucoup plus impliqué dans un circuit
monétaire, dans les échanges commerciaux. L’argent jouait directement un plus grand rôle en
milieu artisanale.

Sur le plan de la technique, les artisans étaient dans le passé plutôt considérés comme des gens
conservateurs. Mais comparés aux paysans, les artisans étaient tout de même plus novateurs.
Cela est dû à la nature de leur travail qui était plus spécialisé et qui permettait de faire de
nouvelles expérimentations pour trouver de meilleurs procédés, pour augmenter le rendement,
pour trouver de nouveaux produits. Notre culture technicienne d’aujourd’hui s’est beaucoup
inspirée du savoir-faire des artisans et on peut dire que quasi tous les premiers techniciens et
ingénieurs de l’industrialisation étaient à l’origine des artisans. La construction des machines
repose aussi sur une tradition de savoir-faire qui était propre à deux métiers en particulier : le
constructeur de moulins et aux horlogers.
En effet, ces métiers qui remontent au Moyen Age ont développé un savoir-faire qui a été
extrêmement utile à ceux qui ont construit les premières machines à vapeur à la révolution
industrielle. Le savoir-faire technique d’aujourd’hui est donc lié au savoir-faire artisanale d’hier.

Sur le plan intellectuel, les artisans étaient certainement plus ouverts que les paysans. Ce n’est
pas un hasard si la Réforme ou l’Eglise Protestante comptait plus d’adhérents en milieu paysan

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qu’en milieu artisanal. Cela tenait aussi au fait que la scolarisation des artisans était plus
développée que celles des artisans et que la lecture était une pratique plus courante chez les
artisans. Les artisans avaient un meilleur accès au savoir, à la culture que les paysans.

Un trait caractéristique des artisans est qu’ils se considéraient comme des hommes de métier.
Se définir comme un homme de métier est une référence forte à la notion de métier comme
élément de définition d’un statut social. Sous l’Ancien Régime, les artisans faisaient clairement la
distinction entre les hommes de métier qu’ils étaient eux-mêmes et les autres travailleurs
manuels ( ouvriers non qualifiés et paysans, journaliers, brassiers ) parce que ces activités ne
faisaient pas référence à la notion de métier mais au mode de rémunération. Les artisans avaient
donc une mentalité différente de celle des paysans.

On pouvait distinguer différentes catégories d’artisanats :


a) le préartisanat ou l’artisanat domestique qui consistait en des hommes ou des femmes qui
fabriquaient occasionnellement des objets divers pour leurs besoins techniques. Il y avait
donc peu de spécialisation et pas de professionnalisation. Ces gens travaillaient chez eux.
Exemples : fabrication de pain et de vêtements à la maison avant même l’apparition des
métiers de boulanger et de tailleur. La fabrication du pain et des vêtements a d’ailleurs duré
très longtemps dans les campagnes. Le boulanger cuisait aussi très souvent le pain préparé
par les paysannes ! Autre exemple actuel : le bricolage ( maçonner, jardiner,… ) ;
b) l’artisanat domanial représentait les artisans ruraux qui étaient attachés à un propriétaire
terrien ( seigneur féodal, église, abbaye ). Ces gens étaient engagés et produisaient
uniquement pour les besoins du propriétaire terriens et les personnes qui vivaient sur
l’exploitation agricole de ce propriétaire. C’était une sorte d’artisanat domestique élaboré : le
travail était un peu plus spécialisé, des métiers sont exercés ( forgerons, maréchaux
ferrants, meuniers, selliers,… ). Mais l’artisan domanial ne vivait pas exclusivement de son
travail d’artisan. Il possédait une autre source de revenus ( un lopin de terre ). Les artisans
domaniaux étaient donc à la fois artisans et paysans ! ;
c) l’artisanat rural comprenait les métiers répandus un peu partout dans les campagnes
( meuniers, forgerons, maréchaux ferrants, tailleurs, cordonniers, métiers du bâtiment,… ).
Les artisans ruraux travaillaient en permanence, étaient des indépendants qui travaillaient
pour une clientèle villageoise et rurale dans un rayon rapproché. Certains de ces artisans
ruraux possédaient un atelier et d’autres étaient itinérants et travaillaient chez le client ;
d) l’artisanat urbain où l’on distinguait les artisans produisant pour une clientèle locale
( métiers du vêtement et de la bouche ) et ceux qui produisaient pour une clientèle au-delà de
la ville ( tisserands dont la production était commercialisée en dehors de la ville ). Ce qui
différenciait aussi ces deux classes d’artisans urbains était l’importance du capital engagé
dans le travail parce que les artisans qui produisaient pour en-dehors des villes dépendaient
souvent de commerçants qui fournissaient la matière première et qui s’occupaient eux-mêmes
de la vente des produits. Alors que les artisans qui travaillaient pour la production locale, eux,
achetaient eux-mêmes les matières premières et vendaient eux-mêmes leur production. Dès
lors, en ce qui concerne le statut économique, les artisans travaillant pour les marchés
régionaux et nationaux vivaient dans une dépendance plus ou moins grande exercée par les
commerçants. Entre eux se sont installées des relations de production qui ont ainsi préfiguré
l’économie capitaliste. En effet, ces commerçants faisaient travailler ces artisans et visaient
le profit et non la subsistance. Ces commerçants se sont donc intéressés aux innovations
technologiques. Les artisans travaillant pour ces commerçants avaient droit à des salaires
plutôt bas ( pression permanente sur les salaires ).
Néanmoins, les deux catégories étaient sur le plan juridique des indépendants qui pouvaient
avoir du personnel salarié dans leur atelier ;

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Exemple d’artisans urbains : les tisserands de tissu en soie à Lyon. Lyon a longtemps été un
centre international de la soie. Des dizaines de milliers de tisserands travaillaient à Lyon et une
classe de grands commerçants y organisait l’approvisionnement en matières premières et la vente
des produits finis.

e) l’artisanat travaillant à domicile. Cette catégorie est très différente de l’artisanat


domestique. En effet, ici, ce sont des artisans qui travaillaient en permanence comme salariés
pour des marchands, des industriels ou d’autres artisans. Ces artisans se trouvaient dans les
campagnes et les villes. C’étaient les artisans les moins bien lotis, les plus exploités qui
vivaient dans des conditions matérielles les plus difficiles ;
f) l’artisanat des grandes entreprises. A l’époque moderne ( entre 1500 et 1800 ), on trouvait
des travailleurs manuels très qualifiés dans des manufactures ( lieux de production
centralisée où étaient produits des articles de luxe comme la tapisserie, la porcelaine ou les
armes ). La fabrication de ces produits nécessitait le recours à une main d’œuvre très
qualifiée de type artisanal. Ce n’était plus un atelier familial mais une sorte d’usine ( sans
machines ) où travaillaient des centaines de personnes pour le compte d’un manufacturier. Ces
travailleurs étaient rémunérés. Au 19e – 20es, les entreprises industrielles avaient besoin
malgré la mécanisation d’une main d’œuvre hautement qualifiée. Le secteur de la construction
mécanique a recouru à un très grand nombre d’ouvriers mécaniciens qui avaient une forte
qualification manuelle et qui ressemblaient à des artisans de part leur qualification et leur
savoir-faire. Ce type d’artisanat est très proche de l’artisanat collectif. Jusqu’à aujourd’hui,
on trouve un grand nombre d’artisans salariés dans les grandes entreprises qui s’occupent de
l’entretien des bâtiments ainsi que de l’entretien et de la réparation des outils et des
machines. A l’UMH aussi, il y a un staff d’ouvriers qui s’occupe de l’entretien des bâtiments !

23. Description de l’évolution d’un métier artisanal : le tailleur ( pour les vêtements )

Le métier traditionnel du tailleur avant l’industrialisation ( 1800 ) était une activité qui relevait
de l’artisanat domestique, c’est-à-dire une activité qui pouvait être faite par un grand nombre de
personnes à leur domicile. La confection de vêtements était donc d’abord une activité pratiquée
chez soi. Surtout les femmes étaient expertes dans la confection de vêtements.

Au fil du temps, le métier de tailleur est né : des professionnels ne faisaient que confectionner
des vêtements. Le métier de tailleur était surtout représenté dans les villes mais était aussi
présent dans les campagnes. La plupart du temps, les tailleurs faisaient partie des artisans qui ne
gagnaient pas bien leur vie : ce métier était typiquement exercé par les gens relativement
pauvres.

Beaucoup d’écrits, de proverbes et d’expressions font d’ailleurs allusion à la pauvreté du tailleur.

Cependant, au-dessus de la masse des petits tailleurs pauvres se situait une minorité de tailleurs
travaillant pour une clientèle fortunée ( aristocratie, clergé, bourgeoisie ) qui, eux, gagnaient
bien leur vie. La physionomie sociale du métier était donc en quelque sorte coupée en deux : une
grande masse de pauvres et une petite minorité bien située économiquement.

Le tailleur traditionnel avant 1800 travaillait sur commande pour des particuliers et il produisait
des pièces uniques. Le travail en série chez le tailleur était quasiment inconnu à l’exception d’un
secteur particulier ( confection de vêtements militaires ).

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De plus, le tailleur traditionnel travaillait avec le tissu apporté par le client ( appelé « travailler à
façon » parce qu’il ne faisait que façonner le tissu ). Donc, le particulier qui voulait commander un
vêtement chez un tailleur achetait d’abord son tissu chez un marchand. Ensuite, il allait chez le
tailleur à qui il expliquait ce qu’il désirait et qui prenait les mesures.

Ce travail se faisait dès lors essentiellement pour un marché local. Le métier de tailleur ne
nécessitait pas non plus un grand investissement : seulement quelques aiguilles, une paire de
ciseaux, du fil, des dés à coudre, un mètre ruban et une table étaient nécessaires.

Le métier de tailleur se trouvait aussi en concurrence avec un métier voisin, à savoir le métier de
fripier. En effet, les fripiers de l’Ancien Régime étaient aussi des artisans qui fabriquaient des
vêtements. Mais ils n’avaient le droit que de fabriquer des vêtements à partir de vêtements
usagés. Le fripier rachetait ou récoltait des vieux vêtements qu’il raccommodait ou à partir
desquels il en confectionnait des nouveaux.

Or, il était difficile de contrôler cette distinction entre tailleurs et fripiers et la concurrence
entre ces deux groupes était donc très forte. D’ailleurs, les fripiers de l’Ancien Régime
formaient corporation dans les villes. Comme ce métier comptait beaucoup de personnes, on
trouvait des fripiers partout.

Les ouvriers tailleurs pratiquaient souvent une forme de compagnonnage à la recherche de travail
ou d’un complément de formation.

Quels changements se sont-ils produits pour les tailleurs ?


Le premier changement se produit vers la fin du 18 es quand une nouvelle catégorie de tailleurs
est apparue : les marchands-tailleurs. Leur particularité était de ne plus travailler à façon mais
de fournir eux-mêmes le tissu aux clients. Donc, au sein du métier de tailleur, il y a eu des
personnes qui possédaient des capitaux plus importants qui leur permettaient d’avoir un stock de
tissus où le client faisait son choix.
Vers le début du 19es est apparue une autre catégorie de tailleurs : les confectionneurs. Ils
étaient en fait des marchands-tailleurs dont la particularité était de ne plus travailler
exclusivement sur commande d’un particulier mais de fabriquer des vêtements à l’avance et en
série ( révolutionnaire ! ).

Du fait que les marchands-tailleurs et les confectionneurs ont modifié la façon de travailler, ils
ont organisé autrement le travail des ouvriers. Auparavant, lorsqu’un tailleur occupait un ou des
ouvriers, ces ouvriers travaillaient avec lui dans son atelier.

Les marchands-tailleurs et les confectionneurs, eux, ont créé des subdivisions dans le métier du
tailleur ou d’ouvrier-tailleur. Ils ont gardé chez eux à l’atelier des ouvriers spécialisés dans la
coupe ( coupeurs ) et aussi des ouvriers qui ne faisaient plus que les dernières retouches
( pompiers ). Seuls les coupeurs et les pompiers travaillaient auprès des marchands-tailleurs et
confectionneurs.

Tout ce qui était assemblage des vêtements était dorénavant confié à des ouvriers travaillant
chez eux à domicile. Avec la spécialisation des marchands-tailleurs et des confectionneurs, les
ouvriers et les ouvrières travaillant à domicile se sont aussi spécialisés ( ouvriers spécialisés dans
les grands vêtements, les petits, les vêtements pour hommes, femmes, enfants,… ).

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Une spécialisation accrue s’est donc opérée au sein de ces ouvriers salariés qui étaient payés à la
pièce ( au fur et à mesure qu’ils produisaient ). S’ils n’avaient pas de travail, alors ils se
retrouvaient au chômage et n’avaient pas de gains ( pas d’allocations de chômage à cette
époque ! ).

Le mode de rémunération a aussi évolué. Auparavant, les ouvriers étaient payés au temps, à la
semaine, parfois à la journée. Ici, les ouvriers travaillant à domicile sont uniquement payés à la
pièce.

Il y avait donc une distinction sociale entre les confectionneurs ( nouvelle élite ) et les ouvriers à
domicile ou en chambre ( car leur domicile se résumait à une chambre qui servait à la fois de
chambre, cuisine, salon,… ). Ces ouvriers et ouvrières à domicile travaillaient essentiellement
seuls ou en famille. Beaucoup d’enfants ( même des petits ) aidaient leurs parents alors que,
auparavant, on ne parlait pas de travail des enfants. Il n’y avait que le travail des apprentis.

Vers le milieu du 19es sont apparus les grands magasins. L’Inno ( Innovation ) et GB ( Grand
Bazar ), tous les deux spécialisés en vêtements, sont apparus aussi à cette époque. Le nom
« Innovation » est très bien choisi car ces grands magasins ont introduit des innovations
importantes qui sont devenues familières pour nous.

Innovations :
a) la vente sur une surface plus grande. Chez le tailleur traditionnel, le marchand-tailleur ou
le confectionneur, il n’y avait pas d’espace commercial. Le client se trouvait dans l’atelier. Or,
dans ces grands magasins, l’espace de production est séparé de l’espace de vente, aménagé en
grande surface ;
b) les rayons. Auparavant, c’était beaucoup si le tailleur avait un ou deux modèles à montrer au
client ! Le fait de mettre des marchandises en rayon a permis au client de voir l’éventail de
modèle et le large choix ;
c) la création de grandes vitrines. Rien qu’en passant devant le grand magasin, on voyait déjà
de l’extérieur ce qu’il y avait à l’intérieur. Auparavant, on entrait directement chez un
particulier. Avec ces grandes vitrines, la démarche publicitaire et la communication visuelle
se sont développées ;
d) l’affichage du prix fixe. A l’époque, chez le tailleur, le prix se négociait. Le prix était fixé à
la tête du client ;
e) le personnel ( vendeurs et vendeuses ) engagé pour les clients. Auparavant, le tailleur
était son propre vendeur ;
f) la publicité par l’imprimé ( affiches, dépliants ). Cet effort de publicité et de
communication était inconnu avant.

Cette nouvelle forme de commerce dans le secteur du vêtement a fait prendre énormément
d’essor au travail de la confection des vêtements en série. Le travail à domicile a aussi pris de
l’ampleur avec les grands magasins. En effet, si le confectionneur employait une dizaine d’ouvriers
à domicile, les grands magasins, eux, en employaient des centaines.

Dès lors, il y a eu une baisse sensible des prix des vêtements pour le client. On peut même parler
d’une démocratisation du vêtement neuf pour les consommateurs. Avant les grands magasins, la
majorité de la population faisait ses vêtements soi-même ou allait chez les fripiers. Les tailleurs
étaient surtout sollicités par la clientèle plus aisée.

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Les grands magasins ou succursales que l’on connaît encore aujourd’hui dans le secteur de la mode
sont donc nés à cette époque-là, dans la seconde moitié du 19 es.

Dans la mesure où le travail à domicile s’est répandu, la spécialisation des ouvriers à domicile
s’est encore plus accrue. Certains ateliers étaient spécialisés dans la fabrication de boutons,
d’autres de boutonnières, etc. Par conséquent, ces ouvriers étaient devenus si spécialisés qu’ils
n’avaient plus aucune chance de devenir indépendants eux-mêmes. Leurs perspectives d’avenir se
limitaient à toujours rester ouvriers.

En même temps que cette expansion du travail à domicile, une catégorie de gens intermédiaires
est apparue : les sous-traitants. Ceux-ci centralisaient les commandes des grands magasins et
cherchaient eux-mêmes des ouvriers et ouvrières à domicile pour exécuter la commande.

