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Introduction
Parmi ces questions, il conviendrait d'éviter deux écueils. 1° L'idée d'une adaptation-vol ou
trahison, ou déperdition (l'idée du fameux "crime parfait" ; 2° l'idée d'une fermeture de
l'imaginaire par le cinéma (les lettres ouvriraient car non actualisante; le cinéma présentifierait
et donc fermerait et apauvrirait), idée très répendue y compris chez des "grands", qui
conçoivent un soupçon vis à vis des arts visuels. Gracq par exemple.
Pour ce faire, envisageons la question de l'adaptation au delà de celle d'un procédé ou d'une
technique qui vise à sauvegarder "bourgeoisement" les champs respectifs. Nous proposons
d'envisager l'adaptation comme un cas particulier d'intertextualité, de transfert consubstantiel
à la vie des formes. L'adaptation est une lecture et une relecture de l'oeuvre, souvent assumée.
Plutôt qu'une trahison, pensons l'adaptation comme un relais des formes qui a toujours existé,
et qui dépasse la notion juridique fermée d'oeuvres, laquelle n'est que très limitée dans le
temps. De l'émergence de l'autonomisation d'un "champ" (au sens bourdieusien) culturel et
littéraire à nos jours, où la notion d'oeuvre est remise en question par les nouveaux médias.
Plutôt qu'une trahison, l'adaptation relève d'un marché, d'un système d'échanges, d'un
commerce (trade) dont Francis Ramirez et Christian Rolot ont donné une approche d'ordre
anthropologique particulièrement convaincante : "... la problématique de l'adaptation prend sa
place dans l'une des questions fondatrices de l'anthropologie générale, celle de la transmission
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Remarquons, sans entrer dans une histoire longue et mouvementée de l'adaptation littéraire,
que l'autonomisation du champ artistique cinématographique, la constitution du cinéma
comme art, s'est constamment appuyé de manière paradoxale sur le geste de l'adaptation.
Tension constitutive tout au long de l'histoire du cinéma.
Face à cette entreprise, ce "classicisme" jugé dommageable, la réaction des cinéastes d'avant-
garde, tous issus des rangs de la littérature, va être de promouvoir les moyens propres du
cinéma, d'inventer un langage (VS les sujets). C'est la naissance de la première avant garde,
qui récupère les avancées de Griffith.
Mais le paradoxe, c'est que ces auteurs vont promouvoir leurs recherches en se mesurant à des
adaptations littéraires, non pour usurper la gloire littéraire, mais pour manifester une sorte de
relais de formes, de transfert linguistique (dans la lignée d'une réflexion post symboliste sur
l'autonomisation du pouvoir des formes): comment le médium cinéma surclasse et sublime le
topos littéraire, ici la mélancolie envisagée comme synthèse de sentiments contradictoires qui
contraint le personnage à l'immobilité.
Voir Epstein et La chute de la maison Usher. Exemple dans La Chute de la maison Usher.
Le visage de Roderick Usher hanté par la disparition de sa sœur et l’angoisse de son
« retour » : filmage en gros plan et ralenti, montage alterné avec la silhouette de Madeleine
qui sort du tombeau. Epstein va décomposer là l’extrême complexité du sentiment humain.
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On sait qu'adapter entraine des métamorphoses, fait appel à une conversion des imaginaires et
des langages. Engage une confrontation et une mutation des rhétoriques, contrainte par la
programmation du texte adapté, par les impératifs techniques et sémiotiques du cinéma, par la
liberté du créateur. Il faudrait envisager le sujet sous l'angle d'une économie générale
comparée des figures, dans le sillage de Nicole Brenez, couplée avec des analyses cognitives.
On sait que certaines choses sont faciles et simples à adapter; d'autres non, voire impossibles.
Par ex la question de l'itération. Naturelle en littérature (l'imparfait itératif); elle suppose une
inventivité prodigieuse au cinéma. Le cas de l'itération dans In the mood for love.
