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LES MINES DE L’ANTI-ATLAS CENTRAL 91

2.4- Le district à cobalt, nickel et arsenic de Bou Azzer (Anti-Atlas central) /


The Bou Azzer Cobalt-Nickel-Arsenic District (Central Anti-Atlas)
L. MAACHA1, O. ENNACIRI1, M. EL GHORFI1, A. SAQUAQUE1, A. ALANSARI2 & A. SOULAIMANI2

Points clés : Gisements de cobalt, nickel et arsenic en veines de Substances exploitables : Cobalt, arsenic, nickel, or.
taille et composition variables, liées aux serpentinites précam-
briennes. La succession paragénétique montre le dépôt d’arsé- Historique des travaux : Depuis fort longtemps, les tri-
niures, sulfoarséniures, sélénoarséniures, séléniures et sulfures bus berbères de la région de Bou Azzer exploitaient les mi-
dans une gangue quarzo-carbonatée. La genèse est attribuée à néraux d’arséniate de cobalt (érythrine) pour leurs
l’effet combiné de fluides endogènes, chargés de molybdène, sé- propriétés toxiques comme insecticides et raticides. Le po-
lénium, bismuth, or, et de fluides exogènes (saumures) chargés en tentiel économique du cobalt de Bou Azzer commença à
chlorures.
être mis en valeur dès 1929, par une prospection à vue qui
Highlights : The Bou Azzer cobalt, arsenic and nickel mineral- a permis de répertorier les principaux indices à l’affleure-
ization occurs as hydrothermal veins deposits of various sizes ment, suivie par des exploitations artisanales en 1932. La
within the Precambrian serpentinites. Vein filling was in five
production industrielle débuta en 1934 par la SMAG (So-
stages including arsenides, sulfoarsenides, selenoarsenides se-
lenides and sulfides associated with quartz-carbonate gangue. ciété Minière de Bou Gaffer) sur les filons 7, 5 et 2 de Bou
The genesis of the deposit involved a mixture of endogenous flu- Azzer-Centre et sur le gisement d’Ightem à l’est du district.
ids loaded with molybdenium, selenium, bismuth, gold and ex- L’exploitation, interrompue durant la deuxième guerre
ogenous fluids (sea brines) loaded with chlorides. mondiale, a été reprise et améliorée en 1944 par l’installa-
Localisation : Bou Azzer est situé à 45 km à vol d’oiseau tion d’une usine pneumatique. De 1953 à 1958, la Société
au SW de Ouarzazate (fig. 2.4.1), dans l’Anti-Atlas central Peñarroya, encouragée par les cours élevés à cette époque,
(GPS : N30°31'16.17", W 6°54'37.15", alt. 1350m). Les construit une nouvelle usine et engage des travaux d’ex-
gisements cobaltifères s’échelonnent tout le long de la bou- ploration basés sur un modèle de gisements hydrothermaux
tonnière de Bou Azzer-El Grara, depuis le gisement de Mé- d’âge hercynien associés aux massifs de serpentinite (Jou-
choui à l’ouest jusqu’à Aït Ahmane à l’est (fig. 2.4.2). Ce ravsky, 1952). A partir de 1958, l’exploitation s’est pour-
secteur fait l’objet des arrêts J2-8 et J2-9 du circuit C1 des suivie sous la direction de l’ONA par le biais de sa filiale
Nouveaux Guides (Saddiqi et al., 2011), et de l’arrêt J2-1 CTT (Compagnie de Tifnoute Tirhanimine). Les filons 7 et
à J2-9 du circuit C5 (Ouanaimi & Soulaimani, 2011). 5 ont été épuisés en 1967 et l’exploitation a cessé avec
l’épuisement du gisement d’Aghbar en 1970.
1
Groupe Managem, Twin Center, Casablanca, Maroc. l.maacha@managem- De 1969 à 1971, le Groupe russe Technoexport effectua
group.com, a.ennaciri@managemgroup.com, a.elghorfi@managemgroup.com, sa-
quaque@managem-ona.com un large programme de recherche couronné par la décou-
2
Département des Sciences de la Terre, Faculté des Sciences Semlalia, Université
verte des gisements de Taghouni, Bou Azzer-Est et Tam-
Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc. alansari@uca.ma, soulamani@uca.ma drost (fig. 2.4.2). Le gisement est remis en production. Il

FIG. 2.4.1 : Localisation du secteur minier de Bou Azzer-El Grâara sur la carte routière Michelin au 1/1 000000.
