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© Dunod, 2014
 
ISBN 978-2-10-071835-1
  Introduction

Au sein des organisations de l’économie de la connaissance, les individus


sont les créateurs et les détenteurs de la ressource
stratégique que
constituent les savoirs[1]. Le capital financier et le capital technique sont de
moins en moins des actifs stratégiques sur lesquels se fondent l’avantage
concurrentiel des firmes et la compétitivité des nations. Les ressources
humaines sont au cœur du modèle économique des entreprises.
L’innovation et la créativité, dont dépend le développement des
organisations, sont l’œuvre de l’action humaine. Les capacités
d’innovation
et de créativité des firmes dépendent des compétences et de la motivation
des individus qu’elles mobilisent.
De ce fait, le management des ressources
humaines est devenu un facteur de compétitivité de la firme.
En mettant les ressources humaines au cœur du modèle économique des
organisations, la société de la connaissance a profondément
transformé les
enjeux du management. Il convient d’attirer, de former, de motiver et de
garder des individus talentueux et
des experts qui sous-tendent la
performance des organisations. Traditionnellement, à travers les droits de
propriété, les
entreprises possèdent légalement les ressources qu’elles
mobilisent dans leur activité productive (usines, machines, réseaux
de
points de vente, brevets, logiciels, marques ou technologies). En revanche,
les savoirs et la capacité de créer de nouvelles
connaissances appartiennent
aux individus. Le travailleur met ses compétences au service de son
employeur mais il reste légalement
propriétaire de son capital humain.
Même si les employeurs essayent, par des clauses du contrat de travail et
des dispositifs
juridiques, de s’approprier les connaissances détenues par
leurs salariés et d’en limiter la diffusion chez leurs concurrents ;
in fine, les
individus restent les détenteurs ultimes de cette ressource stratégique.
Le rôle central que jouent les ressources humaines dans la performance
des organisations modifie les déterminants de la compétitivité
des
entreprises. Dans l’économie de la connaissance, l’avantage concurrentiel
des firmes dépend avant tout de leur attractivité
sur le marché du travail
pour attirer les meilleurs talents. Les entreprises sont d’abord en
concurrence sur le marché des
ressources (inputs) avant de s’affronter sur le
marché des produits et des services (outputs). La mise en œuvre d’une
intention stratégique suppose bien souvent le recrutement d’individus que
d’autres entreprises cherchent
également à embaucher. L’identification des
concurrents de la firme sur le marché du travail, la comparaison des
propositions
de valeur faites aux travailleurs (Employee Value Proposition)
par les autres employeurs sur chaque segment du marché du travail
sur
laquelle l’entreprise recrute et l’analyse de l’attractivité de l’organisation
deviennent des composantes importantes
du management des ressources
humaines. Cette analyse stratégique de l’attractivité de l’organisation est
d’autant plus critique
que les concurrents sur le marché du travail ne sont
pas nécessairement les mêmes que ceux qui se trouvent sur le marché des
produits et des services de l’entreprise. Ainsi, si les constructeurs
automobiles Fiat, Peugeot, Renault et Volkswagen sont
en concurrence en
Europe pour attirer les meilleurs ingénieurs de conception  ; elles doivent
également, lorsqu’elles cherchent
à recruter ce type de profil, faire face à la
concurrence d’entreprises aéronautiques comme Airbus et Safran ou des
entreprises
du secteur de l’énergie comme General Electric et Siemens.
Les administrations publiques sont souvent des organisations très
vulnérables lorsqu’elles doivent faire face aux enjeux de
l’attractivité sur le
marché du travail. Généralement, elles sont en situation de monopole sur
leur marché des services publics.
En revanche, s’agissant du marché du
travail, elles doivent affronter la concurrence des entreprises du secteur
privé pour
recruter certaines expertises. Ainsi, une administration qui
souhaite embaucher un informaticien pour développer une application
à
destination de ses usagers, doit faire face à la concurrence d’entreprises de
nombreux secteurs d’activité que ce soit des
sociétés de services
informatiques, des banques ou des entreprises de hautes technologies qui
recrutent également des informaticiens.
Face à cette concurrence sur le
marché du travail, les administrations ne sont pas toujours les plus
attractives pour attirer
les individus les plus talentueux.
Les pratiques de gestion des ressources humaines (notamment les
politiques de rémunération, de formation et de gestion des
carrières), ainsi
que l’image et la culture de l’organisation sont des composantes majeures
de la proposition de valeur que
l’entreprise fait aux individus (Employee
Value Proposition) pour les attirer, les motiver et les garder. Les pratiques
de gestion des ressources humaines constituent un système managérial
dont
la cohérence doit permettre la convergence des intérêts des salariés et des
employeurs. Au-delà de sa dimension légale,
le contrat de travail est un
contrat psychologique[2] de nature informelle et implicite à travers lequel
l’employeur prend des engagements à l’égard de ses salariés en matière
de
rétributions économiques, sociologiques et psychologiques en contrepartie
de l’apport de connaissances et de compétences.
Le respect de ce contrat
psychologique par chacune des deux parties conditionne l’implication des
partenaires de la relation
de travail.
La convergence des intérêts entre les salariés et les entreprises n’est pas
naturelle et spontanée. Elle nécessite un travail
important d’ingénierie
managériale pour concevoir un système de GRH qui tiennent compte des
différentes contraintes qui pèsent
sur le management des ressources
humaines  ; à savoir l’attractivité externe, l’équité interne et la rationalité
budgétaire.
De plus, la relation de travail ne se limite pas à un échange entre
un employeur et un salarié. De nombreuses parties prenantes
interviennent
dans la gestion des ressources humaines d’une organisation. Des acteurs
aussi différents que les actionnaires,
les syndicats, les pouvoirs publics, les
concurrents, les fournisseurs ou les médias peuvent être impliqués, d’une
manière
ou d’une autre, dans le fonctionnement des organisations et
influencer leurs pratiques de GRH.
L’entreprise n’est pas un simple acteur économique mais constitue « une
affaire de société  »[3] dont les actions influencent de nombreuses parties
prenantes. Cette dimension sociétale conduit les entreprises à s’interroger
sur leurs responsabilités sociales à l’égard des autres acteurs économiques
et sociaux. À cet égard, les pratiques de GRH
d’une entreprise peuvent
contribuer au développement des individus et au bien-être collectif.
Inversement, elles peuvent être
à l’origine d’une dégradation des conditions
humaines par des politiques d’exploitation des travailleurs (travail
dissimulé,
travail des enfants, absence de contrat de travail, précarisation de
l’emploi, etc.). Cette dimension sociétale justifie l’implication
de
nombreuses parties prenantes dans la gestion des entreprises. La direction et
le DRH d’une organisation doivent prendre
en compte cette dimension dans
la conception de la politique RH de l’entreprise. La complexité de la
fonction RH est donc
liée à la nécessité de prendre en compte
simultanément une multitude de contraintes internes et externes pour
concevoir et
piloter un système de gestion des ressources humaines qui
contribue à la compétitivité de l’entreprise et à la performance
de
l’organisation.

Définition du management des ressources


humaines
Le management des ressources humaines se définit comme un ensemble
d’outils et de pratiques (recrutement, formation, rémunération,
évaluation et
gestion des carrières) qui constituent un système managérial cohérent dont
l’objectif est de mettre en œuvre
la dimension humaine de la stratégie de
l’organisation. Ce système est juridiquement encadré par des dispositifs
légaux de
différents niveaux (supranational, national, sectoriel,
organisationnel et individuel). La conception et le pilotage du système
de
GRH relève de la responsabilité de la direction des ressources humaines. Il
implique les managers opérationnels dans sa
définition et dans sa mise en
œuvre. Il est confronté à des logiques d’acteurs internes et externes dont les
intérêts peuvent
diverger des intérêts de l’organisation. Ces potentielles
divergences mettent la motivation des salariés et la gestion des
conflits au
cœur du management des ressources humaines. Le système de GRH est
également soumis aux mécanismes concurrentiels
du marché du travail qui
influencent notamment les pratiques de recrutement, de rémunération et de
formation.
La diversité de ces contraintes fait de l’innovation managériale un facteur
de compétitivité de la firme pour articuler les
besoins et les ressources
humaines de l’organisation. Le management stratégique des RH suppose
une réelle créativité managériale
dans la conception des pratiques
permettant de gérer de manière efficiente la complexité des facteurs qui
influencent la gestion
des individus dans les organisations.

Plan de l’ouvrage
Cet ouvrage s’attache dans le chapitre  1 à décrire la dimension
systémique du management des ressources humaines. Le chapitre  2
examine en quoi la gestion prévisionnelle des ressources humaines
constitue un schéma directeur permettant d’articuler les
différentes
dimensions du management des ressources humaines. Le chapitre 3 décrit la
politique de recrutement ; le chapitre 4 analyse la gestion des carrières ; le
chapitre 5 présente les enjeux de la formation ; le chapitre 6 se penche sur
les pratiques d’évaluation  ; le chapitre  7 analyse la politique de
rémunération au niveau des individus et le chapitre 8 examine la gestion de
la masse salariale dans une perspective organisationnelle. La conclusion
porte sur le rôle de la fonction
RH et le management des ressources
humaines dans le développement responsable des organisations et la
définition d’un nouveau
contrat social au sein des entreprises.
Chaque chapitre s’attache à analyser l’influence des mécanismes
concurrentiels du marché du travail sur les pratiques de GRH
considérées.
Les intérêts et les stratégies des principales parties prenantes impliquées
dans la conception et le pilotage
des pratiques de GRH sont également
analysés pour exposer la complexité systémique du management des
ressources humaines.

[1]
  Ferrary M. et Pesqueux Y (2011), Management de la connaissance. Knowledge Management,
apprentissage organisationnel et société de la connaissance, Economica, 264 p.
[2]
    Rousseau D. (1989), «  Psychological and implied contracts in organizations  », Employee
Responsibilities and Rights Journal, vol. 2, n°2, pp. 121-139.
[3]
  Sainsaulieu R. (1992), L’Entreprise une affaire de société, Presses de la FNSP.
La dimension systémique
Chapitre

du management des
1
ressources humaines

SOMMAIRE
Section 1 La tridimensionnalité des ressources humaines
Section 2 Le système de pratiques RH
Section 3 Les différents rôles de la DRH
Section 4 Le rôle du DRH face à la responsabilité sociale de l’entreprise

Une organisation est un ensemble de ressources dont la combinaison


permet de produire des biens et des services. Une de ces
ressources
correspond aux ressources humaines (RH), c’est-à-dire les femmes et les
hommes qui sont mobilisés par l’organisation.
La gestion des ressources
humaines a pour objectif d’optimiser la contribution des ressources
humaines à la performance de
l’organisation en termes de croissance du
chiffre d’affaires et de rentabilité.
Le management des ressources humaines s’applique à une ressource
particulière, à savoir des êtres humains. Par nature, ces
derniers se
distinguent des autres ressources de l’organisation (technologies, marques,
bâtiments, machines ou brevets). Le
management des RH diffère de la
gestion des autres ressources pour deux raisons. D’une part, le contrat de
travail n’achète
pas un salarié mais la volonté de ce dernier à mobiliser ses
compétences au profit de son employeur. Le salarié reste propriétaire
de sa
force de travail. L’employeur ne fait que louer les services de la force de
travail. D’autre part, les ressources humaines,
contrairement à d’autres
ressources, sont douées d’une volonté propre et de stratégies personnelles
qui ne convergent pas
nécessairement avec les objectifs de l’entreprise ou
de l’employeur.
Le management des RH est une fonction de l’entreprise qui est sous la
responsabilité de la direction des ressources humaines.
Cette dernière
s’appuie sur un système de pratiques et de processus RH (recrutement,
formation, gestion des carrières, rémunération
et évaluation) qui doivent lui
permettre de mettre à la disposition de l’organisation des personnes
compétentes et motivées
pour atteindre des objectifs donnés par la
direction.
Le management des RH est également une fonction partagée au sein de
l’organisation. En amont avec les dirigeants de l’entreprise.
Dans ce cas, le
directeur des ressources humaines est un business partner qui apporte une
perspective RH à la prise de décision stratégique de la direction. Cela se
traduit dans certaines entreprises
par la présence du DRH au comité de
direction de l’entreprise. En aval, la fonction est partagée avec les managers
opérationnels
qui mettent en œuvre la politique RH définie par l’entreprise
et qui participent aux différents processus RH. Enfin, le management
des
RH est également une fonction partagée avec des prestataires externes de
services de GRH (cabinets d’enquête de rémunération,
cabinets de
recrutement, entreprises de travail temporaire, cabinets d’outplacement,
organismes de formation et avocats).
Dans ce cas, le rôle de la DRH est
celui d’une direction des achats sélectionnant et coordonnant des
prestataires extérieurs
de services de GRH.
La fonction RH est encastrée dans un système politique. Cela la conduit à
interagir avec des parties prenantes qui peuvent
influencer ses pratiques de
gestion des ressources humaines. Ces parties prenantes peuvent être les
syndicats dans le cadre
de négociations d’accords d’entreprise ou de
conflits sociaux. Cela peut également être les pouvoirs publics qui
interviennent
comme législateur pour encadrer les pratiques de GRH
(notamment la rémunération, le recrutement, la formation et le
licenciement).
Ils interviennent également à travers les services publics de
formation (universités, écoles et organismes de formation professionnelle),
les organismes de placement des travailleurs et les différents dispositifs de
subvention de l’emploi. Les médias constituent
aussi une partie prenante
des pratiques de GRH et la médiatisation des plans de licenciement peut
avoir des conséquences négatives
sur l’image de l’entreprise tout comme
des pratiques originales peuvent y contribuer positivement. Cette dimension
politique
a pris d’autant plus d’importance que les pratiques de GRH
s’inscrivent positivement ou négativement dans la responsabilité
sociale de
l’entreprise. La mise en œuvre des pratiques de GRH se mesure désormais à
l’aune de leur responsabilité sociale.
Enfin, la fonction RH est profondément modifiée par les changements
technologiques, notamment à travers le développement de
progiciels de
gestion liés au management des ressources humaines, mais également du
fait de l’usage des intranets et de la
diffusion d’applications Internet liées
aux RH et au marché du travail. L’intégration de ces nouvelles technologies
est une
source d’efficacité et de renouvellement de la fonction RH.

Section 1
LA TRIDIMENSIONNALITÉ


DES RESSOURCES HUMAINES
1 Les ressources humaines constituent une
ressource stratégique
L’entreprise est une combinaison de ressources (technologies, réseau de
distribution, marques, brevets, etc.) dont certaines
peuvent lui conférer un
avantage concurrentiel face à ses concurrents. Pour certaines entreprises, les
ressources humaines
constituent une ressource stratégique au sens où la
mise en œuvre de la stratégie et la différenciation face aux concurrents
dépendent de la détention de certaines compétences détenues par des
individus[1]. La détention et la mobilisation de connaissances stratégiques
par des experts peuvent être déterminantes dans la performance
de
l’organisation. Les ressources humaines sont notamment stratégiques dans
les industries où l’innovation est au cœur de
la compétitivité de la firme.
L’innovation, la créativité, l’exploration et la mise en œuvre de nouvelles
opportunités de
développement dépendent de la qualité des chercheurs et
des ingénieurs mobilisés par l’entreprise.
L’exemple d’Airbus illustre l’importance stratégique des ressources
humaines. En 2010, le constructeur aéronautique envisageait
de lancer une
nouvelle version de son avion moyen courrier A320  : l’A320NEO. Pour
intéresser les compagnies aériennes, cette
version devait réduire la
consommation de carburant de 15  %. Cette décision stratégique était
particulièrement critique car
le segment des avions moyen courrier est le
plus important pour Airbus puisqu’il représente environ 65 % de ses ventes
d’avions.
Sur ce segment, l’avionneur est en concurrence avec le Boeing
737. Airbus a attendu près de six mois pour prendre sa décision
de
lancement du projet. La raison de ce délai fut que l’entreprise a dû s’assurer
qu’elle pouvait constituer en interne l’équipe
de 200 à 300 ingénieurs
nécessaire au lancement du projet sans affaiblir les autres projets en cours ;
en l’occurrence l’A380,
l’A400M et l’A350. La prise de décision
stratégique a dépendu de l’existence au sein de l’organisation des ressources
humaines
stratégiques nécessaires au lancement du projet.
De même, dans le secteur des services à forte valeur ajoutée comme les
cabinets d’avocats (Clifford Chance, Baker & McKensie),
les cabinets de
conseil (McKinsey, BCG, Bain), les cabinets d’audit (PWC, Deloitte,
KPMG, Ernst & Young) ou les agences de
publicité (Publicis, WPP,
Omnicom), la performance des entreprises dépend de leur capacité à
recruter et à former des experts
dont l’expertise est ensuite vendue aux
clients. Les compétences détenues par ces travailleurs de la connaissance
(knowledge workers) sont stratégiques et déterminantes pour la
performance de l’entreprise.
Enfin, dans certains secteurs d’activité, un salarié peut constituer un
avantage concurrentiel dans la mesure où sa réputation
contribue à la
réussite commerciale de l’entreprise. Ainsi, tel grand chirurgien d’une
clinique privée ou tel cuisinier célèbre
employé par un palace constitue une
ressource humaine stratégique dans la mesure où sa présence détermine le
choix des consommateurs.
La dimension stratégique des ressources humaines influence les pratiques
de GRH qui leur sont appliquées. Lorsque les ressources
humaines sont
stratégiques, le développement de l’entreprise dépend de sa capacité à
attirer et à garder des individus compétents
et à leur proposer un système
incitatif pour les motiver à mobiliser leurs compétences au service de la
stratégie de l’entreprise.

2 Les ressources humaines correspondent à un


coût de production
Les ressources humaines représentent également un coût pour les
entreprises dans la mesure où ces dernières payent les salariés
dont elles
mobilisent les compétences. L’ensemble des rémunérations versées
constitue la masse salariale de l’entreprise et
représente un coût
opérationnel. Les rémunérations peuvent représenter des montants
importants pour certaines entreprises.
Ainsi, en 2010, la masse salariale de
Nestlé, premier groupe mondial d’agroalimentaire, était de 12,8  milliards
d’euros. Cependant,
au-delà du montant absolu que peut représenter cette
masse salariale, une autre dimension importante est la part qu’elle peut
représenter dans les coûts opérationnels de l’entreprise. En ce domaine, les
entreprises peuvent différer de manière conséquente.
En 2010, pour
Publicis, 3e groupe mondial de communication, les 3,346 milliards d’euros
de masse salariale représentaient 73  % des coûts opérationnels
de
l’entreprise. La même année, pour Total, 6e groupe mondial de l’industrie
pétrolière, les 6,246  milliards d’euros de masse salariale ne représentaient
que 4,46 % des
coûts opérationnels.
La gestion de la masse salariale est un facteur important de la rentabilité
financière de l’entreprise. Cette importance dépend
des montants concernés
et surtout de la part de la masse salariale dans les coûts opérationnels de
l’entreprise. Pour les
entreprises intenses en ressources humaines, c’est-à-
dire celles pour lesquelles la masse salariale correspond à une part
importante des coûts opérationnels, la gestion des coûts salariaux est
déterminante dans la performance financière de l’entreprise.
Par exemple,
en 2010, l’entreprise de restauration collective Sodexo avait un taux de
marge opérationnel de 5,05  % (Le chiffre
d’affaires étant de
15,256 milliards d’euros et le résultat opérationnel de 771 millions d’euros).
La masse salariale de l’entreprise
se montait à 7,115  milliards d’euros et
représentait 49,11  % des coûts opérationnels. Une baisse de 5  % de la
masse salariale,
soit 355 millions d’euros, aurait entraîné pour Sodexo une
augmentation de 46,14 % de son résultat opérationnel, correspondant
à un
taux de marge opérationnel de 7,38 %. Ainsi, dans les entreprises intenses
en ressources humaines, la gestion des coûts
salariaux a un impact
important sur la rentabilité de l’entreprise.
Le fait que les ressources humaines représentent un coût opérationnel
conduit les entreprises à mettre en œuvre des pratiques
de GRH qui
flexibilisent et réduisent les coûts salariaux. Ainsi, le recours à des contrats
de travail précaires (contrats
à durée déterminée, contrats à temps partiel et
contrats de travail d’intérim) et le recours à la sous-traitance ont pour
objectif d’ajuster au mieux les coûts salariaux aux fluctuations de l’activité.
Par exemple, chez McDonald’s, l’essentiel
des salariés est à temps partiel
(20  heures/semaine) car la part la plus importante du chiffre d’affaires est
réalisée lors
de deux périodes journalières de deux heures (de 12 heures à
14  heures et de 19  heures à 21  heures). De même, les hôtels des
zones
touristiques, où l’essentiel du chiffre d’affaires se réalise pendant la période
estivale, ont recours à des contrats
de travail à durée déterminée de
saisonniers sur des périodes de quatre à six mois couvrant la période
d’activité la plus
importante. Certains hôtels pouvant doubler leurs effectifs
durant la période estivale. Pour ce type d’activité intense en
ressources
humaines et dont les fluctuations d’activité sont importantes, le recours aux
contrats de travail précaire est
une condition nécessaire pour contenir les
coûts salariaux.
De manière structurelle, les entreprises sont amenées à optimiser la
structure de leurs coûts salariaux pour améliorer la
rentabilité et dégager des
capacités d’investissement. Deux pratiques de management visent à réduire
de manière structurelle
la masse salariale. La première consiste à délocaliser
la production dans des pays à plus faibles coûts de main-d’œuvre. En
2009,
selon Eurostat, le coût horaire de la main-d’œuvre était de 32,21 euros en
France et de 29 euros en Allemagne contre
2,88 euros en Bulgarie, 4 euros
en Roumanie et 6,72 euros en Pologne. Ces différences de coûts de main-
d’œuvre expliquent
la délocalisation d’usines de production vers des pays à
faibles coûts de main-d’œuvre afin de réduire les coûts salariaux
de
l’entreprise.
La seconde solution pour réduire la masse salariale consiste à substituer
des ressources humaines par du capital technique
et des nouvelles
technologies. Plus le coût horaire du travail est élevé et plus la substitution
par du capital technique,
lorsqu’elle est possible, est économiquement
rentable pour réduire les coûts salariaux. Le secteur bancaire illustre ce
processus
de substitution. Pendant longtemps, de nombreuses activités à
faible valeur ajoutée comme la distribution de monnaie, l’encaissement
des
chèques, la passation des écritures comptables ou la gestion des titres
(obligations, actions, etc.) étaient prises en
charge par des salariés peu
qualifiés (employés). Ces activités ont été automatisées et ont conduit à la
suppression d’emplois,
réduisant d’autant la masse salariale. Ainsi, en 1978,
à la banque Société Générale, les 14  715 employés de la banque qui
occupaient des postes peu qualifiés représentaient 44  % des effectifs. En
1998, les employés n’étaient plus que 153 et ne
représentaient plus que
0,58  % des effectifs de la banque car l’essentiel de cette population a été
remplacé par des systèmes
d’information. De même, dans certaines
industries, le recours à Internet comme canal de distribution correspond à
une automatisation
des activités de commercialisation qui permet de
supprimer les emplois de commerciaux et les coûts salariaux y afférents.
Concrètement, la possibilité d’acheter des billets d’avion électroniques sur
Internet a entraîné la disparition des emplois
liés à la vente physique de
billets dans des agences de voyages et les comptoirs commerciaux des
compagnies aériennes.

3 Les ressources humaines représentent un risque


opérationnel
La mobilisation de ressources humaines représente également un risque
pour l’activité même de l’entreprise. Par ses actions,
un salarié, à titre
individuel ou collectif, peut, volontairement ou involontairement, remettre
en cause l’activité de l’entreprise
voir la faire disparaître. Certains secteurs
d’activité sont particulièrement sensibles au risque opérationnel que
représentent
les ressources humaines. Par exemple, dans le secteur bancaire,
depuis 2006, le ratio McDonnough fixé par les accords de Bâle
II de la
Banque des Règlements Internationaux prévoit que les banques se couvrent
contre les risques opérationnels définit
comme «  le risque de pertes
provenant de processus internes inadéquats ou défaillants, de personnes et
systèmes ou d’événements
externes  ». Le facteur humain peut être
directement impliqué dans le risque opérationnel du fait de fraudes, de
malveillances
et de problèmes liés à la gestion du personnel. Il l’est
également indirectement du fait d’erreurs humaines, de manque de
respect
des procédures ou de mauvaises saisies de données dans les systèmes
d’information. Les banques ont l’obligation d’identifier
ces risques humains
et de mettre en œuvre des pratiques de gestion permettant de les couvrir[2].
Ce risque opérationnel peut se matérialiser de différentes manières :

3.1 Le risque de perte d’un homme clé


Certains salariés de l’entreprise sont détenteurs de connaissances, de
relations professionnelles ou de compétences managériales
qui leur
permettent de contribuer de manière importante à l’activité de
l’organisation. Leur perte, du fait d’une démission
ou d’un décès, peut
gravement nuire à l’entreprise. Par exemple, Morgan Stanley était dans les
années 1990 la banque leader
aux États-Unis pour organiser les
introductions en bourse d’entreprises de hautes technologies. Elle a perdu
cette position
quand Franck Quattrone, le managing partner en charge du
département, est parti chez Deutsche Bank pour développer cette activité.
De même, en 2010, quand Nicolas Hayek,
le charismatique dirigeant
fondateur du Swatch Group (première entreprise horlogère au monde) est
décédé, les milieux économiques
et financiers se sont interrogés sur la
viabilité de l’entreprise sans sa présence. Le jour de son décès, le cours de
bourse
de l’entreprise a chuté de 5,59  %, ce qui a correspondu à une
destruction de valeur boursière de 2,1 milliards d’euros, matérialisant
de ce
fait l’importance de Nicolas Hayek pour l’activité de l’entreprise.

3.2 Le risque d’erreur humaine


L’intervention d’individus dans les processus de production introduit par
nature un risque d’erreur qui peut avoir des conséquences
importantes sur
l’activité de l’entreprise. Certains secteurs industriels, notamment les
activités nucléaires ou pétrochimiques,
sont particulièrement sensibles à ce
risque opérationnel lié à l’intervention humaine dans le processus de
production. La
définition rigoureuse de procédures de travail vise à réduire
ce risque d’erreur.
Plus généralement, toutes les industries sont concernées par ce risque,
Ainsi, en 1987, le naufrage du Herald of Free Enterprise,
un ferry faisant la
liaison entre Douvres et Zeebrugge causa la disparition de 193 personnes.
Ce cas illustre le risque opérationnel
induit par les salariés. Un des facteurs
explicatifs du naufrage fut que l’employé chargé de fermer les portes du
ferry s’était
endormi de fatigue et que le capitaine, pris par l’urgence,
n’avait pas vérifié la fermeture des portes au moment du départ.
De ce fait,
l’eau s’est engouffrée dans le navire et a provoqué cet accident mortel.
C’est l’enchaînement d’erreurs humaines
qui est à l’origine du naufrage du
ferry.

3.3 Le risque de malversation


Les salariés de l’entreprise peuvent être impliqués dans des activités
frauduleuses qui nuisent à la réputation de l’entreprise,
conduisent à des
pertes financières et parfois acculent l’entreprise à la faillite. L’exemple de
la banque Barings, la plus
vieille banque d’Angleterre, illustre cette nature
de risque opérationnel. En 1995, un des traders de la filiale singapourienne
de la banque a généré une perte de 827  millions de livres à la suite de
manipulations comptables frauduleuses, entraînant
de ce fait la faillite de la
banque. De même, en 2000, la condamnation pour abus de biens sociaux de
Jean-Marie Crozemarie,
le dirigeant de l’Association pour la recherche sur
le cancer (ARC) a fortement nui à l’image de l’association et à sa capacité
à
lever des fonds pour financer la recherche. Plus récemment, le fait que
Rebekah Brook, éditrice en chef du journal britannique
News of the World
ait couvert des écoutes téléphoniques illégales a conduit à la cessation de la
publication de l’hebdomadaire
en 2011. Le journal tirait à l’époque à
2,6 millions d’exemplaires par semaine et était un des fleurons du groupe de
médias
News International.

3.4 Le risque de conflit social


Le comportement stratégique des salariés peut les conduire à des actions
collectives pour bloquer l’activité opérationnelle
de l’entreprise et faire
pression sur la direction pour obtenir des avantages. Ce type d’actions est
l’un des leviers dont
disposent les salariés et les représentants du personnel
dans le cadre de leurs négociations avec les directions des entreprises.
Ces
mouvements sociaux ont pour objectif de porter un préjudice économique à
l’entreprise, notamment en entraînant un arrêt
de l’activité. Ainsi, en 2008,
dans le cadre des négociations salariales avec la direction de l’entreprise,
les salariés de
Boeing ont mené une grève de 57 jours avant d’obtenir gain
de cause. Les coûts économiques ont été importants pour l’entreprise.
La
perte de chiffre d’affaires fut estimée à 100 millions de dollars par jour de
grève et le plan de développement de l’avion
787 Dreamliner, qui était
stratégique pour l’avionneur, a été fortement retardé.
Les dommages induits par les conflits sociaux peuvent également être
indirects en influençant le comportement des autres parties
prenantes de
l’entreprise, notamment les consommateurs. En 2001, la fermeture d’usines
du fabricant de biscuits Lu par le
groupe Danone a déclenché des
mouvements de manifestation de la part des salariés, notamment dans les
grandes surfaces. L’objectif
de ces actions était de nuire à l’image de
l’entreprise Danone qui avait plutôt la réputation d’être une entreprise
sociale.
Cette mobilisation a entraîné une baisse du chiffre d’affaires de
l’entreprise dans les produits laitiers commercialisés sous
la marque
Danone. Le mouvement n’a pas empêché les fermetures de sites prévues
mais elle a permis aux salariés de Lu d’obtenir
des indemnités de départ
plus importantes.
Les pratiques de management des entreprises visent à identifier et à
prévenir ces différents types de risques opérationnels
induits par les
ressources humaines. Ainsi, en matière de risque de perte de ressources
humaines clés, les entreprises mettent
en œuvre des plans de successions
des salariés les plus importants et souscrivent également à des assurances
« homme clé »
qui visent à compenser la perte d’activité et à organiser le
remplacement en cas de décès des salariés identifiés comme étant
stratégiques. En ce qui concerne le risque d’erreurs, les entreprises
définissent des processus et investissent en formation
pour éviter les
erreurs. Pour le risque de malversation, la définition de processus de
contrôle et l’automatisation des activités
sont des pratiques de management
qui peuvent permettre de réduire ce risque. Une autre possibilité consiste à
définir un contrat
incitatif au comportement honnête qui rend irrationnel un
comportement malhonnête de la part des employés. Par exemple, un
salarié
en contrat de travail à durée indéterminée a plus à perdre en ayant un
comportement malhonnête qu’un intérimaire qui
est dans l’entreprise pour
quelques jours. Concernant le risque de conflit social, les entreprises
essayent d’anticiper les
mouvements sociaux, notamment avec des
indicateurs de climat social. Elles peuvent également limiter l’action
syndicale. Par
exemple, aux États-Unis, WalMart est une entreprise qui a la
réputation d’empêcher l’implantation de syndicats dans ses magasins.
Les
constructeurs automobiles japonais ont implanté leurs usines aux États-Unis
dans des états où les salariés sont peu syndiqués
et non pas dans la région
de Détroit, berceau de l’industrie automobile américaine, où les salariés
sont très syndiqués. Les
syndicats de cette région ont obtenu de nombreux
avantages salariaux. De ce fait, le coût du travail y est plus élevé et cela
accroît le coût de fabrication des véhicules. En s’implantant dans des
régions peu syndiquées, les constructeurs automobiles
japonais ont
bénéficié d’un avantage concurrentiel en termes de coûts salariaux par
rapport à leurs concurrents américains.
Ainsi, Nissan a principalement
implanté ses usines de production dans les états du sud des États-Unis, à
savoir le Tennessee
et le Mississippi.

4 Le nécessaire équilibre entre les trois dimensions


Le management des ressources humaines suppose une prise en compte
équilibrée et simultanée de ces trois dimensions des ressources
humaines.
Ces trois dimensions peuvent être antinomiques et en privilégier une peut
entraîner des dysfonctionnements dans
l’organisation. Par exemple réduire
les salaires pour améliorer la structure des coûts opérationnels de
l’entreprise peut
conduire à la démission de salariés détenteurs de
compétences stratégiques. Si ces derniers trouvent un emploi chez un
concurrent,
non seulement leur départ affaiblit l’entreprise mais risque
également de renforcer la concurrence.
Il convient donc de mettre en place un système de pratiques de GRH qui
constituent un équilibre pour gérer de manière optimale
ces trois
dimensions.

Figure 1.1  – La tridimensionnalité des ressources humaines


Section 2

LE SYSTÈME DE PRATIQUES RH

La fonction RH, pilotée par la direction des ressources humaines, est


responsable de la cohérence interne entre les pratiques
de GRH
(recrutement, formation, rémunération, évaluation, gestion des carrières,
gestion des départs) qui composent le système
RH de l’organisation. La
fonction RH est également responsable de la cohérence externe de ce
système de pratiques avec la
stratégie de l’entreprise.
La cohérence du système RH s’appréhende dans une perspective
dynamique. Il y a un cycle de vie des ressources humaines au
sein de
l’entreprise qui se décompose en plusieurs phases : recrutement, intégration,
gestion de la carrière et départ. Ces
différentes phases correspondent à
autant de pratiques de GRH. À ces fonctions s’ajoutent celles relevant de
l’évaluation,
de la formation et de la rémunération pour constituer le
système RH de l’entreprise. Il y a également un cycle de vie de l’entreprise
(création, croissance, maturité, restructuration, déclin) qui influence les
pratiques de GRH mises en œuvre.
Chacune de ces pratiques de GRH s’appuie sur des processus définis par
la DRH qui formalisent l’articulation, le contrôle,
la mise en œuvre,
l’implication et les responsabilités des parties prenantes concernées par le
processus. Par exemple, en
matière de recrutement, ces processus ont pour
objectif de définir qui décide d’un besoin de recrutement, qui décide du
choix
de la personne recrutée, sur quel budget la personne recrutée est
rémunérée et comment est évaluée la performance du processus
de
recrutement.
Figure 1.2  – Le système de pratiques RH

Section 3


LES DIFFÉRENTS RÔLES DE LA DRH

La direction des ressources humaines est au centre du management des


ressources humaines de l’entreprise. Cependant, la fonction
RH est une
fonction partagée avec la direction de l’entreprise, avec les managers
opérationnels, avec les prestataires de
services RH et différentes autres
parties prenantes. Dans cette perspective, le rôle de la DRH est de
coordonner ces différents
acteurs impliqués dans la fonction. Ce rôle de
coordination prend des formes différentes selon les interlocuteurs de la
DRH.
La compréhension de la complexité du management des ressources
humaines suppose que chaque pratique de GRH soit également
comprise
dans sa dimension stratégique, dans sa dimension partagée, dans sa
dimension externalisée et dans sa dimension politique.

1 Un business partner dans la prise de décision


stratégique par la direction Générale
La DRH est un business partner de la direction générale dans la mesure
où la dimension ressources humaines intervient dans les décisions
stratégiques de
l’entreprise et que les RH sont une composante du modèle
économique de l’organisation. Ainsi, un choix de délocalisation d’un
site de
production peut être motivé par la volonté d’améliorer la rentabilité de
l’entreprise en employant une main-d’œuvre
moins rémunérée dans un pays
étranger. La simulation suppose de connaître la productivité des travailleurs
dans le pays, la
disponibilité des compétences sur le territoire et l’évolution
des rémunérations. Par exemple, de nombreuses sociétés de services
informatiques se sont implantées en Inde pour bénéficier d’une main-
d’œuvre bien formée et moins rémunérée que la main-d’œuvre
des pays
occidentaux. Cependant, l’inflation des coûts salariaux dans un pays où les
hausses de rémunération des informaticiens
oscillent entre 15 % et 20 % par
an peut rapidement remettre en cause la rationalité économique de la
délocalisation.
Au-delà de la prise de décision, la DRH est impliquée dans la mise en
œuvre des choix stratégiques de l’organisation. L’accompagnement
RH des
changements stratégiques  est bien souvent une condition de leur succès.
Ainsi, le lancement de nouveaux produits, l’acquisition
d’une entreprise, la
stratégie d’internationalisation, la mise en place d’un nouveau système
informatique ou la restructuration
de l’activité de l’entreprise comporte une
dimension RH dont la qualité de la prise en compte détermine la réussite de
l’exécution
de la décision stratégique.
2 Le garant de la mise en œuvre des pratiques de
RH par les managers opérationnels
Le management des ressources humaines est une fonction partagée au
sein de l’entreprise avec les managers opérationnels. La
DRH contribue à la
définition des processus RH (notamment le recrutement, l’évaluation, la
formation et la rémunération).
Ensuite, la mise en œuvre de la politique et
des processus RH incombe en grande partie aux managers opérationnels.
Toute fonction de manager opérationnel suppose de recruter, d’évaluer ses
collaborateurs, de les motiver, de contribuer à
leur développement
personnel, de les représenter auprès de la DRH, d’essayer de les retenir
pour préserver la performance
de l’unité voire de les licencier. Pour toutes
ces raisons, le premier gestionnaire des ressources humaines est le manager
direct des salariés  ; qu’il soit responsable d’une agence bancaire, d’une
équipe commerciale dans une société de service informatique
ou manager
d’une équipe d’audit.
Le rôle de la DRH est de former et d’accompagner les managers
opérationnels dans l’accomplissement de leurs responsabilités
RH au sein
de leurs équipes. La DRH a aussi pour fonction de contrôler le bon
déroulement des processus RH en termes d’équité
entre les salariés et de
cohérence entre les différentes entités de l’entreprise.

3 Le coordinateur de prestataires externes de


services RH
La fonction RH est également une fonction externalisée. La DRH
mobilise différents prestataires de services pour remplir ses
missions.
L’entreprise a recours à des cabinets de recrutement, des instituts de
formation, des cabinets d’enquête de rémunération,
des sociétés de conseil
en management, des cabinets de reclassement, des entreprises de travail
temporaire et des sociétés
de services informatiques.
Dans cette perspective, la DRH est un acheteur de prestations de services
de GRH et un coordinateur entre ces prestataires
et la direction de
l’entreprise, ses managers et ses salariés. Les interactions avec ces
prestataires de service répondent
à des logiques particulières. La DRH se
doit d’acquérir une expertise dans la sélection de ces prestataires, dans la
gestion
des relations et leur intégration dans les processus de GRH.
Enfin, ce rôle de coordinateur de prestataires extérieurs a été
profondément modifié par Internet. Ainsi, les pratiques de
recrutement ont
été influencées par la création de sites Internet comme Monster et LinkedIn,
les politiques de rémunération
par un site comme Glassdoor et les pratiques
de formation par le développement du e-learning. La diffusion des
nouvelles technologies
de l’information a modifié les pratiques de GRH et
les interactions avec les parties prenantes impliquées dans le système
RH de
l’entreprise.

