Vous êtes sur la page 1sur 32

Louis Althusser

Problèmes étudiants
Le texte qui suit n’a d’autre objet que de tenter de
définir aussi exactement que possible les bases théoriques
sur lesquelles peut se développer l’analyse des problèmes
propres aux étudiants. Ce m êm e texte contient également
un premier essai d’analyse.
Il est proposé à la réflexion et, bien entendu, à la cri­
tique des intéressés.

L'action des comm unistes d a n s le m o n d e d e l'U niversité et le


monde de la Recherche scientifique q ui lu i e s t n a tu re lle m e n t lié,
c'est-à-dire l'action des com m unistes é tu d ia n ts , p ro fesseu rs, cher­
cheurs et fonctionnaires d 'a d m in istra tio n d o it ê tr e m enée sur
une base commune, com portant :
1. La connaissance de la th é o rie sc ie n tifiq u e marxiste-léni­
niste;
2. La connaissance de l'o b je t au q u e l c e tte a c tio n s'applique :
l'Université, et des divers élém ents q u i la c o m p o s e n t (enseignants,
étudiants, chercheurs, etc.).
Théorie scientifique et connaissance d e la r é a lité de l’Univer­
sité, telles sont les deux exigences au x q u e lles d o iv e n t satisfaire
toutes les actions des com m unistes.
Tous les universitaires c o m m u n iste s o n t d o n c p o u r tâche
fondamentale préalable :
1. De développer leur co n n aissan ce d u m arxism e-léninism e;
2. De connaître p a r une an aly se s c ie n tifiq u e la réalité de
l'Université, en elle-même; les ra p p o rts co m p le x es q u ’elle entre­
tient avec les autres branches d e l’e n s e ig n e m e n t (secondaire,
technique, recherche, etc.), les d iffé re n ts m in is tè re s a u tre s que
l'Education Nationale, l'industrie, etc., d a n s la s itu a tio n présente
de la société française, ta n t économ ique q u e p o litiq u e e t idéolo­
gique.
La connaissance de la réa lité o b je c tiv e d e l'U n iv ersité e t de
ses problèmes ne peut être le p ro p re d 'u n e se u le ca té g o rie de
communistes ; par exemple, so it les p ro fe s s e u rs , s o it les étu-
8 0 diants, soit les chercheurs. Us do iv en t to u s c o lla b o re r, p a r la con-
naissance et l'expérience qu’ils ont chacun de leur propre
domaine, à l'élaboration d'une analyse scientifique de la réalité
universitaire.
L'assimilation de la science marxiste-léniniste relève du tra­
vail personnel, de la conscience et de la responsabilité de chaque
communiste, — mais elle peut être aidée par le concours de tous
les communistes de la profession, des professions voisines, et du
Parti. Les étudiants gagneront un temps considérable en utili­
sant l'aide de leurs camarades mieux formés et l'aide du Parti.
C'est en recourant à la science marxiste-léniniste qu’ils pour­
ront, comme tous les communistes, surmonter les difficultés qui
se présentent inévitablement dans toute pratique : soit dans
l'analyse scientifique de leurs conditions de vie et de travail, soit
dans leur action politique et idéologique.
Lorsqu'une difficulté intervient, de quelque ordre qu'elle soit,
théorique, politique ou idéologique, les communistes savent
qu’elle peut et doit être réglée sur la base même des principes
marxistes-léninistes, c’est-à-dire, en dernier ressort, sur la base
des principes théoriques de la science (matérialisme dialec­
tique et matérialisme historique), qui constitue le fondement
scientifique de l'existence du Parti, c'est-à-dire des objectifs, de
l'organisation et de l'action du Parti lui-même.
Cette base scientifique est le terrain sur lequel doivent se
dérouler aussi bien les échanges et discussions nécessaires à l'ana­
lyse de la situation dans l'Université (qui ne se réduit pas au
milieu étudiant, mais le conditionne directement), que les discus­
sions destinées à la correction des erreurs éventuelles. Toute dis­
cussion entre communistes est toujours une discussion scienti­
fique :>c'est sur cette base scientifique que repose la conception
marxiste-léniniste de la critique et de l'autocritique; le droit à
la critique et le devoir d'autocritique ont un seul et même prin­
cipe : la reconnaissance réelle de la science marxiste-léniniste
et de ses conséquences.
Tous les communistes, quels qu’ils soient, et toutes les orga­
nisations communistes ont un devoir fondamental vis-à-vis de la
science marxiste-léniniste, sans laquelle n'existerait aucune orga­
nisation communiste au monde. Ce devoir est le premier devoir
fondamental de tous les communistes. Tous leurs autres devoirs,
y compris leurs devoirs politiques, en découlent. La connaissance
scientifique du lien nécessaire existant entre la science marxiste-
léniniste et les devoirs précis des communistes, est le second
devoir fondamental des communistes. Elle découle de leur pre­
mier devoir. Chacun peut adhérer à l'organisation communiste
pour des raisons qui recoupent partiellement la vérité sciend- 81
3 fique du marxisme-léninisme; quelles que soient les raisons très
.g diverses, économiques, politiques, idéologiques, théoriques, d'une
'g adhesion au communisme, nul ne peut se dire communiste au
plein sens du terme, tant qu'il n'a pas pris conscience de
£ son premier devoir fondamental vis-à-vis de la théorie marxiste-
léniniste (matérialisme dialectique, m atérialism e historique) et
S de son second devoir fondamental vis-à-vis des conséquences
£ qui en découlent, dans les différentes form es de la pratique,
économique, politique et idéologique; tant qu'il ne s'est pas
acquitté personnellement de ces devoirs, dont personne au
monde, aucun « intellectuel collectif » au monde, et pas même le
Parti, ne peut le dispenser. Le Parti peut et doit pour son compte
aider chaque individu adhérant au communisme à s'acquitter de
ses devoirs fondamentaux et des devoirs qui en découlent : mais
en dernier ressort l'ultime décision, celle de s'acquitter ou non
de ces devoirs, relève de l'individu lui-même, de sa liberté person­
nelle. C'est en ce sens que chaque com m uniste est individuelle­
ment, personnellement, responsable de la cause du communisme,
dans la mesure même où il a des devoirs fondamentaux vis-à-vis
de la science marxiste-léniniste et de ses conséquences pratiques
nécessaires.
La morale du communiste, c'est-à-dire de l'adhérent d'une
/ organisation communiste, ne com porte ainsi que deux devoirs
/ fondamentaux, dont tous les autres devoirs ne sont que des
I conséquences. Ces deux devoirs concernent : 1° la théorie scienti­
fique marxiste-léniniste (premier devoir); 2° la conception scien­
tifique du rapport entre la théorie marxiste-léniniste et les diffé­
rents domaines où son application donne lieu à une pratique ou
action propre (action économique, politique, idéologique) (second
devoir).
La « morale » du communiste (qui est en droit identique à
la science marxiste léniniste; qui donne donc à la « conscience
morale » du communiste un contenu identique au contenu du
savoir scientifique) concerne les seuls marxistes-léninistes ins­
truits de la théorie et « conséquents », c'est-à-dire, en principe,
les adhérents de l'organisation com m uniste qui est, tant que les
classes ou leurs vestiges subsistent, l'existence même, sociale et
historique, de la science marxiste-léniniste : le P arti communiste.
La morale du communiste (marxiste-léniniste conséquent
adhérent au Parti communiste) doit être soigneusement distin­
guée de la morale communiste, entendue com m e la morale
de tous les citoyens vivant dans une société qui a atteint le stade
du mode de production comm uniste (sous ce rap p o rt la « morale
communiste » s'oppose à la « m orale bourgeoise » comme le
82 mode de production socialiste au mode de production capita-
liste). Cette « morale communiste » est une morale au sens cou­
rant, c'est-à-dire une idéologie sociale objective, faisant organique­
ment partie, comme idéologie, de la structure de la société com­
muniste, ou plutôt de la société édifiant le communisme. Cette
« morale communiste » est le produit de l'action scientifique des
communistes au sein même de l'idéologie morale existante, elle est
donc l'objectif et le produit de l'action idéologique des commu­
nistes dans le domaine de l’idéologie morale : elle demeure
nécessairement une idéologie même si elle est fondée sur une
action guidée par la science marxiste-léniniste, tant que subsiste
Vidéologie morale comme telle. Les Soviétiques sont conséquents
lorsqu’ils distinguent les « devoirs » du citoyen de la société
communiste (« morale communiste », morale de « l'Homme com­
muniste », qui reste une idéologie) de la morale propre des
adhérents au Parti marxiste-léniniste, des « devoirs » des mem­
bres du Parti (« morale » qui n'est que la liberté scientifique).
Les devoirs fondamentaux du communiste, qui ne sont que
la conscience adéquate conséquente (donc active, militante) de
la science marxiste-léniniste sont la contrepartie d’un « droit » :
le droit scientifique conféré par la science marxiste-léniniste à
tout communiste conscient et conséquent.

