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Le vol Paris-New York, c'est combien ?

Air France, qui s'apprête à publier ses résultats, est passée maître dans l'art de rentabiliser ses liaisons
par une gestion fine des tarifs. Sur un même vol, il peut y en avoir dix-sept

Avez-vous un jour imaginé que dans le vol Paris-Bordeaux, par exemple, votre voisin de siège, en
classe économique, sans réductions particulières, ait pu payer son billet cinq fois moins cher que
le vôtre ? Il y a peu de chances ! Pourtant, ce constat est plus fréquent qu'on ne le pense et porte
même un nom : le yield management ou, mieux, le revenue management.

Derrière cette appellation se cache l'une des méthodes les plus secrètes, mais également l'une des
plus stratégiques d'Air France. Une méthode qui, depuis de nombreuses années, contribue aux
bons résultats de la compagnie aérienne dans un contexte économique plutôt morose. Bien
appliquées, ces techniques de gestion des sièges dans les avions trouvent rapidement leur
traduction financière : dans un secteur ultra-concurrentiel, où les marges sont relativement
faibles, elles représentent des gains de l'ordre de 5 % à 7 % du chiffre d'affaires total de
l'entreprise.

Une compagnie aérienne comme Air France-KLM doit pouvoir compter sur l'efficacité de toutes
ses équipes pour faire partir les avions à l'heure, faire voler ses clients dans les meilleures
conditions possibles, les fidéliser. Mais, pour son bilan annuel, il y a un impératif incontournable :
il faut non seulement remplir les avions le plus possible, mais surtout au meilleur prix. Bruno
Matheu, directeur général adjoint chargé du marketing et des réseaux, résume la situation : " Le
siège d'avion est un produit périssable. Un siège vide est un siège perdu. "

Il fallait donc une méthode qui permette de maximiser la " recette avion " en jouant à la fois sur le
remplissage et sur la recette unitaire par siège, c'est-à-dire le prix payé par le passager. Air France
n'a rien d'un pionnier en la matière : au milieu des années 1990, la compagnie nationale affichait
même, dans ce domaine précis, un certain retard par rapport à ses homologues américaines et
européennes.

Il fallait faire vite. Plutôt que de développer un système propre, Air France a fait le choix d'acheter
un système " clefs en main " aux Etats-Unis et a arrêté son choix sur celui développé par Sabre,
l'un des grands GDS (global distribution system). " Le logiciel est bon, mais il y a aussi le savoir-
faire des analystes d'Air France ", se félicite M. Matheu.

Le fonctionnement du revenue management consiste à faire le meilleur arbitrage possible entre


le remplissage et la recette unitaire (le prix au siège). Il s'agit, dans un premier temps, de définir
des niveaux de prix et des conditions rattachées à ces prix (pricing) et, dans un deuxième temps,
de déterminer le nombre de sièges disponibles dans chaque avion par classe de prix.

Mais point de pricing sans une étude approfondie de la clientèle : la direction du marketing
mouline un grand nombre de données, à la fois sur la clientèle d'Air France, mais aussi sur celle
d'autres compagnies. Ces données permettent d'analyser le comportement d'achat, que ce soit sur
les dates de réservation, la durée du séjour, la période de voyage, le remboursement autorisé ou
pas. Sans négliger, bien sûr, la politique tarifaire de la concurrence, en étant prêt à réagir en
temps réel si telle ou telle compagnie aérienne affiche le même vol à un prix plus attractif.
Sur un vol aller-retour entre Paris et New York lors du mois d'avril 2007, en cabine Tempo (classe
économique), les tarifs des billets allaient ainsi de 467 à 3 228 euros.

Le " routard ", selon la typologie de la compagnie aérienne, choisira avant tout un tarif L à 467
euros toutes taxes comprises, peu cher mais assorti de contraintes. Ce tarif est en effet disponible
jusqu'à trente jours avant le départ, impose un dimanche sur place, un séjour maximum d'un
mois, il est échangeable avant le départ moyennant des frais, mais on ne peut pas modifier la date
et l'heure de retour ni changer de compagnie (il n'est pas " interlignable "). Il n'est également pas
remboursable et n'autorise pas les étapes (stopover).