4 Un acteur du système de parties prenantes


impliquées dans les pratiques RH de l’entreprise
La DRH est le représentant de l’entreprise dans le système de parties
prenantes impliquées dans les pratiques de GRH[3]. Les parties prenantes
(« stakeholders  ») se définissent comme étant l’ensemble des acteurs qui
peuvent affecter l’entreprise ou être affectées par elle[4]. Les pratiques de
GRH sont porteuses de nombreux enjeux économiques et sociaux qui
impliquent différentes parties prenantes
qui vont tenter d’influencer le
management des ressources humaines de l’entreprise. La DRH est au centre
de ce système politique
dans lequel chaque acteur tente de faire prévaloir
ses intérêts.
Les syndicats et les représentants du personnel constituent la partie
prenante la plus connue de celles qui sont impliquées
dans le management
des RH de l’entreprise. En tant que représentant des intérêts des salariés, ils
sont au centre des conflits
sociaux pour préserver et améliorer les pratiques
de RH appliquées aux salariés, notamment en matière de rémunération. De
même, les syndicats organisent la lutte contre les fermetures d’usines et les
disparitions d’emplois qu’ils induisent. La
négociation avec les syndicats
est souvent une condition nécessaire à la sortie du conflit. Au-delà des
situations conflictuelles,
les syndicats sont également une partie prenante
importante dans la mesure où dans de nombreux pays la législation prévoit
des négociations d’accords d’entreprise avec les syndicats pour ce qui
relève de la gestion des ressources humaines, notamment
en matière
d’accord de rémunération. Cependant, les syndicats ne sont pas les seules
parties prenantes impliquées dans le
management des ressources humaines
de l’entreprise.
Les pouvoirs publics sont également une partie prenante des pratiques de
GRH de l’entreprise. Ils interviennent à travers
la législation du travail qui
porte sur la rémunération, le contrat de travail, les conditions de travail, la
formation et
les conditions de licenciement. La loi résulte d’un rapport de
force politique que les entreprises s’efforcent d’influencer
directement ou
indirectement par des actions de lobbying. Ainsi, aux États-Unis, la
décision du gouvernement de limiter sa
politique d’immigration à la suite
des attentats de septembre  2001 a fortement handicapé les entreprises de
hautes technologies
qui traditionnellement recrutent des ingénieurs de pays
étrangers (ainsi, dans les entreprises de la Silicon Valley, 60  %
des
ingénieurs sont étrangers). Ces entreprises de hautes technologies ont mené
une politique de lobbying pour amener le gouvernement
américain à
assouplir sa politique d’immigration en matière d’attribution de visa H1B
(visa pour les travailleurs étrangers
qualifiés). Inversement, les pouvoirs
publics tentent également d’influencer les politiques RH des entreprises.
Ainsi, le
gouvernement français essaye de limiter les politiques de
délocalisation des constructeurs automobiles Peugeot et Renault
vers des
pays à plus faibles coûts de main-d’œuvre car ces délocalisations
contribuent à la désindustrialisation du pays,
à la destruction d’emplois et
au mécontentement de travailleurs qui sont également des électeurs.
Les actionnaires, notamment par l’intermédiaire du conseil
d’administration, interviennent dans les pratiques de GRH de l’entreprise
et
plus particulièrement sur celles appliquées aux dirigeants de l’entreprise. Le
conseil d’administration choisit et révoque
le dirigeant de l’entreprise. De
plus, son comité de rémunération intervient dans la politique de
rémunération des dirigeants.
Enfin, l’assemblée des actionnaires vote les
rémunérations des dirigeants et les plans de stock-options qui sont
attribuées
aux salariés.
Les concurrents sont également une composante du système de parties
prenantes impliqués dans les pratiques de RH de l’entreprise.
Ils sont tout
d’abord des concurrents sur le marché du travail pour recruter des
ressources humaines. De plus, les pratiques
RH des concurrents influencent
les pratiques de l’entreprise. Ainsi, si telle entreprise décide d’attribuer des
stock-options
pour attirer des talents, ses concurrents seront amenés à faire
de même pour être attractifs sur le marché du travail. Enfin,
les concurrents
peuvent venir débaucher des salariés de l’entreprise. À cet égard, les DRH
se doivent de pratiquer une forme
de veille concurrentielle pour évaluer leur
attractivité sur le marché du travail. Cependant, les concurrents peuvent
aussi
être des alliés, par exemple pour mener des actions de lobbying sur les
pouvoirs publics ou pour mutualiser des investissements
en formation. Par
exemple, en France, plus de 160 établissements bancaires se sont associés
pour créer le Centre de formation
de la profession bancaire (CFPB) qui
délivrent des diplômes et des formations spécifiques à la profession
bancaire.
Les médias sont également une partie prenante des pratiques de GRH de
l’entreprise. Le degré de médiatisation d’un plan de
réduction d’emplois
dans le cadre d’une restructuration d’entreprise influence directement le
coût des suppressions d’emplois
et les dommages portés à l’image de
l’entreprise. Inversement, la médiatisation de pratiques de GRH originales
contribue positivement
à l’image de l’entreprise tant auprès de futurs
salariés que de potentiels clients. Ainsi, la signature en février  2010 par
BNP Paribas du plan « Espoir Banlieues » à travers lequel la banque s’est
engagée auprès du gouvernement à offrir aux jeunes
des quartiers difficiles
de réelles perspectives d’emplois et de développement des compétences a
connu une importante médiatisation
qui a contribué à l’attractivité de
l’entreprise sur le marché du travail et a eu un impact positif sur son image
auprès des
clients et des autres parties prenantes.
Ainsi, les pratiques de GRH impliquent de nombreuses parties prenantes
dont les actions peuvent contribuer ou détériorer les
performances de
l’entreprise. La DRH est le principal interlocuteur de ces parties prenantes
et la gestion de ces acteurs
socio-politiques est une mission qui lui incombe.
Cette dimension est d’autant plus stratégique que désormais les pratiques
de
GRH sont une composante importante de la responsabilité sociale de
l’entreprise.

Section 4

LE RÔLE DU DRH FACE À

LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DE L’ENTREPRISE


Un des faits marquants de la gestion des entreprises en ce début de xxie
siècle est l’importance prise par la responsabilité sociale de l’entreprise.
Cette responsabilité se comprend principalement
à travers trois dimensions :
la dimension environnementale, la dimension gouvernance et la dimension
humaine. Cette dernière
relève directement du management des ressources
humaines et de la responsabilité de la DRH. L’entreprise est responsable des
pratiques de GRH appliquées à ses salariés mais également de ses pratiques
d’externalisation et des pratiques de GRH de ses
sous-traitants. L’ambiguïté
de la responsabilité sociale de l’entreprise est qu’elle rend cette dernière
responsable non seulement
devant la loi mais également devant l’opinion
publique et l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. Certaines
pratiques
peuvent être légales mais être réprouvées par l’opinion et
certaines parties prenantes, conduisant l’entreprise à modifier
ses pratiques.
L’exemple de la sous-traitance de certaines activités dans des pays
autorisant le travail des enfants illustre
cette dynamique. Bien qu’étant
légale, cette pratique est socialement condamnée et, de ce fait, nuit à
l’image et à la performance
de l’entreprise. À la fin des années 90, la sous-
traitance par Nike de la production d’équipements sportifs auprès
d’entreprises
asiatiques employant des enfants a été fortement condamnée
par des organisations non gouvernementales et a connu un grand
retentissement auprès des médias. En 2000, suite à ces attaques, Nike a
connu une perte de 44 % de son chiffre d’affaires
aux États-Unis[5]. Face à
la pression de ces différentes parties prenantes, l’entreprise a dû revoir ses
pratiques de GRH, notamment en termes
de sous-traitance. Plus récemment,
en 2010, la vague de suicides chez l’entreprise asiatique Foxconn, un des
principaux sous-traitants
d’Apple, a conduit cette dernière à réagir
rapidement pour que son image ne soit pas dégradée auprès de ses clients.
Dans plusieurs pays, compte tenu de l’importance sociale et politique
prise par le développement durable des entreprises,
le législateur a décidé
d’introduire de nouveaux indicateurs sociaux dans les bilans financiers des
entreprises. Outre la
rémunération des dirigeants et la masse salariale, des
indicateurs comme les taux de départs, les recrutements, les budgets
formation sont désormais inclus dans les bilans des entreprises. En France,
la loi sur les nouvelles régulations économiques
du 15  mai 2001 et son
décret d’application du 20 février 2002 imposent aux entreprises cotées de
présenter dans leur bilan
annuel des informations relatives à leur politique
de gestion des ressources humaines.
À l’échelon international, des mesures de la responsabilité sociale des
entreprises sont définies et évaluées. Ainsi, en 1997
a été lancée la Global
Reporting Initiative qui a pour objectif d’évaluer les pratiques des
entreprises en matière de développement durable. L’association a défini 49
indicateurs de base dont 14 relèvent directement des pratiques de GRH
(nature des emplois, turnover, diversité, accidents
du travail, investissement
en formation, etc.). Les entreprises publient dans leur rapport annuel ces
différents indicateurs
pour permettre aux parties prenantes d’évaluer les
pratiques mises en œuvre.
Enfin, le développement de l’investissement socialement responsable fait
des pratiques de GRH un enjeu de l’entreprise dans
ses relations avec ses
investisseurs. Le recours à des pratiques discriminatoires à l’égard des
étrangers, des handicapés
ou des femmes peut conduire des investisseurs à
s’écarter de certaines entreprises.
L’importance accordée par la société aux enjeux de développement
durable a fait de la DRH un acteur majeur de la responsabilité
sociale de
l’entreprise. Les pratiques RH responsables peuvent rejaillir de manière
positive sur l’image de l’entreprise tant
à l’égard des clients que des
potentielles recrues, et influencent également le comportement des salariés
au sein de l’organisation.

[1]
    Ferrary M. (2010), «  Competitivité de la firme et management stratégique des ressources
humaines », Revue d’Economie Industrielle, n°132. pp. 1-28.
[2]
  Ferrary M. (2009), « Les ressources humaines à risque dans le secteur bancaire. Une application
de la gestion des risques
opérationnels », Gestion 2000, Mars-Avril, n°2, pp. 85-104.
[3]
    Ferrary M. (2005), «  La GRH à l’aune de la théorie des parties prenantes. L’exemple des
restructurations industrielles »,
Gestion 2000, Vol. 22, n°3, pp. 59-73, mai-juin 2005.
[4]
  Freeman R. (1984), Strategic Management: A stakeholder approach, Boston, Pitman Editions.
[5]
  Nacer Gasmi et Gilles Grolleau (2005), « Nike face à la controverse éthique relative à ses sous-
traitants », Revue Française de Gestion, n°157, pp. 115-136.
Gestion prévisionnelle et
Chapitre

flexibilité des ressources


2
humaines

SOMMAIRE
Section 1 La gestion prévisionnelle des ressources humaines (GPRH)
Section 2 Les formes de flexibilité des ressources humaines
Section 3 La juxtaposition des formes de flexibilité : le dualisme du marché
du travail de l’entreprise

Le rôle de la direction des ressources humaines est de fournir les


ressources humaines nécessaires à l’activité de l’entreprise
et à la mise en
œuvre de sa stratégie. La gestion prévisionnelle des ressources humaines
vise à identifier les différentes
formes de variation de l’activité de
l’organisation qui vont déterminer les besoins quantitatifs et qualitatifs en
ressources
humaines.
La gestion prévisionnelle des ressources humaines se définit comme une
démarche qui vise à ajuster les besoins et les ressources
humaines tant sur le
plan quantitatif (les effectifs) que qualitatif (les compétences). Elle doit être
adaptée aux trois dimensions
de la nature des ressources humaines (actif
stratégique, coût de production et risque opérationnel) et doit anticiper la
vitesse
d’ajustement entre les besoins et les ressources. La gestion
prévisionnelle des ressources humaines constitue le schéma directeur
pour
articuler la stratégie d’entreprise et les différentes pratiques de GRH
(recrutement, formation, départ, gestion de carrières,
évaluation et
rémunération) qui permettent de fournir en quantité et en qualité les
ressources humaines nécessaires à l’activité.
Trois grandes catégories de variation d’activité de l’organisation
auxquelles doit répondre la DRH peuvent être identifiées :
Les variations conjoncturelles. Les entreprises connaissent des cycles
d’activité de différentes formes. Ils peuvent être journaliers. Par
exemple, l’entreprise
de restauration rapide McDonald’s a une activité
plus importante le midi et le soir qu’en milieu d’après-midi. Ces
variations
peuvent être hebdomadaires. Ainsi, les magasins Ikea ont
une activité plus importante le week-end que durant la semaine. Ces
cycles peuvent également être saisonniers. Ainsi, Amazon, le
distributeur sur Internet, connaît des pics d’activité au moment
des
fêtes de fin d’année, l’hôtellerie touristique pendant la période estivale
et les entreprises du luxe au moment des défilés
de haute-couture.
Certaines entreprises, notamment les constructeurs aéronautiques,
connaissent des cycles pluriannuels d’activité.
Enfin, ces variations
conjoncturelles peuvent être imprévisibles. Par exemple, en 2010,
l’épidémie de grippe H1N1 a entraîné
une hausse d’activité pour le
groupe pharmaceutique Sanofi qui a dû accroître sa production de
vaccins. La même année, en
avril, l’éruption du volcan islandais
Eylafjöll a entraîné une perturbation du trafic aérien et l’annulation de
plus de 100  000
vols. Dans tous ces cas, l’enjeu RH est d’assurer
l’ajustement conjoncturel entre les besoins et les ressources humaines
existantes.
Les variations structurelles. Les entreprises peuvent également faire
face à des changements structurels de leur activité. Les ruptures
technologiques
et certaines innovations peuvent structurellement
modifier le processus de production de l’entreprise et donc ses besoins
en ressources humaines. Dans l’industrie de la photographie, le
passage de la technologie argentique à la technologie numérique
a
profondément bouleversé la nature de l’activité et les besoins en
ressources humaines d’entreprises de production de pellicules
argentiques comme Kodak et Fuji. De même, dans le secteur bancaire,
la dématérialisation des titres financiers et leur traitement
sur des
supports électroniques ont radicalement transformé l’activité de
conservation des titres. Le développement du commerce
électronique
constitue également un changement structurel pour les grandes
entreprises de distribution comme Carrefour, la
Fnac ou Darty. Ces
évolutions structurelles de la nature même de l’activité rendent
certaines compétences humaines obsolètes
et nécessitent également le
recours à de nouvelles compétences.
Les décisions stratégiques. L’activité d’une entreprise est également
influencée par les décisions stratégiques de ses dirigeants. Le choix de
cesser
une activité a des conséquences RH importantes. Par exemple,
en 2011, Nokia a décidé d’arrêter de développer Symbian, son
système
d’exploitation pour téléphonie mobile, et d’équiper ses téléphones du
logiciel de Microsoft, à savoir Windows Phone.
La dimension RH de
cette décision stratégique était de savoir quoi faire des 3  000
ingénieurs qui chez Nokia étaient en charge
du logiciel Symbian.
Inversement, la décision stratégique de développer une nouvelle
activité suppose l’acquisition de nouvelles
compétences. Par exemple
lorsque Renault a pris la décision stratégique de concevoir une voiture
électrique ou que Nestlé
a décidé de développer son activité
d’alicaments (nutrition de santé), il a fallu que ces entreprises
acquièrent de nouvelles
compétences. Les décisions stratégiques ont
un impact sur le périmètre de l’organisation et sur ses besoins
quantitatifs et
qualitatifs en ressources humaines.
Ces différentes formes de variations d’activité entraînent des sureffectifs
ou des sous-effectifs au sein de l’entreprise,
c’est-à-dire un décalage entre
les ressources humaines existantes et les besoins induits par l’évolution de
l’activité. Le
rôle de la fonction RH est d’assurer l’adéquation entre les
besoins et les ressources tant en nombre qu’en qualification.
Les besoins en
ressources humaines doivent donc se comprendre tant sur le plan quantitatif
en effectifs que qualitatif en
compétences. La capacité de l’entreprise à
adapter rapidement les ressources humaines existantes aux besoins induits
par l’activité
détermine ses performances financières et la pérennité de son
avantage concurrentiel. La vitesse d’ajustement est une dimension
critique
de la GRH dont l’importance s’accroît pour les entreprises dont la
combinaison productive est intense en ressources
humaines.
Dans cette logique d’adéquation entre ses besoins et ses ressources
humaines, l’entreprise fait face à un risque de sous-effectif quand les
besoins excédent les ressources. Dans ce cas, il lui manque les ressources
humaines nécessaires pour répondre aux
besoins de son activité et, de ce
fait, elle risque de perdre des clients et des parts de marché. Inversement,
une entreprise
peut faire face à un risque de sureffectif quand les ressources
humaines existantes excédent les besoins. Dans ce cas, l’entreprise emploie
plus de ressources humaines
que n’en nécessite son activité et l’importance
des coûts salariaux que cela induit risque de grever la rentabilité de
l’entreprise
et conduire à des pertes financières.
La logique de réduction des coûts salariaux favorise les sous-effectifs et la
logique de préservation des compétences stratégiques
favorise les
sureffectifs. Les grandes entreprises, du fait de la diversité de leurs activités,
font parfois simultanément
face à des sur-effectifs dans certaines divisions
et à des sous-effectifs dans d’autres. Cette concomitance ouvre des
opportunités
d’ajustement en recourant à la mobilité interne des salariés.
La première partie examine en quoi la gestion prévisionnelle des
ressources humaines constitue le schéma directeur de la fonction
RH et de
son articulation avec la politique générale de l’entreprise. Elle présente
également le répertoire des compétences
comme un outil central de cette
gestion prévisionnelle. Enfin, elle analyse les facteurs qui font évoluer la
structure RH
et influencent les pratiques d’ajustement. La seconde partie
expose les deux formes d’ajustement des RH, à savoir la flexibilité
interne
et la flexibilité externe. La troisième partie montre comment et pourquoi
coexistent au sein d’une même organisation
les deux formes de flexibilité
des RH dans le cadre d’un dualisme du marché du travail.
Section 1
LA GESTION PRÉVISIONNELLE


DES RESSOURCES HUMAINES (GPRH)

1 Le schéma directeur de la gestion prévisionnelle


des ressources humaines
La capacité de l’entreprise à prévoir ses besoins en ressources humaines
participe à la rentabilité de l’entreprise et à son
avantage concurrentiel. Elle
lui permet d’adapter les ressources humaines aux besoins en mobilisant des
pratiques de GRH en
fonction de la nature des compétences nécessaires et
de la structure RH de l’entreprise. En ce sens, la GPRH constitue le
schéma
directeur de la fonction RH et assure la cohérence entre, d’une part, la
stratégie de l’entreprise et sa GRH et, d’autre
part, entre les pratiques qui
composent le système RH de l’entreprise.
La gestion prévisionnelle des ressources humaines comprend deux étapes
importantes :

1.1 La phase de diagnostic


Elle implique l’identification des ressources humaines nécessaires à
l’activité de l’entreprise, l’évaluation des ressources
humaines existantes, la
mesure du décalage entre les besoins et les ressources et, l’analyse des
facteurs d’évolution de la
structure RH (taux de démission, départs à la
retraite, etc.). La qualité du diagnostic détermine la qualité de l’ajustement.

1.2 La phase de mise en œuvre


La mise en œuvre de la gestion prévisionnelle des ressources humaines
concerne toutes les pratiques de RH et vise à les articuler
de manière
cohérente pour ajuster les besoins et les ressources. Fréquemment les
grands groupes industriels signent avec les
partenaires sociaux des
« Accords de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences » qui
prévoient des plans d’action
concernant les recrutements, la mobilité
interne, la mobilité externe (départs), la formation, les entretiens
d’évaluation
et la gestion des carrières (figure 2.1).

Figure 2.1  – Le schéma directeur de la GPRH

La mise en œuvre de la GPRH suppose également d’identifier les


contingences liées au marché du travail et l’offre de formation
disponible
sur le marché de l’éducation. La capacité du marché du travail à fournir ou
non les ressources humaines nécessaires
à l’entreprise influence les
pratiques de GRH. Ainsi, l’incapacité du marché du travail à fournir des
ouvriers horlogers en
nombre suffisant a conduit l’entreprise horlogère
Swatch Group à créer une école de formation pour se doter des
compétences
humaines nécessaires à sa stratégie de croissance. De même,
l’offre de formation, notamment les possibilités de partenariat
avec des
universités, conditionne les modalités d’ajustement des RH. Ainsi, à partir
des années 2000, Genève est devenue une
place financière importante pour
le trading de matières premières (pétrole, gaz, céréales, etc.). Le nombre
d’emplois dans
ce secteur a plus que doublé en quelques années pour
employer au début des années 2010 plus de 8 000 personnes au sein de
500
entreprises. Cette forte croissance a créé des besoins importants en
ressources humaines qualifiées. L’association des
entreprises de trading de
Genève (Geneva Trading and Shipping Association) a collaboré avec
l’université de Genève pour créer
un programme de formation de niveau
master dédié au trading de matières premières afin de fournir des ressources
humaines
qualifiées pour supporter les stratégies de croissance des
entreprises de la région. Ainsi, les capacités de formation du
système
éducatif constituent une variable importante d’ajustement et de mise en
œuvre de la GPRH de l’entreprise.

2 Les outils de la gestion prévisionnelle des


ressources humaines
2.1 Le répertoire des emplois
Historiquement, la gestion prévisionnelle des ressources humaines s’est
d’abord appuyée sur la description des emplois. Dans
cette logique, les
entreprises constituent des répertoires d’emplois qui consistent à décrire
tous les postes de l’organisation,
à les regrouper en famille d’emplois qui
définissent des filières professionnelles internes. Ces répertoires d’emplois
constituent
des référentiels qui présentent l’ensemble des métiers regroupés
par fiches et sont organisés par domaines professionnels.
Ces fiches
proposent une description détaillée des métiers (définition, conditions
d’accès et activités qui les composent).
Les emplois types sont ensuite
regroupés en sous-familles et familles professionnelles en fonction de leur
proximité. Une
grande entreprise peut répertorier entre 150 et 250 emplois
types différents.
Les pouvoirs publics interviennent dans ce processus de définition des
emplois pour faciliter l’articulation entre les pratiques
de RH de l’entreprise
et les mécanismes du marché du travail. Ainsi, en France, Pôle Emploi a
développé un Répertoire Opérationnel
des Métiers et des Emplois (ROME)
qui a pour objectif de décrire tous les emplois existants dans l’économie et
créer un langage
commun entre les acteurs du marché du travail
(demandeurs d’emploi, offreurs d’emploi, agences de placement et cabinets
de
recrutement).
Un répertoire des emplois permet de clairement identifier le contenu des
postes de travail et les proximités d’emplois pour
organiser la gestion
ascendante des carrières des salariés à travers des filières professionnelles.
En revanche, cet outil
souffre de trois limites :
Il existe une limite sémantique au sens où la terminologie relative à la
gestion des emplois est éloignée de celle de l’analyse
stratégique. Cette
dichotomie impose un travail de traduction pour articuler les deux
niveaux d’analyse et appréhender concrètement
comment les choix
stratégiques de l’organisation se traduisent en termes de ressources
humaines.
Il ne permet pas d’intégrer les évolutions incrémentales du contenu
d’un emploi. Par exemple, la diffusion des logiciels d’analyse
statistique permet aux chefs de produit dans le domaine du marketing
de réaliser des études de marché à partir du traitement
statistique
d’enquêtes. La nature de l’emploi de «  chef de produit  » n’est pas
radicalement modifiée du fait de l’usage de
ce type de logiciel. Les
compétences nécessaires au poste restent les mêmes, la différence est
qu’une nouvelle compétence
s’est rajoutée au profil de compétences
sans que cela ne modifie la nature même de l’emploi.
Un répertoire d’emplois permet difficilement de repérer les proximités
d’emplois qui permettent des mobilités horizontales.
Cette limite est
particulièrement importante dans les grandes entreprises qui mobilisent
des profils de compétences très différents
et qui ont besoin d’identifier
la proximité des emplois, notamment pour organiser des mobilités
horizontales entre des entités
ayant des activités différentes dans le
cadre de restructurations industrielles.

2.2 Le répertoire des compétences


En raison des limites de l’approche par les emplois, les entreprises ont
développé une approche en termes de compétences.
Dans cette démarche,
elles définissent, au niveau organisationnel, une cartographie des
compétences mobilisées au sein de
l’entreprise. Cela constitue le répertoire
des compétences de l’organisation.
Les sociétés de services informatiques et de conseil en management
comme Cap Gemini, Accenture ou IBM ont défini des répertoires
de
compétences opérationnelles (entre 400 et 600 compétences) qui couvrent
tous les métiers de l’entreprise (Analyse stratégique,
management,
organisation et informatique : progiciels, langages de programmation, bases
de données, réseaux) ainsi que toutes
les industries (banque, pharmacie,
automobile, luxe, services publics, etc.) sur plusieurs niveaux d’expertise
(de débutant
à expert). Les compétences individuelles sont alignées avec les
compétences de l’organisation qui sous-tendent les offres
de services et de
conseil de ces sociétés.
À partir de cette base de compétences, chaque poste est défini comme
étant un profil de compétences et les personnes sont
appréhendées comme
détenant un portefeuille de compétences. Au niveau individuel, la démarche
consiste, à partir du répertoire
des compétences de l’entreprise, à définir le
portefeuille de compétences de chaque salarié. Les compétences des
individus
sont accumulées par la formation initiale ou professionnelle et par
l’expérience, structurée par sa personnalité, par ses
dispositions et des
habiletés particulières (intellectuelles, psychologiques ou physiques). Ce
portefeuille de compétences
est constitué de « savoirs », qui correspondent
aux connaissances, aux éléments de culture et aux modes de raisonnement
mobilisables
par les individus  ; de «  savoir-faire  » qui sont des pratiques,
des schémas de résolution de problèmes et des capacités à
agir, de « savoir-
être » en tant qu’ensemble de capacités à comprendre et à se mouvoir dans
des situations relationnelles,
de «  savoir évoluer  » lié à la capacité à
apprendre et à changer d’activité, de « savoir managérial » qui correspond à
la
capacité à mobiliser des individus et à organiser pour délivrer de manière
performante et de «  savoir relationnel  » qui correspond
au capital social
interne et externe détenu par l’individu et qui contribue à sa performance.
Ce portefeuille de compétences
est en permanence enrichi par de nouvelles
formations, par de nouvelles expériences et par la mise en œuvre des
compétences
elles-mêmes.

Focus
Une innovation technologique :
le logiciel MyScheduling d’Accenture
Accenture est une société de conseil en management et technologies
qui, en 2012, emploie plus de 240  000 personnes dans plus
de
cinquante pays à travers le monde. L’activité de l’entreprise est
structurée en projets pour répondre à des missions confiées
par des
entreprises clientes. Lorsqu’ils ont obtenu une mission auprès d’un
client, l’enjeu pour les chefs de projets est
de trouver au sein
d’Accenture les compétences qui sont disponibles pour être affectées
sur leur projet. Concomitamment, les
consultants recherchent des
projets qui leur permettent d’utiliser leurs compétences et de
progresser dans leur expertise.
Pour permettre une adéquation optimale entre l’offre et la demande
internes de compétences, Accenture a développé le logiciel
MyScheduling qui permet à chaque consultant d’identifier les
compétences qu’il détient dans un répertoire de plusieurs centaines
d’items (langage informatique, technologies, industries, etc.) et de
donner son niveau d’expertise. Le logiciel permet également
d’identifier les disponibilités de chaque consultant et son taux de
facturation.
Quand un chef de projet obtient une mission, il renseigne dans le
logiciel MyScheduling les compétences dont il a besoin sur
une
période donnée en fonction du niveau d’expertise et de la priorité
pour le projet. Le logiciel identifie dans l’ensemble
des bureaux les
individus détenteurs des compétences, leur disponibilité et leur taux
de facturation. Cela permet au chef
de projet de constituer son équipe
en privilégiant les compétences prioritaires tout en tenant compte de
ses contraintes budgétaires.
À la fin du projet, chaque consultant renseigne les compétences
acquises ou améliorées au cours de la mission afin de permettre
une
affectation optimale pour les missions suivantes. Le logiciel
MyScheduling vise à optimiser les affectations sur projets
au sein du
marché interne du travail de l’entreprise.

Un répertoire de compétences permet d’opérationnaliser la nécessaire


cohérence interne entre les pratiques qui constituent
le système de GRH. Le
répertoire permet de décliner des profils de compétences par poste. À partir
de ces profils de compétences,
il est possible de construire une grille
d’évaluation des individus occupant chacun de ces postes. Le répertoire de
compétences
permet également de construire un catalogue de formation
pour acquérir ces compétences et donc de faire des recommandations
individuelles de formation et un plan d’acquisition de compétences au
regard de l’évaluation. Ces profils de compétences servent
aussi de base
aux recrutements pour s’assurer que les candidats détiennent les
compétences recherchées par l’entreprise. Ils
servent également pour la
gestion des carrières pour identifier clairement les compétences à acquérir
pour occuper un nouveau
poste dans le cadre d’une mobilité
professionnelle. Enfin, ils peuvent servir de fondement à une politique de
rémunération
qui rétribue les compétences ou leur acquisition.
Le répertoire des compétences constitue le langage commun qui permet
d’articuler les différentes pratiques de GRH destinées
à un individu. Par
exemple, dans une banque, le profil de compétences d’un gestionnaire de
patrimoine permet de construire
une grille d’évaluation en fonction de la
maturité dans le poste et d’y rattacher des programmes de formation dont
les objectifs
pédagogiques sont en adéquation avec les compétences à
acquérir. Le plan d’action permet au gestionnaire de patrimoine d’acquérir
les savoirs et les savoir-faire dont les carences ont été mises en évidence par
l’évaluation (figure 2.2).

Figure 2.2  – Articulation des pratiques de GRH autour d’un répertoire


des compétences : l’exemple de la fonction « conseiller en patrimoine »

2.3 Les profils d’habileté


L’enjeu en matière de GRH est d’identifier les proximités de compétences
pour organiser des mobilités professionnelles entre
des entreprises et des
secteurs qui détruisent des emplois et des entreprises et des secteurs qui en
créent. Plus les secteurs
d’activité sont de nature éloignée et plus il est
difficile d’identifier les opportunités de mobilité entre ces secteurs.
La
méthode de recrutement par Simulation développée par Pôle Emploi permet
d’élargir les recherches de candidats en privilégiant
le repérage des
capacités nécessaires au poste de travail proposé. Cette méthode sort des
critères habituels de recrutement
que sont l’expérience et le diplôme. En ce
sens, elle constitue une innovation managériale. L’objectif de cette méthode
est
d’identifier les habiletés requises pour tenir un poste et les habiletés
détenues par un individu. Les habiletés constituent
l’ensemble des capacités
nécessaires pour réaliser un travail. Elles sont transférables d’une situation à
une autre. Les habiletés
peuvent donc avoir été développées dans le cadre
professionnel ou en dehors et ne transparaissent pas vraiment dans le CV
du
candidat. La méthode s’appuie sur des exercices de simulation permettant
de mesurer les habiletés des candidats au regard
du poste proposé. Elle
permet d’évaluer des candidats avec des exercices créés sur mesure aux
besoins de l’entreprise. Par
exemple, l’analyse des habiletés a montré que la
dextérité des ouvrières de l’industrie textile était proche de la dextérité
demandée aux salariés dans les usines de fabrication de microprocesseurs.
Cette identification a permis d’envisager des mobilités
professionnelles
d’une industrie déclinante, le textile, vers une industrie créatrice d’emplois,
celle de la fabrication de
microprocesseurs. Depuis 1995, 50 000 personnes
ont été embauchées par cette méthode.  Généralement, ce sont les grandes
entreprises
qui l’utilisent (Airbus, Boeing, PSA, Leroy-Merlin, France
Telecom. Ikea, etc.), mais également des PME.

3 Les intérêts d’une GRH par les compétences


3.1 L’intérêt stratégique de l’employeur
Du point de vue du management stratégique, une GRH basée sur la
gestion des compétences présente plusieurs avantages :
Elle permet d’appuyer les décisions stratégiques sur une analyse en
termes de compétences clés. La théorie des ressources[1] a renouvelé
l’analyse stratégique en inversant la problématique de cette discipline
en affirmant que la stratégie de développement
de l’entreprise n’est pas
uniquement déterminée par les opportunités offertes par
l’environnement concurrentiel mais également
par la qualité des
compétences détenues par l’entreprise. Ce courant d’analyse
stratégique conçoit la firme comme un portefeuille
de compétences et
l’avantage concurrentiel est obtenu par une combinaison inédite de ces
compétences pour générer des innovations.

L’enjeu dans la mise en œuvre de cette conception du management


stratégique réside dans la possibilité de traduire les macro-
compétences
de l’entreprise en des micro-compétences individuelles.
Cette articulation pose des problèmes d’opérationnalisation dans la
mesure où ces compétences sont détenues par les salariés et non pas
directement par l’organisation. Le fait que la GRH s’oriente
vers une
gestion prévisionnelle des compétences et s’interroge plus
particulièrement sur le management des salariés détenteurs
de
compétences stratégiques a favorisé la convergence sémantique entre
décision stratégique et management des ressources humaines[2]. À
travers cette gestion des ressources humaines orientée vers le
management des compétences stratégiques, on assiste à une
opérationnalisation de la nécessaire convergence entre la stratégie
d’entreprise et la GRH.

La nature des compétences détenues par les salariés peut expliquer les
décisions stratégiques des entreprises. Par exemple,
le fait que le
groupe de luxe Richemont décide de fabriquer des montres sous sa
marque de joaillerie Van Cleef and Arpels
a été rendu possible par
l’existence de compétences en horlogerie au sein du groupe à travers
des marques comme Vacheron Constantin,
Jaeger-LeCoultre, IWC ou
Piaget.
Elle permet l’articulation de la dimension organisationnelle et
individuelle pour identifier les compétences rares qui contribuent
à la
réalisation de projets stratégiques (leur absence contrarie la réalisation
de ces projets) et qui sont critiques dans
les processus de production.
Le repérage des experts et des compétences rares est crucial à
l’occasion des départs en retraite
(ou préretraite) car il y a un risque de
perte de savoir faire ou d’expérience qui peut entraîner des
dysfonctionnements dans
l’entreprise. Cet inventaire consiste à
recenser et à localiser les titulaires de compétences rares ou
d’expertises et d’analyser
leur nature et leur « transférabilité ».
Elle permet également d’accroître l’avantage concurrentiel en gérant
de manière spécifique les compétences humaines stratégiques
qui sont
difficilement imitables par la concurrence, et difficilement
substituables par une technologie nouvelle, par un procédé
ou par une
autre compétence.
Dans cette logique d’articulation du management stratégique et de la
gestion des compétences, l’accord de Schneider Electric
de 2008 sur la
«  Gestion Anticipée des Emplois, des Métiers et des Compétences  »
identifie quatre catégories de fonction :
les fonctions stratégiques qui représentent des compétences
stratégiques à maîtriser pour l’entreprise à court et moyen terme ;
les fonctions fragilisées pour lesquelles les compétences doivent
fortement évoluer pour s’adapter aux besoins de l’entreprise ;
les fonctions menacées en matière de devenir, au sens qualitatif et/ou
quantitatif, au regard des évolutions technologiques mises en œuvre ou
en
considération de leur localisation géographique.
les fonctions en tension pour lesquelles l’analyse du marché de
l’emploi externe fait apparaître des difficultés certaines de
recrutement.
La catégorie des compétences détermine les pratiques de GRH,
notamment en matière de recrutement, de formation, de mobilité
interne ou
externe qui leur sont appliquées.

3.2 Les conflits d’intérêts entre l’employeur et les salariés


Cependant, au-delà de l’intérêt stratégique pour la firme, la définition des
compétences individuelles peut induire des conflits
d’intérêts au sein de
l’organisation, notamment si la DRH s’appuie sur ces profils de
compétences pour déterminer sa politique
de rémunération ou de gestion
des carrières. Certaines entreprises ont fait le choix de rémunérer les
compétences de leurs
salariés qu’elles soient mobilisées ou non dans les
activités de travail. Ainsi, une entreprise rémunère les compétences
informatiques
même si le salarié ne les utilise pas sur son poste de travail
mais qu’il pourrait potentiellement les utiliser sur un autre
poste. Lorsque
l’entreprise rémunère ainsi les compétences, l’intérêt pour le salarié est de
déclarer le plus de compétences
possibles pour accroître son salaire.
Inversement, l’intérêt de l’entreprise est de minimiser les compétences pour
réduire
les coûts salariaux. Aussi, si c’est le salarié qui évalue ses
compétences, il y a un risque de surestimation et, si c’est
le manager, un
risque de sous-estimation. Dans les cabinets de conseil en management, ce
sont les consultants qui déclarent
leurs compétences. Ils n’ont pas intérêt à
les surestimer car cela aurait pour eux des conséquences dommageables
s’ils se
révélaient incapables de mettre en œuvre dans le cadre d’un projet
une compétence déclarée. Par exemple, un consultant peut
affirmer
maîtriser un logiciel d’analyse statistique pour réaliser des études de
marché. Si en pratique il se montre incapable
de réaliser de telles études,
alors sa performance au sein du projet s’en ressentira et sa surestimation
sera identifiée par
son manager. Son évaluation de fin de projet s’en
ressentira et cela aura une influence sur sa rémunération et sa promotion.
De manière plus informelle, ce comportement nuira à sa réputation et ses
collègues seront moins enclins à l’associer à leurs
futurs projets.
Plus généralement, informer un salarié qu’il détient des compétences
stratégiques pour l’organisation lui confère un important
pouvoir de
négociation et peut l’inciter à ne pas enseigner ses connaissances à d’autres
salariés afin de préserver ce pouvoir
de négociation. Dans ce cas, les
intérêts du salarié et de l’employeur divergent en matière de gestion des
compétences.

3.3 Les intérêts des salariés en termes de carrière


Une autre dimension importante à prendre en compte dans la gestion
prévisionnelle des RH est les attentes des individus en
matière de mobilité
professionnelle et géographique. Certaines évolutions de carrières
souhaitées par l’employeur peuvent
être désirées par les salariés. Dans ce
cas, la convergence des souhaits facilite la mise en œuvre de la gestion
prévisionnelle.
Par exemple, une entreprise peut souhaiter réduire ses
effectifs en raison d’une baisse structurelle de son activité ; cela
est d’autant
plus facile à mettre en œuvre que des salariés souhaitent partir en préretraite
et sont éligibles à ce type de
programmes. De même, si des salariés sont
désireux de poursuivre une carrière à l’étranger, cela peut s’inscrire dans
une
stratégie d’internationalisation de l’entreprise. Inversement, il peut y
avoir des contradictions entre les aspirations des
individus et les
orientations RH de l’entreprise. La contradiction la plus évidente est lorsque
l’entreprise souhaite réduire
ses effectifs et que les salariés souhaitent
garder leurs emplois. Cette contradiction conduit nécessairement à des
conflits
entre l’employeur et ses salariés.
Il peut également y avoir des contradictions liées à des souhaits de
mobilité professionnelle émis par l’employeur. Par exemple
les banques,
qui ont informatisé leurs processus comptables et financiers, ont souhaité
transférer leurs salariés en sureffectifs
dans les services administratifs vers
des fonctions commerciales dans les réseaux d’agences qui faisaient face à
des sous-effectifs.
Or certains salariés se sont révélés particulièrement
réticents à cette mobilité et ont rendu difficile la mise en œuvre d’une
gestion prévisionnelle des RH qui prévoyait un transfert accompagné d’une
activité à l’autre.
Les entretiens individuels d’évaluation constituent une pratique RH qui
permet d’appréhender les souhaits professionnels des
individus et de les
articuler avec les besoins de l’entreprise à travers la gestion prévisionnelle
des ressources humaines.
Les formulaires d’évaluation de certaines
entreprises prévoient explicitement une rubrique d’expression des
aspirations professionnelles
des salariés afin de les articuler avec les autres
pratiques  de GRH (gestion des carrières, formation, gestion des départs)
permettant ainsi de mettre en œuvre une gestion prévisionnelle qui tienne
compte des motivations des individus.
Les entretiens d’évaluation contribuent d’autant mieux à la gestion
prévisionnelle des RH qu’ils sont découplés des entretiens
d’appréciation de
la performance dans lesquels sont souvent évoquées les questions de
rémunération. Ainsi, en 2008, l’accord
de « Gestion anticipée des emplois,
des métiers et des compétences  » du groupe Schneider Electric prévoit
explicitement un
entretien de compétences et de carrières. Cet entretien
individuel constitue un des éléments essentiels de la gestion individuelle
des emplois et des compétences. Il est dissocié de l’entretien de
performance également réalisé, lequel reste consacré à l’évaluation
des
performances et à la détermination des objectifs annuels. Cet entretien est
donc exclusivement dédié au développement
professionnel et à la
construction des parcours professionnels des salariés.

4 Les facteurs d’évolution de la structure des


ressources humaines de l’entreprise
La structure RH de l’entreprise est porteuse de ses propres mécanismes
d’évolution. Ils sont indépendants des pratiques de
management et ils
influencent la gestion prévisionnelle des RH. Un mécanisme important
d’évolution est celui qui correspond
aux départs des salariés. Les départs
constituent des contraintes pour l’entreprise, notamment en termes de perte
de connaissances
et de non-rentabilisation des coûts de recrutement et de
formation. Ils représentent également des opportunités de gestion
des
ressources humaines en termes de réduction naturelle des effectifs et de
possibilités offertes en matière de gestion de
carrières pour les autres
salariés de l’entreprise. Les départs influencent également les besoins en
recrutement et en formation.
Pour ces raisons, il convient d’anticiper ces
départs pour prévoir des pratiques de GRH d’accompagnement et profiter
des opportunités
de management qu’ils offrent.
Le taux de départs des salariés (ou taux de turnover) se calcule ainsi sur
une période donnée :

Les deux facteurs importants qui influencent le taux de départ,


indépendamment des choix de l’entreprise, sont la pyramide
des âges qui
détermine les départs à la retraite et les démissions des salariés.