FIG. 2.4.1 : Location of the Bou Azzer-El Grâara mining district on the Michelin road map, scale 1/1 000 000.
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92 NOUVEAUX GUIDES GÉOLOGIQUES ET MINIERS DU MAROC - VOLUME 9

FIG. 2.4.2 : Localisation des principaux gisements miniers de la boutonnière de Bou Azzer-El Grara sur une image Landsat.
FIG. 2.4.2 : Location of the main mines of the Bou Azzer-El Grara Precambrian inlier (“boutonnière”) on a Landsat image.

s’en est suivi la découverte du gisement de Bouismas et Contexte géologique : La boutonnière de Bou Azzer-El
du filon 61 à Aït Ahmane par le BRGM. L’exploitation fut Grara correspond à une structure antiforme varisque qui
arrêtée de nouveau en 1983. En 1987 et sous l’impulsion s’est superposée à une zone de suture panafricaine, l’Ac-
de la hausse des cours, la CTT reprit les travaux et décou- cident majeur de l’Anti-Atlas (Choubert, 1947). Les ter-
vrit le gisement de Méchoui, ce qui relança la production. rains précambriens affleurants sont subdivisés en deux
Parallèlement, le groupe entama des recherches métallur- grands ensembles, l’un (le plus ancien) métamorphique,
giques qui aboutirent à la mise au point de deux procédés l’autre, postérieur, non-métamorphique.
de traitement des oxydes et des arséniures permettant de
produire la cathode de cobalt, les dérivés de cobalt, l’ar- L’ensemble métamorphique est formé d’empilements
senic, le nickel et l’or en lingots. Deux usines hydro-mé- complexes d’écailles tectoniques résultant de la collision
tallurgiques ont été construites en 1995 pour les oxydes et panafricaine, et qui comportent ; i) des orthogneiss et des
en 1998 pour les arséniures et une autre usine a été métagabbros au sud (Igrane, Tazigzaout, Oumlil et Bou
construite pour la production des dérivés de cobalt à haute Azzer), autrefois décrits comme des terrains paléoproté-
valeur ajoutée. Actuellement, la CTT a une capacité an- rozoïques (PI) (Choubert, 1963 ; Leblanc 1975), et dont le
nuelle de production de 2 500 t métal de cobalt, 10 000 t protolithe a été ultérieurement daté aux alentours de 750
d’arsenic, 300 t métal de nickel et 250 kg d’or, et le centre Ma (D’Lemos et al., 2006, El Hadi et al., 2010) ; ii) des dé-
minier de Bou Azzer (fig. 2.4.3) est en pleine activité. pôts de la plate-forme néoprotérozoïque établie sur la

FIG. 2.4.3 : Vue vers l’est du village minier de Bou Azzer ; la boutonnière précambrienne apparaît dominée par les falaises adoudouniennes (Cambrien inférieur).
FIG. 2.4.3 : Eastward view of the Bou Azzer village ; the Precambrian “boutonnière” is overhanged by the Adoudounian cliffs (Lowermost Cambrian).
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marge nord du craton de l’Ouest-Africain (Groupe de caine de la serpentinite, constitue le métallotecte principal
Taghdoute-Lkest), auxquels est associée la minéralisation de ce type de minéralisation. Ces corps se présentent sous
cuprifère de Bleïda ; iii) des séries volcano-sédimentaires forme de filons-couches et se développent à la croisée des
de Tichibanine-Ben Lgrad au nord dont l’affinité d’arc est veines avec la carapace d’altération. La minéralisation
bien établie (Bodinier et al., 1984 ; Naïdo et al., 1991) ; et s’étend sur une extension dépassant 300 m avec un épan-
enfin, iv) le Complexe ophiolitique de Bou-Azzer qui, bien chement latéral de 50 m. La minéralisation liée à ces amas
qu’incomplet et fortement démembré, présente toutes les est particulièrement riche en nickel. Les veines obliques
unités typiques d’une suite ophiolitique (Leblanc, 1975, encaissées par les volcanites sont caractérisées par l’im-
1981). L’ensemble de ces unités métamorphiques est re- portance de la fracturation hydraulique en regard des
coupé par des diorites syntectoniques datées aux alentours veines encaissées par la diorite.
de 650 Ma (Inglis et al., 2005).  La minéralisation de type Aghbar est contrôlée par la
L’ensemble non-métamorphique repose en discordance montée diapirique (doming) des serpentinites. Elle se
majeure sur le substratum panafricain et comporte : i) à la concentre sur les flancs du diapir en relation avec la frac-
base, les séries clastiques du Groupe de Tidilline, redres- turation synchrone du système minéralisateur. La puis-
sées et plissées dans des couloirs faillés lors des derniers sance moyenne est de 10 m pour une profondeur de 400 m.
stades de la tectonique panafricaine (phase B2), et ii) les La carapace d’altération des serpentinites constitue une si-
coulées pyroclastiques et dépôts volcano-détritiques du militude avec les minéralisations de type Tamdrost.
