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Revue

mt 2014 ; 20 (3) : 146-52

Encéphalopathie hépatique :
de la physiopathologie
à la prise en charge
thérapeutique*
Hepatic encephalopathy:
from pathophysiology to
therapeutic management
Natalie Funakoshi, Pierre Blanc
Hôpital Saint-Eloi, département d’hépatogastroentérologie, 80 avenue Augustin Fliche
34295 Montpellier Cedex 5, France
<pblanc34@yahoo.fr>

L’encéphalopathie hépatique (EH) est une complication des hépatopathies aiguës et chro-
niques, caractérisée par des manifestations neuropsychiatriques multiples, protéiformes et de
sévérité variable. Différentes hypothèses physiopathologiques ont été proposées durant ces
dernières décennies sans qu’aucune d’entre elles ne soit parfaitement satisfaisante, traduisant
par là même la complexité et l’origine multifactorielle des symptômes de l’EH. Néanmoins,
un consensus général s’est peu à peu dégagé sur le rôle clé de l’ammoniac ; l’inflammation
et les anomalies de la neurotransmission sont, cependant, également incriminées. L’œdème
cérébral est le dénominateur commun aux différents mécanismes physiopathologiques. Incon-
testablement, la survenue d’un épisode d’EH est un élément de gravité ; lors des hépatopathies
aiguës, elle est un des facteurs essentiels dans la décision d’indication de transplantation hépa-
tique ; lors des hépatopathies chroniques, elle constitue un tournant évolutif péjoratif dans
l’histoire de la maladie. L’identification et le contrôle du ou des facteur(s) déclenchant(s) sont
essentiels dans la prise en charge des malades en EH et permettent souvent une régression
spectaculaire des troubles. La stratégie thérapeutique spécifique a pour but de diminuer la pro-
duction colique d’ammoniac, en utilisant soit des disaccharides non absorbables (lactulose)
soit des antibiotiques. La transplantation hépatique reste le traitement ultime chez certains
malades ayant une cirrhose compliquée d’EH chronique ou récidivante invalidante.
Mots clés : encéphalopathie hépatique, cirrhose, hypertension portale, insuffisance hépatique

Hepatic encephalopathy (HE) is a serious complication of acute and chronic liver disease,
characterized by multiple neuropsychiatric symptoms of varying severity. Several pathophy-
siological hypotheses have been proposed over the last decades, none of which are entirely
satisfactory due to the complexity of the mechanisms underlying HE, which involve multiple
factors. Nevertheless, a consensus has emerged concerning the central role of ammonia in
the pathogenesis of HE, although inflammation and abnormalities in neurotransmission are
also involved. Cerebral edema may represent the pathogenic endpoint common to the mul-
tiple pathophysiological mechanisms involved in HE. The occurrence of an episode of HE is
associated with a poor prognosis in patients with liver disease: in acute liver failure, HE plays
a predominant role in deciding whether the patient is a candidate for liver transplantation; in
chronic liver failure, HE is considered a turning point in the natural history of the disease. The
identification and treatment of precipitating factors is crucial in the management of patients
with HE and often allows for a spectacular regression of symptoms. Current therapeutic stra-
tegies are aimed at decreasing ammonia production through agents such as non absorbable
disaccharides or antibiotics. Finally, in cirrhotic patients with chronic or recurrent HE, liver
doi:10.1684/met.2014.0444

transplantation remains the ultimate option.

mt Key words : hepatic encephalopathy, cirrhosis, portal hypertension, liver failure

Tirés à part : P. Blanc ∗ Paru dans Hépato Gastro 2013 ; 20 : 822-828. doi : 10.1684/hpg.2013.0946

Reproduit avec l’autorisation du comité de rédaction.

