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Methodos

16  (2016)
La notion d'Intelligence (nous-noein) dans la Grèce antique

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Martine Pécharman
Les mots, les idées, la représentation.
Genèse de la définition du signe dans
la Logique de Port-Royal
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Martine Pécharman, « Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique de
Port-Royal », Methodos [En ligne], 16 | 2016, mis en ligne le 01 février 2016, consulté le 16 mars 2016. URL : http://
methodos.revues.org/4570 ; DOI : 10.4000/methodos.4570

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Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique (...) 2

Martine Pécharman

Les mots, les idées, la représentation.


Genèse de la définition du signe dans la
Logique de Port-Royal
1 L’insertion tardive, dans la cinquième édition en 1683 de La Logique ou l’Art de Penser
d’Arnauld et Nicole, d’analyses relatives à ce qui « s’appelle signe »1, a pu être interprétée,
au moment de la redécouverte à la fin des années 1960 de la doctrine grammaticale et logique
des Messieurs de Port-Royal, comme le témoignage après coup d’une élision de la théorie
du signe, tant dans la Grammaire générale et raisonnée d’Arnauld et Lancelot en 1660, que
dans l’état primitif de la Logique publiée en 16622. On a pu aller jusqu’à associer à cette
lacune l’absence dans la Logique, jusqu’à l’édition de 1683, d’un intérêt spécifique pour les
« problèmes de langage proprement dits »3. Faisons, cependant, comme si les chapitres ajoutés
en 1683 étaient de nouveau ôtés de la Logique, et comme si l’on se trouvait reconduit au
texte de la première édition. En retournant ainsi à un état antérieur à l’incorporation de six
chapitres semblant constituer à eux tous une étude autonome des signes et des modes de la
signification, on constate en fait que, avant ces additions, la Logique ne s’est pas bornée à
prendre tacitement appui sur la thèse de la Grammaire générale quant aux signes linguistiques,
selon laquelle les mots sont des signes institués pour donner à autrui la connaissance de nos
pensées, et il y a plusieurs manières fondamentales pour les mots de signifier les diverses
opérations de notre esprit. La relation de signification des mots aux pensées fait l’objet dans
la Logique d’un examen qui lui est spécifique. En premier lieu, la présentation des actions de
l’esprit en 1662 dans la Logique ne reproduit pas leur description en 1660 dans la Grammaire
générale. Arnauld et Lancelot ont donné pour fondamentale, dans leur analyse grammaticale
de la signification des pensées par les mots, la considération de «  ce qui est enfermé  »
de la première opération de l’esprit, concevoir, dans sa seconde opération, juger4. C’est en
analysant le jugement ou proposition, l’action d’affirmer quelque chose de quelque chose,
que la Grammaire générale s’est intéressée indirectement aux idées sur lesquelles s’exerce
cette action, les termes sujet et attribut dans la proposition. Au contraire, dans la Logique, les
réflexions sur les idées sont présentées comme « peut-être ce qu’il y a de plus important »
et « le fondement de tout le reste », parce que c’est « par l’entremise des idées qui sont en
nous » qu’il nous est possible de connaître « ce qui est hors de nous » 5. La perspective est
donc tout autre. L’analyse grammaticale a égard à la raison pour laquelle (ou intention dans
laquelle) les hommes parlent : c’est pour exprimer les idées, non pas distinctement les unes
des autres, mais en tant que l’esprit les relie les unes aux autres dans l’action de juger, que l’on
fait usage des mots. L’analyse logique, elle, a égard à la dérivation de toute notre connaissance
à partir des idées. En raison de la radicalité de leur fonction épistémique, les idées prises en
elles-mêmes exigent une analyse logique séparée de celle de leur liaison propositionnelle par
l’opération de jugement.
2 En outre, la différence entre l’analyse logique et l’analyse grammaticale se trouve accentuée
dans l’Art de penser du fait que les réflexions données pour primordiales sur les idées reposent
d’abord elles-mêmes sur le principe d’une relation d’implication réciproque entre les idées et
leurs signes linguistiques : « il est necessaire dans la Logique de considerer les idées jointes
aux mots, & les mots joints aux idées », écrivent Arnauld et Nicole à la fin du préambule
général6. À mes yeux, en établissant cette nécessité, la Logique se donne déjà en 1662 pour
tâche essentielle une problématisation des signes et de la signification dont le contenu des
chapitres intégrés en 1683 est seulement la continuation et le complément, au lieu qu’il faille
faire commencer avec eux la théorisation sémiologique de Port-Royal. Pour Arnauld et Nicole,
on ne saurait analyser dans la Logique les principales opérations de la pensée, concevoir
et juger, sans les modes de leur manifestation par la médiation des signes linguistiques.
L’indissociabilité de la philosophie de l’esprit et de la philosophie du langage possède une

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nécessité anthropologique qui se trouve revendiquée dès le début de l’Art de penser. Le


préambule général de la Logique associe en effet deux thèses, l’une sur l’esprit - en elles-
mêmes, ou dans leur essence, les pensées sont indépendantes des signes linguistiques -, l’autre
sur les signes linguistiques - le langage n’est jamais un langage intérieur, il n’est de langage
que pour autrui7. La pensée se fait sans signes, mais les signes linguistiques ont pourtant
une fonction cognitive, qui constitue en même temps la raison pour laquelle leur statut est
strictement celui de signes extérieurs. L’effet de connaissance que produisent les mots n’est
pas en effet pour mon esprit, mais pour les autres esprits : au moyen des mots, mon esprit
devient un objet de connaissance pour les autres esprits. Par le détour de la liaison des idées
avec des mots, la connaissance mutuelle des esprits devient possible. C’est la dissymétrie entre
la connaissance par soi de l’esprit, tenue pour immédiate par Arnauld (une « réflexion simple »
est « intrinsèque à toute pensée », écrivait-il à Descartes en juillet 16488), et sa connaissance
par un autre que soi-même, laquelle ne peut être qu’indirecte, qui fait toute la nécessité des
signes du langage, une nécessité qui n’est donc qu’externe.
3 Dans ce schéma, aucune place ne se trouve accordée à une parole intérieure. Pour l’Art de
penser, il n’y a qu’un seul langage, aussi extérieur à l’esprit que les signes sensibles par le
moyen desquels se fait l’entre-communication des pensées. Il ne s’agit pas, comme chez saint
Augustin, de tenir le langage humain seulement pour l’incarnation, dans des sons vocaux,
d’un verbe mental enfoui au plus profond de notre intériorité. Plutôt que l’impénétrabilité
par nature de l’âme rationnelle, sanctuaire ou temple de  la pensée selon Augustin9, c’est
pour Port-Royal l’union de l’esprit au corps qui rend impossible la connaissance immédiate
de mon esprit par d’autres esprits. L’anthropologie cartésienne l’emporte à cet égard sur
la doctrine augustinienne du verbum dans le tréfonds de l’âme10. Port-Royal ne met pas en
avant, sur le mode augustinien, l’irréductibilité de la distance entre verbe intérieur et langage
extérieur, mais la capacité du langage (qui n’est jamais qu’extérieur) à signifier la pensée.
C’est le corps lui-même qui sert à surmonter l’occultation de l’âme dont il est par ailleurs
la cause  : la médiation cognitive entre les esprits est réalisée par des signes corporels, les
sons articulés de la voix. Dans l’institution des signes linguistiques, la matérialité qui fait
partie intégrante, avec l’âme, de ce tout qu’est l’homme, est utilisée pour restaurer l’accès
(auquel elle fait immédiatement obstacle) d’un esprit aux pensées d’un autre esprit. Sur ce
point, le Logique est en parfaite continuité avec l’affirmation qui ouvre, dans la Grammaire
générale et raisonnée, l’étude du versant spirituel de la parole, après son versant matériel :
bien qu’absolument dissemblables de «  ce qui se passe dans notre esprit  », les mots «  ne
laissent pas d’en découvrir aux autres tout le secret, et de faire entendre à ceux qui n’y peuvent
pénétrer, tout ce que nous concevons, et tous les divers mouvements de notre âme »11. De ce
pouvoir qu’ont les mots de signifier les pensées à autrui, la Grammaire générale déduit une
corrélation nécessaire entre l’analyse des catégories de mots et l’analyse des catégories de
pensées12. Cependant, cette corrélation affirmée dans la Grammaire est loin d’entraîner dans
la Logique la thèse d’une manifestation uniforme des catégories mentales dans les catégories
verbales correspondantes. La fonction cognitive des mots est au contraire constamment à
restaurer dans l’Art de penser, car la capacité d’expression des pensées par le langage ne va
pas de pair avec une absence d’opacité de ce dernier. La Logique de Port-Royal se donne
pour tâche essentielle de résoudre les difficultés de la liaison réciproque entre les mots et
les idées – ce dont je donne un aperçu dans le premier moment de l’étude qui suit. On ne
vérifie jamais autant, dans cette Logique, le rapport de signification des mots aux pensées,
qu’en inventoriant les multiples formes possibles de déviance dans ce rapport de signification.
La théorisation distincte du signe tardivement intégrée à la Logique n’a pas, à cet égard,
l’indépendance qu’on lui prête ordinairement par rapport à l’état antérieur de l’Art de penser.
Je montre dans le second moment de mon étude que la polémique anti-calviniste de Port-Royal
sur Ceci est mon corps constitue, pour la constitution de la théorie du signe dans l’édition de
1683, non pas un point de départ absolu, mais une médiation qui doit être elle-même comprise
dans le strict prolongement de l’analyse logique du langage selon les éditions de 1662 et
1664. Selon moi, avec les additions sur le signe dans l’édition de 1683, Arnauld et Nicole

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poursuivent en réalité une réflexion sur la polymorphie de la signification que la Logique


avait déjà rendue inséparable de l’analyse logique. Comme je le montre dans le troisième et
dernier moment de mon article, la définition du signe qui n’apparaît que dans cette cinquième
édition repose de ce point de vue sur un processus d’élaboration assez complexe, permettant
de réordonner l’analyse du langage en fonction d’une nouvelle conception de la signification
comme représentation des idées par les mots.

Les embarras du modèle de symétrie entre les idées et les


mots
4 Retournons donc à la Logique dans son état d’origine. Dès le préambule général, Arnauld
et Nicole précisent que la force de l’accoutumance linguistique est telle, que les idées par
lesquelles l’esprit se représente ses objets ne se conçoivent plus, quand on pense à part soi, sans
les mots utilisés pour leur signification à autrui. Pour autant, Port-Royal n’a pas pour propos
d’identifier la pensée à un discours mental dégradé, qui se confondrait avec la méditation
silencieuse de mots appartenant à quelque langue particulière. La nécessité anthropologique
de signes extérieurs des contenus de l’esprit ne transforme pas la pensée en une pensée des
mots eux-mêmes, un langage intérieur de bas étage transposant au-dedans de l’esprit les mots
d’une langue donnée. La Logique subordonne la dimension linguistique indispensable à l’art de
penser au fait que « les choses ne se présentent à notre esprit qu’avec les mots dont nous avons
accoûtumé de les revêtir en parlant aux autres »13. Mais cela ne revient nullement à soutenir
que l’esprit conçoit seulement des mots, à la place des idées qu’ils ont pour fin de signifier à
l’esprit d’autrui. Ce qui est souligné, c’est que l’esprit conçoit en même temps des idées et des
mots, qu’il n’a la représentation d’objets au moyen d’idées qu’en rapportant ces idées aux mots
qui les signifient. En dehors de la décision humaine qui leur assigne leur corrélat idéel dans
un rapport de signification, les mots ne sont que des sons indifférents à signifier telle pensée
plutôt que telle autre, et l’indépendance des contenus mentaux ne saurait être menacée par la
convention qui fait correspondre de manière « purement arbitraire » certains sons à certaines
idées pour leur servir dorénavant de signes14. Tout au contraire, cette convention suppose
elle-même la préexistence dans tous les esprits des mêmes idées. La perception d’un mot
peut, ex instituto, faire surgir dans l’esprit l’idée dont il n’est que le signe, et réciproquement,
l’expression d’une idée doit toujours se conformer à la liaison établie par convention entre elle
et tel mot déterminé. L’habitude de ces associations conventionnelles fait qu’un esprit ne peut
plus concevoir des idées sans concevoir au même moment, ou aussi, les mots destinés à les
signifier. Les liaisons entre les idées et leurs signes se trouvent ainsi elles-mêmes intériorisées
par chaque esprit, comme liaisons entre telles idées et telles images matérielles de sons ou
de caractères, mais il n’y a aucunement substitution, aux contenus de la pensée, d’une simple
réplique muette des mots d’une langue ou d’une autre. En ramenant toutes les espèces de mots
(« la diversité des mots qui composent le discours »15) à deux genres généralissimes, les mots
qui signifient les objets de nos pensées et les mots qui signifient la forme ou manière de nos
pensées, la Grammaire générale et raisonnée a elle-même exclu que l’invention des signes
linguistiques puisse être interprétée de manière réductrice comme une décision n’obéissant
à aucun critère conceptuel  : l’arbitraire de la liaison entre des signes linguistiques et les
pensées qui sont leurs signifiés est mentalement (autrement dit, logiquement) bien fondé dans
la connaissance qu’a chaque esprit de « tout ce qui se passe » en lui16. La Logique interdit de
même que la convention linguistique à l’arrière-plan de l’implication réciproque des idées et
des mots se trouve atomisée en une multiplicité déréglée de décisions indéfiniment réitérées
au gré de « la fantaisie des hommes »17.
5 Toute convention particulière, dans quelque langue que ce soit, se voit normée pour Port-
Royal par la division de toutes nos pensées en deux genres, le genre que l’on peut dire
conceptif, et le genre principalement judicatif. Mais la Logique ne se contente pas, à la suite
de la Grammaire, d’assigner à la division grammaticale des parties du discours un fondement
mental universel. En plaçant ses réflexions sur les actions de l’esprit sous la dépendance de
l’association dans l’esprit entre telle idée et tel mot plutôt que tel autre, elle présente comme le
mode naturel du fonctionnement de l’esprit la communication linguistique des pensées réglée

