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Dissertation : le régime des contrats administratifs est-il égalitaire ?

« Le contrat administratif suppose essentiellement deux contractants qui se


reconnaissent être placés sur un pied d'inégalité ». Cette phrase du juriste Gaston Jeze met en
lumière le régime inégalitaire de la notion de contrat administratif. Mais inégalité et régime du
contrat administratif ne serait pas un euphémisme ? Car en effet, cette inégalité même se
retrouve dès la définition traditionnelle du contrat administratif. Le contrat administratif est une
manifestation de deux ou plusieurs volontés destinées à créer des effets de droit. L’aspect
organique de cet acte juridique plurilatéral veut qu’il soit conclu par au moins une personne
publique en principe, ou par exception en le compte d’une telle personne. Et c’est de par ce
critère organique qu’il se distingue du droit privé. En effet, le contrat privé cherche à établir
une égalité constante et indivisible entre les parties, tandis que le contrat administratif au
contraire se fonde sur une inégalité, de par la participation de l’administration au contrat et de
son large champ d’action de par ses puissantes prérogatives. Dans tout contrat administratif,
cette dernière est présente, et c’est alors que l’emploi de ses prérogatives puissantes qui sont
justifiées par son objectif visant l’intérêt général, peut paraître déséquilibrer le contrat. D’un
point de vue matériel, il faut que le contrat administratif contienne des éléments qui dérogent
au droit commun, pour rendre compte de la puissance toute particulière de la personne publique
qui est partie à ce contrat. Ces éléments peuvent se traduire par une clause exorbitante au
contrat, ou par un régime explicitement appliqué qui se caractérise par une exorbitance du droit
commun. On comprend donc que le régime du contrat administratif est particulier, en ce qu’il
doit s’adapter au mieux à la puissance de l’administration pour régir de manière équitable les
contrats. Juridiquement, le régime correspond à l’ensemble des règles de droit qui sont
applicables à une notion, c’est-à-dire son mode d’organisation juridique. Mais en présence
d’une partie aussi puissante que l’administration, on peut se demander si le régime appliqué
aux contrats administratifs tente de gommer le déséquilibre entre les pouvoirs de
l’administration et la faible posture du cocontractant. A première vue, on peut alors
potentiellement envisager une inégalité spécifique au régime du contrat administratif. Le
caractère exorbitant des pouvoirs que possède l’administration lui attribue une sorte de primauté
quant à son objectif visant l’intérêt général, ce qui est supérieur aux intérêts privés, et justifie
l’emploi de telles prérogatives. Et cela d’autant plus que cette dernière est réputée pour être
assez secrète et distante. On constate donc que l’administration est limitée par son objectif, en
ce qu’elle ne peut agir que pour l’intérêt général, et cela l’insère dans un cadre d’action qui ne
peut répondre qu’à cet objectif. Seulement il faut aussi considérer que si le droit administratif
a intérêt à défendre l’administration, ce n’est pas sans attribuer certains droits à ses
cocontractants, pour ainsi justifier rétablir un équilibre. L’enjeu est donc de comprendre si, avec
de pareilles prérogatives attribuées à l’administration et un objectif aussi important, un contrat
administratif est-il toujours déséquilibré, en ce que le cocontractant n’est jamais aussi puissant
que ce qu’elle est. Est-ce le régime appliqué aux contrats administratifs est inégalitaire et
caractérisé par un déséquilibre puissant au profit de la partie puissante ?