Pour citer cet article : Funakoshi N, Blanc P. Encéphalopathie hépatique : de la physiopathologie à la prise en charge thérapeutique. mt 2014 ; 20 (3) : 146-52
doi:10.1684/met.2014.0444
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L’ encéphalopathie hépatique (EH) est un syndrome
neuropsychiatrique complexe, le plus souvent
réversible, qui se caractérise par des manifestations neuro- “
Les shunts portosystémiques
l’insuffisance hépatocellulaire favo-
et

risent le passage direct de toxines au


psychiques multiples et variées (somnolence, confusion, niveau du système nerveux central
asterixis, hypertonie extrapyramidale, coma). Elle est le
résultat de deux facteurs coexistants : l’insuffisance hépa-
tocellulaire et les anastomoses portosystémiques. L’EH Ammoniac

peut être aiguë ou chronique. Elle peut compliquer 3 L’ammoniac a une double origine : exogène à partir
situations cliniques différentes : une hépatopathie aiguë du côlon (dégradation des acides aminés par les bactéries
sévère définissant l’hépatite fulminante en l’absence de intestinales) et endogène à partir des muscles, du cerveau
maladie du foie préexistante, une anastomose porto-cave et des reins. Chez le sujet sain, l’ammoniac est transformé
chez un malade sans maladie chronique préexistante au niveau du foie en urée selon le cycle de Krebs-
du foie, ou une cirrhose avec ou sans anastomose Henseleit, puis éliminé par les reins (figure 1) [3]. Chez
porto-cave. le cirrhotique, des quantités importantes d’ammoniac
On distingue l’EH avérée, qui toucherait 30 à 40 % arrivent par le sang artériel dans le système nerveux cen-
des patients cirrhotiques, et l’EH minime, sans signe cli- tral.
nique patent, qui serait présente chez 30 à 80 % des Dans le cerveau, les astrocytes sont les seules cellules
cirrhotiques [1]. La survenue d’un premier épisode d’EH capables de métaboliser l’ammoniac par la transforma-
chez un cirrhotique a une signification pronostique péjo- tion de l’acide alphacétoglutarique tout d’abord en acide
rative et constitue un tournant évolutif de la maladie glutamique puis en glutamine ; il en résulte un appauvris-
chronique du foie. La survie est alors estimée à 42 % à sement cérébral en acide alphacétoglutarique et en ATP
1 an et à 23 % à 3 ans en l’absence de transplantation (la synthèse de glutamine à partir de l’acide alphacétoglu-
hépatique [2]. Dans l’hépatite fulminante ou subfulmi- tarique consomme 8 molécules d’ATP) [3]. La glutamine,
nante, l’EH est le principal facteur qui intervient dans qui s’accumule dans les astrocytes, a des propriétés osmo-
la décision de réaliser une transplantation hépatique en tiques. Un certain degré d’œdème cérébral serait présent
super-urgence. chez tous les patients atteints d’EH [4].
L’exposition chronique à l’ammoniac provoque des
L’encéphalopathie hépatique avérée changements morphologiques au niveau des astrocytes

“ toucherait 30 à 40 % des cirrhotiques ;


l’encéphalopathie hépatique minime,
sans signe clinique patent, serait
semblables à l’astrocytose de type 2 de la maladie
d’Alzheimer, caractérisée par un œdème astrocytaire. La
teneur élevée en glutamine au sein des astrocytes altère
les fonctions mitochondriales et conduit à un stress oxy-
présente chez 30 à 80 % des
cirrhotiques datif avec production de dérivés réactifs de l’oxygène et de

Physiopathologie
” l’azote. Selon l’hypothèse du cheval de Troie, la glutamine
cytoplasmique serait transformée en ammoniac au sein
même de la mitochondrie, conduisant ainsi à la libération
de dérivés réactifs de l’oxygène et de l’azote [5].

Le foie est responsable de l’élimination de nom- L’ammoniac induit, outre une carence
breuses substances toxiques. Ces substances affluent
notamment du tube digestif vers le foie via la veine porte
et sont détoxifiées lors de leur passage intrahépatique.
“ énergétique cérébrale, un œdème et
un stress oxydatif au niveau des
astrocytes
Chez le cirrhotique, en raison de l’insuffisance hépa-
tique d’une part et des shunts portosystémiques d’autre
part, les toxines affluent dans la circulation systémique
et peuvent inonder le cerveau et altérer les fonctions
L’inflammation

Le foie joue un rôle important dans la défense immu-
neurologiques. nitaire de l’organisme ; ainsi, les agents infectieux, après
Historiquement, l’ammoniac a été considéré comme translocation à partir du tube digestif, sont détruits par
la principale substance toxique impliquée dans l’EH. les cellules immunocompétentes du foie. L’existence de
Cependant, les études récentes ont mis en évi- shunts portosystémiques permet aux agents infectieux
dence l’existence de nombreux autres facteurs, comme de gagner directement la circulation systémique. De
l’inflammation, les neurostéroïdes, le stress oxydatif et les plus, l’ammoniac a un effet toxique direct sur les fonc-
anomalies de la transmission synaptique. tions des polynucléaires neutrophiles ; il en résulte un