Sans s'engager de manière ennuyeuse dans la théorie, l'on peut citer Brian McFarlane, Novel
to film: An Introduction to the Theory of Adaptation, Oxford, Clarendon Press, 1996. Selon
McFerlane, plutôt que d'être fidèle au texte, le film doit "jouer avec", (play around = tourner
autour), le transmettre de manière indirecte, périphrastique. Il s'agit de rester fidèle à ce qui
fait l'essence du texte (intrigue, personnages, retournements) mais également d'opérer les
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Voyons qques uns de ces éléments, relevant de la nécessaire "adaptation" qui nécessite
échanges, conversions, jeux.
1) L'espace et le temps:
Bête humaine (1938) de Renoir, chap. 11 de 1h20'40'' à 1h23'43''. Rituel amoureux > rituel de
mort. Séverine éteint les lumières, puis de metteur en scène, devient objet sacrificiel.
Labyrinthe et minotaure. Dédoublements. Utilisation de l'espace, en paliers. Usage de la
Profondeur de champ, remontée dans le fond, dans le temps: l'enfoncement dans la pièce =
remontée atavique. Cf ce que dit Deleuze de la PDF chez Welles: une expression directe du
temps, ce que Deleuze appelle l'image-temps. Ici enjeu fort: l'Espace devient du temps.
PBtique: spatialisation de la pulsion criminelle. La pulsion est transformée en espace, c'est
à dire en durée pure, en durée simultanée à laquelle Jacques n'échappe plus. L'instant
pulsionnelle = durée pure. Or cet espace est exclusif. Jacques devient un "Horla". Ceci prend
sens pour Renoir par rapport à la séquence de meurtre de La Chienne, qui joue sur le mélange
des genres, haut et bas, tragique et bouffon, comme la vie. Renoir donc adapte Zola, ET fait
un auto remaque en variant le ton et le registre. Ici rien que tragique; Renoir travaille ce
registre qui lui est peu habituel. Ici, étanchéité forte entre tragique et gaieté, manifesté par le
montage alterné et l'audio split (le son homo plaqué sur la scène de meurtre). Rituel de Mort
sur fond de sentimentalité mièvre, ou l'inverse; les deux espaces exaspèrent leur différence
respective dans une esthétique du contrepoint. Confrontation critique des deux espaces en
montage alterné: le théâtre de la vie et le "ça" qui lui sert de soubassement. Du coup, la gaieté
sonne faux, découvre son artifice (comme une ritournelle déplacée qui devient ironique: "le
p'tit coeur de Ninon"). Monde clivé et non plus communicant et Jacques est enfermé dans le
no mans land de la durée héréditaire, exclu de la diversité de la vie. Celui du temps atavique
pur de la pulsion. Porte restée ouverte. Dernier plan "abstrait": Jacques n'existe plus que sur
l'axe diachronique de l'hérédité qui le fait régresser en avançant dans le vide, "involuant".
Maison Tellier, 1951. Voir Chapitre 3, 0h18' à 0h21'. Travaille sur les plans longs, travelling
ascendant, mvt à la grue. La caméra ne pénètre jamais dans la maison. Les spectateurs vivent
en 1951 et les "maisons" ont fermé depuis 1946. Ophuls impose une distance, un retrait aux
spectateurs, celui même du passé révolu. Introduit une sorte d'anachronisme dans l'image: ce
que l'on voit n'est pas au présent mais au passé de la narration, filme moins la reconstitution
de la maison que l'effort du spectateur pour imaginer ce qu'il y a dans la maison. Multiplie les
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écrans, fenêtres, rideaux, souvenirs, ou projections. Ainsi ce travail sur l'espace est en réalité
un travail sur le temps. Non comment le temps se cristallise en espace, mais comment l'espace
impose une distance temporelle. Cette distance temporelle est un changement d'échelle de
temps. Ceci couplé avec le fait que Ophuls gomme les aspects satiriques et grotesques de la
nouvelle (Ton). On est plutôt dans une forme de respect et de pudeur. "Conte pour adultes".
Cet écart dévoile le véritable sujet du film: la quête du besoin de transcendance chez les
personnages féminins, le dépassement des cadres de la vie ordinaire vers une forme de
spiritualité (tension ici entre les surcadrages et le mvt enveloppant de la caméra qui dit une
aspiration à une élévation). Mais importance des coupes et des plans noirs: la quête n'est pas
linéaire, mais engluée dans la matière et la répétition, toujours recommencée. Enjeu: celui du
renouement avec un réenchantement de vivre, dans un élan, toujours contrarié, mais lié à la
nature même, aux saisons, aux éléments, à la vie. Transcendance de la vie, dans la vie (pour le
coup très renoirien) qui est une forme d'écho à Une partie de campagne de Renoir (1936).
