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Investigation d’une épidémie

Pr Merbouh Med Amine


Faculté de médecine Sidi Bel abbès

Objectifs :
• Définir une épidémie
• Citer les objectifs d’une investigation d’une épidémie
• Savoir porter une attention à la définition d’un cas de maladie
• Suivre une démarche méthodologique de l’investigation d’une épidémie

Définition d’une épidémie


Une épidémie se définie comme l’apparition dans une communauté ou une région de cas de maladie
en excès par rapport à la situation habituelle.

Il y a toujours référence à la situation habituelle. Ainsi les niveaux d’endémicité antérieurs de la


maladie et les connaissances locales doivent être toujours être pris en compte.

L’apparition d’un seul cas de poliomyélite dans une région peut être considérée comme une
épidémie si cette maladie a été éradiquée dans cette région pendant une longue période.

L’apparition de plusieurs cas d’hépatite virale dans une région où cette maladie sévit à l’état
endémique pourrait être considérée comme normale à l’occasion d’un pic saisonnier.

En matière d’intoxication alimentaire, une toxi-infection aigue collective (TIAC) est envisagée dès
qu’au moins deux cas similaires d’une symptomatologie gastro-intestinale surviennent et peut être
rapportés à une même origine alimentaire.

Objectifs de l’investigation d’une épidémie :


La survenue d'une épidémie n'est pas le fait du hasard. Elle est généralement induite lorsqu’un
déséquilibre survienne entre l’agent, l’hôte et l’environnement.

Plusieurs raisons peuvent motiver l’investigation d’un épisode épidémique

• ENRAYER LA PROGRESSION DE CET EPISODE OU LIMITER SON IMPACT


• Prévenir la survenue de nouveaux épisodes
• Approfondir les connaissances sur les relations entre l’hôte, l’agent causal et
l’environnement
• Evaluer ou initier un système de surveillance épidémiologique
• Saisir l’occasion pour conduire une action éducative au profit de collaborateurs moins
expérimentés

Pour cela les objectifs spécifiques suivants devraient être atteints :

• Identifier l’agent causal


• Localiser la source
• Déterminer le mode de transmission ou le véhicule
• Identifier la population à risque
• Déterminer les facteurs de risque de la maladie

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La méthode d’investigation :
Elle peut être résumée en 10 étapes que l’on regroupe en deux phases successives.

La première phase est descriptive et comporte :

• L’affirmation de l’épisode épidémique


• La confirmation du diagnostic (identification de la maladie)
• La définition et le décompte des cas
• L’organisation des données en terme de temps, de lieu et de caractéristiques de personnes

A l’aide de ces informations descriptives, on peut le plus souvent évoquer la source et le mode de
contamination et préciser quelles sont les personnes à risque.

La deuxième phase est analytique et comporte les étapes suivantes :

• La formulation des hypothèses quant au mode de survenue de l’épidémie


• La vérification d’hypothèses pouvant expliquer l’exposition (utilisation des méthodes cas-
témoins ou cohorte analytique)
• La conduction d’une enquête environnementale adaptée
• La mise en œuvre des analyses microbiologiques nécessaires
• La mise en place des mesures de contrôle et de prévention
• La rédaction d’un rapport d’investigation pour que l’expérience acquise puisse être partagée
par la communauté de santé publique et scientifique.

Toutefois plusieurs étapes peuvent être réalisées simultanément ou dans un ordre différent selon les
épisodes épidémiques et les investigateurs

1ère étape : Affirmer l’existence de l’épisode épidémique


Elle repose sur l’observation d’un nombre de cas supérieur au nombre de cas attendus pendant la
même période au sein de la même population. Les données de surveillance épidémiologiques
hebdomadaire ou mensuelle, lorsqu’elles existent, permettent cette comparaison.

2ème étape : Confirmer le diagnostic


La maladie doit être clairement identifiée. Le diagnostic doit être confirmé à l’aide de techniques de
laboratoire telles que la sérologie et/ou l’isolement de l’agent causal ou la recherche de toxiques.
Cependant, tous les cas de maladie n’ont pas besoin d’être confirmés. On estime qu’il suffit de
confirmer 15 à 20 % des cas.

3ème étape : définir et compter les cas


Définition d’un cas
Il s’agit d’une étape fondamentale et incontournable. Il importe, donc, de bien définir un cas de
maladie en termes clinique et/ou biologique mais aussi sur les notions de temps, de lieu et de
caractéristiques personnelles.

Exemple : Un cas fut défini comme toute personne pensionnaire ou employée, de la maison
de retraite X, ayant présenté plus de trois selles liquides par jour pendant au moins 48 heures
et/ou un examen de selles positif à Salmonella enteritidis, entre le 18 et le 31 Janvier 1991.