II

Quels sont les principes théoriques marxistes qui doivent et


qui peuvent intervenir dans l’analyse scientifique du milieu uni­
versitaire, auquel, à côté des professeurs, chercheurs et fonction­
naires administratifs, appartiennent les étudiants ? Essentielle­
ment les concepts marxistes de la division technique et de la
division sociale du travail. Marx a appliqué ces principes dans
l'analyse de la société capitaliste. Ils sont valables pour l'analyse
de toute société humaine (au sens de formation sociale reposant
sur un mode déterminé de production). Ces principes sont a
fortiori valables pour une réalité sociale particulière comme l'Uni­
versité, qui appartient, pour des raisons essentielles, à toute
société moderne, qu'elle soit capitaliste, socialiste, ou commu­
niste.
C'est par le processus du travail des hommes appartenant à
un mode de production déterminé qu'une société, relevant de ce
mode de production déterminé, vit et se développe. Or le proces­
sus de travail, qui est un processus social total, donne à chacun
des individus qui constituent cette société, une place dans la
division du travail. La division du travail définit donc les « pos­
tes », emplois ou charges, assignés par une société existante aux 8 3
2 individus qui la composent, dans le p ro cessu s de travail
J assure sa vie et son développem ent.
*§ Marx a montré que la division du travail avait deux formes
ou deux aspects, qui sont parfois distincts et parfois confondus
£ soit dans les postes, et les individus, soit dans leurs effets :
J division technique et la division sociale du travail.
So A) La division technique du travail correspond à tous les
£ « postes » de travail dont l'existence est exclusivement justifiée
par les nécessités techniques qui définissent le mode de produc­
tion considéré à un moment donné de son développement, dans
une société donnée. Ces nécessités techniques sont définies objec­
tivement et donc scientifiquement définissables dans toute société.
Par exemple, la production des biens de consommation ou des
moyens de production, etc., dans une société donnée, disposant
d’instruments et de moyens de production définis, entraîne néces­
sairement une division technique du travail. Cette division tech­
nique du travail comprend par exemple, dans une usine, non seu­
lement tous les postes techniques (ouvriers qualifiés, O.P., etc.)
mais également des postes d'organisation (contremaîtres chargés
d’assurer la direction ou le contrôle d'un processus complexe, ou
de répartir le travail selon les phases de son processus, etc. Ingé­
nieurs, etc. Direction technique de l'entreprise, etc.).
Sous ce rapport une institution comme l'Université (corres­
pondant à des nécessités techniques de la production tant éco­
nomique que scientifique, par sa fonction pédagogique et par
son rôle majeur dans l'élaboration et la recherche scientifiques),
fait fondamentalement partie de la division technique du travail
dans une société moderne donnée. Son rôle dans la division tech­
nique du travail consiste à assurer la form ation pédagogique
supérieure des futurs cadres techniques, scientifiques et sociaux
de la société et à participer au travail scientifique créateur. La
formation pédagogique, c'est-à-dire la transm ission du savoir exis­
tant dans une société, savoir qui conditionne l'existence et le
développement du processus de travail de la société, est une
nécessité vitale pour toute société : la fonction pédagogique est
donc fondée avant tout sur la division technique du travail.
B) La division sociale du travail exprime un tout autre aspect
de la division du travail. Elle a pour fonction d'assurer le pro­
cessus de travail de ladite société dans les form es mêmes de la
division en classes et de la domination d'une classe sur les
autres. La division sociale du travail n'est donc technique que
dans la mesure où elle réfléchit la technique (sociale, politique,
idéologique) de la domination d'une classe sur les autres dans le
processus du travail social. L'Etat est ainsi, avec ses instru­
is 4 ments : armée, police, corps de m agistrats, etc... et tout le per-
sonnel rattaché, tous les emplois rattachés à ces fonctions de
domination de classe (sous leurs formes politiques, idéologiques,
militaires, répressives, etc.) l'existence par excellence de la divi­
sion sociale du travail. C'est au niveau des rapports de produc­
tion, donc des classes, puis de la classe dominante, donc de l'Etat,
que se fixe et se noue la division sociale du travail. Cette divi­
sion sociale du travail se répercute profondément dans tous les
niveaux du processus de production. La direction d'une usine
n'est pas une forme de la seule division technique du travail : la
plus grande partie de son appareil commercial, publicitaire, etc.;
de son appareil interne de contrôle des ouvriers, contrôle et
répression (légale ou autre), fait partie de la division sociale du
travail. Les mineurs contemplent dans le « porion », générale­
ment un ancien ouvrier devenu leur contrôleur pour le compte
du patron, puis de l'Etat-patron, l'existence même de la division
sociale du travail, sous les dehors de la division technique du
travail. Certains postes (certains membres de la direction, cer­
tains ingénieurs mêmes, certains cadres) relèvent dans une usine
directement de la division sociale du travail. D'autres postes sont
à double fonction; division technique et division sociale réunis
dans un seul poste (le « porion »). Le patronat abuse souvent
les ouvriers qu'il charge de cette fonction sociale (contrôle-
répression) sur leurs camarades, en mettant en avant le fait
qu'ils accomplissent en même temps également une fonction
relevant de la division technique du travail. Des hommes sont
ainsi chargés de deux fonctions distinctes et contradictoires :
c'est, s'ils acceptent le poste et ses obligations, le rapport des
forces sociales en présence qui les fait pencher, dans les moments
décisifs, tantôt vers le patron, tantôt vers les ouvriers.
Il en va de même dans l'Université, mais dans des conditions
très particulières, qu'il faut absolument connaître.
Ce qu’on appelle traditionnellement « l’indépendance de
l'Université » ou ses franchises (par exemple le fait que la police
ne puisse intervenir dans aucun établissement universitaire sans
y avoir été appelée par le Recteur ou son représentant; le fait
que les professeurs soient choisis le plus souvent par leurs pairs;
pairs; que les doyens, les directeurs des E.N.S. soient élus par
leurs pairs, etc) exprime la situation particulière et « privilé­
giée » de l'Université sous le rapport de la division sociale du
travail.
Pourquoi ce « privilège » de l'Université ? Une longue lutte
de résistance au pouvoir, depuis des siècles, a donné à l'Univer­
sité cette situation particulière qui la met relativement à l'abri
des entreprises gouvernementales, c'est-à-dire de la politique de
classe de la bourgeoisie. Pourquoi ce « privilège » de l'Univer-
s sité ? Parce que, à travers mille et une formes de la longue lutte
J qui l'a établi et renforcé, la société de classes a dû consentir à
'g l'organisme qui distribue le savoir dont elle a besoin, et qui, le
•*> distribuant, est souvent aussi le plus apte à le produire (inven-
5 dons scientifiques), l’indépendance dont cet organisme a besoin,
§ en fonction de la nature même de l’objet qui fait toute son acti-
2 vité : le savoir, — qui éveille l'esprit critique, et exige la liberté
£ de pensée indispensable à la naissance et au développement de
toute science. C'est dans les grandes villes médiévales « franches »,
c'est-à-dire affranchies de la tutelle politique féodale, comme
Paris et Bologne, que sont nées les premières Universités. C'est
dans le sein des Universités que se sont déroulés les grands débats
scientifiques et philosophiques, dans lesquels s'est joué le destin
de la science moderne, et donc bien souvent du développement de
la civilisation moderne. Traditionnellement, l'Université représente
les valeurs « libérales » : esprit critique, liberté de la recherche
scientifique, liberté de la discussion scientifique, etc., qui sont
non pas, comme certains le disent dangereusement, réductibles
à l’individualisme bourgeois, mais d'authentiques valeurs scien­
tifiques. Il serait très grave de confondre la liberté dont toute
activité scientifique a besoin, comme de l'air même de sa respi­
ration, comme condition fondamentale de toute recherche scien­
tifique, avec l'idéologie du « libéralisme » économique et politi­
que de la bourgeoisie. Il serait extrêmement dangereux de
confondre les formes scientifiques, parfois nécessairement indivi­
duelles, qui commandent, dans des circonstances données, toute
activité scientifique créatrice (pendant des siècles les inventions
scientifiques furent souvent l'œuvre d'individus isolés; Marx
même fut seul dans sa découverte, avec Engels; Lénine fut seul
dans deux ou trois circonstances décisives pour l'histoire de l'hu­
manité etcT) avec les formes juridiques et politiques de l'idéologie
individualiste bourgeoise et petite-bourgeoise. Amalgamer la
recherche individuelle (parfois absolument indispensable) avec
l’individualisme juridique, politique et idéologique de la bourgeoi­
sie; opposer sans critique, donc arbitrairem ent et systématique­
ment, les formes collectives, aux formes individuelles ou libé­
rales, bien fondées, de la recherche scientifique; condamner les
dernières comme si elles étaient des m anifestations de l'idéologie
* libérale » ou « individualiste » de la bourgeoisie : ce sont là
des points de vue dangereux tant au point de vue pédagogique
qu'au point de vue politique et idéologique. Ce n'est pas, pour
nous, marxistes, la forme dans laquelle un savoir est, ou bien