I/ Un contrat matériellement déséquilibré par des prérogatives inégales

A. Le déséquilibre initial et matériel lié aux prérogatives écrasantes de l’administration

Le régime exorbitant du contrat administratif, puisque telle est sa définition


matérielle, se caractérise par un avantage pour l’administration qui possède la liberté d’exercer
ces prérogatives exorbitantes. Un contrat peut être exorbitant du fait d’une clause exorbitante
qui assure à la personne publique des droits plus importants, soit une unilatéralité dans
l’exercice de ses prérogatives. Mais il peut aussi l’être du fait du régime exorbitant dans lequel
s’inscrit le contrat. L’arrêt de 1912 nommé Société des granits porphyroïdes des Vosges a
permis au Conseil d’Etat de qualifier d’administratif tout contrat comportant une clause
exorbitante du droit commun, dont qui confère des prérogatives tout aussi exorbitantes à la
personne publique partie au contrat. La définition du caractère exorbitant de ces clauses a été
défini par l’arrêt Stein de 1950, « celle qui a pour objet de conférer aux parties des droits, ou
de mettre à leur charge des obligations, étranger par leur nature à ceux qui sont susceptibles
d’être librement consenti par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales ». Il
existe deux grandes catégories de ces clauses : celles qui manifestent l’unilatéralité des
prérogatives de l’administration et celles qui mettent les cocontractants dans des situations
inégalitaires. L’arrêt Dumontet de 2010 considère que certaines clauses montrent la main mise
qu’à l’administration sur son cocontractant. On conclut de tout cela que la clause est exorbitante
car elle crée des inégalités entre les parties. Depuis un arrêt du Tribunal des conflits nommé
Société Axa 2014, on considère qu’il y a une approche globale du régime exorbitant d’un
contrat, est oubliée l’approche de manière isolée en considérant chaque stipulation. Donc si
l’ensemble des clauses du contrat marquent la supériorité des prérogatives de l’administration,
alors le contrat est déséquilibré : et c’est pour cette raison qu’il relève du droit administratif.
On a donc la preuve que le régime des contrats administratifs est inégalitaire. On comprend
donc que dans le contrat administratif, il n’y a pas de soucis d’égalité entre les cocontractants.
En effet, le régime juridique des contrats se caractérise par un déséquilibre au profit de
l’administration qui bénéficie de prérogatives particulières. Ces dernières sont justifiées par
l’intérêt général, qui est un objectif large et noble, ce qui explique pourquoi il prévaut sur les
intérêts particuliers. Enfin, on peut énoncer le principe de la liberté contractuelle qui permet de
manière générale à l’administration d’être en position de force, mais qui parfois lui ôte tout
privilège. Il permet à tout contractant d’être libre de contracter et de convenir des clauses du
contrat. Or souvent la liberté contractuelle dépend de la puissance de négociation de chacune
des parties, elle n’est pas toujours si évidente. Le cocontractant est souvent dans une position
de faiblesse et se voit imposer les clauses du contrat, qu’il accepte toutefois car il n’a pas le
choix d’intervenir dans la décision de ces clauses. Souvent c’est l’administration qui a
l’avantage mais face à certains cocontractants de poids, comme les grandes banques par
exemple, il est des fois où elle perd cet avantage, allant parfois jusqu’à leur offrir des faveurs
que la Cour des Comptes critique. Elle est parfois restreinte dans la négociation des clauses que
ses cocontractants savent lui imposer, mais encore elle est juridiquement restreinte par la
procédure de choix du cocontractant qui ne la laisse pas entièrement libre, et qui l’oblige à
suivre une procédure très longue.