Le choix de la définition d’un cas comporte deux risques :

• Celui d’inclure parmi les cas, des individus qui ne sont pas des cas (définition trop sensible)
• Celui d’exclure certains cas réels (définition trop spécifique)

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Pour cela, les critères simples mais précis font en général les meilleures définitions (ex. fièvre
supérieure à 39°C, image radiologique de pneumonie, nombre de selles par jour, éruption cutanée,
etc.)

Lorsque la maladie est connue, sa définition officielle devrait être utilisée. Par exemple la définition
d’un cas clinique de rougeole utilisée par le CDC (Centers for Disease Control) : ‘’ un cas de rougeole
correspond à toute personne présentant un érythème maculo-papulaire généralisé de trois jours ou
plus et une fièvre supérieure ou égale à 38,3°C (si mesurée) et l’un au moins des signes suivants :
toux, écoulement nasal, conjonctivite’’

Quand la capacité de confirmation des cas est limitée par manque de ressources, comme dans les
pays en développement ou parce que les tests spécifiques sont disponibles en quantité limitée,
comme ce fut le cas pour l’épidémie de SRAS

Les cas recensés peuvent être classés en :

• Cas confirmés : diagnostic repose sur l’isolement de l’agent causal ou sur des tests
sérologiques spécifiques
• Cas probable : à partir d’un faisceau d’arguments cliniques et biologiques de présomption
• Cas possible ou indéterminé : le plus souvent à exclure s’ils ne sont pas confirmés

Une définition de cas avec plusieurs niveaux de spécificité permet aussi de gérer les mesures à
prendre. Ainsi, pendant l’épidémie de SRAS les mesures d’isolement étaient appliquées aux cas
probables sans attendre la confirmation éventuelle et la quarantaine aux personnes ayant été en
contact avec les cas probables et confirmés.

La recherche des cas


Cette phase de l’enquête dépendra de la nature de la maladie et du lieu de survenue de l’épidémie.
Le plus souvent les déclarations par des médecins, des hôpitaux, des laboratoires, des écoles, des
usines ou par une information générale du public permet d’identifier un grand nombre de cas.
Parfois, au contraire, il faut faire une enquête par du porte à porte ou par des enquêtes sérologiques
pour détecter les cas (ex. hépatite C)

Quel que soit le mode de recherche de cas, un recueil simple d’information associant les
informations démographiques, cliniques, de lieu (résidence, travail, école…), de temps (date de début
des signes, date de diagnostic, d’hospitalisation voire d’exposition…) et sur le devenir (décès) doit
être organisé avec la recherche des cas afin de pouvoir décrire le plus finement possible les
caractéristiques de temps, de lieu et de personne de l’épidémie.

4ème étape : organiser les données en terme de temps, de lieu et de caractéristiques


de personnes
Il s’agit d’une phase essentielle et indispensable qui permet de définir la population touchée pour y
estimer le taux d’attaque de la maladie épidémique et de ses éventuelles variations selon ses
caractéristiques de lieu et démographiques.

Cette phase est quelquefois suffisante pour identifier le mode de transmission et contrôler
l’épidémie

Le temps :
La courbe épidémique représente la distribution des cas d’une épidémie en fonction du temps
(généralement, par date de début des symptômes sinon du diagnostic). Elle a pour but :

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• D’affirmer l’existence de l’épidémie
• De mesurer son importance
• D’apprécier son évolution
• D’identifier le mode de transmission

Exemple d’épidémie de source commune prolongée et intermittente : épidémie de


légionellose dans le département du Pas-de-Calais à partir d’une tour aéroréfrigérante (TAR)
industrielle, France, novembre 2003–janvier 2004. Le suivi des cas par date de début des
signes permet de suggérer des hypothèses et d’évaluer l’impact des mesures prises.

Exemple d’épidémie de source commune ponctuelle : toxi-infection


alimentaire collective à norovirus. Les cas sont distribués selon la période
d’incubation après le repas contaminé.

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Le lieu
Souvent, les cas surviennent de façon préférentielles dans un endroit unique et la distribution
géographique des cas permet d’identifier des zones à risque.

Les systèmes de distribution d’eau, les circuits d’évacuation des eaux usées, la direction des vents,
l’habitat écologiques de certains animaux peuvent jouer un rôle important dans la dissémination des
agents pathogènes.

Les caractéristiques de personnes :


Le calcul de taux d’attaque en fonction de l’âge, du sexe ou d’autres caractéristiques de personnes
(profession, déplacement, notion de voyage, notion de contact avec un autre cas…) permet
d’identifier des groupes à haut risque de développer la maladie et de progresser dans la formulation
d’hypothèse.