Il y a eu une pression encore plus importante sur les salaires qui n’étaient pourtant pas élevés. Le
salaire de ces ouvriers à domicile a donc baissé. Cela signifie que les enfants et les femmes
étaient encore plus sollicités et exploités cruellement. Le terme anglais « sweating system »
désignait cette organisation du travail qui a entraîné des conditions sociales terriblement
précaires pour les ouvriers.

Quels sont les facteurs qui ont favorisé cette expansion du travail à domicile chez les tailleurs ?

a) le travail en série. C’est-à-dire une standardisation du travail qui a favorisé la spécialisation


des ouvriers et ouvrières dans un certain type de travail ;
b) le caractère saisonnier du métier. C’est encore la même chose maintenant : il y avait des
périodes d’affluence des commandes et deux saisons ou périodes mortes sur l’année. Donc, le
fait de faire travailler un grand nombre d’ouvriers et d’ouvrières à domicile et payés à la
pièce était une façon élégante pour le patronat de n’avoir aucun coût salarial pendant la
saison morte. Un tailleur, auparavant, ne congédiait pas nécessairement son ouvrier quand les
commandes baissaient ;
c) la faible mécanisation du travail. Le secteur du vêtement n’était pas comparable à celui de
la sidérurgie où les centres sont les grandes usines ( avec leurs machines de taille et de coût
important ). Chez les tailleurs, il n’y avait pas de mécanisation. Jusqu’à la deuxième moitié du
19es, le travail se faisait exclusivement à la main ( aiguilles et dès à coudre ). Quand la
mécanisation a commencé chez les tailleurs, elle s’est faite sous une forme parfaitement
compatible au travail à domicile, à savoir la machine à coudre. La machine à coudre est
apparue en Belgique vers 1860. La plus grande firme de machines à coudre était et est
toujours la firme Singer ( firme new-yorkaise ). Cette machine à coudre était actionnée par
l’homme. De plus, elle n’était pas comparable à la machine à vapeur : la machine à coudre
trouvait bien sa place dans la mansarde minable d’un ouvrière. Et cette machine ne coûtait
pas cher ! Pour l’ouvrier et l’ouvrière à domicile, c’était un investissement certes important.
Mais les fabriquants de machines à coudre ont très vite compris qu’il y avait un marché à
prendre chez les ouvriers à domicile. De ce fait, ils ont vendu les machines à crédit
( paiement par mensualités ) ;
d) le fait que, pour les patrons, il était intéressant de faire travailler les ouvriers ailleurs
parce que c’étaient les ouvriers qui payaient les frais de fonctionnement ( outils, achat de
la machine à coudre, la lumière, le chauffage ). Au lieu d’avoir un immense atelier avec des
dizaines d’ouvriers et tous les frais que ça engendrait, les patrons externalisaient, c’est-à-
dire qu’ils mettaient tout sur le dos des travailleurs. De plus, le travail à domicile était aussi
intéressant pour les patrons car il permettait de faire travailler très facilement les femmes
et les enfants en les payant plus faiblement ;

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e) les ouvriers et ouvrières à domicile ont gardé une mentalité artisanale inspirée du modèle
du petit indépendant. Cela peut surprendre car ils étaient en fait des salariés qui ne
gagnaient pas facilement leur vie. En fait, ces ouvriers travaillaient souvent pour plusieurs
patrons à la fois et ne dépendaient pas d’uns seul donneur de commandes. Ils avaient aussi
une petite clientèle privée en plus ( des particuliers dans le voisinage pour réparer ou
confectionner des vêtements ). Comme ils travaillaient à domicile, en dehors d’une
surveillance patronale directe, ils étaient maîtres de leur temps de travail ( ce qui était
considéré comme un privilège comparé à la situation de l’ouvrier travaillant à l’usine ).

Sur le plan syndical, cette évolution du métier a eu un impact considérable. En effet, les
travailleurs avaient auparavant beaucoup de difficultés à s’organiser afin de défendre leurs
intérêts. Le grand nombre de femmes et d’enfants qui travaillaient à domicile a aussi été
favorable à la mise en place de syndicats dans ces métiers. Le syndicalisme chez les tailleurs
était limité à cette minorité d’ouvriers tailleurs qui continuaient malgré tout à travailler chez les
patrons ( coupeurs, pompiers, ouvriers qui travaillaient encore chez des artisans tailleurs plus
traditionnels ). Cette petite élite hautement qualifiée gardait encore l’espoir de se mettre un
jour à son compte.

L’évolution de ce métier pendant la révolution industrielle a été touchée non pas par la
mécanisation et les grandes entreprises mais par la commercialisation. Les marchands tailleurs,
les confectionneurs et les grands magasins sont devenus les figures clefs du métier car ils
dominaient l’essentiel du marché. Leur stratégie commerciale a eu des impacts sur l’organisation
du travail.

Aujourd’hui encore, le secteur de la confection des vêtements a gardé certains traits du 19 es. Le
travail à domicile est encore largement répandu mais la confection de vêtements de bas de
gamme et de moyenne gamme ne se fait plus chez nous. Ces activités ont été largement
délocalisées ( années 60 et 70 ) d’abord vers les pays d’Europe du Sud ( Portugal, Grèce ) et
ensuite vers les pays du Tiers Monde
( Afrique du Nord, Asie ).

L’artisan tailleur travaillant à la main pour un client particulier qui lui passe commande pour un
vêtement sur mesure n’a pas totalement disparu non plus. Ils sont peu nombreux et en plus ils
sont extrêmement chers ! Ils sont devenus les représentants d’une production de grand luxe qui
n’est pas abordable. En général, on n’achète pas ses vêtements chez des marchands tailleurs
comme ça mais dans des boutiques de mode.

Les couturiers ( la haute couture ) est aussi un phénomène marquant mais concerne plus les
vêtements de haute gamme. Cependant, ce secteur du marché ne domine pas le secteur du
vêtement.

Il existe encore les retoucheurs et les retoucheuses de nos jours qui sont souvent d’origine
étrangère ( portugaise, turque, espagnole ) qui adaptent les vêtements et en confectionnent
encore parfois sur mesure.

Le travail à domicile a connu aussi une expansion dans d’autres domaines que celui de la
confection. Au 19es, la fabrication de meubles a été organisée en grande partie par le travail à
domicile. Une ville belge qui était réputée dans la construction de meubles et qui en conserve
encore la fierté est Malines. Le travail à domicile a ensuite diminué suite à l’apparition des grands
ateliers et des usines.

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Aujourd’hui, il y a un certain retour au travail à domicile notamment sous la forme du télétravail (
ou home working ). Au lieu de se rendre dans un atelier ou dans un bureau, il y a de plus en plus de
gens qui travaillent chez eux, reliés à leur employé par l’ordinateur.

Par ailleurs, l’évolution du métier de tailleur n’est pas représentative pour l’ensemble des métiers
artisanaux. L’industrialisation a eu une influence assez différente d’un métier à l’autre. Certains
métiers ont été carrément supplantés par le travail mécanisé. Le métier de tisserand a souvent
été utilisé comme exemple afin d’illustrer la « disparition » de l’artisanat, écrasé par la
mécanisation.

24. Les artisans et l’artisanat ( 2e partie )

D’autres métiers n’ont pas été très touchés par la mécanisation dans leur mode de travail mais
ont quand même diminué en importance. Le nombre de personnes qui l’exerce encore est minime
( comme le maréchal-ferrant ). Ce métier était exercé par un grand nombre de personnes ( avant
1800 ). Et c’est le chemin de fer, ensuite la voiture qui ont provoqué un déclin dans la profession.
Il existe encore aujourd’hui quelques maréchaux-ferrants car on utilise encore les chevaux pour
l’équitation.

Certains métiers, par contre, ont été eux aussi touchés par l’industrialisation sans pour autant
diminuer, comme le boulanger par exemple. Bon nombre de boulangers fabriquent leur pain dans
leur atelier et le vendent dans leur boulangerie. Mais leur manière de travailler a quand même été
touchée par la mécanisation : le boulanger dispose toute une série de machines qui font le travail
autrefois effectué par le boulanger à la main.

D’autres métiers sont, eux, nés avec l’industrialisation : le mécanicien ( entretien et réparation
des voitures ) et l’électricien. Le métier d’électricien est né vers la fin du 19 es lorsqu’on a compris
ce qu’était l’électricité et lorsqu’on a commencé à l’exploiter industriellement. On avait donc
besoin de personnes capables d’exercer ce travail.

Tout cela fait que lorsqu’on parle de l’artisanat, on a un éventail de métiers et de situations
professionnelles. La notion d’artisan est devenue aujourd’hui imprécise. Le terme « artisan » n’est
pas défini légalement. N’importe qui peut devenir artisan ! Cela explique assez bien
l’hétérogénéité au sein de l’artisanat.

Une des fonctions traditionnelles à la base de quasi tous les métiers a diminué en importance : la
fonction de la production. A l’exception de quelques petites métiers, un artisan était avant un
petit producteur. Même le boulanger, aujourd’hui, qui pourrait paraître comme un petit
producteur, a exposé ses produits en vitrine. Donc, il y a là des situations mixtes entre la
fonction productive et commerciale.

En revanche, les fonctions de service ( tout ce qui relève de l’entretien, de la réparation et de la


vente ) ont pris beaucoup d’importance au détriment de la production. Par exemple, le plombier
n’est plus qqn qui fabrique mais est un installateur. Il n’a pas de fonction de production. Les
économistes, pour décrire le phénomène de la diminution de la production et de l’augmentation
des services, utilisent le terme de tertiairisation de l’artisanat ( attributs du secteur tertiaire
qui caractérisent aujourd’hui beaucoup l’artisanat ).

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La notion d’artisan est aussi devenue moins évidente car le terme artisan ne désigne plus
forcément qqn qui travaille dans un petit atelier ( avec un ou deux ouvriers, sa famille ). En effet,
l’artisanat d’aujourd’hui peut aussi être une PME au sein de laquelle on pratique encore un mode
de travail tout à fait traditionnel. On trouve aussi des entreprises en partie artisanales et en
partie industrielles, dans le secteur de la construction par exemple.

En fait, dans la construction, un certain nombre de grandes entreprises emploient beaucoup de


personnes et font tout : du terrassage à la finition du bâtiment. Ces grandes entreprises
travaillent souvent en un système de sous-traitance avec des petites entreprises. Le secteur de
la construction se compose ainsi de quelques grandes entreprises et d’une myriade de petites
entreprises ( petits indépendants ou semi-indépendants ). C’est donc une situation mixte qui
possède des frontières floues entre les grandes et les petites entreprises artisanales.

Il existe aussi des métiers qui se sont installés dans « les niches écologiques » vis-à-vis de
l’artisan. Chez les cordonniers, par exemple, on trouve les quelques chausseurs qui travaillent
encore de manière traditionnelle ( mais c’est trop cher pour le commun des mortels ! ) et les
cordonniers orthopédiques. Ce métier est assez récent et consiste en la fabrication de
chaussures orthopédiques. Voilà donc une petite « niche écologique » qui a permis aux
cordonniers traditionnels de se reconvertir ( la majorité des cordonniers traditionnels ont été
supplantés par la production industrielle de chaussures ).

Autre qualité de l’artisanat d’aujourd’hui : on trouve des entreprises dans les secteurs de pointe (
informatique par exemple ) qui fonctionnent carrément comme des petites entreprises
artisanales. Les géants informatiques comme Microsoft par exemple font aussi travailler des
petits indépendants par système de sous-traitance. Autre exemple : le graphiste d’aujourd’hui
travaille avec un ordinateur et plus avec une plume et du papier ! Le graphiste est au fond un
artisan moderne.

Dans cette gamme hétérogène d’artisans modernes, on trouve aussi un certain nombre d’ouvriers
à qualification artisanale qui travaillent pour le compte de grandes entreprises. Les ouvriers
d’entretien, par exemple, sont salariés mais ont reçu une formation artisanale ( de plombier, de
maçon,… ).

Quand on pense aujourd’hui au mot artisan, on aurait tord de penser uniquement au boulanger, à
l’orfèvre ou au joaillier, ces métiers faisant typiquement partie de l’artisanat. L’artisan
contemporain est devenu qqn pouvant avoir des visages différents.

25. Comment l’industrialisation a-t-elle été vécue par les artisans ?

Le premier élément caractérisant la relation entre artisanat et industrie est l’expérience de la


concurrence et de la menace. Dans les métiers où sont apparues des usines fabriquant leur mode
de produits, par exemple dans le textile, la machine a été mal perçue car elle était une menace
directe pour la survie économique de ces personnes.

En Belgique, lorsque le tissage a été mécanisé, des centaines de milliers de fileurs, fileuses et
tisserands ont perdu au fur et à mesure leur travail et se sont retrouvés ou au chômage ou
obligés de travailler comme ouvrier d’usine. Cela a été un véritable drame social pour beaucoup de
personnes.

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Or, tous les métiers n’ont pas été directement en concurrence avec l’industrie. Comment, dans
ces métiers, la machine et la mécanisation du travail ont-ils été perçus ? De prime abord, cela a
été perçu négativement car pour les travailleurs il y avait un certain risque de perdre leur emploi
si des machines étaient introduites dans leur travail.

Par exemple, les imprimeurs et les typographes étaient de véritables artisans qualifiés avant
l’introduction de machines. Ils ont très tôt disposé d’un syndicat et d’une très grande identité
professionnelle. Avant l’invention des machines, les ouvriers de l’imprimerie ne pouvaient pas
imaginer une seule seconde que des machines auraient pu un jour exécuter leurs tâches !

Lorsque les premières machines sont arrivées dans la profession, une grande partie des postes
ont été supprimés ( les machines étaient plus productives ) et de nombreux ouvriers imprimeurs
ont déchanté. Mais dans les métiers comme celui-là, on a réussi à intégrer la machine et on s’est
adapté. L’imprimerie est devenue avec l’introduction des machines un métier situé à la frontière
entre l’artisanat et l’industrie.

Finalement, même le typographe travaillant sur une machine à composer et l’imprimeur sur une
machine à imprimer restaient des personnes qualifiées. La qualification n’a pas été atteinte mais
c’est la nature de la qualification qui a changé. L’ancien savoir-faire manuel a été transformé en
un savoir-faire d’utilisation de machines très compliquées.

Néanmoins, les machines n’ont pas été partout facilement intégrées. Par exemple, pour la
fabrication de meubles, de véritables usines de meubles sont apparues et se sont retrouvées en
concurrence avec les petits ateliers artisanaux. Les menuisiers étaient dans un premier temps
effrayés par ces usines et ne savaient pas comment faire face à cette concurrence.

Mais ils y sont parvenus grâce à une invention qui leur a permis d’intégrer les machines dans leur
travail ( moteur électrique ). L’application de l’électricité à la mécanisation a permis à beaucoup
d’artisans d’utiliser des machines dans leur petit atelier. Pourquoi le moteur électrique et pas la
machine à vapeur ? C’est une question de dimension, de coût et d’amortissement de l’argent
investi.

En effet, la machine à vapeur était tellement imposante qu’elle ne rentrait pas dans l’atelier d’un
petit artisan ébéniste. Même si l’artisan avait eu de la place dans son atelier, cette machine lui
aurait coûté trop cher. Et même si l’artisan avait eu la place et l’argent nécessaires, son travail
n’était pas assez régulier pour justifier l’investissement de l’achat d’une machine à vapeur ( car
pour amortir l’achat de cette machine, il fallait l’utiliser constamment ).

En revanche, le moteur électrique avait tous les avantages qui pouvaient intéresser les artisans.
D’abord, on a très tôt construit des moteurs à dimension fort réduite. Le problème de l’espace
nécessaire à l’installation d’un moteur électrique était tout à fait différent.

Puis, le coût d’un moteur électrique était largement inférieur à l’achat d’une machine à vapeur et
c’était beaucoup plus abordable pour un plus grand nombre d’artisans.

Enfin, l’amortissement du moteur électrique se posait différemment car il suffisait de pousser


sur un interrupteur pour le mettre en marche ou l’arrêter. Cela ne fonctionnait pas de la même
manière pour une machine à vapeur ( chauffage eau, vapeur, turbines,… ). On pouvait donc utiliser
un moteur électrique sans difficulté et n’importe quand. En plus, il ne nécessitait pas de travail
constant ou de série comme pour la machine à vapeur.

