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Problèmes étudiants
Le texte qui suit n’a d’autre objet que de tenter de
définir aussi exactement que possible les bases théoriques
sur lesquelles peut se développer l’analyse des problèmes
propres aux étudiants. Ce m êm e texte contient également
un premier essai d’analyse.
Il est proposé à la réflexion et, bien entendu, à la cri
tique des intéressés.
II
III
Comme ce savoir met directem ent en cause la fonction péda
gogique sur laquelle est fondée l’Université, il est nécessaire d’eo
faire l'analyse objective.
La fonction pédagogique a pour objet de .. transmettre un
savoir déterminé à des sujets qui ne possèdent pas ce savoil. La
situation pédagogique repose donc sur la condition absolue d'une
inégalité entre un savoir et un non-savoir. Ceux à qui la société
transmet, dans ses institutions pédagogiques, le savoir qu’elle
décide de leur faire assimiler, représentent le côté du non-savoir,
ou, si l'on préfère, puisqu'un non-savoir est toujours un certain
savoir, le côté du savoir inégal-inférieur. Ceux que la société
charge de transmettre aux non-savants le savoir qu'ils possèdent,
représentent le côté du savoir, ou du savoir inégal-supénew.
Le fameux rapport maître-élèves, professeurs-étudiants est l’ex
pression technique de ce rapport pédagogique fondamental En
règle générale la société assigne la fonction de maîtres à des
1. Je précise, pour éviter tout malentendu, qu’il
s’agit, dans le problème de l’activité enseignant-
étudiant, de distinguer la fonne de l’enseigne
ment (méthodes pédagogiques plus ou moins
valables) et le contenu de l’enseignement (SA
VOIR plus ou moins scientifique, ou plus ou
moins idéologique); puis, une fois cette distinc
tion faite, de déterminer quel est le point princt-
pal, et quel est le secondaire — l’élément domi
nant et l’élément subordonné. C’est le contenu
(le savoir) qui est dominant, et la forme qu*
est subordonnée.
Bien entendu, cette conclusion n’implique f^s
qu’il faille négliger la transformation des for
mes de l’enseignement ! Mais qu’il faille la trai
ter dans sa réalité, c’est-à-dire en fonction du
contenu qui la domine en dernière instance,
c’est-à-dire en fonction du savoir enseigné.
anciens étudiants, devenus maîtres, qui sont donc plus âgés
que leurs élèves. Mais les maîtres peuvent, dans certains cas
(cours pour personnes âgées, cours de réorientation, etc.) être
plus jeunes que leurs élèves : c'est très fréquemment le cas
dans des situations de grandes transformations politiques et
sociales, lorsqu'il s'agit par exemple d'alphabétiser des grandes
masses (U.R.S.S. après 1917; Chine après 1949; Cuba; Algérie
aujourd'hui, etc.) ou de donner un enseignement de base à des
responsables politiques issus directement des masses (ex. : les
Rabotfak en U.R.S.S. dont parle Khrouchtchev, qui en a été
l’élève, etc.). Dans tous les cas, ce n'est pas, du moins dans les
sociétés non primitives, sur la différence des générations en tant
que telle que repose le rapport maître-élèves, mais sur le rapport
pédagogique fondamental entre un savoir et le non-savoir de ce
même savoir.
Un mot d'ordre qui proclame « La Sorbonne aux étudiants »
doit être examiné sous ce rapport précis. Si ce mot d’ordre
signifie : la Sorbonne n'appartient pas à la police, il est exact;
mais la Sorbonne n'appartient pas non plus aux seuls étu
diants, elle appartient aussi à leurs maîtres, et à l’organisa-
tioh~qüî“permet au rapport pédagogique de s’acquitter de sa
fonction, donc également aux administrateurs « techniques » de
la Sorbonne. Oublier, dans un mot d’ordre dirigé contre le gou
vernement qui fait entrer la police dans la cour d’honneur de
la Sorbonne (le Recteur était-il d’accord? S'il était d’accord,
lui a-t-on rappelé les franchises de l’Université ? S'il n'était pas
d'accord, l'a-t-on soutenu, publiquement ?) les professeurs et les
administrateurs (dont certains sont des professeurs élus par leurs
pairs) de la Sorbonne, c’est pédagogiquement une erreur, et poli
tiquement une injure aux convictions de la majorité des profes
seurs.
Mettre en avant la différence des générations, pour combat
tre un certain nombre d'institutions effectivement rétrogrades,
peut être aussi une erreur. Ce n'est pas l’âge, ni des hommes ni
des institutions, qui détermine automatiquement leur valeur péda
gogique, mais le rôle effectif qu'ils assument dans le procès
pédagogique. Ce n'est pas parce que l’agrégation date de près
de deux siècles qu’elle doit être supprimée. Elle doit être au
contraire défendue tant qu’il ne sera pas possible d’imposer une
forme de recrutement qui joue, soit au moins le rôle pédagogique
qu'elle joue effectivement, en dépit de bien des imperfections,
soit un rôle pédagogique (concernant les formes de transmission
du savoir) réellement supérieur au rôle qu’elle joue présente
ment. Ceux qui seraient systématiquement contre « l’ancien »
pour le « nouveau » doivent être mis en garde contre le piège de 91
5 la « nouveauté * gouvernementale. La technocratie regorge
d'idées neuves et d'hommes intelligents. On ne saurait en effet
§ confondre une revendication de renouvellement scientifiquement
^ fondée qui est toujours objectivement progressiste, avec le sim.
5 pie attrait du nouveau, qui peut conduire tout droit à l’utopie et
J à ses dangers politiques.