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Origine Transport Élimination

Tissulaire Hépatique
(désamination des acides aminés) cycle de l’uréogenèse
de Krebs-Henseleit
Acide alphacétoglutarique

Acide
glutamique NH3 Arginine
Ornithine

Glutamine Citruline

Urée
NH3

Rénale
NH3
NH3

Digestive Rénale NH4 Urée


(action des bactéries (désamination OH
intestinales) de la glutamine)

Figure 1. Métabolisme normal de l’ammoniac.

état d’immunosuppression, expliquant la fréquence des touchant notamment les neurotransmetteurs centraux
infections chez les cirrhotiques. Le sepsis est un facteur comme le glutamate, les catécholamines, la sérotonine,
déclenchant reconnu d’EH. l’histamine et la mélatonine [3, 4]. L’ammoniac induit
Les patients en EH ont des concentrations plasma- un déséquilibre entre la teneur en acides aminés aro-
tiques en marqueurs inflammatoires plus élevées que les matiques et branchés dans la circulation générale et
patients sans EH. Lors des épisodes infectieux, les cellules modifie le transport de ces acides aminés à travers la
microgliales libèrent des cytokines comme le TNF-␣ et les barrière hémato-encéphalique. Les acides aminés aro-
interleukines 1 et 6. Ces cytokines potentialisent les effets matiques arrivent en quantité importante au niveau du
toxiques de l’ammoniac, en augmentant la perméabilité système nerveux central, où ils subissent une bêtahy-
de la barrière hémato-encéphalique et en favorisant la dif- droxylation avec formation de faux neurotransmetteurs
fusion de l’ammoniac dans les astrocytes. L’utilisation d’un comme la tyramine, l’octopamine, la sérotonine et la
traitement anti-inflammatoire comme l’ibuprofène amé- béta-phényléthanolamine. Ces faux neurotransmetteurs
liore l’état neurologique et diminue l’ammoniémie dans remplacent la dopamine et la noradrénaline et induisent
des modèles animaux d’EH [6]. une baisse de la neurotransmission catécholaminergique
[7]. L’activité de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA),
L’inflammation potentialise les effets principal neurotransmetteur inhibiteur chez l’homme,

“ toxiques de l’ammoniac


Les anomalies de la transmission synaptique
De nombreuses perturbations de la neurotransmis-
serait également augmentée ; un défaut de son catabo-
lisme hépatique induirait une augmentation des niveaux
plasmatiques. De plus, les récepteurs GABAA sont acti-
vés par les neurostéroïdes, qui sont des produits dérivés
sion ont été mises en évidence au cours de l’EH, du métabolisme mitochondrial des hormones stéroïdes

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A B

Membrane
prétsynaptique

GABA
BZ GABA
Cl- BZ
Cl- Synapse

Membrane
postsynaptique
Récepteur Récepteur
GABA BZ

Figure 2. Représentation schématique du complexe récepteur GABA-récepteur benzodiazépine-canal chlore. A) Les récepteurs sont
inactivés. Le canal chlore est fermé. B) Les récepteurs sont activés. Le canal chlore est ouvert. BZ : benzodiazépine ; Cl- : chlore ; GABA :
acide gamma-aminobutyrique.

dans l’astrocyte et dont la synthèse est augmentée L’œdème cérébral est l’élément
par l’ammoniac [8]. Les récepteurs des benzodiazé-
pines auraient également une activité accrue lors de
l’EH [4]. Les récepteurs du GABA et des benzodiazé-
“ pathogénique commun aux mul-
tiples mécanismes intervenant dans la
physiopathologie de l’encéphalopathie
pines sont étroitement associés au sein d’un complexe hépatique
macromoléculaire au canal chlore (figure 2) [3, 4].
Une substance naturelle dite benzodiazépine-like pou-
vant activer ces récepteurs a été isolée dans le sang, le Traitement