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C’est en fait l’évolution technologique directement liée à l’industrialisation qui a permis à une
bonne partie de l’artisanat de s’adapter, de survivre, de faire face à la concurrence de la
production en grande série. Les artisans ont ainsi mis l’accent sur le caractère plus individuel et
personnel des produits et ont joué sur la qualité de la production. Jusqu’à aujourd’hui, les artisans
ont utilisé l’argument de vente selon lequel leurs produits sont d’une qualité supérieure que les
produits industriels.

De plus, la question de la concurrence industrielle ne s’est pas posée pour tout le monde. Tous les
métiers qui fabriquent des produits de grand luxe ont une existence assurée alors qu’il existe
généralement leur « équivalent » industriel. En fait, ils constituent un marché prisé. Il y a aussi
une distinction sociale entre l’artisanat de luxe et les produits industriels ( horlogerie par
exemple ) et la plupart du temps, ces artisans ne se sentent nullement menacés par
l’industrialisation.

Dans les métiers nés avec l’industrialisation, le rapport de ces artisans modernes a été d’emblée
évidemment positif par rapport à la mécanisation. Les artisans de l’industrie devaient leur
existence à ce phénomène.

En général, l’attitude des artisans face à l’industrialisation a été plutôt négative ou plutôt
positive. Si on pense à l’artisan traditionnel ( avant 1800 ), on constate que son attitude face à
l’innovation technologique a été très ambiguë car il était curieux ( il expérimentait pour trouver
le tour de main qui donnait du cachet à l’œuvre mais aussi le tour de main qui rendait la
fabrication plus efficace ). A priori, l’artisan traditionnel était intéressé par l’innovation mais il la
craignait.

L’artisan traditionnel avait donc tendance à vouloir contrôler l’innovation technique et à


combattre les innovations qui pourraient le menacer. On a vu des cas de corporations qui ont
carrément interdit l’introduction de tels nouveaux métiers à tisser manuels car ils perturbaient
selon eux leur équilibre économique.

Quand, en Angleterre, les premières machines à tisser ont été introduites, il y a eu une réaction
violente de la part des ouvriers tisserands qui ont carrément attaqué des usines textiles
( mouvement entré dans l’histoire sous le nom de …….. ). Ces gens craignaient que l’innovation
technologique les priverait de leur emploi et de leur savoir-faire.

Si on compare l’évolution technologique chez les artisans et l’évolution technique chez les
agriculteurs, l’évolution est plus rapide chez les artisans que chez les paysans. Le milieu artisan
était donc plus ouvert aux nouveautés.

Il y avait aussi un certain nombre d’artisans au 19es qui se trouvaient parmi les pionniers de
l’industrialisation. Les artisans et les industriels ne faisaient donc pas bande à part : un certain
nombre d’inventeurs et d’entrepreneurs était issu de l’artisanat traditionnel, notamment dans le
domaine de la construction mécanique
( conception et construction des machines ). La plupart des grandes entreprises de l’époque
étaient issues de petits ateliers de forgerons, de charpentiers, fondeurs,…
Dans les usines de construction mécanique, on trouvait beaucoup d’ouvriers à qualification
artisanale.

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L’ambiguïté de l’attitude des artisans face à l’innovation et le choix fait au 19 e-20es revoient à la
mentalité de subsistance primaire des artisans et aussi à la mentalité de savoir-faire durement
acquis en tant qu’apprenti. C’est l’importance du travail humain dans l’artisanat qui explique la
réticence face à l’innovation. Toute l’identité professionnelle des artisans évolue lentement vers
une certaine ouverture face à l’innovation mais plus où la concurrence de la machine ne fait pas
mal ou là où elle peut être intégrée dans le travail de l’artisan.

La relation entre l’artisanat et l’industrie a joué un rôle très important sur le plan politique et
idéologique. En effet, au 19es, les observateurs pensaient que l’artisanat allait être détruit par la
concurrence industrielle. Il y avait donc des penseurs socialistes ou communistes qui prédisaient
que tous les artisans allaient devenir ouvriers d’usine. De plus, la couche sociale artisanale était
condamnée à disparaître et dorénavant la société industrielle serait surtout composée d’un côté,
d’une infime minorité d’industriels détenteurs du capital et vivant dans l’aisance et de l’autre
côté, une immense majorité des travailleurs salariés employés par ces industriels.

Cette vision très dichotomique et schématique est la base du concept de la lutte des classes
supposant que les intérêts économiques des uns et des autres seraient totalement opposés. Selon
cette optique, les industriels ne pouvaient dans une économie basée sur la concurrence qu’exercer
une pression sur les salaires et appauvrir les ouvriers.

La seule façon raisonnable pour les ouvriers de parvenir à une situation plus humaine était de
faire la révolution, de déposséder la bourgeoisie industrielle et d’ériger un système d’économie
du partage et d’organisation collective du travail. Le sort de l’artisanat a donc nourri une
réflexion sur l’évolution de la société et la démarche politique engagée pour résoudre les grands
problèmes sociaux et faire en sorte que l’exploitation des ouvriers soit supprimée.

Il n’y a pas eu que des penseurs socialistes qui étaient convaincus que l’artisanat allait
disparaître : des économistes libéraux voyaient que l’artisanat était fortement menacé et
cherchaient des solutions pour préserver l’artisanat qui pourrait servir de classe tampon entre la
bourgeoisie et les ouvriers. Le terme de classe moyenne renvoie à cette idée de classe tampon.

La politique économique menée à partir de cette prise de conscience a consisté en la préservation


de l’artisanat et des petits commerces ainsi qu’en l’accession d’ouvriers au statut de petit
indépendant ( pour ne pas enfermer les ouvriers dans une classe sociale d’où ils ne pourraient pas
sortir ).

Si aujourd’hui ce débat semble révolu, il était encore extrêmement présent pendant l’entre-
deux-guerres : c’était l’un des chevaux de bataille des partis de droite et d’extrême droite en
Europe. Tous les partis avaient d’ailleurs inscrit dans leur programme la défense de l’artisanat
face à la concurrence industrielle. Cette thématique est donc restée très importante et elle a
laissé des traces profondes dans la pensée politique et dans la politique économique et sociale.
Encore aujourd’hui, on trouve en Belgique au sein du gouvernement fédéral un ministère de la
classe moyenne ! Cela est un reflet de cet ancien débat.

26. Les ouvriers

On trouvait des ouvriers dans le monde agricole et dans l’artisanat : cela est une particularité du
monde ouvrier. Il y a donc ici une perspective différente mais fort importante.

Essayons de définir ce qu’est un ouvrier !

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Premier élément de définition :

Lui aussi est un travailleur manuel. Cependant, il y a immédiatement une distinction à faire entre
les ouvriers qualifiés ( petit nombre ) et non qualifiés ( grand nombre ). Ce dernier groupe
représentait donc la majorité des ouvriers ( manœuvres, journaliers, gens de bras qui disposaient
uniquement de leur force musculaire ). Les ouvriers faisaient et font encore partie de la classe
inférieure de la société mais c’était beaucoup plus prononcé de par le passé qu’aujourd’hui. En
tant que partie inférieure de la société et en tant que travailleurs manuels, ils subissaient les
préjugés et les attitudes négatives des classes dominantes ( cf. distinction travail manuel et
intellectuel ). Cette idée que le travailleur manuel ne participait pas à la connaissance et à la
culture a été si bien ancrée que l’accès des ouvriers non qualifiés au savoir a mis beaucoup de
temps avant d’être généralisé et accepté.

Deuxième élément de définition :

L’ouvrier classique n’était pas propriétaire car :


- il ne possédait pas de terres ( >< paysans ). On pouvait parfois rencontrer des ouvriers paysans (
petits paysans possédant un petit champ ou jardin ) ;
- il ne possédait pas d’entreprise ou d’atelier. Il n’avait pas un lieu de travail qui lui appartenait.
Mais il travaillait pour un patron, un gros paysan, un industriel,…
- il ne possédait pas non plus l’équipement de travail si ce n’est uniquement qq outils propres à son
métier. Dans les métiers plus qualifiés, il était courant que les ouvriers achetaient et donc
possédaient leurs outils ;
- il ne possédait pas de capital financier ( >< capitaliste ). L’ouvrier qualifié parvenait parfois à se
constituer une épargne personnelle mais même dans ce cas-là, il restait toujours en prise avec les
difficultés de subsistance. Il ne suffisait que d’une longue maladie, d’une perte de travail pour
qu’il doive puiser dans son petit capital ;
- il ne possédait pas non plus le capital culturel. Cela signifie que les ouvriers du passé ne
participaient pas ou peu à la connaissance et au savoir des intellectuels. L’alphabétisation en
milieu ouvrier était faible et la lecture était peu répandue. La bonne culture lui était donc
inconnue ( image que l’on garde encore des ouvriers ! ). Les ouvriers disposaient d’une culture dite
oculaire qui se constituait des croyances, des superstitions, des connaissances empiriques, des
proverbes, des dictons,… En un mot, la sagesse populaire.

La seule chose que l’ouvrier possédait réellement était sa force de travail, c’est-à-dire au
minimum sa force musculaire et au mieux à la fois sa force musculaire et son savoir-faire ( si
formation professionnelle ). L’ouvrier possédait aussi la force de travail des membres de sa
famille. L’étymologie du mot prolétaire vient d’un mot latin proletarius dont la racine est proles
( « lignée » dans le sens de lignée familiale ). Dans l’Antiquité romaine, le citoyen de dernière
classe qui ne payait pas d’impôts était le prolétaire. Il était utile à l’Etat de par sa force de
travail et celle de sa famille.

C’est cet élément-là qui explique pourquoi la grève était pour les ouvriers une chose importante
car elle leur permettait de défendre leurs intérêts et d’exercer un moyen de pression sur le
patronat en privant le patron de leur force de travail.

La signification actuelle du mot grève est connue de tous : on désigne par grève l’arrêt volontaire
du travail afin de protester.

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Néanmoins, l’étymologie du mot nous est sans doute moins familière. En français, la grève est un
nom commun qui désigne un terrain plat formé de sable en bordure de la mer ou d’un cours d’eau.
Aucun lien logique ne semble exister entre les deux significations !

En fait, le mot grève trouve son explication historique dans le nom de la place située en face de
l’Hôtel de Ville de Paris ( en bordure de Seine ) : la Place de la Grève. C’est là qu’avaient lieu les
exécutions et mises à mort sous l’Ancien Régime et c’était aussi le lieu de la ville où se
réunissaient les ouvriers sans ouvrage attendant l’embauche.

Le marché du travail à l’époque moderne n’était pas institutionnalisé comme aujourd’hui. Les
ouvriers sans travail se réunissaient sur la place de la Grève et les patrons qui avaient besoin de
main d’œuvre passaient par cette place et les embauchaient.

Au début 19es est née l’expression faire la grève/se mettre en grève. Cela pouvait signifier
attendre l’embauche ( place de la Grève ) mais aussi cesser volontairement et collectivement le
travail.

La cessation du travail était utilisée par les ouvriers afin de défendre leurs intérêts et leurs
revendications. C’était en quelque sorte le seul moyen de pression dont disposaient les ouvriers
étant donné qu’ils n’étaient propriétaires de presque rien excepté leur force de travail ( force
physique et musculaire pour les ouvriers non qualifiés ou le savoir-faire pour les ouvriers qualifiés
).

Pendant longtemps, cesser le travail a été interdit. La notion de droit de grève est un droit
relativement récent. Pour les ouvriers au Moyen Age et aux Temps Modernes, faire la grève
revenait à prendre de grands risques ( chasser de la ville où ils ont fait la grève ! ).

Au 19es, lorsque le nombre d’ouvriers ne cesse de croître, il y a tout un arsenal juridique qui
interdit de faire la grève. Les meneurs de grève sont donc menacés de poursuites judiciaires et
de peine de prison dans l’intérêt du patronat qui n’a pas envie d’être confronté aux revendications
ouvrières.

Ce n’est que depuis le dernier quart du 19es que des dispositions ont été prises afin de lever et
d’alléger cet arsenal juridique qui interdisait la grève. Le droit de grève a été reconnu un peu
partout dans les pays industrialisés.

A la fin du 19es, début du 20es, former un syndicat est devenu légal. Auparavant, le fait de se
grouper en association afin de défendre des droits communs était interdit.

Les premiers syndicats en Belgique ne pouvaient pas mettre dans leur règlement l’objectif de
faire la grève ( puisque la grève était encore illégale ) afin d’imposer leurs revendications.

Le droit de grève est donc un droit récent qui a survécu aux « attaques » du patronat qui a de
nombreuses fois essayé d’interdire légalement certains grèves qui étaient, selon lui, non
favorables aux intérêts économiques.

Etant donné la reconnaissance légale des syndicats au 20 es, on rencontre aujourd’hui dans tous
les pays industrialisés, des systèmes de concertation sociale auxquels participent les organismes
représentatifs patronaux et ouvriers. Le capital et le travail sont donc représentés dans les
organismes de concertation qui ont pour but d’éviter au maximum des mouvements de grève.

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Cependant, ces organismes de concertation ont un intérêt certain mais pas absolu des
mouvements de grève rencontrés fréquemment.

La situation des ouvriers dans le passé était marquée par la privation, la précarité et l’insécurité
tous les jours.

Comment l’élite sociale et les gouvernements des pays industrialisés ont-ils fait face aux
revendications émanant des ouvriers et des mouvements ouvriers ? Il y a eu deux démarches qui
ont été entreprises :

- rendre les ouvriers eux aussi propriétaires. Les élites sociales se sont dites que si on faisait de
l’ouvrier également un petit propriétaire, alors l’ouvrier comprendrait mieux les intérêts
défendus par l’élite sociale. L’ouvrier cesserait de vouloir suivre de prophètes de la révolution
sociale ( socialistes et communistes ) et voudrait s’intégrer dans la société bourgeoise et
industrielle. Afin de rendre propriétaires les ouvriers, les élites sociales ont favorisé l’épargne
ouvrière / populaire. Une des banques belges qui s’appelait la CGER ( Caisse Générale d’Epargne et
de Retraite ) avait pour objectif au 19es de favoriser l’épargne en milieu ouvrier et la constitution
de capitaux pour la pension. La démarche était de type libéral ( pas de contrainte ). Celui qui ne
pouvait pas épargner ne s’assurait pas pour ses vieux jours.

- subventionner l’achat d’habitations ouvrières, de petites maisons ouvrières. On en rencontre


encore beaucoup aujourd’hui dans les grands centres industriels. On a constitué des sociétés de
construction de maisons ouvrières et l’Etat a élaboré un système de crédits relativement bons
marchés dans le but de favoriser l’acquisition de maisons ouvrières par les ouvriers.

Il est certain que c’est plutôt la couche supérieure de la classe ouvrière qui a saisi ces nouvelles
possibilités d’épargne, de retraite et d’achat de maisons. Ces initiatives n’ont pas touché la
majorité de la classe ouvrière.

Cependant, les ouvriers gagnant les meilleurs salaires ( les plus qualifiés, chefs d’atelier,
contremaîtres,… ) étaient les plus concernés par ces initiatives. Cela a récolté un succès certain
et cela a permis d’intégrer une certaine partie de la classe ouvrière dans la société bourgeoise.

Mais les élites sociales et les gouvernements se sont bien vite rendus compte que cela ne
suffisait pas ! Cela ne suffisait pas pour éteindre le mouvement socialiste naissant ( en Belgique,
le Parti Ouvrier Belge est constitué en 1885 ). Même si le POB n’a pas été l’un des partis ouvriers
les plus radicaux qu’on ait rencontré en Europe, il n’empêche que les élites sociales n’étaient pas à
l’aise face à son mouvement qui prenait pas mal d’ampleur.

Au fil du temps, il devenait clair que favoriser l’épargne, les pensions et l’achat de maisons
ouvrières n’était pas suffisant. Il a fallu trouver d’autres moyens pour satisfaire les besoins et
les revendications des ouvriers.