"§ Toutes les questions pédagogiques, qui supposent l'inégalité
û. du savoir entre les maîtres et les étudiants, ne peuvent être
réglées sur un pied d'égalité pédagogique entre les maîtres et les
étudiants. Que les étudiants soient représentés dans tous les orga
nismes représentatifs ou consultatifs de direction d'une Faculté
ou d'une Ecole, et s’il s’agit des étudiants ayant l'âge de fré
quenter l'Université, est une revendication légitime. Que les étu
diants demandent que, dans ces organismes pédagogiques, leur
représentation et leurs pouvoirs de décision équilibrent paritai
rement les représentations et pouvoirs des délégués des profes
seurs, est un mot d'ordre erroné, car il ne correspond pas à la
réalité de la fonction pédagogique. Que les étudiants deman
dent une représentation paritaire, voire majoritaire, dans la ges
tion des œuvres étudiantes, qui n'assurent pas une fonction péda
gogique, mais une fonction sociale, c'est là un mot d'ordre
juste, car il correspond à une réalité sociale et politique et non
à une réalité pédagogique. Que les étudiants demandent une
représentation convenable à leur place et leur importance dans
les organismes consultatifs d'adm inistration générale (non pro
prement pédagogique) est un m ot d'ordre justifié. Qu'ils étendent
un mot d’ordre (représentation paritaire) d'un secteur où il
est objectivement justifié (la cogestion des œuvres) à un sec
teur où il n'est pas justifié (cogestion des programmes et des
institutions proprement pédagogiques) constitue un transfert
erroné.
Lorsque des étudiants souhaitent que leurs rapports de
travail avec leurs professeurs, qui supposent généralement,
même dans l'enseignement supérieur, l'inégalité entre un savoir
et le non-savoir de ce savoir, soient organisés comme s'il exis
tait une véritable égalité de savoir entre m aîtres et élèves, ils
risquent de s'engager dans une confusion. L 'attrait qu'exerce la
recherche scientifique peut entretenir cette erreur. Les formes
collectives de travail, qui existent dans la pratique de la recher
che scientifique, supposent justem ent cette égalité du savoir entre
les chercheurs, qui rend leurs échanges et leur collaboration
féconds. Si cette égalité existe effectivement, alors le rapport
pédagogique cesse, et un rapport de collaboration scientifique le
remplace. Mais la recherche ne suppose pas seulement légalité
92 du savoir : s'il suffisait, pour constituer un groupe de recherche,
de rassembler un groupe d’hommes ou de jeunes hommes égaux
quant à leur savoir, on pourrait aussi bien avoir affaire à des
groupes de « demi-chercheurs » voire de demi-ignorants, c'est-à-
dire de faux chercheurs, qu’à de groupes de vrais chercheurs. La
recherche scientifique, dans tous les domaines où ce mot a un
sens, suppose non l'égalité dans n'importe quel savoir, mais l'éga
lité dans le savoir indispensable pour pouvoir prétendre à faire,
non un simulacre de recherche, — qui durera tout juste le temps
de découvrir son illusion ou sa vanité, et qui peut décourager
ceux qui s’y sont donnés, de toute autre forme, rationnelle, de
travail collectif pédagogique qui pourrait leur être proposée pour
tant avec de vraies raisons — mais une vraie recherche. Les étu
diants peuvent se convaincre qu'il faut une longue formation pour
pouvoir véritablement faire de la recherche, à moins d'entendre
par recherche des formes de division technique de la recherche
parcellaire, baptisées telles par la société capitaliste, et qui abon
dent dans les sciences de la nature et les sciences humaines, où
les « chercheurs » sont plus des exécutants aveugles de tâches
parcellaires fixées par d'autres, que de véritables chercheurs :
les « demi-chercheurs », victimes des conséquences de l'idéologie
positiviste régnante dans la recherche même. En tout cas, il ne
faut pas appeler recherche la simple redécouverte personnelle
(ou collective) d'un savoir déjà existant. Sinon il faudrait tenir
(c'est parfois le cas invoqué dans les exemples proposés) un tra
vail bibliographique pour un travail de recherche scientifique.
Un travail collectif, qui a pour but l’assimilation d’un savoir
existant, peut avoir un sens rationnel. L’organisation méthodi
que de ce travail collectif a un sens : il peut épargner beau
coup de temps et d'efforts aux étudiants. Mais pour hâter l'assi
milation d'un savoir existant, la méthode qui consiste à partir,
muni de bonnes résolutions « participationnelles », mais dans la
nuit, est techniquement mauvaise : un travail collectif volontaire
n'a de sens que s’il est dirigé par des maîtres ou assistants possé
dant justement le savoir que les étudiants doivent acquérir et la
technique scientifique de l'acquisition de ce savoir : cette tech
nique scientifique s'intitule la « pédagogie ». L’idéologie de l'au-
todidactisme, même généreuse (son enthousiasme ne peut en fait
jamais durer longtemps) qui se méfie de toute forme « direc
tionnelle »; qui distingue entre les groupes de travail « classi
ques » dirigés par les assistants, considérés comme groupes de
travail vieux-style et quasi-passifs, et les groupes de travail
« authentiques », parce que « démocratiques » (c’est-à-dire réti
cents à l'égard des secours qu’on peut attendre d'un assistant)
ces derniers groupes étant considérés comme les vrais G.T.U.
où les étudiants « prennent en main la responsabilité de leur 93
§ propre formation » —* cette tentation autodidactique, même dite
J « démocratique », repose sur une conception inexacte de la
*§ réalité non seulement du travail de recherche, mais même du
simple travail pédagogique (qui supposent l'aide de ceux qui
S possèdent le savoir que les étudiants ont pour tâche d'acquérir).
, | Cette conception anarchistes dém ocratique » de la pédagogie (qui
•g trouve ses titres théoriques dans certains idéologues bourgeois de
£ la pédagogie ou de la « psychosociologie ») ne peut procurer aux
étudiants que des déceptions alors que l'initiative par laquelle
1UN.E.F. a appelé les étudiants à form er partout des G.T.U. est
une initiative profondément juste et féconde. C’est une absurdité
de perdre du temps à redécouvrir p ar des moyens incertains, et
au prix d'efforts considérables, un savoir pour lequel il existe une
voie infiniment plus directe parce que rationnelle. Les étudiants
qui agiraient ainsi retarderaient en fait le m om ent où ils auraient
acquis la formation requise pour devenir les chercheurs qu'ils
veulent être.