Une fois rassemblées les données descriptives fournies par les étapes 1 à 4, on peut le plus souvent
préciser la source, le mode de transmission probable de l’épidémie ainsi que les groupes à haut
risque de développer la maladie. Des mesures de luttes appropriées doivent être prises
immédiatement.

Néanmoins, il faut confirmer ces présomptions au cours de la phase analytique

5ème étape : formuler les hypothèses :


L’analyse descriptive confrontée à la connaissance de la biologie et de l’épidémiologie de l’agent
infectieux responsable et aux données de la littérature oriente le plus souvent vers une ou plusieurs
hypothèses qu’il faudra, dans un certain nombre de cas, tester de manière appropriée.

Le fait d’identifier le plus tôt possible une hypothèse crédible permet de mettre en œuvre des
mesures de maîtrise avant même que celle-ci soit confirmée définitivement.

6ème étape :Tester la (ou les) hypothèse(s)


Cette étape impliquera la réalisation d’une enquête à visée analytique selon un schéma cas témoins
(le plus souvent) ou de cohorte rétrospective.

L’approche cas-témoins :
Elle repose sur la comparaison d’un groupe de cas et d’un groupe de témoins en ce qui concerne leur
exposition, exemple un aliment. On calculera le pourcentage de cas exposés.

Présentation tabulaire des données : approche cas-témoins


Facteurs d’exposition : tarte à la fraise
Maladie gastro-entérite

Exposition Cas Témoins total


Ont consommé 48 20 68
N’ont pas consommés 2 100 102
total 50 120 170
Pourcentage d’exposition % 96 16,7 40

L’approche cohorte :
Elle repose sur le calcul du taux d’attaque :

• Chez les sujets exposés (ayant consommé un aliment)

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• Chez les sujets non exposés (n’ayant pas consommé cet aliment)

Présentation tabulaire des données : approche cohorte

Exposition Cas Non cas total Taux d’attaque %


Ont consommé 48 20 68 70,6
N’ont pas consommés 2 100 102 2,0
total 50 120 170 29 ,4

7ème étape : Enquête environnementale :


Selon la nature de l’épidémie et le lieu de sa survenue « l’enquête environnementale » pourra
concerner :

• La chaîne alimentaire de l’élevage au consommateur,


• Les conditions de conservation et de préparation des aliments lors d’un repas commun,
• La distribution et la qualité de la protection et désinfection du réseau d’eau,
• L’hygiène des soins, les pratiques médicales et d’hygiène à l’hôpital
• ….

Cette phase de l’investigation peut nécessiter des compétences spécifiques.

8ème étape : Analyse microbiologique


L’analyse microbiologique permet de :

• Comparer les souches des patients (souches identiques ou différentes)


• Comparer les souches des patients avec celles identifiées dans le véhicule ou la source.

9ème étape : Mesures de contrôle et de prévention


Lorsque la maladie est identifiée, la source et le mode de transmission précisé il devient plus facile de
comprendre pourquoi l’épidémie s’est déclarée. Les mesures de lutte et de prévention peuvent être
mises en place.

Mais il peut arriver que l’épidémie soit déjà terminée lorsqu’elle est expliquée. Par conséquent il
n’est pas toujours nécessaire d’attendre la fin d’une enquête pour formuler des recommandations.

La nature des mesures variera d’une épidémie à l’autre et selon le stade de l’investigation. Générales
au début de l’investigation, les mesures deviendront rapidement beaucoup plus ciblées selon les
hypothèses et résultats de l’enquête.

10ème étape : Synthèse et rapport


Les investigations d’épidémie pourront être utiles pour la gestion et la prévention dans le futur. D’où
l’importance de rédiger de manière systématique des rapports des investigations des épidémies et
de mettre ces rapports à la disposition de la communauté scientifique et de santé publique, par des
publications référencées chaque fois que possible, sinon par des rapports accessibles via le Web.

Conclusion :
L’investigation d’une épidémie est une tâche ardue mais passionnante. Au terme de l’enquête,
l’épidémie n’est pas tout le temps, expliquée. Cependant la description de l’épidémie en fonction des
caractéristiques de temps, de personnes et de lieu va permettre d’orienter l’intervention.

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Références :
Epidémiologie d’intervention. F Dabis, J Drucker, A Moren. Ed. arnette

Epidémiologie et biostatistique à l’usage des étudiants en sciences médicales. A BEZZAOUCHA. Ed.


OPU

Principles of an outbreak investigation in public health practice. J.-C. Desenclos & col. Médecine et
maladies infectieuses 37 (2007) 77–94

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