4.1 La pyramide des âges et les départs à la retraite


Les départs à la retraite constituent un flux naturel et prévisible
d’évolution des effectifs car ils sont fixés par la législation
du travail. Cela
permet aux entreprises de les anticiper et donc de les gérer. Certains pays
offrent la possibilité aux entreprises
de faire partir leurs salariés en
préretraite à partir d’un certain âge, offrant ainsi un levier de flexibilité en
matière
de GRH. Inversement, l’absence d’âge limite de départ à la retraite
crée des contraintes particulières. Par exemple, dans
les universités
américaines, afin de garder des experts de renommée internationale, il n’y a
pas d’âge limite de départ à
la retraite, la cessation d’activité est au bon
vouloir des professeurs. Cette disposition rend la gestion des départs en
retraite relativement imprévisible car certains chercheurs gardent leur poste
jusqu’à plus de quatre-vingt ans. De plus, cela
a des conséquences sur la
politique de recrutement et de gestion des carrières des professeurs plus
jeunes qui peuvent se
voir bloquer dans leurs promotions.
La structure de la pyramide des âges varie selon les entreprises. Certaines
ont une population de salariés relativement jeunes.
De ce fait, le nombre de
départs en retraite est faible. Inversement, d’autres ont des populations
relativement plus âgées
qui induisent des contraintes et des opportunités
différentes. Le taux de départ à la retraite est déterminé par la pyramide
des
âges et se calcule ainsi :

Par exemple, chez BNP Paribas, en 2010, 8  491 salariés de l’entité


française (soit 19,10 % des effectifs) avaient entre 55
et 59 ans (figure 2.3).
Ils étaient susceptibles de partir en retraite dans les 2 à 6 ans à venir. Ces
départs prévisibles offrent des opportunités
et constituent également des
enjeux en matière de GRH. En termes d’opportunités, ils donnent la
possibilité de réduire de
manière importante les effectifs sans recourir à des
licenciements en ne remplaçant pas les départs à la retraite. Ils offrent
également des opportunités de promotions professionnelles importantes, et
donc de motivation, pour les salariés plus jeunes.
Enfin, ils donnent la
possibilité à l’entreprise de recruter de nouveaux salariés avec des profils
différents pour remplacer
les départs.
Cependant, ces départs constituent un enjeu important si les compétences
des salariés qui partent en retraite ne sont pas
détenues en interne par des
salariés plus jeunes à même de remplacer les retraités ou si ces compétences
ne sont pas disponibles
en externe sur le marché du travail. Dans ce cas,
l’accompagnement des départs en retraite suppose un effort important de
formation et de transfert des connaissances pour accompagner des mobilités
internes et des recrutements.
Figure 2.3  – Pyramide des âges de la BNP Paribas en 2010

La structure de la pyramide des âges est particulièrement déterminante


pour les organisations qui doivent réduire leurs effectifs
sans recourir aux
licenciements économiques pour accompagner une diminution de leur
activité. Les administrations publiques,
dans lesquelles le statut des
fonctionnaires empêche ce type de licenciement, sont fortement concernées
par la structure de
la pyramide des âges lorsqu’elles souhaitent réduire leurs
effectifs.
Par exemple, la création en 1998 de la Banque centrale européenne et de
la monnaie unique a retiré de nombreuses prérogatives
aux banques
nationales et rendu nécessaire une diminution des effectifs de ces
institutions nationales. Concomitamment, de
nouvelles technologies ont
permis des gains de productivité et réduit les besoins en ressources
humaines de ces institutions.
Ainsi, la Banque de France qui comptait
16  570 employés en 2000, n’en employait plus que 12  828 en 2007  ; soit
une baisse
des effectifs de 22,5  % en 7  ans. Cette diminution de 3  742
personnes s’est faite pour l’essentiel à travers des mesures d’âge
liées à des
départs en retraite et en préretraite. En 2000, 19,3  % des employés de la
Banque de France avaient plus de 50
ans, soit 3  198 personnes, et étaient
(ou allaient être rapidement) éligibles à un départ en retraite ou préretraite.
Du fait
de l’évolution de la pyramide des âges, en 2003, les employés ayant
plus de 50 ans représentaient 29,4 % des effectifs (soit
4 575 personnes sur
15 564 employés). De plus, pour réduire les effectifs, des employés ont été
détachés dans des organismes
tels que l’Autorité des marchés financiers, la
Banque centrale européenne et le Fond monétaire international (140
personnes
en 2007). Ainsi, la réduction des effectifs s’est déroulée sans
recourir à des licenciements économiques mais en ne remplaçant
pas la
grande majorité des employés partant en retraite ou en préretraite et en
organisant des mobilités externes.

4.2 Le taux de démission


La démission des salariés est un autre facteur d’évolution de la structure
RH de l’entreprise qui n’est pas vraiment maîtrisé
par l’entreprise. Il se
calcule ainsi sur une période donnée :

Les entreprises connaissent des taux de démission différents. Par


exemple, en 2010, chez le constructeur automobile Peugeot
Citröen, le taux
de démission fut de 1,59  % (2  970 démissions sur un effectif de 186  792
salariés). La même année, Téléperformance,
la première entreprise
mondiale de centres d’appel a connu un taux de démission de 18,79  %
(18 920 salariés ayant démissionné
sur une population de 100 656 salariés).
Ces différences de taux créent des contraintes et des opportunités
différentes en
matière de GRH. Au-delà des statistiques, les démissions sont
relativement difficiles à prévoir. Cependant, cette prévision
est un enjeu en
termes de GRH. Par exemple, Google a développé un algorithme qui lui
permet de prévoir les démissions de ses
salariés en fonction des
caractéristiques des personnes en termes de qualification, de promotion
reçue, de sexe, d’âge et
divers autres éléments.
Certains facteurs peuvent influencer le taux de démission. L’exemple du
taux de démission des cadres de BNP Paribas illustre
deux de ces facteurs.
Le premier est lié aux fusions d’entreprises. Ce type de changement de
structure induit des mécontentements
chez les salariés et des craintes
relatives à la gestion des doublons de postes. Cela se traduit, notamment
chez les cadres,
par une tendance plus élevée à démissionner. Ainsi, en
2000, année de la fusion entre BNP et Paribas, le taux de  démission
des
cadres est passé de 1,7  % (184 démissions) en 2009 à 4,32  %
(490 démissions) l’année suivante (figure 2.4).
Les cycles économiques influencent également les démissions. En période
de croissance, le marché du travail offre plus d’opportunités
d’emploi et les
salariés se sentent plus en confiance pour changer d’entreprise.
Inversement, en période de crise économique,
les opportunités sont moins
nombreuses et les salariés sont plus prudents. Cela se traduit dans le taux de
démission des salariés.
Ainsi, chez BNP Paribas, en 2006 et 2007, avant la
crise financière, quand le secteur bancaire était florissant, les taux
de
démission des cadres étaient de 2,14 % et de 2,35 %. En 2009 et 2010, alors
que le secteur était touché par une crise majeure,
le taux de démission des
cadres a quasiment été divisé par deux puisqu’il fut, pour ces deux années,
respectivement de 1,16 %
et 1,17 % (figure 2.4).
Figure 2.4  – Taux de démission des cadres chez BNP Paribas

Section 2
LES FORMES DE FLEXIBILITÉ

DES RESSOURCES HUMAINES

1 Les configurations de déséquilibre de la


structure RH
Lorsqu’un décalage qualitatif et/ou quantitatif des ressources humaines a
été identifié au regard de l’activité et de la stratégie
de l’entreprise, il
convient pour la DRH de définir les pratiques de GRH qui vont permettre
d’ajuster la structure RH aux
besoins.
Quatre configurations possibles  de décalage entre les besoins et les
ressources humaines sont identifiables :

1.1 Déséquilibre quantitatif structurel avec des besoins


supérieurs aux ressources
Dans ce cas, la croissance structurelle de l’activité implique une
croissance structurelle des effectifs par le recours à
des recrutements.
L’entreprise est essentiellement dans une logique de flexibilité externe pour
acquérir des ressources humaines
sur le marché du travail. L’exemple  de
Google illustre l’augmentation des effectifs liée à l’accroissement de
l’activité de
l’entreprise. En 2001, Google réalisait 86 millions de dollars de
chiffre d’affaires et employait 284 salariés. En 2010, l’entreprise
réalisait
29,321  milliards de dollars de chiffre d’affaires (multiplié par 341 en 10
ans) et employait 24 400 personnes (multiplié
par 86 en 10 ans). De 2001 à
2006, les effectifs ont en moyenne doublé chaque année. En 2010, les
effectifs se sont accrus
de 4 565 salariés ; ce qui représente cette année-là
plus de 200 recrutements par jour ouvrable. Dans ce cas, la gestion
prévisionnelle
a pour objectif de planifier les recrutements et les
acquisitions d’entreprises qui permettent d’accroître les effectifs au
regard
de l’intention stratégique de l’entreprise. Dans ces phases de croissance,
l’enjeu de la prévision des besoins a une
dimension qualitative car les
personnes recrutées doivent être très rapidement capables de prendre
également des fonctions
de managers. La promotion professionnelle des
individus s’articule dans ce cas avec l’expansion de l’organisation.

1.2 Déséquilibre quantitatif structurel avec des besoins


inférieurs aux ressources
Dans ce cas, la diminution structurelle de l’activité implique une baisse
structurelle des effectifs. L’entreprise est également
essentiellement dans
une logique de flexibilité externe des RH pour réduire le nombre d’emplois
en remettant ses salariés
sur le marché du travail. L’exemple  du libraire
américain Borders illustre la baisse structurelle des effectifs liée à une
diminution structurelle de son activité. La distribution de produits culturels
(livres, CD, DVD, etc.) a été profondément
bouleversée par l’utilisation
d’Internet comme canal de distribution et l’apparition de nouveaux acteurs
comme Amazon. Borders
n’a pas intégré cette évolution et son chiffre
d’affaires a connu une baisse importante passant de 3,879  milliards de
dollars
en 2004 à 2,252 milliards en 2010 (– 42 %). Dans ce cas, l’objectif
de la fonction RH est d’accompagner la baisse des effectifs.
Ainsi, les
effectifs de Borders sont passés de 14 800 salariés à temps plein et 17 900
salariés à temps partiel en 2004 à
5 700 salariés à temps plein (– 61 %) et
10 700 salariés à temps partiel (– 40 %) en 2010.

1.3 Un déséquilibre conjoncturel entre les besoins et les


ressources
Dans ce cas, l’entreprise arbitre entre la flexibilité interne et la flexibilité
externe des ressources humaines. Elle peut
recourir à des contrats de travail
précaire (intérimaires, contrats à durée déterminée, stagiaires, sous-
traitants) en période
de forte activité et ne pas renouveler ces contrats en
période de faible activité (flexibilité externe). L’entreprise peut
également
organiser une flexibilité interne par l’annualisation du temps de travail, le
recours aux heures supplémentaires
et la planification des congés de ses
salariés en fonction des besoins de l’activité.

1.4 Déséquilibre qualitatif structurel entre les besoins et les


ressources
Cette configuration est liée à des changements qualitatifs des besoins en
ressources humaines qui entraînent une concomitance
de sureffectifs et de
sous-effectifs au sein de la même organisation. Dans ce cas, l’entreprise
arbitre également entre des
mécanismes de flexibilité interne et de
flexibilité externe. Elle peut se séparer des salariés en sureffectifs et en
recruter
de nouveaux pour ses nouvelles activités (flexibilité externe) ou
articuler la formation et la mobilité professionnelle pour
transférer les
sureffectifs vers les activités en sous-effectifs (flexibilité interne).
Les deux dernières formes de déséquilibres font l’objet d’un réel choix
managérial d’arbitrage entre la flexibilité interne
et la flexibilité externe des
RH.
Deux logiques d’ajustement prévalent donc pour assurer l’ajustement
entre les besoins et les ressources humaines. L’une repose
sur la flexibilité
interne des ressources humaines à partir de l’articulation des pratiques de
formation et de gestion des
carrières. L’autre repose sur la flexibilité externe
des ressources humaines par un recours aux recrutements et aux départs
de
salariés. Le critère qui permet de définir les deux formes de flexibilité est la
continuité du contrat de travail. Une
conclusion et une rupture du contrat de
travail relèvent de la flexibilité externe des ressources humaines. Le
maintien de
la relation contractuelle, notamment dans les phases de baisse
d’activité, correspond à la flexibilité interne des ressources
humaines.

2 La mesure des formes de flexibilité des RH


Face à une évolution conjoncturelle de l’activité, la forme de flexibilité
utilisée par la firme est mesurable par l’élasticité
à l’activité de la
productivité moyenne des salariés et par l’élasticité à l’activité de l’emploi.
En effet, pour répondre
à une variation de l’activité, soit la firme fait varier
la productivité des salariés à la hausse ou à la baisse, dans ce
cas elle
recourt à la flexibilité interne ; soit elle fait varier le nombre d’emplois en
licenciant ou en recrutant pour répondre
à l’évolution de l’activité. Dans ce
cas, elle utilise la flexibilité externe des ressources humaines.
Les entreprises sont rarement dans un modèle pur de flexibilité interne ou
de flexibilité externe. En général, au sein d’une
même organisation
coexistent les deux mécanismes d’ajustement. En revanche, une entreprise
peut privilégier un mécanisme plutôt
qu’un autre. Ainsi, si l’élasticité de
l’emploi est supérieure à celle de la productivité moyenne des salariés, on
peut en
déduire que l’entreprise privilégie la flexibilité externe des
ressources humaines. Par contre, si c’est l’élasticité de la
productivité
moyenne des salariés qui est la plus importante, alors l’entreprise s’appuie
plus sur la flexibilité interne
pour ajuster ses besoins et ses ressources.

2.1 Mesure de la flexibilité interne


L’élasticité à l’activité de la productivité moyenne des salariés (ePS)
mesure l’usage de la flexibilité interne comme modalité
d’ajustement de
court terme aux variations de l’activité :
PS est la productivité moyenne des salariés (soit CA/nombre de salariés).
CA est le chiffre d’affaires de l’entreprise.
Si l’élasticité à l’activité de la productivité moyenne des salariés est
proche de  1, alors l’entreprise recourt à la flexibilité
interne comme
modalité d’ajustement à court terme des ressources humaines aux besoins.
Dans ce cas, pour répondre aux variations
de son activité, à la hausse
comme à la baisse, l’entreprise demande à ses salariés de faire varier leur
productivité. Dans
les deux cas, le nombre d’emplois reste constant.
Inversement, si ce coefficient est proche de 0, alors il y a une inélasticité
de
la productivité des salariés aux variations d’activité.

Cas d’entreprise
Le groupe Swatch et la flexibilité interne des ressources humaines
En 2009, le groupe Swatch, entreprise horlogère, a connu une baisse
de 9,14 % de son activité. L’entreprise a favorisé la
flexibilité interne
pour ajuster les ressources humaines en licenciant peu de salariés
puisque le nombre d’emplois n’a baissé
que de 542 personnes (–
  2.23  % des effectifs). L’élasticité à l’activité de l’emploi fut faible
(0,24). En revanche, la productivité
du travail a fortement chuté de –
 7.06 %. L’élasticité à l’activité de la productivité moyenne des salariés
fut élevée (0,77).
En 2010, pour répondre à la forte croissance de son chiffre d’affaires
(+  18,8  %), l’entreprise s’est appuyée sur l’accroissement
de la
productivité du travail (+  16,28  %). L’élasticité à l’activité de la
productivité moyenne des salariés fut élevée (0,87).
En revanche, elle a
peu recouru à la création d’emplois puisque seuls 513 salariés ont été
recrutés (+  2,16  % des effectifs),
soit une élasticité à l’activité de
l’emploi de 0,12.
2.2 Mesure de la flexibilité externe
L’élasticité à l’activité de l’emploi (eE) mesure l’usage de la flexibilité
externe comme modalité d’ajustement à court terme
aux variations de
l’activité.

E est le nombre de salariés de l’entreprise ;


CA est le chiffre d’affaires de l’entreprise.
Si l’élasticité à l’activité de l’emploi est proche de 1, alors l’entreprise
recourt à la flexibilité externe pour ajuster
ses ressources humaines à ses
besoins. Cela signifie que l’entreprise recrute pour répondre à une hausse de
son activité et
licencie pour faire face à une diminution. Dans les deux cas,
la productivité moyenne des salariés reste constante. Inversement,
si ce
coefficient est proche de 0, alors il y a inélasticité de l’emploi aux variations
de l’activité.

Cas d’entreprise
Legrand et la flexibilité externe des ressources humaines
Legrand est un des leaders mondiaux des produits et systèmes pour
installations électroniques et réseaux d’information. En
2009,
l’entreprise a connu une baisse de son activité de –  14,87  %.
L’ajustement des ressources humaines s’est essentiellement
fait par la
réduction du nombre d’emplois et le départ de 5  202 personnes (–
 14,94 %), soit une élasticité à l’activité de
l’emploi de 1. Inversement,
la productivité moyenne des salariés est restée stable (0,08 %), soit une
élasticité à l’activité
de la productivité moyenne des salariés de – 0,01.
Ce qui correspond à une situation d’inélasticité presque parfaite.
En 2010, pour répondre à une hausse de 8,75  % de son chiffre
d’affaires, Legrand a pour l’essentiel recouru à l’accroissement
du
nombre d’emplois en recrutant 1  777 personnes (6  % des effectifs),
soit une élasticité à l’activité de l’emploi de 0,69.
L’accroissement de
la productivité des salariés fut faible (+  2,60  %), soit une élasticité à
l’activité de la productivité
moyenne des salariés de 0,30.

Ainsi, deux entreprises industrielles, Swatch Group et Legrand, utilisent


des mécanismes différents de flexibilité des ressources
humaines pour
répondre aux variations conjoncturelles de leur activité. L’explication de ces
choix de GRH est liée au degré
de spécificité[3] des ressources humaines
mobilisées par ces entreprises. Swatch Group emploie des compétences
d’ouvriers horlogers très qualifiés
qui nécessitent trois à quatre ans de
formation. Ce haut niveau de qualification se traduit dans la rémunération
moyenne élevée
des salariés de l’entreprise (en 2010, le coût annuel moyen
par salarié chez Swatch  est de 58  200  euros). Ces compétences
sont rares
sur le marché du travail et spécifiques à l’activité de l’organisation. De ce
fait, l’entreprise investit dans
la formation de ces ouvriers. Licencier ces
derniers lors d’une baisse conjoncturelle d’activité remettrait en cause la
rentabilisation
des investissements en formation. De plus ces salariés
licenciés seraient difficiles à recruter à nouveau en cas de reprise
de
l’activité. Cela s’explique parce qu’ils auront retrouvé un autre emploi dans
une autre entreprise ou parce qu’ils seront
réticents à retravailler pour un
employeur les ayant licenciés par le passé. Pour ces raisons, Swatch Group
privilégie la
flexibilité interne des ressources humaines pour faire face aux
variations conjoncturelles de son activité en acceptant une
baisse de la
productivité des salariés à court terme pour ne pas handicaper la croissance
future de l’activité à cause d’une
pénurie de compétences.
Inversement, Legrand emploie des salariés peu qualifiés du fait de la forte
parcellisation de son processus de production
qui lui permet de recourir à
des compétences génériques largement disponibles sur le marché du travail.
Ce faible niveau de
qualification se traduit par la faible rémunération
moyenne des salariés de l’entreprise (En 2010, le coût annuel moyen par
salarié chez Legrand est de 31 200 euros). Cette faible qualification permet
à l’entreprise de ne pas avoir à faire d’importants
investissements en
formation et d’utiliser des travailleurs fortement interchangeables. Ainsi, en
cas de baisse d’activité,
l’entreprise peut licencier sans se préoccuper de
rentabiliser ses investissements en formation. Inversement, en période
d’accroissement
d’activité, la faible spécificité des emplois liés à son
processus de production permet à l’entreprise de recruter des salariés
sur le
marché du travail pour répondre à la demande. L’absence de spécificité des
ressources humaines permet à l’entreprise
de recourir à la flexibilité externe
pour préserver sa rentabilité à court terme sans hypothéquer sa capacité
d’accroître
sa production à moyen terme.
Il y a donc un arbitrage à faire entre la flexibilité interne et la flexibilité
externe des ressources humaines. Cet arbitrage
est déterminé par le degré de
spécificité des compétences mobilisées et par les coûts financiers induits
par les différentes
modalités d’ajustement.

3 Les pratiques RH de la flexibilité interne


3.1 Les formes conjoncturelles de flexibilité interne des RH
L’objectif de la flexibilité interne est de maintenir le contrat de travail
avec le salarié plutôt que de le rompre quand
l’activité de l’entreprise
baisse. Cette forme de flexibilité représente une charge financière à court
terme pour l’entreprise
car elle doit rémunérer un salarié alors que ce
dernier produit moins en raison d’une baisse conjoncturelle de l’activité.
Cependant plusieurs raisons militent pour un maintien du contrat de travail.
La première est liée à la spécificité des compétences
précédemment
évoquée. Si l’entreprise a dû former ses salariés aux spécificités de ses
produits et/ou de son processus de
production, non seulement, si elle les
licencie, l’entreprise ne rentabilise pas ses investissements en formation,
mais en
cas de reprise de l’activité, elle devra à nouveau former des
salariés. Si à court terme, il est financièrement justifiable
de licencier en cas
de baisse d’activité, à moyen terme, si les compétences sont spécifiques, il
est préférable de maintenir
la relation salariale.
La seconde raison qui milite en faveur du maintien du contrat de travail
est liée à l’implication des salariés et à l’attractivité
de l’entreprise. Une
organisation qui licencie ses salariés à la moindre variation conjoncturelle
d’activité ne peut pas attendre
une implication de long terme de la part de
ses salariés. De plus, elle acquiert une mauvaise réputation sur le marché du
travail qui conduit les candidats potentiels à s’en détourner au profit
d’autres employeurs. Inversement, une entreprise qui
fait des efforts,
notamment financiers, pour préserver le contrat de travail en période de
baisse conjoncturelle d’activité
suscite une plus grande implication de la
part de ses salariés et est plus attractive pour des candidats potentiels. Enfin,
les pratiques de flexibilité interne correspondent à des pratiques socialement
responsables qui contribuent à l’image sociale
de l’entreprise.
La recherche de flexibilité interne conduit parfois les entreprises à mettre
en œuvre de réelles innovations managériales
pour assurer l’ajustement
entre leurs besoins et leurs ressources humaines sans rompre la relation
contractuelle avec le salarié.
■ Les pratiques de flexibilité interne pour accompagner une hausse
conjoncturelle de l’activité
La variation à la hausse de la productivité des salariés peut
permettre de faire face à une augmentation de l’activité de l’entreprise.
Par exemple, au moment des pics d’activité
dans les supermarchés, les
caissières peuvent accélérer leur vitesse d’enregistrement des achats
des clients. La question
reste de savoir quel système incitatif
l’entreprise propose à ses salariés pour qu’ils accroissent leur
productivité.
Les entreprises peuvent également recourir aux heures
supplémentaires pour accroître leur production. Dans ce cas, les
mêmes salariés travaillent plus longtemps. L’avantage de cette solution
est que les salariés connaissent déjà le processus de production. Il n’y a
donc pas de perte de productivité liée à un éventuel
temps
d’apprentissage comme cela peut être le cas lors d’un recours à des
travailleurs intérimaires. Par exemple, en 2010,
le chiffre d’affaires du
groupe Peugeot-Citroën a augmenté de 15,79 %, cela s’est traduit par
une hausse de 40,66 % des heures
supplémentaires qui sont passées de
2,903 millions d’heures en 2009 à 4,083 millions en 2010. Les limites
de cette pratique
sont que les heures supplémentaires sont souvent
légalement majorées, ce qui en accroît le coût. De plus, le nombre
maximal
d’heures qu’un salarié peut effectuer par jour ou par semaine
est limité par la loi.
L’annualisation du temps de travail permet de répartir les charges de
travail hebdomadaires en fonction de l’évolution conjoncturelle de
l’activité avec des
semaines de travail maximales en période de forte
activité (et des semaines de travail minimales en période de faible
activité).
En France, la semaine maximale de travail est fixée à
48  heures et la durée annuelle à 1  607 heures. L’entreprise et ses
salariés
peuvent convenir que la rémunération mensuelle reste
constante et ne soit pas ajustée au nombre d’heures travaillées durant
le mois afin de stabiliser les revenus des salariés en les décorrélant de
leur activité productive.
La mobilité fonctionnelle interne temporaire consiste à
ponctuellement mobiliser des salariés pour d’autres activités. Ainsi,
notamment dans les PME, les salariés des
services fonctionnels
(comptabilité, RH, etc.) peuvent venir aider les salariés opérationnels
en période de pic d’activité
(inventaire des stocks, soldes ou
préparation de commandes importantes).
Souvent les entreprises recourent simultanément aux différentes formes
de flexibilité interne. Par exemple, les hôtels situés
dans les stations
balnéaires connaissent en général de forte variation d’activité. Ainsi, tel
palace de Cannes sur la Côte
d’Azur connaît un taux de remplissage des
chambres qui fluctue dans l’année de 5  % à 10  % en janvier à 100  %
pendant la période
estivale. Il convient d’autant plus d’ajuster les ressources
humaines au volume d’activité que la masse salariale représente
plus de
50  % des coûts opérationnels. L’entreprise emploie 175  salariés en CDI
(contrat à durée indéterminée). Pour ajuster
ses ressources humaines à ses
besoins dans une logique de flexibilité interne, l’entreprise a convenu avec
ses salariés que
ces derniers prennent leurs vacances lors des périodes de
faible activité en janvier, février et novembre. De plus, ils ont
convenu d’un
accord d’annualisation du temps de travail qui prévoit des semaines de
travail de 30 heures en période de faible
activité et de 44 heures en période
de forte activité. Les actions de formation des salariés et les activités de
maintenance
du palace sont prévues lors des périodes de faible activité. De
plus, l’entreprise recourt aux heures supplémentaires pour
faire face aux
pics de remplissage de l’hôtel. Enfin, en cas d’extrême urgence pour des
événements exceptionnels (festival
de Cannes, sommet de dirigeants
politiques, etc.), l’entreprise met en œuvre une flexibilité fonctionnelle en
demandant à
ses salariés d’occuper ponctuellement d’autres fonctions.
Ainsi, la responsable ressources humaines de l’hôtel a occupé les
fonctions
de réceptionniste lors d’une soirée événementielle et des femmes de
ménage ont effectué le service pour le dîner.

■ Les pratiques de flexibilité interne pour accompagner une baisse


conjoncturelle de l’activité
L’entreprise peut dans un premier temps ajuster son activité par
une augmentation de ses stocks pour faire face à une baisse
conjoncturelle de la demande. Dans ce cas, le nombre et la productivité
des salariés restent
stables. Cette solution suppose que la production
soit « stockable ». Elle est donc plus adaptée aux activités industrielles
qu’aux activités de services qui ne sont, par nature, pas stockables (par
exemple, on ne peut pas stocker une nuit d’hôtel,
un billet d’avion ou
un ticket de cinéma invendu à une date donnée pour la revendre à une
autre date).
La variation à la baisse de la productivité des salariés. Cette
solution est notamment adaptée aux activités de services. Dans ce cas,
l’entreprise maintient le nombre de salariés
et accepte une baisse de
leur productivité. La grande distribution illustre cette pratique en ce
qui concerne la productivité
des emplois de caissières. Même si ces
entreprises s’efforcent d’ajuster au mieux les besoins humains aux
ressources, les
flux de clients ne sont pas parfaitement prévisibles et
parfois il y a des baisses temporaires de productivité des caissières
liées à des diminutions imprévues d’activité. De même dans les
activités de services intenses en connaissances (cabinet d’avocats,
sociétés de conseil, sociétés de services informatiques, entreprises de
publicité, etc.), la productivité des salariés est
une variable
d’ajustement avec une forte baisse dans les périodes d’inter-contrats.
La réduction des heures supplémentaires permet également
d’ajuster les ressources humaines aux besoins de l’activité. Certaines
entreprises, notamment dans le secteur
automobile, systématisent le
recours aux heures supplémentaires comme mécanismes de flexibilité
interne. Entre  2007 et  2009,
le groupe Peugeot-Citroën a connu une
baisse de 11,4  % de son chiffre d’affaires. Cela s’est traduit par une
baisse de 45,21  %
des heures supplémentaires effectuées par les
salariés de l’entreprise. Le nombre d’heures est passé de
5,299 millions en
2007 à 2,903 millions en 2009. L’intérêt du recours
aux heures supplémentaires est qu’elles assurent la continuité du
contrat
de travail et donc cela permet de garder les compétences
humaines spécifiques au sein de l’organisation tout en permettant
de
réduire la masse salariale.
La diminution de la durée des semaines de travail, notamment
quand cela est prévu dans un accord d’aménagement du temps de
travail, permet d’ajuster les ressources humaines
à une baisse de
l’activité dans le cadre d’une annualisation du temps de travail.
La mobilité fonctionnelle. Dans ce cas, les entreprises occupent les
salariés à des activités autres que leur activité principale. Cela peut être
des
activités de maintenance, de nettoyage ou de formation. Ainsi,
Toyota envoie ses salariés en formation lors des périodes de
baisse
d’activité. Les sociétés de conseil utilisent leurs consultants sur des
projets internes quand le nombre de missions
pour des clients diminue
et entraîne de l’inactivité.
La mobilité géographique entre sites de production. Les sociétés de
services informatiques organisent la mobilité internationale de leurs
informaticiens en fonction de l’activité
dans les pays. Dans l’industrie
du tourisme, certaines entreprises multi-sites avec des périodes
d’activité complémentaires
peuvent utiliser des contrats à durée
indéterminée pour un même salarié qui est mobile entre les sites plutôt
que des contrats
saisonniers avec plusieurs salariés. Par exemple un
groupe hôtelier implanté dans des stations de skis et dans des stations
balnéaires peut employer un salarié en CDI. Le salarié pourra, par
exemple, être moniteur de ski durant l’hiver et moniteur
de voile
pendant l’été. Dans le secteur automobile, l’accord de GPEC signé
chez Renault en 2010 prévoit que «  Dans un contexte
de fortes
variations d’activité au sein d’une même usine, mais également une
activité contrastée d’un établissement à l’autre,
un processus de
détachement inter-sites industriels de personnels a été mis en place qui
permet à un salarié de travailler
de manière provisoire dans un site
autre que le sien ».
La prise de congés par les salariés constitue une forme de flexibilité
interne. Ainsi, dans l’industrie hôtelière, les salariés sont incités à
prendre leurs
vacances hors des périodes de forte activité. Cette option
peut aussi prendre la forme de congés sabbatiques. Ces congés non
rémunérés qui permettent de revenir dans l’entreprise au terme du
congé peuvent permettre, comme prévu par l’accord de GPEC
de 2010
signé chez Renault, de créer une entreprise pendant une période de
deux ans ou, pendant un an, de participer à une
mission humanitaire ou
de participer à un projet de mécénat de compétences. Il n’y a pas
rupture du contrat de travail mais
suspension du contrat de travail.
L’intérêt pour les entreprises est de réduire les coûts salariaux en
période de baisse d’activité
et aux salariés qui le souhaitent de mener
temporairement une autre activité avec la possibilité de revenir dans
l’entreprise.
Le chômage partiel avec le soutien des pouvoirs publics. En cas de
chômage partiel, les salariés ne sont pas rémunérés par l’entreprise. En
revanche, les pouvoirs publics versent une allocation qui maintient
partiellement la rémunération du salarié. Ce dispositif,
légalement
encadré, permet à l’entreprise de maintenir la relation contractuelle
avec ses salariés tout en réduisant ses coûts
salariaux. Cela lui permet
de remobiliser les ressources humaines qualifiées nécessaires lorsque
l’activité reprend  ; ce qui
ne serait pas possible si l’entreprise avait
licencié ces mêmes salariés. Ainsi, au dernier trimestre 2008,
l’entreprise Renault
a connu une baisse de 20  % de sa production en
Europe. Cela a conduit l’entreprise à fermer plusieurs sites de
production
et à mettre de nombreux ouvriers en chômage partiel.
Le prêt de main-d’œuvre à d’autres entreprises. Cela suppose une
baisse d’activité de l’entreprise prêteuse et une hausse d’activité de
l’entreprise emprunteuse  ainsi qu’une
«  transférabilité des
compétences  » des salariés prêtés. La rémunération du salarié peut
rester à la charge de l’entreprise
qui le détache ou peut être prise en
charge par l’entreprise qui le recrute. Par exemple, en 2009, Soitec,
une société de
fabrication de matériaux semi-conducteurs de la région
de Grenoble, a prêté pour une période de dix-huit mois une
cinquantaine
de salariés au Centre de l’énergie atomique de Grenoble.
La même année, dans une phase de crise de l’industrie automobile,
l’équipementier automobile ardéchois Inoplast a prêté pendant
quelques mois une centaine de salariés à Iribus-Iveco, un constructeur
de bus qui venait de recevoir une commande importante de la RATP.
Le groupement d’employeurs. Si plusieurs entreprises connaissent
des saisonnalités complémentaires, le groupement d’employeurs peut
leur permettre de
recruter des salariés en contrat à durée indéterminée
mais employés par plusieurs entreprises à des périodes différentes.
Une
personne peut par exemple être mise à disposition d’une entreprise
agroalimentaire de février à septembre durant les périodes
de
conditionnement des récoltes agricoles et d’une entreprise de
distribution d’octobre à janvier pour faire face à l’accroissement
d’activité de fin d’année.

Focus
Innovation managériale :

organiser l’agilité organisationnelle


En 2010, Le groupe Peugeot Citroën a signé un accord relatif à
l’emploi et la flexibilité dans ses sites industriels. Le préambule
de
l’accord stipule que «  L’adaptation aux variations de la demande
constitue un élément clé de la compétitivité recherchée.
Ces
variations peuvent atteindre plus ou moins 20 % dans la même année,
avec des effets saisonniers. D’autres variations résultent
des cycles de
vie des produits qui, tout au long de leur existence sont fabriqués à
des cadences journalières non constantes ».
Pour accroître la flexibilité interne des RH, l’entreprise a mis en
place des «  équipes de nuit réduite et variable  » sur
ses sites de
production. Les usines emploient deux équipes. L’idée est de rajouter
une équipe de nuit sur la base de contrats
de travail à temps partiel
aménagé. Les salariés sont affectés dans l’équipe de nuit variable sur
la base du volontariat.
La durée du travail s’apprécie sur une période
de référence de 12 mois. La durée hebdomadaire de référence ne peut
être inférieure
à 22  heures. Le temps de travail hebdomadaire peut
varier entre zéro heure (semaine non travaillée) jusqu’aux limites
maximales
conventionnelles (40 heures) avec une durée plancher de
4  heures par séance travaillée. Les heures complémentaires peuvent
atteindre au maximum 20 % du volume horaire contractuel.
Il est donné aux salariés un prévisionnel indicatif sur le programme
annuel de production et ses fluctuations, ainsi que sur
la répartition
de la durée du travail sur la période. La précision du programme
indicatif de production est affinée chaque
mois avec une vision d’un
mois ferme et de deux mois prévisionnels. À l’issue de la période de
référence, si l’horaire moyen
hebdomadaire effectivement réalisé est
supérieur à l’horaire moyen hebdomadaire contractuel, le salarié
bénéficie du paiement
des heures complémentaires ainsi effectuées.
Si le volume horaire moyen hebdomadaire est inférieur au volume
horaire moyen
hebdomadaire contractuel, le salarié conserve le
bénéfice de la garantie du paiement de sa rémunération sur la base de
l’horaire
contractuel. L’entreprise se construit ainsi une réserve de
flexibilité interne qui lui permet de faire preuve d’agilité à
court
terme en cas de variation imprévisible de l’activité.

3.2 Les formes structurelles de flexibilité interne des RH


Les entreprises font parfois face à des déséquilibres structurels entre leurs
ressources humaines et leurs besoins. La flexibilité
interne structurelle
s’applique lorsque ce déséquilibre structurel est d’ordre qualitatif. Elle
constitue une alternative
à la flexibilité externe qui, elle, consiste à licencier
les salariés en sureffectifs et à recruter pour les activités en
développement.
Cette forme de flexibilité est particulièrement adaptée aux grandes
entreprises qui connaissent simultanément
une baisse structurelle de leurs
besoins en ressources humaines pour certaines activités et un accroissement
de leurs besoins
dans d’autres. Cette concomitance ouvre des possibilités de
mobilité interne des salariés entre les activités en déclin et
celles qui sont en
croissance. Cette modalité d’ajustement dépend du degré de transférabilité
des salariés, des investissements
en formation que l’entreprise est prête à
consentir et des souhaits des salariés en termes de mobilité professionnelle.
Dans les années quatre-vingt-dix, les banques furent dans cette situation
de concomitance de sureffectifs dans certaines activités
et de sous-effectifs
dans d’autres[4]. Au cours des années quatre-vingt, les établissements
financiers ont connu deux changements importants qui ont entraîné des
sureffectifs administratifs conséquents. Le premier est lié à la
dématérialisation des titres financiers (obligations, actions,
etc.) qui ont
rendu obsolètes les compétences des employés en charge de la gestion
administratives de ces activités. Le second
est lié à l’informatisation des
activités bancaires de back-office, comme la comptabilité, et de front office
comme l’encaissement des chèques, la distribution de la monnaie ou les
renseignements aux clients. Parallèlement, les choix
stratégiques de
développement des activités de distribution de produits et de services
financiers générateurs de commissions
(cartes bleues, contrats d’assurance,
produits d’épargne, etc.) ont créé des sous-effectifs commerciaux dans les
réseaux d’agences.
La concomitance de sureffectifs administratifs, emplois
plutôt déqualifiés, et de sous-effectifs commerciaux, emplois plutôt
qualifiés, pouvait se solutionner par la flexibilité externe en licenciant les
salariés aux compétences administratives obsolètes
et en recrutant des
salariés dotés de compétences commerciales. Cela pouvait aussi se résoudre
par la flexibilité interne
des RH en articulant la formation et la mobilité
professionnelle des salariés en sureffectifs vers les emplois en sous-
effectifs.
Figure 2.5  – Évolution de la structure des qualifications à la Société
Générale

L’exemple de la Société Générale illustre les mécanismes de flexibilité


interne pour ajuster un déséquilibre qualitatif structurel
des ressources
humaines. En 1978, la Société Générale comptait en France 33 385 salariés.
En 1999, les effectifs avaient baissé
de 28  % pour atteindre 26  083
personnes. Au-delà de la baisse quantitative des effectifs, ce qui est le plus
marquant est
l’évolution qualitative de la structure RH de l’entreprise.
Ainsi, en 1978, la catégorie des «  employés  », en charge des tâches
administratives de back-office et de front-office, était constituée de 14  715
salariés et représentait 44,08  % des effectifs. En 1999, cette catégorie
d’emplois a disparu
de l’entreprise du fait de l’informatisation des
processus administratifs. Parallèlement, les niveaux de qualification se
sont
élevés puisque la population « cadres » est passée de 4719 à 8969 (+ 90 %).
Elle représentait 14,14  % des effectifs en
1978 et 34,39  % en 1999. De
même, la population de «  Gradés  » est passée de 13  951 à 17  114
(+ 22,7 %). Elle représentait
41,79 % des effectifs en 1978 et 65,61 % en
1999 (figure 2.5). Cette évolution de la structure RH s’est fortement
appuyée sur une logique de flexibilité interne. La disparition entre  1978
et  1999 de 7  302 postes d’employés ne s’explique qu’à 2,78  % par des
licenciements économiques (203 personnes). Sur la même
période, les
1 812 départs en retraite expliquent 24,8 % de la baisse de cette population
et les promotions internes d’employés
vers des postes de gradés (5  287
personnes) expliquent 72,4 % de la disparition des postes d’employés.
En ce qui concerne l’accroissement de la population de « cadres », dans
un premier temps, de 1978 à 1986, celui-ci a été le
fait d’une augmentation
du nombre de promotions internes du statut de «  gradés  » à celui de
«  cadres  » et très peu par des
recrutements externes. C’est seulement à
partir de la fin des années  1980 que les recrutements sont devenus le
principal vecteur
d’accroissement de la population des cadres (figure 2.6).