Ils risquent aussi très souvent de s’aliéner la bonne volonté
de leurs professeurs, qui sont injustem ent tenus en suspicion
dans leur propre activité pédagogique, et dans la validité de leur
savoir tenu pour superflu. Ils peuvent même se les aliéner politi
quement, au point de transform er les alliés possibles ou les cama
rades de combat, que sont de nom breux professeurs, en adver
saires de la cause syndicale ou politique que défendent les étu
diants. En retardant leur form ation scientifique, les étudiants
qui se contentent de méthodes « participationnistes » où ils se
donnent l'illusion « démocratique » du savoir, se maintiendraient
longtemps dans un demi-savoir, c'est-à-dire dans un état qui ne
leur donne pas les armes de la connaissance scientifique.
Ce n’est pas un hasard si, en toutes choses, un gouverne
ment bourgeois réactionnaire ou « technocratique », préfère les
demi-savoirs, et si, au contraire, la cause révolutionnaire est tou
jours indissolublement liée à la connaissance, c'est-à-dire à la
science. Il est beaucoup plus facile de m anœ uvrer des intellec
tuels de faible formation scientifique, que des intellectuels de
haute formation scientifique, de les m anœ uvrer et de les sou
mettre à une politique, qui, quoi qu'en disent certains, est
conduite par des hommes d’une grande habileté. Ce que le gou
vernement craint par-dessus tout, c'est la form ation scientifique
et critique approfondie des intellectuels qu'il est bien obligé de
former, pour se fournir en cadres scientifiques, techniques et
autres, professeurs, etc. La baisse du niveau scientifique (qui
peut être en partie le résultat involontaire, certes, mais très réel,
de certains mots d'ordre purement « participationnistes », qui
94 manifestent une méfiance à l'égard des moyens effectifs de l'ac-
quisition réelle et de l'approfondissement du savoir scientifique
et théorique), sert objectivement la politique gouvernementale,
non seulement à court terme, ce qui est déjà grave, mais à moyen
terme et à long terme, ce qui est extrêmement grave.
Quelles sont donc les revendications « économiques » que les
étudiants peuvent, à mon sens, se donner sur la simple base de la
situation pédagogique, de la réalité pédagogique qui fait d'eux
des étudiants, ayant à recevoir de leurs maîtres un savoir qu'ils
ne possèdent pas encore ?
1. D'abord des revendications concernant les conditions maté
rielles de leur activité intellectuelle : nouvelles facultés, aména
gement des anciennes facultés, salles de cours en quantité suf
fisante; amphis, installations convenables pour les T.P., etc.;
bibliothèques, labos, etc. Dans ces conditions figure l’allocation
d'étude dont on dira un mot plus loin, le logement et les problè
mes de restaurants, de l'assistance, etc. Ce sont là des mots d'or
dre bien connus de l'U.N.E.F.
2. Ensuite des revendications concernant les conditions intel
lectuelles de leur activité : augmentation du nombre des pro
fesseurs; multiplication massive du nombre des assistants et
maîtres-assistants, les seuls qui pourront être, si leur nombre
est assez élevé, en contact direct et personnel avec le groupe
de leurs étudiants (qui, pour deÿ raisons techniques-pédagogi-
gues, ne devrait pas excéder un chiffre oscillant, selon les disci
plines, entre 15 et 30); inscription, dans les horaires réglemen
taires des assistants et maîtres-assistants, des heures consa
crées à l'assistance aux groupes de travail (G.T.U.) organisés
par les étudiants. Il arrive en effet, comme ce fut le cas après la
dernière grève de l'Université que les revendications étudiantes
en matière d'augmentation de postes d'assistants, soient en partie
« satisfaites » sous la forme soit d'heures supplémentaires prati
quement imposées par les Directeurs d'études à des assistants,
généralement les plus dévoués — ou sous la forme du rappel à
l'enseignement d'un chercheur, ou plus simplement sous la forme
d’heures de « monitorat » accordées à un professeur du secon
daire, en plus de ses charges normales dans le secondaire. Un
résultat dont le prix est donc en partie payé par les plus géné
reux ou les moins favorisés des professeurs ou assistants. Les
étudiants veilleront à protester contre certaines de ces mesures
de « rafistolage », qui leur donnent des satisfactions. Toutes ces
revendications doivent être étudiées en commun avec les syndi
cats des professeurs (S.N.E. Sup., Recherche), en prenant garde 95
g de se couper des professeurs du secondaire (une formule comme;
•2 « le gouvernement poursuit la secondarisation de l'Université »s
J est injuste à l'égard de nos camarades du secondaire, qui font
leur travail dans des conditions épouvantables, et qui acceptent
g néanmoins des postes de « moniteurs », qui sont les demi-soldes
& non pas intellectuels mais pécuniaires de l'Université). Il faut
3 demander la transformation des postes d'assistants et de maîtres-
^ assistants, l'augmentation massive des postes d'assistants et
maîtres-assistants, la fin de l'obligation faite aux assistants et
maîtres-assistants d'assurer des heures supplémentaires, etc.