liquide céphalo-rachidien et le cerveau de cirrhotiques
en EH [4]. Toutes ces modifications de la neurotrans- La première étape du traitement de l’EH consiste à
mission caractérisées par un accroissement des signaux identifier et à contrôler le ou les facteur(s) responsable(s)
inhibiteurs sont responsables des troubles de la vigi- (tableau 1), ce qui permet, dans la grande majorité des cas,
lance et du ralentissement psychomoteur observés dans une régression des symptômes [4]. L’hémorragie digestive,
l’EH. le sepsis et les déséquilibres électrolytiques sont parmi
les facteurs déclenchants les plus fréquents. En l’absence
L’altération de la neurotransmission est de facteur déclenchant clairement identifié, un traitement

“ à l’origine des troubles de la vigilance


voire du coma
spécifique de l’EH doit être instauré.


La physiopathologie de l’EH est multifactorielle et
complexe. Plusieurs hypothèses ont été successive- “
Le traitement du ou des facteurs
déclenchant est la première étape
du traitement de l’encéphalopathie
hépatique


ment évoquées (hypothèse ammoniacale, hypothèse des
faux neurotransmetteurs, hypothèse du GABA, hypo-
thèse des benzodiazépines), traduisant en réalité une
étroite et complexe intrication de différents méca- Traitements visant à diminuer la production
nismes agissant en synergie. L’ammoniac y joue un intestinale d’ammoniac
rôle principal. L’ammoniac, les cytokines inflammatoires, Disaccharides non absorbables
l’hyponatrémie et les benzodiazépines induisent tous un Le lactulose et le lactitol, disaccharides non absor-
œdème astrocytaire, qui pourrait être l’élément pathogé- bables, réduisent l’absorption de l’ammoniac en dimi-
nique commun [4] et serait observé à tous les stades de nuant le pH de la lumière colique, favorisant ainsi la
l’EH. transformation de NH3 en NH4+ qui n’est pas absorbé.

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Tableau 1. Principaux facteurs déclenchants de longtemps controversée. Néanmoins, une méta-analyse


l’encéphalopathie hépatique en fonction du mécanisme
récente montre que le lactulose est plus efficace que le
d’action possible d’après Mullen [22]
et Lizardi-Cervera et al. [23]. placebo sur les manifestations cliniques et la prévention
de l’EH avérée [13].
Augmentation de la charge azotée
Les disaccharides non absorbables
Hémorragie gastro-intestinale

“ restent le traitement de première


intention


Quantité excessive de protéines alimentaires

Hyperazotémie
Antibiotiques
Constipation
Les antibiotiques agissent en réduisant l’ammo-
Insuffisance rénale niogenèse intestinale grâce à leur action bactéricide
sur les bactéries protéolytiques riches en uréase. La
Déséquilibre électrolytique
néomycine, la vancomycine, la métronidazole et plus
Hyponatrémie (par ballonisation des astrocytes) récemment la rifaximine ont été utilisées. La rifaximine
a l’AMM pour le traitement de l’EH aux États-Unis et
Hypokaliémie (augmentation de l’ammoniac rénal)
dans certains pays européens. Une méta-analyse récente
Alcalose métabolique (augmentation de la diffusion d’ammoniac a confirmé l’efficacité de la rifaximine [13]. La rifaxi-
au niveau de la barrière hémato-encéphalique) mine ne serait cependant pas supérieure aux disaccharides
non absorbables dans l’EH aiguë ou chronique. Une
Hypoxémie
étude menée par Bass et al. en 2010 [14] a démontré
Hypovolémie l’intérêt de la rifaximine dans la prévention d’épisodes
récurrents d’EH. La rifaximine semble être un traitement
Déshydratation (pertes urinaires : diurétiques ; pertes digestives)
efficace ; néanmoins, il est difficile de le recomman-
Médicaments der en première intention en raison d’une part de
l’absence de données sur ses effets secondaires à long
Narcotiques
terme et d’autre part de son coût (6 à 7 fois celui
Benzodiazépines du lactulose). À l’heure actuelle, il s’agit d’un traite-
ment de deuxième intention, disponible en France par
Sédatifs
ATU et essentiellement destiné aux malades en EH chro-
Diurétiques (catabolisme protéique) nique ou récidivante non améliorés par les disaccharides.
L’association disaccharides-antibiotiques ne paraît pas
Divers
devoir être recommandée [15].
Infections bactériennes
Chirurgie (catabolisme protéique) La rifaximine est un traitement pro-
Hépatopathie aiguë surajoutée (virale, médicamenteuse,
hépatite alcoolique aiguë) “ metteur de l’encéphalopathie hépatique
mais son efficacité et sa tolérance au
long cours sont mal connues
Hépatopathie évolutive

