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Mohamed 

Manoubi  Ferchichi 
Docteur en droit privé, Maitre‐assistant à IHEC Carthage  

Article portant sur  : 

 
 
 

REFLEXIONS SUR
LA NOTION DE FONDS DE
COMMERCE ELECTRONIQUE
 
 
 
 
 
 
 


 
 

I- Une reconnaissance aisée de la notion

A- Le bien-fondé de la notion

B- Le particularisme de la notion

II- Une adaptation délicate du régime juridique

A- La protection du fonds de commerce électronique

B- La relance des opérations juridiques


 
1- Le commerçant qui dispose d’un site web possède-t-il

un fonds de commerce? La loi n°77-37 de l’année 19771

s’applique-t-elle à l’hébergement d’un commerçant sur internet?

Le nom de domaine peut-il être assimilé au nom commercial?

Est-il possible de mettre en gage un site web? Telles sont les

questions mises en exergue par la présente étude.

2- Malgré l’ancienneté de la notion, le fonds de

commerce, qui connaît en droit une seconde jeunesse avec le

développement considérable du commerce électronique2, ne

reçoit aucune définition légale. Plusieurs textes y font

explicitement référence sans toutefois le définir.

Ainsi l’article 189 CC, texte de référence en la matière,

prévoit que « font partie du fonds de commerce, les biens

mobiliers affectés à l'exercice d'une activité commerciale. Le

fonds de commerce comprend obligatoirement la clientèle et

l'achalandage. Il comprend aussi, sauf dispositions contraires,


                                                            
1
Loi n° 77-37 du 25 mai 1977 réglant les rapports entre bailleurs et locataires en ce qui
concerne le renouvellement des baux d'immeubles ou de locaux à usage commercial,
industriel ou artisanal. JORT n° 38, 3/6/1977, p 1433-1437.
2
MESTRE (J), Colloque « Le Fonds de Commerce : un centenaire à rajeunir ! » Propos
conclusifs, Gazette du Palais, 04 juin 2009, n°155.


 
tous autres biens nécessaires à l'exploitation du fonds, tels que

l'enseigne, le nom commercial, le droit au bail, le matériel,

l'outillage, les marchandises, les brevets, marques de fabrique,

dessins et modèles, droits de propriété littéraire et artistique ».

Cet article traite des composantes du fonds du commerce

et non pas de sa définition.

Plusieurs auteurs affirment que « le fonds de commerce

est l’ensemble des moyens utilisés pour attirer et fidéliser la

clientèle »3.

Le mot-clé est donc « la clientèle »4 qui est l'élément

constitutif du fonds de commerce, ce fameux bien meuble

incorporel5.

                                                            
3
DEKEUWER-DEFOSSEZ (F) et BLARY-CLEMENT (E), Droit commercial : Actes de
commerce, fonds de commerce, commerçants, concurrence, 11ème éd., Domat, LGDJ, 2015, p
303 ; RIPERT (G) et ROBLOT (R), Droit commercial, TOME I, 17éme édition, L.G.D.J.,
1998 ; DEKEUWER-DEFOSSEZ (F), Droit commercial, 3éd. Monchrestien, Paris, 1993, p
268 ; B LE GALL (J-P), Droit commercial, 14éme édition, DALLOZ, 1998 ; LEGEAIS
(D), Droit commercial, 11éme édition, SIREY, 1997 ; LAISE (J-B), Droit des Affaires,
LGDJ, coll. Manuel, 1999, p. 239.