3. Des mots d'ordre concernant la rationalisation des for
mes d'enseignement : reconnaissance officielle des G.T.U. assis
tés par les professeurs, maîtres-assistants et assistants (y com
pris salles de travail, locaux pour les G.T.U., etc.)3. Transforma-
Problèmes étudiants
Car leurs fins politiques et sociales ne sont pas des idéaux vides
et arbitraires, sans rapport avec la réalité présente et le déve
loppement de la réalité présente. Elles ne sont pas non plus des
fins réelles et réalistes, qui, même généreuses, devraient être
atteintes par n'importe quel moyen (la fin bonne justifiant les
moyens, y compris l'utilisation, l'exploitation de la conscience
syndicale et de l'organisation syndicale des masses) : les commu
nistes ne sont ni des utopistes ni des volontaristes. Les fins pour
suivies par les communistes sont fondées réellement, dans la
réalité, et ce fondement des fins dans la réalité objective est le
résultat d'une analyse scientifique de la réalité, effectuée sur la
base de la science marxiste-léniniste du développement de la
société. Ces fins politiques et sociales générales sont donc fon
dées dans la réalité présente, et on doit pouvoir le vérifier jus
que dans le détail, y compris au niveau de la revendication
« économique ». La réalité « économique » elle-même, dans
ses formes les plus immédiates (celles qui concernent les condi
tions d'existence et de travail de chaque catégorie de travailleurs,
donc leurs revendications et les mots d'ordre « économiques »)
doit donner lieu à cette analyse, à cette démonstration. C'est sur
cette nécessité rationnelle qu’est fondée la pratique syndicale
des communistes. Lorsqu'ils analysent patiemm ent, scientifique
ment, les conditions de vie et de travail de leur catégorie pro
fessionnelle, les communistes qui m ilitent dans le syndicat
retrouvent en fait, dans leur domaine propre, le fondement réel
(quoique partiel, car chaque catégorie occupe seulement un sec
teur déterminé et partiel dans le processus de production total),
donc scientifiquement analysable, des fins politiques générales
poursuivies par le Parti; ils retrouvent en fait dans la réalité
même qui donne lieu aux revendications « économiques » la
réalité du lien qui doit les unir, directement ou indirectement, aux
fins politiques du Parti, qui sont fondées sur l'analyse de la
réalité sociale existant dans son ensemble et la nécessité imma
nente de son développement.
C'est pourquoi toute revendication économique bien fondée,
c'est-à-dire reposant sur une analyse scientifique des conditions
de vie et de travail de la profession, contient nécessairement
en elle-même une signification directement politique, et conduit
de proche en proche aux objectifs politiques généraux définis
par le Parti. Cette signification, directem ent politique, incluse
dans dans toute revendication « économique » juste, c'est-à-dire
scientifique, peut donner lieu à un m ot d’ordre directement poli
tique, ou demeurer latente, à l'état de mot d'ordre « économi-
100 que ». Tout dépend alors de l'état de la conscience politique
des travailleurs. Comme la revendication « économique » juste
est fondée sur la réalité des conditions de vie et de travail de la
profession, tous les travailleurs peuvent en reconnaître la justesse,
l'adopter et la défendre. Leur expérience politique propre, éclai
rée par les explications politiques que leur donne l'organisation
communiste de l'entreprise, peut les conduire à prendre direc
tement conscience du sens politique de leur revendication éco
nomique juste. Par là certains d'entre eux accèdent à la cons
cience politique et deviennent des révolutionnaires, qui vont
grossir les rangs de l'organisation politique. Mais de toutes
façons la majorité des travailleurs de la profession reste tou-
jours sur des positions économiques, syndicales, sans adhérer
à l'organisation politique. Dans ce cas, si la revendication éco
nomique est juste, les communistes n'ont pas de peine à mon
trer son lien objectif avec les objectifs politiques et les mots
d'ordre politiques du Parti, à condition de donner les explications
objectives et scientifiques indispensables à l'intelligence de la
nécessité de ce lien, et des objectifs en cause.
C'est en ce sens que les revendications et les mots d’ordre
du syndicat, s'ils sont justes, c'est-à-dire scientifiquement fon
dés, peuvent soit directement, soit indirectement conduire à
des mots d’ordre politiques, déboucher sur une prise de cons
cience politique, et permettre de relier organiquement, et non
artificiellement, aux mots d'ordre politiques de notre temps —
qu'ils soient ses mots d’ordre internationaux comme la lutte
pour la paix (coexistence pacifique), la lutte contre l’impéria
lisme, le soutien du mouvement de libération nationale dans
les pays du « Tiers-monde »; nationaux comme la lutte contre
la politique des monopoles et le pouvoir gaulliste qui en est
l'instrument d'Etat; la lutte pour une démocratie rénovée; ou
plus spécialement universitaires et étudiants, comme la lutte
pour la sauvegarde des franchises universitaires, pour une vraie
réforme démocratique de l'enseignement, contre la barrière de
classe de la sélection étudiante dès le secondaire, la lutte pour
une allocation d’études — jusques et y compris la lutte pour le
triomphe, dans la sphère du savoir lui-même, de la vraie science
sur les demi-sciences ou sur l'idéologie, et la luttç.
formes rationnelles de l'enseignement (vrais G.T.U.* Î
/C
IV t *
Quels sont à mon sens les principes qui peuvent guider Tar©-.^
tion des étudiants communistes dans leurs tâches ptopre^,?
1) Leur tâche fondamentale est la tâche vis-à-vis de 1$ Xhéorie__
scientifique marxiste-léniniste. ^ ^
Cette tâche ne peut se confondre avec le concept trop vague f o i
de « travail idéologique », qui recouvre trop souvent deux réa-
Problèmes étudiants
lités distinctes. La dénomination « travail idéologique » recouvre
en fait :
a) Le travail théorique ou pratique théorique qui porte sur
les connaissances de la science m arxiste-léniniste, connaissance
qui doit donner lieu à un travail d'étude systématique, puis,
lorsque les conditions scientifiques sont réunies, à une recherche
scientifique dans la théorie m arxiste elle-même, pour l'enrichir
de découvertes scientifiques dém ontrées et démontrables.
b) Le travail idéologique, ou pratique idéologique, c'est-à-dire
l'action et la lutte idéologique : p a r quoi il faut entendre au
sens marxiste strict, la lutte idéologique, c'est-à-dire la lutte
menée, dans les différents domaines de l'idéologie existante (reli-
gion, « philosophie » — c'est-à-dire philosophies non marxistes. —
droit, morale, art, etc.) contre ces idéologies, pour les critiquer,
les réduire, les affaiblir ou les transform er, tout en permettant à
ceux qui en sont les victimes abusées de s'en libérer, c'est-à-dire
pour les aider à s'en libérer, et passer de la servitude idéologique
à la liberté scientifique.