Figure 2.6  – Origine des cadres de la Société Générale

La flexibilité interne structurelle induit des investissements importants en


formation. Aussi, à la Société Générale, la mobilité
professionnelle et les
promotions se sont accompagnées d’investissements conséquents en
formation. À la fin des années 1970,
le nombre d’heures de formation par
salarié était d’une trentaine par an. Il a augmenté progressivement pour
atteindre 50 heures
par an en 1994. Il a ensuite décliné, marquant la fin de
la flexibilité interne pour réguler les sureffectifs administratifs
(figure 2.7).

Figure 2.7  – Heures de formation par salariés à la Société Générale

4 Les pratiques RH de la flexibilité externe


D’un point de vue légal, la flexibilité externe des ressources humaines
s’appréhende à partir de la création et de la rupture
d’une relation de travail
contractualisée à durée indéterminée entre l’entreprise et les individus. Tout
comme pour les pratiques
de flexibilité interne, certaines pratiques de
flexibilité externe sont classiques et d’autres plus originales. Dans leur
recherche de flexibilité externe, notamment pour faire face à des baisses
d’activité parfois difficilement prévisibles, les
entreprises conçoivent des
innovations managériales qui, dans certains cas, les conduisent aux limites
de la légalité et,
quelques fois, à les franchir comme le montrent les
nombreux procès en matière de droit du travail liés au recours aux emplois
illégaux.
Le choix entre les formes de flexibilité est déterminé par les coûts
financiers qu’elles représentent pour l’employeur. Pour
la flexibilité externe
des RH, ces coûts sont d’origine économique en raison des
dysfonctionnements qu’ils induisent dans
l’organisation, d’origine légale du
fait des indemnités à verser de par la loi aux salariés licenciés et d’origine
socio-politique
en fonction de la capacité des acteurs impliqués (salariés,
syndicats et, parfois pouvoirs publics) pour obtenir des compensations
lors
de la rupture du contrat de travail.

4.1 Les formes conjoncturelles de la flexibilité externe des RH


■ Le recrutement de salariés en contrat à durée déterminée (CDD)
Le recrutement de salariés en contrat à durée déterminée est une pratique
RH relevant de la flexibilité externe. Cela consiste
pour l’entreprise à nouer
un contrat de travail pour une durée déterminée par un besoin conjoncturel
lié à son activité (accroissement
ponctuel de l’activité de production,
informatisation d’un service, action de formation, etc.). La conclusion d’un
CDD n’est
possible que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire
et seulement dans les cas énumérés par la loi. En 2009, l’Insee
recensait en
France 1,819 million de CDD (dont 628 000 dans la fonction publique), soit
7 % de la population active occupée.
Quel que soit le motif pour lequel il est conclu, un CDD ne peut avoir ni
pour objet, ni pour effet, de pourvoir durablement
un emploi lié à l’activité
normale et permanente de l’entreprise. Le cadre légal de ce type de contrat
varie en fonction des
pays et des secteurs d’activité. Ainsi en France, la loi
prévoit la durée maximale et le nombre de fois qu’un CDD peut être
renouvelé sur un même poste de travail. Dans le secteur touristique, les
entreprises peuvent recourir aux CDD saisonniers
qui sont renouvelables
d’année en année. Pour contourner la contrainte du non-renouvellement, les
entreprises renouvellent
parfois les CDD des salariés en modifiant le
contenu du poste pour respecter le cadre législatif de non-renouvellements
récurrents
des contrats sur un même poste de travail. Cette pratique, qui
enfreint la loi, donne régulièrement lieu à des condamnations
par les
tribunaux. Il y a des exemples de salariés qui ont été en toute illégalité
employés pendant plus d’une dizaine d’années
en CDD dans la même
entreprise.
Le recours aux contrats de travail à durée déterminée constitue une forme
de flexibilité externe qui permet de faire face
à des variations à la hausse et
à la baisse de l’activité. Ainsi, lorsque le constructeur automobile Peugeot
Citroën a dû
faire face à la baisse de 11,4 % de son chiffre d’affaires entre
2007 (54,6 milliards d’euros) et 2009 (48,4 milliards d’euros),
l’entreprise a
fortement réduit le nombre de salariés en CDD. Ce chiffre est passé de
15 880 en 2007 à 10 055 en 2009 (soit
une baisse de 36,6 %). La reprise de
l’activité en 2010 de + 15,8 % s’est traduite par une hausse du nombre de
salariés en
CDD qui a atteint le chiffre de 14 720 (+ 46,39 %).
Une limite du recours aux CDD est liée à la prévisibilité relative de
l’activité. Aussi, pour bénéficier d’un cadre législatif
permettant des CDD
plus flexibles, plusieurs entreprises, notamment les sociétés de services
informatiques et les sociétés
de conseil, dont les coûts salariaux sont une
composante importante des coûts opérationnels, ont milité pour la mise en
place
de CDD de projet, c’est-à-dire de contrats de travail dont la durée est
déterminée par la durée du projet sur lequel est affecté
le salarié. En France,
elles ont obtenu gain de cause car la loi n°  2008-596 «  portant sur la
modernisation du marché du travail  »
prévoit désormais qu’un CDD dont
l’échéance est la réalisation d’un objet défini, d’une durée minimale de 18
mois et maximale
de 36 mois, peut être conclu pour le recrutement
d’ingénieurs et de cadres.

■ Le recrutement de travailleurs intérimaires


Le recours à des travailleurs intérimaires constitue également une forme
de flexibilité externe des ressources humaines. Dans
ce cas, le contrat de
travail n’est pas entre le salarié et l’entreprise utilisatrice mais entre le
salarié et l’entreprise
de travail temporaire, cette dernière met le salarié à
disposition de l’entreprise utilisatrice. En 2010, selon la Dares,
on recensait
en France 527 000 travailleurs intérimaires en équivalent temps plein, soit
3 % de la population active occupée.
En France, légalement, il ne peut être fait appel à des travailleurs
temporaires que pour des tâches non durables dénommées
missions, et dans
les seuls cas prévus par la loi. Le contrat de travail temporaire, quel que soit
son motif, ne peut avoir
ni pour objet ni pour effet de pourvoir un emploi lié
à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Il permet à l’entreprise
utilisatrice de faire face à un accroissement temporaire d’activité. Dans ce
cas, le recours à des salariés intérimaires ne
peut être autorisé que pour les
besoins d’une ou plusieurs tâches résultant du seul accroissement
temporaire de l’activité
de l’entreprise, notamment en cas de variations
cycliques de production, et non en cas d’accroissement durable de l’activité.
Ainsi, légalement, le recours au travail temporaire n’est pas justifié
lorsqu’une usine se lance dans la mise au point et
le lancement de la
production d’un nouveau produit car il s’agit là d’un accroissement durable
et constant de l’activité de
l’entreprise. Cette situation est différente en
Suisse où les entreprises peuvent légalement employer des personnes de
manière
indéterminée pour un même poste sous le statut de travailleur
intérimaire et cela pendant plusieurs années.
Pour reprendre l’exemple du constructeur automobile Peugeot Citroën,
qui a dû faire face à la baisse de 11,4 % de son chiffre
d’affaires entre 2007
et 2009, l’entreprise a durant cette période fortement réduit dans ses usines
le nombre des salariés
d’entreprises de travail temporaire. Entre ces deux
dates, le chiffre d’intérimaires est passé de 15  905 à 11  360 (baisse
de
28,5 %). La reprise de l’activité en 2010 de + 15,8 % du chiffre d’affaires
s’est traduite par une hausse du nombre de
salariés d’entreprises de travail
temporaire qui a atteint 13 495 (+ 18,8 %) à la fin de l’année 2010.
Les entreprises articulent souvent le recours aux travailleurs temporaires
et aux salariés en contrat à durée déterminée comme
modalité de flexibilité
externe des ressources humaines. Ainsi, le palace de la Côte d’Azur
précédemment mentionné emploie,
en janvier, mois de très faible activité,
175 salariés en CDI, 5  CDD ou apprentis et 4  personnes en contrat
saisonnier (forme
particulière de CDD). En août, mois de plus forte activité,
il emploie 175 salariés en CDI, 12 salariés en CDD et 192 salariés
en
contrat saisonnier. Les effectifs sont doublés ainsi que la masse salariale.
Pour des besoins ponctuels à la soirée ou
à la journée, le palace recourt à
des « extras », qui sont des travailleurs intérimaires ayant un contrat pour
une journée.
Sur l’année, la rémunération des « extras » représente 15 % de
la masse salariale globale de l’hôtel avec une variation allant
de 5-6 % en
janvier à 22-23  % en mars. Ces recrutements d’«  extras  » sont
particulièrement nombreux au début de la saison
des festivals et des salons
dans la ville de Cannes et avant que ne soient recrutés les salariés en contrat
de saisonnier.
■ Le recours à la sous-traitance (contractants, sociétés de portage, auto-
entrepreneurs)
En cas d’accroissement de son activité, une entreprise peut aussi recourir
à la sous-traitance. Cela revient à transférer
à un tiers une partie de la
production. Ainsi, une société de services informatiques qui a une surcharge
d’activité peut recourir
à un sous-traitant qui sera une autre société
informatique. De même dans le secteur de la construction, il est fréquent
que
l’entreprise qui obtient la maîtrise d’ouvrage d’un chantier en confie
une partie à d’autres entreprises du bâtiment.
Les entreprises recourent parfois systématiquement à la sous-traitance
pour se constituer des réserves de flexibilité externe.
Ainsi, une grande
entreprise de logiciel emploie plus d’un tiers de ses ressources humaines
dans le cadre de contrats de sous-traitance.
L’intérêt pour l’entreprise est
double. D’une part, il permet d’établir une concurrence entre les sous-
traitants en menaçant
de ne pas renouveler les contrats des moins
performants et, d’autre part, en cas de baisse d’activité, les contrats
commerciaux
sont plus faciles à rompre que les contrats de travail.
Dans la même logique de construction d’une réserve de flexibilité externe
des RH, une grande banque n’emploie dans son service
de formation
quasiment que des formateurs indépendants. Cela permet d’ajuster leur
nombre en fonction du besoin de l’entreprise
et de facilement se séparer des
moins performants. De même, dans l’industrie automobile, 70  % des
composants d’une voiture
sont fabriqués par les fournisseurs des grands
constructeurs. En cas de baisse d’activité, il est possible pour le donneur
d’ordre de réduire les contrats qu’il a avec ses fournisseurs. Ainsi, des
sociétés comme Alten et Altran qui sous-traitent
une partie de la R&D des
grands groupes automobiles ont vu leur activité fortement baisser au
moment de la récession de 2008.
Dans ce secteur industriel, leurs
principaux donneurs d’ordres ont réduit drastiquement le nombre de projets
externalisés.
Le recours à la sous-traitance atteint parfois les limites de la légalité et fait
l’objet de condamnations par les tribunaux.
C’est notamment le cas lorsque
les entreprises incitent leurs salariés à renoncer à leur contrat de travail pour
devenir des
travailleurs indépendants et ensuite leur sous-traiter une partie
de l’activité qu’ils effectuaient précédemment en tant que
salariés. Certaines
entreprises du BTP et des sociétés de services informatiques ont fait l’objet
de condamnations par les
tribunaux et ont conduit à requalifier les contrats
commerciaux en contrats de travail.

4.2 Les formes structurelles de flexibilité externe des RH


■ Déséquilibre structurel lié à la hausse de l’activité ou au développement
de l’entreprise qui entraîne des besoins supérieurs
aux ressources
humaines existantes

Les recrutements
La croissance d’une entreprise induit des besoins importants de ressources
humaines pour accompagner le développement de l’activité.
Le recrutement
de salariés est le moyen le plus classique pour doter l’entreprise des
effectifs nécessaires. Le recrutement
correspond à une forme de flexibilité
externe au sens où il constitue un recours au marché du travail. La nature
indéterminée
du contrat induit qu’a priori l’emploi est créé de manière
pérenne. Lorsque la croissance de l’entreprise s’appuie sur des
recrutements, il s’agit dans ce cas d’une croissance organique.
Le besoin en ressources humaines peut également être lié à la décision
stratégique de se développer dans un nouveau secteur
d’activité. Par
exemple, l’entreprise de BTP Bouygues a décidé en 1994 de se diversifier
et de créer une compagnie de téléphonie
mobile, Bouygues Telecom. Cette
nouvelle activité a connu une forte croissance pour atteindre plus de
9 milliards d’euros
de chiffre d’affaires en 2011. Les effectifs sont passés de
quelques dizaines à la création de l’entreprise à plus de 9  000
salariés en
2011.

L’acquisition d’entreprises
Une autre option pour accroître l’activité de l’entreprise et augmenter les
effectifs qui y sont liés consiste à racheter
des entreprises. L’entreprise de
logiciels informatiques Oracle illustre cette stratégie. Ces dernières années,
elle a connu
une très forte croissance de son activité dans les logiciels. Son
chiffre d’affaires est passé de 11,8  milliards de dollars
en 2005 à
35,6  milliards en 2011 et les effectifs de 49  800 salariés à 108  000 sur la
même période. Cette croissance s’est
faite à travers le rachat de 74
entreprises de l’industrie du logiciel, notamment les sociétés PeopleSoft
(2005), Siebel (2006),
Hyperion (2007) et Sun Microsystems (2009). Cette
stratégie d’acquisitions de start-ups pour doter l’entreprise de compétences
stratégiques s’est généralisée dans les industries de hautes technologies et
plus particulièrement dans la Silicon Valley[5]. Des entreprises comme
Google, Yahoo!, Cisco Systems ou Facebook la pratique régulièrement. Un
néologisme a d’ailleurs été
créé pour caractériser cette pratique. Il s’agit de
l’acqui-hiring (l’acqui-recrutement).
Le rachat d’entreprise permet également d’entrer dans de nouveaux
secteurs d’activité et d’acquérir les ressources humaines
compétentes pour
mettre en œuvre cette stratégie. Dans les années 2000, le PDG d’IBM,
Louis Gerstner, décida de repositionner
l’entreprise dans les services
informatiques et le conseil en management. Ce changement stratégique
dans une activité intense
en ressources humaines supposait d’accroître les
effectifs dans ces domaines pour mettre en œuvre cette intention
stratégique.
En 2002, IBM a racheté l’activité conseil en management de
PriceWaterhouseCoopers pour se doter des RH nécessaires à sa nouvelle
stratégie.
De même, dans le secteur bancaire, certaines banques qui ont souhaité
développer leurs activités dans la banque d’affaires
ont choisi de racheter
des établissements financiers pour se doter des compétences humaines
plutôt que de s’appuyer sur une
croissance organique. Ainsi, en 1988, quand
le Crédit Suisse, banque de gestion privée, a décidé de se développer dans
les
activités de banque d’affaires, il a acquis la banque américaine First
Boston, spécialisée dans ce domaine. Quand la banque
UBS a fait le même
choix stratégique, elle a acquis en 1995 la banque d’affaires anglaise
S. G. Warburg.
Ainsi, l’acquisition d’entreprises, notamment de start-ups, peut
s’appréhender comme une forme structurelle de flexibilité
externe des RH
pour acquérir de nouvelles compétences.

■ Déséquilibre structurel lié à une baisse structurelle de l’activité de


l’entreprise qui entraîne des sureffectifs

Les licenciements économiques


Les entreprises font également face à des baisses structurelles de leur
activité qui les amènent à réduire leurs effectifs.
Au-delà de la conjoncture
économique, les choix stratégiques d’une entreprise peuvent la conduire à
cesser des activités et
donc à devoir gérer des sureffectifs. Le mécanisme
classique de flexibilité externe pour faire face à une baisse d’activité
conjoncturelle importante ou à une baisse structurelle de l’activité consiste
à recourir aux licenciements économiques. Ainsi,
en 2011, face à la crise
financière et à la baisse des activités bancaires, plusieurs établissements
financiers ont décidé
de supprimer de nombreux emplois pour ajuster leurs
ressources humaines à leurs besoins. Par exemple, la banque anglaise
HSBC
a annoncé une suppression 30  000 postes sur les 310  000 que
comptait l’entreprise. De même, la banque suisse UBS a décidé
de
supprimer 3  500 emplois (sur 65  700 salariés) afin de réduire ses coûts
opérationnels et accompagner la diminution structurelle
de son activité.
Cette pratique de gestion est plus ou moins réglementée selon les pays. En
France, les licenciements économiques qui dépassent
neuf salariés
impliquent la mise en place d’un plan social (ou plan de sauvegarde de
l’emploi) dont les conditions et le processus
sont strictement définis par la
loi. Outre les indemnités de départs, les plans sociaux prévoient souvent des
mesures d’accompagnement
(retraite anticipée, formation, aide à la création
d’entreprise, aide à la recherche d’emploi). Les plans sociaux s’appuient
parfois sur le volontariat des salariés. Dans ce cas, l’employeur apporte une
aide au projet de mobilité externe. Cependant,
lorsqu’un salarié souhaite
bénéficier d’un plan social lui permettant une mobilité externe mais qu’il
possède des compétences
critiques ou stratégiques ou qu’il occupe une
fonction clef pour l’entreprise, alors sa situation est examinée par la
direction
et cette dernière peut refuser la mobilité au nom de l’intérêt de
l’organisation.
Certains acteurs économiques considèrent que les procédures liées aux
licenciements collectifs rigidifient l’ajustement des
ressources humaines
aux besoins des entreprises et incitent ces dernières à contourner la loi ou à
trouver d’autres moyens
pour rompre le contrat de travail. Par exemple,
certains employeurs recherchent des fautes lourdes commises par leurs
salariés
pour justifier des licenciements. Outre le fait qu’un licenciement
pour faute lourde prend effet immédiatement et qu’il n’y
a pas de période
de préavis comme cela est prévu pour les licenciements économiques, il
présente également l’avantage pour
l’employeur de réduire
considérablement d’éventuelles indemnités de départ.
Dans leur management, les entreprises tolèrent souvent le non-respect par
les salariés des règles et des procédures de l’organisation  ;
c’est même
parfois une condition nécessaire à leur bon fonctionnement. Cependant, ce
non-respect des règles constitue parfois,
du point de vue légal, une faute
professionnelle pouvant justifier un licenciement. Une direction
d’entreprise peut accroître
ses contrôles sur les pratiques de ses salariés afin
de détecter des fautes et ainsi justifier une rupture du contrat de travail.
Cette pratique, condamnable d’un point de vue moral, a parfois cours dans
les entreprises. Ainsi, dans une grande banque,
qui connaissait des
sureffectifs administratifs importants, la direction de l’Inspection a été
mandatée pour contrôler les
dossiers de crédits accordés aux clients
emprunteurs pour s’assurer, officiellement, que toutes les procédures étaient
respectées
à la lettre par les services d’attribution de prêts. Or, souvent, ces
procédures ne sont pas systématiquement respectées,
ceci a permis à la
banque de licencier des salariés en évoquant une faute professionnelle.
L’intérêt pour l’entreprise est
de réduire les coûts du licenciement,
notamment pour les salariés les plus âgés pour lesquels la convention
collective des
banques accordait des indemnités importantes en cas de
licenciement économique alors que les indemnités pour faute
professionnelle
sont beaucoup plus faibles, voire inexistantes dans certains
cas.
Au-delà de la rigidité que peuvent induire les procédures encadrant les
plans sociaux, les licenciements économiques collectifs
s’accompagnent
d’autres inconvénients. D’une part, ils induisent des coûts élevés liés aux
indemnités de départs qui peuvent
être importantes en fonction de la
législation en vigueur et des négociations avec les partenaires sociaux.
D’autre part,
leur annonce induit souvent des mouvements sociaux qui
entraînent des dysfonctionnements au sein de l’organisation et nuisent
à
l’image de l’entreprise auprès des parties prenantes (consommateurs,
pouvoirs publics, fournisseurs, etc.). Aussi, certaines
entreprises procèdent
à des licenciements économiques par vagues mensuelles de neuf personnes
afin d’éviter de mettre en œuvre
un plan social et d’en supporter les
contraintes administratives et juridiques.

La cession d’activités
Lors d’un changement stratégique qui conduit à l’abandon d’une activité,
il se pose la question du devenir des salariés liés
à cette activité. Une
alternative aux licenciements est possible à travers la scission juridique et la
revente de l’activité
à une tierce entreprise. Dans ce cas, l’entreprise filialise
les activités, et donc les salariés, dont elle veut se séparer
pour ensuite
revendre cette filiale à une autre entreprise. IBM illustre cette pratique.
Quand dans les années 2000, l’entreprise
a décidé de se focaliser sur les
activités de services informatiques et les logiciels, elle a parallèlement
renoncé à son
métier historique de constructeur d’ordinateurs. Elle a
revendu cette activité à l’entreprise chinoise Lenovo, transférant
par la
même occasion les salariés de cette activité. Ainsi, les 10 000 salariés de la
division PC d’IBM dont les compétences
ne correspondaient plus aux
orientations stratégiques de l’entreprise ont été transférés à Lenovo. De
même, en 2011, quand
l’entreprise de téléphonie Nokia a décidé de ne plus
développer son logiciel pour téléphone mobile Symbian, elle a transféré
les
3  000 personnes en charge de cette activité chez Accenture qui a pris en
charge la maintenance du logiciel.
Parfois ces transferts d’activité permettent aux entreprises de confier à
d’autres sociétés le soin d’organiser les réductions
d’effectifs et ainsi
d’éviter les conséquences négatives, notamment en termes d’image, d’une
réduction massive du nombre de
salariés. Ainsi, en 2004, l’entreprise de
téléphonie Nortel a décidé d’arrêter sa production de certains composants
de téléphonie
mobile. Elle a notamment cédé une usine située en France à
Châteaudun, qui employait 350 salariés et une centaine d’intérimaires,
à
Flextronics, un important sous-traitant électronique chinois. En 2007,
Flextronics a annoncé la fermeture de ce site de
production et la destruction
d’environ 500 emplois. C’est Flextronics et non Nortel qui est
officiellement le décisionnaire
de cette cessation d’activité. Ceci a permis à
Nortel de préserver son image auprès de ses clients.

Section 3

LA JUXTAPOSITION DES FORMES

DE FLEXIBILITÉ : LE DUALISME DU MARCHÉ

DU TRAVAIL DE L’ENTREPRISE

Dans les entreprises coexistent en général les deux formes de flexibilité


des ressources humaines. Il y a un dualisme du marché
du travail de
l’entreprise où la GRH sur le marché interne du travail se caractérise par la
flexibilité interne et la GRH
sur le marché externe du travail privilégie la
flexibilité externe. Le choix du mode de flexibilité des RH est déterminé par
la nature des compétences détenues par les individus.
1 La flexibilité interne des ressources humaines
sur le marché interne du travail
Si les salariés détiennent des compétences stratégiques, c’est-à-dire qui
contribuent à la compétitivité de l’entreprise,
ou des compétences
spécifiques, c’est-à-dire qui sont propres au système productif de
l’entreprise et n’existent pas à l’identique
sur le marché du travail ou ne
sont pas formées par le système éducatif, alors dans ce cas, l’entreprise a
intérêt à privilégier
la flexibilité interne des RH. Si pour faire face à une
baisse conjoncturelle de son activité, l’entreprise décide de rompre
le
contrat de travail de ce type de salariés afin d’optimiser ses intérêts
financiers de court terme en réduisant ses coûts
salariaux par des
licenciements, cela peut détériorer la compétitivité de l’entreprise à moyen
terme car le licenciement de
ces salariés pour réduire les coûts dans une
période de baisse d’activité peut conduire l’entreprise à se séparer de
compétences
qui seront nécessaires lors de la reprise de l’activité. Ainsi, à
la fin des années quatre-vingt-dix, le constructeur aéronautique
Boeing
avait supprimé plus de 30 000 postes pour faire face à la baisse du marché
aéronautique. Cependant, lorsque son activité
a repris deux ans plus tard,
l’entreprise a été fortement handicapée par sa difficulté à recruter des
ouvriers et des mécaniciens
compétents. Cela a entraîné des retards de
production et des défauts de qualité dans la fabrication des avions. C’est
pour
éviter ce genre de situations liées à l’existence de compétences
spécifiques que les entreprises privilégient le recours à
la flexibilité interne
des ressources humaines afin de les garder au sein de l’organisation même
en période de baisse d’activité[6].
Le marché interne du travail constitue un système cohérent de pratiques
de RH lié à la nature des compétences auquel il s’applique.
Sur le marché
interne du travail de la firme, ce sont les dimensions «  ressources
stratégiques  » et «  risques opérationnels  »
des ressources humaines qui
prévalent dans la définition des pratiques de gestion. C’est une rationalité
gestionnaire de long
terme. L’importance stratégique et la spécificité des
compétences incitent les entreprises à réaliser des investissements
en capital
humain. La nécessité de rentabiliser ces investissements et de protéger les
compétences stratégiques conduit les
employeurs à s’engager dans des
relations de long terme avec les salariés concernés, faisant des ressources
humaines un quasi-coût
fixe. Les pratiques de rémunération et de gestion
des carrières ont pour objectif de stabiliser ces salariés et d’éviter leurs
démissions. L’engagement à long terme des employeurs, notamment à
travers des contrats à durée indéterminée, détermine l’horizon
de
maximisation des salariés et favorise l’engagement de ces derniers. Sur les
marchés internes du travail, le contrat psychologique
entre employeurs et
employés favorise la collaboration de ces derniers. Par exemple, sur les
marchés internes, les salariés
sont incités à partager leurs connaissances
stratégiques et spécifiques avec leurs collègues car ils savent qu’ils
n’encourent
pas le risque d’être licenciés dès lors qu’ils auront transféré
leurs savoirs. Pour cette raison, sur les marchés internes,
les licenciements
économiques sont des décisions extrêmement délicates à prendre car ils
constituent une rupture du contrat
psychologique et ils envoient un signal
négatif aux autres salariés du marché interne du travail de l’organisation.
Cependant, la nature stratégique ou spécifique des compétences détenues
par les salariés n’est pas figée. Elle peut évoluer
pour devenir générique ou
substituable. L’employeur peut favoriser cette évolution pour modifier la
relation de pouvoir qu’il
entretient avec ses salariés. Les compétences
stratégiques ou spécifiques confèrent un pouvoir de négociation important
aux
salariés qui les détiennent. Ce pouvoir de négociation se traduit souvent
en coûts salariaux plus importants pour les employeurs.
Aussi ces derniers
ont intérêt à favoriser la substituabilité de ces compétences stratégiques.
Cela est possible soit en les
démultipliant parmi les salariés par le biais de
la formation ; soit en les remplaçant par des nouvelles technologies.
L’évolution de l’informatique bancaire illustre ce processus. La première
phase de l’informatisation des banques s’est faite
à travers des systèmes
informatiques spécifiques à chaque établissement financier. Concrètement,
chaque banque a recruté des
informaticiens pour développer un système
informatique particulier. Dans ce cadre, les informaticiens étaient des
ressources
humaines stratégiques et spécifiques car de leurs compétences
dépendait le fonctionnement du système informatique de la banque.
Ces
compétences étaient spécifiques dans la mesure où le système d’information
développé était spécifique à chaque banque.
En cas de départ d’un
informaticien, le recrutement d’un nouvel informaticien sur le marché du
travail induisait nécessairement
pour le nouvel arrivant un temps
d’apprentissage important des connaissances spécifiques. Ce temps
d’apprentissage ralentissait
d’autant les développements informatiques de la
banque tout en maintenant la dépendance de la banque à l’égard d’un
informaticien
détenteur de compétences stratégiques et spécifiques. Les
informaticiens ayant développé le système avaient donc un pouvoir
de
négociation conséquent et bénéficiaient des conditions favorables du
marché interne du travail des banques. Cependant,
progressivement, l’offre
d’informatique bancaire s’est structurée, des progiciels de gestion ont été
développés par des sociétés
de logiciels (Oracle, Microsoft, SAP, etc.) et
des sociétés de services informatiques (IBM, CapGemini, Accenture, etc.)
ont
acquis une expertise dans le domaine de la finance. Cette structuration
d’une industrie informatique bancaire a permis aux
établissements
financiers de sous-traiter leur informatique et de mettre en concurrence les
différents prestataires de services.
Parallèlement, ce changement de système
a dénaturé la spécificité des informaticiens employés par les banques et a
partiellement
rendu obsolètes leurs compétences. Cette standardisation des
progiciels et le développement d’une offre de sous-traitance
ont permis aux
banques de réduire drastiquement leurs effectifs informatiques sur leur
marché interne du travail et de s’affranchir
du pouvoir de négociation de ses
informaticiens.

2 La flexibilité externe des ressources humaines


sur le marché externe du travail
Lorsque les salariés détiennent des compétences génériques ou
substituables, alors l’entreprise peut se permettre de recourir
à la flexibilité
externe pour ajuster ses ressources humaines à ses besoins. Sur le marché
externe du travail de la firme,
c’est la dimension « coût opérationnel » des
ressources humaines qui prévaut dans la définition des pratiques de gestion
qui
leur sont appliquées. L’enjeu managérial est de maintenir les ressources
humaines comme étant un coût variable ajustable par
l’intermédiaire de la
flexibilité externe.
Le marché externe constitue un système cohérent de pratiques RH lié à la
nature des compétences auquel il s’applique. La nature
générique ou
substituable des compétences signifie que l’entreprise peut aisément les
trouver sur le marché externe du travail.
De ce fait, l’employeur n’a pas
besoin d’engager des investissements en formation pour ces salariés. Cela
ne rend pas nécessaire
des engagements de long terme induit par une
recherche de rentabilisation d’investissements en formation. L’employeur
peut
donc licencier ces salariés sans risque de perte de compétences
stratégiques ou spécifiques. C’est une rationalité gestionnaire
de court
terme qui peut prévaloir en matière de management des RH.
Sur le marché externe du travail de la firme, l’horizon d’optimisation des
salariés est également de court terme. Cela conduit
ces derniers à avoir une
stratégie personnelle les impliquant peu dans l’entreprise et à rechercher
une situation professionnelle
plus stable chez un autre employeur. Sur le
marché externe du travail, le contrat psychologique entre l’employeur et
l’employé
est fondé sur la précarité. Dans ce cas, pour favoriser une plus
grande implication des personnes se trouvant sur leur marché
externe, les
employeurs peuvent favoriser une certaine porosité avec leur marché
interne en rendant possible, pour les individus
les plus performants, la
transformation de leur contrat de travail précaire (stage, CDD, intérim ou
sous-traitant) en contrat
à durée indéterminée. La perspective d’une
modification du statut est une incitation pour un travailleur précaire à
collaborer
avec l’entreprise pour maximiser ses gains futurs par l’obtention
d’un emploi stable.
Dans la mesure où les entreprises mobilisent les deux formes de
flexibilité, on parle dans ce cas de dualisme du marché du
travail de la firme
(figure 2.8). Les salariés qui détiennent des compétences stratégiques ou
spécifiques sont employés sur le marché interne du travail
alors que ceux
qui détiennent des compétences génériques ou substituables sont mobilisés
à travers les mécanismes du marché
externe du travail. La frontière entre les
deux marchés est plus ou moins hermétique et les individus peuvent parfois
passer
de l’un à l’autre. De plus, la frontière entre les deux marchés n’est
pas stable. Elle peut se déplacer en fonction des changements
organisationnels et technologiques, de la structuration d’une offre externe
de formation ou d’une offre externe de sous-traitance.
Figure 2.8  – Dualisme du marché du travail de la firme

Focus
Un prestataire de service RH :

les entreprises de travail temporaire


Une entreprise de travail temporaire (ETT) a pour activité de mettre à
la disposition provisoire d’entreprises clientes, en
fonction d’une
qualification convenue, des salariés qu’elle embauche et rémunère à
cet effet. Contractuellement, l’employeur
du travailleur intérimaire
est l’ETT et pas l’entreprise auprès de laquelle il est détaché. L’ETT
et censée prendre en charge
la formation des intérimaires qu’elle
emploie.
Une ETT apporte aux entreprises une forme de flexibilité externe des
ressources humaines. Sa proposition de valeur est triple.
Outre de la
flexibilité, elle apporte une rapidité à trouver les compétences
adéquates aux besoins de l’entreprise que cette
dernière ne possède
pas. Les ETT détiennent des bases de données de travailleurs
intérimaires qu’elles peuvent rapidement
mettre à la disposition des
entreprises clientes. Enfin, elles assurent la gestion administrative du
contrat de travail de
l’intérimaire à la place de l’entreprise
utilisatrice. Les ETT se font rémunérer cette triple contribution
(flexibilité, disponibilité
et gestion administrative des RH) en
appliquant un coefficient au salaire du travailleur intérimaire mis à la
disposition
de l’entreprise. Ce coefficient dépend du niveau de
qualification des intérimaires. Il peut varier entre 1,5 du salaire brut
de l’intérimaire pour les plus faibles niveaux de qualification à 2,5
pour les plus élevés.
En 2010, le chiffre d’affaires mondial des entreprises de travail
temporaire est estimé à 220  milliards d’euros. Il existe
deux sortes
d’ETT. D’une part, les généralistes comme Adecco, Manpower,
Vedior ou Randstad. Ce sont des entreprises multinationales
disposant de nombreuses agences à travers le monde. Elles couvrent
tous les territoires et tous les métiers. Adecco, le leader
mondial du
travail intérimaire avec un chiffre d’affaires de 18,7  milliards
d’euros, disposait en 2010 de 5  500 agences à
travers 60 pays et
employait 32 000 personnes pour faire travailler quotidiennement en
moyenne plus de 650 000 intérimaires.
D’autre part, il existe des ETT spécialisées sur un segment du marché
du travail et/ou une zone géographique. Par exemple,
sur la Côte
d’Azur, des ETT sont spécialisés dans le personnel hôtelier (serveurs,
femmes de chambre, etc.) pour les hôtels
de la région. D’autres ETT
sont spécialisées dans les métiers du bâtiment, du secteur médical ou
de la finance.

[1]
  Wernerfelt B. (1984), “A resource-based view of the firm”, Strategic Management Journal, vol.
5, pp. 171-180.
[2]
  Ferrary M. et Trépo G. (1998), « La gestion par les compétences : pour une opérationalisation
de la convergence entre la stratégie
d’entreprise et la gestion des ressources humaines », Revue
Interactions, p. 54-83, Vol. 2, n°1.
[3]
    Becker G. (1962), «  Investment in Human Capital  : A Theoretical Analysis   », Journal of
Political Economics, vol. 70, n° 5, 1962, pp. 9-49.
[4]
  Ferrary M. (2002), « Mécanismes de régulation de la structure des qualifications et spécificité
du capital humain. Une analyse
du capital social des conseillers bancaires  », Sociologie du
Travail, Vol. 44, n°1, pp 119-130.
[5]
    Ferrary M. (2011), «  Specialized organizations  and ambidextrous clusters in the open
innovation paradigm », European Management Journal, vol. 29, pp. 181-192.
[6]
  Ferrary M. (1994), « Dualisme du marché du travail. Coûts de transaction, investissements de
forme et comportements stratégiques
des acteurs sociaux  », Revue Française d’Economie, Vol.
IX, 4, p. 85-135.
Chapitre
La politique
3 de recrutement

SOMMAIRE
Section 1 Les déterminants de la politique de recrutement de l’organisation
Section 2 Le processus de recrutement
Section 3 Les pratiques alternatives de réduction de l’incertitude
Section 4 Les indicateurs de gestion de la politique de recrutement

La démarche de gestion prévisionnelle des ressources humaines permet à


l’entreprise de définir ses besoins en effectifs pour
mettre en œuvre ses
intentions stratégiques et faire face aux évolutions de son activité. Le
recrutement, en tant que recours
au marché du travail, est une modalité
possible d’acquisition de ressources humaines induit par les besoins de
l’entreprise.
Il constitue une alternative complémentaire à la mobilité
interne des salariés. Le recrutement permet d’introduire dans l’organisation
de nouvelles compétences, de nouvelles pratiques et de nouveaux systèmes
de représentation. En revanche, les coûts d’intégration
et les risques d’échec
sont plus importants que dans le cadre d’une mobilité interne.
La compréhension du recrutement est souvent réduite à un processus de
gestion piloté par la DRH. Cependant, au-delà de cette
perception, trois
autres dimensions de la politique de recrutement peuvent être identifiées. Le
recrutement est d’abord un
choix stratégique qui porte sur la décision
d’internaliser une compétence au sein de l’organisation et qui concerne
également
la localisation géographique de l’embauche des nouveaux
salariés. Ensuite, le recrutement se fait sur un marché du travail
caractérisé
par une imperfection de l’information et une concurrence entre
les employeurs qui conduit les DRH à se poser la
question de l’attractivité
de leur entreprise. Enfin, les enjeux sociaux liés à l’emploi conduisent à
impliquer de nombreuses
parties prenantes dans la politique de recrutement
des entreprises, notamment les pouvoirs publics. Cela confère une
dimension
socio-politique importante à la fonction RH. Le processus de
recrutement piloté par la DRH vise à prendre en compte ces trois
dimensions.
Selon les entreprises, les recrutements varient en termes de fréquence et
de complexité des embauches. Ces deux facteurs influencent
la décision
d’internaliser ou d’externaliser la fonction de recrutement. Ainsi, les
entreprises qui recrutent en grand nombre
pour des postes standardisés,
comme par exemple le recrutement d’auditeurs juniors par les grands
cabinets d’audit, ont tendance
à internaliser la fonction recrutement.
Inversement, lorsqu’il s’agit d’un poste très pointu, il peut être intéressant
pour
l’entreprise de recourir à un cabinet de recrutement spécialisé sur le
segment correspondant du marché du travail. Par exemple,
une PME qui
crée un poste de responsable à l’export pour développer son activité à
l’international peut avoir intérêt à recourir
à un cabinet de recrutement
plutôt que de prendre en charge le processus. Enfin, les nouvelles
technologies interviennent
différemment selon les étapes du processus de
recrutement et sont mobilisées de différentes manières selon les entreprises.
Dans une première partie, sont examinées les dimensions stratégiques,
économiques et socio-politiques qui influencent les
pratiques de
recrutement d’une organisation. Dans une seconde partie, les différentes
étapes du processus de recrutement sont
analysées. Dans une troisième
partie, deux modalités alternatives de la gestion de l’incertitude liée aux
recrutements sont
présentées : la contractualisation temporaire de la relation
de travail et la cooptation. Dans une dernière partie, des indicateurs
de
gestion permettant d’évaluer les pratiques de recrutement sont identifiés.