transmis, ou bien assimilé, ou bien découvert, qui constitue le
« maillon^ décisif » en la matière, mais la qualité du savoir
86 lui-même. Mettre sur pied des groupes d'étudiants de bonne
volonté en leur donnant l'impression qu'il suffit de se réunir et
même de travailler ardemment ensemble pour acquérir le statut
de chercheurs (« chercheur collectif » dans le vocabulaire psy­
chosociologique), sans se demander au préalable s’ils possèdent
le niveau de connaissances scientifiques qui constitue le seuil
absolu à partir duquel on peut réellement parler de recher­
che scientifique, — sans se demander au préalable si par hasard
certaines formes collectives de travail ne constituent pas un
obstacle à la découverte (comme c’est parfois le cas, et généra­
lement quand il s'agit de découvrir des connaissances scientifi­
ques nouvelles, capables d'éclairer et de critiquer les illusions
idéologiques écrasantes dans lesquelles tout le monde est prison- ;>
nier —/c'est dans ces conditions que Marx fut nécessairement
sëul, et Lénine nécessairement seul, par exemple au moment des
Thèses d'Avril, ou Engels nécessairement seul, au moment de la
publication de la critique du programme de Gotha); — c'est cou­
rir le risque d’une déception, qui peut décourager les plus géné­
reux efforts.
Le libéralisme de l'Université est aujourd’hui une valeur
politique réelle, dans la lutte contre la transformation de l'organi­
sation pédagogique en instrument soumis aux seuls objectifs de
la technocratie au pouvoir, c'est-à-dire aux seuls objectifs de la
bourgeoisie monopoliste. Négliger cette valeur serait une erreur
politique. S’aliéner les universitaires parce que, étant « libéraux »,
ils sont « vieux jeu », offenser les traditions libérales de l’Univer­
sité, serait commettre une faute politique. Condamner « l'indivi­
dualisme » en général, sans distinguer soigneusement d’un côté
l'individualisme idéologique bourgeois, et de l'autre côté la néces­
sité de la recherche individuelle dans tous les cas (et particulière­
ment dans le cas où le travail individuel s'exerce dans des formes
collectives rationnelles, qui ne peuvent vivre que sous la condi­
tion d’un accroissement et d'une rationalisation supérieure du
travail individuel lui-même), serait commettre selon les cas ou une
erreur scientifique, ou une erreur politique, ou les deux, et géné­
ralement des erreurs sérieuses.
La connaissance scientifique des conditions et des points
d'application de la division sociale du travail, et de ses effets
dans l'Université est indispensable pour tout travail politique (et
syndical) dans l’Université.
Or ce qui est justement remarquable dans le cas de l'Uni­
versité, est que la division sociale du travail, donc la domination
de classe, intervient massivement dans l’Université, mais pas uni­
quement, ni toujours en priorité là où les théoriciens étudiants
et non-étudiants la cherchent. Elle intervient massivement, et
sous une forme « aveuglante », (c'est pourquoi sans doute on ne
S la * voit » pas toujours) dans l’objet même du travail intellec.
J tuel : dans le savoir que l'Université est chargée de distribuer
*2 aux étudiants.
On voit bien en général les effets de la division sociale du
§ travail, c'est-à-dire de la domination de classe, dans certaines
^ mesures gouvernementales graves (contrôle de la nomination des
•§ instituteurs par les préfets, création d'un poste de Secrétaire
<£ général de l'Education nationale, politique de nomination des
Recteurs, fonctionnaires dépendant directem ent du ministre, pro­
jets de réforme de l'enseignement de caractère technocratique,
antidémocratique, etc.). Cela est juste : toutes ces mesures, tous
ces programmes ont une raison de classe. On peut escompter
que les mesures gouvernementales de caractère « autoritaire »
se heurteront au corps entier de l'Université, et on peut alors
compter sérieusement sur la résistance de ce corps entier, hors
quelques personnages acquis à cette politique autoritaire (de
nombreux Recteurs eux-mêmes la refuseraient). Les projets gou­
vernementaux de réforme de l’enseignement sont plus dangereux,
car ils peuvent prendre justem ent appui sur certains mots d'or­
dre ou certaines revendications erronées, voire sur certains argu­
ments théoriques confus. (Par exemple, les technocrates les plus
éclairés ne sont pas en principe hostiles au « salaire étudiant »;
avec un bon numéros clausus, et une bonne orientation profes­
sionnelle précoce, détestable pour la science, mais utile à la tech­
nocratie, ce serait incontestablement, pour le gouvernement bour­
geois des monopoles, une mesure économiquement tolérable, et
une mesure politiquement très rentable, qui gagnerait à sa « com­
préhension », chiffrable en argent com ptant, les demi-intellectuels
que formerait alors l'Université ainsi réformée). De toutes maniè­
res, la lutte pour une réforme de l'enseignement dépasse le
cadre de la seule lutte étudiante, elle intéresse tout le corps
enseignant des trois degrés, du technique et du C.N.R.S., elle
intéresse aussi la nation entière, c’est-à-dire pour ce qui nous con­
cerne, les organisations ouvrières, les syndicats ouvriers, au pre­
mier chef la C.G.T., et le Parti communiste. La bataille à mener
impose l'union de toutes les compétences et de toutes les forces
universitaires et populaires.
Cependant, si l'on ne « voyait » les effets de la division
sociale du travail que dans les mesures politiques et administra­
tives du gouvernement, le point stratégique num éro un de l'action
de la classe dominante, de l’action de son idéologie, qui s'exerce
au sein même du savoir que les étudiants reçoivent de leurs maî­
tres, ce point, la véritable forteresse de l’influence de classe dans
VVniversité resterait intacte, alors que c'est par la nature même
88 àu savoir qu'elle donne aux étudiants, que la bourgeoisie exerce
sur eux, sinon à brève, du moins à moyenne échéance, la plus
profonde influence. C'est dans le savoir qui est enseigné dans
l'Université que passe la ligne de partage permanente de la divi­
sion technique et sociale du travail, la ligne de partage de classe
la plus constante et la plus profonde.
Le savoir distribué est-il une vraie science ? alors sa distri­
bution correspond vraiment à une nécessité technique, alors la
fonction pédagogique est pour l’essentiel saine, même si ses
formes sont relativement « vieillies » et à réformer. Le savoir
distribué est-il une pure idéologie ? Comme dans certaines matiè­
res ou dans certains cours ? Alors la fonction pédagogique est
au service d’une idéologie et donc d’une politique de classe, même
si les « formes » de l'enseignement sont très « modernes ». Le
savoir enseigné est-il de nature douteuse, les « sciences » ensei­
gnées sont-elles de nature encore incertaines, problématiques,
sans statut défini, hésitant entre l’idéologie et la science, et se
fixant généralement au niveau de techniques chargées d'idéolo­
gie ? Alors la fonction pédagogique est elle-même ambiguë, à
double emploi, technique pour une part, et politique-idéologique
pour une autre part, quelles que soient les formes « vieillies »
ou modernes dans lesquelles ce demi-savoir est distribué. Tous
les étudiants reconnaîtront dans ce dernier cas la plupart des dis­
ciplines littéraires, histoire littéraire, philosophie, le droit en sa
généralité, et même à l'occasion l'histoire, qui sont souvent
le lieu de l’idéologie esthétique, éthique, juridique ou politique
régnante, — et presque toutes les sciences dites « humaines »
qui sont le lieu d'élection de l'idéologie positiviste et technocra­
tique contemporaine. Même dans les disciplines des sciences de
la nature, professeurs, étudiants et chercheurs pourront recon­
naître à ses effets, dans leur présentation pédagogique même,
l'idéologie positiviste qui règne massivement et sans être « con­
testée » sur les sciences de la nature : si les formes d'enseigne­
ment des sciences de la nature, y compris les fameux T.P., incon­
testablement des absurdités pédagogiques, n’inspirent aux étu­
diants que de la passivité, que certains voudraient combattre en
rendant seulement collectif un travail individuel aberrant
— comme si l'aberration ne concernait que sa forme —, les étu­
diants ont raison : ils résistent par leur passivité non pas tant
aux formes pédagogiques aberrantes qu'à la raison profonde de
cette aberration, à l'idéologie positiviste, qui découpe une science
vivante en autant de segments d'un corps mort, et oblige les étu­
diants à les ingurgiter de force, comme si la vérité scientifique
était une chose. Il se trouve que cette « chose * reste dans la
gorge des étudiants, comme aussi des professeurs, et parfois des
chercheurs. Ils ont raison. Tant qu’on n'aura pas dénoncé la raison 89
§ de cette choséifïcation (positiviste) de la science, qui règne éga.
J lement très souvent en Lettres, tant qu'on n'aura pas imposé
"I contre le positivisme régnant, une vraie réform e de la pédagogie
actuellement positiviste en m atière des sciences de la nature (y
2 compris en Médecine et en Pharmacie) et souvent en Lettres
J par exemple en exigeant la mise en place d'un enseignement
5 d'épistémologie de chaque science et de philosophie des sciences
£ pour toutes les disciplines (partout, en Lettres comme en Scien­
ces), et une nouvelle conception du contenu de la science, com-
mandant de nouvelles formes pédagogiques valables, — tant
qu'on n'aura pas fait cela, l'essentiel reste à faire*.
Le point stratégique n° 1 où se joue le sort de sa domina­
tion de classe sur les esprits des chercheurs, professeurs et
étudiants, c'est la nature du savoir enseigné, savoir qu'une ligne
de partage de classe tranche en deux : la science d'une part, et
l'idéologie d’autre part.