Cette lutte idéologique repose bien entendu sur les principes
de la science marxiste-léniniste, sur la théorie marxiste-léniniste :
mais elle ne se confond pas avec elle. Elle est u n i pratique spéci
fique, l'application scientifique des principes théoriques marxis
tes dans le domaine de l'idéologie, tout comme la lutte politique
est l'application, dans le domaine de la réalité politique, des prin
cipes de la théorie marxiste, et la lu tte économique est l'applica
tion, dans le domaine de l'économie, de la théorie marxiste.
Prendre la lutte idéologique ou pratique idéologique marxiste,
(qui est seulement l'application pratique de la théorie marxiste
dans le domaine objectif de l'idéologie existante, et non pas la
théorie marxiste elle-même, ou pratique théorique marxiste)
pour la théorie marxiste elle-même, est une grave erreur théori
que, qui a inévitablement, comme toute erreu r théorique, des
conséquences pratiques néfastes. La théorie ou pratique théori
que comme telle (qui a pour objet l'objet de la science marxiste,
c'est-à-dire l'objet du matérialisme dialectique : la distinction de
la science d'avec l'idéologie, et toutes ses conséquences concer
nant le matérialisme, — théorie —, et la dialectique, — métho
de —, de cette pratique scientifique; et l'objet du matérialisme
historique : le développement des form ations sociales), ne peut
en aucun cas être théoriquement confondue avec la pratique
idéologique, qui a un tout autre objet : à savoir l'application
pratique des principes et conséquences théoriques de la théorie
marxiste-léniniste au domaine objectif de l'idéologie existante.
La tâche fondamentale de toute organisation communiste
concerne ses devoirs à l'égard de la théorie marxiste-léniniste,
— condition préalable de la lutte dans le domaine de l'idéologie
comme dans les domaines économique et politique.
Elle implique — me semble-t-il — deux obligations :
a) l'assimilation par tous les étudiants communistes de la
théorie marxiste-léniniste;
b) la diffusion, la défense et l'illustration de la théorie
marxiste-léniniste.
L'assimilation de la théorie par les étudiants communistes
est une obligation faite à chaque étudiant communiste. Mais
l'organisation peut, pour son compte, donner aux étudiants les
moyens appropriés, soit sous forme de Groupes de Travail Théori
que, soit par la participation aux organisations existantes (C.E.
R.M., Université Nouvelle, etc.)
La diffusion de la théorie marxiste-léniniste ne peut se résu
mer dans la vente de la « littérature », des ouvrages classiques
du marxisme, etc. Clarté pourrait contenir, à mon sens, en cha
cun de ses numéros, soit un exposé fondamental d'un point de
théorie marxiste, soit l'explication d'un texte essentiel de Marx,
Engels, Lénine, etc. Des conférences destinées au large public
étudiant pourraient être organisées dans les villes universitaires
par l'U.E.C., en liaison avec les universitaires communistes et
les chercheurs membres du C.E.R.M. Les étudiants trouveront
eux-mêmes les formes les plus appropriées. Un cours de philoso
phie marxiste et de matérialisme historique pourrait être édité
le moment venu, pour aider à la diffusion de la théorie marxiste.
Cette diffusion de la théorie marxiste doit être envisagée
comme une tâche spécifique, distincte de la lutte idéologique
dans le domaine de l'idéologie théorique (critique philosophique,
gnoséologique, morale, juridique, religieuse, esthétique, idéaliste,
etc.) qui constitue une tâche différente, quoique liée à la pre
mière.
Toutes les autres tâches des étudiants communistes peuvent
se rattacher à cette tâche fondamentale. Elles sont conçues
comme des applications scientifiques de la théorie marxiste dans
les différents domaines de la pratique de la lutte économique,
politique et idéologique.
2) Lutte économique et lutte politique.
Je voudrais rappeler ici, en quelques mots, les principes
marxistes qui peuvent permettre d'éclairer une difficulté dont
les étudiants — et ils ne sont pas les seuls — ont fait depuis
longtemps l'expérience.
Les étudiants communistes militent dans le syndicat étu
diant, TU.N.E.F. 103
Leur action dans le syndicat est déterminée par la théorie
Problèmes «tfm/Amtt
marxiste-léniniste des rapports qre le Parti (ou une organisation
communiste) doit entretenir avec une organisation de lutte éco
nomique (le syndicat de masse).
La plate-forme d'un syndicat de masse (U.N.E.F.) ne peut
être identique à la plate-forme de l'organisation communiste
(U.E.C.). L'U.WE.F. exprime les revendications générales des rnas-
ses étudiantes, qui, n'ayant pas atteint le niveau de conscience
politique des communistes, ne peuvent adopter les positions poli
tiques de 1UE.C.
La plate-forme du syndicat étudiant comporte les revendica
tions « professionnelles », en particulier les revendications éco
nomiques de base : allocations d'études, restaurants universitai
res, logement étudiant, co-gestion des œuvres, représentation étu
diante dans les organismes universitaires; les revendications
matérielles et intellectuelles concernant les conditions du travail
universitaire, etc.
Si le syndicat peut aller au-delà, et prendre position sur des
questions directement politiques (comme il l'a fait à propos de
la lutte anticolonialiste et de la guerre d'Algérie, comme il le
fait sur la paix et le désarmement, contre la politique gaulliste
de la force de frappe, de la jeunesse, etc.), les étudiants commu
nistes soutiennent cette action politique dans la mesure du possi
ble, et aident l'action du syndicat à s'orienter vers des positions
politiques justes.
Les étudiants communistes tiennent compte d'une part de la
nature propre du syndicat étudiant, d'autre part de la théorie
marxiste des rapports entre une organisation communiste et le
syndicat de masse.