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par la correspondance de chaque élément conceptuel à un élément et un seul dans le langage,


et réciproquement de chaque élément du langage à un élément et un seul dans l’esprit. Or, en
étendant le domaine de l’analyse logique, au-delà de la simple distinction entre les opérations
mentales, aux deux liaisons symétriques dans l’esprit qui font que l’on infère, à partir de
l’idée, le mot qui la signifie, et inversement, à partir du mot, l’idée qui est son signifié, Port-
Royal se trouve contraint d’intégrer à l’art de penser l’examen des processus sémantiques qui,
dans l’expression d’une pensée pour autrui, rendent difficile l’interprétation par autrui des
contenus mentaux signifiés. La structure de correspondance réciproque entre les idées et les
mots imposée dans la Logique par la nécessité anthropologique d’une communication indirecte
entre les esprits par le détour de l’invention des signes linguistiques, ne garantit pas un exercice
simple et uniforme de la relation de signification. La structure mise en place au début de l’Art
de penser sert plutôt à dénombrer les types variés de manquements à sa stricte application.
6 Ce ne sont pas, néanmoins, tous les cas de non-application de cette structure qui sont source
d’embarras à résoudre par l’analyse logique. Pour Port-Royal, comme l’atteste déjà l’avant-
propos de la Grammaire générale et raisonnée, la signification constitue une propriété tout
à fait étrangère aux signes, un rapport extrinsèque à «  ce qu’ils sont par leur nature  »18.
Ainsi, à partir du moment où le rapport purement externe de signification est institué par
les hommes, on devrait avoir l’assurance que des sons déterminés ne sauraient être perçus
sans faire retrouver immédiatement les pensées elles aussi déterminées qui leur sont liées par
convention, et qui sont les mêmes dans l’esprit de l’auditeur que dans l’esprit du locuteur.
Mais, comme le montre l’analyse logique de l’opération de concevoir, le processus par lequel
l’auditeur n’a accès à ce qui est dans l’esprit du locuteur que par le retour à des pensées qui
sont déjà siennes, ne peut être absolument général, dans la mesure où la privation d’un organe
sensoriel empêche que tous les esprits aient toutes les idées sensibles. Pour l’aveugle-né, qui
n’a pas les idées des couleurs, il est impossible que les sons des mots bleu, vert, jaune, etc.,
soient perçus comme les composantes d’un rapport de signification19. Ce genre de limitation du
pouvoir qu’a la convention de rendre un son signe de telle idée qu’il est en lui-même indifférent
à signifier ne relève pas cependant des difficultés et écueils de la communication des pensées
venant dérégler selon la Logique le modèle initial de correspondance réciproque entre les idées
et les mots. Il ne suffit pas non plus, pour mesurer l’étendue qui doit être accordée selon
Port-Royal à l’analyse logique de la signification linguistique, d’avoir égard au fait que des
mots peuvent produire un effet de signification en excès sur la reconnaissance par autrui des
idées qui leur sont liées par convention. Les mots, souligne l’Art de penser, font souvent venir
à l’esprit plusieurs autres idées que celles que leur institution a pour fin de signifier, et ces
idées supplémentaires sont étudiées par Arnauld et Nicole comme des idées accessoires par
rapport aux idées principales des mots. Dans toute situation d’interlocution, des idées purement
adventices sont suscitées du fait des «  signes naturels  » (gestes, physionomie, intonation)
qui accompagnent l’usage du discours  : ces signes corporels non-linguistiques «  attachent
à nos paroles une infinité d’idées, qui en diversifient, changent, diminuent, augmentent la
signification » 20. Pareil surplus de signification ne nécessite nullement qu’une différenciation
entre des mots dans le discours corresponde à la variation sémantique qu’entraînent les idées
accessoires. Par l’efficace des signes naturels, c’est sans avoir à être explicitées verbalement
que les modalités affectives inséparables dans l’esprit d’un locuteur des pensées qu’il veut
exprimer produisent une partie de la signification des mots utilisés à l’intention d’autrui.
En venant redoubler les mots, signes par institution, ces «  signes naturels  » accomplissent
selon Arnauld et Nicole l’équivalent non-discursif d’« expressions figurées », qui signifient
beaucoup plus dans le discours humain que les « expressions toutes simples » qu’on pourrait
leur substituer ou auxquelles on pourrait les réduire, car elles n’expriment pas seulement
les pensées que les expressions simples correspondantes pourraient aussi bien signifier, elles
signifient, outre les choses conçues, les passions ou émotions ressenties « en les concevant
& en parlant »21. Dans le cas de la signification ajoutée par ce genre d’idées accessoires, pas
plus que dans celui de la privation chez certains locuteurs d’une partie des relations établies
conventionnellement entre telles idées et tels mots, la non-conformité avec le schéma de liaison
réciproque («  les idées jointes aux mots, & les mots joints aux idées  ») désigné par Port-

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Royal comme l’objet indispensable de l’analyse logique, si celle-ci veut pouvoir consister
en réflexions sur les diverses opérations de l’esprit, ne saurait constituer un manquement au
modèle de symétrie placé au fondement de l’Art de penser.
7 Les cas qui préoccupent Arnauld et Nicole sont ceux où un déséquilibre sémantique survient
entre l’effet de signification voulu par le locuteur et l’effet de signification produit dans l’esprit
de l’auditeur. Ce sont les dérèglements de l’ajustement requis entre les mots et les idées
pour que le vouloir-dire produise son effet, les impasses de la relation de signification, qui
doivent devenir l’objet central de l’analyse dans une Logique qui se donne pour tâche de
réfléchir conjointement sur les opérations naturelles de l’esprit et sur leur expression tout
aussi naturelle par le langage ordinaire. Pour une partie des écarts par rapport à l’intention
de signification, ceux qui tiennent à la confusion entre plusieurs idées tout à fait différentes
qui peuvent être attachées à un même mot, le remède consiste dans l’usage des définitions
de nom, qui permettent de faire comme si le signe équivoque était un son auquel on n’aurait
pas encore attaché de signification  («  dans la définition du nom, [...] on ne regarde que le
son, & ensuite on détermine ce son à être signe d’une idée que l’on désigne par d’autres
mots »22). Ce procédé réducteur rend possible une ré-imposition nominale, une ré-institution
du mot comme signe. Accoutumer les hommes à ce procédé définitionnel de rétablissement
d’un mot comme signe de telle idée et d’elle seule serait cependant malaisé, au point que Port-
Royal souligne qu’ « il seroit plus facile de les accoutûmer à un mot qui ne signifieroit rien
du tout »23. Une autre dysfonction de la relation de signification, dont la Logique emprunte
l’analyse à deux Écrits sur le Formulaire composés par Arnauld entre mi-novembre 1661
et fin janvier 1662 dans le cadre de sa dispute avec Pascal et Domat sur la signature du
formulaire, est liée à la possibilité pour une circonlocution dénotant un seul sujet comme
l’unique possesseur d’une certaine propriété - ce que nous appellerions une description définie
- de dénoter, dans l’usage qui en est fait, plusieurs sujets. Des « termes complexes » tels que la
véritable religion, le plus grand géomètre de Paris, le sentiment d’un tel philosophe sur une
telle matière, « sont déterminés dans la verité à un seul individu », mais conservent néanmoins
«  une certaine universalité équivoque qu’on peut appeller une équivoque d’erreur  », dans
la mesure où l’assignation de leur référent individuel peut varier d’un locuteur à un autre24.
À travers ses multiples déterminations individuelles, pour les idées différentes associées à
l’application du même signe, le terme complexe qui de jure convient à une seule chose se
trouve de facto généralisé, il revêt une universalité qui ne peut être que fautive, puisque seul un
terme qui convient identiquement « à plusieurs & selon le son & selon une même idée, qui y est
jointe », seul un terme général qui signifie une idée elle-même générale, peut être dit général
de manière univoque25. Quand elle traite de ces termes équivoques par erreur, la Logique les
subsume aux termes « connotatifs », dont la définition est exposée, comme dans la Grammaire
générale et raisonnée, à propos des noms adjectifs26. Dans les deux cas, de la connotation et
de l’adjectivation, la signification confuse in recto d’un sujet se combine à la signification
distincte in obliquo d’une forme ou d’un mode qui lui appartient27. Pour Port-Royal, la
connotation consiste, non pas en une signification indirecte ou oblique (la signification d’une
propriété), mais en une signification directe, qui n’est autre que la désignation d’un sujet : ce
qui fait qu’il y ait connotation, et non pas simplement dénotation, c’est que la manière dont
se produit cette désignation d’un sujet (sa signification in recto) est affectée de confusion.
Bien qu’un adjectif tel que blanc, à la différence des termes complexes équivoques par erreur
qui ne conviennent « dans la vérité » qu’à un seul individu, soit un terme général doté d’une
généralité univoque, c’est la nature de l’adjectif qui supporte la structure en chiasme du direct-
indistinct et de l’indirect-distinct par laquelle se définit tout terme connotatif. Du fait que la
désignation du sujet accomplie par un adjectif consiste en une connotation (ou signification
directe confuse), l’adjectif fournit le modèle à partir duquel on rend raison de la façon dont
une description individualisante engendre une pseudo-généralité équivoque par erreur. Dans
le cas des descriptions telles que la véritable religion, le plus grand géomètre de Paris, le
sentiment d’un tel philosophe sur une telle matière, ce qui produit l’équivoque universalisant
faussement un terme qui est en lui-même individuel, c’est qu’au lieu de laisser le sujet dans

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son indétermination ou confusion, on lui substitue un sujet déterminé ou distinct, auquel on