Parfois parfaitement respectée d'un texte au film (Les innocents de Jack Clayton, 1961).
Emboitement des narrateurs et point de vue de la gouvernante, Miss Giddens. Narrateur >
Douglas > le journal de la gouvernante.
Mais parfois, bouleversement sidérant. Shining de Stanley Kubrick. Emiettement des points
de vue, et l'enjeu est une lutte pour la conquête du point de vue omniscient, lutte qui devient le
sujet même du film. Qui voit quoi dans Shining ? Impossible d’oublier ici que l’écran
cinématographique est par essence un fantasme actualisé, une vision à rapporter à une
conscience organisatrice. « Le monde est ma représentation » : cette maxime de
Schopenhauer gouverne tout le petit monde de l’Overlook hotel, le bien nommé. Shining peut
se lire comme une lutte pour la conquête du point de vue omniscient. La concurrence que se
livrent Jack, le Pater familias, et son fils, doué d’un pouvoir de télé-vision si particulier, est
bien celle pour la maîtrise du champ et du hors-champ. Ainsi le film ménage des ambiguïtés –
et des rivalités – de point de vue entre les personnages eux-mêmes, mais aussi entre les
personnages et des instances supérieures (Esprits ? Narrateur ? Auteur ?). Revoyons par
exemple le premier plan, ou encore la séquence de « shining » d’Halloran au chapitre 18 qui
emboîte différents points de vue, pour comprendre que les focalisations du film sont hantées,
doublées, par un Autre Regard.
Complexe et varié. Mais notons parfois l'existence d'une voix off d'une extrême fidélité aux
texte. Voir The Age of innocence de Scorsese adaptant le roman d'Edith Wharton (1920).
Exemple saisissant : Les mistons de Truffaut (1958) qui adapte la nouvelle de Maurice Pons
tirée de Virginales (1957). Intégralité du texte donné en voix off. Tension dynamique entre
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les images qui présentifient et le texte qui met à distance un récit au passé, créant une sorte de
perspective temporelle et de nostalgie. Truffaut filme le temps en train de passer, derniers
feux et éclats d'une jeunesse déjà révolue.
Truffaut s'en souviendra dans Jules et Jim, puisqu'il rependra une abondante voix off, presque
entièrement tiré du roman de Henri-Pierre Roché.
4) Figures
L'adaptation joue énormément sur la compression, la condensation. Voir Jakobson qui fait de
la métonymie la figure essentielle du cinéma. Mais joue aussi sur les connotations et
résonances. En ce sens le cinéma dispose de son propre système de sollicitation de
l'imaginaire qui n'est pas arrêté par un "réalisme" photographique qui dirait tout.
On peut songer au visage de M Blanc dans Monsieur Hire, adaptation de Simenon (Les
fiançailles de M Hire, 1933): ref au visage de Max Schreck de Nosferatu de Murnau: ouvre
une piste connotative forte qui n'est pas dans le roman.
Question des comédiens et de leur persona. Un corps d'acteur est feuilleté et trimballe avec lui
la perception rémanente de ses grands rôles. Ex de Cary Grant qui reste un acteur de comédie.
Isabelle Huppert en Mme Bovary (plus vieille déjà).
Voir aussi Les bourreaux meurent aussi (1943) de Lang, d'après Brecht qui adapte sa propre
pièce. La première scène de poursuite et les flaques d'eau. Ou le sang dans la neige qui
devient le motif principal de l'adaptation de François Leterrier (1963) du Giono, Un roi sans
divertissement.
5) Transferts culturels
Question passionnante qui est de plus en plus étudiée: comment des motifs socio-culturels
circulent et sont transplantés d'une culture à l'autre entre différentes oeuvres. Migrations
culturelles générales (dont l'adaptation devient presque une forme restreinte et un cas
particulier). Voir Jean-Loup Bourget. Hollywood, un rêve européen. Naturalisation et
hybridation. Hollywood et certains de ses genres constitutifs a été inventé par les émigrés
allemands ou autrichiens: Lubitsch, Sternberg, Lang, Preminger, Billy Wilder. Le film noir est
une résurgence d'une certain imaginaire romantique et symbolisme noir mittel-europa. Ces
représentations servent l'adaptation ou font écran, ajoutant un sémantisme et des références.