III
Comme ce savoir met directem ent en cause la fonction péda­
gogique sur laquelle est fondée l’Université, il est nécessaire d’eo
faire l'analyse objective.
La fonction pédagogique a pour objet de .. transmettre un
savoir déterminé à des sujets qui ne possèdent pas ce savoil. La
situation pédagogique repose donc sur la condition absolue d'une
inégalité entre un savoir et un non-savoir. Ceux à qui la société
transmet, dans ses institutions pédagogiques, le savoir qu’elle
décide de leur faire assimiler, représentent le côté du non-savoir,
ou, si l'on préfère, puisqu'un non-savoir est toujours un certain
savoir, le côté du savoir inégal-inférieur. Ceux que la société
charge de transmettre aux non-savants le savoir qu'ils possèdent,
représentent le côté du savoir, ou du savoir inégal-supénew.
Le fameux rapport maître-élèves, professeurs-étudiants est l’ex­
pression technique de ce rapport pédagogique fondamental En
règle générale la société assigne la fonction de maîtres à des
1. Je précise, pour éviter tout malentendu, qu’il
s’agit, dans le problème de l’activité enseignant-
étudiant, de distinguer la fonne de l’enseigne­
ment (méthodes pédagogiques plus ou moins
valables) et le contenu de l’enseignement (SA­
VOIR plus ou moins scientifique, ou plus ou
moins idéologique); puis, une fois cette distinc­
tion faite, de déterminer quel est le point princt-
pal, et quel est le secondaire — l’élément domi­
nant et l’élément subordonné. C’est le contenu
(le savoir) qui est dominant, et la forme qu*
est subordonnée.
Bien entendu, cette conclusion n’implique f^s
qu’il faille négliger la transformation des for­
mes de l’enseignement ! Mais qu’il faille la trai­
ter dans sa réalité, c’est-à-dire en fonction du
contenu qui la domine en dernière instance,
c’est-à-dire en fonction du savoir enseigné.
anciens étudiants, devenus maîtres, qui sont donc plus âgés
que leurs élèves. Mais les maîtres peuvent, dans certains cas
(cours pour personnes âgées, cours de réorientation, etc.) être
plus jeunes que leurs élèves : c'est très fréquemment le cas
dans des situations de grandes transformations politiques et
sociales, lorsqu'il s'agit par exemple d'alphabétiser des grandes
masses (U.R.S.S. après 1917; Chine après 1949; Cuba; Algérie
aujourd'hui, etc.) ou de donner un enseignement de base à des
responsables politiques issus directement des masses (ex. : les
Rabotfak en U.R.S.S. dont parle Khrouchtchev, qui en a été
l’élève, etc.). Dans tous les cas, ce n'est pas, du moins dans les
sociétés non primitives, sur la différence des générations en tant
que telle que repose le rapport maître-élèves, mais sur le rapport
pédagogique fondamental entre un savoir et le non-savoir de ce
même savoir.
Un mot d'ordre qui proclame « La Sorbonne aux étudiants »
doit être examiné sous ce rapport précis. Si ce mot d’ordre
signifie : la Sorbonne n'appartient pas à la police, il est exact;
mais la Sorbonne n'appartient pas non plus aux seuls étu­
diants, elle appartient aussi à leurs maîtres, et à l’organisa-
tioh~qüî“permet au rapport pédagogique de s’acquitter de sa
fonction, donc également aux administrateurs « techniques » de
la Sorbonne. Oublier, dans un mot d’ordre dirigé contre le gou­
vernement qui fait entrer la police dans la cour d’honneur de
la Sorbonne (le Recteur était-il d’accord? S'il était d’accord,
lui a-t-on rappelé les franchises de l’Université ? S'il n'était pas
d'accord, l'a-t-on soutenu, publiquement ?) les professeurs et les
administrateurs (dont certains sont des professeurs élus par leurs
pairs) de la Sorbonne, c’est pédagogiquement une erreur, et poli­
tiquement une injure aux convictions de la majorité des profes­
seurs.
Mettre en avant la différence des générations, pour combat­
tre un certain nombre d'institutions effectivement rétrogrades,
peut être aussi une erreur. Ce n'est pas l’âge, ni des hommes ni
des institutions, qui détermine automatiquement leur valeur péda­
gogique, mais le rôle effectif qu'ils assument dans le procès
pédagogique. Ce n'est pas parce que l’agrégation date de près
de deux siècles qu’elle doit être supprimée. Elle doit être au
contraire défendue tant qu’il ne sera pas possible d’imposer une
forme de recrutement qui joue, soit au moins le rôle pédagogique
qu'elle joue effectivement, en dépit de bien des imperfections,
soit un rôle pédagogique (concernant les formes de transmission
du savoir) réellement supérieur au rôle qu’elle joue présente­
ment. Ceux qui seraient systématiquement contre « l’ancien »
pour le « nouveau » doivent être mis en garde contre le piège de 91
5 la « nouveauté * gouvernementale. La technocratie regorge
d'idées neuves et d'hommes intelligents. On ne saurait en effet
§ confondre une revendication de renouvellement scientifiquement
^ fondée qui est toujours objectivement progressiste, avec le sim.
5 pie attrait du nouveau, qui peut conduire tout droit à l’utopie et
J à ses dangers politiques.
"§ Toutes les questions pédagogiques, qui supposent l'inégalité
û. du savoir entre les maîtres et les étudiants, ne peuvent être
réglées sur un pied d'égalité pédagogique entre les maîtres et les
étudiants. Que les étudiants soient représentés dans tous les orga­
nismes représentatifs ou consultatifs de direction d'une Faculté
ou d'une Ecole, et s’il s’agit des étudiants ayant l'âge de fré­
quenter l'Université, est une revendication légitime. Que les étu­
diants demandent que, dans ces organismes pédagogiques, leur
représentation et leurs pouvoirs de décision équilibrent paritai­
rement les représentations et pouvoirs des délégués des profes­
seurs, est un mot d'ordre erroné, car il ne correspond pas à la
réalité de la fonction pédagogique. Que les étudiants deman­
dent une représentation paritaire, voire majoritaire, dans la ges­
tion des œuvres étudiantes, qui n'assurent pas une fonction péda­
gogique, mais une fonction sociale, c'est là un mot d'ordre
juste, car il correspond à une réalité sociale et politique et non
à une réalité pédagogique. Que les étudiants demandent une
représentation convenable à leur place et leur importance dans
les organismes consultatifs d'adm inistration générale (non pro­
prement pédagogique) est un m ot d'ordre justifié. Qu'ils étendent
un mot d’ordre (représentation paritaire) d'un secteur où il
est objectivement justifié (la cogestion des œuvres) à un sec­
teur où il n'est pas justifié (cogestion des programmes et des
institutions proprement pédagogiques) constitue un transfert
erroné.
Lorsque des étudiants souhaitent que leurs rapports de
travail avec leurs professeurs, qui supposent généralement,
même dans l'enseignement supérieur, l'inégalité entre un savoir
et le non-savoir de ce savoir, soient organisés comme s'il exis­
tait une véritable égalité de savoir entre m aîtres et élèves, ils
risquent de s'engager dans une confusion. L 'attrait qu'exerce la
recherche scientifique peut entretenir cette erreur. Les formes
collectives de travail, qui existent dans la pratique de la recher­
che scientifique, supposent justem ent cette égalité du savoir entre
les chercheurs, qui rend leurs échanges et leur collaboration
féconds. Si cette égalité existe effectivement, alors le rapport
pédagogique cesse, et un rapport de collaboration scientifique le
remplace. Mais la recherche ne suppose pas seulement légalité
92 du savoir : s'il suffisait, pour constituer un groupe de recherche,
de rassembler un groupe d’hommes ou de jeunes hommes égaux
quant à leur savoir, on pourrait aussi bien avoir affaire à des
groupes de « demi-chercheurs » voire de demi-ignorants, c'est-à-
dire de faux chercheurs, qu’à de groupes de vrais chercheurs. La
recherche scientifique, dans tous les domaines où ce mot a un
sens, suppose non l'égalité dans n'importe quel savoir, mais l'éga­
lité dans le savoir indispensable pour pouvoir prétendre à faire,
non un simulacre de recherche, — qui durera tout juste le temps
de découvrir son illusion ou sa vanité, et qui peut décourager
ceux qui s’y sont donnés, de toute autre forme, rationnelle, de
travail collectif pédagogique qui pourrait leur être proposée pour­
tant avec de vraies raisons — mais une vraie recherche. Les étu­
diants peuvent se convaincre qu'il faut une longue formation pour
pouvoir véritablement faire de la recherche, à moins d'entendre
par recherche des formes de division technique de la recherche
parcellaire, baptisées telles par la société capitaliste, et qui abon­
dent dans les sciences de la nature et les sciences humaines, où
les « chercheurs » sont plus des exécutants aveugles de tâches
parcellaires fixées par d'autres, que de véritables chercheurs :
les « demi-chercheurs », victimes des conséquences de l'idéologie
positiviste régnante dans la recherche même. En tout cas, il ne
faut pas appeler recherche la simple redécouverte personnelle
(ou collective) d'un savoir déjà existant. Sinon il faudrait tenir
(c'est parfois le cas invoqué dans les exemples proposés) un tra­
vail bibliographique pour un travail de recherche scientifique.
Un travail collectif, qui a pour but l’assimilation d’un savoir
existant, peut avoir un sens rationnel. L’organisation méthodi­
que de ce travail collectif a un sens : il peut épargner beau­
coup de temps et d'efforts aux étudiants. Mais pour hâter l'assi­
milation d'un savoir existant, la méthode qui consiste à partir,
muni de bonnes résolutions « participationnelles », mais dans la
nuit, est techniquement mauvaise : un travail collectif volontaire
n'a de sens que s’il est dirigé par des maîtres ou assistants possé­
dant justement le savoir que les étudiants doivent acquérir et la
technique scientifique de l'acquisition de ce savoir : cette tech­
nique scientifique s'intitule la « pédagogie ». L’idéologie de l'au-
todidactisme, même généreuse (son enthousiasme ne peut en fait
jamais durer longtemps) qui se méfie de toute forme « direc­
tionnelle »; qui distingue entre les groupes de travail « classi­
ques » dirigés par les assistants, considérés comme groupes de
travail vieux-style et quasi-passifs, et les groupes de travail
« authentiques », parce que « démocratiques » (c’est-à-dire réti­
cents à l'égard des secours qu’on peut attendre d'un assistant)
ces derniers groupes étant considérés comme les vrais G.T.U.
où les étudiants « prennent en main la responsabilité de leur 93
§ propre formation » —* cette tentation autodidactique, même dite
J « démocratique », repose sur une conception inexacte de la
*§ réalité non seulement du travail de recherche, mais même du
simple travail pédagogique (qui supposent l'aide de ceux qui
S possèdent le savoir que les étudiants ont pour tâche d'acquérir).
, | Cette conception anarchistes dém ocratique » de la pédagogie (qui
•g trouve ses titres théoriques dans certains idéologues bourgeois de
£ la pédagogie ou de la « psychosociologie ») ne peut procurer aux
étudiants que des déceptions alors que l'initiative par laquelle
1UN.E.F. a appelé les étudiants à form er partout des G.T.U. est
une initiative profondément juste et féconde. C’est une absurdité
de perdre du temps à redécouvrir p ar des moyens incertains, et
au prix d'efforts considérables, un savoir pour lequel il existe une
voie infiniment plus directe parce que rationnelle. Les étudiants
qui agiraient ainsi retarderaient en fait le m om ent où ils auraient
acquis la formation requise pour devenir les chercheurs qu'ils
veulent être.
Ils risquent aussi très souvent de s’aliéner la bonne volonté
de leurs professeurs, qui sont injustem ent tenus en suspicion
dans leur propre activité pédagogique, et dans la validité de leur
savoir tenu pour superflu. Ils peuvent même se les aliéner politi­
quement, au point de transform er les alliés possibles ou les cama­
rades de combat, que sont de nom breux professeurs, en adver­
saires de la cause syndicale ou politique que défendent les étu­
diants. En retardant leur form ation scientifique, les étudiants
qui se contentent de méthodes « participationnistes » où ils se
donnent l'illusion « démocratique » du savoir, se maintiendraient
longtemps dans un demi-savoir, c'est-à-dire dans un état qui ne
leur donne pas les armes de la connaissance scientifique.
Ce n’est pas un hasard si, en toutes choses, un gouverne­
ment bourgeois réactionnaire ou « technocratique », préfère les
demi-savoirs, et si, au contraire, la cause révolutionnaire est tou­
jours indissolublement liée à la connaissance, c'est-à-dire à la
science. Il est beaucoup plus facile de m anœ uvrer des intellec­
tuels de faible formation scientifique, que des intellectuels de
haute formation scientifique, de les m anœ uvrer et de les sou­
mettre à une politique, qui, quoi qu'en disent certains, est
conduite par des hommes d’une grande habileté. Ce que le gou­
vernement craint par-dessus tout, c'est la form ation scientifique
et critique approfondie des intellectuels qu'il est bien obligé de
former, pour se fournir en cadres scientifiques, techniques et
autres, professeurs, etc. La baisse du niveau scientifique (qui
peut être en partie le résultat involontaire, certes, mais très réel,
de certains mots d'ordre purement « participationnistes », qui
94 manifestent une méfiance à l'égard des moyens effectifs de l'ac-
quisition réelle et de l'approfondissement du savoir scientifique
et théorique), sert objectivement la politique gouvernementale,
non seulement à court terme, ce qui est déjà grave, mais à moyen
terme et à long terme, ce qui est extrêmement grave.
Quelles sont donc les revendications « économiques » que les
étudiants peuvent, à mon sens, se donner sur la simple base de la
situation pédagogique, de la réalité pédagogique qui fait d'eux
des étudiants, ayant à recevoir de leurs maîtres un savoir qu'ils
ne possèdent pas encore ?
1. D'abord des revendications concernant les conditions maté­
rielles de leur activité intellectuelle : nouvelles facultés, aména­
gement des anciennes facultés, salles de cours en quantité suf­
fisante; amphis, installations convenables pour les T.P., etc.;
bibliothèques, labos, etc. Dans ces conditions figure l’allocation
d'étude dont on dira un mot plus loin, le logement et les problè­
mes de restaurants, de l'assistance, etc. Ce sont là des mots d'or­
dre bien connus de l'U.N.E.F.
2. Ensuite des revendications concernant les conditions intel­
lectuelles de leur activité : augmentation du nombre des pro­
fesseurs; multiplication massive du nombre des assistants et
maîtres-assistants, les seuls qui pourront être, si leur nombre
est assez élevé, en contact direct et personnel avec le groupe
de leurs étudiants (qui, pour deÿ raisons techniques-pédagogi-
gues, ne devrait pas excéder un chiffre oscillant, selon les disci­
plines, entre 15 et 30); inscription, dans les horaires réglemen­
taires des assistants et maîtres-assistants, des heures consa­
crées à l'assistance aux groupes de travail (G.T.U.) organisés
par les étudiants. Il arrive en effet, comme ce fut le cas après la
dernière grève de l'Université que les revendications étudiantes
en matière d'augmentation de postes d'assistants, soient en partie
« satisfaites » sous la forme soit d'heures supplémentaires prati­
quement imposées par les Directeurs d'études à des assistants,
généralement les plus dévoués — ou sous la forme du rappel à
l'enseignement d'un chercheur, ou plus simplement sous la forme
d’heures de « monitorat » accordées à un professeur du secon­
daire, en plus de ses charges normales dans le secondaire. Un
résultat dont le prix est donc en partie payé par les plus géné­
reux ou les moins favorisés des professeurs ou assistants. Les
étudiants veilleront à protester contre certaines de ces mesures
de « rafistolage », qui leur donnent des satisfactions. Toutes ces
revendications doivent être étudiées en commun avec les syndi­
cats des professeurs (S.N.E. Sup., Recherche), en prenant garde 95
g de se couper des professeurs du secondaire (une formule comme;
•2 « le gouvernement poursuit la secondarisation de l'Université »s
J est injuste à l'égard de nos camarades du secondaire, qui font
leur travail dans des conditions épouvantables, et qui acceptent
g néanmoins des postes de « moniteurs », qui sont les demi-soldes
& non pas intellectuels mais pécuniaires de l'Université). Il faut
3 demander la transformation des postes d'assistants et de maîtres-
^ assistants, l'augmentation massive des postes d'assistants et
maîtres-assistants, la fin de l'obligation faite aux assistants et
maîtres-assistants d'assurer des heures supplémentaires, etc.
3. Des mots d'ordre concernant la rationalisation des for
mes d'enseignement : reconnaissance officielle des G.T.U. assis­
tés par les professeurs, maîtres-assistants et assistants (y com­
pris salles de travail, locaux pour les G.T.U., etc.)3. Transforma-