Section 1
LES DÉTERMINANTS DE LA POLITIQUE


DE RECRUTEMENT DE L’ORGANISATION

1 Le recrutement est une décision stratégique


Le recrutement est d’abord un choix stratégique de l’entreprise. C’est la
dimension stratégique d’une compétence qui implique
son internalisation
par le recrutement de salariés. La qualité des recrutements détermine le
développement futur de l’entreprise.
Par exemple, un enjeu stratégique pour
Facebook dans les années 2007-2008, fut de générer des revenus à partir de
ses plusieurs
centaines de millions d’utilisateurs. La mise en œuvre de cette
intention stratégique rendait nécessaire l’acquisition de
compétences en
«  monétisation  » des flux d’utilisateurs d’un site Internet. En mars  2008,
Facebook a recruté Sheryl Sandberg,
VP of Global Online Sales and
Operations de Google (responsable de la stratégie commerciale) pour
devenir la directrice générale de Facebook. C’est elle qui est à
l’origine du
modèle économique de Facebook en identifiant des sources originales de
revenus liés aux flux d’utilisateurs.
De même, quand Apple a pris la
décision stratégique de développer son propre réseau de boutiques, les
Apple Stores, pour distribuer ses produits électroniques (ipod, iPhone, Mac,
iPad, etc.), il est apparu que la grande distribution n’était
pas une core
competence (compétence centrale) de l’entreprise et Apple a dû se doter de
ces compétences. Pour cela, en janvier  2000, l’entreprise
a recruté Ron
Johnson, le vice-président du merchandising chez Target, la 5e entreprise de
grande distribution aux États-Unis. Le premier Apple Store a été ouvert un
an et demi plus tard, en mai  2001,
et, en 2010, le nombre de boutiques
atteint 317 pour un chiffre d’affaires de 3,1  milliards de dollars. C’est
l’intention
stratégique de l’entreprise qui a déterminé le profil de la
personne recrutée.
La politique de recrutement devient même le premier indicateur de la
matérialisation d’un choix stratégique. Ainsi, quand
Apple a commencé à
recruter des ingénieurs télécoms, notamment en les débauchant chez
Motorola, ceci a constitué un indicateur
avancé de l’arrivée de l’entreprise
sur le marché de la téléphonie mobile qui s’est concrétisée quelques années
plus tard
par la commercialisation de l’iPhone. De même, lorsque Google a
décidé, pour se démarquer de ses concurrents sur le marché
de la téléphonie
mobile, de développer des commandes vocales pour son logiciel de
téléphonie mobile Android et son téléphone
portable Nexus S, l’entreprise a
recruté en 2004, Mike Cohen, le fondateur de Nuance, leader mondial des
technologies de reconnaissance
vocale et de synthèse vocale. Les premières
applications vocales proposées par Google le furent en 2007.
Cette dimension stratégique des ressources humaines peut expliquer des
politiques de débauchage de talents chez des concurrents
ou des industries
proches. Par exemple, quand les cabinets d’avocats prennent la décision
stratégique d’élargir leur offre
de services juridiques, la mise en œuvre de la
décision passe souvent par le recrutement d’experts chez les cabinets
concurrents.
Ainsi, le cabinet d’avocats Salans, qui emploie plus de 750
avocats dans 21 bureaux dans le monde, a notamment décidé de développer
son offre juridique dans les domaines du private equity, des fusions-
acquisitions et du contentieux. Pour cela, en 2010 le cabinet a recruté trois
experts du cabinet Lefèvre, Pelletier
& Associés (Jean-Luc Bédos, Pierre
Lévêque et Dimitri Pubellier) qui sont venus avec neuf collaborateurs et
deux assistantes.
En 2011, le cabinet a recruté un spécialiste du cabinet
Denton (Pierre Jouglard), un du cabinet Wilkie Farr & Gallagher
(Emmanuel
Scialom), un de Morgan Lewis, expert en droit pénal des
affaires (Ludovic Malgrain) et dix personnes du cabinet Bird & Bird,
dont
deux associés experts de la propriété intellectuelle (Isabelle Leroux) et de la
fiscalité (Anne Quenedey)[1].
La dimension stratégique des compétences prévaut dans la décision de
recruter un salarié car l’entreprise peut toujours recourir
à la sous-traitance
pour mobiliser des compétences génériques. Le recrutement en contrat à
durée indéterminée permet d’isoler
un individu du marché du travail et
confère à l’employeur un accès privilégié, voire exclusif, aux compétences
du salarié
recruté. Le diagnostic de l’importance stratégique est important et
varie selon les secteurs d’activité et les entreprises.
Par exemple, dans le
secteur de l’hôtellerie, les femmes de ménage sont recrutées dans les
palaces parce que la qualité de
service est au cœur de la compétitivité de ce
type d’établissement. Inversement, dans l’hôtellerie économique où la
concurrence
se fait par les prix, ce type d’emplois est sous-traité pour
permettre une mise en concurrence de prestataires de nettoyage
afin
d’obtenir les prix les plus faibles et, in fine, réduire les coûts des nuitées.
L’élaboration de la politique de recrutement doit donc être l’occasion d’une
réflexion sur
le choix d’internalisation ou d’externalisation d’une
compétence. Les conclusions de cette réflexion sont déterminées par
l’intention stratégique de l’entreprise. Par exemple, Bouygues Telecom a
fait de la qualité de la relation client un axe stratégique
de différentiation.
Ce choix a conduit l’entreprise à internaliser ses centres d’appel pour mieux
en maîtriser la qualité.
Inversement, certains opérateurs n’ont pas fait de ce
service un axe stratégique et ont plutôt mis l’accent sur les prix de
leurs
prestations. Afin de réduire les coûts (et donc les prix), ils pratiquent une
politique d’externalisation et de mise
en concurrence de différents
prestataires offrant des services de centre d’appel.
L’élaboration de la politique de recrutement est aussi le moment de la
réflexion sur la localisation de l’activité. Cette
localisation peut être liée aux
coûts de main-d’œuvre. Ainsi, le constructeur automobile Peugeot a localisé
en 2006 une usine
de 3  000 personnes en Slovaquie. Cette localisation
présente l’avantage d’accéder à une main-d’œuvre à faible coût tout en
étant dans la zone euro et donc de ne pas supporter de risque de change.
Cette localisation peut également être liée à la
nécessité de recruter des
compétences stratégiques. Cette dimension est particulièrement importante
en matière de R&D. Ainsi,
le groupe pharmaceutique suisse Novartis a
localisé deux de ses laboratoires de recherche à Cambridge dans le
Massachussetts
aux États-Unis près de l’Université de Harvard, connue
pour l’excellence de sa recherche médicale, et qui se trouve au cœur
d’un
cluster de biotechnologies. Cette proximité géographique permet de recruter
des chercheurs qu’il ne serait pas possible
de recruter en Suisse.

2 Le recrutement est une interaction entre


l’organisation et le marché du travail
Recruter signifie que l’entreprise recourt au marché du travail pour
acquérir les compétences dont l’organisation a besoin.
L’entreprise émet
une offre d’emploi sur le marché du travail et elle espère qu’un demandeur
d’emploi détenant les compétences
requises réponde favorablement à cette
offre. Cela suppose d’abord que ces compétences soient disponibles sur le
marché du
travail, ensuite que l’information arrive aux candidats potentiels
et, enfin, que l’offre soit suffisamment attractive pour
que les individus
compétents candidatent à l’emploi proposé. Ce recours aux mécanismes
concurrentiels du marché du travail
implique de prendre en compte trois
éléments :

2.1 La disponibilité des ressources humaines sur le marché du


travail
Le recrutement suppose implicitement la disponibilité des compétences
sur le marché du travail. Or, lorsque les compétences
sont spécifiques à
l’entreprise ou lorsque la demande de travail par l’entreprise est supérieure
à l’offre de travail des
individus, alors l’entreprise peut être dans
l’incapacité de trouver sur le marché du travail les compétences dont elle a
besoin. Il y a dans ce cas une déficience du marché du travail. Les
conséquences pour l’entreprise d’une pénurie de ressources
humaines
peuvent être particulièrement dommageables. Ainsi, une année, dans le sud-
est de la France, des exploitations agricoles
n’ont pas pu recruter de la
main-d’œuvre pour assurer la cueillette des fruits au moment de la récolte.
En raison du manque
de main-d’œuvre, les fruits ont pourri sans être
ramassés et cela a entraîné des pertes financières importantes pour les
agriculteurs
concernés. Aux États-Unis, certaines exploitations agricoles ont
connu le même phénomène avec la limitation de l’immigration
mexicaine
décidée par le gouvernement américain.
Un enjeu de la politique de recrutement est d’évaluer la disponibilité des
compétences sur le marché du travail. C’est un
enjeu pour les entreprises
mais également pour les pouvoirs publics car cela oriente leur politique de
formation, d’immigration
et d’aides à l’emploi. Ainsi, en France, la DARES
évalue chaque trimestre les métiers en tension dans trois domaines  : celui
des professionnels du bâtiment et des travaux publics, celui des activités
industrielles et celui du tertiaire. Début 2011,
cet organisme identifiait par
exemple des tensions sur les métiers «  études et recherche  » dans le
domaine tertiaire et sur
celui des «  techniciens et agents de maîtrise des
industries mécaniques  ». L’identification de telles tensions informe les
entreprises de potentielles difficultés de recrutement du fait d’une plus
grande concurrence entre les employeurs et la nécessité
d’améliorer le
contenu de leur offre d’emploi, notamment en termes de salaire, pour attirer
des candidats.
2.2 La signalisation de l’offre d’emploi sur le marché du travail
Le marché du travail se caractérise par l’imperfection de la circulation de
l’information. Cela signifie que lorsqu’une entreprise
émet une offre
d’emploi, cette information n’est pas automatiquement et instantanément
reçue par tous les acteurs du marché
du travail (demandeurs d’emploi,
intermédiaires publics et privés du marché du travail). Cette imperfection
pose la question
de la signalisation de l’offre sur le marché. L’entreprise se
doit d’identifier sur le marché du travail les populations qui
peuvent
potentiellement être pourvoyeuses de candidats, ensuite signaler son offre
d’emploi à cette population par le ou les
médias appropriés (par exemple, il
est pertinent de recruter des informaticiens par l’intermédiaire d’Internet, ce
média est
peut-être moins approprié au recrutement d’ouvriers du BTP
moins familiers avec ce média). L’incertitude porte également sur
les
caractéristiques des candidats et la nature de leurs compétences.
L’imperfection de l’information induit une incertitude pour l’entreprise et
des coûts de transaction pour la réduire. Ces
coûts de transaction
correspondent aux différentes étapes du processus de recrutement. Dans un
premier temps, l’enjeu est
de définir un profil de compétences qui soit
compréhensible par les acteurs du marché du travail ; ensuite il convient de
signaler l’offre d’emploi sur le marché du travail (petites annonces, forums
emplois, publication sur Internet, etc.) pour
« sourcer » des candidats ; puis
de sélectionner des candidats (entretiens, tests, mises en situation, etc.) ; et,
enfin de
contractualiser la relation de travail (rédaction du contrat de
travail).
Les entreprises vont essayer de réduire et/ou de transférer les coûts de
transaction sur d’autres acteurs économiques. Cette
capacité à transférer les
coûts de transaction dépend de l’état général du marché du travail. Plus le
taux de chômage est
important et plus les entreprises peuvent transférer ces
coûts sur les demandeurs d’emploi et sur les pouvoirs publics. Ce
transfert
leur permet de réduire certains coûts de signalisation, notamment la
présence sur les campus et les campagnes d’annonce.
Inversement, quand
un métier est en tension du fait d’une demande de travail de la part des
entreprises supérieure à l’offre
des travailleurs sur le marché du travail,
alors les entreprises doivent accroître leurs efforts pour signaler leurs offres
et attirer des candidats.

2.3 L’attractivité de l’entreprise sur le marché du travail


Au même titre que les organisations sont en concurrence sur le marché
des produits et services, elles sont également en concurrence
sur le marché
du travail pour recruter les meilleures ressources humaines. Cette
concurrence a été popularisée par le terme
de «  guerre des talents  »[2]. La
concurrence entre les employeurs pour recruter les ressources humaines
soulève la question de l’attractivité de l’entreprise
sur le marché du travail
relativement à ses concurrents.
L’attractivité des entreprises sur différents segments du marché du travail
tant en termes de qualification que de localisation
est régulièrement
analysée par les acteurs du marché du travail. Ainsi, la société Universum
évalue l’attractivité des entreprises auprès des étudiants de l’enseignement
supérieur selon les pays et les types de qualification  :
gestion, ingénierie,
informatique et biologie (tableau 3.1). Une entreprise peut être très
attractive sur un segment du marché
du travail et moins sur un autre. Par
exemple, Accenture est très attractive auprès des étudiants en informatique
(8e rang) mais elle n’est qu’au 33e rang pour les étudiants en gestion, profils
qu’il lui est nécessaire de recruter pour ses activités de conseil en
management
et concurrencer les cabinets de conseils en stratégie tels que
McKinsey (3e rang parmi les étudiants en gestion), BCG (5e rang) ou Bain
(30e rang). Ainsi, la mise en œuvre de l’intention stratégique peut être
compromise par la difficulté à attirer les talents adéquats.
Tableau 3.1  – Entreprises préférées des étudiants en Europe

Source : Universum 2011, « L’employeur idéal en Europe »

Dans la même logique, l’institut «  Great Place to Work for  » établit un


palmarès des entreprises dans lesquelles il est le plus agréable de travailler.
Le classement est réalisé à
partir d’une enquête et d’un questionnaire
administrés auprès des salariés des entreprises concernées. Le questionnaire
comporte
une cinquantaine d’affirmations portant sur la crédibilité, le
respect, l’équité, la fierté et la convivialité de l’entreprise.
Par pays,
l’institut établit un classement des entreprises de plus de 500  salariés et
celles de moins de 500 salariés. Ainsi,
en 2010, les dix premières
entreprises en Europe étaient  : Microsoft, Amgen, Mars, Cisco Systems,
3M, NetApp, McDonald’s,
SAS Institute, WL Gore & Associate et
Kellogg’s.
3 L’emploi est un enjeu socio-politique pour les
pouvoirs publics
L’emploi et son corollaire, le chômage, constituent un enjeu social
important pour les élus politiques tant au niveau national
que local. Pour
cette raison, les politiciens vont s’impliquer directement ou indirectement
dans les politiques RH des entreprises
de leur territoire, notamment en
matière de recrutement.
Les pouvoirs publics peuvent intervenir de différentes manières sur la
politique de recrutement des entreprises :
À travers le système éducatif, la politique de formation des pouvoirs
publics influence la disponibilité des ressources humaines sur le
marché du travail
et les possibilités pour les entreprises de les recruter.
Un État peut décider de prendre en charge le coût de formation de
ses
citoyens pour accroître leurs possibilités de trouver un emploi et ainsi
réduire le chômage.
À travers la politique d’immigration, que ce soit en termes de visas
ou de répression du travail clandestin, les pouvoirs publics déterminent
également le coût,
la qualité et la quantité des ressources humaines
accessibles aux entreprises.
À travers les accréditations et la standardisation des diplômes ainsi
qu’à travers la reconnaissance de l’expérience professionnelle par la
validation des acquis d’expérience (VAE) ou la
définition des métiers
par le répertoire ROME (répertoire opérationnel des métiers et des
emplois), les pouvoirs publics interviennent
dans la réduction des
coûts de transaction liés à la signalisation des offres d’emploi sur le
marché du travail et la réduction
de l’incertitude relative aux
compétences détenues par les candidats. La standardisation des
compétences réduit l’incertitude
sur le marché du travail.
Les possibilités de licenciement légalement définies modifient les
anticipations des employeurs et leurs souhaits de recruter des salariés
en contrat de travail à durée indéterminée.
Plus les procédures de
licenciement sont simples et rapides et plus les entreprises seront
enclines à recruter en CDI. Inversement,
plus ces procédures sont
longues et coûteuses et plus les employeurs évitent d’utiliser ces
contrats de travail pour recourir
à des formes contractuelles
alternatives, et souvent précaires, tels que la sous-traitance ou le travail
temporaire. La législation
relative aux licenciements relève de la
compétence des pouvoirs publics et influence les politiques de
recrutement des entreprises.
Les intérêts des entreprises et des pouvoirs publics peuvent diverger ou
converger en matière d’emplois. Cette potentielle
convergence d’intérêt
peut permettre aux employeurs de transférer les coûts de recrutement et les
coûts salariaux sur les
pouvoirs publics. Par exemple, lorsque Disney s’est
implanté en Europe, l’entreprise a mis en concurrence les pouvoirs publics
de plusieurs pays pour obtenir des aides à l’implantation de son parc
d’attraction. La France a emporté la décision, notamment
parce que l’ANPE
(l’office public pour l’emploi) a pris en charge les recrutements et une
partie de la formation des futurs
salariés d’Eurodisney.
Certains élus locaux analysent finement les bénéfices économiques qu’ils
peuvent obtenir de l’implantation d’une entreprise
sur leur territoire
(impôts, emplois directement et indirectement créés, etc.) et, corollairement,
les aides qu’ils peuvent
apporter (subventions, aides au recrutement et à la
formation, etc.). Il y a une rationalité socio-politique et un modèle
économique qui justifient les aides publiques à la création d’emplois dans le
secteur privé. Les DRH doivent être conscients
de cette dimension socio-
politique du management des ressources humaines car cela peut leur donner
une marge de négociation
avec les parties prenantes publiques et influencer
les coûts induits par leur politique de recrutement.
Inversement, les pouvoirs publics peuvent gêner la politique de
recrutement de l’entreprise et conduire cette dernière à de
nouvelles
pratiques pour s’adapter. L’exemple de Microsoft  aux États-Unis illustre
cette problématique. Dans les années 2000,
l’entreprise a connu une forte
croissance qui a rendu nécessaire le recrutement de nombreux salariés. Le
chiffre d’affaires
est passé de 25,1  milliards de dollars en 2001 à
60,4 milliards en 2008 (+ 140,6 %). Dans le même temps, les effectifs sont
passés de 47 600 personnes à 91 000 personnes (+ 91,2 %). L’accroissement
du chiffre d’affaires a entraîné le recrutement
de salariés hautement
qualifiés, notamment des ingénieurs informatiques dans la division
Recherche & Développement. L’objectif
de ces recrutements est de générer
des innovations dans un secteur industriel où elles sont particulièrement
stratégiques.
Les effectifs dans la division R&D sont passés de 19  400 en
2001 à 35 000 en 2008 (+ 80,4 %). Les modalités et la localisation
de cet
accroissement d’effectifs illustrent l’interaction entre la politique de
recrutement et les décisions des pouvoirs
publics. A priori, la solution la
plus évidente consistait pour Microsoft à recruter des ingénieurs sur le
territoire américain. Cependant,
aux Etats-Unis, suite à la crise du secteur
des hautes technologies de 2001, le nombre d’étudiants inscrits dans les
cursus
informatiques a fortement baissé, limitant de fait les possibilités de
recrutement dans les universités américaines. De plus,
sur le territoire
américain, Microsoft a dû faire face à cette époque à des concurrents plus
attractifs sur le marché du travail,
notamment Google, Facebook et autres
start-ups du secteur des hautes technologies. Une solution alternative fut de
recourir
à l’immigration. À cet égard, Microsoft est l’entreprise américaine
qui sponsorise le plus de salariés pour obtenir un visa
H1B[3] (23  011
entre  2001 et  2008). Cependant, suite aux attentats du 11  septembre 2001
puis à l’accroissement du chômage, le gouvernement
américain a
drastiquement réduit le nombre de visas H1B délivrés pour permettre à des
étrangers de travailler aux États-Unis.
Le nombre de visas accordés est
passé de 201  079 en 2001 à 103  584 en 2002 pour ensuite rester stable
(109 335 en 2008). Pour
faire face à cette nouvelle politique d’immigration,
Microsoft a, d’une part, mené une politique de lobbying auprès des
pouvoirs
publics en faveur d’un accroissement du nombre de visas,
notamment à travers l’association The Task Force on the Future of
American Innovation créée en 2004 et composée d’entreprises high-tech,
d’universités et d’associations académiques et, d’autre part, mené une
politique d’implantation de laboratoires de R&D à l’étranger. Ainsi,
Microsoft a créé et développé des laboratoires de R&D
en Chine, au
Danemark, en Angleterre, en Inde, en Irlande et en Israël afin de recruter les
talents qu’elle ne pouvait faire
venir aux États-Unis. La création d’un centre
de R&D à Vancouver au Canada, pays à la politique d’immigration plus
souple,
à une centaine de kilomètres du siège de Microsoft à Redmond aux
États-Unis illustre aussi cette stratégie pour contourner
la politique
d’immigration du gouvernement américain. Cette proximité géographique
permet aux ingénieurs basés au Canada de
venir régulièrement travailler au
siège de l’entreprise. Ainsi, entre  2001 et  2008, la part des effectifs de
Microsoft basée
à l’étranger est passée de 30,6 % (14 600 salariés) à 39,6 %
(36 000 salariés).
Ces trois dimensions stratégique, économique et socio-politique peuvent
influencer positivement ou négativement la politique
de recrutement et
doivent être prises en considération par la DRH dans le pilotage du
processus de recrutement.

Section 2

LE PROCESSUS DE RECRUTEMENT

Au-delà de la nature des ressources humaines nécessaires à la mise en


œuvre de la stratégie, des mécanismes concurrentiels
du marché du travail
et des enjeux socio-politique liés à l’emploi, la qualité du processus de
recrutement contribue également
à l’avantage concurrentiel de l’entreprise
en assurant un flux de ressources humaines de qualité. Le recrutement
constitue
un exercice de marketing RH car c’est un acte de communication
de la part de l’entreprise qui influence son image employeur
mais
également son image en général. Un candidat potentiel peut également être
un client ou un investisseur potentiel. La
qualité du processus de
recrutement, notamment de la relation avec tous les candidats est
importante. Cela commence par l’accusé
de réception des candidatures,
l’organisation de l’entretien et la qualité et la vitesse de la réponse positive
ou négative
qui est faite au candidat.
Le processus de recrutement vise à identifier et à attirer le meilleur
candidat pour un poste défini. La qualité de ce processus
détermine la
qualité des RH recrutées par l’entreprise. Lors d’un recrutement, une
entreprise doit s’assurer que :
l’individu détient les compétences nécessaires à l’accomplissement des
missions du poste pour lequel il est recruté ;
l’individu est motivé pour accomplir les missions du poste ;
l’individu s’intégrera dans le collectif de travail et la culture de
l’organisation.
C’est la combinaison de ces trois dimensions qui assure le succès d’un
recrutement.
La procédure de recrutement définie par l’entreprise et les méthodes de
sélection ont pour objectif de réduire l’incertitude
et d’assurer l’adéquation
entre la personne recrutée et le poste proposé. Bien souvent, le processus de
recrutement se focalise
sur la détention des compétences plus que sur la
motivation et la capacité à travailler avec le collectif humain de l’entreprise.
Cependant, chacune des trois formes d’incertitude peut conduire à un échec
en matière de recrutement.
Enfin, une dimension importante du processus de recrutement est la
capacité d’anticipation du besoin afin d’éviter les situations
d’urgence. Un
recrutement effectué dans la précipitation a une plus grande probabilité
d’aboutir à un échec. En cela, l’inscription
de la démarche anticipatrice de
la politique de recrutement dans le schéma directeur de la gestion
prévisionnelle des ressources
humaines est une condition de réussite d’un
recrutement.
Dès lors que la décision de recruter a été prise et le poste a été budgétisé,
il convient pour la DRH d’organiser le recrutement.
Ce dernier suit un
processus qui peut être décomposé en six étapes (figure 3.1) :
la définition du profil de compétences du poste ;
la signalisation de l’offre d’emploi sur le marché du travail ;
la sélection des candidats ;
l’évaluation des candidats ;
la contractualisation de la relation de travail ;
l’intégration dans l’entreprise de la personne recrutée.
Ce processus est particulièrement important car la qualité des
recrutements peut avoir une influence négative ou positive
sur la
performance de l’entreprise.
À chacune de ces étapes, des acteurs différents, tant internes qu’externes à
l’entreprise, peuvent intervenir dans le processus.
Le recrutement apparaît
comme une fonction partagée entre les managers opérationnels et la
direction des ressources humaines.
Le rôle de la hiérarchie opérationnelle
dans le processus de recrutement est plus ou moins important selon les
entreprises
et les postes, cela confère corollairement un rôle plus ou moins
important à la DRH. Le rôle de cette dernière varie entre
la simple fonction
administrative de pilotage du processus à un rôle décisionnaire avec une
possibilité de véto sur le choix
des candidats. Généralement, plus la
fonction est stratégique et plus la hiérarchie est déterminante dans la
décision de recrutement.
Par exemple, dans les sociétés de conseil ou les
cabinets d’avocats (entreprises intenses en ressources humaines), les
associés,
qui dirigent l’entreprise, rencontrent les candidats en fin de
processus, même pour les postes de juniors, et ils sont les
décisionnaires
finaux du recrutement. Dans ce cas, le rôle de la DRH consiste à piloter le
processus et à garantir son équité
et sa qualité.
Figure 3.1  – Le processus de recrutement piloté par la DRH

1 La définition de compétences du poste


La définition d’un profil de compétences de poste pour lequel l’entreprise
recrute nécessite de prendre en compte plusieurs
dimensions :

1.1 Le profil de compétences


Le profil de compétences d’un poste définit :
L’appellation du poste. Par exemple : responsable marketing.
La mission du poste qui se décrit par sa finalité dans l’organisation.
Par exemple  pour un responsable marketing  : Définir et mettre en
œuvre
la stratégie marketing  en matière de tarifs, promotion,
communication, gammes de produits et support technique pour
l’ensemble
des produits de l’entreprise.
Les principales responsabilités du poste. Par exemple, pour un
responsable marketing : manager des équipes, participer à la définition
de la stratégie de développement
de produits avec les services de
R&D, de production et commercial, réaliser des études marketing,
élaborer et suivre le budget
marketing, etc.
Le positionnement dans la structure. Par exemple, le responsable
marketing relève-t-il du directeur général, du directeur commercial ou
d’un chef de projet.
À cet égard, le « répertoire opérationnel des métiers et emplois » (ROME)
qui regroupe 466 fiches emplois/métiers définies
par Pôle Emploi constitue
une aide utile pour définir un poste de travail.
À partir du profil de poste, il convient de définir les compétences
nécessaires pour occuper le poste, notamment en distinguant
les
compétences indispensables, de celles qui sont essentielles et celles qui sont
souhaitables. Les répertoires de compétences
définis dans le cadre de la
gestion prévisionnelle des RH (chapitre  2) constituent un outil utile à la
définition des profils de compétences dans le cadre d’un recrutement.
Six catégories de compétences peuvent être identifiées :
Les savoirs. Il s’agit des connaissances techniques et des expertises
nécessaires pour occuper le poste de travail (connaissance d’un
langage informatique, d’un savoir médical, etc.).
Le savoir-faire. Il correspond à la mobilisation des connaissances
adaptées à des situations spécifiques du poste de travail (tour de main,
utilisation adaptée de règles de droit ou de normes comptables, etc.)
Le savoir-évoluer. Il s’agit de la capacité d’apprentissage et de
changement d’activité lié au poste. Ce dernier peut induire une certaine
flexibilité
et, à moyen terme, s’inscrire dans un parcours de mobilité.
Par exemple, dans les sociétés de conseil et les cabinets d’audit,
le
processus de recrutement de consultants et d’auditeurs juniors évalue
également la capacité des jeunes diplômés à devenir
des managers
d’équipe quatre ou cinq ans après leur embauche.
Le savoir-être. Il correspond aux attitudes et aux comportements
nécessaires dans le poste (politesse, empathie, rigueur, créativité, etc.)
et qui relèvent de la personnalité du titulaire.
Le savoir managérial. Il s’agit de la capacité à manager des équipes,
à faire adhérer des groupes de travail à un projet et à organiser la
coordination
des collaborateurs.
Le savoir relationnel. Il s’agit du réseau (ou capital social) détenu par
le candidat, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation,
qui est nécessaire pour occuper un poste. Par exemple, les emplois de
gestionnaire de patrimoine, de responsable des partenariats
scientifiques ou industriels, d’agent commercial ou de lobbyiste sont
recrutés pour leur réseau social externe («  leur carnet
d’adresses  »).
Certains réseaux internes au sein des différentes entités de l’entreprise
peuvent être nécessaires pour être
performant. Par exemple, un chef de
projet qui doit constituer des équipes projets transversales à son
organisation a plus
de facilité à le faire s’il a des contacts dans les
entités à partir desquelles il doit composer son équipe.
La définition précise d’un profil de compétences pour un poste donné vise
à éviter trois risques :
Le risque de surqualification du profil de compétences pour le
poste qui peut empêcher de trouver sur le marché du travail des
personnes ayant un profil adapté. Une surqualification peut aussi
conduire au recrutement de salariés à des niveaux de rémunération trop
élevés au regard du poste. La distinction entre les
compétences
indispensables et les autres doivent permettre d’éviter cet écueil.
Le risque de surqualification du salarié par rapport au poste
occupé qui, à terme, engendre un fort taux de turnover. Ainsi, certaines
entreprises profitent des périodes de chômage important
pour recruter
des profils surqualifiés qui en temps normal ne viendraient pas
travailler pour eux au niveau de rémunération
proposé. Du point de
vue de l’entreprise, cela peut sembler être une décision rationnelle
pour recruter des salariés compétents.
À moyen terme, le recrutement
de salariés surqualifiés mais peu motivés risque d’entraîner des taux de
démissions importants
en période de reprise économique. Ainsi, la
Banque Postale a recruté de nombreux jeunes diplômés de
l’enseignement supérieur
pour des fonctions de conseillers de clientèle
à une époque où les banques ne recrutaient pas en raison de la
conjoncture
économique. Ces jeunes recrues, parfois très diplômées,
n’avaient souvent pas une réellement motivation à travailler pour
la
Banque Postale et ils ont accepté ces emplois dans l’attente d’une
reprise de la conjoncture dans le secteur bancaire.
Quand cette dernière
a eu lieu, les démissions de conseillers de clientèle de la Banque
Postale pour aller travailler dans
des banques ont été nombreuses. Ces
démissions étaient induites par les niveaux de rémunération plus élevés
offerts par les
banques et au prestige plus grand à travailler dans ce
type d’établissement.
Le risque de sous-qualification du profil de compétences du poste
qui amène à recruter des salariés sous-qualifiés. Cette sous-
qualification peut être liée à une volonté de réaliser des économies
salariales en recrutant des salariés moins qualifiés. Il peut également
s’agir de raisons moins financières. Par exemple,
un directeur
informatique d’une banque, diplômé de niveau bac+  2, bloquait
systématiquement le recrutement d’ingénieurs de
niveau bac+  5 dans
sa direction en raison d’un complexe d’infériorité et d’une peur de ne
pas pouvoir manager des collaborateurs
plus diplômés que lui.

1.2 La compréhension du profil de compétences par les acteurs


du marché du travail
La seconde contrainte liée à la définition d’un profil de compétences est
externe à l’organisation. La définition du poste
doit être compréhensible par
les acteurs du marché du travail (demandeurs d’emploi, agences de
recrutement, office public
de l’emploi, agences de travail temporaire, etc.).
Plus la fonction sera spécifique et plus l’effort de définition doit être
important. Plus le poste est standardisé, bien identifié par les acteurs du
marché du travail et donne lieu à des formations
diplômantes dans le
système éducatif, et moins seront importants les efforts de définition des
profils de poste.
La définition de poste et le profil de compétences déterminent la visibilité
de l’offre d’emploi sur le marché du travail
et la qualité du recrutement. Par
exemple, la définition du profil d’un responsable marketing dans l’industrie
du luxe qui
accorderait plus d’importance à la dimension industrielle
risquerait de se priver de candidat venant des entreprises de la
grande
consommation comme Procter & Gamble, Univeler ou Nestlé qui sont des
entreprises connues pour former d’excellents experts
en marketing dont
sont friandes les entreprises du luxe comme LVMH ou PPR. De même,
Alcatel Space recrute des prothésistes
dentaires pour la fabrication de ses
satellites car les profils de compétences permettent de mettre en évidence
des proximités
de compétences telles que la capacité à travailler dans des
environnements propres et la dextérité dans le travail manuel.

1.3 Organisation du travail et profil de compétences 


La définition du profil de compétences est liée à l’organisation du travail
dans laquelle s’inscrit le poste de travail. Un
changement dans
l’organisation du travail peut modifier le profil de compétences d’un poste
et, in fine, modifier celui des personnes qui candidateront pour le poste.
L’organisation du travail et les modifications qui peuvent
y être apportées
influencent la nature des compétences que l’entreprise cherche à recruter
sur le marché du travail et déterminent
les segments sur lesquels elle peut
sourcer des candidats. Par exemple, une entreprise de livraison qui
prévoyait que ses
livreurs effectuent le chargement des camions avant les
tournées connaissait un fort taux de turnover de ses conducteurs de
camion
et éprouvait des difficultés à en recruter du fait de la pénibilité du travail.
L’entreprise a redéfini son organisation
du travail en retirant le chargement
des camions des activités des livreurs et en spécialisant des salariés dans le
chargement
des camions dans les entrepôts. Cette réorganisation a réduit la
pénibilité du travail de livreur et elle a permis d’élargir
le spectre de
candidats potentiels en ne faisant plus de la force physique une condition de
recrutement. La satisfaction des
livreurs s’en est trouvée accrue et cela a
diminué leur turnover. Cette plus grande stabilité des livreurs a conduit à
une
plus grande satisfaction des clients qui gardaient les mêmes
interlocuteurs. De plus, la ponctualité et la rapidité sont des
enjeux
importants des activités de livraison, or ces qualités sont liées à la
connaissance des parcours de livraison. La plus
grande stabilité des livreurs
leur a permis d’accumuler la connaissance spécifique du parcours et donc
d’améliorer la qualité
du service de livraison.

1.4 Politique de diversité et profil de compétences


C’est également lors de la définition du profil de compétences qu’est prise
en compte la dimension relative à la diversité
des candidats. La question de
la diversité est souvent abordée sous l’aspect de la responsabilité sociale de
l’entreprise
et peut correspondre à une obligation légale imposée par les
pouvoirs publics (quotas de femmes, de personnes handicapées
ou de
minorités ethniques). La diversité peut également constituer un enjeu
économique pour l’entreprise. La recherche de
performance peut conduire à
recruter des profils de formation différents pour apporter une autre forme de
représentation ou
des rationalités différentes au sein de l’organisation afin
de mieux appréhender un marché ou une activité.
Par exemple, la société américaine de distribution de produits de
bricolage Home Depot s’est rendu compte que ses vendeurs
les plus âgés
réalisaient de meilleurs chiffres de ventes. La raison était liée au fait que les
clients sont en moyenne plutôt
âgés. La proximité sociologique entre les
acheteurs et les vendeurs de Home Depot permet une meilleure
compréhension des attentes
des clients et favorise les échanges. De plus, les
vendeurs plus âgés tendent à être plus stables que les plus jeunes,
notamment
les étudiants recrutés comme vendeurs. Cette stabilité favorise
l’apprentissage des spécificités du magasin et contribue à
la qualité de la
relation avec les clients. Pour ces deux raisons, la chaîne de distribution
Home Depot fait de la séniorité
des candidats un critère important du
recrutement de ses vendeurs.

2 La signalisation de l’offre d’emploi sur le


marché du travail pour sourcer les candidats
Dès lors que le profil de compétences d’un poste est défini, il convient de
signaler sur le marché du travail l’existence
de l’offre d’emploi. Cette
information doit être adressée à ceux qui peuvent être potentiellement
intéressés par l’offre et
dont le profil est intéressant pour l’entreprise.
Cependant, le marché du travail est segmenté selon les qualifications et
les
zones géographiques. L’information y circule imparfaitement et selon des
canaux de communication particuliers en fonction
des segments du marché
du travail. La qualité du ciblage de la population visée est importante car
elle détermine le nombre
et la pertinence des candidatures que l’entreprise
reçoit. Un ciblage trop étroit réduit le nombre de candidats parmi lesquels
l’entreprise pourra choisir un salarié. Inversement, un ciblage trop large
amène l’entreprise à recevoir trop de candidatures
et un excès de candidats
accroît le coût de l’étape de sélection.
Le second enjeu au moment de diffuser l’offre d’emploi relève de
l’attractivité de l’organisation par rapport à ses concurrents
sur le marché du
travail. C’est l’attractivité de l’entreprise et de son offre qui déterminent le
flux de candidatures qu’elle
reçoit. Il convient que l’entreprise fasse un
diagnostic de son attractivité, afin d’éventuellement l’améliorer,
préalablement
à sa campagne de recrutement.

2.1 La signalisation de l’offre d’emploi


Dès lors que les besoins ont été spécifiés, il convient de définir les
sources de ressources humaines dans lesquelles l’entreprise
va pouvoir
recruter. Dans un premier temps il convient d’identifier le segment du
marché du travail auquel l’entreprise va
s’adresser pour savoir où se trouve
la main-d’œuvre qualifiée. La structuration du marché du travail influence
la mise en
œuvre des moyens de prospection. L’objectif est d’identifier cette
structuration, c’est-à-dire savoir où se trouve la population
potentiellement
« recrutable » par l’entreprise.
En général, les trois sources principales de recrutement sont  composées
du système éducatif, des autres entreprises et des
demandeurs d’emploi sans
travail. Le degré de concentration du secteur d’activité influence le nombre
de sources. Par exemple,
dans le secteur aéronautique il y a deux acteurs
principaux : Boeing et Airbus. Cela a conduit Boeing à ouvrir un bureau de
recrutement à Toulouse, siège de l’avionneur européen. Dans les
télécommunications en France il y a quatre grands acteurs
(France Télécom,
SFR, Bouygues Telecom et Free) qui sont en concurrence pour recruter les
diplômés des écoles d’ingénieurs
en télécoms. En revanche, dans le secteur
de l’expertise-comptable, la situation est plus proche de la concurrence pure
et
parfaite car à côté des grands noms de l’audit, il existe une pléthore de
cabinets d’experts-comptables.
L’enjeu en matière de recrutement est de s’assurer que l’offre d’emploi est
bien communiquée aux personnes dont le profil
correspond à la définition
du poste et, dans l’idéal, qu’à eux seuls. Les profils qui intéressent
l’entreprise ne veulent
pas nécessairement travailler pour elle et,
inversement, tous les candidats souhaitant travailler dans une entreprise
n’intéressent
pas nécessairement cette dernière. L’enjeu pour l’entreprise est
d’accroître le nombre de candidatures souhaitées et de réduire
les
candidatures indésirables. Certaines entreprises sont submergées de
candidatures quand elles offrent un emploi. Or la
sélection des candidats
représente un coût important et induit un temps de traitement conséquent.
Par exemple, Google a reçu
certaines années plus d’un million de
candidatures. Si l’on compte dix minutes par dossier pour identifier si le
candidat
peut potentiellement être intéressant, cela représente 104  salariés
en équivalent temps plein par an pour trier les candidatures.
Les modalités
de signalisation visent donc à cibler les populations concernées pour
sourcer les meilleurs candidats et à ne
pas accroître les coûts de transaction
du fait de postulants inappropriés.
L’entreprise doit choisir un vecteur de communication adapté pour
signaler l’offre d’emploi au segment de population visée.
L’objectif est de
trouver le média qui a la plus grande probabilité d’informer les personnes
concernées tout en répondant
à des contraintes de coûts. L’entreprise peut
signaler l’offre d’emploi directement à travers :
la presse spécialisée (Le Nouvel Observateur, Le Monde, The
Economist pour les managers  ; 01 Informatique pour les
informaticiens, Les Échos, The Financial Times pour les emplois liés à
la finance, etc.) ;
les amphis de présentation et les forums emplois dans les écoles et
les universités pour recruter de jeunes diplômés. Plusieurs entreprises
ont créé une fonction de campus manager pour gérer les relations avec
les écoles et les universités. Certaines d’entre elles ont dédié des
campus managers à temps plein dans des universités où il est
stratégique pour elles de recruter des talents. Par exemple, Google a
dédié
une personne sur le campus de l’université de Stanford pour
entretenir des relations avec l’institution et les étudiants et
ainsi
accroître le flux de candidatures. Les managers et les dirigeants
peuvent également être directement impliqués dans
cette approche en
donnant des cours ou des conférences sur les campus des universités
cibles en matière de recrutement.
les publications académiques et les conférences scientifiques sont
des moyens d’identifier et de sourcer des candidats, notamment pour
recruter des chercheurs pour les départements de
R&D ;
les offres d’emplois sur des sites Internet généralistes dédiés à
l’emploi comme Monster.com, mais également sur des sites Internet
professionnels dédiés à un secteur d’activité
particulier (par exemple
pour les métiers de la banque et de la finance : efinancialcareer.com),
sur des sites communautaires
comme par exemple LinkedIn, Viadeo
ou Facebook. Enfin, le site Internet de l’entreprise est également un
moyen de sourcer
des candidats par la création d’une rubrique dédiée
aux recrutements.
Les nouvelles technologies peuvent permettre d’accroître la signalisation
des offres d’emploi sur le marché du travail et
surtout d’en réduire le coût
de signalisation. La création d’une rubrique emploi sur le site Internet d’une
entreprise lui
permet, théoriquement, d’informer des emplois qu’elle offre
l’ensemble de la population ayant accès à Internet. Cependant,
au-delà des
possibilités technologiques, l’enjeu pour l’entreprise est de s’assurer que les
candidats potentiels viennent
sur son site Internet.
Les nouvelles technologies peuvent également permettre des stratégiques
plus sophistiquées en matière de recrutement. Ainsi,
dans l’industrie de
l’armement, l’entreprise Thalès souffrait d’un déficit d’image auprès des
ingénieurs et peinait à susciter
des candidatures. Pour accroître sa visibilité
sur ce segment du marché du travail, l’entreprise a conçu et déployé un jeu
sur Internet (un serious game). Ce jeu, appelé Moonshield, invitait les
jeunes ingénieurs à construire une base lunaire pour sauver la terre d’une
pluie
d’astéroïdes. La dimension ludique et la problématique du jeu ont
attiré de nombreux ingénieurs dont l’essentiel ne connaissait
pas
l’entreprise. À travers ce jeu, l’entreprise a accru sa visibilité sur le marché
du travail et le nombre de candidats
a augmenté lors des campagnes de
recrutement qui ont suivi.
L’entreprise peut également signaler l’offre d’emploi par l’entremise
d’intermédiaires du marché du travail. Il s’agit notamment
des :
cabinets de chasse de têtes (Executive search firms) pour le
recrutement de cadres dirigeants et de cadres supérieurs. Ces cabinets
participent à la définition du profil de
compétences du poste à pourvoir
et ils pratiquent une approche directe des candidats potentiels ;
cabinets de recrutement, qui ont une fonction similaire aux
précédents mais pour des populations de cadres intermédiaires. Ils
mobilisent également
des moyens différents. Ils s’appuient sur leurs
bases de données de candidats et mènent des campagnes de
recrutement pour
certains profils spécifiques lorsqu’ils anticipent une
demande de la part de leurs clients.
entreprises de travail temporaire (Adecco, Manpower, etc.) qui
peuvent également prendre en charge une partie du processus de
recrutement (définition du poste,
signalisation sur le marché du travail
et présélection).
offices publics ou semi-publics de l’emploi, tel que Pôle Emploi ou
l’APEC (en France) ou l’Office Cantonal de l’Emploi (en Suisse), qui
sont des institutions auprès
desquelles les entreprises peuvent sourcer
et faire présélectionner des candidats.