Ex La Femme au portrait de Lang (1944) d'après le roman de l'américain J H Wallis (Once
Off Guard) fait affleurer le mythe de Lilith, très développé dans la littérature allemande du
XIXème. Fusion avec le motif de la femme fatale: naturalisation.
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Citons le cas de Human desire (1954), avec Glenn Ford, adaptation de La Bête humaine.
Lang élimine la question de l'atavisme individuel pour traiter celui de la violence collective et
contagieuse que représente cette Terre de violence congénitale, image de notre passé et
projection de notre futur. Sujet des films de gangsters des natural-born: le gangster est le
doublon, le pendant du self made man. Mais Lang observe cela de l'extérieur, depuis le point
de vue de l'Emigré, en anthropologue (ce sera encore plus vrai avec des films comme Fury
(1936), Clash by night 1952 ou The Big Heat 1953). Zola adapté aux USA, c'est l'atavisme
de Lantier en Grand, bigger than life, à l'échelle d'un continent; la greffe/naturalisation
marque un changement d'échelle et une collectivisation sociétale de la violence, une "History
of violence". Mais il y a ici un sujet double. Lang veut se démarquer de Strangers on a Train
de Hitchcock (1951): sophistiqué et vénéneux, infusant le poison de la fascination pour le
crime. Lang y met au point son esthétique de la fracturation du regard. Cf Raymond Bellour.
Le cas particulier de Une vie d'Alexandre Astruc (1958) d'après Maupassant. A développer si
j'ai le temps.
A) La fidélité
Pour des raisons diverses, nombreux sont le cinéastes qui se réclament d'une certaine fidélité.
Leur posture n'est pas la "recréation", mais bien le service de l'oeuvre source. Cela peut
prendre plusieurs formes.
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proximité dans les scènes émouvantes d'intimité entre la femme du héros et lui), insistant sur
l'absurdité sans âge et presque kafkaienne de la Justice terrestre et politique.
On peut aussi citer Perceval le Gallois de Rohmer. Texte >> vitrail cinématographique et
réflexion sur la couleur au cinéma (et les différents âges du Vitrail selon Bourget).
B) L'exercice de style
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Prélève un point que l'on travaille. Se nourrit du texte source, l'interprète pour développer un
motif, travailler un geste d'ordre cinématographique.
Fausse suivante de Benoit Jacquot d'après Marivaux. Travaille l'entrée et sortie de scène, le
passage en coulisse. Jouant avec la question du masque.
Rapport de classe, d'après Amerika de Kafka. Le piège du présent et le son direct des Straub
et Huillet. Le présent comme seuil et mur infranchissable.
Met un "texte" à la place d'un autre. L'oeuvre source n'est plus qu'un prétexte.
Le détournement inclut le "travestissement" burlesque: Fellini et Poe dans Toby Dammit (to
be damn'ed) adaptation de la nouvelle Ne pariez jamais votre tête au diable de Poe.
2° le masque: une adaptation en cache une autre, développement d'un même projet créatif à
travers, au travers de l'adaptation. Chabrol avec Les Biches (1968) réalise une adaptation
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Alain Bergala, « R Rossellini et l’invention du cinéma moderne », in Roberto Rossellini, le cinéma révélé,
Champs arts, 2008, p.27
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(involontaire ou masquée) du roman Betty de Simenon; tandis que Betty de Chabrol (1992)
constitue un auto-remaque de ses "Biches". Le mépris de LJ Godard est une variation /
remake sur Voyage en Italie de Rossellini, qui fait écran par rapport à Moravia.