Deux initiatives peuvent être distinguées :

- la fondation d’un mouvement ouvrier concurrent au mouvement ouvrier socialiste. Ce mouvement


était en Belgique le mouvement ouvrier chrétien. Contrairement à ce qu’il s’est passé avec la
mouvance socialiste qui est vraiment née en milieu ouvrier, la mouvance chrétienne, elle, est née à
l’initiative du clergé et d’une partie du patronat qui voulaient contrer le mouvement ouvrier

48
socialiste sur son propre terrain, notamment grâce à la création de syndicats ouvriers chrétiens.
Le but du mouvement ouvrier chrétien n’était pas du tout de faire la révolution mais de trouver
un consensus avec le patronat. En Belgique, cela a fort bien marché au point que le mouvement
ouvrier chrétien est majoritaire par rapport au mouvement ouvrier socialiste. Il y a plus de
syndiqués chrétiens que socialistes. Aujourd’hui, le mouvement ouvrier chrétien a aussi pris ses
distances par rapport à l’Eglise et au patronat. Il est devenu plus revendicateur qu’à ses débuts
car il était tributaire des personnalités à la base de sa fondation ! En Flandre, le syndicat
chrétien est majoritaire tandis qu’en Wallonie, c’est le syndicat socialiste.

- l’instauration d’assurances sociales subsidiées par l’Etat. Ce sont toutes les


assurances classiques que nous connaissons aujourd’hui : l’assurance chômage,
maladie, invalidité et vieillesse. Ces types d’assurances ont été installées « en
germe » pendant l’entre-deux-guerres en Belgique et ont été définitivement
mises en place à la fin de la deuxième guerre mondiale. L’état providence est donc
né il y a une bonne soixantaine d’années. L’objectif était là encore de contrer
toute velléité révolutionnaire. Le 20es a été fortement marqué par l’émergence de
partis communistes ( révolutions dans de nombreux pays : 1917 pour l’URSS, 1949
en Chine et extension du régime socialiste sur divers pays de l’Europe de l’est )
qui étaient plus radicaux que les partis socialistes ( aile gauche de la gauche ) et
les gouvernements craignaient donc la menace rouge. Il y avait là un contexte
politique et idéologique qui explique pourquoi en Europe Occidentale et à moindre
mesure aux Etats-Unis l’état providence a été installé. L’instauration de ces
assurances permettait aussi d’intégrer la classe ouvrière dans la société
capitaliste et bourgeoise. Cette entreprise a récolté un grand succès : il n’y a
pratiquement plus de partis ouvriers radicaux dans les pays occidentaux ( ils n’ont
aucun poids sur l’échiquier politique ). Un des derniers partis communistes
d’Europe qui récolte encore assez bien de voix est le Parti Communiste Français
( PCF ) n’est plus un parti révolutionnaire : il est devenu gestionnaire sur le plan
local où il gère encore certaines municipalités.

Ces tentatives ont donc récolté relativement de succès et ont aussi permis de pacifier la société.
Comment l’état va-t-il se sortir de la situation actuelle en ce qui concerne l’état providence et le
secteur public ? L’avenir nous le dira !

La situation de vie des ouvriers de la Préhistoire jusqu’à nos jours tourne autour de l’insécurité
et leur précarité matérielle. Pour se faire une petite idée de la situation des ouvriers, il faut
imaginer la situation des artisans qui était déjà précaire. La situation matérielle des ouvriers
était en quelque sorte doublement plus précaire chez les ouvriers.

Du fait que les ouvriers n’étaient pas propriétaires et qu’ils disposaient d’une situation matérielle
précaire, l’esprit capitaliste n’est donc pas né dans le milieu ouvrier mais dans le milieu bourgeois.
Les milieux ouvriers étaient méfiants vis-à-vis du capitalisme financier et industriel. Les salariés
et les capitalistes d’aujourd’hui sont encore et toujours séparés par cette « frontière ».

Cette mentalité de subsistance explique pourquoi dans le milieu ouvrier il y a toujours eu depuis
l’Antiquité un soucis constant de juste prix et de juste salaire. Qu’est-ce que le juste prix ? C’est
l’idée de maintenir les prix pour les marchandises de consommation courante à un niveau
abordable pour les ouvriers. Le juste salaire, c’est le salaire qui permet aux ouvriers d’accéder
aux produits de première nécessité grâce à leur rémunération.

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Dans la Bible, il y a des passages qui traitent du juste prix et du juste salaire. A priori, l’Eglise
prenait la défense des plus démunis ( dont les ouvriers ). L’histoire sociale du monde ouvrier est
aussi l’histoire de la lutte pour le maintien de leur pouvoir d’achat et pour le contrôle des prix à
un niveau qui mettait les produits de première nécessité à leur portée.

Ce souci du maintien du pouvoir d’achat en milieu populaire se retrouve encore chez nous dans le
contrôle du prix du pain et de la bière. Certains pains et bières de base sont encore contrôlés par
le ministre de l’économie ! Car ces aliments étaient très importants dans le régime alimentaire
des ouvriers ( aliments de base ).

Autre manière de garantir le pouvoir d’achat en milieu populaire : système d’indexation des
salaires qui existe encore en Belgique ( l’un des derniers pays au monde ! ). En dehors des
majorations salariales obtenues entre les syndicats et le patronat, les salaires évoluent en
fonction de l’évolution du coût de la vie.

Ces mesures rappellent encore la précarité et l’insécurité qui régnaient en milieu ouvrier !

Pour bien comprendre la réalité sociale, il est important d’insister sur les différents types
d’ouvriers qu’on a pu observer dans le passé. En effet, le monde ouvrier était un monde fort
hétérogène et un ouvrier n’égalait pas un autre. Il est de ce fait très difficile de se représenter
un seul type pour l’ensemble des ouvriers.

Tous les mouvements ouvriers ( syndicaux et politiques ) se sont heurtés à la difficulté


d’atteindre les ouvriers étant donné la diversité des situations sociales qui se cachent derrière
ce terme générique qu’est le mot ouvrier.

Critères qui ont produit des distinctions entre les différentes catégories d’ouvriers :

a) la qualification professionnelle, dans le sens où il faut distinguer les ouvriers qualifiés des
simples manœuvres ou autres ouvriers peu qualifiés et pas qualifiés. Cette distinction peut être
faite au sein même du monde ouvrier. Les qualifiés avaient, dans le passé, le souci de se
différencier des non qualifiés. Cela tenait en partie au corporatisme ( l’organisation des ouvriers
par métier ), au fait que les ouvriers qualifiés gagnaient mieux leur vie que les ouvriers non
qualifiés. De ce fait, le mode de vie que pouvait s’offrir un ouvrier qualifié était supérieur d’un
point de vue matériel que celui des ouvriers non qualifiés. Il y a là donc une grande différence
entre l’aristocratie ouvrière ( ouvriers qualifiés ) et les manœuvres et autres journaliers sans
qualification. Rappelons que les premiers syndicats ont été créés par des ouvriers qualifiés et que
le mouvement syndical ( socialiste ou chrétien ) a mis pas mal de temps pour admettre et intégrer
les ouvriers qualifiés. La société était donc divisée entre la bourgeoisie et la classe ouvrière mais
au sein même de la classe ouvrière, il y avait une distinction entre qualifiés et non qualifiés.

b) l’âge des ouvriers. Il y avait une distinction entre jeunes ouvriers, ouvriers adultes et
ouvriers âgés. Cette différence touchait plus les qualifiés que les non qualifiés
( cf. apprentis où les jeunes ouvriers étaient mis à l’écart ). Même les ouvriers âgés se trouvaient
dans une position moins bonne que les ouvriers adultes car l’état physique était un élément crucial
pour le travail d’un ouvrier. L’usure physique des ouvriers était beaucoup plus importante
qu’aujourd’hui. Même dans les métiers les plus durs physiquement ( dans le bâtiment par
exemple ) ont été considérablement allégés grâce à l’emploi de machines. Il y avait donc une
perte de la capacité de travail pour les ouvriers âgés ( 35-40 ans ) !

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c) la séparation entre les ouvriers et les ouvrières. Encore aujourd’hui, ce sujet pose problème.
Normalement, le principe du travail et du salaire égal entre hommes et femmes est légalement
acquis. Mais la réalité n’est pas vraiment à la hauteur de ce que la loi voudrait ! Dans le passé, il
n’était pas question de salaire égal pour travail égal entre ouvriers et ouvrières. La discrimination
que subissaient les femmes touchait non seulement leur salaire mais aussi la qualification qu’elles
pouvaient acquérir. Il y avait des entraves pour que les femmes ne se qualifient pas autant que
les hommes. Les ouvriers hommes n’étaient pas contraints de poser des entraves aux femmes :
cette attitude était interne au monde ouvrier. Cela a eu des conséquences jusqu’à aujourd’hui. Le
mouvement syndical a aussi mis beaucoup de temps pour inclure les femmes !
d) le lieu de travail et de vie des ouvriers. Il y avait une différence importante entre les
ouvriers agricoles ou ruraux et les ouvriers urbains mais aussi avec les ouvriers navetteurs qui
faisaient travaillaient en ville et habitaient à la campagne et qui de ce fait faisaient la navette
quotidiennement ou hebdomadairement. En effet, les ouvriers agricoles avaient majoritairement
d’autres activités et occupations que les ouvriers urbains. En général, les ouvriers ruraux étaient
plus modestes et moins revendicateurs que n’étaient les ouvriers urbains. D’où l’intérêt pour le
patronat de recruter des ouvriers dans les campagnes, de favoriser comme on l’a fait en Belgique
la construction de chemins de fer vicinaux. Le chemin de fer vicinal existe encore aujourd’hui et
on l’utilise sans penser à son objectif originel qui était de faire venir les ouvriers des campagnes
dans les grands centres industriels car il y avait une demande de main d’œuvre que les ouvriers
urbains ne pouvaient plus satisfaire. Le lieu de travail distinguait les ouvriers des ateliers ou
artisanaux, les ouvriers des usines ou manufactures et enfin les ouvriers travaillant à domicile. La
taille des entreprises était différente entre les ouvriers des ateliers qui travaillaient dans des
entreprises de petite taille, les ouvriers des manufactures qui travaillaient dans des entreprises
de taille plus importante et les ouvriers qui travaillaient à domicile et qui étaient éparpillés dans
les villes et les campagnes ( d’où difficulté de communiquer entre ouvriers à domicile ). Cette
différence entre ouvriers à domicile, d’ateliers et de manufactures recouvre en partie la
distinction entre ouvriers qualifiés et non qualifiés. En effet, dans les ateliers, il y avait
beaucoup plus d’ouvriers qualifiés alors que dans les usines, il y avait beaucoup plus d’ouvriers non
qualifiés. Parmi les ouvriers à domicile, on remarquait des niveaux de qualification très divers
mais menacés par la spécialisation croissante du travail exécuté à domicile ( cf. ouvriers de la
confection ).

e) la distinction entre les ouvriers faisant partie d’un syndicat et ceux n’en faisant pas
partie. C’est aussi une lutte qui n’a pas cessé : d’un côté, les syndiqués se demandaient comment
attirer plus de monde et de l’autre côté, les non syndiqués qui manquaient d’informations mais qui
subissaient aussi l’influence des élites sociales qui voulaient empêcher les ouvriers de se
syndiquer dans le but de promouvoir le maintien de leurs intérêts. Au moment où les premiers
syndicats sont apparus, les ouvriers syndiqués étaient une minorité infime face à un large nombre
d’ouvriers non organisés qui étaient plus faciles à exploiter. D’ailleurs, il est utile de rappeler que
les ouvriers qualifiés avaient aussi une tendance élitiste et corporatiste qui était d’attirer le plus
de monde possible tout en n’admettant pas n’importe qui. Cela explique pourquoi, au départ, les
syndicats étaient des syndicats de métier et non de branche. Il n’y avait pas en théorie un
syndicat qui englobait tous les ouvriers verriers mais un syndicat des ouvriers souffleurs ( les
plus qualifiés ).

f) la différence entre les ouvriers indigènes ou autochtones face aux ouvriers étrangers. Le
terme « étranger » avant le 19e et le 20es vu d’un ouvrier travaillant en ville est l’ouvrier venant
d’une autre ville ( et pas d’un autre pays ! ). Il y avait donc une sorte de localisme dans la
mentalité ouvrière qui voyait d’un œil assez méfiant les ouvriers venant d’ailleurs. C’est simple à
expliquer : les ouvriers « étrangers » étaient une concurrence potentielle sur le marché du

51
travail. En ce qui concerne les ouvriers étrangers ( d’un nationalité différente ), on se demandait
comment traiter ces ouvriers qui venaient en Belgique plus pour des raisons économiques que
politiques et qui représentaient une concurrence pour les ouvriers belges. Les ouvriers
autochtones ont de tout temps eu le soucis de ne pas déséquilibrer le marché du travail par une
concurrence venue d'ailleurs.

g) sur le marché du travail, on rencontre des situations sociales et professionnelles


extrêmement différentes. On trouvait l’ouvrier occupé en permanence et pour qui la subsistance
était relativement assurée. Mais face à lui, il y avait aussi des ouvriers qui oscillaient entre des
périodes de chômage et de travail
( l’assurance chômage a été instaurée au 20es ! ). Il y avait aussi des ouvriers qui étaient fort
rarement engagés pour une longue durée et qui étaient donc souvent au chômage et peu occupés.
Cette distinction se regroupe avec la qualification car moins un ouvrier était qualifié, plus il avait
des risque de se retrouver au chômage. Cela explique pourquoi il y avait tant de polyactivités dans
le passé ( bcp de métiers dans une vie ! ). Par exemple, l’ouvrier mineur belge avant 1850
descendait dans la mine en hiver et en été travaillait dans les champs. Ce n’est qu’avec
l’industrialisation et la très forte demande de charbon que le houilleur belge est devenu un
ouvrier mineur à contrat. Tout le travail saisonnier des campagnes était donc principalement
réalisé par des ouvriers de ce type. Enfin, il y avait aussi toute une masse d’ouvriers errants qui
n’avaient pas de lieu d’habitation fixe. On estime qu’au Moyen Age et encore aux Temps
Modernes, il y avait plus ou moins 1/5 de la population qui n’avait pas de lieu d’habitation durable
mais qui se déplaçait très souvent à la recherche d’un travail. Beaucoup de personnes se
trouvaient donc dans une très grande instabilité. On peut aussi distinguer :
- les ouvriers travaillant dans la production ( artisanale ou industrielle ) ;
- ceux travaillant dans les transports ( matières 1res ou marchandises ) ;
- ceux travaillant dans des entreprises de services ( ouvriers pompiers ).

h) le mode de rémunération était aussi un critère qui distinguait les ouvriers des uns des autres.
Il y avait une différence entre :

- les ouvriers rémunérés au temps non qualifiés payés à la journée ( journaliers )


qualifiés artisanaux payés à la semaine

- les ouvriers rémunérés à la tâche en fonction de la quantité d’objets produits


en fonction de la tâche accomplie
cas particulier : pour les ouvriers travaillant à
l’entreprise, être payé à l’entreprise. Cela signifiait que l’ouvrier marchandait avec un patron le
salaire pour exécuter un travail. Ensuite, l’ouvrier engageait lui-même d’autres ouvriers. Il payait
les ouvriers qu’il avait embauchés. C’était une forme de sous-traitance rencontrée aussi bien dans
le travail des champs que dans les usines ( textile, filatures mécanique, sidérurgie, … )

i) les divisions dues aux convictions religieuses, philosophiques et politiques au sein de la


classe ouvrière. Depuis la naissance de l’Eglise protestante, ce n’était pas facile lorsque ouvriers
protestants et catholiques devaient cohabiter dans un atelier ou dans une manufacture. En
général, il y avait donc une division du marché du travail en fonction de l’appartenance religieuse
des ouvriers. Cela concerne l’époque moderne ( 16e-18es ). Cependant, les convictions religieuses
ont continué à jouer un certain rôle même à l’époque contemporaine dans la formation du
mouvement ouvrier car les ouvriers qui restaient fidèles à l’Eglise catholique ont mis plus de
temps à suivre le mouvement ouvrier socialiste que les ouvriers qui avaient déjà subi la laïcisation.
Le succès du mouvement ouvrier chrétien s’explique entre autre par le maintien d’un sentiment

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religieux en milieu ouvrier créant ainsi une sensibilité certaine face à un discours bourgeois,
patronal et clérical qui expliquait aux ouvriers que faire la grève était une mauvaise chose, que
les intérêts des ouvriers et des bourgeois n’étaient pas en opposition et que finalement les
patrons n’avaient que les meilleures attentions ,… Cette sensibilité religieuse d’une partie de la
classe ouvrière a eu des conséquences directes sur la formation du mouvement ouvrier. Les
convictions politiques au 19e et 20es n’ont pas permis d’unifier la classe ouvrière : cela a plutôt
amené un éclatement et un morcellement dans l’organisation des ouvriers. Hormis les pays comme
l’URSS, la Chine, etc. où régnait le parti et le syndicat uniques, il y avait partout ailleurs des
partis ouvriers et des syndicats ouvriers adhérents à différentes doctrines politiques et parfois
en conflit avec les uns et les autres ( parti socialiste >< communiste ). Cela reflète la division
importante du monde ouvrier.