Shunt porto-systémique intrahépatique mis par voie


transjugulaire
Prise en charge nutritionnelle ”
Historiquement, un régime pauvre en protéines était
recommandé afin de diminuer la production intestinale
d’ammoniac. Aujourd’hui, au contraire, un régime riche
De plus, de par leur effet laxatif, ils réduisent le temps de en protéines (au moins 1,2 g/kg/jour) est conseillé [16].
transit, augmentant l’excrétion azotée fécale. Les disac- En effet, un régime pauvre en protéines induit une fonte
charides non absorbables sont considérés comme le musculaire ; or, les muscles participent à transformer
traitement de première intention de l’EH. Le lactulose l’ammoniac en glutamine. Les périodes prolongées de
et le lactitol ont des effets thérapeutiques comparables jeun doivent être évitées car elles favorisent l’utilisation
mais le lactitol serait mieux toléré que le lactulose [9]. d’acides aminés pour la synthèse du glucose, entraînant
Dans l’EH minime, le lactulose améliore les performances une production d’ammoniac et une fonte musculaire.
aux tests psychométriques [10]. Le lactulose est pro- Des petits repas fréquents sont préconisés ; il faut évi-
posé dans la prévention primaire [11] et secondaire [12] ter une diète de plus de 6 heures. Il a été démontré
de l’EH. L’efficacité des disaccharides a cependant été qu’une collation tardive le soir, riche en glucides lents,

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diminuait la fréquence et la sévérité des épisodes d’EH
[17]. Un régime riche en protéines d’origine végétale ou Take home messages
laitière doit être privilégié chez les patients ayant une EH
• L’encéphalopathie hépatique est une complica-
chronique ou récurrente.
tion grave des hépatopathies aiguës et chroniques.
• L’ammoniac et l’inflammation jouent un rôle
Les patients atteints d’encéphalopathie

“ hépatique doivent suivre un régime


riche en protéines d’origine végétale
ou laitière, avec des collations tard le
important dans la pathogénie de l’EH, dont l’origine
est multifactorielle et complexe.
• L’identification et le traitement d’un facteur
déclenchant de l’EH sont essentiels à la prise en
soir


En raison d’un déséquilibre entre acides aminés aro-
matiques et branchés, l’administration d’acides aminés
charge.
• Le lactulose et les antibiotiques sont les princi-
paux traitements de l’EH.

branchés a été proposée dans le traitement de l’EH. Une


méta-analyse a montré que l’apport en acides aminés d’un shunt intrahépatique par voie transjugulaire (TIPS),
branchés était efficace sous réserve qu’ils soient adminis- peut être proposé si l’EH est handicapante et réfractaire
trés par voie orale [13]. au traitement médical.
La L-ornithine-L-aspartate (LOLA) permet de dimi-
nuer l’ammoniémie en fournissant des substrats pour la La transplantation hépatique
transformation métabolique de l’ammoniac en urée et en La transplantation hépatique est le traitement ultime de
glutamine. Ce produit n’est pas actuellement disponible l’EH. Dans les hépatopathies aiguës, la survenue d’une EH
en France. Une méta-analyse suggère que la LOLA est est un facteur pronostique majeur qui participe à retenir
significativement plus efficace que le placebo dans l’EH l’indication d’une transplantation hépatique en urgence.
minime et avérée, et qu’elle serait aussi efficace que le Dans les hépatopathies chroniques, l’EH est devenue
lactulose [18]. une indication peu fréquente de transplantation depuis
Le zinc est un cofacteur du cycle de l’urée et favorise l’avènement du score MELD. La survie après transplanta-
l’élimination de l’ammoniac. Un déficit en zinc est fré- tion serait inversement corrélée à la sévérité de l’EH [20].
quemment mis en évidence chez les cirrhotiques dénutris. D’après les recommandations de l’American Association
Selon les recommandations américaines de l’American for the Study of Liver Diseases, les malades cirrhotiques
College of Gastroenterology (2001), il faut dépister cette doivent être adressés pour évaluation à un centre réfé-
carence en zinc et la corriger (200 mg × 2/jour). Les rent de transplantation dès le premier épisode d’EH. Même
résultats des quelques études publiées concernant une si l’EH est classiquement réversible, les malades peuvent
supplémentation en zinc restent contradictoires [4]. cumuler, après chaque épisode d’EH, des déficits neuro-
La L-carnitine diminue l’ammoniémie en augmentant logiques résiduels irréversibles, détectés lors des tests psy-
le métabolisme énergétique et en favorisant la production chométriques et qui peuvent persister même après trans-
d’urée. La L-carnitine pourrait améliorer les résultats des plantation [21]. En effet, les cirrhotiques ont en IRM une
tests psychométriques et diminuer l’ammoniémie chez les diminution de la densité du tissu cérébral, qui se majore
patients en EH [19]. lors des épisodes d’EH et qui persiste même après trans-
plantation. La possibilité d’un éventuel déficit résiduel,
Des études contrôlées, randomi-