attribue la propriété distincte signifiée indirectement. On a donc affaire là à des termes qui
deviennent nécessairement équivoques dès qu’ils sont utilisés, parce que l’esprit ne parvient
pas à les utiliser sans remplacer l’idée confuse d’un sujet par une idée distincte d’un certain
sujet, et qu’une pluralité d’idées distinctes différentes se trouvent ainsi mises à la place du
sujet confus, si bien que le terme connotatif est amené à signifier, dans toutes ses applications
sauf une, une chose à laquelle la propriété qu’il signifie indirectement ne convient nullement.
8 On le voit à ces quelques exemples, Port-Royal reconnaît à l’analyse logique du langage une
fonction essentiellement critique, relevant d’une finalité de formation du jugement28. L’analyse
logique est menée du point de vue des défauts pouvant survenir dans l’interprétation des termes
et des propositions par lesquels les hommes se signifient les uns aux autres leurs conceptions et
jugements. La Logique ne prétend pas constituer un art de penser au sens d’un art pour exercer
l’opération mentale même de jugement, car c’est sans art, «  naturellement  »29, que l’esprit
compare ses idées, unit celles qui s’accordent entre elles, et au contraire disjoint celles qui
n’entrent pas dans un rapport de convenance. Mais cette capacité qu’a l’esprit de reconnaître la
convenance (ou disconvenance) relative entre ses idées ne se redouble pas systématiquement
d’une manifestation dans le langage du jugement effectivement porté. La nature du jugement
signifié peut rester obscure, son identification par le destinataire du discours peut échouer. La
difficulté d’interprétation est la plupart du temps liée au fait que les termes sujet et attribut
de la proposition dans laquelle s’exprime le jugement sont des termes complexes dont la
complexité n’apparaît pas dans l’expression. Lorsqu’une addition de termes formant une
proposition incidente par rapport au sujet ou à l’attribut se fait uniquement dans l’esprit, et
reste sous-entendue au lieu d’être explicitée dans le discours, ces termes sujet ou attribut qui
sont complexes « dans le sens seulement »30 sans l’être grammaticalement, rendent malaisée
la compréhension de ce que veut dire le locuteur. La complexité peut s’étager en outre sur
plusieurs niveaux, il est fréquent qu’un terme complexe dans le sens le soit « doublement &
triplement »31. Il est ainsi impossible de comprendre certains énoncés en cantonnant les mots
qui les composent aux significations simplement exprimées. Ne régler l’interprétation d’une
proposition que sur sa forme grammaticale et ses termes explicites est susceptible d’aboutir à
une méprise sur ce qui est réellement lié ou délié dans le jugement du locuteur : l’auditeur ne
forme pas alors le même jugement que le locuteur, car son jugement sur le jugement signifié est
erroné. Pour que la communication des pensées n’échoue pas, pour qu’elle n’aboutisse pas à
une mésinterprétation de l’intention de signification, il faut donc que soit restituée, au moment
de la réception d’un discours, la détermination éventuellement inexprimée des termes de ce
discours, autrement dit, il faut que soient rétablis tous les termes logiques qui font le sens de
ce discours. Sans cette restauration dans l’esprit de l’auditeur des idées mentalement ajoutées
appartenant, dans l’esprit du locuteur quand il énonce son discours, à la signification complète
de ce qu’il dit, l’esprit de l’auditeur est impuissant à se représenter, et à former lui-même, le
jugement que le locuteur veut signifier. Afin d’interpréter correctement un discours, on doit
retrouver dans son esprit les mêmes idées que celles qui sont mises en rapport dans l’esprit de
l’auteur de ce discours. Or, pour opérer le discernement du sujet et du prédicat effectifs dans
l’esprit du locuteur, et pour appréhender leur signification complète, de façon à résoudre les
ambiguïtés suscitées par la seule configuration linguistique des propositions, le précepte de
Port-Royal, la règle de l’art de penser d’Arnauld et Nicole, n’est pas de retrouver la convention
reliant telles idées et tels mots, mais d’ « avoir plus d’égard au sens & à l’intention de celui
qui parle, qu’à la seule expression »32.
9 Les embarras du modèle fondamental de symétrie ne sont pas résolus dans la Logique en
rétablissant une correspondance stricte entre les mots et les pensées, mais en se donnant pour
fin la formation du jugement sur les jugements véritablement signifiés par les hommes dans
leurs discours. C’est ainsi que, pour Port-Royal, les manuels de logique qui confondent la
forme d’un jugement signifié avec la forme grammaticale de la proposition qui l’exprime,
et qui, pour « reconnoître la nature des propositions », ne tiennent compte que de l’ordre de
priorité dans la disposition de leurs termes (le sujet étant identifié au premier terme exprimé, le
prédicat au dernier), sont coupables d’induire des faux jugements sur les jugements signifiés

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Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique (...) 8

par le discours33. Former le jugement, c’est pour l’Art de penser réformer la manière de
juger de la signification des propositions qui est enseignée par «  la Logique ordinaire  »34,
apprendre à identifier dans les énoncés par lesquels les hommes déclarent leurs jugements,
ce qui est réellement sujet, et ce qui est réellement attribut, autrement dit ce qui est sujet
et attribut dans l’esprit du locuteur, au lieu de faire d’une simple position dans la phrase le
critère de la correspondance entre les mots et les pensées. « L’unique & veritable regle est
de regarder par le sens ce dont on affirme, & ce qu’on affirme. Car le premier est toûjours le
sujet & le dernier l’attribut en quelque ordre qu’ils se trouvent »35. Juger par le sens, non par
l’ordre des mots, juger par la suite du discours et l’intention de l’auteur, ou encore juger par
les diverses circonstances qui accompagnent le discours, cette maxime maintes fois répétée
dans la Logique atteste avec insistance que le schéma d’une corrélation terme à terme établie
par convention entre les pensées et leurs signes, ce schéma qui semble initialement devoir
gouverner tout le champ d’application de l’analyse logique, est constamment débordé, dans
l’exercice du discours, par des effets sémantiques qui lui échappent. Le vouloir-dire excède
largement les limites que le modèle de correspondance réciproque entre les idées et les mots
assigne à la signification. La finalité critique de l’analyse logique du langage à Port-Royal
s’atteint en démontrant, pour les différentes opérations de l’esprit successivement, que leur
signification par le discours humain n’est pas réductible à leur expression par une certaine
forme linguistique.

La continuation de la Logique dans la Perpétuité de la foi


10 Le retour au premier contenu de la Logique, en faisant comme s’il n’y avait pas eu l’édition de
1683 et comme si les chapitres sur les signes ajoutés dans cette cinquième édition n’avaient
jamais existé, révèle toute l’importance d’une conception de l’art de penser pour laquelle les
réflexions constitutives de cet art ne sont pas seulement des réflexions sur ce que la nature fait
faire à l’esprit dans ses diverses opérations, mais aussi et inséparablement des réflexions sur
les signes linguistiques et les éventuelles impasses sémantiques suscitées par leur usage. C’est
ainsi à une Logique qui consistait déjà en un traité des signes du langage et des différentes
strates impliquées dans leur signification, qu’Arnauld et Nicole ont adjoint tardivement, outre
une réflexion sur les signes en général dans le chapitre IV de la Première partie distinguant
les « idées des signes » des « idées des choses »36, un ensemble de réflexions nouvelles venant
compléter l’analyse antérieure du statut sémantique des propositions.
11 Dans l’Avertissement placé en tête de l’édition de la Logique en 1683, Arnauld et Nicole
indiquent que ce sont « des contestations Theologiques » qui ont donné lieu aux « diverses
additions importantes » qui y sont faites. Mais ils réduisent tout de suite la portée que l’on
pourrait être tenté de prêter à cette indication en marquant que ces additions, pour être
occasionnées par une controverse entre théologiens, «  ne sont pas moins propres ni moins
naturelles à la Logique »37. De fait, s’il est possible d’insérer ces nouveaux chapitres dans l’Art
de penser sans détruire l’économie interne de ce dernier, c’est que le traité de la Perpétuité de
la foi de l’Église catholique touchant l’Eucharistie (publié en trois tomes successifs, en 1669,
1672 et 1674 contre le calviniste Jean Claude), source parfois presque littérale de ces additions,
ne dissociait pas lui-même la défense de l’interprétation catholique de la formule eucharistique
d’arguments tirés de la nature du langage humain, et que ces arguments ne déméritaient pas
de l’analyse logique menée en 1662-1664 de la signification des signes linguistiques38. Ainsi,
plutôt que de voir dans la version augmentée de la Logique en 1683 l’introduction d’analyses
dépendant entièrement de la controverse avec Claude (et au lieu de faire du même coup de
cette controverse anti-calviniste la cause occasionnelle d’une sémiotique autonome greffée
sur un Art de penser qui aurait été antérieurement dépourvu de toute théorisation du signe),
il faut y voir une continuité de la Logique à la Logique, assurée par la médiation de l’usage
de l’examen logique des mots et propositions dans la dispute théologique elle-même. Avec
les chapitres ajoutés en 1683, l’Art de penser ne fait que réintégrer dans la logique ce qui lui
appartient de droit dans la “grande” Perpétuité de la Foi.
12 La dispute sur la présence réelle (Port-Royal) ou l’absence réelle (Claude) du corps de
Jésus-Christ dans le sacrement de l’Eucharistie a été ramenée par Arnauld et Nicole dans la

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Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique (...) 9

Perpétuité de la foi à un débat en grande partie causé par le déni, chez l’adversaire calviniste,
de l’ambiguïté dans le langage humain des termes de signe, sacrement, figure. Pour défendre
la thèse d’après laquelle les novateurs (autrement dit, les hérétiques) ne sont pas ceux que l’on
croit, et se situent en fait du côté des catholiques et non pas des calvinistes, Claude allègue que,
sur la question de l’interprétation de Hoc est corpus meum, la véritable tradition de l’ancienne
Église était celle que le calvinisme n’a fait que rétablir dans ses droits contre l’innovation
introduite tardivement par le dogme de la transsubstantiation. La doctrine catholique de la
présence réelle constitue pour Claude, non pas la «  perpétuité  » de la foi chrétienne, mais
une rupture avec la doctrine primitive des Pères de l’Église, qui était celle du sens purement
figuratif de Hoc est corpus meum. Selon lui, la croyance à la conversion réelle du pain en corps
du Christ dans le sacrement de l’Eucharistie contredit de nombreux passages patristiques dans
lesquels les expressions Ceci est le signe/le sacrement/la figure de mon corps étaient utilisées
comme formules équivalentes des paroles Ceci est mon corps. À cela, Arnauld et Nicole
répliquent que les textes dans lesquels les Pères ont affirmé Ceci est le signe de mon corps
pour expliquer Ceci est mon corps, loin de fournir des arguments contre la thèse catholique de
la transsubstantiation, donnent la preuve que les calvinistes ne dérivent en fait leurs objections
que d’« une ignorance assez grossiere de la maniere dont l’esprit conçoit les choses, & les
exprime après les avoir conçues »39. Autrement dit, les calvinistes se méprennent sur la manière
dont l’esprit conçoit quelque chose comme un signe.
13 Soutenir la doctrine de la présence réelle, c’est concevoir « deux choses jointes ensemble »
dans l’Eucharistie, l’une extérieure et visible, l’autre intérieure et invisible40. Ces deux choses
sont les deux parties d’un seul et même tout, dans lequel la partie visible est conçue comme le
signe de la partie invisible, qui est la partie principale. Ce rapport de signification de la chose
invisible par la chose visible n’est pas incompatible dans la pensée avec un rapport d’inclusion
de la chose signifiée dans le signe, aussi n’est-on pas autorisé à conclure, de la considération
de la seule partie visible du tout, que l’Eucharistie n’est que le signe d’une chose absente, le
corps du Christ. Au contraire, l’Eucharistie à la fois signifie et contient le corps du Christ. Pour
Port-Royal, les théologiens calvinistes méconnaissent la signification la plus naturelle du mot
de signe, qui est celle d’une simple représentation d’une chose invisible par une chose visible,
sans préjuger de l’absence de la chose invisible. La chose visible directement marquée par
le mot signe peut représenter tout autant une chose présente qu’une chose absente, la chose
invisible marquée indirectement par le mot signe n’est pas nécessairement une chose séparée
de celle qui la représente. Lorsque les Pères parlent de l’Eucharistie comme d’un signe, c’est
simplement selon Arnauld et Nicole qu’ils regardent directement alors dans l’Eucharistie, si
l’on peut dire, sa face sémiotique plutôt que sa face sémantique, le signe plutôt que la chose
signifiée, mais cette capacité qu’a l’esprit de séparer une considération de l’autre ne doit pas
être prise pour une impossibilité d’une co-présence de la chose signifiée avec son signe. Pour
la Perpétuité de la foi, l’appartenance d’une chose-signe au même tout que la chose signifiée
oblige à reconnaître dans le terme de signe ce que les logiciens ont coutume d’appeler « un
terme ou un tout connotatif », c’est-à-dire « une chose unique en elle-même, mais dans laquelle
on conçoit quelque rapport à quelqu’autre chose qui n’est signifiée qu’indirectement »41. Le
signifié du mot signe n’est pas seulement son signifié immédiat, l’idée d’une certaine chose
sensible qui en représente une autre insensible, mais aussi son signifié indirect ou médiat, l’idée
de la chose insensible représentée. Par les mots de signe, sacrement, tableau, « outre l’être du
signe, j’y connois encore un rapport à une autre chose marquée par ces signes, mais marquée
obliquement »42. À la différence de ce qui se passait dans la Grammaire générale et raisonnée
et dans la Logique pour la définition du nom adjectif comme terme connotatif, quand il s’agit
de caractériser le signifié du mot signe comme « un tout connotatif ou relatif », la connotation
n’est pas prise pour la signification directe confuse d’un sujet dont on conçoit indirectement et
distinctement la forme, mais pour la relation oblique ou indirecte de la conception de la chose
signifiée in recto à la conception d’une autre chose.
14 Les deux idées distinctes sous lesquelles l’esprit considère l’Eucharistie font que, dans la
doctrine même de la présence réelle, différentes propositions sont toutes également justes et
légitimes, aussi bien les propositions disant que Ceci est le signe/la figure du corps du Christ,