2.2 L’attractivité sur le marché du travail


Il convient pour l’entreprise de s’interroger sur son attractivité sur le
segment du marché du travail sur lequel elle souhaite
recruter et sur les
pratiques à mettre en œuvre pour accroître cette attractivité. L’objet du
marketing RH et de la gestion
de la marque employeur consiste à gérer
l’attractivité de l’organisation sur le marché du travail.
L’attractivité de l’organisation est liée à la combinaison des trois
dimensions qui composent la proposition de valeur qu’elle
fait aux salariés
(Employee Value Proposition) et le positionnement de cette proposition par
rapport à celle de ses concurrents sur le marché du travail :
La dimension économique liée à la rémunération proposée et sa
compétitivité par rapport aux employeurs concurrents (motivation
extrinsèque). La rémunération
s’entend au sens large, c’est-à-dire le
montant du salaire fixe, la part variable (bonus ou prime), les
avantages en nature,
la prise en charge de certaines assurances, les
possibilités d’augmentation et la sécurité de l’emploi. Une organisation
est
d’autant plus attractive qu’elle rémunère mieux ses salariés que ses
concurrents. Cela est particulièrement important quand
les concurrents
sur le marché du travail sont également ceux du marché des produits et
services de la firme.
La dimension sociologique liée au statut de l’emploi et/ou de
l’organisation (motivation extrinsèque). Par exemple être juriste pour
une association
humanitaire comme Amnesty International constitue
un poste plus attractif du point de vue du statut social que celui de
juriste
pour une société fabriquant des cigarettes. Le faible statut social
des cigarettiers les oblige parfois à payer des rémunérations
supérieures à celles en vigueur sur le marché du travail pour pouvoir
recruter des candidats.
La dimension psychologique liée à l’intérêt, au contenu et à
l’autonomie dans le travail. Par exemple un chercheur en médecine
peut préférer travailler
dans une université qu’exercer ses compétences
dans une clinique privée ou un laboratoire pharmaceutique car il
bénéficiera
d’une plus grande liberté dans ses recherches et accédera à
des patients présentant des pathologies plus intéressantes. Cette
dimension psychologique relève de la motivation intrinsèque des
individus.
Si les concurrents sur le marché des produits et services (output) de
l’entreprise sont souvent également ses concurrents sur le marché du travail
(input), il est important de noter que la concurrence ne se réduit pas à ces
acteurs mais inclut des entités qui peuvent être dans
un secteur très éloigné
de l’activité de l’entreprise. Ainsi, si les concurrents « naturels » du cabinet
d’audit PWC pour
recruter des auditeurs financiers sont les autres cabinets
d’audit comme Ernst&Young, Deloitte et KPMG  ; il convient également
d’inclure dans les concurrents toutes les entreprises qui recrutent des
auditeurs pour leur direction financière que ce soit
des banques, des groupes
énergétiques, des entreprises de hautes technologies ou des constructeurs
automobiles.
Certaines entreprises font preuve de créativité pour améliorer leur
attractivité et leur marque employeur. Par exemple, un
cabinet de conseil
spécialisé en rémunération qui venait de s’implanter en Suisse et cherchait à
recruter des actuaires souffrait
de sa faible notoriété sur le marché du travail
helvétique par rapport à ses concurrents. Afin de dépasser cette limite, le
cabinet de conseil a délégué un de ses associés pour donner gratuitement
des cours dans un master en Sciences actuarielles
de l’Université de
Lausanne afin de faire connaître l’entreprise et de repérer d’éventuels
étudiants intéressés par un emploi
dans le cabinet.
Les entreprises mènent également d’autres initiatives pour améliorer leur
marque employeur et accroître leur attractivité.
Certaines industries ou
entreprises souffrent d’un réel déficit d’image sur le marché du travail. Cela
les conduit à créer
des évènements dont la médiatisation accroît leur
notoriété et, in fine, leur attractivité. Ainsi, McDonald’s a créé des centres
de l’emploi et des métiers dans des endroits centraux de grandes
villes pour
permettre aux candidats de connaître les offres d’emploi disponibles, de
déposer un dossier de candidature et
de réaliser un premier entretien de
recrutement. L’entreprise s’engage à donner une réponse dans les 48 heures
aux candidats.
Entre  2002 et  2004, l’antenne parisienne a reçu 11  000
candidatures et 10  % des candidats ont été recrutés. Dans le même ordre
d’idée, des entreprises comme Auchan, Danone et Decathlon ont organisé
une journée de recrutement au Stade de France. Le prestige
du lieu a attiré
de nombreux candidats et les médias ont couvert l’évènement. De même, la
BNP Paribas a organisé une journée
«  portes ouvertes  » dans une de ses
agences parisiennes pour permettre à toutes les personnes qui le désiraient
de venir déposer
leur candidature et d’avoir un premier entretien de
recrutement. Une année, cette opération a permis à la banque de recevoir
2  500 candidats et de faire 140 propositions d’embauche. Ces pratiques
originales de recrutement ont été fortement médiatisées
et ont contribué à
l’attractivité de l’entreprise.
Il n’est pas rare que les dirigeants de l’entreprise s’impliquent dans le
processus de recrutement. Ainsi, en 2011, alors
que l’image de l’industrie
automobile était passablement dégradée aux États-Unis et peinait de ce fait
à attirer des talents,
le PDG de Ford, Alan Mulally, a donné des conférences
dans les universités, notamment à la business school de Stanford, dans le
but d’amener plus d’étudiants à postuler à un emploi chez Ford.
L’enjeu en matière d’attractivité est d’arriver à intéresser des candidats
qui a  priori ne le sont pas. Par exemple, de nombreuses entreprises
cherchent à accroître leurs effectifs de managers féminins, notamment
pour
répondre à des engagements en matière de responsabilité sociale et de
diversité. Certaines industries attirent aisément
des femmes diplômées de
l’enseignement supérieur (notamment le luxe, la santé et la banque). En
revanche, d’autres secteurs
comme l’automobile, la sidérurgie ou le
bâtiment ont des difficultés à attirer des candidates. Il convient pour ces
entreprises
de faire un réel effort pour améliorer leur attractivité. La même
problématique se pose selon les pays dans lesquels l’entreprise
souhaite
recruter. Certaines entreprises sont très attractives en Europe mais sont
inconnues en Inde, en Chine ou au Brésil.
Les entreprises doivent, dans le
cadre de leur développement international, investir localement dans la
promotion de leur
marque employeur afin d’accroître leur attractivité.

3 La sélection et l’évaluation des candidats


L’enjeu de la sélection des candidatures est d’identifier la ou les
personnes qui correspondent le mieux au profil de compétences
du poste
préalablement défini. Il s’agit d’appréhender l’incertitude relative aux
savoir, savoir-faire, savoir-être, savoir-évoluer, savoir managérial et savoir-
relationnel des candidats. Certains de ces savoirs sont particulièrement
difficiles à identifier préalablement au recrutement. Il en
est ainsi pour
évaluer la capacité de réaction face aux situations de crise, l’honnêteté ou la
capacité à manager des équipes
d’un candidat. Les méthodes d’évaluation
ont pour objectif de réduire l’incertitude sur la qualité des ressources
humaines
lors de l’étape de la sélection des candidats.
Les méthodes d’évaluation, scientifiques ou non, sont fréquemment
stigmatisées pour leur manque d’efficacité pour appréhender
les
compétences des individus et à sélectionner les bons candidats. Il n’y a pas
de méthode qui garantisse parfaitement à
une entreprise qu’elle sélectionne
la personne la plus adéquate pour le poste qu’elle offre. Cette incertitude
traduit à la
fois la complexité des dimensions à prendre en compte lors d’un
recrutement et le fait que la qualité d’un candidat ne s’évalue
pas dans
l’absolu mais qu’elle est relative au contexte de travail propre à l’entreprise.
Un candidat peut être parfaitement
adapté à la culture et aux méthodes de
travail d’une organisation mais pas à celles d’une autre. Au-delà des
compétences intrinsèques
d’un candidat qu’un processus de sélection peut
chercher à évaluer, il convient également d’évaluer l’adéquation entre le
candidat et le collectif de travail auquel il doit être intégré. Cette dimension
est à la fois subjective et idiosyncrasique,
c’est-à-dire spécifique à la
situation de travail. Ainsi, un jeune ingénieur diplômé de l’enseignement
supérieur s’intègre
plus aisément dans un collectif de travail composé de
jeunes ingénieurs ayant le même profil que lui que dans une unité composée
de salariés plus âgés et autodidactes.
Plusieurs méthodes d’évaluation existent. Chacune d’entre elles vise à
identifier une dimension du profil de compétences (cf.
tableau 3.2). Les
pratiques d’évaluation représentent un coût pour l’entreprise. Il convient
d’user de la méthode adaptée aux compétences
à évaluer et arbitrer entre
l’importance des informations nécessaires à l’évaluation et le coût pour les
obtenir. Parfois,
des méthodes très simples permettent de faire une première
sélection. Ainsi, le constructeur automobile Toyota qui recrute
des ouvriers
pour ses usines américaines demande aux candidats qui sortent du collège
d’amener leur bulletin de présence scolaire
à la DRH car la compétence
importante à évaluer est la ponctualité pour ne pas perturber l’organisation
du travail en 3x8
de l’usine. Cette pratique favorise l’auto-sélection car les
étudiants qui ont un piètre bulletin de présence au collège renoncent
d’eux-
mêmes à candidater à un emploi chez Toyota.

3.1 L’analyse des CV
L’analyse des CV constitue une première étape du processus d’évaluation.
Elle permet d’identifier les diplômes et l’expérience
professionnelle des
candidats.
Le diplôme permet d’apprécier la qualité des savoirs des candidats car il
donne une information sur sa spécialisation (métallurgie,
informatique,
biologie, gestion, etc.). Il donne également une indication sur le savoir-
évoluer des candidats, notamment sur
leur capacité d’apprentissage et
d’évolution de carrière (par exemple, un ingénieur qui a obtenu un MBA
fait preuve d’une
certaine capacité d’évolution). Il peut parfois permettre
d’évaluer le savoir-être des candidats. Par exemple, les cabinets
d’audit et
de conseil de la Suisse Romande apprécient les diplômés de l’Ecole
Hôtelière de Lausanne non pas pour des compétences
particulières en
gestion mais parce l’école leur transmet une culture du service (politesse,
tenue, etc.) importante dans
les relations avec les clients. De plus, leur
formation les familiarise avec des secteurs d’activité (tourisme, hôtellerie,
restauration, loisir….) dans lesquels il est normal de travailler la nuit ou le
week-end. Ceci les prédispose à supporter
des périodes d’activité chargées
comme peuvent en connaître les activités de conseil ou d’audit. Les
diplômes sont également
une forme de standardisation des compétences
détenues et constituent un signal sur le marché du travail. Les employeurs
hiérarchisent
parfois les institutions de formation (écoles d’ingénieur, écoles
de management, etc.) et privilégient certains diplômes à
d’autres.
Les entreprises dans lesquelles le candidat a précédemment travaillé et qui
sont mentionnées dans le CV donnent une indication
sur ses compétences et
ses qualités. Certaines entreprises sont connues pour leur capacité à former
leurs salariés dans certains
domaines d’expertise. Par exemple, les grands
cabinets d’audit sont connus pour former des auditeurs financiers et les
entreprises
du secteur de la grande consommation (Nestlé,
Procter&Gamble, Unilever, etc.) ont la réputation de former des experts en
marketing.
Le fait d’avoir une expérience professionnelle dans une
entreprise réputée est un élément positif dans l’évaluation d’une
candidature.
3.2 Les tests d’évaluation
Plusieurs méthodes ont été développées pour essayer d’identifier plus ou
moins scientifiquement les compétences des individus.
Elles peuvent être
regroupées en trois grandes catégories :
Les tests de connaissance. Ils visent à évaluer les aptitudes
professionnelles des individus (connaissances techniques, dextérité,
respect de normes
de qualité, programmation informatique…). Il s’agit
du savoir et du savoir-faire des candidats.
Les tests d’intelligence. Leur objectif est d’évaluer la capacité
d’adaptation intellectuelle, le sens logique, la créativité ou
l’imagination des
candidats. Dans ce cas, ce sont plutôt le savoir-être
et le savoir-évoluer qui sont principalement évalués.
Les tests de personnalité. Ils visent à évaluer la personnalité des
candidats en matière d’autorité, de dynamisme, de sociabilité,
d’autonomie et de
contrôle émotionnel. Dans ce cas, ce sont le savoir-
être et le savoir managérial qui sont évalués.
Le développement des nouvelles technologies et d’Internet modifient les
pratiques d’évaluation. Ainsi, de nombreuses entreprises,
notamment dans
le secteur financier, font passer sur Internet des tests de connaissance,
parfois dans un délai déterminé,
aux personnes qui candidatent de manière
électronique à leurs offres d’emplois. Ces tests permettent d’évaluer le
savoir lié
au métier et les connaissances linguistiques. Ils constituent une
première étape de sélection. Seuls ceux qui réussissent
les tests de
connaissance sont invités à poursuivre le processus de recrutement, soit
pour passer d’autres tests électroniques,
soit en étant convié à un entretien.
L’administration de ces tests via Internet permet d’en automatiser le
traitement et de réduire drastiquement les coûts de transaction liés au
premier niveau
d’évaluation des candidats.

Cas d’entreprise
L’usage des nouvelles technologies : les serious games de L’Oréal
Les nouvelles technologies permettent de repenser le processus de
sélection des candidats et de réduire le coût de ce processus.
Certaines
entreprises utilisent les jeux de simulation d’entreprise (serious games)
sur Internet comme filtre de sélection et comme moyen d’évaluation.
Une entreprise comme L’Oreal, qui bénéficie d’une marque employeur
de grande valeur et suscite plus d’un million de candidatures
par an,
utilise ces jeux dans son processus de sélection. L’entreprise a même
développé des jeux différents selon les segments
du marché du travail.
Le premier, Brandstorm, fut créé en 1992, pour les étudiants en
marketing. E-Strat Challenge a pour objectif de faire une première
sélection parmi des candidats issus d’écoles de management, Ingenius
Contest est lui destiné aux ingénieurs, Hair-Be 12 aux élèves des
écoles de coiffure et Innovation Lab aux chercheurs. Reveal by
L’Oreal permet de faire une première sélection pour les étudiants en
recherche de stage.
L’intégration du jeu aux réseaux sociaux (Facebook, Google+, etc.)
permet aux candidats d’inviter leurs amis à participer
au jeu et donc
d’accroître le nombre de candidats pour L’Oréal. Ces jeux en ligne
présentent de nombreux avantages. Ils permettent
d’améliorer la
marque employeur, d’attirer un nombre important de candidats et
d’assurer un premier niveau de sélection. Le
tout à de moindres coûts
que des systèmes plus classiques d’évaluation.

3.3 La prise de référence


La prise de référence consiste à contacter des personnes référentes
proposées ou non par le candidat. Il peut s’agir de ses
précédents managers,
de la DRH de ses précédents employeurs, d’anciens collaborateurs,
d’anciens collègues, de clients ou
de partenaires industriels. La prise de
référence peut également se faire auprès des professeurs de candidats plus
juniors.
L’objectif est d’obtenir des informations complémentaires sur le
candidat. Le degré d’interconnaissance entre le demandeur
et le référent
influence la qualité et la fiabilité des informations transmises. De manière
proactive, certains candidats
joignent des lettres de recommandation à leur
candidature. Cette pratique est d’ailleurs d’usage dans certains secteurs
d’activité.
Par exemple, dans le monde académique il est souvent demandé
de joindre des lettres de recommandation à sa candidature. Cette
méthode
d’évaluation est à manier avec subtilité et nécessite parfois un travail
d’interprétation. Ainsi, le fait qu’un responsable
refuse de répondre à une
prise de référence concernant un de ses anciens collaborateurs ou s’arrange
pour ne pas avoir à le
faire (par exemple en ne prenant pas un appel
téléphonique) est généralement interprété par les évaluateurs comme un
signe
négatif sur la qualité du candidat.

3.4 Les entretiens individuels


Les entretiens individuels visent à évaluer différentes dimensions d’une
candidature. Il peut s’agir d’évaluer les connaissances
et l’intelligence d’un
candidat. Plus subtilement, il s’agit d’évaluer sa personnalité, sa motivation
et son adéquation avec
la culture de l’entreprise. Enfin, cela peut être
l’occasion d’aborder ou d’approfondir des points qui n’apparaissent pas
explicitement dans le CV ou dans les tests. Des questions peuvent être
posées concernant des situations de travail vécues
par le candidat. Elles
visent à décrire des situations d’échec, de réussite, d’amélioration ou de
leadership. C’est notamment
lors des entretiens que des questions sur le
savoir-relationnel des candidats peuvent être approfondies pour explorer la
réalité
du capital social du postulant. La multiplicité des dimensions qui
peuvent être abordées à travers un entretien explique que
certaines
entreprises consacrent de cinq à dix entretiens de recrutement impliquant
différentes personnes de l’entreprise
afin de parfaire l’évaluation. Par
exemple, les cabinets de conseil en stratégie tels que McKinsey, BCG ou
Bain, font généralement
passer dans un premier temps trois entretiens avec
des consultants du cabinet, puis font réaliser une analyse d’étude de cas
avant d’éventuellement envisager deux entretiens supplémentaires avant de
prendre une décision finale.

3.5 Les entretiens de groupe


Les entretiens de groupe réunissent plusieurs candidats qui postulent pour
une même offre d’emploi. Cette méthode permet d’évaluer
les qualités
relationnelles des individus et de faire émerger certaines facettes de leur
personnalité. Dans le jeu de la discussion
à plusieurs les candidats
contrôlent moins leur comportement. Ces entretiens s’effectuent dans le
cadre d’une discussion collective
autour d’un sujet défini par le recruteur,
souvent lié au travail. Ils permettent de mettre en évidence des compétences
de
savoir-être : respect d’autrui, empathie, charisme, élocution ou clarté du
raisonnement. Les entretiens de groupe permettent
également d’évaluer le
comportement des candidats au sein d’un groupe et d’identifier leurs
modalités d’interaction. Généralement
des rôles émergent dans le cadre de
la discussion. On y retrouve un « maître de séance » qui essaye de prendre
la direction
de la discussion, le «  pragmatique  » qui apporte des éléments
concrets et des exemples pour faire avancer la discussion, le
« recadreur »
qui s’efforce de synthétiser les propos et de garder la discussion sur son
thème, l’« expert » qui parle peu
mais qui pense contribuer à la discussion
par son expertise, et le « silencieux » qui par timidité ou par scepticisme ne
participe
pas à la discussion.
Ces entretiens collectifs permettent également de réduire les coûts de
sélection en permettant d’évaluer simultanément plusieurs
candidats.

3.6 La mise en situation et les études de cas


L’évaluation par la simulation de mise en situation consiste à mettre un
candidat face à un problème professionnel réel pour
évaluer son mode de
raisonnement et la pertinence des solutions qu’il apporte. Il s’agit d’évaluer
le savoir, le savoir-faire
et le savoir-être des candidats. L’analyse de cas
amène les candidats à poser des questions. La nature des questions est
révélatrice
du mode de fonctionnement cognitif des individus. Enfin, les
recruteurs peuvent discuter les conclusions du candidat pour
évaluer sa
capacité à argumenter, à amender ou à renoncer à ses idées. Il peut s’agir de
cas visant à améliorer la rentabilité
d’une entreprise ou à préparer le
lancement d’un nouveau produit.
Les cabinets de conseil en management donnent souvent des études de cas
à résoudre à leurs candidats. Fréquemment, ces cas
correspondent à des
missions de conseil menées par le cabinet chez des clients. Par exemple le
BCG donne des exercices de
calcul de prix d’optimisation des ventes dans
un réseau de distribution ou de marge opérationnelle à partir de données
d’entreprise.
L’intérêt est d’évaluer la qualité, la rigueur et l’originalité de la
réponse mais également la qualité du processus de réflexion
et la vitesse à
laquelle le candidat arrête ses conclusions.

Tableau 3.2  – Méthodes d’évaluation et compétences

Cas d’entreprise
Une innovation managériale : le recrutement par les clients au
Printemps
Le Printemps est une enseigne de la grande distribution de produits
haut de gamme (mode, cosmétique, maison, etc.). En 2007,
dans son
magasin du boulevard Haussmann à Paris, l’enseigne a décidé
d’associer ses meilleures clientes au recrutement de
ses managers des
ventes. Cette démarche s’inscrit dans une volonté de la marque de
développer l’approche et le service clients.
Les clientes qui ont participé au processus de recrutement ont elles-
mêmes été sélectionnées sur des critères d’âge, de style
et d’habitudes
de consommation pour qu’elles soient représentatives des clientes de
l’enseigne. La DRH du Printemps a organisé
une présélection de
trente-six candidats. Chacun d’entre eux a passé un «  speed
interview » avec un responsable RH pour évaluer
sa motivation, avec
un vendeur opérationnel pour analyser ses capacités de vendeur et avec
une cliente pour juger du sens
relationnel du candidat en le mettant en
situation avec un consommateur.
La démarche présente plusieurs avantages. D’une part, il apporte une
autre perspective dans l’évaluation. D’autre part, elle
valorise les
clientes et accroît leur fidélité, surtout si les candidats qu’elles ont
sélectionnés sont retenus. Enfin, l’expérience
ayant connu une certaine
médiatisation, cela a contribué positivement à l’image de l’entreprise.

4 La contractualisation du recrutement


Dans le processus de recrutement, il est important de définir clairement
quelle est la personne décisionnaire du recrutement.
Selon les postes et/ou
les secteurs d’activité, cette décision peut impliquer le DRH, le responsable
opérationnel direct,
le responsable d’unité, les futurs collègues voir les
syndicats. La décision peut se prendre à l’unanimité ou à la majorité.
Certaines personnes peuvent avoir un droit de veto sur les recrutements.
L’importance du poste pour lequel le recrutement
est envisagé détermine les
décisionnaires impliqués. Le directeur général ne sera pas concerné par la
décision de recrutement
d’un comptable au sein de la direction financière.
En revanche, il interviendra directement dans le recrutement de son
directeur
financier. Les deux fondateurs de Google, Larry Page et Sergey
Brin, ont pendant longtemps été les décisionnaires de tous
les recrutements
de l’entreprise, créant parfois un véritable goulot d’étranglement qui
retardait le processus de recrutement.
Le moment de la contractualisation conduit souvent à la négociation
concrète des éléments du contrat de travail. Différents
éléments du contrat
de travail sont négociables : la période d’essai, une prime d’embauche, les
indemnités de rupture, les
clauses de non-concurrence ou la reprise
d’avantages accordés par le précédent employeur. Plus un individu détient
des compétences
stratégiques pour l’entreprise qui le recrute et plus son
pouvoir de négociation du contenu de son contrat de travail est
élevé.
L’enjeu pour l’entreprise est de s’assurer que le candidat sélectionné vient
bien dans l’entreprise. En effet, certains candidats
reçoivent plusieurs
propositions de recrutement. Dans ce cas la problématique s’inverse et c’est
au candidat de faire son
choix et à l’entreprise de s’assurer que son offre est
retenue. Le candidat peut décliner l’offre soit parce que finalement
il
renonce à quitter son employeur (qui lui a peut-être fait une contre-offre) ou
il peut choisir l’offre d’un autre employeur.
Dans certains secteurs
d’activité, avoir une proposition de recrutement d’une entreprise extérieure
fait partie du processus
de négociation des salariés pour obtenir une
augmentation de rémunération ou une promotion en interne. Pour se
prémunir contre
ce risque, l’entreprise doit se constituer une short list avec
des candidats de remplacement au cas où le candidat choisi décide de
décliner l’offre.

5 L’intégration dans l’entreprise


Au moment du recrutement, il convient d’évaluer la capacité du candidat
à s’intégrer à l’entreprise. L’intégration peut constituer
un choc culturel si la
différence entre le profil d’un recruté et le profil des salariés de l’équipe
dans lequel il est intégré
sont très différents. L’intégration dans l’entreprise
est un facteur important de la réussite d’un recrutement. Il y a un
risque de
rejet par le corps social que constitue l’organisation qui peut entraîner la
démission du nouveau recruté. Plus
la personne recrutée est différente des
salariés de l’entreprise et plus le risque de rejet est élevé. Par exemple, une
société
de services informatiques qui avait développé un logiciel d’analyse
financière a recruté un commercial pour distribuer son
produit. Pour cela,
elle a recruté une jeune femme diplômée d’une école supérieure de
management. L’intégration de cette personne
dans une organisation dont le
reste des effectifs était des jeunes hommes ingénieurs s’est très mal passée,
conduisant à la
démission de la jeune commerciale et freinant de ce fait le
développement de l’entreprise.
Plusieurs types de différences doivent être gérées lors d’une intégration :
Une différence de niveau de qualification. L’intégration d’un
diplômé de l’enseignement supérieur dans un milieu d’autodidactes
peut être une source de conflits. Il
peut également s’agir des difficultés
à intégrer un diplômé d’une formation en gestion dans un milieu
d’ingénieurs ou inversement.
Une différence d’âge. Les nombreux départs à la retraite que
connaissent certaines entreprises les amènent à recruter des salariés de
générations
plus jeunes qui n’ont pas nécessairement les mêmes
attentes ni les mêmes exigences à l’égard du travail que leurs aînés.
Une différence de sexe. Recruter une femme dans un environnement
masculin (une trader sur une salle des marchés, une informaticienne
dans une société
de service informatique) ou inversement recruter un
homme dans un environnement féminin peut s’accompagner de
difficultés
d’intégration.
Une différence de nationalité. L’internationalisation croissante des
entreprises et la globalisation du marché du travail conduisent les
organisations à
recruter des salariés de différentes nationalités. Cette
politique de diversité permet à l’entreprise de recruter des personnes
ayant une connaissance du marché du pays dont ils sont originaires et
d’accéder à de nouvelles sources de ressources humaines.
Cependant,
les différences culturelles entre les pays peuvent être source de conflits
entre les salariés. C’est de la compétence
de la DRH de gérer ces
tensions issues de la diversité.
Au-delà des problèmes d’intégration liés aux différences de profil des
individus, les problèmes peuvent être dus au changement
de la politique de
recrutement elle-même. Les pratiques de recrutement s’inscrivent dans la
culture de l’entreprise. La modification
de ces pratiques peut entraîner des
dysfonctionnements et des résistances. Par exemple, les entreprises qui ont
pour habitude
de pourvoir les postes de direction par la promotion interne
bousculent leur culture en recrutant à l’extérieur de l’entreprise.
Ainsi, en
1991, le recrutement de Louis Gerstner, le P-DG de RJR Nabisco, pour
diriger IBM a marqué une rupture avec la tradition
de promotion interne de
l’entreprise. Dans ce cas, la « greffe » a pris. Parfois, cela se passe moins
bien. Ainsi, un grand
laboratoire de recherche public avait recruté une DRH
venant de l’industrie des produits de grande consommation afin d’introduire
de nouvelles pratiques de management. Dans ce cas, le recrutement a été un
échec. La nouvelle directrice et ses pratiques
ont été rejetées par la
communauté de travail de l’organisation et elle a dû démissionner.
Les entreprises vont mettre en œuvre des pratiques pour faciliter
l’intégration des nouveaux recrutés sur le plan professionnel,
humain,
logistique et symbolique. Ainsi, sur le plan professionnel, les entreprises
s’efforcent d’impliquer le manager du
nouveau recruté dans
l’accompagnement de sa prise de poste. Certaines DRH organisent des
«  tours d’entreprise  » ou des stages
terrains (les stages ouvriers pour les
nouveaux ingénieurs recrutés par Renault ou les stages commerciaux pour
les jeunes
recrus du département marketing de Danone) pour permettre de
mieux comprendre l’activité de l’entreprise.
Sur le plan humain, certaines entreprises mettent en place des
programmes de mentoring pour accompagner l’intégration des nouvelles
recrues. Par exemple, les cabinets de conseil en management désignent des
mentors
qui ont pour objectif de faciliter l’intégration des nouveaux
embauchés. Les mentors sont formés et évalués sur leur capacité
d’accompagnement. La démission éventuelle d’une nouvelle recrue peut
éventuellement leur être imputée. Dans certains secteurs
industriels, les
ouvriers les plus anciens, proches de la retraite, se voient confier des
missions de tutorat avec les nouveaux
arrivants. Outre la facilitation de
l’intégration, ce dispositif vise à favoriser la transmission des connaissances
entre
les générations et constitue souvent un dispositif valorisant pour les
tuteurs. Sur le plan humain, l’intégration concerne
aussi la dimension
personnelle et familiale du nouvel arrivant, notamment quand le
recrutement s’accompagne d’une mobilité
géographique. Certains échecs en
matière de recrutement sont liés à la difficulté d’intégration de la famille
dans un nouveau
pays. Aussi, certaines entreprises font un effort en ce sens
en organisant, par exemple, des stages pour les conjoints ou
en les aidant à
trouver un emploi localement.
L’intégration passe également par une dimension logistique, notamment
en matière de déménagement et d’habitation. Dans des
zones où le marché
immobilier est extrêmement tendu, certaines entreprises aident leurs salariés
à trouver un logement. Ainsi,
Procter & Gamble, qui a installé son siège
européen à Genève, région qui connaît une pénurie chronique de logements,
fournit
une aide logistique à l’installation. Cette dimension peut également
concerner les moyens de travail  : ordinateur, badge,
connexion au réseau
informatique et cartes de visite ; autant de détails qui, outre le fait de rendre
opérationnel le nouvel
embauché, lui donnent aussi le sentiment
d’appartenir à l’organisation.
De plus, l’intégration est un acte symbolique qui est parfois ritualisé dans
certaines entreprises. Cela peut être un discours
d’accueil d’un dirigeant ou
un rite de passage comme chez Google où les nouveaux recrutés portent un
chapeau à hélice et doivent
prononcer un discours en public lors de leur
présentation à la traditionnelle réunion du vendredi (appelé « Thanks God,
It’s Friday »). De manière symbolique, les nouveaux recrutés sont appelés
des « Nooglers » (pour « New Googlers »).
Enfin, certaines entreprises mettent en place des programmes de
formation pour accompagner l’intégration des nouveaux arrivants.
À travers
ces programmes, il s’agit de mieux connaître l’entreprise, ses méthodes de
travail et de s’intégrer dans la communauté
humaine qu’elle représente.
Ainsi, chez Accenture, les nouveaux recrutés dans le monde entier passent
deux à trois semaines
à Chicago pour être formés au sein de l’université de
l’entreprise.
Toutes ces pratiques d’accompagnement visent à accélérer le processus
d’apprentissage et d’intégration du salarié recruté.
Cela se traduit par une
augmentation plus rapide de l’efficacité et de la productivité individuelle du
nouvel entrant.

Section 3
LES PRATIQUES ALTERNATIVES


DE RÉDUCTION DE L’INCERTITUDE

L’enjeu central du recrutement est la gestion de l’incertitude qu’induit le


recours au marché du travail pour doter l’entreprise
des RH dont elle a
besoin. Cette incertitude est liée aux compétences et à la personnalité des
candidats. Les procédures de
recrutement précédemment décrites visent à
réduire cette incertitude sans pour autant toujours y arriver. Aussi les
employeurs
utilisent des formes alternatives pour identifier et évaluer les
candidats. La première d’entre elle est la contractualisation
temporaire de la
relation de travail et la seconde est le recours à la cooptation des candidats
par les salariés.
1 La contractualisation temporaire de la relation
de travail
La procédure de recrutement préalable à l’embauche ne permet pas
toujours de réduire de manière décisive l’incertitude qui
pèse sur le salarié
recruté. La prise de poste permet de dévoiler plus d’informations à la fois
sur les compétences réelles
de la personne et sur sa personnalité. C’est pour
lever les derniers éléments d’incertitude que le contrat de travail prévoit
une
période d’essai durant laquelle l’employeur peut rompre la relation sans
préavis. Plus le poste de travail a un impact
potentiel important sur l’activité
de l’entreprise et plus la période d’essai est longue pour permettre le
processus d’apprentissage
réducteur d’incertitude. Par exemple, en France,
légalement, la période d’essai est d’un mois renouvelable pour un ouvrier
et
de trois mois renouvelable pour un cadre. Dans le monde universitaire
américain, la période d’essai d’un professeur est
comprise entre 6 et 9 ans
(«  tenure track  ») c’est-à-dire la période entre son recrutement comme
«  professeur assistant  » et celui où il est titularisé comme «  professeur  ».
Cette période est jugée nécessaire pour évaluer la qualité du chercheur,
notamment à travers ses publications académiques.
De même, dans la
profession de journalistes, le statut précaire de pigiste, qui est un journaliste
rémunéré à la tâche, peut
être considéré comme une modalité d’évaluation
des candidats avant de les recruter au statut de journaliste salarié permanent
d’une entreprise de presse.
La période d’essai peut aussi décourager les individus qui estiment ne pas
être adaptés au poste. Il y a un processus d’auto-sélection
des candidats. Par
exemple, Zappos.com, le site américain de vente de chaussures sur Internet,
est connu pour offrir 2 000 dollars
à ses nouveaux salariés qui décident de
démissionner au bout d’une semaine. Cette offre est censée écarter les
personnes les
moins motivées pour travailler dans l’entreprise.
Cependant, les risques induits par une erreur de recrutement ne peuvent
pas toujours être levés à travers la procédure de
sélection et la période
d’essai. Aussi, les employeurs détournent parfois d’autres formes
contractuelles pour allonger la
période d’essai afin d’obtenir plus
d’informations pour réduire l’incertitude[4]. Ainsi, concernant les jeunes
diplômés, les stages de fin d’étude sont souvent utilisés par les employeurs
comme des périodes
d’essai. De même, les contrats à durée déterminée, les
contrats de travailleurs temporaires, voire le recours à des sous-traitants,
constituent autant de voies détournées permettant aux employeurs d’évaluer
in situ les personnes avant d’envisager un éventuel recrutement en contrat à
durée indéterminée. L’usage du travail intérimaire comme
processus
d’évaluation préalablement à l’embauche est suffisamment répandu pour
que certaines entreprises de travail temporaire
prévoient que si l’entreprise
utilisatrice recrute un des intérimaires à la fin de sa mission, alors
l’employeur paye une
commission à l’entreprise de travail temporaire. Cette
rémunération correspond à une rémunération du processus de sourcing
et
d’évaluation réalisé par l’entreprise de travail temporaire.
Cette stratégie de contractualisation temporaire de la relation de travail
pour évaluer les candidats préalablement à la pérennisation
du contrat a
d’autant plus de sens que la rupture d’un contrat de travail à durée
indéterminée est difficile et coûteuse.

2 La cooptation des candidats par les salariés


La cooptation consiste à utiliser les salariés de l’entreprise pour
recommander des candidats à un poste ouvert dans l’organisation.
Le rôle
de la cooptation dans les recrutements est particulièrement important. Une
étude récente montre que 56 % des cadres
ont trouvé un emploi par relation
(31 % par la famille, et 69 % par d’anciennes relations professionnelles ou
des connaissances).
La rationalité de la cooptation est double. D’une part, le
lien social est pourvoyeur d’informations qui ne circulent pas
sur le marché
du travail. D’autre part, l’encastrement social modifie le comportement des
candidats et des coopteurs[5].
Recruter par le biais de la cooptation permet de réduire les coûts de
diffusion de l’information car ce sont les salariés
de l’organisation qui
informent les candidats potentiels qui se trouvent à l’extérieur de
l’organisation. La cooptation réduit
également les coûts de sélection car les
salariés ne transmettent l’information qu’aux membres de leurs réseaux
qu’ils savent
compétents et motivés pour travailler dans l’entreprise. Cette
dimension est notamment importante pour des métiers techniques
avec des
compétences très spécifiques. Au-delà des compétences, les salariés
cooptent des candidats qu’ils estiment adaptés
à la culture de l’entreprise et
dignes de confiance. Enfin, le fait qu’un nouveau salarié connaisse déjà
quelqu’un dans l’organisation
facilite son intégration et son apprentissage.
Pour l’entreprise, le mix coût-qualité est intéressant car la cooptation
permet de bien cibler la population potentiellement
intéressante car les
salariés de l’entreprise ont une bonne compréhension du profil recruté et
qu’ils ne le proposent qu’à
leurs relations qui y correspondent. De plus, le
principe sociologique d’homophilie qui amène les individus à socialiser
avec
des individus qui leur ressemblent accroît l’accessibilité à des profils
intéressants car il y a une forte probabilité que
les relations personnelles des
salariés de l’entreprise aient des profils similaires de compétences. La
cooptation permet
également un transfert de l’évaluation de la personnalité
d’un candidat car un salarié ne prend pas le risque de coopter quelqu’un
qu’il ne pense pas correspondre à l’entreprise. Un échec rejaillirait sur sa
réputation auprès de son employeur.
D’autre part, les salariés sont des tiers de confiance auprès de leur réseau
et le message qu’ils véhiculent auprès de leurs
amis est jugé par ces derniers
plus fiable qu’une communication institutionnelle. Cela peut amener des
individus à candidater
auprès de l’entreprise alors qu’ils ne l’auraient pas
envisagé dans le cadre d’une campagne de recrutement traditionnelle.
Enfin, le coopteur se sent généralement responsable de la personne recrutée
et s’implique de ce fait dans l’intégration de
ce te dernière au sein de
l’organisation. Cette fonction de recrutement est également valorisante pour
le salarié et lui permet
de contribuer d’une autre manière au développement
de son entreprise.
La qualité des recrutements permis par la cooptation conduit certaines
entreprises à rémunérer leurs salariés pour les inciter
à recommander des
candidats. Ainsi, la société de services informatiques Steria expliquait qu’en
2011, un tiers de ses recrutements
s’étaient réalisés via une cooptation et
que l’entreprise accordait une prime de 1  500  euros à ses salariés qui
avaient permis
un recrutement. D’autres entreprises donnent un chèque-
voyage d’un montant de 2  000  euros. D’autres encore sophistiquent la
démarche en faisant varier le niveau de la prime en fonction de
l’importance et de la rareté du profil recherché. Ainsi, la
pénurie de
consultants SAP conduit certaines sociétés de services informatiques à
donner des primes plus importantes pour
ces profils. L’une d’entre elles
distingue la prime d’entretien si la recommandation conduit à un entretien
de sélection,
qui peut se monter à 500 euros pour les profils expérimentés,
de la prime d’embauche qui peut être de 4  000  euros pour un
consultant
SAP expérimenté qui est finalement recruté. Certaines entreprises
organisent des concours pour désigner le meilleur
coopteur, c’est-à-dire
celui qui a recommandé le plus de personnes recrutées. Pour éviter des
comportements de «  chasseurs
de prime  » de la part des salariés, le
versement de la prime est bien souvent étalé dans le temps. Le prescripteur
perçoit
tout ou partie de la prime six mois ou un an après le recrutement de
la personne qu’il a coopté.
Une limite à la pratique de la cooptation est qu’elle peut induire un
manque de diversité des profils recrutés. En effet,
les salariés
recommandent leurs relations personnelles qui bien souvent leur
ressemblent car ils ont effectués leurs études
ensemble, ou plus
généralement, socialisent ensemble. De plus, elle limite le marché du travail
aux connexions des salariés.
Aussi, dès lors que l’entreprise cherche à
recruter des profils de compétences différents de ceux qu’elle emploie déjà,
il
peut être judicieux de recourir à d’autres modalités de recrutement.