2. Cette politique est d'autant plus regrettable


qu’elle tient sans doute seulement à une simple
question de formulation. Il semble que l’expres­
sion de « secondarisation » vise aussi, sinon
surtout, une certaine méthode d’enseignement,
qui, par exemple dans certaines sections ou
dans certaines Grandes Ecoles, soumet les étu­
diants à un véritable horaire et à des formes
scolaires calquées sur celles des lycées : cours
obligatoires se succédant presque sans interrup­
tion, découpage corrélatif des programmes et
matières, etc. Dans certains autres cas, l’esprit
de l’enseignement vise à donner une préparation
intégrale à un examen, sans rien laisser non au
hasard, mais à l’initiative des étudiants. Il est
certain qu’une méthode de ce genre « mâche »
plus le savoir dispensé aux étudiants qu’elle ne
les prépare à acquérir eux-mêmes, en les aidant
convenablement et méthodiquement, le savoir I
qui doit devenir le leur. C’est en quoi elle peut
faire penser à quelques aspects, parfois réels,
de certains cours du secondaire. Dans l’enseigne­
ment supérieur c’est un non-sens que de vouloir
« mâcher » systématiquement tout le savoir en­
seigné aux étudiants (dans le secondaire aussi,
d’ailleurs, mais dans des formes différentes).
Mais il ne faudrait pas en conclure à la pros­
cription de tout enseignement didactique : il est
indispensable, mais a pour but de disparaître le
plus vite possible dans des formes plus libres,
dès que l’étudiant est en possession d’une mé­
thode de travail et de connaissances suffisantes
pour que son travail personnel soit fécond, —
ce qui implique d’ailleurs la nécessité de contrô­
les rationnels.
3. L’appel à la formation des Groupes de Tra­
vail Universitaire exprime, dans un mot d’ordre
clair et juste, les besoins des étudiants, et
leur désir d’une activité intellectuelle authen­
tique dans le cadre de l’enseignement qu’ils
reçoivent. Il suffit, pour donner tout son sens
à ce mot d’ordre, qui est en lui-même une
véritable innovation créatrice, de préciser sa
forme rationnelle ; en organisant les conditions
tion des formes aberrantes (les T.P.) d'enseignement, etc*. Mots
d'ordre concernant la mise en place et l'organisation d'un ensei­
gnement d'initiation systématique et progressif des principes
théoriques et méthodologiques, des disciplines techniques indis­
pensables à la recherche scientifique dans toutes les disciplines,
et ce dès le début de la licence : des cours fondamentaux pour­
raient ainsi donner des connaissances de base : bases théori­
ques, méthodologiques et techniques nécessaires à la formation
de base des futurs chercheurs. Cours de mathématiques pour
les philosophes, cours d'épistémologie des sciences humaines
(aucun cours de cette nature ne figure à aucun programme),
cours d'épistémologie des sciences de la nature selon la discipline
pour toutes les disciplines scientifiques (aucun cours de cette
nature ne figure à aucun programme); cours de philosophie des
sciences pour toutes les disciplines, etc. C'est dans cette voie
que doivent s'engager les revendications des étudiants, légi­
timement soucieux de ne pas se trouver sans connaissances
suffisantes pour aborder la recherche, le jour où ils auraient
l'occasion de le faire ou tout simplement pour vraiment dominer,
et donc bien conduire leur activité intellectuelle et profession­
nelle. La mise en place de ces cours théoriques fondamentaux
contribuera sûrement à faire apparaître les vrais problèmes
théoriques impliqués dans toute recherche et les idéologies qui
les recouvrent.
La mise au point et la défense de ces revendications appar­
tiennent normalement à l'U.N.E.F., c'est-à-dire au syndicat étu­
diant. Toute cette action syndicale doit se développer sur la base
dans lesquelles les G.T.U. pourront se développer.
Conditions matérielles d’abord. Mais en même
temps et aussi conditions intellectuelles justes :
en demandant aux assistants et professeurs
leurs conseils théoriques et techniques pour le
travail, soit à entreprendre, soit entrepris, cha­
que fois que leur aide est objectivement néces­
saire et utile. Dans cette forme rationnelle les
G.T.U. connaîtront un grand développement et
contribueront réellement à renouveler les métho­
des classiques d'enseignement, pour le bien des
étudiants d’abord, mais aussi pour le bien des
professeurs et assistants, qui connaîtront mieux
qu'avant les besoins des étudiants, et enfin,
dans certains cas, pour le bien de l’enseigne­
ment, qui atteindra vite un niveau plus élevé.
Pour que l'avenir des G.T.U. et leurs effets
bénéfiques soient assurés, il faut de toute
urgence multiplier les postes d’enseignement,
donc lier l'appel aux G.T.U. aux demandes de
créations de postes (assistants, maîtres-assis­
tants, professeurs).
4. Sous ce rapport la protestation générale des
étudiants contre le « cours magistral » prend
tout son sens. Un professeur qui parle devant 97
300 étudiants ou plus serrés dans un amphi
bondé, ne peut après son cours « ouvrir le dia­
logue », pourtant souhaitable à tous égards,
tant pour les étudiants que pour le professeur
3 d'une large entente avec les syndicats des professeurs et même
| avec les professeurs non syndiqués au S.N.E.Sup. ou à l'Amicale,
J comme avec les autres. Elle aura des résultats pédagogiques
$ et politiques heureux, car elle repose sur une base juste, sur
S une analyse adéquate de la réalité. Les professeurs reconnaîtront
J la justesse des mots d'ordre des étudiants, ils participeront bien
? plus largement à leur action, et s'ils ne sont pas encore éclai-
£ rés sur ses raisons, pourront reconnaître le sérieux et le bien
fondé d'une des formes dans lesquelles s'exerce l'action des
étudiants communistes et du Parti.
Ils se convaincront que les étudiants communistes consi­
dèrent l'acquisition d'un vrai savoir, d’un savoir scientifique, et
donc la distinction fondamentale entre d’une part le vrai savoir,
et d’autre part les faux savoirs (les idéologies), comme une
préoccupation essentielle et comme la raison la plus profonde
de leur action. Ils pourront un jour, aidés par leurs collègues
communistes, se convaincre que si les étudiants communistes
sont les plus attachés à la rigueur et au développement de la
connaissance scientifique, ce n'est pas pour des raisons de pure
tactique, mais pour des raisons profondes : leur premier devoir
professionnel d’étudiant est leur devoir vis-à-vis de la connais­
sance scientifique, exactement parce que leur premier devoir de
communiste est leur devoir vis-à-vis de la science marxiste-léni­
niste. Ainsi ils gagneront à la science marxiste-léniniste le res­
pect de tous leurs camarades et de tous leurs maîtres, qui se
lui-même. Dans certains cas ce sont les condi­
tions mêmes de l’enseignement (300 étudiants
dans un amphi bondé) qui l’interdisent prati­
quement. Dans d’autres cas la méthode du pro­
fesseur lui-même. A chaque cas typique corres­
pondra une revendication adaptée : soit multi­
plication des amphis, et augmentation massive
du nombre des professeurs et assistants; soit
demande de changement de méthode, — soit les
deux à la fois. On tiendra compte aussi des
habitudes régnant dans certains enseignements
ou certaines facultés : ce ne sont pas toujours
les mêmes. Dans certaines facultés de nom­
breux professeurs accepteraient sans doute
d’ouvrir le « diatogue » à la fin d’un cours, de
répondre aux questions, voire (quand il s’agit de
matières problématiques) d’instaurer un débat :
des rapports pédagogiques plus personnels et
plus rationnels pourraient ainsi commencer de
s’instaurer, et s’étendraient parfois assez vite.
Dans d’autres facultés, où les habitudes sont
plus fortes, le problème devrait sans doute au
préalable être posé publiquement, par une argu­
mentation soigneusement étudiée débouchant
sur des propositions rationnelles. La critique
oa du « cours magistral », dont la pratique domine
y6 l’enseignement dans certaines facultés, débouche
naturellement sur la remise en question des
conditions actuelles de la polycopie des cours.
C’est une des préoccupations essentielles de VU.
N.EJF.
convaincront que la validité de la cause du communisme est
bien fondée, non sur des buts politiques ou idéologiques (ils en
sont la conséquence), mais sur la science, à la fois la science
du développement des formations sociales (matérialisme histo­
rique), et la science de la distinction de la vérité et de l’erreur,
la distinction de la science et de l’idéologie, qu'est le matéria­
lisme dialectique, la philosophie marxiste-léniniste. On voit com­
ment une position juste des revendications « syndicales », qui
prennent en considération la réalité même de la fonction péda­
gogique de l'Université, peut et doit déboucher, même directe­
ment, sur des conséquences politiques.
C’est par là que se trouve réalisé le lien réel qui doit exister,
dans toute action communiste réfléchie et conséquente, entre
les revendications « économiques » ou corporatives, et les reven­
dications politiques générales. Il ne saurait être question un seul
instant de cantonner le syndicat étudiant qui a donné des preu­
ves éclatantes de la conscience politique des étudiants, dans la
seule revendication « économique ». Ce serait proprement de
{'économisme. Lénine a répété inlassablement que les commu­
nistes, militant dans le syndicat de masse, doivent lutter sans
trêve pour que le syndicat définisse des revendications et des
mots d'ordre « économiques » justes. Par là il entendait que les
communistes devaient se garder comme de deux erreurs graves :
1° soit de se contenter des revendications économiques « pures »,
qui sont celles qui s'imposent à la conscience des travailleurs
sans formation politique (par quoi l’on verse dans l’écono­
misme); 2° soit de plaquer artificiellement sur des revendications
économiques plus ou moins tenues pour inférieures (« quanti­
tatives ») des revendications politiques générales (plus nobles :
« qualitatives »), de plaquer directement, sans tenir compte du
lien réel existant dans la réalité, le politique sur l'économique
(par quoi on tombe dans l’aventurisme). Les communistes ne
sont pas des anarcho-syndicalistes ou des « économistes »
sociaux-démocrates, qui, soit méprisent la politique, soit font
une politique réformiste honteuse, qu'ils isolent systématique­
ment de l’action syndicale (syndicalisme non-politique). Les
communistes ne sont pas non plus des « politiques » qui se
servent, pour atteindre leurs fins politiques, du syndicat, des
revendications économiques, comme de simples moyens qu'ils
utilisent (sinon exploitent) pour poursuivre des fins politiques
révolutionnaires. Us ne sont pas des politiques cyniques. Les
communistes, selon Lénine, ont pour devoir de travailler dans
le syndicat pour amener le syndicat sur des mots d’ordre syn­
dicaux justes, c'est-à-dire fondés sur une analyse objective scru­
puleuse de la réalité des conditions de vie et de travail des mem- 99
bres de la profession. En cela les communistes sont conséquents.