Groupe de Ouarzazate qui repose en discordance angulaire  Les minéralisations de type filon II se localisent au
sur celui de Tidilline. Les couches sédimentaires du Cam- contact nord du massif des serpentinites. Sa particularité
brien font suite sans hiatus important à ces dépôts fini-pré- réside dans la présence des roches basiques panafricaines
cambriens. entre la serpentinite et la couverture adoudounienne, ce qui
Description des gisements : La boutonnière de Bou Azzer explique le développement de la minéralisation en filons
compte plus de 100 corps minéralisés en arséniures de co- plutôt qu’en amas. Ce type se distingue par l’abondance
balt (fig. 2.4.2). Ils sont spatialement et génétiquement as- des sulfo-arséniures de cobalt. Par ailleurs, la nature car-
sociés aux serpentinites, issues de la transformation des bonatée de la couverture favorise l’altération des arsé-
ultrabasites ophiolitiques. Leur morphologie dépend lar- niures et des sulfo-arséniures en faveur des carbonates
gement de la rhéologie, de la structuration de l’encaissant cobaltifères et des arséniates qui font la réputation miné-
et de la nature du métallotecte. Nous distinguons plusieurs ralogique de Bou Azzer. Le volume minéralisé afférant à
modèles gîtologiques regroupés en six types de corps mi- ce groupe reste en deçà de 2% du volume global.
néralisés (Maacha, thèse en cours) :  Les filons de type Aït Ahmane-Nord sont particuliers par
 Les minéralisations de type filon 7, qui constituent une la nature de l’encaissant. Il s’agit de structures solitaires
grande partie du volume minéralisé de Bou Azzer sont encaissées dans les diabases et les gabbros ophiolitiques.
contrôlées par des accidents majeurs panafricains. Les La texture disséminée y prédomine, ce qui rend leur valo-
corps minéralisés se présentent sous forme de colonnes risation plus difficile.
orientées ENE et localisées au contact tectonique des ser- Minéralogie : Le district de Bou Azzer est mondialement
pentinites avec la diorite. Elles sont de grandes dimensions connu par sa richesse en minéraux de collection dont plu-
avec une puissance excédant 10 m et un enracinement au- sieurs ont été définis ici-même (fig. 2.4.4 A-D). Quatre
delà de 600 m. Les listwenites, produit d’altération pré- principaux stades paragénétiques primaires ont été définis
coce de la serpentine, constituent le réceptacle principal à Bou Azzer (Maacha, 1994) (fig. 2.4.4 E-H) :
de la minéralisation.
 Stade anté-arséniures : précoce et représenté par chalco-
 Les structures type Méchoui regroupent l’ensemble des
pyrite, molybdénite, sphalérite, pyrite en association avec
veines de deuxième ordre dont l’orientation varie entre le
talc, amphibole, chlorite, séricite, brannérite et hématite.
NW et le NE. Elles sont encaissées dans la diorite quart-
Le quartz constitue l’unique minéral de gangue.
zique non loin des massifs de serpentinites, sous forme de
fentes d’ouverture. Leur extension latérale est en moyenne  Stadearséniures : marqué par le dépôt des arséniures, en
de 30 m pour une profondeur de 200 m et une puissance li- l’occurrence, arsénopyrite et skuttérudite. Ce stade a dé-
mitée à une moyenne de 1 m. buté par la mise en place de masses importantes de ma-
 Les minéralisations type Tamdrost rassemblent les
gnési-breunérite et talc, et accessoirement de quartz à
veines d’extension, les croiseurs et des corps sous forme pyrite disséminée.
d’amas. Elles sont associées au contact discordant des vol-  Stade sulfoarséniures : correspond à la concentration d’ar-
canites du Groupe de Ouarzazate avec les serpentinites. La séniures de cobalt dans une gangue quartzeuse (quartz 2).