Vient ensuite le " touriste ". Moyennant 887 euros, le tarif H est disponible jusqu'à sept jours
avant le départ, mais le dimanche devra impérativement être passé sur place et le séjour ne devra
pas excéder deux mois. Le billet est échangeable avant le départ avec frais, mais, contrairement au
tarif L, il est possible de changer de réservation au point de demi-tour, moyennant des frais.

Tout en haut de cette échelle de prix de la cabine économique, il y le tarif Y à 3 328 euros... Ce
n'est ni le tarif de la première classe ni même celui de la classe affaires, mais le prix de la liberté
totale. C'est, dans la typologie Air France, le tarif dont peut s'acquitter l'" homme d'affaires ".
Même service à bord que le billet à 467 euros, même positionnement dans la cabine.

La différence est dans le reste : pas de date limite pour l'achat, même le jour du départ. Pas de
séjour minimum ni maximum. Le billet est également échangeable, remboursable, interlignable
sans frais et autorise même un changement de réservation gratuit au demi-tour. Au total, il y a
neuf classes tarifaires en cabine Tempo.

Une segmentation existe également en classe affaires. Il ne se trouve pas moins de cinq tarifs
différents, avec le même corollaire : plus la liberté de changement (horaires, date,
remboursement) est grande, plus le tarif s'avère élevé. Idem en première classe, où il y a trois
classes de réservation. Finalement, toutes classes confondues, il existe 17 tarifs possibles pour un
vol aller-retour entre Paris et New York, allant de 467 euros à 8 736 euros, soit pratiquement un
rapport d'un à dix-neuf...

Reste pour l'analyste à attribuer, en fonction des périodes de pointe ou des périodes creuses, le
nombre de places par tarif. L'allocation dépend du type de trafic attendu, c'est-à-dire plus
simplement de la bonne répartition entre ce qu'on appelle, en jargon aérien, les " basses,
moyennes et hautes contributions ".

Sur deux vols à destination de New York, le lundi 21 mai, la répartition variait ainsi en fonction de
l'heure de départ. Sur le vol AF 022 de 8 h 25, les spécialistes avaient prévu un faible trafic
affaires et, au contraire, un fort potentiel loisirs. En conséquence, 55 % des places étaient
accessibles au plus bas tarif de la cabine Tempo. Sur ce vol, seulement 14 % des places étaient
allouées aux classes " haute contribution ", à l'avant de l'appareil.

En revanche, ce même jour, sur le vol AF 006 de 13 h 15, dont le fort potentiel à motif affaires est
avéré, aucune place n'était accessible au tarif le plus bas de la cabine Tempo. Et 22 % des places
étaient, elles, attribuées aux tarifs haut de gamme.

Sur le même vol AF 006 de 13 h 15, mais le lendemain, mardi 22 mai, la cabine n'était plus la
même. Les analystes ont estimé que le vol avait un fort potentiel de trafic à motif loisirs. En
conséquence, 28 % des places étaient accessibles au tarif le plus bas de la cabine Tempo. Et les
classes tarifaires basses et moyennes étaient plus nombreuses.

A Air France, entre les gestionnaires de vols et les " pricers ", les spécialistes des prix, plus de 200
personnes travaillent sur un immense plateau qui ressemble trait pour trait à une salle de
marchés financiers. Ici, le titre boursier est en revanche remplacé par une ligne et une
destination. Et tous les éléments susceptibles d'influer sur la demande sont pris en compte :
vacances locales, tournois sportifs, meetings politiques...

Tous les analystes connaissent parfaitement leur destination. Le spécialiste des vols entre Paris et
New York sait bien que le marathon de la ville a lieu chaque année le premier week-end de
novembre et que les coureurs français s'y rendent en groupes. De même, de grandes réunions ou
sommets au siège des Nations unies seront un bon indicateur pour la cabine affaires.

C'est ainsi que, siège par siège, se construit le bénéfice d'Air France.

François Bostnavaron

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