Il n’y a donc jamais eu une seule classe ouvrière avec les mêmes intérêts ainsi qu’une seule
conscience uniforme d’appartenir à la classe ouvrière. Le monde ouvrier peut être comparé à un
continent morcelé et divisé. Et ce morcellement explique aussi la diversité, l’organisation, la
difficulté de faire face aux pressions exercées par les élites sociales au sein du monde ouvrier.

27. Les travailleurs du secteur tertiaire

Qu’est-ce que le secteur du tertiaire ? Comment le définit-on ?

Dans les pays dit développés, c’est le secteur tertiaire qui fournit le plus d’emplois. C’est
l’importance du tertiaire qui fait dire à certains économistes que notre économie est
postindustrielle et n’est plus industrielle ( car l’industrie n’est plus le secteur qui apporte le plus
de profits ). D’autres disent que nous sommes entrés dans une économie de la connaissance où
nous ne sommes plus face à un travail manuel mais face à un travail de type intellectuel où des
connaissances de type scientifique et théorique jouent un rôle croissant. Certains imaginent enfin
que la société postindustrielle est très différente de la société industrielle.

Définition des différents secteurs de l ‘économie :

Le secteur primaire est le domaine d’activité où l’on produit des matières non transformées.
Quelles sont ces activités ?
- l’agriculture ;
- la pèche ;
- l’industrie minière ( extraction de charbon et de minerais ) ;
- l’industrie forestière.
Le secteur primaire est donc caractérisé par la production de marchandises, matières qui n’ont
pas subi une véritable transformation. Ce sont des matières premières en ce qui concerne
l’industrie minière et forestière, des aliments de base pour l’agriculture et la pêche.

Le secteur secondaire est le domaine d’activité où l’on produit des matières transformées. Ce
sont donc les industries manufacturières qui produisent des biens de production ( secteur de
construction mécanique, machines informatiques, hardware,… ) ou de consommation
( marchandises achetées pour notre consommation quotidienne ).
Le secteur secondaire incluse aussi bien l’industrie que l’artisanat dans la mesure où l’artisanat a
une fonction de production.

Le secteur tertiaire est le domaine d’activité où l’on réalise, on preste des services. Ces
prestations de services peuvent avoir lieu dans le cadre d’entreprises privées

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( commerce par exemple ) mais aussi dans le cadre d’entreprises publiques
( infrastructure scolaire et administrative du pays ). La différence majeure entre le service
public et privé est que le service public ne recherche pas les profits.

Pour certains auteurs, il existerait aussi un secteur quaternaire. Selon ces auteurs, il ne faudrait
pas mélanger les entreprises privées et publiques de prestations de services, les entreprises
publiques étant très différentes ( travail pour bien commun ). Donc, certains pensent que les
services rendus par les entreprises publiques relèveraient d ‘un secteur quaternaire. Ils ajoutent
aussi dans ce secteur un autre secteur de services qui n’est porté ni par les entreprises privées
ni par les entreprises publiques mais par des associations privées sans but lucratif ( exemples :
ASBL qui se situe entre les deux ! ).

Critiques à l’égard de ce schéma très simple :

Ce schéma a l’air très clair et c’est cela l’avantage. Cependant, il ne reflète pas fidèlement la
réalité économique.

Par exemple, dans une seule et même entreprise, on rencontre souvent des travailleurs qui
relèvent de différents secteurs du secondaire et du tertiaire. En effet, il y a une partie
production dans une usine mais aussi une partie conception, commercialisation. Ces dernières ne
se situent pas directement dans la production et relèvent plutôt du secteur tertiaire. Lorsqu’on
veut appliquer ce schéma à une entreprise, on se heurte souvent à la complexité économique !

En outre, les activités professionnelles d’un individu peuvent relever dans une vie ou même une
année de différents secteurs.

Enfin, ces trois ou quatre grandes catégories ont le désavantage de ne pas englober d’autres
formes de travail comme le travail non rémunéré ( domestique, ménager, familial,… ). Le travail
bénévole n’est pas repris non plus. Il en est de même pour le travail en noire et la criminalité
économique.

Néanmoins, en tenant compte de ces critiques, cela reste un schéma pertinent !

Aujourd’hui, selon ce schéma, la plupart des personnes qui travaillent en tant que salarié ou
indépendant dans les pays occidentaux relèvent du secteur tertiaire.
Est-ce vrai pour autant que le secteur secondaire soit devenu négligeable ? Non !

En effet, le secteur secondaire reste toujours plus important que le secteur primaire dans les
pays développés. De nos jours, entre 2 et 5% de la population active travaille dans le secteur
primaire, 50 à 80% de la population active travaille dans le secteur tertiaire et 15 à 35% de la
population active relève du secteur secondaire.

Parler de société postindustrielle revient un peu à négliger le pourcentage de travailleurs


travaillant pour l’industrie et l’artisanat. N’oublions pas que l’industrie et l’artisanat de production
gardent beaucoup d’importance en terme d’emplois mais aussi en terme de quantité de
marchandises produites. Ainsi peut-on produire avec beaucoup moins de personnes des quantités
plus grandes que par le passé tant la productivité de l’industrie et de l’artisanat modernes est
importante.

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Donc, quand on parle de postindustrielle, on ampute l’importance du secteur secondaire et de la
production industrielle et artisanale dans les sociétés occidentales. La production industrielle et
artisanale garde aussi toute son importance par rapport au tertiaire.

D’ailleurs, si on fait un bilan planétaire de l’emploi dans le tertiaire et dans le secondaire, on


remarque que le secteur secondaire s’est largement étendu dans les autres parties du monde ( il
a diminué dans les pays développés ).

Il y a eu en fait un déplacement des activités industrielles du premier monde vers le Tiers Monde
( délocalisation ) . On peut dire qu’il existe une certain division du travail entre les pays
occidentaux et du Tiers Monde : les pays occidentaux maintiennent chez eux les activités
industrielles qui exigent le plus de machines, l’informatique, une main d’œuvre qualifiée. Ils
exportent d’autres formes d’activités industrielles qui demandent un main d’œuvre moins formée,
moins qualifiée et exigeant des salaires moindres.

Si on fait le total à l’échelle planétaire, on constaterait que le tertiaire a effectivement pris de


l’importance mais que le secondaire n’a cessé de croître. Finalement, quand on dit que c’est le
tertiaire qui l’emporte sur l’industrie, on doit aussi penser que le tertiaire a commencé à prendre
de l’ampleur avec l’industrialisation. Le secondaire a besoin d’ingénieurs, de dessinateurs, de
vendeurs, etc. pour s’occuper de ce qu’il produit ! Il y a donc une complémentarité entre le
secondaire et le tertiaire plutôt qu’une chronologie.

Qui sont les travailleurs du secteur tertiaire ? Quelle est leur physionomie ?
Pour pouvoir répondre à ces questions, nous allons lire et analyser un texte ancien qui a été
rédigé en Egypte ancienne et qui met en évidence un personnage type du secteur tertiaire.

Ce secteur n’a bien sûr pas été inventé au 19e – 20es ! Il y avait déjà des activités de prestation
de services très tôt dans l’histoire. Les sorciers de la Préhistoire étaient des travailleurs du
tertiaire ! ! !

Le texte qui suit parle du scribe. Que signifiait être scribe dans l’Antiquité ? Ce n’était pas un
employé aux écritures. Le scribe dans l’Antiquité était un personnage haut placé, un travailleur
privilégié. Il connaissait l’art d’écrire et le secret de l’écriture.

On était loin de la scolarisation généralisée et de l’alphabétisation de la population. Dès lors, ceux


qui savaient lire et écrire étaient des exceptions au service du pouvoir ( pharaon ). Ils gagnaient
bien leur vie.
Ce texte littéraire dont on ne connaît pas l’auteur fait l’éloge du métier de scribe. Il compare
aussi ce métier à d’autres. Il en émerge de ce texte quelques idées sur la mentalité et la
physionomie du travailleur tertiaire qui restent encore valables aujourd’hui.

Il s’agit d’un monologue imaginaire d’un père qui parle à son fils pour le convaincre de choisir le
métier de scribe.

« Je souhaite que tu consacres ton cœur au livre. Le scribe, où qu’il soit dans l’administration ne
souffrira jamais de la misère. Je voudrais que tu aimes les livres plus encore que ta mère et je
mets leur attrait sous tes yeux. Cette profession dépasse toute autre. Il n’y a rien dans le pays
qui puisse lui être comparé. J’ai vu le métallurgiste au travail à la gueule de sa fournaise. Ses
doigts sont comme la peau d’un crocodile, il sent plus mauvais que le frais poisson. Le menuisier
qui manie l’herminette est plus harassé encore que le paysan. Son champ à lui, c’est la bois et sa

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houe, c’est le feu. Au soir, il est exténué car il a travaillé au delà de ses forces et pourtant la
nuit, il y a encore de la lumière chez lui. Le barbier rase jusque tard dans la soirée. Il va de coin
en coin, de ruelle en ruelle pour trouver qui raser. Ses bras ne doivent pas chômer s ‘il tient à
remplir son ventre (… ). Le maçon qui bâtit les murs, il supporte la douleur du fouet, toujours au
grand air, exposé au vent, il maçonne vêtu d’un simple pagne. A l’atelier, il n’a qu’une ceinture (…)
qui laisse son postérieur à nu. Ses bras baignent dans l’argile, tous ses vêtements sont maculés et
il mange son pain avec des doigts terreux. Le jardinier porte la palanche, ses épaules ploient sous
les charges d’eau, sa nuque en est vilainement tuméfiée. Le tisserand vit cloîtré dans son atelier,
il est plus mal à l’aise qu’une femme en couche. Les genoux repliés contre son estomac, il soufre.
(… ) Il doit donner un pourboire à son portier pour pouvoir sortir pour respirer ! Le cordonnier,
dont le sort est bien misérable, est perpétuellement sous ses cuves à tanner. Il lui manque
toujours quelque chose et son sort vaut celui d’un cadavre. (… ) Vois, s’il n’est pas de profession
où on ne soit pas commander, si ce n’est celle de fonctionnaire. C’est lui qui commande. Vois, il n’y
a pas de scribe qui manque de nourriture et d’avantages au palais royal. C’est sa destinée propre
qui le place à la tête de l’administration. Rendons grâce à ton père et à ta mère qui t’ont mis sur
la voie de la seule vraie vie ! »

Ce texte est très intéressant quand on considère la technique utilisée pour présenter les
avantages du métier de scribe ( métier qui relève du tertiaire ).

Différentes constatations sont établies dans ce texte :

a) Distinction entre le travail manuel et le travail intellectuel. La valorisation


immense du travail intellectuel et la dévalorisation immense du travail manuel.

b) Avantages associés à une position comme scribe :


- la proximité au pouvoir. Le scribe travaille au palais royal et se trouve donc proche du
détenteur du pouvoir. Ce n’est pas le cas pour les autres métiers cités par l’auteur anonyme ;
- le salaire est donc nettement plus important et est surtout assuré ! Le scribe ne doit pas avoir
peur de ne pas avoir de clients ou de commandes comme le barbier qui court derrière le travail ;
- le scribe est nommé et a la sécurité de l’emploi. Son emploi est stable et il ne se trouve pas
dans une situation précaire ;

- le scribe travaille dans un milieu marqué par la propreté. Cette notion de propreté est
valorisante ;
- le scribe est mieux habillé et a des habits propres. Il y a donc une distinction sociale qui s’opère
par les vêtements ( encore aujourd’hui )
- le scribe se commande. Au quotidien c’est lui qui décide même s’il est au service du pharaon, d’un
ministre, etc. Sa situation est dès lors enviable !

Cette description crée véritablement un modèle culturel du travailleur du tertiaire. Dans une
certaine mesure, on peut encore reconnaître ces traits dans l’image que l’on se fait de qqn qui
travaille dans le tertiaire.

Il n‘existe malheureusement pas d‘autres témoignages sur le métier du scribe. Mais vu sa


situation, il est à parier que cette description est proche de la perception des travailleurs du
tertiaire qui pouvaient avoir eux-mêmes.

Rappel : il y avait un rite funéraire en Egypte ancienne où les personnes riches étaient
accompagnées de figurines dans leur tombeau. Chaque figurine représentait un jour de l’année.

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Leur fonction était d’effectuer le travail dans l’au-delà à la place défunt. Dans le cas contraire, le
mort serait obliger de travailler lui-même. Mais là aussi on a constaté que c’étaient les
travailleurs manuels qui étaient représentés par ces figurines ( et non les travailleurs
intellectuels ! ).

En résumé,

Ddans ce texte, on constate une dévalorisation du travail manuel et cela pour plusieurs raisons :
- insécurité des revenus ;
- aspect vestimentaire moins distingué ;
- traces corporelles issues des travaux manuels ;
- soumission à un patron.

Le travail intellectuel est donc mis en valeur à cause de :


- la sécurité de l’emploi et des revenus ;
- le haut statut social ;
- l’autonomie ( pas de supérieur direct ) ;
- la proximité par rapport au pouvoir.

Il y a aussi des parallélismes avec la situation actuelle dans le monde occidental :


- l ‘idée de la sécurité de l’emploi et de la rémunération est encore bien présente dans le secteur
tertiaire ( fonctionnaires nommés à vie dans les administrations ) ;
- les habitudes vestimentaires sont encore un habitude ( veste blanche pour les travailleurs du
secteur tertiaire >< blouse bleue pour le secteur secondaire ). A présent, le costume cravate est
« l’habillement » pour les fonctionnaires, les cadres,… ;
- la propreté du travail dans le secteur tertiaire. Les ouvriers du bâtiment, les agriculteurs sont
bien souvent « sales ».

Il subsiste encore cette tendance à vouloir travailler dans le secteur tertiaire plutôt que dans le
secteur manuel. De plus, les métiers intellectuels sont encore et toujours plus valorisés que les
métiers manuels. Et pour preuve, de moins en moins de jeunes se lancent dans une carrière
manuelle et si cela continue, on devra engager des travailleurs étrangers !

Ce texte égyptien révèle ainsi des caractéristiques du secteur tertiaire qui sont toujours
d’actualité. Les différences entre les sous-catégories professionnelles subsistent toujours. Les
professions libérales, par exemple, demeurent bien considérées socialement et obtiennent de
bonnes rémunérations. Par contre, les ouvriers n’ont pas de reconnaissance sociale et ont peu de
revenus.

Entre ces deux extrêmes se situent différents catégories et groupes :

a) Un groupe lié au commerce et représentant toutes les personnes liées à la vente en détail ou
en gros de marchandises et de matières premières. Là se trouve une distinction entre les
indépendants et les salariés ;
b) Un groupement socio-professionnel lié à la finance et au secteur financier ( banque,
assurance, bourse ). Là encore on trouve une distinction entr les indépendants et les
salariés ;

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c) Un groupe exerçant des professions libérales et ayant souvent un statut d’indépendant. Ce
groupe dispose souvent d’une qualification universitaire et donc d’une bonne rémunération
( avocats, docteurs, notaires,… ) ;

d) Un groupe lié à la gestion de l’entreprise où tous les employés sont quasiment salariés
( managers de société internationale, contremaîtres des ouvriers,…) ;

e) Un groupe lié à l’enseignement ( de l’école maternelle à l’enseignement universitaire ) et où se


trouve aussi un petit groupe en annexe représentant les chercheurs dans les universités et
les entreprises. Ces chercheurs sont en général prisés et recherchés. De plus, ils sont bien
rémunérés et bien valorisés par la société. Les nouvelles technologies, les produits et la
nouvelle organisation du travail reposent sur leurs épaules. Remarque : les professeurs
d’université sont bien souvent aussi des chercheurs ;

f) Un groupe relevant des administrations publiques ( fonctionnaires et salariés qui ne sont


jamais indépendants ). C’est un groupe qui peut être parfois dangereux car l’Etat y joue un
rôle de plus en plus grand ;

g) L’armée est plus ou moins une forme de service. Les armées professionnelles avaient déjà été
instaurées à l’époque romaine mais il a fallu attendre plus ou moins 1500 ( 16 es ) pour voir
apparaître des militaires professionnels rémunérés à vie. On peut aussi y associer tous les
agents du maintien de l’ordre des Etats, des communes ( nombreux fonctionnaires dans ces
services ! ) ;

h) Le clergé qui est en perte de vitesse en Occident. Il n’y a en effet plus de nouvelles recrues
et plus de candidats. Par contre, c’est un métier qui se développe dans le Tiers Monde ;

i) Un groupe qui se situe entre le secondaire et le primaire. Il s’agit des chefs d’entreprise. Ils
ne mettent pas tellement la main à la pâte en ce qui concerne la production. Par contre, ce
sont eux qui dirigent la production. Leur situation matérielle peut varier fortement ;

j) Autre groupe situé à la frontière entre les secteurs secondaire et tertiaire : les travailleurs
dans le secteur des transports ;

k) Les salariés dans les institutions de santé qui ne sont pas des médecins mais des personnels
soignants. Ce secteur est extrêmement hétérogène avec différents genres de situations
sociales et professionnelles.