‫ ﺇﻥ " ﺍﺳﺘﻐﻼﻝ ﻧﺸﺎﻁ ﺗﺠﺎﺭﻱ ﻣﺘﻤﺜﻞ ﻓﻲ ﺗﻘﺪﻳﻢ ﺍﻷﻛﻼﺕ‬2007/10/02 ‫ ﺍﻟﻤﺆﺭﺥ ﻓﻰ‬10108 ‫ ﺟﺎء ﺑﺎﻟﻘﺮﺍﺭ ﺍﻟﺘﻌﻘﻴﺒﻲ ﺍﻟﻤﺪﻧﻲ ﻋﺪﺩ‬4
‫ ﻁﺎﻟﻤﺎ ﺃﻥ‬،‫ ﺇﻧﻤﺎ ﻻ ﻳﺴﺘﻘﻴﻢ ﻣﻌﻪ ﺍﻟﻘﻮﻝ ﺇﻥ ﻫﺬﺍ ﺍﻟﻨﺸﺎﻁ ﻗﺪ ﺃﻛﺘﺴﺐ ﺣﺮﻓﺎء ﺧﺎﺻﻴﻦ ﺑﻪ‬،‫ﺍﻟﺸﺮﻗﻴﺔ ﺑﻤﺤﻞ ﻛﺎﺋﻦ ﺩﺍﺧﻞ ﻓﻀﺎء ﺗﺮﻓﻴﻬﻲ‬
،2007 ،‫ ﺍﻟﻘﺴﻢ ﺍﻟﻤﺪﻧﻲ‬،‫ ﻧﺸﺮﻳﺔ ﻣﺤﻜﻤﺔ ﺍﻟﺘﻌﻘﻴﺐ‬." ‫ﻫﺆﻻء ﻫﻢ ﺣﺮﻓﺎء ﻟﻸﺻﻞ ﺍﻟﺘﺠﺎﺭﻱ ﺍﻟﺸﺎﻣﻞ ﺍﻟﻤﺘﻤﺜﻞ ﻓﻲ ﺍﻟﻔﻀﺎء ﺍﻟﺘﺮﻓﻴﻬﻲ‬
.128 ‫ﺹ‬
v. aussi COLLOMB (P), « La clientèle du fonds de commerce », RTD.Com, 1979, n°3, p. 5.


 
3- Aujourd’hui, la notion de fonds de commerce connaît

une expansion considérable. Le fonds de commerce se

diversifie suite à plusieurs mutations qui l’affectent. On parle de

plus en plus de fonds de commerce industriel, de fonds de

commerce commercial, de fonds de commerce financier. Mieux

encore on commence à parler de fonds de commerce

électronique6.

En effet, plusieurs sociétés n’ont pas de point de vente

réel et se limitent à commercialiser leurs marchandises sur

internet. Un grand nombre d'entreprises n’ont plus de local

commercial et exercent leurs activités commerciales par le biais

d'un site Web7. Quid alors de la nature juridique de cette plate-

forme virtuelle ? Peut-elle être qualifiée de fonds de commerce?

Plus précisément, existe-t-il un fonds de commerce

électronique ?

                                                                                                                                                                                          
‫ ﺃﻥ " ﺍﻷﺻﻮﻝ ﺍﻟﺘﺠﺎﺭﻳﺔ ﻣﻦ ﺍﻟﻤﻨﻘﻮﻻﺕ ﻭ ﻟﻴﺲ ﻫﻲ‬1989/06/28 ‫ ﺍﻟﻤﺆﺭﺥ ﻓﻰ‬20215 ‫ ﺟﺎء ﺑﺎﻟﻘﺮﺍﺭ ﺍﻟﺘﻌﻘﻴﺒﻲ ﺍﻟﻤﺪﻧﻲ ﻋﺪﺩ‬5
.266 ‫ ﺹ‬،1989 ،‫ ﻭﺯﺍﺭﺓ ﺍﻟﻌﺪﻝ‬،1 ‫ ﺍﻟﻘﺴﻢ ﺍﻟﻤﺪﻧﻲ ﻋﺪﺩ‬،‫ ﻧﺸﺮﻳﺔ ﻣﺤﻜﻤﺔ ﺍﻟﺘﻌﻘﻴﺐ‬."‫ﻋﻘﺎﺭﺍﺕ ﻁﺒﻴﻌﻴﺔ ﺃﻭ ﺣﻜﻤﻴﺔ ﺃﻭ ﺑﺎﻟﺘﺒﻌﻴﺔ‬
6
RAPP (L), Colloque « Le Fonds de Commerce : un centenaire à rajeunir ! » L'appréhension
du fonds de commerce par les politiques publiques : activités commerciales, prérogatives
publiques et développement, Gazette du Palais, 04 juin 2009, n°155.
7
IVALDI (N) et MANARA (C), Vers la société en réseau, Petites affiches, 02 juin 2000,
n°110.