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Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique (...) 10

qui parlent de la partie externe du sacrement, que celles disant Ceci est le corps du Christ,
qui parlent de sa partie interne. Il n’y a là rien que de très ordinaire pour Port-Royal, ce
cas ne se distingue pas de « ce qui arrive à tous les hommes, qui est de regarder de divers
biais & par diverses faces les objets composés de diverses parties  »43. L’esprit qui conçoit
le signe eucharistique comme joint au corps de Jésus-Christ, peut néanmoins s’appliquer
indifféremment au seul signe, ou à la seule chose signifiée. Il ne saurait donc y avoir qu’une
« contrariété apparente », simplement « dans les termes » et non pas « en effet », entre les
propositions exprimant ces différentes manières qu’a l’esprit de se rapporter au même objet44,
et l’on peut rencontrer chez les auteurs défendant la présence réelle aussi bien la proposition
que l’Eucharistie est le vrai corps de Jésus Christ, que la proposition que l’Eucharistie n’est
pas le corps de Jésus-Christ, mais sa figure, car la dualité de ces propositions n’a rien à voir
avec une contradiction. Les deux types d’énoncés étant formés à partir d’une considération
par parties séparées de ce qui est un même tout, la seconde espèce n’est pas la négation de
la première. Pour Port-Royal, ces propositions apparemment contraires sur l’Eucharistie sont
identiquement bien fondées dans l’esprit humain, elles témoignent que le langage humain, s’il
est toujours conforme à ce que le locuteur veut signifier, ne l’est pas toujours littéralement,
mais à la condition d’une reconstitution de ce qui n’est pas exprimé. Dans la doctrine de la
présence réelle, les propositions affirmant que l’Eucharistie n’est que le signe du corps de
Jésus-Christ sont, au même titre que celles affirmant que l’Eucharistie est le corps de Jésus-
Christ, des « suites naturelles » de la conception de l’Eucharistie comme un tout45. On peut nier
que le sacrement soit le corps de Jésus Christ, quand on regarde directement et séparément la
seule partie externe et sensible du tout, et on peut affirmer que l’Eucharistie est le corps de
Jésus-Christ, quand on regarde directement et séparément sa seule partie principale et cachée.
La présence réelle du corps de Jésus Christ dans le sacrement ne se trouve pas niée par la
proposition négative, elle convient aussi bien avec elle qu’avec la proposition affirmative,
la différence est seulement dans la manière de signifier cette présence de la chose signifiée,
indirectement dans un cas, directement dans l’autre. Il importe donc, quand on trouve dans les
écrits patristiques l’expression l’Eucharistie n’est pas le corps de Jésus-Christ, ou l’expression
l’Eucharistie est le signe/la figure de Jésus-Christ, de ne pas porter un jugement à partir de
cette expression isolée, mais de juger de sa signification, et du sujet véritable de l’affirmation,
en fonction de ce que l’auteur a eu l’intention de signifier.
15 Pour Port-Royal, les objections calvinistes témoignent nécessairement d’une ignorance du
rapport du langage humain à la pensée, car l’incapacité à reconnaître dans la proposition Ceci
est le signe du corps du Christ le sens de la présence réelle, atteste une incapacité plus radicale
à mesurer les éventuelles inadéquations de «  nos expressions  » à «  nos pensées  » 46. C’est
en logiciens, et non en théologiens, qu’Arnauld et Nicole critiquent Claude  : «  souvent la
même pensée est l’objet de plusieurs expressions, qui ne la marquant que par une partie, la
font néanmoins concevoir toute entiere ». Le fait de « conclure généralement de l’expression
à la pensée », comme le fait Claude quand il lit chez un Père que l’Eucharistie est le signe
du corps du Christ, recouvre un sophisme, « parce que l’expression peut ne représenter pas
toute la pensée qu’elle a pour objet ». Alors que « la raison veut que l’on supplée à certaines
expressions, par les autres expressions qui nous font voir la pensée toute entiere », et qu’ « [i]l
faut souvent joindre plusieurs expressions, pour trouver la pensée totale qui répond à une
certaine expression  », Claude croit pouvoir tirer parti de l’usage patristique des mots de
signe ou de figure pour interdire tout supplément de sens des expressions Ceci est le signe/
la figure du corps du Christ. Faisant comme s’il n’y avait de signes que séparés des choses
qu’ils signifient, au lieu que l’idée de signe ne renferme pas cette nécessaire séparation, mais
admet des signes conjoints aux choses signifiées elles-mêmes, Claude introduit dans les écrits
patristiques un sens mutilé, du point de vue du fonctionnement même du langage humain,
du terme de signe. Ce qui réfute la lecture calviniste des textes patristiques, ce n’est pas
un argument théologique, mais le rappel du principe logique de la restitution nécessaire par
l’esprit de l’auditeur de toutes les idées associées dans l’esprit du locuteur à la signification
expresse de ses mots : « C’est une condition inséparable du langage humain, de n’exprimer
pas toutes les idées qu’il imprime dans l’esprit, parce qu’y ayant bien plus de choses que de

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Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique (...) 11

mots, il faut par nécessité laisser plusieurs choses à suppléer. Il y en a que l’on ne marque que
par une de leurs parties, lors même qu’on les veut faire concevoir toutes entieres ; parce qu’on
suppose que chaque idée excite dans l’esprit toutes celles qui y sont ordinairement jointes »47.
16 L’argument selon lequel les mots disent moins de choses qu’ils n’en signifient, ou argument de
la nécessité pour l’interprétation des discours humains de suppléer les sous-entendus, constitue
ainsi pour Port-Royal le maître-argument contre la lecture calviniste de Ceci est mon corps en
un sens de figure exclusive de la réalité de la conversion. Ce qui invalide la thèse calviniste,
c’est qu’elle n’est pas appuyée sur une réflexion sur la relation entre la manière dont les
hommes pensent et la manière dont les hommes parlent. Par un principe qui peut être qualifié
d’économie des voies de la signification, le langage humain admet un grand nombre de termes
qui n’expriment pas tout ce qu’ils veulent signifier. Parce que l’esprit de l’auditeur a la capacité
de retrouver en lui ce qui manque dans un discours, l’effet sémantique entier de ce discours
peut être produit sans que le locuteur ait à engager, si l’on peut dire, une trop grande dépense
de signes. L’ignorance de ce principe place l’adversaire calviniste de Port-Royal en rupture
avec le bon sens  : «  une personne de bon sens ne peut pas désavouer que les hommes ne
soient naturellement portés à abréger leurs expressions, & à employer le moins de paroles
qu’ils peuvent pour signifier ce qu’ils pensent : de sorte que lorsqu’une chose est composée de
diverses parties, on ne la nomme souvent que par une de ses parties, quoique l’esprit l’entende
toute entiere par cette expression imparfaite ; l’abrégement n’étant que dans le langage, & non
pas dans les idées, & l’esprit suppléant par sa promptitude à l’imperfection des paroles »48. Le
mot signe ou sacrement pour désigner l’Eucharistie est l’une de ces « expressions abrégées »
à propos desquelles « l’intelligence commune supplée à l’imperfection des paroles »49.

La définition du signe par la représentation


17 Le chapitre «  Des idées des choses, & des idées des signes  » ajouté à la Première Partie
de la Logique en 1683 recueille, sous forme d’une typologie des signes, plusieurs résultats
des analyses logico-sémantiques manifestant l’application, dans la Perpétuité de la foi, des
réflexions de la Logique en 1662-1664 sur le rapport entre l’expression linguistique des idées
et leur signification. Ce nouveau chapitre I, IV de l’Art de penser jette les bases sur lesquelles
les principes mis en place dès la première édition pour l’analyse du langage vont pouvoir
trouver leur dernier accomplissement. La médiation de la dispute théologique a permis de
mettre l’accent sur ce qui est à la racine de l’erreur selon Port-Royal des calvinistes sur
l’Eucharistie : l’absolutisation ou hypostase du signe, qui a pour conséquence que le signe et
la chose signifiée deviennent les objets de deux idées qui s’excluent mutuellement, comme
s’ils étaient deux choses réellement distinctes, deux êtres séparés. Il faut, au contraire de ce
rapport d’exclusion réciproque, considérer le signe dans une opposition seulement relative à
la chose qu’il signifie50. C’est pourquoi Arnauld et Nicole complètent en 1683 leurs réflexions
logiques bornées en 1662-1664 à la signification des signes linguistiques en les replaçant sous
la dépendance d’une définition générale du signe, ou plus exactement d’une définition générale
de l’idée de signe. Par cette définition, l’impossibilité de l’absolutisation ou hypostase du signe
apparaît comme comprise dans la manière même dont l’esprit humain le conçoit.
18 La définition de l’idée de signe doit s’inscrire pour Arnauld et Nicole dans le cadre d’une
opposition avec la définition de l’idée de chose. Pour intégrer cette définition à la Logique,
il est nécessaire d’ajouter une nouvelle distinction à ce que l’avant-propos de la Première
Partie appelle « la principale différence des objets [que les idées] représentent » - laquelle,
au demeurant, n’est pas une différence ontologique, ou extra-mentale, de ces objets, mais une
différence quant à leur mode d’existence dans l’esprit, en tant précisément que l’esprit se les
représente51. Quand il s’agit de définir l’idée de signe, la question n’est plus simplement celle
de la réalité que les choses acquièrent, en plus de leur réalité extra-mentale, du fait de leur
représentation dans l’esprit. Les objets représentés dans l’esprit se trouvent cette fois placés
sous deux considérations séparées, dont le rapport mutuel d’abstraction (chacune se forme par
omission de l’autre) vient structurer la définition de l’idée de signe : « Quand on considere
un objet en lui-même & dans son propre être, sans porter la vûe de l’esprit à ce qu’il peut
représenter, l’idée qu’on en a est une idée de chose, comme l’idée de la terre, du soleil. Mais

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Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique (...) 12

quand on ne regarde un certain objet que comme en représentant un autre, l’idée qu’on en a
est une idée de signe, & ce premier objet s’appelle signe. C’est ainsi qu’on regarde d’ordinaire
les cartes & les tableaux. Ainsi le signe enferme deux idées, l’une de la chose qui représente,
l’autre de la chose représentée : & sa nature consiste à exciter la seconde par la premiere »52.
Avant l’addition en 1683 de cette définition générale du signe, la notion de représentation ne
s’est vu accorder de statut dans la Première Partie de la Logique que dans la définition de l’idée
donnée en appendice à la définition de l’opération de concevoir par l’appréhension simple des
« choses qui se présentent à notre esprit » : « la forme par laquelle nous nous représentons
ces choses, s’appelle idée »53. Par cette définition du terme idée, les éditions précédentes de la
Logique ont fourni la raison de l’appartenance, dans la Grammaire générale et raisonnée, de «
ce que nous concevons, et ce qui est l’objet de notre pensée », et non pas de la seule opération
mentale de concevoir, à « ce qui se passe dans notre esprit »54. Parce que les choses conçues
sont représentées dans l’esprit par les idées, les réflexions sur les idées portent nécessairement
sur des contenus objectifs. Par ailleurs, dans la mesure où les mots répondent à un vouloir-dire
du locuteur, leur signification pour celui qui les utilise constitue selon la Logique la garantie
de la nature représentative de l’idée : que les choses signifiées par les mots soient des choses
représentées dans l’esprit par des idées peut être inféré à partir de l’usage même des mots55. Si
pareille inférence était impossible, c’est que notre langage ne comprendrait que des sons, et non
pas des mots, or, nous parlons. La propriété de signification des sons que nous prononçons, par
laquelle ces sons sont plus que des sons - des mots -, prouve indirectement que notre rapport
cognitif aux choses dépend absolument de « l’entremise des idées qui sont en nous » et qui
représentent à notre esprit « ce qui est hors de nous »56.
19 Lorsque, plus de deux décennies après la publication de la Logique, Arnauld déclare, dans
sa Défense contre la Réponse au Livre des Vraies et des fausses idées (1684), que les
mots signifient quelque chose en tant que les sons que l’on entend prononcer se joignent,
dans l’esprit de l’auditeur, avec des perceptions qui sont les «  représentations formelles  »
des choses57, il ne se contente plus, comme dans le texte de 1662-1664 de la Logique,
d’attribuer une nature représentative aux idées. Il étend la catégorie de représentation au
rapport de signification des idées par les mots. L’autorité d’Aristote se manifeste alors dans
cette transposition de la représentation à la signification de la pensée par le langage. Arnauld se
réclame doublement du modèle aristotélicien, d’abord implicitement, puis ouvertement, pour
prolonger la relation de représentation au rapport entre les mots et les idées, au lieu de la limiter
au rapport entre les idées et les choses. Usant de l’exemple du sain et de la santé employé dans
la Métaphysique d’Aristote - qu’il ne mentionne pas - pour décrire la relation « à un unique
principe » (pros mian archèn) ordonnant les différents sens de l’être à un sens premier dont tous
les autres dépendent, Arnauld souligne que, de même que sain se dit « par analogie » d’autres
choses que du corps humain qu’il dénomme « proprement & premiérement », la représentation
convient analogiquement aux signes linguistiques, en raison de leur référence aux idées, qui
seules sont dites représenter « proprement & premiérement »58. En raison de leur liaison avec
les « perceptions de l’esprit », les mots eux-mêmes, et non seulement les perceptions (définies
comme «  les représentations formelles de leurs objets  »), sont dits à bon droit représenter
les choses qu’ils signifient, et peuvent être qualifiés indifféremment de «  significatifs ou
représentatifs »59. Cette source de la représentativité des signes dans la doctrine aristotélicienne
de l’analogie se compose dans la Défense avec une reprise, cette fois explicite, du schéma
inaugural du traité De l’interprétation, décrit comme le schéma d’une continuité entre la
relation de signification (des mots aux idées) et la relation de représentation (des idées aux
choses). Arnauld cite un passage de la Somme de théologie : « Selon le Philosophe », écrit
Thomas d’Aquin, « les paroles sont les signes de nos perceptions, comme nos perceptions sont
les représentations des choses : ce qui fait voir que les mots ne peuvent signifier les choses
que par l’entremise des perceptions que nous avons dans l’esprit »60. Le schéma inférentiel
qui permet, comme dans la Logique, de s’assurer des représentations formelles des choses par
les idées à partir de l’usage des mots, en tant que des mots qui ont une signification pour le
locuteur ne sont pas non plus de simples sons pour l’auditeur, mais « réveillent » les mêmes