« carapace d’Ambed », produit d’altération tardi-panafri- Ce stade est également caractérisé par le dépôt de la co-
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FIG. 2.4.4 : Quelques-uns des minéraux qui font la renommée de Bou Azzer : A) Bouazzerite (Bou Azzer) ; B) Minéral de maghrebite (Aghbar) ; C) Roselite Beta (Bou
Azzer), D) Cristal d’erythrine (Bou Azzer), de E à H les minéraux nickélifères et cobaltiféres associés à la serpentinisation à Bou Azzer-Est et Aghbar.
FIG. 2.4.4 : Some of the famous minerals from the area : A) Bouazzerite from Bou Azzer ; B) Maghrebite from Aghbar ; C) Roselite Beta from Bou Azzer ; D) Erythrite crystal
from Bou Azzer ; E-H) Ni-Co minerals associated with serpentinisation at Bou Azzer and Aghbar.
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baltite, de l’or, des arséniures de nickel et de fer, ainsi que système du Jbel Boho. Leblanc (1981) considère que l’ori-
des carbonates représentés par la dolomie et la calcite. gine du cobalt est dans la serpentinite, la magnétite et cer-
 Stade sulfures, sulfosels et éléments natifs : caractérisé tains niveaux riches en sulfures. Il propose un premier dépôt
par le dépôt de sulfures représentés par molybdénite, du cobalt sédimentaire dans des chenaux en relation avec la
chalcopyrite, bornite, pyrite, sphalérite et galène, qui carapace d’Ambed, reconcentré par des phases tectoniques
remplacent les arséniures ou leur succèdent. Les éléments postérieures et plus particulièrement à l’Hercynien. Sur la
natifs rencontrés sont Au, Ag, Bi. La gangue est princi- base des inclusions fluides, des analyses isotopiques et des
palement quarzo-carbonatée. données de terrain, Maacha (1994) et Maacha et al. (1998)
Les phénomènes de l’altération supergène se traduisent par donnent à l’ensemble de la minéralisation économique un
la néoformation de nombreuses phases minérales secon- âge tardi-panafricain et proposent un modèle qui combine
daires représentées, entre autres, par des arséniates de co- l’interaction entre des fluides exogènes chargés de chlorures
balt (érythrite) et de nickel (annabergite), des oxydes, et des fluides endogènes porteurs de As, Mo, Se (fig. 2.4.5).
hydroxydes et carbonates des principaux métaux présents Le modèle a pu être confirmé par El Ghorfi (2006). Dans
dans le district. ce modèle, la carapace d’Ambed est postérieure à la phase
B2 mais antérieure aux formations du Précambrien III et
Modèle génétique : Plusieurs hypothèses ont été proposées n’aurait joué qu’un rôle de réceptacle plutôt que de pré-
pour les minéralisations cobaltifères de Bou Azzer. Jou- concentrateur de cobalt.
ravsky (1952) a associé le cobalt à la serpentine et consi-
dère un événement hydrothermal hercynien dans lequel En tenant compte des données récentes (Maacha, thèse en
l’arsenic, le CO2 et la silice proviendraient d’une origine cours), nous considérons que la genèse des minéralisations
profonde. Gouloubinow (1956) reconduit le modèle hydro- à Co, Ni, As et Au de Bou Azzer est le résultat de plusieurs
thermal avec un âge des minéralisations hercynien alors que processus hydrothermaux et tectono-magmatiques super-
Kroutov (1970) propose un âge plutôt infracambrien et un posés. Dans le massif d’Ambed où la serpentinisation des
événement hydrothermal associé à l’activité volcanique du roches ultrabasiques n’est que partielle, une paragenèse pri-

FIG. 2.4.5 : Essai d’interprétations des minéralisations cobaltifères de Bou Azzer (Maacha, 1994, modified).
FIG. 2.4.5 : Tentative interpretation of the Bou Azzer cobalt mineralizations (Maacha, 1994, modified).