Remarque : il y a des intermédiaires entre les producteurs de biens et les consommateurs, entre
le pouvoir public et privé et tout le reste de la population.

On considère tous les artistes comme faisant partie du secteur tertiaire. Mais les artistes sont-
ils indépendants ou salariés ?

Aujourd’hui, l’artiste est considéré comme un indépendant. Cependant, sa situation était


différente avant le 19es. En effet, les mécènes ( pouvoir civil et ecclésiastique ) commandaient
des œuvres aux artistes et de ce fait, les artistes étaient dépendants de leur mécène.

Caractéristiques du secteur tertiaire :

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a) Il héberge beaucoup de fonctions intermédiaires.

b) On y trouve aussi des personnes qui exercent un pouvoir qui est plus fort que celui des
ouvriers et des artisans.

- Dans le secteur public, c’étaient les pouvoirs attachés auparavant à l’Etat, aux dirigeants
militaires et aux ecclésiastiques qui jouaient ce rôle. Maintenant, ce sont les ministres qui
possèdent ce pouvoir.

- Dans le secteur privé, les grands banquiers et commerçants disposent parfois d’un pouvoir
considérable. Les représentants du pouvoir économique sont importants et typiques. Par exemple,
un magistrat a un pouvoir considérable ; les professeurs exercent aussi un pouvoir sur les
étudiants.

c) Il dispose de l’argent. Les capitaux sont en effet concentrés dans ce secteur et de là


découle un pouvoir lié à leur détention.

Dans l’histoire, ces capitalistes étaient moins bien vus qu’à présent. Les chrétiens, par exemple,
étaient contre l’amassement abusif des capitaux. Pour un bon chrétien, il était inadmissible de
prêter de l’argent et de le récupérer ensuite avec des intérêts ! Cela était considéré comme une
usurpation.

Ex : « Le marchand ne saurait pratiquement plaire à Dieu » (Evangile de St Mathieu)


Cela démontre bien que l’accumulation des capitaux est condamnée par la religion chrétienne.

Ce sont souvent des groupes minoritaires ( ethniques, religieux ) qui ont réussi dans le domaine
des finances. Par exemple, le Juifs n’ont pas du tout un penchant naturel pour l’argent. Le fait
qu’ils aient réussi dans le domaine financier provient de l’obstination chrétienne.

d) Ce secteur est d’une importance numérique. Au début, dans l’Antiquité, les travailleurs du
secteur tertiaire représentaient une minorité de personnes. Néanmoins, ces gens étaient très
professionnels. Puis, avec l’extension des secteurs commerciaux s’est opéré un développement :
toutes les catégories comme les fonctionnaires, les enseignants de la fonction publique sont
apparues à la révolution industrielle. Aussi longtemps que le clergé et l’Etat ont tout dirigé, peu
de personnes ont travaillé dans le secteur tertiaire.

d) Le secteur tertiaire a contribué à l’émergence du capitalisme. C’est parmi les représentants


du secteur tertiaire qu’est né le capitalisme, à savoir dans les milieux des banquiers et des
marchands ( grands commerçants internationaux ) pour le capitalisme industriel. Le
capitalisme commercial, par contre, a connu son âge d’or aux Temps Modernes lorsque les
commerçants ont réussi à mettre à leur service des artisans, des ouvriers,… ( comme en
Flandres dans le secteur du textile ).

De nos jours, le nombre de personnes qui travaillent dans le secteur tertiaire a pris le pas sur les
secteurs primaire et secondaire. Ainsi le secteur tertiaire emploie-t-il à peu près les 2/3 de la
population active ( en Occident ).

Il existe cependant une complémentarité entre les secteurs primaire et secondaire et le secteur
tertiaire : les deux premiers secteurs produisent beaucoup ( en Occident ) tout en employant peu
de personnes. Le secteur tertiaire, lui, s’occupe de la gestion des deux premiers secteurs.

59
28. Les grands changements depuis le néolithique

Chronologie des principaux grands changements ( ou ruptures )

1) La révolution du néolithique ( agriculture ; a mis 10 millions d’années pour se répandre


partout ! )
2) La révolution industrielle ( qui a mis 200 ans avant de toucher le Tiers Monde )
3) La révolution liée à l’informatique ( il y a une cinquantaine d’années )

Ces changements ou ruptures ont été très lents et longs ! N’oublions pas que le facteur temps y
intervient !

Selon Paul Bairoch, la notion de rupture est mieux comprise si elle est liée à la notion du
développement économique.

La rupture est un ensemble des changements économiques, sociaux, techniques et institutionnels


liés à l’évolution du niveau de vie et qui résulte des mutations techniques et organisationnelles.

Peut-on parler d’une croissance de la productivité dans le passé ?

Oui ! On peut déjà parler de croissance et de développement économique pour la période


préindustrielle. En effet, le développement de cette époque peut être quantifié :
- entre le néolithique et le 17es, le développement du niveau de vie était de l’ordre de 60 à 90%
( un peu moins qu’un doublement )
- depuis le 17es et la fin du 20es, le niveau de vie a augmenté de 2800 à 3200% ! Le facteur est
passé de 28 à 32. Cela montre une accélération de la croissance économique.

Les grands changements :

a) L’agriculture du néolithique. L’agriculture est en elle-même une rupture dans l’histoire de


l’humanité. Les échanges commerciaux ( troc ) ont été permis par :
- l’élevage ;
- la culture ;
- la sédentarisation ;
- l’augmentation de la production alimentaire ;
- les surplus ;
- les stocks disponibles qu’il ne faut pas consommer.

Les échanges économiques ont ensuite favorisé un démarrage démographique :

Vers – 8 500 / 8 000, il y avait de 8 à 15 millions de personnes dans le monde.


Vers l’an 1, il y avait entre 240 et 330 millions de personnes dans le monde.
Vers l’an 1000, il y avait entre 240 à 350 millions de personnes dans le monde.
Vers 1500, il y avait entre 440 et 540 millions de personnes dans le monde.
Vers 1750, il y avait entre 730 et 810 millions de personnes dans le monde.
Vers 1900, il y avait 1 650 millions de personnes dans le monde ( ou 1 milliard 650 millions ).
Vers 1950, il y avait 2 520 millions de personnes dans le monde ( ou 2 milliards 520 millions ).
En 1995, il y avait 5 720 millions de personnes dans le monde ( ou 5 milliards 720 millions ).

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Des échanges commerciaux ont aussi vu le jour dans les villes et cela a eu des conséquences sur la
communauté urbaine. L’agriculture est ainsi devenue un facteur économique et est l’un des piliers
de notre vie.

b) L’invention de l’écriture a été un événement culturel important. Il y a en effet eu une


économie pré et post « écriture ». L’écriture était non seulement un moyen de communication à
distance mais aussi un moyen de gestion de l’entreprise.

Comment l’écriture est-elle venue à nous ? La première forme d’écriture consistait en des
symboles : l’écriture par nœuds ( dans des cordelettes ) et encoches sur des morceaux de bois
( logique du morse ).

La première forme d’écriture « véritable » est née à Surmène au 4e millénaire av. JC. L’ancêtre
de notre écriture alphabétique est le sumérien. On distinguait deux types d’écritures :
- l’écriture syllabique ( un symbole = une syllabe )
- l’écriture idéographique ( un symbole = un mot ). Ce type d’écriture était plus
compliqué car il fallait connaître autant de signes que de mots existant dans la
langue

Avantages et désavantages :

Pour l’écriture idéographique : elle est réservée à une élite ( on garde la maîtrise et la
connaissance de l’écriture secrète ).

Pour l’écriture alphabétique : elle est plus facile et donc plus démocratique. Le monopole des
élites sociales est moins fort si on utilise l’écriture alphabétique. Il y a donc un lien entre
l’écriture et le système politique. Grâce à l’alphabet, l’écriture va se répandre plus vite ( à
l’extérieur du cercle politique ). Les innovations techniques dans le domaine de l’écriture ont été
plus facilement diffusées que l’écriture idéographique.

c) La connaissance de la métallurgie et du fer ( - 2 300 / - 2 000 ) s’est opérée dans la région


de la Mer Noire. Quel est l’intérêt d’utiliser du fer ? Le fer est plus dur que le bronze, il a une
meilleure qualité et une meilleure résistance.

On peut dès lors l’utiliser pour la fabrication d’armes et d’outils. Dès le 18 es, le fer a été utilisé
lors de la construction des machines. Le fer a donc joué un rôle important quant à la production
industrielle.

Remarque : le premier haut fourneau est apparu en Chine vers – 1 000 alors qu’il est apparu en
Occident seulement au … 15es !

e)L’apparition de la monnaie ( et de l’argent ) au 1er millénaire avant JC. C’est en Lydie ( état
grec d’Asie Mineure ) au 7e – 8es qu’on a conféré à un objet une valeur connue de tous pour
obtenir des services ou des produits. A partir de ce moment-là, le troc s’est éteint et le
commerce s’est épanoui.

La monnaie doit d’une part, être standardisée ( un pouvoir définit la forme et le contenu d’un
objet métallique ) et d’autre part, être certifiée ( le pouvoir qui met en circulation se porte
garant que telle pièce représente telle valeur ).

61
L’argent a mis pas mal de temps à se diffuser !

f) Effondrement de l’Empire Romain d’Occident en 476 suites aux invasions germaniques dans
l’empire. L’Empire Romain avait été partagé en deux partie en 395 : l’Empire Romain d’Occident et
l’Empire Romain d’Orient ou Empire Byzantin. L’Empire Byzantin a survécu mille ans à l’Empire
Romain d’Occident ( jusqu’en 1453 lors de la prise de Constantinople par les Turcs ).

La chute de l’Empire Romain a causé l’effondrement de l’économie et la déstructuration complète


d’une immense surface. Il y a eu une régression de la taille des villes, un changement dans la
structure démographique et un retour à l’autarcie
( plus d’échanges commerciaux ).

Cependant, l’esclavage de masse a fait place à un esclavage moins pénible et à une domination
moins forte.

g) Diffusion du Christianisme en Europe ( 4e – 5es après JC même si cela a commencé dès le 1 er


siècle de notre ère ). Le Christianisme était au départ une petite secte dont les adhérents
étaient persécutés. Ensuite, il est devenu une religion tolérée grâce à l’empereur Constantin Ier
qui a admis le Christianisme et la tolérance religieuse. Ensuite, le Christianisme a été adopté
comme religion d’Etat avec la conversion de Clovis.

Le Christianisme a eu au moins un mérite : il a permis de rassembler la population qui était


auparavant divisée en cultures païennes. La religion chrétienne a ainsi créé une base commune
pour la population, à savoir la vénération de Dieu, même si cette population ne parlait pas la même
langue. Cela a entraîné un progrès économique et un développement des échanges commerciaux.

h) Mouvements migratoires ont provoqué un changement démographique. En effet, de la fin de


l’Empire d’Occident jusqu’en 1500, l’Europe a subi la traversée de peuplades de l’Europe de l’Est
qui sont allées jusqu’en Espagne, au Portugal et en Afrique du Nord. De plus, il y a aussi eu des
raids maritimes dévastateurs ( peuples scandinaves ).

La vie économique s’en est retrouvée perturbée. De même, la chute de l’Empire et ces
mouvements migratoires ont eu des conséquences sur la stabilité démographique. Certains
régions ont même subi un décroissement de la population. Le désordre et l’insécurité régnaient en
Europe à cette époque !

i) Réurbanisation et nouvel essor économique en Europe à partir du 11e – 12es. Dans les Flandres
et en Italie du Nord, les villes ont connu une intense activité artisanale et un commerce
international / interrégional. Par conséquent, un boom démographique s’est produit en même
temps.

De plus, l’agriculture a évolué, les transports, les techniques aussi, la vie intellectuelle s’est
intensifiée,… Tout cela s’est produit notamment grâce aux contacts « violents » établis avec les
Musulmans. Cette évolution s’est terminée vers le 14es suite aux grandes épidémies ( dont la
peste noire ).
Une grande partie des activités économiques était et est toujours concentrée dans les villes.

Entre 1000 et 1340 ( début des épidémies ), la population européenne est passée de 76 millions à
83 millions d’habitants.

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L’agriculture a fait d’énormes progrès grâce à l’augmentation de la superficie des terres
cultivables. On a procédé au déboisement des forêts, à l’assèchement des marais et à la création
de polders en bordure de mer.

L’outillage agricole s’est aussi amélioré : la charrue, l’attelage, le collier d’épaule pour mieux
utiliser la force de traction des animaux.

On a aussi pratiqué la rotation triennale des cultures ainsi que la jachère.

j) Renaissances des banques et des réseaux bancaires avec le renouveau des villes ( 12 e-
13es ). Cette renaissance a joué un rôle très important pour le capitalisme commercial et plus
tard, le capitalisme industriel. Des financiers investissent dans le commerce qui est la principale
source de richesses et de profit.
Le Moyen Age nous a apporté quelque chose qui a duré, qui a pris de l’ampleur et qui constitue
aujourd’hui un facteur économique fondamental.

En même temps que la renaissance des banques, la comptabilité double ( 13 es ) a été inventée.
C’est une technique qui permet de tenir les comptes en faisant étape des dépenses et des avoirs
et qui permet une gestion plus rationnelle de l’argent.

Toujours à la même époque, des réseaux commerciaux se sont formés. Ils préfigurent toute
proportion gardée nos unions économiques ( européenne, africain, nord ou sud américaine… ) sauf
que , puisque l’état national n’existait pas encore, c’étaient des unions entre villes commerçantes.

La plus connue de ces associations entre villes commerçantes est la Hanse qui est née dans une
ville allemande près de la mer baltique appelée Lübeck. Ce réseau englobait des villes
commerçantes qui en Russie, en Scandinavie, aux Pays-Bas ( Pays-Bas actuels et Belgique
actuelle – Bruges et Gand ) mais aussi des villes à l’intérieur des pays germaniques.

k) Innovations dans le domaine de transports au Moyen Age ( afin d’augmenter les capacités
de transport, la rapidité du transport des marchandises ). Mais ces innovations n’étaient pas
aussi spectaculaires que le chemin de fer à la révolution industrielle. Il s’agissait de :

- ferrure des animaux ( chevaux, bœufs,… ) s’est diffusée au Moyen Age. Le métier de maréchal
ferrant est donc né à cette époque. En ferrant les bêtes, on a obtenu une augmentation de la
charge utile qu’on pouvait transporter. Cela a permis de passer de 200 à 300 kg par bête à 2 000
kg ! On a ainsi décuplé la capacité de transport. Il ne faut pas oublier que le réseau routier de
cette époque n’était pas comparable à celui que l’on connaît aujourd’hui. De ce fait, le transport à
dos d’animal ou d’homme était encore fréquent ;

- construction de nombreux ponts. La construction de ponts remonte à l’Antiquité. Rien n’a donc
été inventé mais c’est à ce moment-là, à cause de l’intensification des échanges commerciaux,
qu’on a investi dans la construction de très nombreux ponts afin de faciliter les transports ;

- construction navale. C’est au sein des villes portuaires de la Hanse que les constructeurs de
bateaux ont créé un nouveau modèle de navire de la de marine marchande ( coque ). Dans tout le
nord de l’Europe, ce bateau a permis de transporter des charges plus importantes. Dans le sud,
les constructeurs de bateaux ont créé la caravelle qui était plus rapide et qui permettait de
transporter des charges plus lourdes. A la fin du 15 es, la caravelle a été le modèle de navire qui a
permis de réaliser les grandes découvertes ( le Nouveau Monde – Christophe Colomb ) ;

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- la boussole est apparue en Europe au 12es ( inventée en Chine ) ;

- la construction de canaux ( voies d’eau artificielles ) qui ont amélioré les transports internes.
Les Flandres de cette époque étaient à la pointe du progrès dans ce domaine parce que un des
premiers canaux construits est celui qui relie Bruges à Damm. Il remonte à 1180.

l) Autres innovations du Moyen Age :

- diffusion à grande échelle des moulins à vent et à eau. Ils existaient déjà pendant l’Antiquité
mais en fait, le phénomène de diffusion s’est intensifié au Moyen Age. Les moulins ne sont pas
uniquement nécessaires au traitement des céréales. Ils le sont aussi pour le traitement des
textiles ( moulins à fouler les textiles pour nettoyer la laine avant de la teindre ), pour la
fabrication de papier, le tannage des cuirs,… ;

- vers 1340, le premier haut fourneau a été construit en Europe ( dans la région liégeoise ). Il en
existait déjà mille ans plus tôt en Chine ;

- c’est au 13es que reprend l’extraction du charbon. En effet, avec l’effondrement de l’Empire
Romain, l’extraction du charbon avait quasiment cessé. A cette époque, la métallurgie a repris et
on avait besoin de combustibles ;

- dans le domaine du textile, une première mécanisation s’est produite. Les tissus étaient
auparavant nettoyés par des foulons ( pieds nus ). A partir de cette époque, le foulage des tissus
s’est effectué dans des cuves grâce au moulin à fouler qui a mécanisé cette étape de production
des tissus. On a aussi augmenté la capacité de production de fils à tisser par la diffusion à
grande échelle du rouet qui a remplacé le fuseau et la quenouille. Le Moyen Age a aussi apporté le
remplacement du métier à tisser vertical par le métier à tisser horizontal. Le métier à tisser
horizontal permettait au tisserand de travailler plus rapidement qu’avec le métier à tisser
vertical ;

- dans les métiers du bâtiment, un outil terriblement pratique a été introduit au même moment. Il
s’agit de la brouette ( ! ) ;

- la construction des premières horloges. C’est donc le début de la mécanique de précision


( dernier quart du 13es ). Les premières horloges ont été construites indépendamment des unes
des autres en Angleterre et en Italie.