consécutif à de multiples épisodes d’EH, doit être prise en
sées, multicentriques sont nécessaires compte lors de l’évaluation d’un patient pour une greffe
pour confirmer l’effet bénéfique des hépatique. Chez les malades cirrhotiques ayant des épi-
acides aminés branchés, de la L- sodes répétés d’EH doivent donc se discuter des méthodes
ornithine-L-aspartate, du zinc et de la préventives de la récidive (régime, lactulose, rifaximine).
L-carnitine

Autres traitements”
Le flumazénil, antagoniste des benzodiazépines, a

Des données récentes suggèrent que les
épisodes d’encéphalopathie hépatique
peuvent entraîner des déficits neurolo-
giques irréversibles
un effet bénéfique mais transitoire chez les malades en
EH sévère, notamment après prise de benzodiazépines
[4].
Le système MARS® (Molecular Absorbent Recircula-
Conclusion

ting System) peut améliorer l’EH dans certaines situations L’EH est une complication grave des hépatopathies
[4]. La fermeture d’un shunt porto-systémique, notamment aiguës ou chroniques. Sa physiopathologie n’est toujours

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pas clairement élucidée, même si l’ammoniac y joue un 9. Blanc P, Daures JP, Rouillon JM, et al. Lactitol or lactulose in
rôle central. Les traitements actuellement les plus souvent the treatment of chronic hepatic encephalopathy: results of meta-
analysis. Hepatology 1992 ; 15 : 222-8.
utilisés sont ceux qui réduisent l’ammoniogenèse intesti-
nale, notamment les disaccharides et les antibiotiques. Le 10. Luo M, Li L, Lu CZ, et al. Clinical efficacy and safety of lac-
lactulose, qui a été le plus évalué, reste le traitement de tulose for minimal hepatic encephalopathy: a meta-analysis. Eur J
Gastroenterol Hepatol 2011 ; 23 : 1250-7.
première intention. La rifaximine est un traitement pro-
metteur mais peu de données sont encore actuellement 11. Sharma P, Sharma BC, Agrawal A, et al. Primary prophylaxis of
disponibles quant à son efficacité et sa sécurité d’emploi overt hepatic encephalopathy in patients with cirrhosis: an open labe-
led randomized controlled trial of lactulose versus no lactulose. J
lors des traitements prolongés. L’association de plusieurs Gastroenterol Hepatol 2012 ; 27 : 1329-35.
traitements chez les patients dont l’EH est difficile à traiter
12. Agrawal A, Sharma BC, Sharma P, et al. Secondary prophylaxis
pourrait avoir un intérêt mais doit être confirmée par des of hepatic encephalopathy in cirrhosis: an open-label, randomized
essais cliniques. La transplantation hépatique est le traite- controlled trial of lactulose, probiotics, and no therapy. Am J Gas-
ment ultime, sous certaines conditions, de l’EH chronique troenterol 2012 ; 107 : 1043-50.
ou récidivante invalidante. 13. Gluud LL, Dam G, Borre M, et al. Lactulose, rifaximin or bran-
ched chain amino acids for hepatic encephalopathy: what is the
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