B. La formation et l’exécution du contrat régis au profit de l’administration

La formation du contrat en elle-même caractérise un déséquilibre au profit de


l’administration. Parce qu’elle possède des prérogatives supérieures à celles de son
cocontractant, c’est elle qui a le choix de ce dernier. Il faut toutefois respecter les conditions de
la validité de la formation du contrat. Pour de nombreux contrats, l’administration est libre de
choisir son cocontractant, comme c’est le cas pour les contrats portant sur occupation du
domaine public par exemple. Mais en dehors de ces deux cas particuliers, l’ensemble des
contrats de l’administration qui interviennent dans un secteur concurrentiel relèvent de
procédure de passation plus ou moins formelles et qui sont toutes soumises à ce qu’on appelle
« les principes généraux du droit de la commande publique ». C’est-à-dire qu’elle doit respecter
la liberté d’accès de son cocontractant à la commande publique : considérer toutes les
candidatures avec une égalité de traitement, se plier à des critères de choix énoncés et mis en
œuvre sans discrimination, mais encore établir une transparence de la procédure. Mais souvent,
l’administration prend des libertés avec ces principes. Mais en ce qu’il s’agit de l’exécution du
contrat administratif, l’administration possède des prérogatives supérieures à celles de son
cocontractant, ce qui crée un déséquilibre flagrant. Aucune stipulation ne peut faire obstacle à
ces prérogatives car elles sont d’ordre public, « en vertu des règles générales applicables aux
contrats administratifs » comme énoncé dans l’arrêt du Conseil d’Etat de 1968 nommé
Distillerie de Magnac Laval. Elles figurent au nombre de quatre. Toutefois ces prérogatives
sont subordonnées à l’existence de considérations d’intérêt général justifiant une modification
unilatérale des stipulations initiales. Mais comme le Conseil d’Etat a une conception libérale
de l’intérêt général, elles peuvent être très larges. Premièrement, l’administration dispose d’un
pouvoir de contrôle et de direction : elle surveille l’exécution du contrat et peut imposer au
cocontractant certains procédés pour qu’il l’exécute correctement. Conséquemment à ce
premier pouvoir, elle en dispose un second qui lui permet d’infliger des sanctions. Ce pouvoir
est conditionné par une mise en demeure préalable avant son prononcé par l’administration.
Souvent de type pécuniaire, l’administration peut directement les mettre en place si une clause
la prévoie dans le contrat, sinon elle doit recourir au juge, comme l’énonce l’arrêt de 1907
nommé Deplanque. Elles peuvent aussi être de type coercitif, et assurer l’exécution du contrat
en dépit de la carence du cocontractant, comme par exemple en remplacer un cocontractant
défaillait aux frais de ce dernier. Troisièmement, l’administration possède le pouvoir de
« mutabilité des contrats administratifs », c’est-à-dire de modifier unilatéralement le contrat.
Admis par l’arrêt de 1902 nommé Compagnie de Gaz de Déville-les-Rouen puis confirmé par
l’arrêt de 1910 dit Compagnie générale des tramways, cette prérogative est la preuve même du
régime exorbitant du droit commun en ce que le cocontractant doit accepter le contrat modifié
à peine de résiliation. Cependant elle connait des limites, celle de ne pouvoir concerner ni
l’objet du contrat ni les clauses financières. Enfin, l’administration dispose du pouvoir de
décider à tout moment la résiliation du contrat y compris en l’absence de faute du cocontractant.

II/ La tentative d’équilibrage par l’attribution de droits compensateurs

A. Les droits financiers visant à compenser relativement ce déséquilibre

Ces prérogatives exorbitantes accordées à l’administration sont compensées par des


droits financiers du cocontractant. On rétablit d’un point de vue économique une certaine
égalité entre les parties. Il existe des droits financiers inhérents au contractant, qui lui sont
initialement acquis. C’est en comparant ces prérogatives financières avec celles attribuées à
l’administration qu’on comprend que le déséquilibre naît de la supériorité des pouvoirs de cette
dernière. Le premier de ces droits financiers est celui qui permet au cocontractant d’être payé
pour sa créance. En effet, la rémunération telle qu’elle résulte du contrat ne peut pas être
modifiée unilatéralement mais que par l’accord des parties. Le cocontractant doit être payé pour
sa prestation effectuée, comme le rappelle un arrêt Société Dezerrus rendu en 2000 par le
Conseil d’Etat. Le second droit est celui qui permet au cocontractant d’être indemnisé en cas
de résiliation unilatérale du contrat pour un motif d’intérêt général. C’est une réponse directe à
l’une des prérogatives inhérentes à l’administration qui lui permet de rompre unilatéralement
le contrat pour un motif d’intérêt général. Cela montre bien que la jurisprudence a toujours tenté
de faire correspondre le régime des contrats administratifs à plus d’égalité, en compensant de
la sorte les droits du cocontractant. Dans l’arrêt de 1968 nommé Distillerie de Magnac Laval,
le juge avait jugé que le contrat résilié était régulier, alors les cocontractants avaient été
indemnisés. Cette indemnisation doit compenser la totalité du préjudice subi : autant la perte
subie par le cocontractant que le manque à gagner par ce dernier. Il existe troisièmement un
droit à l’équilibre financier du contrat. Ce droit, dans son intitulé même, explicite la volonté de
la jurisprudence à voir plus d’égalité s’établir entre les cocontractants. Elle se manifeste par
trois théories jurisprudentielles visant à réduire l’exposition du cocontractant aux aléas.
L’objectif est de maintenir l’exécution du contrat en cas de changement dans les circonstances
de droit ou de fait qui rendent l’exécution plus onéreuse pour le cocontractant. Premièrement,
la théorie des sujétions imprévues qui vient compenser l’aléa matériel ou technique, elle ne joue
que dans le champ des travaux publics. Elle ne s’applique que s’il existe une difficulté d’ordre
matériel pour le cocontractant, qui doit lui être extérieure à lui et aux autres parties, et qui ne
doit pas avoir été envisagée lors de la conclusion du contrat. S’il y a sujétion imprévue, le
cocontractant doit continuer à exécuter le contrat en revanche il bénéficiera d’une compensation
financière pour l’intégralité du préjudice subi en conséquence de la sujétion. La seconde théorie
est celle du fait du prince, résultat de toute intervention de l’administration contractante qui
modifie de manière unilatérale les conditions d’exécution du contrat. Il faut que ce fait soit
imprévisible lors de la conclusion du contrat, il faut que la mesure litigieuse soit légale, et
qu’elle puisse être imputée à l’administration partie au contrat. Le cocontractant a le droit à une
indemnisation intégrale du préjudice qu’il a subi s’il est le seul à le subir, mais si beaucoup
d’autres parties au contrat le subissent, il ne sera pas indemnisé. Enfin, la théorie de l’aléa du
fait de l’imprévision se caractérise par trois conditions : l’imprévisibilité au moment de la
conclusion du contrat, le bouleversement du contrat par l’évènement litigieux qui crée un déficit
important, qui ne doit pas résulter d’une action de l’administration. Le montant de la réparation
ne correspond pas à la totalité du préjudice subi. Le CE laisse toujours à la charge du
cocontractant un pourcentage en fonction de ses bénéfices et du type de difficulté subie. Si
l’imprévision est temporaire, alors la théorie joue jusqu’au retour à une situation normale
d’exécution du contrat. Mais si le déséquilibre est définitif, le contrat est souvent résilié.