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Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique (...) 13

idées dans son esprit, constitue, dans la Défense d’Arnauld contre Malebranche, une manière
de restaurer le rapport transitif établi par Aristote, « dans un de ses livres de Logique », entre
les mots, les concepts, et les choses - les phônai, les pathèmata tès psuchès (dont les sons
vocaux sont sèmeia prôtôs), et les pragmata61.
20 Ces éclaircissements relatifs dans la Défense de 1684 à l’extension de la relation de
représentation à la signification, par les mots, des perceptions de l’esprit, développent en fait
ce que le chapitre IV ajouté en 1683 à la Première Partie de la Logique a mis en place sans
plus de commentaire : la subordination des mots, « signes d’institution des pensées »62, à la
définition générale du signe par la catégorie de représentation. Pourquoi la Logique n’a-t-elle
pas elle-même procédé expressément à l’identification, rendue ensuite obvie dans la Défense
d’Arnauld contre Malebranche, entre l’être-significatif et l’être-représentatif des mots ? En
1683, l’addition qui permet l’élargissement aux signes de la capacité représentative auparavant
réservée dans la Logique aux idées n’apparaît pas comme une addition visant particulièrement
les signes linguistiques. Alors que le texte des premières éditions de l’Art de penser n’accordait
de place aux signes qu’en tant que signes linguistiques, le nouveau chapitre I, IV ne fait pas des
mots son objet principal. De même qu’il n’avait été jusqu’alors question dans la Logique de
représentation que pour les idées, de même, il n’avait été question de signes et de signification
qu’à propos des mots, mais lorsque la cinquième édition définit l’idée de signe, les mots
ne sont pas mis au premier plan. Les signes linguistiques ne sont introduits en I, IV qu’au
terme de la typologie des signes décrite en regard de la définition générale du signe par la
notion de représentation. En application de cette définition, Arnauld et Nicole proposent trois
divisions entre les signes, et ce n’est que dans la dernière, opposant les signes « qui ne sont
que d’institution & d’établissement » aux signes « naturels qui ne dépendent pas de la fantaisie
des hommes », que les mots sont brièvement mentionnés63. Les deux distinctions précédentes,
d’abord des signes probables et des signes certains, puis des signes liés aux choses et des
signes séparés des choses, ainsi que la série de maximes énoncées à partir de la deuxième
(i.e. valant pour la dichotomie entre les signes de choses présentes et les signes de choses
absentes), paraissent ainsi, à première vue, indépendantes de toute réflexion sur la relation
entre le langage et la pensée. Elles ne le sont pas cependant, car elles reposent elles-mêmes sur
l’élucidation dans la Perpétuité de la foi, en stricte continuité avec les principes de l’analyse
logique du discours en 1662-1664, des ambiguïtés du mot signe dans le langage humain.
Notamment, les maximes énoncées dans le cadre de la deuxième division des signes, selon que
les signes sont joints ou séparés des choses signifiées, valent pour tout ce à quoi s’applique
la dénomination de signe dans le langage humain  : «  tout signe demande une distinction
entre la chose représentante & celle qui est représentée  », ou encore, «  la nature du signe
consist[e] à exciter dans les sens par l’idée de la chose figurante celle de la chose figurée »64.
La raison, ainsi, pour laquelle le chapitre I, IV de la Logique ne précise pas lui-même que
la relation de signification des idées par les mots doit être vue comme une seconde relation
de représentation, prolongeant la représentation des choses par les idées, c’est qu’il a pour
objet non pas les mots comme signes, mais la spécificité de l’idée de signe par rapport à
l’idée de chose. Ce qui occupe Arnauld et Nicole dans ce chapitre, c’est la particularité de la
conception signifiée par le mot signe. C’est pourquoi l’ultime distinction dans I, IV entre les
signes d’institution et les signes naturels n’a pas pour fin de faire venir sur le devant de la scène
les mots en tant que signes d’institution, mais de préparer l’analyse logique de propositions
dans lesquelles ce sont des signes d’institution qui sont signifiés par les mots. L’importance de
l’opposition des signes institués aux signes non-arbitraires est soulignée seulement du point
de vue du statut logique qu’il conviendra de reconnaître aux propositions où l’on attribue à
des signes d’institution les noms des choses qu’ils signifient  : «  On expliquera en traitant
des propositions, une verité importante sur ces sortes de signes, qui est que l’on en peut en
quelques occasions affirmer les choses signifiées  »65. La mention des mots comme signes
d’institution ne peut qu’être secondaire, et nécessairement éclipsée, au regard des problèmes
logiques que pose la signification par ces signes d’institution que sont les mots d’autres signes
d’institution. L’opposition des signes d’institution aux signes naturels se trouve finalisée par

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l’analyse logique des propositions dites figuratives, dans lesquelles le terme sujet n’est pas un
mot signe d’une idée de chose, mais un mot signe d’une idée de signe. C’est pour annoncer
des réflexions - qui sont en 1683 l’objet du nouveau chapitre II, XIV66 - sur la différence entre
les propositions formées avec des mots attachés à des idées de signes d’institution (e.g. quand
Joseph interprète un rêve de Pharaon en lui disant que les sept vaches grasses sont sept années
d’abondance) et les propositions formées avec des mots signifiant des signes naturels (e.g.
quand on dit devant un portrait de César : c’est César), que la dernière division des signes
se trouve introduite dans I, IV, et non pour mettre en lumière ce qui est déjà acquis depuis
longtemps dans la Logique – à savoir, que les mots signifient par convention humaine.
21 De quelle manière la Logique, I, IV articule-t-elle la définition du terme de signe à la
considération de la relation de représentation d’une chose à une autre  ? Par rapport à la
définition augustinienne du De doctrina christiana67, ce mode de définition constitue à Port-
Royal un important réaménagement. Ce n’est qu’en la complétant a parte ante, et en la
subordonnant à la notion même de représentation, que la Logique I, IV réactive la définition
du signe reposant selon Augustin sur la relation pour notre esprit d’une chose qui s’offre à
nos sens à une autre chose, rendue intelligible à partir de cette perception sensible. Il importe
en effet moins, dans la définition du signe placée en ouverture de I, IV, d’indiquer le rapport
entre la perception d’une réalité sensible et une intellection dont elle est la cause dans l’esprit,
que de marquer purement le rapport de représentation d’une chose par une autre, sans préciser
que cette dernière est une chose offerte aux sens. Ce n’est que lorsque la définition du signe se
trouve en quelque sorte reformulée à l’occasion de l’une des maximes commentant ensuite la
distinction entre signes joints aux choses et signes séparés des choses, qu’il est précisé qu’il est
de l’essence du signe de faire venir à l’esprit, par l’idée d’une chose sensible, une autre idée.
Or, là encore, la Logique ne se soucie pas de rapporter cette redéfinition du signe à la structure
cognitive décrite par Augustin. Cette nouvelle formulation, plus proche de la définition du De
doctrina christiana, a plutôt pour charge de fonder la thèse que, quoi qu’il en soit de la réalité
de l’objet de l’idée sensible faisant venir une autre idée à l’esprit, tant que cette relation causale
de la première idée à la seconde demeure, il y a idée de signe. Ce qui semble un rappel de la
formulation d’Augustin sert surtout à souligner qu’il suffit qu’il y ait redoublement immédiat
dans l’esprit d’une idée ou impression sensible (celle-ci n’eût-elle aucun fondement véritable)
par une autre idée que l’esprit conçoit à partir d’elle, pour que l’idée entière produite par ce
redoublement soit celle d’un signe : « la nature du signe consistant à exciter dans les sens
par l’idée de la chose figurante celle de la chose figurée, tant que cet effet subsiste, c’est-à-
dire tant que cette double idée est excitée, le signe subsiste, quand même cette chose serait
détruite en sa propre nature »68. La Perpétuité de la foi déjà, quand il s’est agi d’apprendre
aux calvinistes « ce que c’est qu’un signe », n’a rappelé « la définition qu’on en donne dans
les Ecoles, & dont S. Augustin se sert dans ses livres de la Doctrine chrétienne » (« le signe
[…] est une chose qui, outre l’idée qu’elle imprime dans les sens, porte l’esprit d’en concevoir
une autre »), qu’afin de préciser que « tant que l’idée imprimée dans les sens subsiste, il est
impossible que le signe ne subsiste aussi »69. La définition d’Augustin n’est jamais là que pour
renforcer la thèse que l’effet sémantique produit dans l’esprit par un signe ne requiert pas « la
subsistance intérieure du signe »70, sa subsistance comme substance : la subsistance seulement
extérieure d’un signe, la subsistance des apparences sous lesquelles une certaine impression
est produite dans l’esprit, est assez pour que l’effet de signification demeure. Il en va de même
dans la Logique, où la reformulation de la définition du signe en des termes plus évocateurs de
ceux d’Augustin que dans la formulation initiale soutient l’argument que, indépendamment de
la réalité de la chose sensible dont la perception fait venir à l’esprit l’idée d’une autre chose,
tant que la première idée dure dans la sensation, la chose sensible qu’elle fait percevoir n’est
elle-même conçue que comme la figure d’une autre chose.
22 Pour Port-Royal, donc, il ne suffit pas de redire après Augustin que ce qui fait un signe,
c’est qu’une réalité sensible soit telle que l’on y voit une chose et que l’on y en conçoit une
autre, aliud videtur, aliud intelligitur. La structure augustinienne du signe apparaît désormais
comme une conclusion à laquelle on doit parvenir à partir d’une détermination première
de l’idée de signe par la considération du rapport de représentation d’une chose conçue à