29. Le Moyen Age et les Temps Modernes

Tous les éléments ci-dessus ont donc été inventé au Moyen Age. Cela nous prouve que cette
époque n’était pas si obscure, fanatique et rationnelle qu’on le dit ! Le Moyen Age avait des côtés
relativement modernes.

La vie intellectuelle était aussi présente au Moyen Age ( invention, extension, commerce,… ). Les
gens pensaient, écrivaient, enseignaient. C’est au Haut Moyen Age que les universités ont été
créées. Il y avait déjà des lieux d’enseignement supérieur à l’Antiquité mais le concept des
universités comme lieu d’enseignement et d’un savoir englobant tous les domaines de l’existence

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humaine était nouveau. La toute première université occidentale serait celle de Bologne ( Nord de
l’Italie ) et elle remonterait à la fin du 10es. Au total, jusque 1350, 25 universités ont été créées
dont 13 en Italie ( l’Italie était un centre de la vie intellectuelle international ).

Les universités de cette époque n’étaient pas des établissements laïques : elles étaient des
émanations de l’Eglise Catholique. La principale faculté de ces universités était bien entendu la
faculté de théologie.

Toutes les facultés connues aujourd’hui n’existaient pas à cette époque. Néanmoins, deux autres
types de savoir en dehors de la théologie étaient enseignés : le droit et la médecine. Ces trois
matières ( théologie, droit, médecine ) étaient les piliers des premières universités.

La théologie de cette époque n’était pas celle d’aujourd’hui. Mais la théologie du Moyen Age était
une philosophie au pied de la lettre. On ne pensait pas exclusivement à la religion : il y avait aussi
des philosophes qui abordaient des problèmes de logique, de mathématiques, … Encore
aujourd’hui, on continue à étudier les textes des logiciens du Moyen Age.

Les savants arabes ont d’ailleurs apporté beaucoup aux Européens en ce qui concerne le domaine
des mathématiques. Les Arabes étaient beaucoup plus avancés que les Européens car ils étaient
les héritiers des mathématiciens grecs.

Les universités ainsi que les églises avaient pour devoir de cultiver la langue latine qui était la
langue par excellence des universitaires de l’époque. Les universités et églises servaient de relais
à l’échelle européenne entre les différents lieux et pays.

D’ailleurs, le nom du « Programme Erasmus » vient d’Erasme qui a vécu à la fin du Moyen Age et
qui a beaucoup voyagé. Il a pu communiquer avec les savants de son époque grâce à la
connaissance de la langue latine. Ce côté européen et d’ouverture qu’incarne Erasme rappelle
cette réalité qui remonte aussi loin !

De plus, un contact entre l’Occident ( Europe ) et l’Orient ( le monde arabe ) s’est établi au Haut
Moyen Age ( à partir du 11es ). Cette relation était particulière car en fait il s’agissait d’un
contact guerrier et conflictuel. Pendant presque deux siècles se sont déroulées des campagnes
militaires partant de l’Europe et allant vers le Proche Orient. Leur objectif était la reconquête
de la Terre Sainte ( Israël actuellement ).
La première croisade remonte à 1095 et la dernière croisade importante a eu lieu en 1265 ( la
huitième croisade ).

Pourquoi citer des expéditions militaires dans un cours d’histoire économique et sociale ?

En fait, mis à part les combats, ces croisades ont été des moments de contact intense sur le plan
commercial, artistique et intellectuel. Ces expéditions militaires n’avaient donc pas que des
retombées militaires mais avaient aussi des conséquences pour la vie intellectuelle et artistique
( la ville de Sienne au sud de Florence, le dôme de Florence sont des exemples qui témoignent des
influences arabes enrichissantes pour notre culture et civilisation ).

Sur le plan commercial, les croisades ont apporté aux Européens des objets intéressants comme
la boussole et le papier (en chiffons ). De nouveaux aliments comme le sucre et les épices ont été
importées de l’Orient. Il y a eu aussi des nouveautés textiles : apport de nouveaux tissus comme
le satin, le velours, …

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Les croisades auraient aussi indirectement favorisé l’éclosion des banques parce que elles ont
mobilisé des milliers de soldats et pour financer ces campagnes, il fallait des capitaux
importants. Ce besoin de financements aurait été un stimulus important pour la création de
banques et de réseaux bancaires.

Cet essor économique et intellectuel du Haut Moyen Age s’est malheureusement arrêté vers le
milieu du 14es. En effet, il y avait partout des villes avec un habitat très dense. Les gens vivaient
les uns sur les autres. C’est pourquoi il y avait d’énormes problèmes d’hygiène. Vers 1340, une
maladie contagieuse est arrivée. Grâce aux mauvaises conditions hygiéniques, la peste a fait
d’importants ravages au sein de la population. La peste noire a touché l’Europe dans les années
1340.

Cette maladie a sévi surtout jusqu’en 1380. Pendant 40 ans, des vagues d’épidémies de peste ont
traversé le continent. Les estimations ont montré que ¼ voire 1/3 de la population européenne a
succombé durant cette période !
En plus, on était incapable à l’époque de soigner ou de prévenir la peste.

La peste noire a, outre les nombreux morts, causé une récession économique profonde.
L’économie a dû attendre la fin du 15es pour s’en remettre.

C’est précisément la fin du 15es qui a amené l’Europe à un nouveau tournant de son histoire. C’est
à cette époque-là qu’ont lieu les grandes expéditions marines vers le Nouveau Monde ( avant
même de l’avoir découvert ! ).

Christophe Colomb a découvert les Amériques ( du Nord et du Sud ) en 1492. Il n’est jamais
arrivé sur le continent américain car il s’est arrêté aux îles situées à quelques centaines de km du
continent. Mais ce fut un véritable tournant pour l’Europe !

En effet, la découverte des Amériques a appelé les Européens à donner une impulsion
extraordinaire au commerce international dont le centre s’est déplacé de la mer Baltique vers
l’Atlantique. Cela a entraîné le déclin de la Hanse qui était concentrée sur la mer Baltique et du
Nord. Le commerce transatlantique a été à partir de ce moment-là le centre du commerce
international.

A partir de cette époque a commencé l’exploitation des matières premières trouvées sur ces
nouvelles terres. Les premières matières premières qui intéressaient les colonisateurs étaient
les métaux précieux ( l’or et l’argent – cf. trésor mythique de l’or du Pérou ).

C’est en Amérique du Sud que l’on a recherché l’or et les trésors existant déjà chez les peuples
habitant cette partie du monde. Ces peuples ont été vaincus, colonisés, dépouillés de leurs
richesses. L’exploitation minière des gisements de métaux précieux a été alors entreprise. Un
flux énorme d’or et d’argent s’est ensuite répandu sur l’Europe et a stimulé le commerce.

Le commerce a été alimenté par l’importation de certaines plantes et produits comme la pomme
de terre ( produit de luxe à l’époque ), le cacao, le café et le coton.

Les premières nations européennes à profiter des richesses de l’Amérique du Sud étaient
l’Espagne et le Portugal qui se sont emparés de l’Amérique Centrale et du Sud. Les Britanniques
et les Français ont colonisé plus tard l’Amérique du Nord

66
( vers le 16e-17es ).

Les retombées économiques pour l’Europe ont été fantastiques. Cependant, il y a toujours le
revers de la médaille : le sort des peuples vaincus et colonisés habitant l’Amérique Centrale et du
Sud ( plus tard ceux de l’Amérique du Nord ). En fait, ce qu’il s’est passé a ressemblé à un
génocide.

Il y a eu de nombreux morts parmi la population indigène, décès non seulement dus aux
affrontements militaires, mais aussi aux virus « importés » par les Européens.
Ces peuples n’étaient pas immunisés contre ces virus. Les virus qui ont fait le plus de ravages et
de morts ont été ceux de la grippe. Les maladies « importées » au Nouveau Monde ont décimé de
70 à 80% de la population indigène ! Avant l’arrivée des Européens, on estime qu’il y avait entre
50 et 60 millions de personnes en Amérique Centrale et du Sud. Vers 1650 ( 150 ans plus tard, il
ne resterait que 10 millions d’indigènes !

A cela, on pourrait aussi parler du génocide des Indiens d’Amérique du Nord au 19 es. A cette
époque, il y a quand même eu une politique très proche de celle de l’extermination.

Autre effet pervers de la conquête du Nouveau Monde : extension de l’esclavage. Les Européens
ont fait travailler les indigènes dans les mines et les plantations exploitées. Mais comme les virus
et les maladies ont décimé les indigènes, il a fallu importer de la main d’œuvre venant d’Afrique.

Ainsi, à partir du 16es et ce jusqu’au 19es, des esclaves africains ont été importés aux Amériques.
Ils ont été emmenés par millions en bateau vers l’Amérique du Sud et plus tard vers l’Amérique
du Nord. D’ailleurs, une grande majorité de la population brésilienne est aujourd’hui noire
( descendants de ces esclaves ).

On estime que ce sont entre 10 et 12 millions d’esclaves africains qui on été emmenés de force
entre le début du 16es et la fin du 19es !

Ce n’est pas pour relativiser le drame humain mais il faut savoir que l’esclavage remonte à
l’Antiquité et qu’à la même époque, les Européens n’étaient pas les seuls à pratiquer l’esclavage.
Les marchands d’esclaves en Afrique étaient avant tout les Africains ! Jusqu’à aujourd’hui, il y a
eu des conflits entre tribus qui revendaient les autres tribus comme esclaves aux Européens !

L’esclavage de masse était aussi pratiqué en Asie et dans le Proche Orient. Les estimations
montrent qu’entre le 7es et la fin du 19es, la civilisation musulmane dans le nord de l’Afrique a
trafiqué jusqu’à 15 millions d’esclaves !

Il y a là une sorte de dette morale de la part de l’Occident vis-à-vis des pays qui ont servi de
« réservoirs » d’esclaves pour les pays où ils ont été « importés ».

Enfin, le Moyen Age s’est terminé non seulement avec les grandes découvertes mais aussi avec le
départ de la dernière enclave musulmane en Europe. Cela a été une rupture définitive entre
l’Occident et l’Orient. En effet, l’Espagne a été occupée pendant des siècles par les Maures
( peuples arabes ).

Dans les derniers siècles du Moyen Age s’est produite la reconquête de l’Espagne et cette chasse
aux Maures s’est terminée aussi en 1 492 avec la chute de la dernière ville occupée par les
Musulmans en Espagne, à savoir Grenade. C’est la fin d’une longue histoire qui avait commencé en

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l’an 800. Cette reconquête s’est traduite par une exode massive des Musulmans installés depuis
des siècles en Espagne et cela a été un élément négatif pour l’économie dans la mesure où il y
avait un artisanat et un commerce très florissant. Cette perte pour l’économie a mis du temps
pour être compensée par les Espagnols.

D’ailleurs, le catholicisme espagnol représentait et représente encore aujourd’hui l’un des


courants les plus radicaux de l’Eglise Catholique. Cela est directement lié à la reconquête : c’est
l’idéologie chrétienne qui a poussé les Espagnols à « chasser » les Musulmans car ils
représentaient les non-croyants.

1492 coïncide aussi avec un autre événement de l’histoire européenne : les Juifs espagnols sont
chassés d’Espagne cette année-là. Ils ont été confrontés à deux alternatives : se convertir au
catholicisme ou partir. La majorité des Juifs espagnols a préféré émigrer et cela a provoqué un
autre appauvrissement de l’économie espagnole de cette époque.

Précisons que la culture arabe en Espagne mais aussi en Afrique du Nord a été infiniment plus
tolérante que la culture chrétienne du Moyen Age et du début des Temps Modernes. Le conflit
entre Musulmans et Juifs que nous connaissons aujourd’hui ne remonte pas du tout au Moyen Age
( phénomène moderne ).
Auparavant, les Musulmans toléraient parfaitement la religion juive et la présence de Juifs sur
leurs territoires.

Si la loi musulmane pose un certain nombre de problèmes évidents, il faut se garder de


considérer cette religion comme archaïque car il y a au sein de la religion islamique des courants
philosophiques et des modes de pensées totalement ouverts.
Le problème, c’est qu’ils ne représentent pas la majorité de la population.

A cette même époque charnière est survenu un autre phénomène culturel qui a profondément
marqué l’histoire de l’Europe, à savoir le schisme qui s’est produit au sein de l’Eglise Catholique.
Martin Luther a proclamé une doctrine chrétienne différente qu’on a appelée le protestantisme.
L’apparition d’un « concurrent » redoutable de l’Eglise Catholique romaine a créé des tensions
durables profondes entre les régions qui restées fidèles à la foi catholique romaine et les régions
converties au protestantisme.

Autant le christianisme a été un élément fédérateur pour l’Europe jusqu’à la fin du 15 es, autant il
est devenu un élément de dissensions et de tensions avec l’apparition du protestantisme. Il ne
s’agissait pas de tensions intellectuelles ou diplomatiques mais de guerres ! La foi des uns et des
autres a servi constamment de prétexte pour se faire la guerre.

La guerre la plus terrible qui s’est produite en fonction de cette ligne de partage entre
protestants et catholique a été la Guerre de Trente Ans au 17 es ( 1618 – 1648 ).
Cette guerre a été un conflit européen qui avait pour champ de bataille principal les pays
germaniques. Elle a dévasté pendant la première moitié du 17 es l’Allemagne ( qui était à
l’époque un ensemble de petites entités politiques ) et elle a constitué l’une des grandes
catastrophes qui ait touché l’Europe.

En effet, dans les pays germaniques, c’est à peu près 30 à 40% de la population qui a succombé
non seulement à cause des combats mais aussi à cause des maladies et épidémies qui ont ravagé le
pays. Cette guerre a été aussi une catastrophe sur le plan économique pour les pays germaniques.

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Pour rappel, le protestantisme a eu d’autres conséquences : en France, il y a eu de nombreux
conflits entre les Catholiques et Protestants. Même si la Guerre de Trente Ans n’a pas vraiment
eu lieu en France, de nombreux affrontements se sont passés. C’est au 17 es que la tolérance
relative qui avait régné dans un premier temps a été abolie ( révocation de l’Edit de Nantes ).
Cette révocation a provoqué l’exode de milliers de Protestants français ( les Huguenots ).

Pour la France, cette décision a été catastrophique sur le plan économique dans la mesure où les
Huguenots représentaient une élite intellectuelle et économique. Les pays protestants de
l’époque ont accueilli à grands bras ouverts les Huguenots qui voulaient bien s’installer chez eux
( ils étaient réputés pour être des gens entreprenants, cultivés, … ). C’est ainsi qu’à la fin du 17 es
il y a eu une dispersion de la communauté huguenote partout en Europe.