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maire d’origine magmatique à pentlandite, chromospinelle Par ailleurs, l’étude des inclusions fluides montre la haute
et magnétite cobaltifére et/ou nickélifère a été mise en évi- salinité des fluides minéralisateurs avec teneur pondérale
dence (fig. 2.4.4 E-H) et serait probablement associée aux (NaCl + CaCl2) entre 25 et 30 %, avec de faibles traces de
sulfures de Fe (pyrrhotite et/ou pyrite). En revanche, dans KCl et de baryum. La composition isotopique du soufre
les massifs d’Aghbar et de Bou Azzer-Est où la serpenti- δ34S de la chalcopyrite, de la pyrite et de la barytine asso-
nisation est totale, l’assemblage minéralogique identifié est ciées aux arséniures a été étudiée sur les gisements d’Am-
composé essentiellement de minéraux secondaires de po- bed, Mechoui et Bou Azzer-Centre. Cette composition
lydymite cobaltifére, millerite cobaltifére, orcelite et ma- varie entre -6,2 et + 4,9 pour le soufre des phases sulfurées
gnétite cobaltifére et nickélifère. Ces phases pourraient (pyrite et chalcopyrite), ce qui la rapproche du soufre d’ori-
provenir du remplacement, lors de la serpentinisation, gine magmatique. Cette composition atteint +25,7 dans la
d’une paragenèse minérale primaire formée, en plus de barytine, reflétant un enrichissement en isotopes lourds du
l’olivine, d’agrégats de pentlandite + pyrrhotite. soufre. Ceci indique la contribution du soufre des sulfates
marins dans le processus de dépôt. Pour la composition iso-
La présence de l’orcelite, le seul arséniure de Ni stable pen- topique du carbone et de l’oxygène, les analyses sont faites
dant la serpentinisation, reflète des conditions de forte ac- sur les phases 1, 2 et 3 de la calcite ainsi que sur la dolo-
tivité de Ni et de faible activité de Fe au sein des fluides mie 2 associées aux arséniures, et dans les gisements d’Ait
impliqués dans la serpentinisation. La fréquence relative de Ahmane et Bou Azzer-centre. Pour δ13C, le contenu (‰)
la maucherite souligne l’importance de l’arsenic dans les varie entre -4.32 et -3.72 pour les dolomies et de -6.5 et -
fluides d’origine mantellique. Les valeurs de l’activité de 1.61 pour les calcites. Cette composition isotopique est in-
l’arsenic ont pu être localement aussi élevées que celle du termédiaire entre celle du carbone d’origine magmatique,
soufre pour former un liquide immiscible riche en As, à pour une valeur de -7, et celle des carbonates sédimentaires
l’origine des paragenèses riche en As de haute température. pour des valeurs proches de 0, ce qui conforte l’hypothèse
Les déformations panafricaines induisent le fonctionne- du mélange de deux fluides dans le processus de genèse des
ment des accidents majeurs E-W et ENE qui vont servir arséniures. L’hypothèse est également soutenue par les
de drains aux diverses événements hydrothermaux ainsi données isotopiques de l’oxygène δ18O dans les carbonates,
qu’aux altérations supergènes postérieures. C’est à cette qui varie entre -2,9 et +1,4%. L’événement minéralisateur
famille qu’appartient le filon 7, l’accident majeur ENE de est aussi accompagné d’azote et accessoirement de mé-
Bou Azzer-Est, d’Aghbar et la faille d’Ightem. thane. La température de mise en place varie de 150 à 277°
C, sous une pression de 550 bars, ce qui suggère une frac-
Après les compressions panafricaines, le domaine de Bou turation assistée par la pression hydraulique dans la mise
Azzer est soumis à un régime transtensif synchrone du dépôt en place des structures minéralisées.
du Groupe de Ouarzazate (Azizi et al., 1990 ; Soulaimani et
Les structures minéralisées de Bou Azzer recoupent le PIII
al., 2003) qui conduit à la réactivation des accidents E-W
et les termes inférieurs de l’Adoudounien et sont scellées
en décrochements sénestres et des accidents NE en failles
par les niveaux supérieurs ce qui donne à la minéralisation
normales. Un tel contexte extensif a favorisé le développe-
un âge infracambrien. Ce constat est corroboré par la da-
ment d’un système de horsts et grabens accompagnés par la
tation à 550 Ma de la brannérite (Ennaciri et al., 1996),
remontée de dômes de serpentines, alternant avec des dé- âge qui correspond à la transition Précambrien/Cambrien,
pressions à dépôts PIII. On peut noter trois dômes princi- marquée par un volcanisme alcalin, moteur thermique pro-
paux, ceux de Bou Offroh, Oumlil et Aït Ahmane. Ce bable de l’événement. Le contact entre les serpentines im-
phénomène va se poursuivre postérieurement au dépôt du perméables et les roches encaissantes aurait joué le rôle de
Groupe de Ouarzazate jusqu’à la base de l’Adoudounien. barrière physique et chimique et constituent les lieux fa-
La montée (doming) des serpentinites forme des dômes ou vorables à ces dépôts. Cependant, d’autres datations ont
des lames que recouvrent les formations de base de la cou- été publiées plus récemment, qui suggèrent une évolution
verture. A la base de celle-ci et en concordance avec les ni- plus longue de la minéralisation. Un âge de 218 ± 8 Ma
veaux volcaniques du PIII se développe la carapace (40Ar - 39Ar) a été mesuré par Levresse (2001) sur un adu-
d’Ambed qui va jouer le rôle de réceptacle des minéralisa- laire provenant d’un gisement à Co-As. Essarraj et al.