3° Cas particulier des deux Polanski, souvenir écrans. Le pianiste, adapté du roman
autobiographique de Władysław Szpilman, est en réalité une autobiographie masqué de
Polanski et un film sur la cristallisation de son imaginaire (la scène matricielle de
l'enfermement dans la cachette, cellule paranoïaque au coeur et hors du monde, plateforme de
tout son cinéma à venir). Renvoie au syndrome du ghetto de Cracovie. Oliver Twist relève du
souvenir écran, façon Georges Perec. L'enfant Polanski se projette dans les aventures de
Oliver, il survit en se rêvant comme Oliver. Le film dit cet attachement à une figure
transitionnelle de soi, un avatar de son moi. Hétéro portrait = portrait de l'enfant que fut
Polanski en petit Oliver.
D) La création continuée
L'adaptation est l'occasion de faire renaitre l'oeuvre, de la continuer au sens du Moyen âge.
L'oeuvre première devient alors un point de départ, voire une matière première, une source au
sens de Matrice de la création. Chris Marker disait que l'on aurait intérêt à refaire A bout de
souffle tous les ans, comme indice et état des lieux du cinéma et du monde.
1° approfondissement d'un geste créatif. Auto reprise chez Malraux, Cocteau, Duras. Début
de Orphée de Cocteau, orchestre un passage de relais entre le poème et le film, entre la voix et
la vue. Voir le tout début Orphée: le film est la projection de la voix d'Orphée, son inscription
dans le monde, sa trace, comme la manifestation de son "cortège".
2° Mais aussi "proroger l'oeuvre", l'actualiser, lui redonner une nouvelle portée, tout en
servant ou réinventant sa propre esthétique.
- Voir le Herr Tartüff de Murnau (1926), dédoublé par la mise en abime d'un film dans le film
et un récit cadre où une autre histoire de manipulation imposture a lieu. Trans-sémiotique et
prorogation de la valeur de l'oeuvre de Molière jusque dans notre présent par la médiation du
cinéma. Murnau déploie et met en scène l'actualisation du texte de Molière qui donnait des
prémisses de la situation contemporaine sans la développer et que la mise en abime complète.
Voir N° Critique septembre 2013, pp. 757-759.
- Voir Kafka et Welles: Le procès. Une scène clef du film met en abyme tout le travail du
cinéaste, à développer si j'ai le temps.
Projection de la séquence de l’Eglise (chapitre 19) Pourchassé par les petites filles K. vient
trouver refuge dans une église. Là, très rapidement, le prêtre cède la place à l’avocat. Cette
substitution est signifiante : elle indique clairement que dans le film le politique prend le pas
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sur le religieux, ou plutôt s’y adosse car Maître Hastler n’hésite pas à monter en chaire. De
plus, le fait que Welles lui-même, dont on connaît le goût pour la manipulation2, ait tenu à
jouer le rôle de cet expert en faux-semblants, laisse augurer du morceau de bravoure qui va
nous être administré. Et en effet, on projette à K. sur un écran de cinéma la parabole de la loi.
Or le spectateur du Procès a déjà vu ces images, il les reconnaît. Conçues par Alexandre
Alexeieff et Claire Parker sur un écran d’épingle pour illustrer l’un des passages les plus
fameux du texte de Kafka, elles servaient de prologue au film lui-même, apparaissant dès le
début de sa projection telle une gravure en négatif et accompagnée par la musique d’Albinoni.
C’est dans cette duplication et ce redoublement que réside sans doute la force du travail de
Welles. Car de la première à la seconde projection de la parabole de la loi, tout le trajet
du Procès a été précisément d’organiser les conditions de sa mise à distance, en
particulier via la regard critique de K., relais de celui du spectateur, qui ne cesse de
creuser l’écart entre la Loi et la fable de la Loi, entre la Parole et le spectacle de la
Parole. Dans un cas on la subit immédiatement ; dans l’autre on en voit les ficelles et la
machinerie. Ainsi la séquence dans l’église est bien un sommet car elle nous introduit avec le
personnage dans un envers du décor, dans la fabrique du pouvoir, en mettant au jour et donc
en la disqualifiant la manière dont la culture cherche à se constituer en nature pour garantir
des rapports de force.