 
La question est d'autant plus pertinente que de nombreux

sites Web se vendent tous les jours sans que la nature juridique

de ces transactions ne soit clairement définie. L’essor du

commerce électronique se confirme alors que la réglementation

juridique évolue lentement8 ! N’est-ce pas que le monde virtuel

et le monde juridique sont en perpétuelle concurrence dans une

économie mondialisée9 ?

4- On peut comprendre que certains juges soient

réticents à la notion de « fonds de commerce électronique ».

Ainsi, la Chambre commerciale de la Cour de cassation

française, a jugé le 14/03/2006 que « la création d'un site

                                                            
8
BURIN DES ROZIERS (A), Economie et commerce électronique, Petites affiches, 06
février 2004, n°27 ; MESTRE (J) ET PANCRAZI (M-E), Droit commercial, L.G.D.J., 25è
éd., 2001, p. 1 et s.
9
VINCENTI (C), Colloque « Le Fonds de Commerce : un centenaire à rajeunir ! »
Allocution de bienvenue et présentation du colloque, Colloque de l'Association Droit et
Commerce (Deauville, 4 et 5 avril 2009), Gazette du Palais 04 juin 2009 n°155 ;
WARUSFEL (B), Aspects juridiques de la dématérialisation des échanges dans le commerce
électronique, Petites affiches, 06 février 2004, n°27 ; PASSA (G), Les règles générales du
commerce électronique et leur application dans les rapports avec les consommateurs, Petites
affiches, 06 février 2004, n°27 ; BENAYOUN (G-D), TVA et commerce électronique : Etat
des lieux, Petites affiches 06 octobre 1999 n°199 ; GERARD (PH), La réglementation des
communications électroniques et le développement de l'internet et du commerce électronique,
Petites affiches, 21 février 2002, n°38 ; MESTRE (J) ET PANCRAZI (M-E), Droit
commercial, 25ème éd, L.G.D.J., 2001, p 1 et s.


 
Internet n'est pas assimilable à l'implantation d'un point de

vente donnant naissance à un fonds de commerce »10.

Mais, la pratique n’a pourtant pas été affectée par ce

genre de décision. En effet, quand on tape «fonds de

commerce électronique» sur Internet, on tombe sur des

dizaines d’offres de vente de tels fonds. C’est bien là une des

raisons qui exhortent la doctrine à s’intéresser de près à ce

sujet.

Ainsi, tous les auteurs ou presque, militent en faveur de la

reconnaissance du fonds de commerce électronique, mais leurs

études s’achèvent bien souvent par un point d’interrogation11.

D’ailleurs, si la Cour de cassation, aussi bien française que

tunisienne, hésite encore à reconnaitre le fonds de commerce

électronique, la Cour d’appel de Poitier l’a déjà reconnu depuis

201012. Il en est de même de la Cour d’appel de Paris. En effet,

                                                            
10
Cass. Com., 14 mars 2006, n° 03-14639 ; 03-14640 ; 03-14316.
11
VERBIEST (T), Le fonds de commerce électronique : vers une reconnaissance juridique ?,
Communication et commerce électronique n° 4, avril 2008, étude 10 ; DECOCQ (G) et
STOFFEL-MUNCK (Ph), L’avènement du fonds de commerce électronique, Gazette du
Palais, 04 juin 2009 n° 155, P. 52 .
12
Décision du 02 juillet 2010, RG n°09/00032.


 
il a été soutenu que « tout site électronique ouvert public, est

bien un fonds de commerce en ce sens qu’il est destiné à créer

et développer une clientèle, et ce indépendamment d’autres

éléments matériels (marchandise, matériel informatique etc…)

ou incorporels (logiciels, brevets etc…) »13.

5- Il s’ensuit que autant la reconnaissance du fonds de

commerce électronique se conçoit aisément (I), autant

l’adaptation de son régime juridique s’avère assez délicate (II).

I- Une reconnaissance aisée de la notion

II- Une adaptation délicate du régime juridique

                                                            
13
CA Paris 28/1/2005, RJDA 2006, n°893. BITAN (H), Le site de commerce électronique :
approche technique et juridique, Gazette du Palais 18 avril 2000 n°109.


 

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