Le syndicat étudiant (i’U.N.E.F.) présente une caractéristique
particulière, du fait que les étudiants ne sont pas engagés dans
le processus direct de production ; leur travail n'est pas un tra
vail social, il ne produit pas de valeur d'échange. Le « produit »
du travail d'un étudiant, qui est Vassimilation progressive et
méthodique d'un savoir, n'est pas, en tant que travail intellectuel»
une marchandise. Il n'est pas une production de valeur, il est
une « consommation » d’un savoir accumulé, « consommation »
qui présente la caractéristique de conserver sous forme de capar
cités le savoir qu’elle consomme. Ces capacités définissent la
valeur de la force de travail de l'étudiant lorsqu'il trouve sur le
marché du travail une demande de travail (emploi) correspon
dant à son offre. Il peut « offrir » cette force de travail avant
la fin de ses études (ses capacités à un instant, en cours d'études)
10 4 sur le marché, par exemple en donnant, parallèlement à ses étu-
des, des leçons particulières, en faisant passer des c colles », er
remplaçant un médecin, ou en acceptant différentes formes de
travail noir. Mais alors, s'il continue ses études, il accomplit à
la fois deux travaux distincts : un travail social, producteur de
valeur d'échange (leçons particulières) rémunéré, et son travail
d'étudiant, activité d'assimilation d'un savoir.
Il est impossible, en théorie marxiste, de confondre l'activité
<?assimilation « consommation » d’un savoir, conservant ce savoir
sous formes de capacités, (elles-mêmes en transformation au fur
et à mesure que se poursuivent les études), avec un travail social
Le concept de « salaire étudiant » est donc sans base théorique^
du point de vue économique marxiste. La revendication étudiante
pour une rémunération doit donc être fondée sur une tout autre
base, en tenant compte du fait que le travail de l'étudiant n'est
pas un travail social directement producteur de valeur d'échange.
Ces conditions particulières font du syndicat étudiant un
syndicat particulier. Tous les syndicats ont pour but la défense
des intérêts économiques de leurs membres, insérés directement
dans le processus de la production. Le syndicat étudiant défend
les intérêts matériels et autres de ses membres qui ne sont pas
directement insérés dans la production sociale.
Cette condition particulière peut provoquer deux tentations.
1) La première consiste, comme on l’a vu parfois au cours dé
ces dernières années, à développer, en contradiction avec la
réalité, une théorie qui tente de démontrer que le travail étudiant
serait producteur de valeur d’échange, et devrait donc être rétri
bué comme force de travail produisant de la valeur. Cet effort
théorique ne peut aboutir. La réflexion des étudiants les a con
duits alors à concevoir la formation que donne la société aux étu
diants comme un investissement, devant assurer la qualification
élevée de la force de travail des futurs cadres du processus social
de production ; ils ont alors envisagé de revendiquer une rémuné
ration étudiante comprise dans l’investissement, ou fondée sur
l’étalement du salaire global, qui est actuellement perçu seule
ment pendant la période de vie productive (un « présalaire » à
valoir sur le futur salaire, comme à l'inverse, la retraite serait
un post-salaire perçu après le salaire). Formellement cette théori
sation est juste, mais elle fait abstraction de deux conditions
fondamentales. D'abord cet investissement, rémunération ou éta*
lement, suppose une société capable de planifier sur une longue
durée, soit ses investissements, soit l'étalement du salaire (c'est-
à-dire suppose que le régime capitaliste ne soit pas le régime
capitaliste). Ensuite le régime capitaliste n’éprouve manifeste
ment pas, dans l'état actuel de l'organisation universitaire (ce
pourrait être différent dans une réforme technocratique, on l'a 1 0 î
vu) le besoin de cette mesure : l'entretien de la force de travail
Problèmes étudiants
des étudiants étant grosso modo assuré par les ressources fami.
liâtes, des bourses et du travail noir.
Par là nous touchons à l'aspect vraiment important de la
question tant débattue de l'origine sociale des étudiants. Les étu
diants de l'Enseignement Supérieur, c’est-à-dire les étudiants qui
ont dû, dans leur grande masse, (à l'exception d'une minorité très
faible) aux ressources économiques de leurs parents, de pouvoir
poursuivre leurs études au-delà du secondaire, peuvent générale
ment subsister, (sous la réserve de la distribution d'un nombre
réduit de bourses d’études), c'est-à-dire entretenir leur force de
travail pendant la durée de leurs études. Tous les arguments
moraux ou psychologiques invoqués contre ce fait économique ne
peuvent entamer ce fait : le régime capitaliste, à moins de s’y
engager dans des conditions qu'il définirait lui-même, n'a pas
dans sa logique actuelle, de raison économique décisive de modi
fier une situation économique dans laquelle ressources familiales,
expédients personnels (travail noir) et quelques dizaines de mil
liers de bourses, assurent grosso modo la subsistance des étu
diants dans le cours de leurs études. La raison fondamentale de
cet état de fait, regrettable à bien des égards (du point de vue
moral et psychologique et du point de vue même des études,
comme l'ont bien vu les étudiants), tient justement au fait que
la majorité des étudiants de l'enseignement supérieur se recru
tent dans des milieux sociaux disposant d'une aisance soit tout
juste suffisante, soit suffisante, soit largement suffisante, pour
entretenir leurs enfants durant leurs études. L'origine de classe
i des étudiants, et la politique capitaliste économique actuelle, se
i rencontrent dans le statu quo, économiquement satisfaisant pour
| le régime capitaliste actuel, d’une activité étudiante non rému-
| nérée.