Problèmes étudiants
Car leurs fins politiques et sociales ne sont pas des idéaux vides
et arbitraires, sans rapport avec la réalité présente et le déve­
loppement de la réalité présente. Elles ne sont pas non plus des
fins réelles et réalistes, qui, même généreuses, devraient être
atteintes par n'importe quel moyen (la fin bonne justifiant les
moyens, y compris l'utilisation, l'exploitation de la conscience
syndicale et de l'organisation syndicale des masses) : les commu­
nistes ne sont ni des utopistes ni des volontaristes. Les fins pour­
suivies par les communistes sont fondées réellement, dans la
réalité, et ce fondement des fins dans la réalité objective est le
résultat d'une analyse scientifique de la réalité, effectuée sur la
base de la science marxiste-léniniste du développement de la
société. Ces fins politiques et sociales générales sont donc fon­
dées dans la réalité présente, et on doit pouvoir le vérifier jus­
que dans le détail, y compris au niveau de la revendication
« économique ». La réalité « économique » elle-même, dans
ses formes les plus immédiates (celles qui concernent les condi­
tions d'existence et de travail de chaque catégorie de travailleurs,
donc leurs revendications et les mots d'ordre « économiques »)
doit donner lieu à cette analyse, à cette démonstration. C'est sur
cette nécessité rationnelle qu’est fondée la pratique syndicale
des communistes. Lorsqu'ils analysent patiemm ent, scientifique­
ment, les conditions de vie et de travail de leur catégorie pro­
fessionnelle, les communistes qui m ilitent dans le syndicat
retrouvent en fait, dans leur domaine propre, le fondement réel
(quoique partiel, car chaque catégorie occupe seulement un sec­
teur déterminé et partiel dans le processus de production total),
donc scientifiquement analysable, des fins politiques générales
poursuivies par le Parti; ils retrouvent en fait dans la réalité
même qui donne lieu aux revendications « économiques » la
réalité du lien qui doit les unir, directement ou indirectement, aux
fins politiques du Parti, qui sont fondées sur l'analyse de la
réalité sociale existant dans son ensemble et la nécessité imma­
nente de son développement.
C'est pourquoi toute revendication économique bien fondée,
c'est-à-dire reposant sur une analyse scientifique des conditions
de vie et de travail de la profession, contient nécessairement
en elle-même une signification directement politique, et conduit
de proche en proche aux objectifs politiques généraux définis
par le Parti. Cette signification, directem ent politique, incluse
dans dans toute revendication « économique » juste, c'est-à-dire
scientifique, peut donner lieu à un m ot d’ordre directement poli­
tique, ou demeurer latente, à l'état de mot d'ordre « économi-
100 que ». Tout dépend alors de l'état de la conscience politique
des travailleurs. Comme la revendication « économique » juste
est fondée sur la réalité des conditions de vie et de travail de la
profession, tous les travailleurs peuvent en reconnaître la justesse,
l'adopter et la défendre. Leur expérience politique propre, éclai­
rée par les explications politiques que leur donne l'organisation
communiste de l'entreprise, peut les conduire à prendre direc­
tement conscience du sens politique de leur revendication éco­
nomique juste. Par là certains d'entre eux accèdent à la cons­
cience politique et deviennent des révolutionnaires, qui vont
grossir les rangs de l'organisation politique. Mais de toutes
façons la majorité des travailleurs de la profession reste tou-
jours sur des positions économiques, syndicales, sans adhérer
à l'organisation politique. Dans ce cas, si la revendication éco­
nomique est juste, les communistes n'ont pas de peine à mon­
trer son lien objectif avec les objectifs politiques et les mots
d'ordre politiques du Parti, à condition de donner les explications
objectives et scientifiques indispensables à l'intelligence de la
nécessité de ce lien, et des objectifs en cause.
C'est en ce sens que les revendications et les mots d’ordre
du syndicat, s'ils sont justes, c'est-à-dire scientifiquement fon­
dés, peuvent soit directement, soit indirectement conduire à
des mots d’ordre politiques, déboucher sur une prise de cons­
cience politique, et permettre de relier organiquement, et non
artificiellement, aux mots d'ordre politiques de notre temps —
qu'ils soient ses mots d’ordre internationaux comme la lutte
pour la paix (coexistence pacifique), la lutte contre l’impéria­
lisme, le soutien du mouvement de libération nationale dans
les pays du « Tiers-monde »; nationaux comme la lutte contre
la politique des monopoles et le pouvoir gaulliste qui en est
l'instrument d'Etat; la lutte pour une démocratie rénovée; ou
plus spécialement universitaires et étudiants, comme la lutte
pour la sauvegarde des franchises universitaires, pour une vraie
réforme démocratique de l'enseignement, contre la barrière de
classe de la sélection étudiante dès le secondaire, la lutte pour
une allocation d’études — jusques et y compris la lutte pour le
triomphe, dans la sphère du savoir lui-même, de la vraie science
sur les demi-sciences ou sur l'idéologie, et la luttç.
formes rationnelles de l'enseignement (vrais G.T.U.* Î
/C
IV t *
Quels sont à mon sens les principes qui peuvent guider Tar©-.^
tion des étudiants communistes dans leurs tâches ptopre^,?
1) Leur tâche fondamentale est la tâche vis-à-vis de 1$ Xhéorie__
scientifique marxiste-léniniste. ^ ^
Cette tâche ne peut se confondre avec le concept trop vague f o i
de « travail idéologique », qui recouvre trop souvent deux réa-

Problèmes étudiants
lités distinctes. La dénomination « travail idéologique » recouvre
en fait :
a) Le travail théorique ou pratique théorique qui porte sur
les connaissances de la science m arxiste-léniniste, connaissance
qui doit donner lieu à un travail d'étude systématique, puis,
lorsque les conditions scientifiques sont réunies, à une recherche
scientifique dans la théorie m arxiste elle-même, pour l'enrichir
de découvertes scientifiques dém ontrées et démontrables.
b) Le travail idéologique, ou pratique idéologique, c'est-à-dire
l'action et la lutte idéologique : p a r quoi il faut entendre au
sens marxiste strict, la lutte idéologique, c'est-à-dire la lutte
menée, dans les différents domaines de l'idéologie existante (reli-
gion, « philosophie » — c'est-à-dire philosophies non marxistes. —
droit, morale, art, etc.) contre ces idéologies, pour les critiquer,
les réduire, les affaiblir ou les transform er, tout en permettant à
ceux qui en sont les victimes abusées de s'en libérer, c'est-à-dire
pour les aider à s'en libérer, et passer de la servitude idéologique
à la liberté scientifique.
Cette lutte idéologique repose bien entendu sur les principes
de la science marxiste-léniniste, sur la théorie marxiste-léniniste :
mais elle ne se confond pas avec elle. Elle est u n i pratique spéci­
fique, l'application scientifique des principes théoriques marxis­
tes dans le domaine de l'idéologie, tout comme la lutte politique
est l'application, dans le domaine de la réalité politique, des prin­
cipes de la théorie marxiste, et la lu tte économique est l'applica­
tion, dans le domaine de l'économie, de la théorie marxiste.
Prendre la lutte idéologique ou pratique idéologique marxiste,
(qui est seulement l'application pratique de la théorie marxiste
dans le domaine objectif de l'idéologie existante, et non pas la
théorie marxiste elle-même, ou pratique théorique marxiste)
pour la théorie marxiste elle-même, est une grave erreur théori­
que, qui a inévitablement, comme toute erreu r théorique, des
conséquences pratiques néfastes. La théorie ou pratique théori­
que comme telle (qui a pour objet l'objet de la science marxiste,
c'est-à-dire l'objet du matérialisme dialectique : la distinction de
la science d'avec l'idéologie, et toutes ses conséquences concer­
nant le matérialisme, — théorie —, et la dialectique, — métho­
de —, de cette pratique scientifique; et l'objet du matérialisme
historique : le développement des form ations sociales), ne peut
en aucun cas être théoriquement confondue avec la pratique
idéologique, qui a un tout autre objet : à savoir l'application
pratique des principes et conséquences théoriques de la théorie
marxiste-léniniste au domaine objectif de l'idéologie existante.
La tâche fondamentale de toute organisation communiste
concerne ses devoirs à l'égard de la théorie marxiste-léniniste,
— condition préalable de la lutte dans le domaine de l'idéologie
comme dans les domaines économique et politique.
Elle implique — me semble-t-il — deux obligations :
a) l'assimilation par tous les étudiants communistes de la
théorie marxiste-léniniste;
b) la diffusion, la défense et l'illustration de la théorie
marxiste-léniniste.
L'assimilation de la théorie par les étudiants communistes
est une obligation faite à chaque étudiant communiste. Mais
l'organisation peut, pour son compte, donner aux étudiants les
moyens appropriés, soit sous forme de Groupes de Travail Théori­
que, soit par la participation aux organisations existantes (C.E.
R.M., Université Nouvelle, etc.)
La diffusion de la théorie marxiste-léniniste ne peut se résu­
mer dans la vente de la « littérature », des ouvrages classiques
du marxisme, etc. Clarté pourrait contenir, à mon sens, en cha­
cun de ses numéros, soit un exposé fondamental d'un point de
théorie marxiste, soit l'explication d'un texte essentiel de Marx,
Engels, Lénine, etc. Des conférences destinées au large public
étudiant pourraient être organisées dans les villes universitaires
par l'U.E.C., en liaison avec les universitaires communistes et
les chercheurs membres du C.E.R.M. Les étudiants trouveront
eux-mêmes les formes les plus appropriées. Un cours de philoso­
phie marxiste et de matérialisme historique pourrait être édité
le moment venu, pour aider à la diffusion de la théorie marxiste.
Cette diffusion de la théorie marxiste doit être envisagée
comme une tâche spécifique, distincte de la lutte idéologique
dans le domaine de l'idéologie théorique (critique philosophique,
gnoséologique, morale, juridique, religieuse, esthétique, idéaliste,
etc.) qui constitue une tâche différente, quoique liée à la pre­
mière.
Toutes les autres tâches des étudiants communistes peuvent
se rattacher à cette tâche fondamentale. Elles sont conçues
comme des applications scientifiques de la théorie marxiste dans
les différents domaines de la pratique de la lutte économique,
politique et idéologique.
2) Lutte économique et lutte politique.
Je voudrais rappeler ici, en quelques mots, les principes
marxistes qui peuvent permettre d'éclairer une difficulté dont
les étudiants — et ils ne sont pas les seuls — ont fait depuis
longtemps l'expérience.
Les étudiants communistes militent dans le syndicat étu­
diant, TU.N.E.F. 103
Leur action dans le syndicat est déterminée par la théorie