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une autre. On ne dit pas d’emblée, comme porterait à le faire la simple reprise du schéma
d’Augustin, que le signe a pour essence de faire concevoir par une idée “dans les sens” une
autre idée. Le rapport d’excitation d’une seconde idée par une première idée, s’il est bien
inclus dans la définition inaugurale du signe, n’y est pas présenté comme la causation de
l’idée d’une chose non sensible par l’idée d’une chose sensible, mais comme la causation
de l’idée d’une chose représentée par l’idée d’une chose représentante. L’excitation d’une
idée non sensible par une idée sensible, essentielle dans le schéma augustinien, n’est plus que
subalterne, la définition augustinienne n’est retrouvée qu’en étant recomposée, elle devient
le complément d’une construction gouvernée par la notion primordiale de représentation.
Quand on en vient à parler de « la nature du signe » à la manière d’Augustin, ce n’est plus
simplement de la production par une idée sensible d’une autre idée non sensible qu’il s’agit,
mais de la production par l’idée de « la chose qui représente » (« la chose figurante ») de
l’idée de « la chose représentée » (« la chose figurée »)71. La définition du signe à la manière
d’Augustin se trouve resituée, recadrée, pourrait-on dire, du point de vue de la définition du
signe que Port-Royal articule à la notion de représentation. Cependant, la construction qui
permet, dans la Logique I, IV, de retrouver à une place subsidiaire une reformulation de la
définition augustinienne du De doctrina christiana, prend en fait son point de départ chez
Augustin lui-même. La définition du signe qui n’est pas sa définition augustinienne constitue
en effet un commentaire par Port-Royal des remarques servant dans le De doctrina christiana
à introduire la définition du signe. Augustin ne propose la définition du signe comme chose
qui, en sus de l’apparence qu’elle offre aux sens, fait « d’elle-même » (ex se) venir quelque
chose d’autre à la pensée, qu’après avoir rappelé d’abord que, dans la distribution à laquelle
procède le De doctrina christiana de tout enseignement en science des choses et science des
signes, la dichotomie des choses et des signes est une division qui passe à l’intérieur des choses,
selon qu’on leur attribue, ou non, la fonction de signifier autre chose. Le Liber primus du De
doctrina christiana a ainsi spécifié qu’Augustin entend par choses au sens propre « ce qui
n’est pas utilisé pour signifier quelque chose » : sont dites des choses, les choses qui ne sont
pas également signes d’autres choses, et sont dites des signes, les choses qui au contraire sont
employées à la signification de quelque chose72. Toute la différence entre les choses et les
signes est portée par l’opposition entre la négation (les choses) et l’affirmation (les signes) de
la relation de signification par une chose de « quelque chose », aliquid, qui est « une autre
chose », alia res73. Ainsi, pour Augustin, la définition du signe est adossée à la thèse que tout
signe est aussi une chose, et que ce qui différencie la chose-signe des autres choses, c’est que
la chose qui n’est que chose (la chose-chose, pourrait-on dire) est cette chose dans laquelle
on considère seulement ce qu’elle est, et non pas ce qu’elle signifie d’autre, également, en
plus d’elle-même74. La phrase qui précède, dans le Liber secundus du De doctrina christiana,
l’introduction, comme définition du signe, du schéma relationnel entre la perception d’une
chose par les sens et la pensée de quelque chose d’autre à partir de cette impression sensible,
est la répétition du principe de la dichotomie entre les choses et les signes dans le Liber primus.
Augustin le redit alors : dans une chose, on ne doit avoir égard qu’à ce qu’elle est, et non pas
rechercher si elle signifie quelque chose d’autre en dehors d’elle-même, alors qu’au contraire,
on a égard dans les signes non pas à ce qu’ils sont, mais plutôt au fait qu’ils sont des signes,
autrement dit, au fait qu’ils signifient75.
23 La différence entre considérer l’objet d’une idée « en lui-même & dans son propre être » et
ne le considérer «  que comme en représentant un autre »76, à partir de laquelle la Logique de
Port-Royal introduit une définition du signe qui n’est pas la définition d’Augustin, reconduit
donc, sous forme d’une distinction entre les objets des idées excédant la simple division entre
les objets-substances et les objets-modes, la dichotomie établie par Augustin, à l’intérieur
même des choses, entre les res et les signa. Port-Royal fait servir le De doctrina christiana
à aller, en quelque sorte, plus loin que le De doctrina christiana, Arnauld et Nicole utilisent
la dissociation entre les deux considérations des choses selon Augustin pour dépasser la
définition augustinienne du signe, ou plutôt pour la refonder, en la rendant dépendante d’une
définition plus stricte, basée sur la considération d’un objet de la pensée quant au seul rapport

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de représentation qui le relie à un autre objet. C’est de ce réexamen, dans la Logique, du


rapport de signification tel qu’il est défini par Augustin, de façon à l’identifier à un rapport
de représentation entre des objets conçus, que la Défense contre la Réponse au Livre des
Vraies et fausses idées fait, de manière éclairante, l’instrument d’une réfutation de la doctrine
malebranchienne des idées. La définition du signe en fonction du rapport de représentation
entre un objet conçu et un autre objet que la première conception fait aussi concevoir, permet
inversement de critiquer l’usurpation par Malebranche de la notion de représentation. Arnauld
montre qu’il suffit, pour réfuter la thèse de Malebranche d’après laquelle une idée doit être
entendue, non pas comme une modification de mon esprit ou perception, mais comme « un
être représentatif, distingué de ma perception »77, d’appliquer à cet « être représentatif » les
conditions effectives de la représentation. Soit donnée, dans les termes de Malebranche, l’idée
du soleil comme « archétype du soleil », au lieu d’être, comme pour Descartes et Arnauld,
la perception par mon esprit du soleil : pour que cet être représentatif du soleil me représente
le soleil, il faut donc, souligne Arnauld, qu’il « contribu[e] à ce que j’aie la perception du
soleil »78. Dès lors, la doctrine de Malebranche d’après laquelle nous avons la vision d’êtres
représentatifs des choses extérieures, mais non pas la vision des choses extérieures elles-
mêmes, peut être dénoncée comme absurde, selon Arnauld, simplement en convoquant la
définition augustinienne du signe replacée sous la catégorie de représentation. Par ce procédé,
Arnauld dévoile l’impossibilité de l’être représentatif selon Malebranche en le soumettant aux
réquisits du signe représentatif : « appellant A, l’être représentatif du soleil, & le soleil B, afin
qu’A me soit représentatif, il faut que je n’aie pas seulement la perception d’A, mais que j’aie
aussi celle de B, & que celle d’A me soit un degré pour l’avoir. Car si mon esprit ne voyoit
qu’A, sans passer de la vue d’A à celle de B, je ne verrois A, que comme une chose absolue, &
non comme un signe représentatif de B ; puisque la définition célebre, qu’a donnée S. Augustin
du signe sensible, se peut appliquer à toutes les autres sortes de signes. Signum est quod praeter
speciem quam ingerit sensibus facit aliquid aliud in cognitionem venire. Nous ne pouvons
donc rien connoître comme représentatif, que nous ne connoissions en même temps ce dont il
est représentatif : c’est pourquoi si je connoissois A, sans connoître B, je ne connoitrois pas
A, comme un signe, mais comme une chose, selon la différence que S. Augustin met entre les
choses & les signes : inter res & signa »79. Ainsi, en soutenant qu’au lieu de voir les choses,
ce sont leurs êtres représentatifs que nous voyons, Malebranche se trouve acculé à priver ses
êtres représentatifs de leur représentativité même. La définition du signe par Augustin, quand
on manifeste sa dépendance à l’égard de la division des choses, dans le De doctrina christiana,
entre les choses considérées comme choses et les choses considérées comme signes, révèle une
contradiction interne à une doctrine comme celle de Malebranche, qui ôte la représentativité
aux perceptions de l’esprit pour la réserver à des idées distinctes d’elles.
24 La restructuration dans la Logique de la définition augustinienne du signe ne consiste pas
cependant en sa simple refondation à partir de l’attribution à l’objet-signe de la propriété de
représentation. C’est cette propriété même de représentation qui est modalisée par Arnauld
et Nicole pour asseoir dans le chapitre I, IV la différence entre les « idées des choses » et
les «  idées des signes  », et l’originalité de Port-Royal par rapport à Augustin, au moment
même où se trouve reconduite dans l’Art de penser la dichotomie augustinienne entre les
choses (la considération d’une chose quant à ce qu’elle est), et les signes (la considération
d’une chose quant à ce qu’elle signifie), se reconnaît surtout à cette modalisation80. Pour
rendre raison de la formation de l’idée de signe, la Logique commence par rendre raison de la
formation de l’idée de chose à partir de la domination d’un mode de considération d’un objet,
sa considération quant à sa nature, sur un autre, sa considération quant à ce qu’il a la capacité
ou la possibilité de représenter. C’est l’inversion de la hiérarchie entre ces deux modes de
considération d’un objet qui produit, au lieu de l’idée d’une chose, l’idée d’un signe : dans
l’idée de signe, la considération de la représentation supplante la considération de la nature
propre. La dualité de ces considérations est donc la matrice nécessaire à la formation des deux
genres d’idées, l’idée de chose et l’idée de signe, le renversement de l’ordre de priorité entre
elles engendre la différence entre concevoir un objet-signe et concevoir un objet-chose. Mais
la spécificité de l’idée de signe ne tient pas seulement, pour Port-Royal, à une interversion

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des deux considérations, celle qui est inactive dans la formation de l’idée de chose devenant
la seule à fonctionner dans la conception d’un signe. En plus de la modalité de domination
d’une considération sur une autre, la Logique introduit une modalité supplémentaire, qui
porte exclusivement sur la considération de la représentation. La représentation d’un autre
objet qui n’est pas prise en considération lorsqu’il y a formation de l’idée de chose, n’est
qu’une représentation potentielle, un pouvoir de représentation ou une représentation possible :
c’est quand l’esprit conçoit un objet sans considérer «  ce qu’il peut représenter  », qu’il a
l’idée d’un objet-chose81. Mais dans la formation de l’idée de signe, c’est l’actualité de la
représentation d’un autre objet qui est prise en considération : l’esprit qui conçoit un objet
uniquement « comme en représentant un autre » a l’idée d’un objet-signe82. L’opposition de la
modalité de l’actuel à celle du possible est, pour Port-Royal, déterminante afin de construire la
définition de l’idée de signe en fonction de la catégorie de représentation. L’objet-signe n’est
parfaitement conçu en tant que signe, l’esprit n’a l’idée de signe, que lorsque, en même temps
que la conception de cet objet comme « chose qui représente », la connaissance de la « chose
représentée » est donnée à l’esprit83. L’idée que l’on pourrait dire entière de signe, indissociable
de la représentation en acte, est constituée par la relation de contemporanéité entre « deux
idées »84. L’idée de chose fait abstraction de la considération de la représentation en puissance,
aussi l’idée de chose, qui n’enferme même pas un rapport potentiel, est-elle simple, alors qu’au
contraire, l’idée de signe, qui enferme un rapport actuel, est nécessairement une «  double
idée »85. Seule la chose qui représente se voit dénommée signe, mais ce n’est pas parce que
l’on supprimerait de l’idée de signe l’idée de la chose représentée. Tout au contraire, on
n’appelle signe qu’un objet actuellement porteur d’une relation de représentation, un objet dont
la conception cause simultanément la conception d’un autre objet. Il y a nécessairement deux
objets dans la relation de représentation, et si le « premier objet », l’objet dont la conception
cause aussi la pensée d’un autre objet, est dit un signe, c’est parce que « le signe enferme
deux idées, l'une de la chose qui représente, l'autre de la chose représentée », et que « sa
nature consiste à exciter la seconde par la premiere »86. Par ailleurs, l'idée de signe n’implique
pas, pour l'objet considéré seulement en tant qu’il en représente un autre, l'anéantissement
de son idée en tant que chose. L’objet-signe est un objet qui est susceptible d’être considéré
« dans son propre être », mais auquel l'esprit cesse d’avoir égard quant à ce qu'il est « en lui-
même »87, pour ne plus le regarder que comme représentatif, concevant de la sorte en même
temps que lui la chose qu'il représente. La première des deux idées formant l’idée de signe ne
peut donc être absolument détachée de l'idée de l’objet-signe comme chose. Non seulement la
domination de la considération de la représentation pour former l’idée de signe ne se comprend
que relativement à, ou mesurée à, son abstraction dans la formation de l'idée de chose, mais
de plus, c’est dans l’acte même de conception d’un certain objet, que l’esprit substitue à la
considération de cet objet comme chose, sa considération comme chose en représentant une
autre.
25 Par une construction étagée de la définition du signe dans l’édition de 1683, la Logique de
Port-Royal se donne ainsi le moyen de requalifier le modèle de la signification établi à partir de
la première édition, en subordonnant désormais à la catégorie de représentation le rapport du
langage à la pensée, ainsi que la compréhension de la convention par laquelle s’opère la mise
en relation entre les mots et les idées. Le problème de la signification par le langage d’objets
qui sont eux-mêmes des signes, tel le sacrement de l’Eucharistie, a pu aider à l’élaboration
de la définition du signe par la notion de représentation, mais une fois celle-ci acquise, les
propositions par lesquelles les hommes disent quelque chose à propos d’objets-signes ne sont
plus elles-mêmes que des cas particuliers d’un mode d’analyse du langage qui reste fidèle
à ses premiers principes, et qui tient pour des questions qui reviennent de droit à la logique
les questions comment tel élément du discours signifie-t-il ? comment telle forme de discours
signifie-t-elle ? Ce sont ces questions-là que les chapitres ajoutés en 1683, appliquant pour la
plupart88 le critère de l’identité du significatif et du représentatif fourni en I, IV par la définition
de l’idée de signe, permettent de traiter de manière systématique. L’analyse du langage par
Port-Royal y gagne une nouvelle dimension. C’est à la continuité de cette analyse des signes

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linguistiques, de la Logique de 1662-1664 à la Logique de 1683, qu’il m’a paru important de


rendre justice, contre un mode de lecture qui privilégierait la thèse d’une apparition tardive
- au moment seulement de l’intégration de la définition de l’idée de signe - du “problème”
même du langage dans L’Art de penser.