La position syndicale étudiante doit tenir compte de ce fait
et prendre une exacte connaissance des conditions qui aboutis
sent au maintien de ce statu quo, c'est-à-dire aux conditions de
classe du recrutement des étudiants de l’enseignement supérieur,
et de la politique gouvernementale qui obéit aux lois du capita
lisme. Le syndicat étudiant aboutira alors à la conclusion que
l’action revendicative doit tenir compte non seulement de l’atti
tude du régime capitaliste, qui est grosso modo satisfait de l’état
actuel, ou peut l'aménager dans une perspective technocratique,
mais encore et surtout des conditions de classe du recrutement
actuel des étudiants de l’Université. C'est au niveau du secondaire
que se fait le « choix », donc que joue le mode de sélection
effectif entre les candidats aux études du supérieur, et cette
106 sélection s’opère actuellement en fonction des revenus des famil•
les. Une revendication économique étudiante ne peut donc en
aucune façon se définir, sans tenir compte de cette réalité, c’est-
à-dire sans tenir compte du processus total de scolarité, et de
l'existence d'une barrière de classe de fait au niveau du secon
daire. La revendication étudiante économique fondamentale doit
donc être étudiée en tenant compte à la fois des besoins des élè
ves les plus défavorisés, dès le secondaire, et des besoins propres
aux étudiants, et elle doit être non pas utopique mais réaliste :
elle doit prendre la forme de la revendication d'une allocation
d’études distribuée selon les revenus familiaux dès le secondaire,
et étendue au supérieur dans des conditions d'application parti
culières». L'unité de revendication entre les différents ordres d'en
seignement, l'imité intersyndicale qui en résultera, et qui est
d'ores et déjà assurée de l'appui des organisations de la C.G.T.
et du Parti communiste, constitue la garantie de la possibilité
d'un succès dans la lutte.
2) Cette prise de conscience, et cette responsabilité vis-à-vis
des jeunes élèves du Secondaire, à qui la barrière de classe inter
dit actuellement l'entrée dans le Supérieur, protégera le syndicat
étudiant d'une seconde tentation : la tentation de substituer la
lutte politique à la lutte économique.
La condition étudiante, non insérée dans le processus de pro
duction directe, la difficulté de trouver le point d'insertion exact
et la formulation juste de la revendication économique fonda
mentale, peuvent pousser, et ont parfois poussé dans le passé,
vers ce qu’on peut appeler une substitution de la revendication
politique à la revendication économique dans le domaine écono
mique lui-même, ou à une sublimation en revendication politique
des difficultés éprouvées sur le terrain économique pour définir
les conditions de la lutte. Quand la base de la lutte économique
est difficile à définir, ou demande de longs efforts, comme c'est
le cas du syndicat étudiant, à cause de sa nature particulière (ses
membres ne sont pas insérés directement dans le processus de
production), il est très tentant de la remplacer par une conception
5. Les étudiants donnent à leurs revendications
des justifications nombreuses, et certaines ris
quent parfois d’être mal comprises de leurs
aînés (en particulier de leurs professeurs) à cau
se du langage dans lequel sont formulées ces
revendications. Par exemple, l'argument : les
étudiants ne sont plus des enfants mais des
adultes, c'est offenser leur dignité et leur âge
que de leur « attribuer » des bourses, ou des
secours, ou les différentes formes d’assistance,
(restaurants, œuvres, etc.) existantes; ils ne peu
vent accepter d'être traités en mineurs, soit par
tes « dons » qu’on leur fait, soit par la dépen
dance financière où its sont vis-à-vis de leurs
parents, ou seraient encore vis-à-vis d’eux en 1
demandant une allocation d’études familiale.
Cet argument est profondément vrai, mais il
gagnerait à être exprimé dans un langage qui
n’ait pas les apparences d'un langage « psycho■
2 politique de l’action syndicale. Non qu’il soit illégitime, bien
.§ au contraire, qua TU.N.E.F. prenne publiquement des positions
*| politiques sur les grands problèmes de l'heure. Cette action poli-
AS tique du syndicat est plus que légitime : elle est indispensable,
« et sur ce point, il est important que les étudiants aient depuis
longtemps dépassé le point de vue social-démocrate de l’apoli-
tisme syndical. Il s’agit du remplacement de la revendication
^ économique juste par l'utilisation politique d’une revendication
économique mal fondée ou utopique. Le salaire étudiant a pu
ainsi, dans une perspective « stratégique » jouer un peu le rôle
d’un mythe sorélien, destiné à « mobiliser » les étudiants en vue
d’un résultat politique. Cette conception pragmatiste des rapports
de l’action syndicale et politique n’est pas à mon sens marxiste.
Les marxistes se sont toujours refusé à mobiliser politiquement
les masses sur la base d’un mythe ou d’une revendication écono
mique utopique-démagogique, donc objectivement non fondée,
économiquement et politiquement fausse ou inexacte.
On peut cependant percevoir des traces de cette tendance
dans une certaine présentation de l’action étudiante, entendue
trop vite comme une « contestation globale » du capitalisme;
dans une certaine façon d’amalgamer les revendications, de les
rassembler comme si elles étaient toutes de même niveau et de
même nature, et de les opposer globalement à une situation poli
tique ou de classe « globale »; dans une certaine façon de ranger
a priori dans un premier camp le rapport maître-élève, le rapport
pédagogique, les formes classiques de l’enseignement, la plupart
des professeurs, l’individualisme, la passivité, le libéralisme, la
logique ». Les étudiants demandent en réalité
par là que la société reconnaisse leur droit à
être traités en hommes majeurs, qui « étudient »
en général non pas pour leur simple plaisir,
mais pour assumer plus tard des jonctions im
portantes dans la vie sociale. Et ils demandent
en plus que la société leur reconnaisse ce droit
à un âge qui n’est pas, comme on le croit trop
Souvent, l’âge des facilités et des distractions,
mais l’âge des difficultés et des responsabilités
qui peuvent décider, et décident très souvent en
fait de l’orientation de toute une vie : mariage,
choix d’une profession, choix d’une activité ou
d’une orientation dans le domaine culturel,
social, syndical, politique, etc. (sans parler des
problèmes du service militaire). A l’âge de ces
choix importants, les étudiants sont légitimés à
demander qu’on reconnaisse leurs responsabili
tés, et qu’on leur donne les moyens de se déci
der sans que pèse sur eux, même si leurs pa
rents y mettent tous les égards souhaitables,
une dépendance de fait, qui dans certains cas
no peut objectivement limiter leur choix.