Problèmes «tfm/Amtt
marxiste-léniniste des rapports qre le Parti (ou une organisation
communiste) doit entretenir avec une organisation de lutte éco­
nomique (le syndicat de masse).
La plate-forme d'un syndicat de masse (U.N.E.F.) ne peut
être identique à la plate-forme de l'organisation communiste
(U.E.C.). L'U.WE.F. exprime les revendications générales des rnas-
ses étudiantes, qui, n'ayant pas atteint le niveau de conscience
politique des communistes, ne peuvent adopter les positions poli­
tiques de 1UE.C.
La plate-forme du syndicat étudiant comporte les revendica­
tions « professionnelles », en particulier les revendications éco­
nomiques de base : allocations d'études, restaurants universitai­
res, logement étudiant, co-gestion des œuvres, représentation étu­
diante dans les organismes universitaires; les revendications
matérielles et intellectuelles concernant les conditions du travail
universitaire, etc.
Si le syndicat peut aller au-delà, et prendre position sur des
questions directement politiques (comme il l'a fait à propos de
la lutte anticolonialiste et de la guerre d'Algérie, comme il le
fait sur la paix et le désarmement, contre la politique gaulliste
de la force de frappe, de la jeunesse, etc.), les étudiants commu­
nistes soutiennent cette action politique dans la mesure du possi­
ble, et aident l'action du syndicat à s'orienter vers des positions
politiques justes.
Les étudiants communistes tiennent compte d'une part de la
nature propre du syndicat étudiant, d'autre part de la théorie
marxiste des rapports entre une organisation communiste et le
syndicat de masse.
Le syndicat étudiant (i’U.N.E.F.) présente une caractéristique
particulière, du fait que les étudiants ne sont pas engagés dans
le processus direct de production ; leur travail n'est pas un tra­
vail social, il ne produit pas de valeur d'échange. Le « produit »
du travail d'un étudiant, qui est Vassimilation progressive et
méthodique d'un savoir, n'est pas, en tant que travail intellectuel»
une marchandise. Il n'est pas une production de valeur, il est
une « consommation » d’un savoir accumulé, « consommation »
qui présente la caractéristique de conserver sous forme de capar
cités le savoir qu’elle consomme. Ces capacités définissent la
valeur de la force de travail de l'étudiant lorsqu'il trouve sur le
marché du travail une demande de travail (emploi) correspon­
dant à son offre. Il peut « offrir » cette force de travail avant
la fin de ses études (ses capacités à un instant, en cours d'études)
10 4 sur le marché, par exemple en donnant, parallèlement à ses étu-
des, des leçons particulières, en faisant passer des c colles », er
remplaçant un médecin, ou en acceptant différentes formes de
travail noir. Mais alors, s'il continue ses études, il accomplit à
la fois deux travaux distincts : un travail social, producteur de
valeur d'échange (leçons particulières) rémunéré, et son travail
d'étudiant, activité d'assimilation d'un savoir.
Il est impossible, en théorie marxiste, de confondre l'activité
<?assimilation « consommation » d’un savoir, conservant ce savoir
sous formes de capacités, (elles-mêmes en transformation au fur
et à mesure que se poursuivent les études), avec un travail social
Le concept de « salaire étudiant » est donc sans base théorique^
du point de vue économique marxiste. La revendication étudiante
pour une rémunération doit donc être fondée sur une tout autre
base, en tenant compte du fait que le travail de l'étudiant n'est
pas un travail social directement producteur de valeur d'échange.
Ces conditions particulières font du syndicat étudiant un
syndicat particulier. Tous les syndicats ont pour but la défense
des intérêts économiques de leurs membres, insérés directement
dans le processus de la production. Le syndicat étudiant défend
les intérêts matériels et autres de ses membres qui ne sont pas
directement insérés dans la production sociale.
Cette condition particulière peut provoquer deux tentations.
1) La première consiste, comme on l’a vu parfois au cours dé
ces dernières années, à développer, en contradiction avec la
réalité, une théorie qui tente de démontrer que le travail étudiant
serait producteur de valeur d’échange, et devrait donc être rétri­
bué comme force de travail produisant de la valeur. Cet effort
théorique ne peut aboutir. La réflexion des étudiants les a con­
duits alors à concevoir la formation que donne la société aux étu­
diants comme un investissement, devant assurer la qualification
élevée de la force de travail des futurs cadres du processus social
de production ; ils ont alors envisagé de revendiquer une rémuné­
ration étudiante comprise dans l’investissement, ou fondée sur
l’étalement du salaire global, qui est actuellement perçu seule­
ment pendant la période de vie productive (un « présalaire » à
valoir sur le futur salaire, comme à l'inverse, la retraite serait
un post-salaire perçu après le salaire). Formellement cette théori­
sation est juste, mais elle fait abstraction de deux conditions
fondamentales. D'abord cet investissement, rémunération ou éta*
lement, suppose une société capable de planifier sur une longue
durée, soit ses investissements, soit l'étalement du salaire (c'est-
à-dire suppose que le régime capitaliste ne soit pas le régime
capitaliste). Ensuite le régime capitaliste n’éprouve manifeste­
ment pas, dans l'état actuel de l'organisation universitaire (ce
pourrait être différent dans une réforme technocratique, on l'a 1 0 î
vu) le besoin de cette mesure : l'entretien de la force de travail