L’itinéraire de K. est donc celui d’un élargissement, ou si l’on préfère d’un
affranchissement du regard. Il s’agit bien pour lui, comme pour le spectateur, d’apprendre à
déchiffrer l’image comme construction de l’image. Voilà sans doute la raison pour laquelle
Welles privilégie l’emphase et la grandiloquence stylistique dans son adaptation de
Kafka. L’outrance de la mise en scène wellesienne désigne sa propre artificialité, enfin
officialisée dans la scène de l’église par le cinéaste/avocat du diable lui-même. Embarqué,
comme le spectateur, dans un cauchemar visuel, K. doit se réveiller, sortir de la matrice
oserions-nous presque dire, et se confronter enfin à l’écran blanc du refus des représentations.
Et cet écran blanc arrive en effet, à la toute fin de la séquence. La projection de la parabole de
la loi se termine et laisse place à cette toile vierge et nue devant lequel K. se détache
nettement, comme c’était le cas au tout début du film face aux murs de sa chambre
immaculée. Comme tout parcours initiatique, Le Procès est une involution. Du début à la fin,
il ne s’agissait que d’ouvrir les yeux.
Cet ascèse de l’écran blanc marque une réelle césure dans le film. Notons que cette
« diminution » du décor correspond à un mouvement profond du film. Welles explique ainsi
son projet originel (où il avait un décor) : « La production telle que je l’avais ébauchée,
comprenait des décors qui disparaissaient graduellement. Le nombre d’éléments
réalistes devait diminuer de plus en plus, et le public s’en apercevoir, jusqu’à ce que la
scène soit réduite à l’espace libre, comme si tout s’était dissout. »3
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forme, un terrain vague sur lequel inexorablement la mort vous attend. On le voit, dans sa
rapidité et sa brutalité, son refus de stylisation qui détonne singulièrement par rapport au reste
du film, la séquence de la mort de K. est ambiguë. Elle semble dire qu’il n’y a plus d’espace
pour l’homme revenu de toutes les illusions. Tel est le paradoxe sur lequel campe Welles in
fine. L’homme est confiné dans cet entre-deux, dans ce no man’s land entre expérience
labyrinthique du cauchemar et cruauté d’une veille invivable, entre le trop-plein de mirages
qui vous leurre et leur carence qui vous tue. L’enfer que circonscrit Welles ce n’est plus
comme chez Kafka celui de la Loi, mais celui de la Représentation.
Ma conclusion sera donc celle-ci, à quoi je résumerai le travail de Welles par rapport à
Kafka. Welles a su trouver dans le roman matière à travailler ces trois éléments d’écriture
cinématographiques majeures que sont les faux raccords, la pdf et la « subjective indirecte
libre », s’inscrivant ainsi en plein dans le style de son époque. Mais le constat n’est pas que
formel. Si le cinéaste a pu accomplir cela, c’est qu’il a su discerner et activer dans le roman ce
qui correspondait profondément à la vision des années soixante, c’est-à-dire une forme de
post-modernité qui met en crise la notion de Vérité au profit du jeu des mensonges, des
versions et des bifurcations. Et c’est bien là, en définitive, un point essentiel sur lequel le
romancier et le cinéaste convergent, et que Welles a parfaitement su reconnaître. Kafka a dit :
« La légende tente d’expliquer l’inexplicable. Comme elle naît d’un fonds de vérité, il lui faut
bien retourner à l’inexplicable »4. La formule peut parfaitement s’appliquer à l’œuvre de
Welles pour qui les fables sont moins destinées à être explicitées qu’à définir le processus de
l’énonciation.
3° recréation / renaissance de l'oeuvre, l'oeuvre devient un "motif" : Le cas des Les enfants
terribles, texte résurgent dans l'histoire du cinéma. Bien sûr, la version de
Melville/Cocteau de 1950 d'après le roman de 1929; mais aussi les scènes de chambre de A
bout de souffle de Godard (variation sur Les Enfants terribles comme Véronique et son Jules,
l'un des premiers courts métrages de Godard, l'est sur Le bel indifférent de Cocteau); mais
aussi Le dernier Tango à Paris de Bertolucci, et Les innocents de Bertolucci adaptation du
roman, ou variation sur le film.
CCl: Il faudrait voir le jeu et dialogue réciproque: les écrivains adaptent le cinéma! Les
scénarii intournables de Cendrars, les Ekphrasis d'Aragon sur Charlot, le livre de Tanguy
Viel, Le Limier (1999).
4
Kafka, Préparatifs de noce à la campagne, p. 116.
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