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Notes
1 Les références seront données dans Antoine Arnauld et Pierre Nicole, La Logique ou L’Art de penser,
édition critique par Pierre Clair et François Girbal, seconde édition revue, Paris, Vrin, 1981 [désormais
LAP] - pour la présente citation, voir p. 53. Les chapitres ajoutés en 1683 sont I, IV (Des idées des choses,
& des idées des signes), I, XV (Des idées que l’esprit ajoûte à celles qui sont précisément signifiées par
les mots), II, I (Des Mots par rapport aux Propositions), II, II (Du Verbe), II, XII (Des sujets confus
équivalens à deux sujets) et II, XIV (Des propositions où l’on donne aux signes le nom des choses) - les
chapitres II, I et II, II sont repris, avec quelques modifications, de la Grammaire générale et raisonnée
de 1660.
2 Voir Michel Foucault (1967), «  La Grammaire générale de Port-Royal  », Langages, 7, p. 7-15 et
Introduction à Arnauld et Lancelot, Grammaire générale et raisonnée avec les Remarques de Ch. Duclos,
Republications Paulet, 1969 [désormais GGR], p. III-XXVII. Dans La naissance de la grammaire
moderne. Langage, logique et philosophie à Port-Royal, Bruxelles, Pierre Mardaga Éditeur, 1984, p.
73-74, Marc Dominicy reconstitue utilement les difficultés suscitées par la confrontation de la cinquième
édition de la LAP avec les éditions précédentes ou avec la GGR. Je précise que, en toute rigueur, la
référence à la Logique dans son “état primitif” devrait inclure, non seulement le texte de la première
édition en 1662, mais aussi le texte de la seconde édition de 1664, dont le précédent était en quelque sorte
l’ébauche, et qui a été répété sans changement pendant près de vingt ans (pour l’histoire de la Logique de
Port-Royal à partir du manuscrit Vallant, BNF, Fr. 19 915, voir la précieuse Introduction de Dominique
Descotes à son édition de La Logique, ou L’Art de penser, Paris, Honoré Champion Éditeur, 2011, p.
8-60). Je me réfère néanmoins dans la présente étude à l’édition de 1662, dans la mesure où les passages
antérieurs à 1683 que j’évoque n’ont pas connu de complément en 1664.
3 Voir pour cette formule l’Introduction de Louis Marin à son édition de La Logique ou L’Art de penser,
Paris, Flammarion, 1970, p. 19. Marin écrit, p. 20 : « La cohérence des textes ajoutés en 1683 […] tient
[…] au problème du langage qui vient alors au premier plan de la logique en s’organisant autour de deux
axes : d’une part, la structure du signe  […]. D’autre part, la relation entre le mot et la proposition […] ».
Selon cette lecture, le “problème du langage” devient central dans la Logique de Port-Royal au moment
où la définition du signe en général y est introduite. La présente étude essaie de soutenir la thèse de
son statut primordial indépendamment des additions de 1683. Marin a très justement écrit, p. 12 dans
son Introduction, à propos des compléments apportés dans la seconde édition de 1664 aux questions
traitées dans la première édition de la Logique : « on constate un décalage, une non-correspondance entre
l’exprimé et le pensé, le dit et le conçu, le terme, la proposition, le discours d’une part et le concept, le
jugement et le raisonnement d’autre part : le langage abrège, oublie, efface ou masque ce que la pensée
élabore ». Mais il n’y reconnaît pas pour autant, comme je le fais, la présence du “problème du langage”
dès les éditions de 1662 et 1664. Pour Marin (Introduction, p. 11), ce n’est pas le langage qui est dans
ces premières éditions l’objet de la problématisation de Port-Royal, mais « la complexité de la pensée »,
qui « oppose [une résistance] à l’analyse du langage ».
4 GGR, II, I, op. cit., p. 23.
5 LAP, I, préambule, op. cit., p. 39.
6 LAP, op. cit., p. 38.
7 Je résume par ces deux principes le passage qui conclut le préambule général de La Logique : « Que si
les reflexions que nous faisons sur nos pensées n’avoient jamais regardé que nous-même, il aurait suffi
de les considérer en elles-mêmes, sans les revêtir d’aucunes paroles, ni d’aucuns autres signes : mais
parceque nous ne pouvons faire entendre nos pensées les uns aux autres, qu’en les accompagnant de
signes exterieurs […] il est necessaire dans la Logique de considerer les idées jointes aux mots, & les
mots joints aux idées » (LAP, op. cit., p. 38).
8 Voir Œuvres de Descartes publiées par Charles Adam & Paul Tannery, t. V, nouvelle présentation,
Paris, Vrin, 1974, p. 213.
9 De magistro, in Œuvres de saint Augustin 6, Dialogues philosophiques III, introduction, traduction
et notes par Goulven Madec, réimpression de la 3e édition, Turnhout, Brepols, «  Bibliothèque
augustinienne  », 1999, L. I, 1, p. 44-45. Voir Martine Pécharman (2007), «  Port-Royal et l’analyse
augustinienne du langage », in Augustin au XVIIe siècle, textes réunis par Laurence Devillairs, Firenze,
Leo S. Olschki Editore, p. 101-134. Joël Biard se sépare de cette interprétation des « profondeurs » de
l’âme rationnelle (rationalis animae secreta) en soulignant que le Maître intérieur ne représente pas « une
intériorité incommunicable » : voir Joël Biard (2015), « La sémiologie de Port-Royal », Archives de

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Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique (...) 20

philosophie, 78, 2015/1, numéro spécial « Pour un Port-Royal contrasté » (dir. J. Biard et M. Pécharman),
p. 23-24.
10 Joël Biard atténue ce contraste : « Déjà Augustin avait suggéré que le rapport entre l’âme et le corps
puisse être le modèle du rapport entre le mot et sa signification » (op. cit., p. 27, note 63).
11 GGR, II, I, op. cit., p. 22.
12 GGR, II, I, op. cit., p. 24 : « Et ainsi la plus grande distinction de ce qui se passe dans notre esprit,
est de dire qu’on y peut considérer l’objet de notre pensée, et la forme ou la manière de notre pensée,
dont la principale est le jugement […]. Il s’ensuit de là que, les hommes ayant eu besoin de signes pour
marquer tout ce qui se passe dans leur esprit, il faut aussi que la plus générale distinction des mots soit
que les uns signifient les objets des pensées, et les autres la forme et la manière de nos pensées […] ».
13 LAP, op. cit., p. 38.
14 LAP, I, I, op. cit., p. 43. Arnauld et Nicole développent leur réflexion sur l’arbitraire sous la
forme d’une critique de l’Objectio IV dans les Objectiones Tertiae de Hobbes. La convention associant
arbitrairement tels mots à telles idées est par ailleurs ‘bien fondée’ pour Port-Royal dans la différence
entre les genres de pensées : voir sur ce point Martine Pécharman (1995), « La signification dans la
philosophie du langage d’Antoine Arnauld  », in Antoine Arnauld. Philosophie du langage et de la
connaissance, études réunies par Jean-Claude Pariente, Paris, Vrin, p. 65-98.
15 GGR, II, I, op. cit., p. 22 (dans le titre du chapitre).
16 GGR, I, I, op. cit., p. 24. Sur les implications ou présuppositions proprement logiques de la grammaire
rationnelle, voir passim Jean-Claude Pariente (1985), L’Analyse du langage à Port-Royal. Six études
logico-grammaticales, Paris, Les Éditions de Minuit, dont l’apport reste inégalé pour étudier la GGR
selon « le principe de la référence des faits de langage aux opérations de la pensée » (p. 109).
17 LAP, I, I, op. cit., p. 43.
18 Voir GGR, op. cit., p. 7-8.
19 Voir, pour cet exemple des idées des couleurs, LAP, I, I, op. cit., p. 43.
20 LAP, I, XIV, op. cit., p. 95.
21 LAP, I, XIV, op. cit., p. 96.
22 LAP, I, XII, op. cit., p. 86. La définition nominale commence par ramener le mot équivoque auquel
sont attachées des idées différentes à son état originel de pur son « indifférent de soi-même & par sa
nature à signifier toutes sortes d’idées », afin de « déterminer [ce] son à signifier précisément une certaine
chose, sans mélange d’aucune autre » (p. 87).
23 LAP, I, XIII, op. cit., p. 92.
24 Pour cette analyse, voir LAP, I, VIII, op. cit., p. 67-70 (p. 67 pour la citation ; voir aussi LAP, II,
VI, op. cit., p. 122-124). Cf. Arnauld, Écrits sur le Formulaire, in Blaise Pascal, Œuvres complètes IV,
texte établi, présenté et annoté par Jean Mesnard, Paris, Desclée de Brouwer, 1992, p. 1229-1253 et p.
1275-1321. Jean-Claude Pariente (1995) commente de manière très éclairante ces différents textes dans
son article « Les termes singuliers à Port-Royal. Étude de quelques difficultés », in Jean-Claude Pariente
(éd.), Antoine Arnauld. Philosophie du langage et de la connaissance, Paris, Vrin, p. 99-131.
25 Je m’appuie ici sur la définition des « termes generaux » dans LAP, I, VI, op. cit., p. 58.
26 Voir LAP, I, VIII, op. cit., p. 68  : «  Mais pour mieux comprendre en quoi consiste l’équivoque
de ces termes, que nous avons appellés équivoques par erreur, il faut remarquer que ces mots sont
connotatifs ou expressément, ou dans le sens. Or comme nous avons déjà dit, on doit considerer dans
les mots connotatifs le sujet qui est directement, mais confusément exprimé, & la forme ou le mode qui
est distinctement, quoiqu’indirectement exprimée. Ainsi le blanc signifie confusément un corps, & la
blancheur distinctement : sentiment d’Aristote signifie confusément quelque opinion, quelque pensée,
quelque doctrine, & distinctement la relation de cette pensée à Aristote auquel on l’attribue ». Cf. GGR,
II, II, op. cit., p. 25-26 : « ce qui fait qu’un nom ne peut subsister par soi-même, est quand, outre sa
signification distincte, il en a encore une confuse, qu’on peut appeler connotation d’une chose à laquelle
convient ce qui est marqué par la signification distincte. [...C]ette connotation fait l’adjectif » (voir aussi
p. 27) ; LAP, I, II, op. cit., p. 47 : « Les noms qui signifient les choses comme modifiées, marquant
premièrement & directement la chose quoique plus confusément ; & indirectement le mode quoique plus
distinctement, sont appellés adjectifs, ou connotatifs, comme rond, dur, juste, prudent » ; LAP, I, VII,
op. cit., p. 64 : « quand on joint une idée confuse & indéterminée de substance avec une idée distincte
de quelque mode, cette idée est capable de représenter toutes les choses où sera ce mode, comme l’idée
de prudent tous les hommes prudens, l’idée de rond tous les corps ronds ».
27 Pour la manière dont Port-Royal retravaille sur cette question de l’in recto/in obliquo la tradition
médiévale elle-même divisée entre la position d’Avicenne (reprise par Ockham) et la position
d’Averroès, voir Jean-Marie Fournier (2007), « La sémantique du nom dans la Grammaire générale
et raisonnée et dans la Logique de Port-Royal », in Parcours de la phrase. Mélanges offerts à Pierre

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Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique (...) 21