C’est en ce sens qu’il faudra prévoir les moda
lités propres de l’allocation d’études : accordée
tout naturellement aux parents pendant le secon
daire, elle pourrait être accordée personnelle
ment aux étudiants du supérieur.
vieille Université libérale, l'assistance aux étudiants, l’injure faite
à des étudiants majeurs qu'on traite comme des enfants — en les
traitant aussi comme des élèves —, tout cela plus ou moins impli
citement assimilé à la politique « globale » du capitalisme et de
son gouvernement, à la pression et à l’exploitation de classe;
dans une certaine façon de ranger dans Vautre catnp, opposé au
premier, la démocratie, les G.T.U., les « enquêtes-participation »,
les vertus des méthodes de prise de conscience « provoquées » de
la psycho-sociologie, le salaire étudiant, la cogestion des program
mes, la culture de masse, le socialisme, etc. Cette politique
d’amalgame devant avoir pour fin la production des résultats
politiques destinés à « satisfaire » les aspirations étudiantes.
Cette conception de la lutte économique aboutit à deux résul
tats paradoxaux qui ne sont pas sans importance.
Le premier peut conduire à la sous-estimation des revendi
cations économiques elles-mêmes, baptisées « quantitatives » par
opposition aux revendications « qualitatives ». Les revendications
* qualitatives » étant conçues comme les revendications fonda
mentales devant figurer dans le programme « stratégique » de
c l'alternative globale » destinée à « contester » la présente
société de classe. Une telle position peut aboutir à l’affaiblisse
ment de la lutte économique.
Le second résultat paradoxal peut conduire pratiquement à
une sorte de confusion, voire à une certaine identification entre
l’organisation syndicale et l'organisation communiste.
Pour comprendre le caractère anormal de ce phénomène,
pour apprécier les risques qu'il entraîne, il est nécessaire de
revenir un instant sur la théorie léniniste des rapports entre le
syndicat et l'organisation communiste.
La théorie léniniste est, sur ce point, très précise. Par nature,
le syndicat et l’organisation communiste ne peuvent avoir exac
tement ni les mêmes conceptions théoriques, ni les même adhé
rents, ni les mêmes objectifs, ni les mêmes mots d'ordre, ni les
mêmes méthodes d'action. Le syndicat groupe la masse des tra
vailleurs (souvent la majorité), dont il exprime les revendications
économiques dont ses adhérents reconnaissent la valeur. L’organi
sation communiste groupe seulement les plus conscients des tra
vailleurs, qui acceptent la doctrine communiste, ses objectifs
et ses formes d'organisation et d'action. C'est sur cette différence
de nature qu'est fondée la différence existant entre la théorie
(aucun syndicat en France n'est marxiste-léniniste), entre les
objectifs (économiques principalement d’une part; politiques
principalement d'autre part); les formes d'organisation et les
formes d'action. Bien entendu, en de nombreux cas et circons- 109
tances, principalement dans les formes d’action (grèves, mani
Problèmes étudiants
festations), et même dans les formes d'organisation (centralisme j
démocratique), syndicat et organisation communiste peuvent se !
rencontrer. Mais il subsiste toujours entre eux d'importantes dif-
férences, dans la théorie d'une part, dans les objectifs et les
revendications d'autre part, dans l'organisation enfin.
On peut exprimer cette différence générale en disant que
selon Lénine l'organisation communiste doit être non pas au ;
même niveau (théorique, politique, organisationnel) que le syn
dicat, mais en avant de lui. D’où il résulte que si l'organisation
communiste se trouvait, sous ces différents rapports, pratique
ment au même niveau que le syndicat, en ayant par exemple les
mêmes objectifs, les mêmes principes d'organisation, les mêmes
formes d’action que lui, ce serait l'indice d'une anomalie, et
quelque chose serait à examiner et réviser dans la position de
l'organisation communiste. Car l'organisation communiste qui
se trouverait en fait au même niveau que le syndicat, serait en
même temps en arrière de sa vraie place. Et elle ne jouerait que
partiellement son rôle spécifique dans ses rapports avec le syn
dicat, risquant de perdre dans cette confusion ce qui la distin
gue justement du syndicat, et qui fait sa raison d'être : son rôle
d'avant-garde théorique et politique; risquant ainsi de subir les
effets de l'idéologie dominante qui n'épargne pas la masse des
travailleurs, mais seulement les mieux armés théoriquement et
politiquement.
Un important travail de critique et d'élaboration est donc
à accomplir.
Un dernier mot sur le sens de l'analyse qui précède.
A la base des remarques qui ont été formulées, on trouve la
réalité même de l’U.N.E.F. et de l'U.E.C. Pour l'essentiel, les pro
blèmes théoriques et idéologiques qu'on a signalés, tiennent à
une véritable crise de croissance du mouvement étudiant. Sans
cette réalité extrêmement positive, l'essai d'analyse qui précède
n'aurait tout simplement aucune raison d'être.
Les étudiants communistes sont aujourd'hui en face de
grandes tâches et de grandes responsabilités. Par leur réflexion
scientifique, leur action théorique, politique et idéologique, ils
peuvent aider le Parti dans la grande lutte politique et idéolo- j
gique indispensable, la lutte pour la démocratie, contre la domi
nation de la classe bourgeoise, et contre ses moyens de mystifi-
1 j O cation des consciences : son idéologie de classe.
Les communistes leur feront confiance, cette confiance lucide,
critique, sans concessions, — mais généreuse, digne de leurs méri
tes et de leur travail, digne de toute l'histoire du mouvement
ouvrier : la confiance que Marx et Lénine faisaient, en connais
sance de cause, à tous les intellectuels honnêtes et courageux qui
rejoignent le com bat ouvrier par l’intelligence de sa réalité et de
son avenir.
Paris, te 16 décembre 1963.
L O
/ S A L T H V S S E R