tions de type amas (Tamdrost et à Aghbar). Cet épisode est (2005) y ont vu la preuve d’un épisode de minéralisation
suivi d’une altération des serpentines marquée par une car- (principalement en Ag, post Co-As) qui serait lié à l’ou-
bonatation intense et une démagnétisation quasi-totale de la verture atlantique. Plus significatives, de nouvelles data-
surface altérée, allant jouer un rôle important dans la genèse tions des carbonates et brannerite coexistant avec la
des minéralisations par l’oxydation et le lessivage du cobalt, molybdénite ont donné des âges de 308 ± 31 Ma (Sm-Nd)
nickel, arsenic et soufre décrits ci-dessus (ce procédé natu- et 310 ± 5 Ma (U-Pb), respectivement (Oberthür et al.,
rel est aujourd’hui utilisé dans l’industrie de cobalt). 2009). Bien que la présence d’une minéralisation plus an-
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cienne (Infracambrien) reste, selon nous, indiscutable, on INGLIS J.D., D'LEMOS R.S., SAMSON S.D. & ADMOU, H. (2005) :
doit envisager une remobilisation hercynienne importante, Geochronological constraints on Late Precambrian intrusion,
metamorphism, and tectonism in the Anti-Atlas Mountains. J.
hypothèse cohérente avec l’existence d’un réchauffement Geol., 113, 439-450.
du socle de l’Anti-Atlas occidental-central jusqu’à
JOURAVSKY (1952) : Cobalt et Nickel. 19ème Cong. Géol. Inter., Alger, Mo-
T > 300°C vers 330 Ma (Sebti et al., 2009 ; Oukassou et nogr. Régi. , Maroc, 1, 87-101.
al., 2011). En résumé, on peut proposer un modèle de mise
KROUTOV (1970) : Nickel-Cobalt ore deposits in the Bou Azzer massif
en place dans un système métallogénique polyphasé et (Morocco). Géologie des Gîtes Minéraux, Moscou, 27-40.
dont le stade ultime correspond à un mélange entre les
LEBLANC M. (1975) : Ophiolites précambriennes et gîtes arséniés de cobalt
fluides exogènes chargés de chlorures et de cobalt, Ni et As (Bou-Azzer, Maroc), Notes et Mém. Serv. Géol. Maroc, 280, 306 p.
lessivés des serpentines, avec un fluide volcanogène por-
LEBLANC M. (1981) : The Late Proterozoic ophiolites of Bou-Azzer (Mo-
teur du sélénium, molybdène, bismuth et de l’or. L’âge de rocco) : Evidence for panafricain plate tectonic. In : Kröner A.
cet événement est encore à préciser compte tenu des di- (ed)., Precambrien plate tectonics. Amsterdam, Elsevier Sci.
vergences des données actuelles. Les accidents majeurs Publ., 435-451.
panafricains hérités ont servi de conduits aux fluides mi- LEVRESSE G., CHEILLETZ A., GASQUET D., MADI A. & AIT HADDOUCH L.
néralisateurs. Les pièges du système regroupent les acci- (2001) : Existence de minéralisations Co–Ni d’âge norien (Trias
dents et les carbonates produits d’altération exogène des supérieur) à Bou Azzer (Anti-Atlas, Maroc) : Nouvelles don-
nées minéralogiques, géochimiques et géochronologiques. In :
serpentinites. Proceeding of Magmatisme, Métamorphisme et Minéralisation
Associées (3MA), Marrakech.
Références
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ral. Petrol., 87, 43-50. MAACHA L., AZIZI-SAMIR R. & BOUCHTA R. (1998) : Gisements cobalti-
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224, 1172-1173. gie et conditions de genèse. Chron. Rech. Min, 531/532, 65-75.
CHOUBERT G. (1963) : Histoire géologique du Précambrien de l’Anti- NAIDOO D.D., BLOOMER S.H., SAQUAQUE A. & HEFFERAN K. (1991) : Geo-
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D’LEMOS R.S., INGLIS J.D. & SAMSON S.D. (2006) : A newly discovered Azzer-El Graara ophiolite (Morocco). Precambr. Res., 53, 79-97.
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