Le Goffic, textes réunis par Michel Charolles, Nathalie Fournier, Catherine Fuchs et Florence Lefeuvre,
Paris, Ophrys, p. 227-236.
28 Comme l’indique d’emblée le titre complet de l’ouvrage : La Logique ou L’Art de penser, contenant,
outre les règles communes, plusieurs observations nouvelles, propres à former le jugement. Voir Martine
Pécharman (2013), « La Logique ou L’Art de penser, ou comment former le jugement », Chroniques de
Port-Royal, vol. 63, Paris, Société des Amis de Port-Royal, p. 307-330.
29 Pour la différence entre ce que l’esprit fait sans règle ou «  naturellement  » et les «  reflexions  »
constitutives de l’art de penser, voir le préambule de la Logique (LAP, op. cit., p. 38).
30 LAP, I, VIII, op. cit., p. 66.
31 LAP, II, VI, op. cit., p. 122.
32 LAP, II, VI, op. cit., p. 123.
33 LAP, II, XI, op. cit., p. 144.
34 Ibid.
35 LAP, II, XI, op. cit., p. 145.
36 Voir pour ce chapitre LAP, op. cit., p. 52-54.
37 LAP, op. cit., p. 12.
38 Voir, en complément, la belle étude par Irène Rosier-Catach des sources médiévales des arguments
de Port-Royal dans la controverse anti-calviniste sur Ceci est mon corps ( « Les Médiévaux et Port-
Royal sur l’analyse de la formule de la consécration eucharistique », in Penser l’histoire des savoirs
linguistiques. Hommage à Sylvain Auroux, textes réunis par Sylvie Archaimbault, Jean-Marie Fournier
et Valérie Raby, Lyon, ENS Éditions, 2014, p. 535-555).
39 Arnauld et Nicole, La Perpétuité de la foi de l’Église catholique touchant l’Eucharistie, défendue
contre les livres du sieur Claude, ministre de Charenton, Paris, Sigismond d’Arnay, 1781 [désormais
GPF], Tome troisième, L. I, c. I, p. 21.
40 GPF, Tome troisième, L. II, c. II, op. cit., p. 71.
41 GPF, Tome troisième, L. I, c. II, op. cit., p. 29.
42 Ibid.
43 GPF, Tome troisième, L. II, c. II, op. cit., p. 79.
44 Voir sur ce point GPF, Tome troisième, L. II, c. II, op. cit., p. 71-72.
45 GPF, Tome troisième, L. II, c. II, op. cit., p. 72.
46 Jusqu’à indication d’une source différente, les citations qui suivent sont tirées de GPF, Tome
troisième, L. I, c. III, op. cit., p. 38.
47 GPF, Tome troisième, L. I, c. I, op. cit., p. 16.
48 GPF, Tome premier, L. VII, c. VII, op. cit., p. 640.
49 Ibid.
50 Voir GPF, Tome troisième, L. III, c. II, op. cit., p. 148-150, pour cette notion d’opposition relative,
qui fonde la légitimité de l’assertion le signe n’est pas la chose signifiée, sans impliquer qu’il y ait entre
le signe et la chose représentée « une distinction telle que celle qui se trouve entre des êtres séparés ».
51 Ce que Descartes aurait tenu pour une différence des réalités objectives de leurs idées, la quantité
de réalité objective des idées représentant des substances étant supérieure d’après la Meditatio Tertia à
celle des idées représentant seulement des modes ou accidents (voir Œuvres de Descartes, éd. Adam-
Tannery, VII [désormais AT VII], Paris, Vrin, 1964, p. 40).
52 LAP, I, IV, op. cit., p. 52-53.
53 LAP, préambule général, op. cit., p. 37. Bien qu’elle utilise elle aussi la notion de forme, cette
définition ne reprend pas strictement celle de Descartes dans les Secundae Responsiones (AT VII, p.
160), qui entend par idée la forme d’une pensée quelconque, par la « perception immédiate » de laquelle
l’esprit est conscient de cette pensée.
54 Voir GGR, II, I, op. cit., p. 24.
55 Voir LAP, I, I, op. cit., p. 41 : « nous ne pouvons rien exprimer par nos paroles, lorsque nous entendons
ce que nous disons, que de cela même il ne soit certain que nous avons en nous l’idée de la chose que
nous signifions par nos paroles » (qui constitue une reprise quasi littérale d’une partie de la définition de
l’idée dans les Secundae Responsiones : « adeo ut nihil possim verbis exprimere, intelligendo id quod
dico, quin ex hoc ipso certum sit, in me esse ideam ejus quod verbis illis significatur », AT VII, p.. 160).
La Logique ajoute : « il y auroit de la contradiction entre dire que je sais ce que je dis en prononçant un
mot, & que neanmoins je ne conçois rien en le prononçant que le son même du mot » (ibid.).
56 LAP, I, avant-propos, op. cit., p. 39.

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Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique (...) 22

57 Voir Défense de M. Arnauld Contre la Réponse au Livre des Vraies et des Fausses Idées [désormais
Défense], in Œuvres de Messire Antoine Arnauld, Paris, Sigismond d’Arnay, 1780, t. 38, p. 585-586.
58 Défense, op. cit., p. 584 : « ce n’est que par rapport à nos perceptions que les autres choses, comme
les tableaux, les images, les mots, les caracteres de l’écriture, sont dits représenter, ou sont appellés
représentatifs » (voir aussi p. 585). Cf. Aristote, Métaphysique, Γ,1003a33-b6.
59 Défense, op. cit., p. 584 et p. 585.
60 Défense, op. cit., p. 585. Le passage traduit par Arnauld de la Somme de théologie, Ia, qu. 13, art. 1, dit :
« Voces sunt signa intellectuum, et intellectus sunt rerum similitudines. Et sic patet quod voces referuntur
ad res significandas mediante conceptione intellectus » (cité dans Antoine Arnauld, Des vraies et des
fausses idées, édition et présentation par Denis Moreau, Paris, Vrin, 2011, Annexe 2, p. 241, note 2).
Arnauld rend similitudines (traduisant chez saint Thomas homoiômata chez Aristote) dans la relation de
nos perceptions aux choses par représentations.
61 Voir Défense, p. 585 ; cf. Aristote, De l’interprétation, 16a7-9.
62 LAP, I, IV, op. cit., p. 54.
63 Ibid. : « Ainsi les mots sont signes d’institution des pensées, & les caractères des mots ».
64 LAP, I, IV, op. cit., respectivement p. 53 et p. 54.
65 LAP, I, IV, op. cit., p. 54.
66 Cf. GPF, Tome second, L. I, c. XII, op. cit., p. 79-85.
67 Augustin, De doctrina christiana, in Aurelii Augustini Opera, Pars IV, 1, cura et studio Iosephi Martin,
Turnhout, Brepols, II, I, I, p. 32 : « Signum est enim res praeter speciem, quam ingerit sensibus, aliud
aliquid ex se faciens in cogitationem venire ». Pour la différence, quant à la définition du signe, entre
la tradition augustinienne et la tradition aristotélicienne, voir Martine Pécharman (2015), « Signe », in
L’interprétation. Un dictionnaire philosophique, sous la direction de Christian Berner et Denis Thouard,
Paris, Vrin, p. 454-471.
68 LAP, I, IV, op. cit., p. 54.
69 GPF, Tome troisième, L. III, c. I, op. cit., p. 141 (de même, p. 142 : « la même impression se faisant
sur les sens, le signe subsiste tout entier, puisqu’il ne consiste qu’à exciter par cette impression qu’il fait
sur les sens, l’idée des objets signifiés »).
70 GPF, Tome troisième, L. III, c. I, op. cit., p. 142.
71 LAP, I, IV, op. cit., p. 54.
72 Voir Augustin, De doctrina christiana, I, II, 2, op. cit., p. 7 : « Proprie autem nunc res appellavi, quae
non ad significandum aliquid adhibentur » ; « Ex quo intellegitur quid appellem signa, res eas videlicet,
quae ad significandum aliquid adhibentur ».
73 Ibid.
74 Je paraphrase ici la dernière phrase de De doctrina christiana, I, II, 2, op. cit., p. 7-8 : « memoriterque
teneamus id nunc in rebus considerandum esse, quod sunt, non quod aliud etiam praeter seipsas
significant ».
75 Je paraphrase ici un passage de De doctrina christiana, II, I, 1, op. cit., p. 32 : « Quoniam de rebus
cum scriberem, praemisi commonens ne quis in eis adtenderet, nisi quod sunt, non etiam si quid aliud
praeter se significant, vicissim de signis disserens hoc dico, ne quis in eis adtendat, quod sunt, sed potius,
quod signa sunt, id est, quod significant ».
76 LAP, I, IV, op. cit., p. 52 – voir aussi GPF, Tome second, L. I, c. XII, op. cit., p. 81 : « il y a des choses
que nous regardons comme des choses, c'est-à-dire, que nous considérons en ce qu'elles sont en elles-
mêmes ; & d'autres au contraire que nous considérons comme signes, c'est-à-dire, dans lesquelles nous
avons moins d'égard à ce qu'elles sont, qu'à ce qu'elles signifient, ou naturellement ou par institution ».
77 Défense, op. cit., p. 586.
78 Ibid.
79 Défense, op. cit., p. 587.
80 Pour une analyse plus fouillée de la définition de l’idée de signe par la catégorie de représentation, je
me permets de renvoyer à Martine Pécharman (1995), « La signification dans la philosophie du langage
d’Antoine Arnauld », op. cit., p. 84-90.
81 LAP, I, IV, op. cit., p. 52 (je souligne).
82 LAP, I, IV, op. cit., p. 53 (je souligne).
83 LAP, I, IV, op. cit., p. 53.
84 Ibid.
85 LAP, I, IV, op. cit., p. 54.
86 Ibid.

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Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique (...) 23

87 LAP, I, IV, op. cit., p. 52.


88 À savoir, les chapitres I, XV ; II, XII et II, XIV. Les chapitres II, I et II, II, repris pour l’essentiel de la
Grammaire générale et raisonnée, exposent les éléments de la proposition, et assurent ainsi en quelque
sorte la médiation entre le contenu de I, IV et les développements relatifs, d’une part aux propositions
dont le sujet apparemment simple est en fait double (I, XV et II, XII), d’autre part aux propositions
figuratives (II, XIV).

Pour citer cet article


Référence électronique
Martine Pécharman, « Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la
Logique de Port-Royal », Methodos [En ligne], 16 | 2016, mis en ligne le 01 février 2016, consulté le
16 mars 2016. URL : http://methodos.revues.org/4570 ; DOI : 10.4000/methodos.4570

À propos de l’auteur
Martine Pécharman
CRAL, CNRS-EHESS

Droits d’auteur

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International.

Résumés
 
L’addition, dans la cinquième édition en 1683 de La Logique ou L’Art de penser, d’un chapitre
consacré à la définition générale du signe et de plusieurs chapitres relevant spécifiquement
d’une analyse des signes linguistiques, a été parfois interprétée comme une apparition tardive
du “problème du langage” dans le traité d’Arnauld et Nicole. Parce que la plupart de
ces chapitres supplémentaires sont la transposition de passages auparavant destinés dans la
Perpétuité de la foi (1669-1674) à réfuter le sens calviniste de Ceci est mon corps, on a
été enclin à attribuer l’importance de la question du signe et du “problème du langage”
dans l’édition de 1683 à une origine théologique. J’essaie au contraire de montrer que,
dès la première édition de L’Art de penser en 1662, la problématisation des écarts des
expressions linguistiques avec une correspondance terme à terme entre les mots et les idées a
été indissociable pour Port-Royal de l’analyse des opérations de l’esprit. Selon moi, dans la
Perpétuité de la foi, la critique du sens calviniste de la formule eucharistique constitue elle-
même une application de cette analyse logique du langage : les passages incorporés ensuite
dans L’Art de penser sont dans le prolongement des réflexions de 1662 sur les difficultés
d’adéquation entre le dire et le vouloir-dire. Je montre pour finir que la définition générale du
signe à Port-Royal suppose une restructuration de la définition augustinienne du De doctrina
christiana, et fonde en 1683 une identification de la relation de signification linguistique à un
rapport de représentation des mots aux idées, qui vient redoubler le rapport de représentation
des idées aux choses établi en 1662.

Words, ideas, and representation: the genesis of the definition of a


sign in the Port-Royal Logique
The addition to the fifth edition (1683) of La Logique ou L’Art de penser (1662), first a chapter
dedicated to the general definition of a sign, then five chapters specifically relating to an

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Les mots, les idées, la représentation. Genèse de la définition du signe dans la Logique (...) 24

analysis of linguistic signs, has sometimes been interpreted as a belated appearance of the
“problem of language” in the Logique. Because most of these supplementary chapters had been
patched together from passages copied from the Perpétuité de la foi (1669-1674), this has led
commentators to attribute the later foregrounding of the “problem of language” in the Logique
to a semiotic analysis that arises in Port Royal’s anti-Calvinist polemic over the meaning of
“Hoc est corpus meum”.
Against this reading, in the first part of my essay, I try to show that from the first edition
of L’Art de penser, the analysis of language had been inseparable from the analysis of the
operations of the mind. For Port Royal, the central function of the Logique involves resolving
all instances of linguistic confusion or equivocation which disturb or prevent grasping the
speaker’s meaning. The aim of the logical analysis of L’Art de penser is to train the judgment
to understand linguistic expressions that involve gaps and deviations with respect to a model
of term by term correspondence between ideas and words.
In the second part of the essay, I oppose the thesis that the theorization of sign and signification
in the chapters added to the 1683 edition of the Logique depends on the theological dimension
of the anti-Calvinist discussion. I show that the critique of the Calvinist conception of the
Eucharist as the sign of the absent body of Christ in fact itself constitutes in the Perpétuité de
la foi an application of the analysis of language proposed in 1662 in the Logique. That which
the enlarged edition of 1683 incorporates into L’Art de penser from the Perpétuité de la foi
thus constitutes the part of the anti-Calvinist controversy that is itself logical, not theological,
the extension of the reflections of 1662 on the difficulties of relating that which is said to that
which is meant.
A third part of the essay is devoted to the construction of the general definition of a sign
in the 1683 edition of the Logique. On the one hand, I reconstitute the way in which Port
Royal proceeds to a reconstruction of the definition of Augustine’s De doctrina christiana.
On the other hand, I show that this general definition grounds an identification of the relation
of linguistic signification with a relation of representation between words and ideas, which
reduplicates in 1683 the relation of representation of ideas to things established in 1662.

Entrées d’index

Mots-clés : logique, langage, signe, signe linguistique, signification, chose, idée, mot,
représentation
Keywords :  logic, language, sign, linguistic sign, signification, thing, idea, word,
representation

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