Problèmes étudiants
des étudiants étant grosso modo assuré par les ressources fami.
liâtes, des bourses et du travail noir.
Par là nous touchons à l'aspect vraiment important de la
question tant débattue de l'origine sociale des étudiants. Les étu­
diants de l'Enseignement Supérieur, c’est-à-dire les étudiants qui
ont dû, dans leur grande masse, (à l'exception d'une minorité très
faible) aux ressources économiques de leurs parents, de pouvoir
poursuivre leurs études au-delà du secondaire, peuvent générale­
ment subsister, (sous la réserve de la distribution d'un nombre
réduit de bourses d’études), c'est-à-dire entretenir leur force de
travail pendant la durée de leurs études. Tous les arguments
moraux ou psychologiques invoqués contre ce fait économique ne
peuvent entamer ce fait : le régime capitaliste, à moins de s’y
engager dans des conditions qu'il définirait lui-même, n'a pas
dans sa logique actuelle, de raison économique décisive de modi­
fier une situation économique dans laquelle ressources familiales,
expédients personnels (travail noir) et quelques dizaines de mil­
liers de bourses, assurent grosso modo la subsistance des étu­
diants dans le cours de leurs études. La raison fondamentale de
cet état de fait, regrettable à bien des égards (du point de vue
moral et psychologique et du point de vue même des études,
comme l'ont bien vu les étudiants), tient justement au fait que
la majorité des étudiants de l'enseignement supérieur se recru­
tent dans des milieux sociaux disposant d'une aisance soit tout
juste suffisante, soit suffisante, soit largement suffisante, pour
entretenir leurs enfants durant leurs études. L'origine de classe
i des étudiants, et la politique capitaliste économique actuelle, se
i rencontrent dans le statu quo, économiquement satisfaisant pour
| le régime capitaliste actuel, d’une activité étudiante non rému-
| nérée.
La position syndicale étudiante doit tenir compte de ce fait
et prendre une exacte connaissance des conditions qui aboutis­
sent au maintien de ce statu quo, c'est-à-dire aux conditions de
classe du recrutement des étudiants de l’enseignement supérieur,
et de la politique gouvernementale qui obéit aux lois du capita­
lisme. Le syndicat étudiant aboutira alors à la conclusion que
l’action revendicative doit tenir compte non seulement de l’atti­
tude du régime capitaliste, qui est grosso modo satisfait de l’état
actuel, ou peut l'aménager dans une perspective technocratique,
mais encore et surtout des conditions de classe du recrutement
actuel des étudiants de l’Université. C'est au niveau du secondaire
que se fait le « choix », donc que joue le mode de sélection
effectif entre les candidats aux études du supérieur, et cette
106 sélection s’opère actuellement en fonction des revenus des famil•
les. Une revendication économique étudiante ne peut donc en
aucune façon se définir, sans tenir compte de cette réalité, c’est-
à-dire sans tenir compte du processus total de scolarité, et de
l'existence d'une barrière de classe de fait au niveau du secon­
daire. La revendication étudiante économique fondamentale doit
donc être étudiée en tenant compte à la fois des besoins des élè­
ves les plus défavorisés, dès le secondaire, et des besoins propres
aux étudiants, et elle doit être non pas utopique mais réaliste :
elle doit prendre la forme de la revendication d'une allocation
d’études distribuée selon les revenus familiaux dès le secondaire,
et étendue au supérieur dans des conditions d'application parti­
culières». L'unité de revendication entre les différents ordres d'en­
seignement, l'imité intersyndicale qui en résultera, et qui est
d'ores et déjà assurée de l'appui des organisations de la C.G.T.
et du Parti communiste, constitue la garantie de la possibilité
d'un succès dans la lutte.
2) Cette prise de conscience, et cette responsabilité vis-à-vis
des jeunes élèves du Secondaire, à qui la barrière de classe inter­
dit actuellement l'entrée dans le Supérieur, protégera le syndicat
étudiant d'une seconde tentation : la tentation de substituer la
lutte politique à la lutte économique.
La condition étudiante, non insérée dans le processus de pro­
duction directe, la difficulté de trouver le point d'insertion exact
et la formulation juste de la revendication économique fonda­
mentale, peuvent pousser, et ont parfois poussé dans le passé,
vers ce qu’on peut appeler une substitution de la revendication
politique à la revendication économique dans le domaine écono­
mique lui-même, ou à une sublimation en revendication politique
des difficultés éprouvées sur le terrain économique pour définir
les conditions de la lutte. Quand la base de la lutte économique
est difficile à définir, ou demande de longs efforts, comme c'est
le cas du syndicat étudiant, à cause de sa nature particulière (ses
membres ne sont pas insérés directement dans le processus de
production), il est très tentant de la remplacer par une conception
5. Les étudiants donnent à leurs revendications
des justifications nombreuses, et certaines ris­
quent parfois d’être mal comprises de leurs
aînés (en particulier de leurs professeurs) à cau­
se du langage dans lequel sont formulées ces
revendications. Par exemple, l'argument : les
étudiants ne sont plus des enfants mais des
adultes, c'est offenser leur dignité et leur âge
que de leur « attribuer » des bourses, ou des
secours, ou les différentes formes d’assistance,
(restaurants, œuvres, etc.) existantes; ils ne peu­
vent accepter d'être traités en mineurs, soit par
tes « dons » qu’on leur fait, soit par la dépen­
dance financière où its sont vis-à-vis de leurs
parents, ou seraient encore vis-à-vis d’eux en 1
demandant une allocation d’études familiale.
Cet argument est profondément vrai, mais il
gagnerait à être exprimé dans un langage qui
n’ait pas les apparences d'un langage « psycho■
2 politique de l’action syndicale. Non qu’il soit illégitime, bien
.§ au contraire, qua TU.N.E.F. prenne publiquement des positions
*| politiques sur les grands problèmes de l'heure. Cette action poli-
AS tique du syndicat est plus que légitime : elle est indispensable,
« et sur ce point, il est important que les étudiants aient depuis
longtemps dépassé le point de vue social-démocrate de l’apoli-
tisme syndical. Il s’agit du remplacement de la revendication
^ économique juste par l'utilisation politique d’une revendication
économique mal fondée ou utopique. Le salaire étudiant a pu
ainsi, dans une perspective « stratégique » jouer un peu le rôle
d’un mythe sorélien, destiné à « mobiliser » les étudiants en vue
d’un résultat politique. Cette conception pragmatiste des rapports
de l’action syndicale et politique n’est pas à mon sens marxiste.
Les marxistes se sont toujours refusé à mobiliser politiquement
les masses sur la base d’un mythe ou d’une revendication écono­
mique utopique-démagogique, donc objectivement non fondée,
économiquement et politiquement fausse ou inexacte.
On peut cependant percevoir des traces de cette tendance
dans une certaine présentation de l’action étudiante, entendue
trop vite comme une « contestation globale » du capitalisme;
dans une certaine façon d’amalgamer les revendications, de les
rassembler comme si elles étaient toutes de même niveau et de
même nature, et de les opposer globalement à une situation poli­
tique ou de classe « globale »; dans une certaine façon de ranger
a priori dans un premier camp le rapport maître-élève, le rapport
pédagogique, les formes classiques de l’enseignement, la plupart
des professeurs, l’individualisme, la passivité, le libéralisme, la
logique ». Les étudiants demandent en réalité
par là que la société reconnaisse leur droit à
être traités en hommes majeurs, qui « étudient »
en général non pas pour leur simple plaisir,
mais pour assumer plus tard des jonctions im­
portantes dans la vie sociale. Et ils demandent
en plus que la société leur reconnaisse ce droit
à un âge qui n’est pas, comme on le croit trop
Souvent, l’âge des facilités et des distractions,
mais l’âge des difficultés et des responsabilités
qui peuvent décider, et décident très souvent en
fait de l’orientation de toute une vie : mariage,
choix d’une profession, choix d’une activité ou
d’une orientation dans le domaine culturel,
social, syndical, politique, etc. (sans parler des
problèmes du service militaire). A l’âge de ces
choix importants, les étudiants sont légitimés à
demander qu’on reconnaisse leurs responsabili­
tés, et qu’on leur donne les moyens de se déci­
der sans que pèse sur eux, même si leurs pa­
rents y mettent tous les égards souhaitables,
une dépendance de fait, qui dans certains cas
no peut objectivement limiter leur choix.
C’est en ce sens qu’il faudra prévoir les moda­
lités propres de l’allocation d’études : accordée
tout naturellement aux parents pendant le secon­
daire, elle pourrait être accordée personnelle­
ment aux étudiants du supérieur.
vieille Université libérale, l'assistance aux étudiants, l’injure faite
à des étudiants majeurs qu'on traite comme des enfants — en les
traitant aussi comme des élèves —, tout cela plus ou moins impli­
citement assimilé à la politique « globale » du capitalisme et de
son gouvernement, à la pression et à l’exploitation de classe;
dans une certaine façon de ranger dans Vautre catnp, opposé au
premier, la démocratie, les G.T.U., les « enquêtes-participation »,
les vertus des méthodes de prise de conscience « provoquées » de
la psycho-sociologie, le salaire étudiant, la cogestion des program­
mes, la culture de masse, le socialisme, etc. Cette politique
d’amalgame devant avoir pour fin la production des résultats
politiques destinés à « satisfaire » les aspirations étudiantes.
Cette conception de la lutte économique aboutit à deux résul­
tats paradoxaux qui ne sont pas sans importance.
Le premier peut conduire à la sous-estimation des revendi­
cations économiques elles-mêmes, baptisées « quantitatives » par
opposition aux revendications « qualitatives ». Les revendications
* qualitatives » étant conçues comme les revendications fonda­
mentales devant figurer dans le programme « stratégique » de
c l'alternative globale » destinée à « contester » la présente
société de classe. Une telle position peut aboutir à l’affaiblisse­
ment de la lutte économique.
Le second résultat paradoxal peut conduire pratiquement à
une sorte de confusion, voire à une certaine identification entre
l’organisation syndicale et l'organisation communiste.
Pour comprendre le caractère anormal de ce phénomène,
pour apprécier les risques qu'il entraîne, il est nécessaire de
revenir un instant sur la théorie léniniste des rapports entre le
syndicat et l'organisation communiste.
La théorie léniniste est, sur ce point, très précise. Par nature,
le syndicat et l’organisation communiste ne peuvent avoir exac­
tement ni les mêmes conceptions théoriques, ni les même adhé­
rents, ni les mêmes objectifs, ni les mêmes mots d'ordre, ni les
mêmes méthodes d'action. Le syndicat groupe la masse des tra­
vailleurs (souvent la majorité), dont il exprime les revendications
économiques dont ses adhérents reconnaissent la valeur. L’organi­
sation communiste groupe seulement les plus conscients des tra­
vailleurs, qui acceptent la doctrine communiste, ses objectifs
et ses formes d'organisation et d'action. C'est sur cette différence
de nature qu'est fondée la différence existant entre la théorie
(aucun syndicat en France n'est marxiste-léniniste), entre les
objectifs (économiques principalement d’une part; politiques
principalement d'autre part); les formes d'organisation et les
formes d'action. Bien entendu, en de nombreux cas et circons- 109
tances, principalement dans les formes d’action (grèves, mani­

Problèmes étudiants
festations), et même dans les formes d'organisation (centralisme j
démocratique), syndicat et organisation communiste peuvent se !
rencontrer. Mais il subsiste toujours entre eux d'importantes dif-
férences, dans la théorie d'une part, dans les objectifs et les
revendications d'autre part, dans l'organisation enfin.
On peut exprimer cette différence générale en disant que
selon Lénine l'organisation communiste doit être non pas au ;
même niveau (théorique, politique, organisationnel) que le syn­
dicat, mais en avant de lui. D’où il résulte que si l'organisation
communiste se trouvait, sous ces différents rapports, pratique­
ment au même niveau que le syndicat, en ayant par exemple les
mêmes objectifs, les mêmes principes d'organisation, les mêmes
formes d’action que lui, ce serait l'indice d'une anomalie, et
quelque chose serait à examiner et réviser dans la position de
l'organisation communiste. Car l'organisation communiste qui
se trouverait en fait au même niveau que le syndicat, serait en
même temps en arrière de sa vraie place. Et elle ne jouerait que
partiellement son rôle spécifique dans ses rapports avec le syn­
dicat, risquant de perdre dans cette confusion ce qui la distin­
gue justement du syndicat, et qui fait sa raison d'être : son rôle
d'avant-garde théorique et politique; risquant ainsi de subir les
effets de l'idéologie dominante qui n'épargne pas la masse des
travailleurs, mais seulement les mieux armés théoriquement et
politiquement.
Un important travail de critique et d'élaboration est donc
à accomplir.
Un dernier mot sur le sens de l'analyse qui précède.
A la base des remarques qui ont été formulées, on trouve la
réalité même de l’U.N.E.F. et de l'U.E.C. Pour l'essentiel, les pro­
blèmes théoriques et idéologiques qu'on a signalés, tiennent à
une véritable crise de croissance du mouvement étudiant. Sans
cette réalité extrêmement positive, l'essai d'analyse qui précède
n'aurait tout simplement aucune raison d'être.
Les étudiants communistes sont aujourd'hui en face de
grandes tâches et de grandes responsabilités. Par leur réflexion
scientifique, leur action théorique, politique et idéologique, ils
peuvent aider le Parti dans la grande lutte politique et idéolo- j
gique indispensable, la lutte pour la démocratie, contre la domi­
nation de la classe bourgeoise, et contre ses moyens de mystifi-
1 j O cation des consciences : son idéologie de classe.
Les communistes leur feront confiance, cette confiance lucide,
critique, sans concessions, — mais généreuse, digne de leurs méri­
tes et de leur travail, digne de toute l'histoire du mouvement
ouvrier : la confiance que Marx et Lénine faisaient, en connais­
sance de cause, à tous les intellectuels honnêtes et courageux qui
rejoignent le com bat ouvrier par l’intelligence de sa réalité et de
son avenir.
Paris, te 16 décembre 1963.

L O
/ S A L T H V S S E R

Vous aimerez peut-être aussi