Section 4
LES INDICATEURS DE GESTION


DE LA POLITIQUE DE RECRUTEMENT

Le recrutement est un processus qui nécessite d’être évalué pour être


amélioré. Les dimensions à prendre en compte dans l’évaluation
sont le
coût, le temps et la qualité du processus. Le coût d’un recrutement est
difficile à évaluer. Il varie en fonction
du profil du poste. Le Compensation
Planning Outlook publié par le Conference Board du Canada estime le coût
moyen d’un recrutement à 43  000  dollars (31  000  euros) pour un cadre
supérieur, 17  000  dollars (12  300  euros)
pour un cadre  intermédiaire,
13  300  dollars (9  600  euros) pour le personnel technique et 3  300  dollars
(2 300 euros) pour
un poste peu qualifié (ouvrier non-qualifié et employé).
Ce même organisme estime le temps de recrutement moyen à 15 semaines
pour un cadre supérieur, 9 semaines pour un cadre intermédiaire,
7  semaines pour le personnel technique et 4 semaines pour
un poste peu
qualifié (ouvrier non-qualifié et employé).
La somme des coûts de recrutement peut pour certaines entreprises
représenter des montants conséquents et justifier des actions
spécifiques
pour les optimiser. Par exemple, si l’on considère l’entreprise de
restauration collective Sodexo qui, en 2010,
a recruté 139 386 salariés sous
différentes formes contractuelles (dont 131  822 employés), le coût de
recrutement peut être
estimé à plus de 320 millions d’euros.
Différents indicateurs de performance peuvent être utilisés selon les
étapes du processus de recrutement :
La capacité à sourcer des candidats : Nombre de candidatures reçues
correspondant au profil défini.
La capacité à sourcer de manière ciblée  : Nombre de candidatures
dans les sources de ressources humaines visées (écoles, universités,
entreprises).
L’efficacité des médias de signalisation  : Nombre de candidatures
par type de support utilisé (annonce presse, Internet, serious game,
conférence, etc.).
La vitesse de pourvoi d’un poste : Délai entre l’ouverture de poste et
le recrutement.
La sélectivité du recrutement  : Nombre de candidats
recrutés/Nombre de candidatures reçues.
Le taux d’acceptation de l’offre d’embauche  : Nombre de
recrutés/Nombre de propositions d’embauche.
La qualité du recrutement  : Nombre de candidats restant au bout
d’un an/nombre de candidats recrutés.
Le coût d’intégration : Équivalent salarial de la perte de productivité
durant la période d’apprentissage auquel s’ajoute la quote-part du
salaire
du manager en charge de l’intégration.
L’évaluation peut également être d’ordre qualitatif. La demande d’un
rapport d’étonnement aux nouveaux recrutés permet à la
DRH d’apprécier
la qualité de son processus de recrutement et d’identifier des pistes
d’amélioration.
Enfin, la mise en concurrence d’un cabinet de recrutement et du service
de recrutement interne à l’entreprise peut permettre
à la DRH d’évaluer par
comparaison l’efficacité de son service interne.

Focus
Un prestataire de services RH :

les cabinets de recrutement


Il existe plusieurs catégories de cabinets de recrutement. Ces cabinets
se distinguent par leur spécialisation sur des segments
du marché du
travail et par leurs méthodes. Certains sont spécialisés dans le
recrutement de cadres dirigeants (Heidrick &
Struggles, Spencer
Stuart, etc.). Ils pratiquent l’approche directe de candidats et
fournissent une short list à leurs clients qui font le choix final.
D’autres recrutent des managers intermédiaires et des experts
(Michael Page, Mercuri
Urval, etc.). Soit ces cabinets mènent la
campagne de recrutement pour sourcer des candidats (définition du
poste, publication
de l’offre et présélection des candidats) soit ils
puisent dans leurs fichiers de candidats pour fournir une short list à
l’entreprise cliente. Parfois pour alimenter leurs fichiers de candidats
à présenter aux clients, notamment en prévision
de cycles de
recrutement, ces cabinets passent des petites annonces pour susciter
des candidatures. Enfin, il existe des cabinets
de recrutement
spécialisés sur des secteurs d’industriels (banque, luxe, etc.) ou des
fonctions (directeurs financiers, ingénieurs
télécom).
La proposition de service des cabinets de recrutement suit l’ensemble
du processus. Les consultants peuvent participer à la
définition du
profil de compétences, à la signalisation de l’offre sur le marché du
travail, à la sélection des candidatures,
à l’évaluation (entretiens,
prises de référence, vérification du CV, etc.), à la négociation du
contrat de travail et à l’intégration.
Les cabinets ont une connaissance
fine du marché du travail et des modalités de fonctionnement de ses
différents segments.
Cela permet d’accélérer le processus de
recrutement et de toucher une population plus large et mieux ciblée,
notamment pour
des profils de compétences particuliers.
Les cabinets de recrutement sont des intermédiaires du marché du
travail qui ont pour fonction économique de permettre une
meilleure
adéquation entre les recruteurs et les candidats, à la fois en terme de
qualité et en terme de vitesse de recrutement.
De plus, un cabinet
apporte une certaine confidentialité à une entreprise qui ne souhaite
pas rendre publique sa campagne
de recrutement, notamment s’il
s’agit de remplacer un salarié qui est encore en poste et dont elle a
décidé de se séparer.
Enfin, souvent ces cabinets négocient des tarifs
préférentiels avec les supports de publication d’offres d’emploi
(journaux,
sites Internet, etc.) dont ils font bénéficier leurs clients.
La prestation des cabinets de recrutement est facturée environ 25 %
du salaire annuel brut du candidat recruté. Une entreprise
peut soit
mettre en concurrence les cabinets et ne les rémunérer que si elle
recrute les candidats proposés, soit leur confier
un mandat de
recrutement exclusif et payer un tiers du montant au début de la
mission, un tiers au milieu et un tiers lors
du recrutement. Les
cabinets s’engagent parfois à remplacer gratuitement un candidat qui
démissionnerait dans les six mois
après son embauche. Cet
engagement amène les cabinets à faire un suivi de l’intégration des
nouveaux embauchés.
Selon les pays, le recours aux cabinets de recrutement est plus ou
moins développé. Aux États-Unis, l’association professionnelle
(IACPR) estime que 54 % des recrutements des cadres confirmés se
font par l’intermédiaire de cabinets.

[1]
  Les Echos, mercredi 12 octobre 2011.
[2]
  Michaels E., Handfield-Jones H. and Axelrod B (2001), The war for talent, Harvard Business
School Press, 200 p.
[3]
  Le visa H1B permet à un travailleur étranger de venir travailler pour une entreprise se trouvant
sur le territoire américain.
[4]
  Ferrary M. (2009), « Les stratégies d’encastrement social dans les environnements économiques
incertains », Revue d’Economie Industrielle, n°129-130, pp. 171-202.
[5]
  Granovetter M. (2005), “The Impact of Social Structure on Economic Outcomes”. Journal of
Economic Perspectives, 19(1), pp. 33-50.
Chapitre
La politique de gestion
4 des carrières

SOMMAIRE
Section 1 Les justifications managériales de la gestion des carrières
Section 2 Les pratiques de la gestion des carrières
Section 3 Les acteurs de la gestion des carrières
Section 4 Les systèmes de gestion des carrières

La politique de gestion des carrières correspond au management par


l’entreprise des parcours professionnels des salariés au
sein de
l’organisation entre le moment de leur recrutement et celui de leur départ.
La planification de la gestion des carrières
constitue une alternative au
recrutement à l’extérieur de l’organisation pour doter l’entreprise des
compétences nécessaires
à la mise en œuvre des intentions stratégiques de
la direction. La gestion des carrières au sein de l’organisation constitue
une
forme de flexibilité interne des RH par opposition aux recrutements qui
correspondent à une logique de flexibilité externe.
À cet égard, les choix
stratégiques de l’organisation ainsi que sa structure RH (taille des effectifs,
pyramide des âges et
taux de départs) contingentent les opportunités qui
s’offrent à la DRH en matière de mobilité professionnelle.
La politique de gestion des carrières correspond à la dimension
individuelle de la perspective organisationnelle décrite par
la gestion
prévisionnelle des RH (cf. chapitre 2). La gestion des carrières est la
traduction, au niveau individuel, de l’articulation entre les besoins de
l’entreprise et
les intérêts et les compétences des salariés. De ce fait, elle
s’intègre dans une nécessaire congruence systémique avec les
autres
pratiques et outils de GRH, notamment, le recrutement, la formation,
l’évaluation et la rémunération.
Il y a un cycle de vie plus ou moins court de la carrière d’un individu au
sein d’une organisation depuis son recrutement
jusqu’à son départ.
L’entreprise offre à ses salariés des carrières courtes (contrat à durée
déterminée – CDD) ou longues
(contrat à durée indéterminée – CDI). Les
différentes étapes de la mobilité professionnelle au sein de l’organisation
induisent
des problématiques et des pratiques de GRH particulières. La
trajectoire des carrières résulte de l’équilibre entre, d’une
part, les besoins
de l’entreprise et, d’autre part, les compétences et les aspirations de
l’individu. L’organisation constitue
un espace d’opportunités de carrières
pour le salarié. Cependant, ce dernier peut également envisager sa carrière
en dehors
de l’entreprise. Inversement, les souhaits de carrière des salariés
au sein de l’organisation peuvent ne pas correspondre
aux besoins de
l’entreprise. Cela peut conduire l’employeur à accompagner la carrière de
ses salariés à l’extérieur de l’organisation
par des pratiques d’outplacement
(reclassement externe).
La proposition de gestion de carrière participe du contrat psychologique
entre l’organisation et ses salariés[1]. Le contrat psychologique est un contrat
informel et subjectif entre l’employeur et l’employé qui définit les
obligations
réciproques entre les deux parties. Le premier offre une
rémunération, un plan de carrière, un statut social et un contenu
de travail ;
le second apporte ses compétences et son engagement. Dans ce cadre, plus
les perspectives de carrière et de progression
sont faibles et moins le salarié
est enclin à s’engager et à contribuer au développement de l’entreprise.
Inversement, un
salarié est d’autant plus motivé à s’impliquer dans
l’entreprise que cette dernière offre une stabilité de l’emploi et des
perspectives de promotion professionnelle. La rupture de ce contrat
psychologique autour de la carrière peut entraîner des
conflits au sein de
l’organisation, notamment lorsqu’il s’agit d’une rupture avec une tradition
de promotion interne. Cependant,
par opposition au contrat de travail qui est
de nature formelle et a force juridique, le contrat psychologique est de
nature
implicite et n’est pas opposable aux parties devant un tribunal. Il
relève d’une convention informelle entre les parties.
La mise en place d’une politique de gestion des carrières au sein de
l’organisation induit des coûts pour une entreprise.
Ces coûts sont
notamment liés à la création de comités de carrières, à la mise en place de
procédures d’identification des
hauts potentiels et de planification des
carrières, au recrutement de gestionnaires de carrières, au développement de
bourses
d’emplois internes et à la mise en œuvre d’un système de
mentoring.
Dans une première partie sont présentées les différentes raisons qui
justifient, du point de vue de l’entreprise, la mise
en œuvre d’une politique
de gestion des carrières de ses salariés. La seconde partie s’attache à
présenter les pratiques spécifiques
à la gestion des carrières. La troisième
partie analyse les acteurs impliqués dans la politique de gestion des
carrières pilotée
par la DRH. Dans la dernière partie, deux modèles de
système de gestion des carrières sont présentés.

Section 1
LES JUSTIFICATIONS MANAGÉRIALES


DE LA GESTION DES CARRIÈRES
1 La gestion des experts
1.1 Gestion des carrières et formation des experts
Le fonctionnement des entreprises conduit à la création de connaissances
qui sont spécifiques (règles de gestion, produits,
applications informatiques,
etc.) et dont la maîtrise par les salariés contribue à la qualité de la
coordination au sein de
l’organisation. Une partie de l’apprentissage de ces
connaissances suppose une certaine stabilité des salariés dans leur poste
car
l’acquisition des savoirs se fait à travers l’acte de travail (on the job
training). La gestion des carrières organise cette stabilité pour permettre le
processus d’apprentissage et d’accumulation d’expertises
par les salariés.
Dans cette perspective, les contrats de génération qui prévoient le
mentoring de nouveaux recrutés par des salariés proches de la retraite
correspondent à une politique de gestion des carrières visant
à favoriser la
transmission des expertises au sein de l’organisation.
La gestion de carrière qui inscrit la relation salariale dans une perspective
de moyen terme permet de réaliser des investissements
en formation puis de
les rentabiliser du fait de la stabilité des salariés. Les investissements en
formation sont des quasi-coûts
fixes pour l’entreprise dont la rentabilisation
dépend de la stabilité des salariés formés. Les perspectives de carrière
contribuent
à la stabilité des salariés, favorisent l’émergence d’experts et
permettent le retour sur investissement de la formation.
La gestion des carrières peut également venir contrebalancer les éventuels
effets négatifs d’une trop grande stabilité professionnelle.
Ainsi, dans les
banques, la mobilité professionnelle des conseillers bancaires influence la
qualité du risque de crédit qu’ils
engagent au nom de leur employeur. Il est
généralement admis que la stabilité des conseillers bancaires leur permet de
développer
une connaissance approfondie de l’environnement économique
local et donc une meilleure appréciation du risque, justifiant
de ce fait que
les conseillers restent à leur poste plus de deux ans pour apprendre leur
environnement et être performants
en matière d’évaluation des risques.
Cependant, il apparaît également qu’un conseiller bancaire qui reste trop
longtemps dans
la même agence finit par développer des relations
interpersonnelles trop fortes avec ses clients et que cela nuit à sa perception
des risques. Aussi, dans certaines banques, la gestion de carrières des
conseillers bancaires prévoit une mobilité professionnelle
de ces derniers
tous les cinq ou six ans pour éviter l’émergence d’un biais subjectif dans
l’évaluation des risques.

1.2 Gestion des carrières et diffusion des expertises


La diffusion des compétences des experts contribue positivement au
fonctionnement de l’organisation. Dans cette perspective,
la politique de
gestion de carrières des experts vise à les allouer aux postes qui permettent
leur plus grande contribution
à l’organisation et à assurer la diffusion de
leurs connaissances au sein de la structure. Ainsi, dans la grande
distribution,
la carrière des salariés se déroule au sein d’un même magasin
en commençant aux postes de vendeurs pour aboutir à un poste
de direction
du magasin. Cette phase correspond à une gestion de carrière qui permet
une accumulation de connaissances spécifiques
à l’entreprise et à
l’émergence d’experts en management de points de vente. Dans un
deuxième temps, ces directeurs sont mobilisés
pour organiser l’ouverture de
nouveaux magasins et former les nouveaux employés. Cette phase
correspond à une gestion de carrière
qui permet une allocation optimale des
expertises et une diffusion des connaissances au sein de l’organisation.
L’articulation entre la gestion des carrières et l’allocation des expertises
dans l’organisation est particulièrement prégnante
dans les entreprises en
phase d’expansion à l’international et au sein des multinationales gérant des
filiales dans plusieurs
pays. Cette articulation se met en œuvre à travers les
politiques d’expatriation. L’expatriation peut relever d’une expertise
de
production (Renault expatrie des ingénieurs français quand elle ouvre une
nouvelle usine à l’étranger), d’une expertise
commerciale (Cartier expatrie
un responsable commercial lorsque l’entreprise implante une nouvelle
succursale à Dubaï) ou
d’une expertise en contrôle de gestion pour assurer
un contrôle financier des filiales et assurer un reporting comptable dans
le
cadre de la consolidation des états financiers (Nestlé envoie un contrôleur
de gestion dans une entreprise acquise au Vietnam).
La gestion de ces
expatriations induit des enjeux d’accompagnement RH au niveau du salarié
mais également de sa famille (emploi
du conjoint et scolarisation des
enfants) au moment du départ mais aussi lors du retour. Au-delà de
l’allocation optimale
des compétences, la réussite des expatriations dépend
de cet accompagnement humain pendant toutes les étapes du processus.
Le
retour des missions d’expatriation constitue une situation critique dont la
qualité de la gestion peut conduire à des frustrations
et, éventuellement, à
des démissions.

2 Les opportunités de carrières offertes par


l’organisation influencent la motivation des
individus
Les perspectives de carrières au sein de l’organisation fixent l’horizon
d’optimisation des salariés et notamment l’intérêt
d’avoir un comportement
loyal et performant au sein de l’entreprise. La stabilité de l’emploi et les
perspectives de promotion
constituent un élément important du contrat
psychologique entre l’employeur et le salarié. Inversement, le manque de
perspectives
de carrière influence différemment les comportements. Il
constitue un facteur de démotivation et de désengagement de la part
des
salariés.
La gestion de carrière est donc un outil de motivation des salariés. Un
salarié en CDD sans espoir de conversion de son CDD
en CDI ou de
prolongation de son CDD est moins motivé à effectuer son travail, voire à
dépasser les attentes de son employeur,
qu’un salarié en CDI. Dès lors que
la promotion constitue une rétribution de la performance individuelle, les
perspectives
de carrières constituent des espérances de gains futurs pour les
salariés. Le secteur de la grande distribution (Casino, Leroy
Merlin, Gap,
etc.) s’appuie traditionnellement sur ces mécanismes de promotion interne.
Cela constitue un facteur de motivation
puissant, notamment pour des
personnes ayant échoué dans le système éducatif et qui se voient ainsi offrir
une nouvelle chance
de promotion sociale. Ainsi une entreprise qui,
lorsqu’elle recrute un vendeur, lui donne la perspective de devenir, sous
réserve de résultats, responsable des ventes, puis responsable de secteur,
pour potentiellement évoluer vers un poste de directeur
régional et, pour le
meilleur, directeur commercial de l’entreprise, propose un contrat
psychologique particulièrement incitatif
pour le vendeur. Cependant, ce
dernier vérifiera la véracité de cette proposition en regardant l’origine des
responsables
de secteur et des directeurs régionaux de l’entreprise. Si
l’essentiel d’entre eux est issu de la promotion interne, alors
ces possibilités
de promotion professionnelle constituent un facteur de motivation. En
revanche, si les responsables ont pour
l’essentiel été recrutés à l’extérieur
de l’entreprise et qu’aucun vendeur n’est arrivé à ces postes par la
promotion interne,
alors le salarié n’est pas dupe et sa motivation s’en
ressentira. En matière de gestion des carrières, la cohérence entre
le
discours et les pratiques managériales est une condition importante pour en
faire un outil de motivation des salariés.
Le fait que dans une entreprise n’importe quel salarié puisse être promu à
des postes d’encadrement, voire devenir un des
dirigeants de l’organisation
constitue un facteur important de motivation. Dans les cabinets de conseil
en management ou les
cabinets d’audit, la très grande majorité des associés
sont issus de la promotion interne et ils ont quasiment tous commencé
dans
l’entreprise au bas de l’échelle professionnelle. Cela constitue un facteur de
motivation important pour les nouveaux
recrutés aux postes de consultants
ou d’auditeurs juniors. Dans cette logique, une entreprise comme Procter &
Gamble met un
point d’honneur à recruter en interne tous ses dirigeants.
Ainsi, son PDG, Robert McDonald’s, a été recruté par l’entreprise
en 1980,
quasiment à la sortie de son MBA, comme Brand Manager et il a gravi tous
les échelons de l’entreprise avant d’être nommé PDG en 2009. Ce genre de
contrat implicite entre les jeunes
recrutés à fort potentiel et l’organisation
constitue un facteur important de fidélisation et de motivation des salariés.
L’impact sur la motivation d’un individu d’une perspective de carrière
organisationnelle correspond à une courbe en U inversée.
L’absence de
perspective de carrière et donc de gains salariaux futurs est un facteur de
démotivation. Inversement, l’absence
de risque de perte d’emploi,
notamment en cas de comportements qui divergent des attentes de
l’organisation, entraîne une
forme de démotivation des salariés. C’est l’une
des critiques qui est faite aux administrations publiques qui garantissent
un
emploi à vie et une promotion à l’ancienneté à leurs fonctionnaires quelles
que soient leurs performances. Pour être un
facteur de motivation, la gestion
des carrières doit offrir des perspectives de gains futurs en garantissant un
emploi et
une promotion aux salariés loyaux et performants tout en faisant
peser un risque de perte de ces gains futurs au cas où les
comportements
attendus par l’organisation ne sont pas respectés.
Au-delà de la rétribution financière induite par l’accroissement de
rémunération associée à une promotion, il y a également
une rétribution
symbolique liée au prestige conféré par l’accession à une position plus
élevée. Certaines banques ou cabinets
de conseil s’offrent parfois des pages
de publicité dans des grands quotidiens de la presse économique comme le
Wall Street Journal pour publier la liste des nouveaux promus au poste de
Managing Director ou de Partner. Le prestige acquis par un salarié est
d’autant plus élevé que son rythme de promotion est supérieur à la moyenne
des autres
salariés. Celui ou celle qui devient Managing Director dans une
banque d’affaires ou Partner dans une société de conseil avant l’âge de
trente ans est identifié par ses pairs comme étant particulièrement
performant.
Il y a d’ailleurs un terme pour nommer les salariés qui
connaissent ce type de parcours de carrière, ces individus sont appelés
des
« fast trackers ». La rapidité de leur promotion leur apporte une forme de
reconnaissance sociale par leurs pairs.
Le respect par l’entreprise du contrat psychologique lié à la carrière,
notamment dans les périodes économiques difficiles,
constitue également
un facteur de motivation. Une entreprise qui s’engage à promouvoir en
interne et à ne pas licencier, offre
un contrat psychologique particulièrement
motivant si elle respecte cet engagement durant les périodes de difficultés.
En
revanche, la violation de ce contrat ou un décalage important entre le
discours tenu par l’entreprise et ses pratiques peut
entraîner une
démotivation des salariés. L’absence de possibilité de carrière ou la forte
probabilité de se faire licencier
limite les perspectives de revenus futurs au
sein de l’organisation et incite les individus à exiger des rémunérations
présentes
plus élevées pour se couvrir contre le risque de perte d’emploi
dans un futur proche. Ainsi, dans les banques anglo-saxonnes,
au sein
desquelles la probabilité de se faire licencier est plus importante que dans
les banques françaises, et donc dans
lesquelles les possibilités de faire
carrière sont plus réduites, les salariés demandent des niveaux de
rémunération plus
importants, en partie pour se couvrir contre le risque plus
élevé de licenciement.

3 La gestion de carrière constitue un processus de


sélection et de formation des managers de
l’entreprise
La politique de gestion des carrières peut s’analyser à l’aune de la théorie
du tournoi[2] dans laquelle plusieurs salariés sont en compétition pour être
promus. Le salarié le plus performant est récompensé en étant
promu au
poste supérieur. Le système de tournoi peut se répéter de niveau
hiérarchique en niveau hiérarchique jusqu’à la fonction
de dirigeant de
l’entreprise. La compétition entre les individus qui se situent à un même
niveau hiérarchique et qui visent
une promotion au niveau supérieur,
constitue un processus de sélection des hauts potentiels. L’accession à un
poste supérieur
et l’obtention d’une rémunération plus élevée constituent
une récompense du succès dans la compétition entre les individus
du niveau
inférieur.
Pour les hauts potentiels, la gestion de carrière s’inscrit dans un processus
de sélection et dans un processus d’apprentissage.
Ainsi, un salarié est
nommé à un poste pour qu’il puisse acquérir de nouvelles compétences
mais également pour permettre à
la direction de l’entreprise d’évaluer sa
capacité à progresser dans l’organisation. La gestion des carrières
correspond à
une évaluation des salariés par une mise en situation. Ainsi,
dans les sociétés de service informatique, les consultants seniors
sont mis
en situation de management d’équipe pour évaluer dans quelle mesure ils
sont capables de remplir une fonction de
manager. De même, dans les
grandes entreprises multinationales, les hauts potentiels se voient confier la
direction d’un pays
de faible importance pour évaluer leur capacité à gérer
une entité et éventuellement envisager une promotion à la direction
d’un
pays plus important. Dans les grandes banques françaises, les départements
de l’inspection en charge du contrôle des
activités sont des viviers de hauts
potentiels qui, à travers leurs différentes missions, suivent un apprentissage
accéléré
et approfondi des différents métiers de la banque. À la Société
Générale, la direction de l’inspection constitue le vivier
des hauts potentiels
de l’entreprise. Elle se compose d’environ 140 personnes qui travaillent
directement pour la direction
générale. Elle conduit des missions d’audit et
de conseil sur l’ensemble des activités de la banque. Les inspecteurs sont
recrutés chaque année par un concours ouvert aux diplômés de
l’enseignement supérieur de niveau bac + 5 (écoles d’ingénieurs,
écoles de
commerce, IEP ou troisième cycle universitaire). Sur environ 1  000
candidats, une trentaine est admise. Ils bénéficient
d’un programme de
formation technique et managériale. De plus, la diversité géographique et
professionnelle des missions qu’ils
accomplissent constitue un programme
de formation complémentaire et participe à la sélection des hauts potentiels.
Le plan
de carrière consiste à occuper un poste d’inspecteur adjoint pendant
3 ans, puis un poste d’Inspecteur pendant 3 années supplémentaires.
Certaines personnes peuvent être amenées à quitter la direction de
l’inspection au cas où elles ne feraient pas preuve des
compétences
nécessaires à la fonction ; cela concerne environ un tiers des inspecteurs. À
l’issue des six années, les Inspecteurs
de la Société Générale sont affectés à
des fonctions de management au sein de la banque, parfois directement
avec des fonctions
de direction. En 2012, la Société Générale mentionnait
qu’un quart des membres du comité de direction de la banque étaient
issus
du cursus de l’Inspection.
La capacité d’une entreprise à organiser des plans de carrière pour
sélectionner et former ses dirigeants contribue à sa performance.
L’étude
annuelle de Booz & Company «  CEO succession  » montre que les
dirigeants promus en interne contribuent plus à la création de valeur que
ceux qui sont recrutés en externe.
Ce type de constat incite les entreprises à,
favoriser la promotion interne afin de pourvoir les postes de dirigeants.
L’exemple
de Nestlé illustre ce processus de sélection et de formation
interne des dirigeants. Peter Brabeck-Letmathe, le président
du groupe
agroalimentaire suisse, a été recruté par l’entreprise en 1968 à un poste de
commercial directement à sa sortie
de l’Université de Vienne. Il a ensuite
passé 10 ans au Chili comme responsable des ventes puis directeur du
marketing. En
1981, il a été nommé directeur de la filiale de Nestlé en
Équateur ; puis en 1983, il a été nommé directeur de la filiale
au Venezuela.
En 1987, il est revenu au siège de l’entreprise en Suisse pour prendre la
direction mondiale des produits culinaires.
En 1992, il est devenu vice-
président exécutif du groupe en charge de plusieurs divisions de produits
(notamment les divisions
chocolat, glace et alimentation animale) ainsi que
de la direction marketing, communication et affaires publiques. En 1997,
après 29  années de carrière dans l’entreprise, il a été nommé Directeur
Général de Nestlé et Président en 2005. En 2008, il
a cédé sa place de
Directeur Général à Paul Bulcke, qui lui-même a fait toute sa carrière chez
Nestlé depuis l’obtention de
son diplôme d’ingénieur commercial à
l’université de Louvain en Belgique en 1977. En 2012, sur les 13 membres
du comité de
direction de l’entreprise, 9 avaient plus de 20 ans d’ancienneté
dans le groupe et y ont connu de nombreuses promotions professionnelles.
Il y a débat pour savoir si les individus doivent être informés ou non du
fait qu’ils soient identifiés comme hauts potentiels
par leur employeur.
Certaines entreprises prônent la transparence en la matière. L’avantage est
de motiver les individus désignés
mais cela fait courir un risque de
démobilisation des autres salariés. L’enjeu est de définir un processus
transparent et
objectif d’identification des hauts potentiels afin que la
démarche soit perçue par les salariés comme une pratique équitable
et juste.
L’inconvénient est la difficile réversibilité des choix dès lors que
l’information est publique. L’exemple de General
Electric illustre cette
configuration. Lorsque Jack Welch, le PDG de l’entreprise, a annoncé son
départ à la retraite, il
a ouvertement mis en concurrence trois des principaux
dirigeants de l’entreprise, tous issus de la promotion interne  : Robert
Nardelli, entré dans l’entreprise en 1971 ; James McNerney recruté en 1982
et Jeff Immelt recruté la même année. Quand finalement,
en 2000, ce
dernier a été sélectionné par le conseil d’administration pour occuper le
poste de dirigeant de General Electric
pour remplacer Jack Welch, il est
apparu comme le vainqueur du tournoi final pour le poste de PDG. Sa
nomination a entraîné
l’année suivante le départ de ses deux concurrents.
Ainsi, en 2000, Robert Nardelli a pris la direction de HomeDepot et, en
2001, James McNerney est devenu le PDG de 3M.
Dans cette même logique, en 2012, John Chambers, le PDG de Cisco
Systems depuis 1995, a déclaré qu’il partirait à la retraite
au plus tard en
2016 et que son successeur serait choisi au sein d’un groupe de dix cadres
dirigeants de l’entreprise. L’objectif
est de stimuler la compétition entre ces
dix personnes pour les inciter à contribuer à la performance de l’entreprise
et atténuer
les velléités de départs de certains cadres dirigeants en leur
donnant une éventuelle possibilité de prendre la direction
de l’entreprise. En
ouvrant une possibilité de carrière nouvelle à ces cadres dirigeants, John
Chambers a modifié l’horizon
d’optimisation de ces personnes et a accru
leur implication dans l’organisation.
Inversement, certaines entreprises préfèrent ne pas révéler l’information
en pensant que l’incertitude peut être un facteur
de mobilisation pour tous
les salariés. Dans les faits, certaines pratiques de gestion peuvent être des
indicateurs de l’appartenance
au groupe des hauts potentiels de l’entreprise.
Ainsi, chez L’Oréal, la direction des États-Unis est identifiée comme une
étape importante vers la direction générale de l’entreprise. Dans d’autres
entreprises, l’inscription et la prise en charge
des frais liés à la participation
d’un programme MBA constituent un signal important d’appartenance au
groupe des hauts potentiels.
La sélection et la formation des hauts potentiels par une politique de
mobilité systématique peuvent avoir des effets négatifs
pour l’organisation
en entraînant des pertes d’expertises et de connaissances stratégiques. Ainsi,
un grand groupe industriel
a fait de son département de R&D son vivier de
hauts potentiels. L’entreprise recrute dans ce département de jeunes
diplômés
de l’enseignement supérieur pour ensuite les promouvoir au sein
de l’organisation après trois ou quatre années d’ancienneté.
Cette pratique
entraîne une très faible ancienneté des chercheurs dans le département de
R&D. Cela se traduit par une absence
de mémoire organisationnelle et
l’inexistence de routines spécifiques à l’entité.
4 L’évolution de carrière horizontale
Les entreprises mettent en œuvre des restructurations industrielles liées à
des variations d’activité ou à des changements
stratégiques. Ces
restructurations entraînent des sureffectifs quantitatifs et/ou qualitatifs. Les
plans de licenciements
économiques correspondent à une logique de
flexibilité externe des ressources humaines. Cependant, une alternative
consiste
à organiser un ajustement par la flexibilité interne à travers des
mobilités de carrières horizontales.
La mobilité horizontale peut prendre deux formes différentes. Il peut
s’agir d’une mobilité fonctionnelle correspondant à
un changement dans la
nature du poste occupé ou d’une mobilité géographique dans un poste
identique. La mobilité horizontale
peut parfois être une combinaison des
deux.

4.1 La mobilité fonctionnelle


Dans ce cas, l’entreprise propose à ses salariés de changer de carrière
pour ne pas avoir à les licencier. Il s’agit pour
l’entreprise d’organiser une
reconversion des salariés pour accompagner leur mobilité vers des postes
nécessitant de nouvelles
compétences. Ce changement de carrière peut-être
individuel ou collectif. Par exemple, en 2010, l’entreprise Fagor-Brandt
avait prévu de cesser sa production de lave-linge dans son usine de Lyon.
Cette décision stratégique aurait pu s’accompagner
d’un vaste plan de
licenciement des 450 salariés du site. La direction de l’entreprise a organisé
la reprise du site pour
le reconvertir en usine de production de voitures
électriques. Du point de vue de la GRH, l’enjeu a été, dans un premier
temps,
de convaincre les ouvriers de fabrication de lave-linge de devenir
des ouvriers de fabrication de voitures électriques puis,
dans un deuxième
temps, de les doter des compétences nécessaires pour leurs nouvelles
fonctions. L’entreprise a versé 9 millions
d’euros pour former les salariés à
la soudure et au découpage laser afin d’accompagner cette mobilité
fonctionnelle.

4.2 La mobilité géographique


Dans ce cas, l’entreprise propose à ses salariés de changer de lieu
d’activité pour ne pas avoir à les licencier. Ce type
de gestion de carrière est
plutôt l’apanage des grands groupes industriels qui ont plusieurs sites de
production et qui peuvent
organiser de telles évolutions. Ainsi, en 1997,
lorsque l’entreprise Fralib-Lipton du groupe Unilever a décidé de fermer
son
site du Havre, elle a proposé aux 136 salariés havrais de poursuivre leur
carrière dans l’usine de Marseille sur des postes
identiques. La DRH a
accompagné la mobilité en organisant des visites du site de Marseille pour
les ouvriers et leurs familles.
Il s’agit dans ce cas d’organiser une mobilité
horizontale défensive à partir d’une mobilité géographique permettant de
résorber
les sureffectifs liés à la restructuration.

5 L’accompagnement de la carrière vers


l’extérieur de l’organisation
Dans certaines situations une évolution de carrière au sein de
l’organisation n’est pas envisageable par l’employeur. Il peut
s’agir de cas
de sureffectifs liés à une baisse de l’activité trop importante ou à un
changement stratégique d’activité très
radical qui ne permet pas un
redéploiement des compétences. Il peut également s’agir de doublons
d’individus sur un même poste
(deux directeurs du marketing ou deux
directeurs financier), notamment lors d’une fusion ou d’une acquisition
d’entreprise.
Dans ce cas, la direction des ressources humaines peut
accompagner la mobilité externe des salariés et favoriser un projet
de
carrière à l’extérieur de l’organisation.
Cette mobilité dépend de l’employabilité des individus, c’est-à-dire de
leur capacité à redéployer leurs compétences dans
une autre organisation
sans perte de productivité. Ainsi, lorsque la compagnie aérienne Air Lib a
fait faillite en 2003, il
fut plus facile de reclasser les hôtesses et les stewards
dont les compétences étaient facilement utilisables par d’autres
entreprises
(compagnies aériennes, agences d’hôtesses, etc.) que les pilotes. En effet,
ces derniers pilotaient des avions
McDonnell-Douglas, type d’avions très
rarement utilisés par les autres compagnies aériennes qui utilisaient
essentiellement
des Airbus et des Boeing. Cette spécificité de leurs
compétences les rendait difficilement employables par d’autres compagnies
aériennes et a rendu leur reclassement plus compliqué.
Pour accompagner la mobilité externe, les employeurs peuvent inciter
leurs salariés à réaliser un bilan de compétences pour
identifier des
orientations de carrières cohérentes avec leurs souhaits et leurs capacités. Ils
peuvent aussi les amener à
s’inscrire dans une démarche de Validation des
Acquis d’Expérience (VAE) afin d’accroître leur employabilité par une
reconnaissance
des compétences acquises dans le cadre de leur activité
professionnelle. L’employeur peut également prendre à sa charge un
cabinet
de gestion de carrière (« outplacement ») pour aider ses salariés à trouver un
emploi dans une autre entreprise. Cet accompagnement par un coach de
carrière peut
s’étendre sur plusieurs mois.
Cet accompagnement peut également consister en des investissements en
formation permettant aux salariés d’acquérir des compétences
recherchées
par d’autres entreprises. Ainsi, certains employeurs financent une formation
en MBA pour permettre à leurs salariés
d’accroître leur employabilité et
trouver un emploi dans une autre entreprise.
Cette mobilité externe peut aussi prendre la forme d’une création
d’entreprise accompagnée par l’employeur. Cette démarche
correspond à un
essaimage que l’employeur peut aider à travers une formation, des transferts
de technologies, un financement
ou par une garantie de sous-traitance
d’activité.

Section 2

LES PRATIQUES DE LA GESTION DES CARRIÈRES

Au-delà de sa nécessaire congruence avec les autres dimensions de la


GRH (recrutement, formation, rémunération et évaluation),
la politique de
gestion des carrières s’appuie sur des outils et des pratiques spécifiques de
gestion. Quatre d’entre eux
sont plus particulièrement examinés  : le
mentoring d’intégration, l’entretien de carrière, le comité de carrières et
l’organigramme de remplacement.

1 Le mentoring d’intégration
La gestion des carrières peut être appréhendée comme étant
l’accompagnement au sein de l’organisation du cycle de vie du salarié
entre
son recrutement et son départ. L’intégration est la première étape de la
gestion de carrière et sa qualité conditionne
grandement la contribution du
salarié à l’entreprise. Certaines entreprises apportent un soin particulier à
cette étape. Au-delà
des séances d’information relatives au mode de
fonctionnement de l’organisation et de la visite de différents services de
l’entreprise, certaines DRH ont mis en œuvre un système de mentoring. Il
s’agit d’établir une relation privilégiée entre un nouvel arrivant et un salarié
plus ancien. Ce dernier, est au fait
des us et des coutumes informels de
l’organisation ainsi que de ses pratiques de management. Il a pour mission
de transmettre ces
savoirs à son mentee pour faciliter son intégration et sa
carrière. Au-delà du transfert des connaissances, l’objectif consiste
également à apporter
un soutien psychologique au nouvel arrivant qui peut
être déstabilisé par son arrivée dans un nouvel environnement. Pour éviter
tout conflit d’intérêt, il est nécessaire que le mentor n’ait pas de relation
hiérarchique directe avec son mentee.

2 L’entretien de carrière
La carrière est à l’intersection des besoins de l’organisation et des
aspirations du salarié. Les attentes des individus diffèrent
et évoluent au
cours de la vie professionnelle et de la vie familiale. De ce fait, il convient
pour la DRH d’instituer un
espace de dialogue sur ce sujet pour permettre à
l’entreprise de connaître les attentes du salarié tout en lui présentant
les
opportunités existantes au sein de l’organisation. En cas de convergence, il
s’agit ensuite de co-construire un plan d’accompagnement
de la mobilité
professionnelle. Les entretiens de carrières constituent cet espace de
dialogue.
Parfois cet entretien professionnel est encadré par la législation du travail
ou une convention collective qui en prévoit
le rythme et le contenu. Ainsi,
la législation française prévoit notamment un entretien professionnel de
deuxième partie de
carrière tous les cinq ans à partir de 45 ans. L’objectif
est de construire un projet professionnel cohérent entre les compétences
et
les aspirations du salarié et les évolutions de son environnement
professionnel. Le dernier entretien prévu par la loi
vise à identifier les
compétences et les savoir-faire du salarié à transférer avant son départ à la
retraite.
L’entretien de carrière peut être articulé avec l’entretien annuel
d’évaluation. Cependant, il peut être préférable de les
découpler, surtout si
l’entretien d’évaluation est également l’espace de discussion de la
rémunération. Les différences d’enjeux
peuvent nuire à la finalité de
l’entretien. Enfin, l’entretien de carrière peut être mené par un membre de
la DRH, notamment
un gestionnaire de carrière, plutôt que par le supérieur
hiérarchique du salarié. Ce découplage évite d’éventuels conflits
d’intérêts
entre le manager et son collaborateur tout en donnant à la DRH la
possibilité de présenter au salarié une vision
plus large des opportunités et
des conditions d’évolution de carrière au sein de l’organisation.