Le protestantisme a aussi eu un impact manifeste sur les germes du capitalisme industriel parce
que certains pays à forte composante protestante étaient parmi les premiers au monde à se
lancer dans l’industrialisation. On pense bien sûr à la Grande Bretagne mais aussi à la Suisse.

Les protestants ne sont naturellement pas à eux seuls responsables de l’apparition du capitalisme.
Mais manifestement la pensée protestante a été favorable au capitalisme. Pendant les Temps
Modernes, une des plus grandes puissances commerciales au monde à côté de l’Angleterre sont
les Pays-Bas ( actuels ) ! Il y a donc des liens entre des convictions religieuses et un certain type
d’activité économique.

En Belgique, nous sommes bien placés pour relativiser l’impact du protestantisme sur le
capitalisme car la Belgique est un pays à majorité catholique. Au moment de l’occupation par
l’Espagne des Pays-Bas du Nord et du Sud, lorsque les Pays-Bas actuels sont devenus
indépendants, les Protestants de nos régions ont migré vers les Pays-Bas actuels. Cela explique
pourquoi la Belgique est majoritairement catholique. Mais tout ceci n’a pas empêché la Belgique
de devenir l’une des premières nations au monde où s’est produite la révolution industrielle ! La
conviction religieuse n’est donc pas responsable à elle seule. La présence de gisements de
charbon et de minerais de métaux y est aussi pour qqch.

Le protestantisme a eu à la fois des répercussions négatives au travers de la tolérance


religieuse, des guerres, …mais aussi des répercussions positives du point de vue économique.

30. La révolution industrielle

C’est au milieu du 19es qu’a démarré la révolution industrielle. Cette révolution s’est basée sur
deux piliers essentiels :

- l’exploitation d’un combustible ( le charbon ) ;

- l’application de cette énergie à des machines d’un nouveau type. Il existait déjà des machines
de guerre depuis l’Antiquité mais grâce à ces nouvelles machines et au charbon, on a inventé une
exploitation nouvelle de l’énergie.

Une force motrice a été obtenue et s’est substituée à la force motrice de l’homme, des animaux,
de l’eau,… Elle a été utilisée d’abord dans la métallurgie, puis dans le textile et plus tard dans les
transports ( véritable révolution dans ce domaine ).

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La localisation des premiers foyers de l’industrialisation ( en Angleterre et en Wallonie ) est
directement liée à la présence de grands gisements de charbon. Dans la métallurgie et la
sidérurgie, le fer a d’abord été fabriqué en plus grande quantité et ensuite sa transformation a
augmenté.

Vers le milieu du 19es, le fer a évolué : l’acier qui est une variante plus dure que le fer a été
inventé ( inventeurs = Pécémer et Thomas ). Les gisements de minerais utilisés étaient d’abord
locaux et relativement importants. La conjonction du charbon et du fer a été un facteur très
favorable à l’industrialisation.

Dans le textile, la première opération mécanisée a été le tissage ( utilisation d’un moteur à vapeur
) alors que le filage est resté manuel jusqu’au début du 19 es pour être ensuite mécanisé
également.

Dans le domaine des transports, les grandes innovations de l’époque ont été le chemin de fer et le
bateau à vapeur ( première moitié du 19es ). Ces deux moyens de transports ont révolutionné les
capacités de transport et la rapidité du transport des marchandises.

Entre 1750 et 1850 ( 1er siècle de la révolution industrielle ), deux phénomènes opposés se sont
produits : d’une part, l’extension de l’emploi industriel et d’autre part, la diminution de l’emploi
agricole et dans une certain mesure, la diminution de l’emploi artisanal.

L’exemple qui illustre bien la concurrence entre l’industrie et l’artisanat est le tissage mécanique
qui a privé des millions de personnes de travail ( problématique de reconversion propre à la
révolution industrielle ).

L’emploi industriel s’est étendu dans l’extraction de charbon et de minerais, dans la sidérurgie,
dans la métallurgie. Le travail industriel dans l’industrie textile est devenu par la suite l’un des
grands employeurs industriels.

Cette extension de l’emploi a néanmoins engendré une situation sociale très difficile. En effet, il
y avait un très grand nombre de travailleurs peu qualifiés. Ceux-ci disposaient d’un travail mais
étaient faiblement rémunérés. Un petit nombre d’ouvriers qualifiés ne récoltaient pas un salaire
aussi bas mais ce salaire était loin d’être élevé. Une misère sociale a donc accompagné l’essor
économique dû à l’industrialisation.

D’ailleurs, la misère sociale de l’époque a entraîné par la suite la formation de mouvements


d’émancipation et de libération des ouvriers pour améliorer leurs conditions de vie de travail
( parti ouvrier, mutualités ouvrières,…). Ces mouvements ont seulement connu un essor dans la 2 e
moitié du 19es.

En Europe occidentale, les mouvements ouvriers ont en une centaine d’années réussi à obtenir des
avantages considérables pour toutes les catégories de travailleur salariés.

La révolution industrielle, sur le plan économique, a entraîné une extraordinaire croissance de la


productivité. Dans la production manufacturière, il y a également eu des gains de productivité
très importants. Cependant, dans certains secteurs, la productivité a augmenté faiblement alors
que dans d’autres, elle s’est accrue de façon exponentielle !

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Le secteur de l’extraction de charbon est longtemps resté l’une des industries où le travail
manuel était prépondérant ( jusqu’au début du 20es ). Cela était dû au fait que la mécanisation
appliquée à l’extraction du charbon consistait simplement en l’installation de « tuyaux » pour
évacuer l’eau du fond des mines et en le transport du charbon à la surface.

Mais l’abattage du charbon et le creusement des galeries sont demeurés purement manuels
jusqu’au 20es. Le marteau perforateur mécanique s’est diffusé seulement dans les années 50 !
Voilà la raison pour laquelle le charbonnage a été un secteur industriel où la productivité est
restée relativement basse.

Un autre secteur qui a beaucoup profité de l’industrialisation mais dont la productivité ne s’est
pas tellement accrue était le secteur de la construction. Ce domaine a été très tardivement
mécanisé ( 20es ) avec l’apparition de grues, de machines,… La partie manuelle du travail est là
aussi restée prépondérante.

En revanche, dans la sidérurgie, avec les hauts fourneaux, on est parvenu à fabriquer des
quantités beaucoup plus importantes qu’auparavant. Dans la fabrication mécanique du textile,
l’augmentation de la productivité a été exponentielle. C’est donc entre ces deux extrêmes que se
situait la productivité de la majeure partie des sous-secteurs de l’industrialisation.

Petite comparaison avant-après la révolution industrielle :

Avant : les estimations montrent que la production manufacturière avant 1750 a augmenté d’un
facteur 1,5 à 2 ( depuis l’Antiquité ).

Après : depuis 1750 et jusqu’en 1990, on estime qu’il y a eu un facteur de croissance de 40 à 45 !

Or, sur le plan structurel et de l’emploi, l’augmentation de la productivité a toujours eu un effet


pervers qui nous poursuit jusqu’à aujourd’hui : plus la productivité augmente, moins la main
d’œuvre est nécessaire. Cela a été le cas pour l’agriculture ( seuls 2 à 3% de la population active
travaille dans ce secteur dans les pays développés ).

Dans le secteur de l’industrie, nous n’avons pas atteint le même pourcentage. Mais il est clair que
dans un pays comme la Belgique, l’emploi industriel a fortement baissé à cause des délocalisations,
de la fermeture des charbonnages,… Les industries qui subsistent demeurent toutefois
nettement plus productives que par le passé alors qu’elles emploient moins de personnes !

Ces gains de productivité ont donc souvent eu des répercussions sociales : suppressions et de
diminutions d’emplois. Par conséquent, les travailleurs concernés ont dû se reconvertir. Cela n’a
pas toujours été possible pour les travailleurs. De ce fait, ces gains de productivités ont souvent
engendré du chômage.

L’informatisation va aussi dans ce sens : elle crée de nouveaux emplois mais risque d’en supprimer
de nombreux !

L’expansion de la productivité a aussi provoqué une équilibre instable entre la production et la


demande qui se traduit par des crises économiques. Ainsi, il y a eu des déséquilibres graves entre
la quantité de matières produites qui attendent l’acheteur et la demande du marché ( pouvoir
d’achat de la population ).

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L’industrialisation a sur ce plan créé un problème qui n’existait pas auparavant. Depuis l’Antiquité,
on a connu diverses crises économiques mais elles étaient toutes liées à la disette, aux
catastrophes naturelles ou à la guerre. Ces crises économiques ne trouvaient donc pas leur
origine dans l’offre et la demande.

L’industrialisation s’est aussi traduite pas l’urbanisation ( nouvelle poussée après l’essor du Moyen
Age ). On estime que vers les débuts de notre ère ( en l’an 1 ), à peu près 9 à 12% de la population
mondiale était des citadins. Ce taux s’élevait vers 1700 en Europe à 13-15%. Depuis 1700, la
population urbaine a fortement augmenté.

En Europe, même dans la partie peu urbanisée de l’Europe ( la Russie y comprise ), la population
urbaine a atteint avant la première guerre mondiale les 34% et a dépassé les 50% en Europe
dans les années 60. Elle a atteint les 70% vers 1990. Dans certains pays, ce taux a été atteint
plus tôt ( au Royaume Uni à la veille de la première guerre mondiale ). Aujourd’hui, ce taux de
70% est dépassé en Amérique du Sud ( 75% ), en Amérique du Nord ( 76% ) et en Europe. En
revanche, en Asie et en Afrique, ce taux n’atteint que les 35% ( 1995 ).

Ce taux est un bon indicateur du développement économique différent dans ces parties du
monde. L’augmentation de la population citadine a entraîné une augmentation de la taille des villes.
Les premières mégalopoles sont apparues…

Auparavant, aucune ville du monde n’avait dépassé les 2 millions d’habitants. En 1900, par
exemple, la ville de Londres comptait déjà 6,6 millions d’habitants et Paris 4,5 millions
d’habitants ! En 1995, la plus grande agglomération du monde ( Tokyo ) dépassait les 26 millions
de personnes ! Dans le monde entier, on a compté dans le monde entier 315 agglomérations de
plus de 1 million d’habitants.

Toujours en 1995, les cinq plus grandes agglomérations du monde étaient Tokyo, Sao Paulo, New
York, Mexico City et Bombay. Elles avaient ensemble autant d’habitants que l’ensemble des
citadins qui peuplaient vers 1700 les 10 000 villes qui existaient dans le monde !

Indirectement, l’industrialisation nous a aussi apporté une extension de l’enseignement primaire,


secondaire, supérieur et universitaire. En effet, l’industrialisation s’est basée sur de nouvelles
techniques et connaissances. Il a donc fallu des gens qui aient l’esprit inventif mais qui aient aussi
un certain savoir technique et théorique.

La technologie de la vie quotidienne a nécessité de plus en plus un savoir normalisé ( écriture,


calcul ) qui est ensuite devenu une nécessité pour la population entière. De ce point de vue,
l’industrialisation a entraîné une augmentation favorable du niveau scolaire, intellectuel, culturel,
… des populaces. Ce n’est donc pas un hasard si c’est dans le monde développé que l’on trouve le
plus d’universités et le plus grand taux de jeunes qui suivent un cursus universitaire ( 40%) !

Cela marque une évolution qui n’est pas terminée et qui s’avère plus imprégnante que jamais
puisque depuis quelques années, nous serions entrés dans une nouvelle phase de l’industrialisation.
Cette phase ne serait plus basée sur le charbon et le textile mais sur l’énergie atomique,
l’informatique, bref la connaissance.

L’économie industrielle d’aujourd’hui serait donc une économie de la connaissance. Seuls


survivraient les travailleurs, les pays qui se mettraient à la hauteur des exigences de l’économie
de la connaissance. A priori, tous le pays auraient donc tendance à étendre encore d’avantage

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l’enseignement supérieur et universitaire pour permettre aux populations actuelles d’acquérir un
maximum de savoir pour faire face à l’économie de la connaissance.

Enfin, l’industrialisation est aussi à la base du fossé de plus en plus grand entre pays développés
riches et pays sous-développés, pauvres ou moins riches. Ce clivage entre pays riches et pauvres
est né avec l’industrialisation parce qu’auparavant, les différences qui existaient entre régions
pauvres et riches n’ont jamais atteint une importance comparable à aujourd’hui. Ainsi la
croissance économique était-elle tellement faible que même les régions les plus développées
n’étaient pas plus développées que les régions les plus pauvres !

Paul Bairoch estime que l’écart extrême en terme de niveau de vie entre régions riches et
pauvres avant l’industrialisation se limitait à 40 voire 50% de plus que les pays les plus pauvres
( cela n’est pas énorme ). Or, si on prend l’exemple du Royaume Uni ( 1 re puissance industrielle
dans le passé ) et si on compare le PNB du Royaume Uni en 1860 avec le PNB des pays du Tiers
Monde d’aujourd’hui, le PNB de 1860 du Royaume Uni dépasse de 200% le PNB actuel de ces
pays !

Vers 1913, le PNB du Royaume Uni est de 440% supérieur à celui des futurs pays du Tiers
Monde ! Et à la même époque, le PNB des Etats Unis est de 600% supérieur au PNB du Tiers
Monde ! Aujourd’hui, le PNB des pays les plus riches au monde comparé au PNB des pays sous
développés est supérieur de 1100% !

Ces chiffres illustrent bien l’écart croissant entre le niveau de vie des plus riches et des plus
pauvres. Le fossé se creuse de plus en plus. Il ne faut pas oublier que la pauvreté du Tiers Monde
est aussi due au fait que les pays industrialisés étaient les colonisateurs de ces pays ( Afrique,
Asie ).

Les colons ont apporté la vraie religion ( la religion chrétienne ) et la civilisation ( ?). Mais leur
intérêt était surtout d’exploiter les matières premières des pays colonisés ( tout comme au
16es ). Les pays riches et industrialisés ont donc utilisé leur puissance pour dominer d’autres pays
et les exploiter.

Nous gardons une certaine dette morale envers ces autres parties du monde qui se sont
émancipées politiquement après la seconde guerre mondiale au travers de guerres de
décolonisation ( l’indépendance du Congo Belge date de 1960 ! ).

Cette libération n’a souvent pas débouché sur un développement économique comparable à celui
des pays développés et ce pour diverses régions.

Le pays développées se doivent donc de venir en aide à ces pays.

31. Pour information

L’usine Duferco de La Louvière est une nouvelle fois en difficulté. Cette usine fonctionne
uniquement avec de la ferraille récupérée. On peut donc comparer son fonctionnement à celui du
métier de chiffonnier. La collecte de ferraille ne se fait cependant plus comme par le passé.
Aujourd’hui, ce sont des entrepreneurs qui collectent la ferraille. Parfois, à Bruxelles, on a
encore la chance de rencontrer des ferrailleurs ambulants mais c’est rare !

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En Wallonie, il existe beaucoup de musées qui présentent un intérêt avec le cours, sur l’économie
sociale et industrielle ainsi que l’histoire agricole. L’écomusée de Treignes dispose d’une belle
exposition permanente sur l’agriculture. Ce musée est aussi très actif sur le plan du folklore et
de la tradition orale ( ouvrages ).
Autre exemple : l’écomusée de Bois-du-Luc ( près de La Louvière ). C’est un ancien charbonnage
( l’un des plus anciens de Wallonie ). On ne peut plus descendre dans les galeries mais on peut
encore visiter les bâtiments des charbonnages. Une citée ouvrière construite par les patrons du
charbonnage peut aussi être visitée. C’est une véritable petite ville avec son hôpital, ses crèches,
ses magasins et aussi sa propre fanfare !

Point d’actualité concernant la religion : l’Europe veut se doter d’une Constitution. Certains
pensent que le christianisme devrait y être mentionné. Pourtant, que ce soit le christianisme ou le
protestantisme, aucune de ces religion n’a été marquée par la tolérance. En plus, elles ont des
difficultés à s’adapter à la modernité ( surtout l’Eglise Catholique ). Le christianisme et le
protestantisme ont aussi été longtemps une source de conflits entre Européens. Ils n’ont pas été
non plus porteurs de tolérance lors des croisades, colonisations,… Bref, c’est donc difficile
d’accepter cette religion « texto » dans la définition de notre identité européenne actuelle
malgré les conséquences louables et positives qu’elle a engendrées.

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