B. La fin de l’unilatéralité exclusive du droit de résiliation pour l’administration

Enfin, le déséquilibre du régime des contrats administratifs se manifeste encore lors


de la mise en œuvre de la fin anticipée du contrat. Dans la quasi-totalité des cas, la fin survient
lorsque les prestations ont été totalement exécutées par les cocontractants ou lorsque la période
pour laquelle le contrat a été signé est dépassée. Mais parfois ce sont les parties qui choisissent
de résilier la convention. Nous avons vu que l’administration peut prendre la liberté de résilier
le contrat, c’est une compétence discrétionnaire qui lui permet d’agir dans l’intérêt du service.
L’arrêt de 1968 Société distillerie de Magnac Laval accorde indemnisation au cocontractant du
fait de cette résiliation unilatérale. Nous avons aussi vu qu’elle peut être prononcée à titre de
sanction, il faut qu’elle soit prévue dans le contrat initial. Elle n’est permise qu’en cas de faute
grave par le cocontractant et le juge pourra contrôler la proportionnalité de la sanction :
l’adéquation de l’intensité de la sanction à la faute commise par le cocontractant. Enfin, il faut
comparer ce droit à la résiliation avec celui qui est accordé au cocontractant. Cette hypothèse
est récente car on considérait jusqu’en 2014 que le titulaire d’un contrat ne pouvait procéder de
lui-même à la résiliation du contrat. Le Conseil d’Etat a donc crée une jurisprudence qui a eu
une unique application en 2014, dans l’arrêt Société Grenke Location. En l’espèce,
l’administration avait cessé de rémunérer sa société cocontractante, alors la société a décidé de
résilier le contrat en application d’une clause qui était prévue dans le contrat. Le Conseil d’Etat
juge que la clause de résiliation n’était pas en elle-même illégale et a admis que le titulaire d’un
contrat puisse de lui-même procéder à sa résiliation. Mais le Conseil d’Etat a encadré cette
possibilité de nombreuses conditions restrictives. Nous remarquons donc que les prérogatives
respectives accordées à l’administration et à son cocontractant quant à la résiliation du contrat
ne sont pas du tout égales, en ce que l’administration a le droit de résilier à tout moment pour
un motif d’intérêt général très large le contrat, tandis que le cocontractant ne peut le faire qu’en
raison d’une faute de l’administration dans l’exécution du contrat.

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