3 Le comité de carrières


Le comité de carrières est une instance intermédiaire entre le niveau
organisationnel de la gestion prévisionnelle des ressources
humaines et le
niveau individuel de la gestion de carrière. Il est composé de représentant
du management et de la DRH. Sa
finalité est d’appréhender la gestion des
carrières dans une perspective plus large que celui du premier niveau
hiérarchique
du salarié et de constituer une instance de supervision des
managers directs des salariés. C’est au niveau de ce comité que
peuvent être
identifiés les hauts potentiels par comparaison des salariés les plus
performants, puis définies des pratiques
spécifiques pour accompagner leur
mobilité professionnelle.
Ce sont également les comités de carrières qui supervisent l’application
de la politique de diversité en matière de promotion
interne. Certaines
entreprises pratiquent consciemment ou inconsciemment des formes de
discrimination dans la gestion des
carrières de leurs salariés. Ainsi,
certaines caractéristiques des salariés liées aux diplômes, à la nationalité, au
sexe
ou à l’âge peuvent influencer les pratiques de gestion des carrières
organisationnelles et constituer des formes de discrimination.
Les politiques
de lutte contre les discriminations dans les entreprises concernent souvent
les pratiques de gestion des carrières
au sein de l’organisation. La
promotion des femmes à des postes de cadres dirigeants est l’un des aspects
de la discrimination
en matière de gestion des carrières qui est souvent mis
en évidence, notamment avec la notion de «  plafond de verre  ». La
faible
présence de salariés autodidactes ou d’origine étrangère dans les comités de
direction des entreprises traduit également
l’existence de «  plafonds de
verre » dans la gestion de carrière de certaines populations de salariés.
Le rôle des comités de carrières est d’assurer qu’il n’y a pas de
discrimination en matière de promotion interne. Par exemple,
ils peuvent
demander à ce que les short lists destinées à pourvoir un poste à
responsabilité comportent des femmes, des étrangers, des autodidactes et
d’autres membres
de groupes n’appartenant pas au groupe social dominant
dans l’organisation.

4 L’organigramme de remplacement
Les organigrammes de remplacement mis en œuvre dans le cadre de la
gestion prévisionnelle des ressources humaines constituent
un support à la
gestion des carrières. Le comité de carrières constitue l’instance qui définit
cet organigramme. Sur le principe,
il s’agit d’identifier le remplacement
d’un cadre supérieur en cas de départ brutal (démission, mobilité d’urgence,
décès).
Pour ce faire, il convient pour la DRH d’identifier les postes clés au
regard de la stratégie de l’entreprise et des fonctions
critiques, de repérer les
individus susceptibles d’occuper ces postes et de s’assurer que les individus
sont intéressés par
cette perspective de mobilité professionnelle. La
définition de l’organigramme de remplacement peut faire apparaître des
pénuries
de suppléants internes pour certains postes. Cela représente un
risque important de dysfonctionnements en cas de départ des
personnes
concernées. Pour pallier ce risque, la DRH peut former et préparer deux ou
trois personnes capables de rapidement
remplacer une personne occupant
un poste stratégique.
Les organigrammes de remplacement constituent une source de
motivation pour les individus appelés à remplacer leur supérieur
hiérarchique et permettent de parer aux situations d’urgence qui peuvent se
produire. L’exemple de Christian Dior, qui n’avait
pas de plan de
remplacement pour son designer de mode John Galliano, illustre l’intérêt
des organigrammes de remplacement.
En mars 2011, Christian Dior a
décidé de licencier son designer après que celui-ci ait proféré des injures
raciales et antisémites
sur la voie publique. L’absence de remplaçant
potentiel en interne a conduit l’entreprise à rester pendant un an sans
directeur
de la création et à recruter en externe pour pourvoir le poste, en
l’occurrence Raf Simons, l’ancien directeur artistique
de la maison de
couture Jil Sander.

Focus
Les systèmes informatiques RH (SIRH)

pour gérer les organigrammes de remplacement


La coordination de la gestion de carrière des hauts potentiels
s’apparente parfois à la gestion d’un jeu de chaises musicales
qui
peut se révéler particulièrement complexe, notamment dans les
grandes organisations qui compte de nombreux salariés. Les
systèmes informatiques dédiés à la GRH offrent des modules de
gestion des organigrammes de remplacement et permettent à la
DRH
d’avoir une vision d’ensemble de la gestion des compétences.
Les SIRH permettent une simulation des organigrammes de
remplacement et de succession en tenant compte d’éléments
quantitatifs
comme l’âge et le taux de turnover, ainsi que des
éléments qualitatifs liés à la dimension critique ou stratégique des
compétences.
Ils permettent de systématiser l’identification des
pénuries de compétences qui pourraient empêcher une succession.
Les SIRH peuvent également constituer des plateformes ouvertes à
toutes les parties prenantes de la gestion des carrières
(salariés, DRH,
managers directs et direction) pour échanger sur les opportunités de
mobilités, les conditions d’accès à certains
postes, les formations
disponibles pour accompagner une mobilité professionnelle et les
compétences disponibles au sein de
l’organisation.
Les grands éditeurs de progiciels de gestion comme Oracle et SAP
offrent des modules de gestion des carrières qui permettent
la gestion
et les simulations des organigrammes de remplacement.

Section 3

LES ACTEURS DE LA GESTION DES CARRIÈRES

La politique de gestion des carrières implique de nombreux acteurs dont


les intérêts peuvent converger mais aussi parfois
diverger. Il est important
pour la DRH d’identifier ces acteurs et leurs stratégies afin de mettre en
œuvre une gestion des
carrières qui contribue à la compétitivité et à la
performance de l’organisation. Trois acteurs principaux peuvent être
identifiés :
les salariés, les managers et les DRH.

1 Les salariés
Les individus sont les premiers gestionnaires de leur carrière. Leurs
aspirations professionnelles peuvent converger ou diverger
avec les intérêts
de leur employeur. De plus, ces aspirations évoluent au cours du temps,
notamment sous l’influence de la
vie personnelle des individus. Par
exemple, dans le milieu hospitalier, les infirmières qui choisissent souvent
cette profession
par vocation, voient leurs aspirations professionnelle et
personnelle se modifier lorsqu’elles connaissent une maternité.
À court
terme, cette maternité peut s’accompagner d’un congé parental de longue
durée et, à moyen terme, par une réticence
au travail de nuit ou le week-
end, voire par un souhait de cesser une activité professionnelle. De même,
les salariés peuvent
souhaiter une mobilité mais, parfois, ils peuvent y être
réticents. Cette résistance peut être rationnelle si elle contrevient
aux
intérêts de l’individu. Elle peut également être subjective du fait d’une
nature humaine souvent réfractaire au changement.
Une mobilité
professionnelle signifie sortir d’une zone de confort psychologique et une
prise de risque.
Cinq figures de salariés peuvent être définies en fonction de leurs souhaits
de carrière.

1.1 Les ambitieux
Ils ont des ambitions importantes en termes de carrière, ils sont prêts à
s’investir dans l’entreprise, à faire des efforts
de formation et à accepter des
mobilités fonctionnelles et géographiques. En contrepartie, ils attendent une
rétribution de
la part de leur employeur, notamment par des promotions
professionnelles fréquentes. Cette population est pour l’essentielle
constituée de jeunes, diplômés de l’enseignement supérieur ou pas. Leur
situation familiale, célibataire et/ou sans enfant
facilite cet investissement
dans la vie professionnelle. L’enjeu pour la DRH est de leur offrir des
projets et des promotions
de carrière pour entretenir leur motivation et les
garder dans l’entreprise.

1.2 Les établis
Il s’agit de salariés qui ont atteint une certaine position dans l’entreprise,
qui sont performants dans leur poste et qui,
pour des raisons personnelles
liées à la vie familiale ou à l’intégration dans le tissu local, ne souhaitent
pas de promotion,
notamment lorsque celle-ci suppose une mobilité
géographique. Certains de ces salariés sont parfois identifiés comme des
hauts
potentiels par la DRH. Cependant, vouloir leur imposer une mobilité
peut entraîner leur démission et donc une perte de compétences
pour
l’entreprise. Ainsi, telle grande chaîne hôtelière internationale avait
identifié le directeur d’un de ses établissements
de la Côte d’Azur comme
étant un cadre à haut potentiel et souhaitait le promouvoir en lui proposant
de gérer l’ouverture
d’un nouvel établissement à Moscou. Pour des raisons
personnelles liées au fait que sa femme occupait un poste intéressant
à Nice,
que ses enfants y étaient scolarisés et que lui-même appréciait la qualité de
vie de la région, ce directeur a refusé
cette mobilité.

1.3 Les craintifs
La mobilité professionnelle suppose que l’individu accepte de sortir de la
zone de confort que constituent la maîtrise d’un
poste et l’appartenance à
une communauté de travail particulière pour de s’inscrire dans une mobilité
apprenante lui permettant
d’acquérir de nouvelles compétences et de
s’intégrer dans un nouveau collectif de travail. Cette évolution
professionnelle
peut susciter une résistance au changement dont la nature
est subjective et peut entraîner des comportements irrationnels.
Ce type de
réaction se rencontre notamment lors de restructurations industrielles qui
conduisent la DRH à proposer à certain
salariés des mobilités
fonctionnelles. Dans ce cas, au-delà de l’acquisition de compétences
techniques, la DRH a un rôle à
tenir dans l’accompagnement psychologique
du changement de carrière.
Les difficultés de France Telecom pour faire évoluer des salariés des
fonctions techniques vers des fonctions commerciales
illustrent cette
catégorie. Ces changements de carrières se sont parfois traduits par des
mobilités forcées. La souffrance
individuelle qu’a pu engendrer ces
transitions de carrière a été évoquée pour expliquer la vague de suicides
qu’a connu l’entreprise
dans les années 2009-2010.

1.4 Les acteurs ailleurs


Certains salariés n’ont pas d’attente particulière en matière de promotion
au sein de l’entreprise. Ils perçoivent leur activité
professionnelle comme
un moyen d’obtenir des revenus et pas comme un moyen
d’accomplissement personnel. L’entreprise n’a pour
eux qu’une fonction
alimentaire et ils poursuivent des projets personnels dans d’autres espaces
sociaux. En ce sens, ce sont
des «  acteurs ailleurs  ». L’exemple d’un
diplômé d’une grande école française (ENS Ulm) illustre cette situation. Ce
dernier
travaillait au service juridique d’une banque et sa maîtrise de
plusieurs langues étrangères en faisait une ressource précieuse
pour le
contrôle de la qualité des contrats. Ce salarié, que tout désignait comme un
haut potentiel, refusait systématiquement
toute promotion au statut de
cadre. Cette attitude, qui apparaissait paradoxale à la DRH de la banque,
s’expliquait par le
fait que le salarié concerné était un musicien qui
appartenait à un groupe de jazz. Afin de se consacrer à sa passion, ce
salarié
ne souhaitait pas effectuer plus de 35 heures hebdomadaires de travail
comme l’aurait impliqué son passage au statut
cadre. Son travail était pour
lui «  alimentaire  » au sens où il lui permettait de subvenir à ses besoins
primaires et lui
laissait le temps de se consacrer à sa passion musicale.

1.5 Les nomades
Certaines personnes conçoivent leur emploi dans une entreprise comme
une forme d’investissement en formation qui leur permet
d’acquérir des
compétences chez un employeur réputé pour ensuite aller les monnayer
auprès d’un autre employeur ou, éventuellement
de créer leur propre
entreprise. Certaines grandes entreprises sont clairement perçues comme
une étape pour acquérir des compétences
et enrichir son curriculum vitae.
Ainsi, dans le secteur bancaire, Goldman Sachs est identifié par les
gestionnaires d’actifs qui souhaitent créer leur propre
fond d’investissement
comme étant un employeur pour lequel il est intéressant de travailler afin
d’acquérir des compétences
et une réputation («  track record  ») qui
permettent ensuite de créer un fond d’investissement.
Certaines entreprises acceptent et, dans une certaine mesure, favorisent
ces mobilités externes. Elles entretiennent ensuite
un lien avec leurs anciens
salariés qui peuvent être de potentiels clients. Les grands cabinets d’audit
(PwC, Ernst&Young,
Deloitte et KPMG) sont considérés par les jeunes
diplômés de l’enseignement supérieur comme une étape intéressante de
quatre
ou cinq ans avant de se diriger vers des directions financières de
grandes entreprises. Un cabinet d’audit comme Ernst&Young,
dont la
gestion des ressources humaines s’appuie sur un taux de départ important
de ses auditeurs, entretient des relations
avec ses anciens salariés, dont de
nombreux sont employés par des grandes entreprises qui ont ou peuvent
avoir recourt aux
services du cabinet. Pour cela, l’entreprise a créé la
communauté Ernst&Young Alumni qui tient à jour un annuaire des anciens,
organise des rencontres et valorise certains membres qui connaissent un
succès notable.

2 Les managers
Les managers sont concernés par la carrière de leurs collaborateurs. A
priori, leur intérêt est de conserver les meilleurs éléments de leurs équipes
et de se séparer des moins performants. Cela peut
conduire à des
comportements de managers en contradiction avec les intérêts de
l’organisation. Les managers peuvent sous-évaluer
les hauts potentiels dans
le formulaire d’appréciation transmis à la DRH afin de ne pas favoriser leur
mobilité et, inversement,
sur-évaluer les moins performants pour favoriser
leur mobilité. De plus, une demande de mobilité interne d’un salarié peut
être mal interprétée par son manager. Ce dernier peut percevoir cela comme
une forme de trahison. Le risque est qu’en bloquant
la mobilité d’un
collaborateur performant, le manager entraîne sa démission.
Cependant, les managers opérationnels sont les mieux à même
d’identifier les hauts potentiels et les meilleurs experts qui
sont dans leurs
équipes. Ainsi, chez Leroy Merlin, les chefs d’équipe ont pour mission de
repérer les jeunes talents parmi
les vendeurs et de les former. Pour cette
raison, leur coopération au programme de gestion de carrière est
particulièrement
importante. Il convient qu’ils soient capables d’apprécier
la capacité de leurs collaborateurs à tenir d’autres postes. De
même, dans
les sociétés de conseil en management, il est souvent demandé aux chefs de
projet de mettre les consultants seniors
dans des positions de management
de consultants juniors afin d’évaluer leurs compétences managériales avant
d’envisager une
éventuelle promotion.
Il convient de définir un système incitatif pour motiver les managers à
contribuer à la détection et au développement des
hauts potentiels et des
experts. Une possibilité consiste à conditionner la mobilité d’un manager au
fait qu’il ait identifié
et formé son successeur au sein de son équipe. Ainsi,
chez Hewlett-Packard, un manager ne peut pas être promu s’il n’a pas
identifié et formé son remplaçant. Une autre pratique consiste à évaluer un
manager sur sa capacité à promouvoir des personnes
de ses équipes vers des
postes à responsabilité. Il s’agit d’inciter les managers à sponsoriser leurs
collaborateurs. Cette
pratique est notamment utilisée pour favoriser la
promotion des femmes. Dans ce cas, les managers sont évalués sur leur
capacité
à favoriser la promotion de leurs collaboratrices.

3 La DRH : gestionnaire ou facilitateur des


carrières
L’affectation des ressources humaines sur le marché interne de
l’organisation peut relever d’une décision de la DRH. Dans
ce cas, la
gestion des carrières correspond à une décision bureaucratique dans un
processus de décision centralisé. Cette
approche offre l’avantage de faire
prévaloir les intérêts de l’organisation sur ceux des managers et des salariés.
Le risque
est de ne pas prendre en compte les aspirations des individus et
suppose un outil sophistiqué d’analyse des compétences.
De manière alternative, la DRH peut avoir pour rôle de faciliter la
coordination entre les offreurs d’emploi (les managers)
et les demandeurs
d’emploi (les salariés) au sein du marché interne du travail de
l’organisation. Dans ce cas, la gestion
des carrières relève d’ajustement
mutuel dans un processus de décision décentralisé. Le risque est que les
intérêts de l’organisation
soient moins déterminants dans les choix de
mobilités professionnelles.
Les deux approches peuvent exister dans un même secteur d’activité.
Ainsi, dans certains cabinets de conseil, ce sont les
managers et les
consultants qui s’accordent sur les affectations dans les équipes projets. Il
s’agit d’une forme décentralisée
de la gestion des carrières. Dans d’autres,
la DRH fournit les consultants aux managers en fonction des besoins que
celui-ci
a exprimé. Dans ce cas, il s’agit d’une forme centralisée de la
gestion des carrières.
Dans tous les cas, la DRH est responsable de la circulation de
l’information relative aux opportunités de carrières au sein
de l’organisation
ainsi que de la coordination et de l’accompagnement des salariés et des
managers impliqués dans les mobilités
professionnelles. L’organisation est
un marché interne du travail sur lequel l’information ne circule pas
parfaitement pour
permettre une adéquation optimale entre une offre interne
d’emploi et une demande de salariés compétents et motivés. L’affichage
des
postes et les bourses d’emplois, notamment sur l’intranet de l’entreprise,
permettent d’informer les salariés potentiellement
intéressés par une
mobilité et ainsi les encourager à candidater.
Enfin, la DRH peut être amenée à mettre en œuvre une politique de
gestion des carrières pour accompagner les changements stratégiques
de
l’entreprise. Il peut s’agir d’une restructuration, d’une expansion à
l’international ou d’une acquisition. Ainsi, les
stratégies des grands groupes
de hautes technologies qui acquièrent des start-ups pour enrichir leur
portefeuille de technologies
induisent une réflexion sur la gestion de la
carrière des salariés des entreprises acquises afin de les retenir au sein de
l’organisation. Par exemple, Cisco Systems, l’équipementier télécom
américain a, ces dernières années, acquis plus de 150
start-ups de hautes
technologies. À chaque acquisition, la DRH s’entretient avec les dirigeants
de chaque entreprise acquise
à propos de leurs souhaits de carrière.
L’objectif est de leur offrir la possibilité de rester à la direction de l’activité
qu’ils ont créé, de se consacrer à des activités de développement
technologique ou de changer de métier au sein de Cisco Systems
pour
s’orienter vers des activités de corporate venturing ou de business
development. Ces différentes opportunités de carrières ont pour objectif de
garder les talents au sein de l’entreprise.

Focus
Un prestataire de service RH :

le coach d’accompagnement de prise de poste managérial


En début de carrière, la progression d’un individu est principalement
fondée sur sa maîtrise d’une expertise technique et
sur sa
performance individuelle. Ensuite, cette évolution passe par la prise
de responsabilité d’encadrement et de management
d’équipe. Cette
transition induit le passage d’une légitimité fondée sur l’expertise à
une légitimité basée sur la capacité
managériale. Ce passage peut être
particulièrement difficile dans les environnements de hautes
technologies dans lesquels
les experts éprouvent des difficultés à
déléguer à leurs collaborateurs et à abandonner la technique au profit
du management.
Les compétences managériales (les soft skills  :
communication, compréhension des environnements sociaux,
capacité à motiver, fonctionnement en réseaux…) diffèrent des
compétences d’expertises.
Cette transition de carrière se révèle délicate et se solde souvent par
des échecs. Aussi, certaines entreprises ont recourt
à des coachs
externes pour accompagner ce changement professionnel. Ainsi,
l’entreprise Astrium (groupe EADS), fait accompagner
pendant six
mois par un coach les prises de fonction managériale de ses experts.
Cette pratique d’accompagnement consiste
en des réunions de travail,
à raison de six à sept séances durant la période de six mois. L’objectif
de ces réunions est d’amener
les managers promus à prendre du recul
par rapport à leur prise de fonction afin d’identifier les éventuels
dysfonctionnements
et les pistes d’amélioration possibles. Ces
séances de coaching permettent au nouveau manager d’analyser ses
pratiques dans
son nouveau poste pour notamment appréhender sa
capacité à déléguer, à faire confiance et à écouter ses collaborateurs.

Section 4

LES SYSTÈMES DE GESTION DES CARRIÈRES

La gestion des carrières s’appuie sur des règles formelles et informelles


qui offrent des parcours de carrières différents
selon les entreprises. Les
organisations constituent des marchés internes du travail avec des règles
spécifiques plus ou moins
ouverts aux mécanismes concurrentiels du
marché externe du travail. Il convient de reprendre la définition de Piore et
Doeringer[3] pour lesquels le marché interne est « une unité administrative
où la rémunération et l’allocation du travail sont gouvernées par un
ensemble de règles et de procédures
administratives. Il doit être distingué
du “marché externe du travail” de la théorie économique conventionnelle
où les décisions
de rémunération, d’allocation et de formation sont
contrôlées directement par des variables économiques. »
Les opportunités de carrières sont déterminées par le degré de porosité
entre les différents niveaux hiérarchiques et fonctionnels
du marché interne
du travail de l’entreprise et par le degré d’ouverture de l’organisation au
marché externe du travail. Le
modèle de gestion de carrières d’une
entreprise se traduit concrètement par l’origine de ses cadres dirigeants. Si
ceux-ci
ont été recrutés à l’extérieur de l’organisation, il s’agit d’un système
de carrières ouvert. En revanche, s’ils sont issus
de la promotion interne, il
s’agit d’un système de carrières fermé.

1 Le système de carrières ouvert


Ce système se caractérise par une porosité au marché externe du travail à
tous les niveaux hiérarchiques et fonctionnels ainsi
que par un fort
hermétisme entre les niveaux hiérarchiques en matière de promotion interne
(figure 4.1).
Dans ce cas, l’entreprise recrute ses dirigeants et ses cadres supérieurs à
l’extérieur de l’organisation. Corollairement,
les salariés recrutés aux
niveaux hiérarchiques inférieurs ont peu de chance d’être promus en interne
vers des postes de direction.
Le constructeur automobile Peugeot-Citroën
illustre cette situation. Les cinq derniers dirigeants avaient peu ou aucune
expérience
de l’entreprise lorsqu’ils ont été nommé à la direction de
l’entreprise. Ainsi, en 1977, lorsque M. Jean-Paul Parayre prend
la direction
du groupe, il n’a que trois ans d’ancienneté dans l’entreprise  ; en 1983,
quand M. Jacques Calvet prend la direction,
il n’a qu’une année
d’expérience dans le groupe ; en 1997, lorsque M. Jean-Martin Folz accède
à la direction générale, il
n’a que deux ans d’expérience dans le groupe. Les
trois autres successeurs, MChristian Streiff en 2007, M. Philippe Varin
en
2009 et M. Carlos Tavares en 2014, n’avaient aucune expérience dans
l’entreprise Peugeot-Citroën avant d’en prendre la
direction. En 2012, six
des dix membres du comité de direction générale de l’entreprise avaient
cinq ans ou moins d’expérience
dans le groupe Peugeot-Citroen (et quatre
plus de 20 ans). Ce qui fait une moyenne de 12 ans d’ancienneté (27 années
pour
le plus ancien et 1 année pour le dernier arrivé).

Figure 4.1  – Le système de carrières ouvert[4]

Cette forme de marché du travail peut se révéler contreproductive à


plusieurs égards. D’une part, elle constitue un facteur
de démotivation pour
les salariés occupant des postes inférieurs dans la hiérarchie car ils ne
peuvent pas espérer être promus
au sein de l’entreprise. De plus, du fait que
l’entreprise recrute ses dirigeants à l’extérieur, ces derniers n’ont pas une
connaissance tacite du fonctionnement de l’organisation. Leur assimilation
des spécificités de l’entreprise nécessaire à la
prise de décision suppose une
période plus ou moins longue d’apprentissage. Enfin, ce système de
carrières peut entraîner
des situations de conflits entre les cadres recrutés à
l’extérieur et les autres salariés qui sont privés de perspectives
de
promotion.
Le système de carrières ouvert peut entraîner un cercle vicieux de GRH.
Dans ce système, la GRH est bien souvent dans un mode
réactif et
n’anticipe pas les départs des salariés. De ce fait, l’entreprise recrute dans
l’urgence à l’extérieur pour compenser
une démission. Cela entraîne des
frustrations pour les salariés dans les postes inférieurs qui auraient pu
prétendre à cette
position à condition d’y avoir préalablement été préparés.
Ce ressentiment peut entraîner de nouvelles démissions et inscrire
la GRH
de l’organisation dans un cercle vicieux dont il peut être difficile de sortir
sans un effort de gestion prévisionnelle.

2 Le système de carrières fermé


Ce système se caractérise par une porosité entre les niveaux hiérarchiques
et fonctionnels du marché interne du travail de
l’organisation pour offrir
aux salariés des possibilités de promotion interne. En revanche, ce système
est marqué par un hermétisme
au marché externe du travail sauf au premier
niveau d’emploi de l’organisation. Ce dernier constitue le port d’entrée dans
le marché interne de l’organisation (figure 4.2).
Figure 4.2  – Le système de carrières fermé

Dans ce système de carrières, l’entreprise se dote de dirigeants par le biais


de la promotion interne. Le constructeur automobile
Volkswagen illustre ce
mécanisme de promotion sur un marché interne afin de pourvoir les postes
de direction générale. En
2012, M. Martin Winterkorn, le PDG du groupe,
avait 31 années d’ancienneté au sein de l’entreprise. L’ancienneté moyenne
des
7 membres du comité de direction était de 23,5 ans (32 années pour le
plus ancien et 9 années pour le dernier arrivé).
Les entreprises divergent sur la visibilité qu’elles donnent à leurs salariés
sur les possibilités de promotion professionnelle
au sein de l’organisation.
Dans certaines entreprises, l’échelle interne de promotion est clairement
identifiée. Par exemple,
dans les activités de conseil en management, les
cabinets d’audit, les sociétés de services informatiques et les cabinets
d’avocats, les salariés sont recrutés à la sortie des universités et peuvent
gravir tous les échelons hiérarchiques de l’entreprise
jusqu’à en prendre la
direction. Cette hiérarchie s’articule, avec des variantes selon les
entreprises, autour de cinq niveaux  :
junior, senior, manager, directeur et
associé. Le statut d’associé, notamment dans les structures en partnership,
fait de ces salariés-dirigeants des actionnaires de l’entreprise et constitue un
aboutissement de la carrière interne. De
même, dans les banques d’affaires
anglo-saxonnes, on trouve une échelle professionnelle clairement définie le
long de laquelle
s’effectue la promotion interne. Cette échelle va du statut
d’Analyst, à celui d’Associate, de Vice-President, de Managing Director
pour finir à celui de Partner.
Dans cette configuration, l’entreprise recrute ses salariés à la sortie du
système éducatif et offre la possibilité aux plus
performants d’être promus.
Les individus dont les compétences et les performances ne correspondent
pas aux standards de l’organisation
sont soit licenciés formellement, soit
informellement conduits à démissionner. Ce système est connu sous
l’appellation « up or out policy » (la règle de la promotion ou de l’éviction).
La règle est que les salariés sont promus (« up ») au poste supérieur tous les
2 ou 3 ans pour les plus performants (les « fast trackers ») et tous les 4 ans
pour les autres. Ceux qui ne sont pas promus après 4 ans ne le seront jamais
et sont invités à quitter
l’entreprise (« out ») (figure 4.3).
Cette logique de promotion interne présente plusieurs avantages. D’une
part, elle constitue un contrat très incitatif pour
les salariés recrutés au bas
de l’échelle professionnelle car ils savent que les postes hiérarchiquement
supérieurs sont quasi-exclusivement
pourvus par la promotion interne et
que, s’ils sont professionnellement performants et loyaux, ils peuvent
espérés être promus
au sein de l’entreprise. Certaines entreprises ont même
adopté de manière stricte ce principe de gestion et communiquent sur
ce
point pour attirer des candidats. Ainsi, Procter & Gamble, qui recrute quasi-
exclusivement des jeunes diplômés de l’enseignement
supérieur insiste
auprès des jeunes diplômés sur le fait que tous les dirigeants de l’entreprise
ont commencé au bas de l’échelle
professionnelle de l’entreprise à la sortie
de l’université.
Figure 4.3  – La « up or out policy »

Ce système de gestion des carrières permet aussi à l’entreprise


d’accumuler et de conserver des expertises et des compétences
tacites et
spécifiques nécessaires au fonctionnement de l’organisation. Cependant,
cette capacité d’accumulation de compétences
peut être affaiblie par la règle
de «  la promotion ou de l’éviction  ». En effet, la «  up or out
policy » présente des limites en ce qui concerne la carrière des experts qui
n’ont pas la capacité ou le souhait de devenir des
managers. Le risque pour
l’entreprise est de perdre des expertises de haut niveau en imposant à des
salariés un rôle de manager.
Une option est de reconnaître une possibilité de
carrière d’experts au sein de l’organisation. Certaines entreprises ont
qualifié
cette règle de « up or learn policy » (promotion ou apprentissage).
Une autre limite au système de carrières fondé sur la promotion interne
est qu’il peut se révéler peu réactif pour accompagner
des changements
stratégiques radicaux. Quand une entreprise fait un changement stratégique
important, elle a rarement en interne
les compétences nécessaires pour
l’accompagner et doit recruter des salariés à l’extérieur pour s’en doter.
Cette rupture
avec une logique de système de carrières fermé peut être mal
perçue par les salariés en place et conduire à des situations
de conflits. Le
passage d’un marché fermé fondé sur la promotion interne à un marché
ouvert qui privilégie le recrutement
externe pour doter l’entreprise de
compétences peut constituer une rupture du contrat psychologique entre
l’employeur et ses
salariés.
En France, l’évolution de la GRH dans le secteur bancaire illustre ce
processus. Dans les années 1970, les banques n’étaient
pas des employeurs
très attractifs sur le marché du travail et les jeunes diplômés privilégiaient
d’autres secteurs d’activité.
Cette situation a conduit les banques françaises
à recruter des salariés peu qualifiés et à investir massivement dans la
formation
pour accompagner la promotion interne des meilleurs éléments.
Ainsi, des individus n’ayant pas le baccalauréat commençaient
leur carrière
au statut d’employé puis suivaient des formations diplômantes de niveau
Bac+  4 et Bac+  5 à l’Institut des Techniques
de Banque et au Centre de
Formation à la Profession Bancaire qui leur permettaient d’être promus à
des postes d’encadrement
et de direction.
Les années quatre-vingt ont marqué une rupture avec ce contrat
psychologique. La montée du chômage dans les autres secteurs
d’activité et
l’évolution des métiers bancaires ont rendu les banques plus attractives sur
le marché du travail, notamment
auprès des diplômés de l’enseignement
supérieur. Les DRH des banques ont fait le choix d’ouvrir leur marché
interne du travail
pour recruter des jeunes diplômés afin de pourvoir les
postes à responsabilité et les postes d’encadrement. Ce choix permettait
aux
banques de réduire leurs investissements en formation et d’ajuster plus
rapidement leurs ressources humaines à leurs besoins.
L’aspect négatif de ce
choix est qu’il a démotivé les salariés peu diplômés qui étaient venus dans
la banque avec un espoir
de promotion professionnelle. Cela a généré des
situations de conflits plus ou moins larvées entre les jeunes diplômés
recrutés
à des postes à responsabilité et les autres salariés qui se sont vus
privés de possibilités de promotion interne.
Cas d’entreprise
Une pratique originale : Ducasse ou l’art de cultiver un marché
interne du travail
Les petites et moyennes entreprises n’ont pas la possibilité d’offrir de
nombreuses opportunités de carrières à leurs salariés.
Cela peut se
révéler un handicap pour attirer, motiver et garder des personnes
talentueuses. La haute gastronomie illustre
cette situation. Les grands
chefs recrutent et forment leurs équipes (second de cuisine, chef de
partie, commis de cuisine
et apprentis). Cependant, la présence du
grand chef et la taille réduite des équipes au sein d’un seul restaurant
limite les
possibilités de promotion au sein de l’entreprise.
Le grand chef Paul Ducasse, le plus étoilé du monde (près de 30
étoiles au guide Michelin) a construit un marché interne du
travail à
travers la création d’une école de formation professionnelle (Ducasse
Education) et la gestion de plusieurs restaurants
dans le monde
(notamment Le Louis XV à Monaco, le restaurant du Plaza-Athénée à
Paris, le restaurant du Dorchester à Londres, Le Mix à Las Vegas, Le
Beige à Tokyo, une chaîne de restaurants  : les Spoon, Food & Wine
avec notamment des établissements à Paris, Londres, Hong Kong et
Gstaad). Grâce à l’école, dans laquelle interviennent des
chefs du
Groupe Alain Ducasse (par exemple, Franck Cerutti du Louis XV et
Christophe Saintagne du Plaza Athénée), Alain Ducasse
forme des
cuisiniers et il sélectionne les plus talentueux pour les employer dans
les restaurants qu’il gère. Les meilleurs
d’entre eux se voient promus à
la direction d’un restaurant étoilé du groupe Alain Ducasse. La carrière
de Jocelyn Herland
illustre ce système. De 1997 à 2000, il a été le
Chef de Partie au Restaurant Alain Ducasse au 59 Avenue Poincaré à
Paris ;
en 2003, il est devenu Second de cuisine au Restaurant Alain
Ducasse du Plaza Athénée et, en 2007, il est devenu Chef de cuisine
du
Restaurant Alain Ducasse du Dorchester à Londres.
La construction d’un système de formation et de promotion interne au
sein d’un groupe en expansion qui compte près de 1500
salariés est un
facteur d’attraction et de rétention des talents qui donne au Groupe
Alain Ducasse un avantage concurrentiel
par rapport aux autres
restaurants gastronomiques.

[1]
    Rousseau D. (1989), «  Psychological and implied contracts in organizations  », Employee
Responsibilities and Rights Journal, vol. 2, n°2, pp. 121-139.
[2]
    Lazear E. et Rosen S. (1981), «  Rank-Order Tournaments as Optimum Labor Contracts  »,
Journal of Political Economy, 89(5), pp. 841-864.
[3]
  Doeringer P., Piore M.J., (1971), Internal Labor markets and manpower analysis, DC Heath.
[4]
  Les flèches représentent les flux de salariés.
Chapitre

La politique de formation
5

SOMMAIRE
Section 1 La rationalité de l’investissement en formation
Section 2 Nature des compétences et pratiques de formation
Section 3 Décision stratégique d’internalisation de la formation
Section 4 La gestion et la procédure de l’investissement en formation
Section 5 Conflits d’intérêts et jeux d’acteurs autour de la formation

La formation est un processus d’apprentissage qui favorise l’acquisition


de nouvelles compétences (savoir, savoir-faire, savoir-être,
etc.). Ces
compétences permettent à un individu d’accroître son employabilité et sa
productivité. Comme le montre les travaux
du CEREQ[1], le niveau de
qualification diminue le risque de chômage et augmente le niveau de
rémunération des travailleurs. En 2010,
les personnes qui étaient sortis en
2007 du système éducatif français sans diplôme connaissaient un taux
d’emploi de 48  %
et un salaire mensuel net médian de 1  150  euros. Ces
chiffres étaient de 70  % et 1  200  euros pour les détenteurs d’un CAP
ou
d’un BEP, de 73 % et de 1 225 euros pour les détenteurs d’un baccalauréat,
de 83  % et de 1  400  euros pour les détenteurs
d’un BTS (Brevet de
Technicien Supérieur – Bac + 2), de 89 % et 2 050 euros pour les diplômés
d’une école de commerce Bac+  4/+  5
et de 94  % et 2  270  euros pour les
diplômés des écoles d’ingénieurs.
Au-delà de la formation initiale, les individus continuent à se former au
cours de leur vie professionnelle, notamment dans
le cadre de la formation
continue. En France, en 2012, selon le Ministère du Travail, de l’Emploi et
de la Formation professionnelle,
les dépenses en formation continue et
d’apprentissage représentent 31,3 milliards d’euros, soit 1,6 % du PIB. Ces
dépenses
comprennent la rémunération des personnes en formation
(salaires, indemnités, etc.) et les dépenses directes de formation
(frais
pédagogiques, ingénierie, accompagnement, etc.) La prise en charge de ces
dépenses se répartit ainsi : 41 % sont supportés
par les entreprises, 15 % par
l’État, 14  % par les Régions, 19  % par la Fonction publique pour la
formation de ses agents,
6 % par Pôle emploi et 4 % par les ménages.
En France, les entreprises ont une obligation légale à financer la
formation professionnelle. L’obligation est de 0,55 % de
la masse salariale
pour les entreprises de moins de 10 salariés, de 1,05 % de la masse salariale
pour les entreprises comptant
entre 10 et 20 salariés et 1,6 % de la masse
salariale pour les entreprises de plus de 20 salariés. Les dépenses en
formation
peuvent représenter des montants conséquents. Ainsi, en 2011, au
sein de son entité française, Renault a dépensé 87,852 millions
d’euros en
formation, soit 5,5 % de sa masse salariale. Cela a représenté, en moyenne
par salarié, 2  385  euros et 23,3  heures
de formation. La même année,
Orange a consacré 270  millions d’euros à la formation, soit 6,6  % de sa
masse salariale. Cela
a représenté, en moyenne et par salarié, 2 866 euros et
34 heures de formation. Pour sa part, en 2011, BNP Paribas a dépensé,
en
France, 83,64 millions d’euros pour la formation de ses salariés, soit 3,77 %
de sa masse salariale, ce qui représente,
en moyenne par salarié, 1 847 euros
et 30,2 heures de formation.
Ces investissements en formation se matérialisent à travers différentes
formes de pratiques  : séminaire, autoformation, e-learning, stage,
apprentissage, alternance ou université d’entreprise. Le choix est déterminé
en fonction des coûts et des avantages
de chacune des pratiques au regard
de la nature des connaissances à acquérir et des objectifs pédagogiques
visés.
Pour l’entreprise, la formation est une voie alternative au recrutement
pour acquérir les compétences nécessaires à la mise
en œuvre de sa
stratégie. La formation constitue un investissement financier et représente
un coût d’opportunité (temps consacré
à la formation) car le salarié n’est
pas productif (ne crée pas de valeur) durant son apprentissage. De plus,
l’employeur
n’est pas propriétaire du capital humain accumulé par ses
salariés durant la formation. Au mieux, il peut bénéficier des compétences
du capital humain en employant le salarié qui le détient. De ce fait,
l’investissement en formation accroît le capital humain
du salarié et
l’employeur qui finance cet investissement n’en perçoit les bénéfices qu’à
la condition que le salarié utilise
les compétences acquises et reste dans
l’entreprise. Le salarié est le détenteur des compétences accumulées et
cherche à obtenir
le niveau maximum de rémunération pour leur usage,
quitte à démissionner de chez l’employeur qui a financé la formation pour
trouver ailleurs un emploi mieux rémunéré.
Pour comprendre la rationalité des acteurs concernant l’investissement en
formation, il convient de reprendre la distinction
entre la valeur d’échange
du salarié, qui correspond à son salaire, et sa valeur d’usage, qui est sa
capacité à créer de la
valeur. L’investissement en formation a pour objectif
d’accroître la valeur d’usage du travailleur, c’est-à-dire la capacité
du
salarié à créer de la valeur. Cependant, l’appropriation par le salarié ou
l’employeur de l’accroissement de valeur influence
la détermination du
financeur de l’investissement. Si l’employeur est assuré de récupérer une
part conséquente de l’accroissement
de valeur, il est alors incité à financer
l’investissement en capital humain. En revanche, si c’est le salarié qui
s’approprie
la valeur créée en obtenant une augmentation de sa
rémunération ou en démissionnant pour trouver ailleurs un emploi mieux
rémunéré, alors, l’employeur n’a pas intérêt à financer l’investissement en
capital humain. À cet égard, le concept de spécificité
du capital humain
développé en économie du travail par Gary Becker[2] est important pour
comprendre les stratégies d’investissement en formation des employeurs et
des salariés.
Au-delà des mécanismes concurrentiels qui déterminent l’appropriation
de la valeur créée par les ressources humaines, le pouvoir
de négociation
des acteurs et les rapports de force au sein de l’organisation interviennent
également dans le financement
et la répartition entre le salarié et
l’employeur de l’accroissement de valeur induit par l’investissement en
capital humain.
Enfin, la formation est un marché sur lequel interagissent de nombreux
acteurs  : les concurrents, les travailleurs, les organismes
publics de
formation et les instituts privés de formation. Chacun est porteur d’intérêts
et de logiques spécifiques. La DRH,
en charge de la politique de formation,
interagit avec l’ensemble de ces acteurs pour ce qui relève de la réalisation
de la
formation, de son financement et de l’usage des compétences
acquises.
Dans une première partie nous analysons les raisons qui amènent les
entreprises à réaliser des investissements en formation.
Dans une seconde
partie nous expliquons en quoi la nature des compétences à acquérir
détermine les pratiques de formation
mises en œuvre. Dans une troisième
partie nous exposons les facteurs stratégiques qui prévalent à
l’internalisation de la
formation. Dans une quatrième partie sont présentées
les différentes étapes du plan de formation. Enfin, une dernière partie
est
consacrée aux enjeux socio-économiques et aux stratégies des acteurs
impliqués dans la formation en entreprise.
Section 1
LA RATIONALITÉ


DE L’INVESTISSEMENT EN FORMATION

Pour une entreprise, plusieurs raisons justifient un investissement en


formation. La première est liée aux déficiences du
marché du travail, la
seconde à l’accompagnement des choix stratégiques et la troisième
correspond à un outil de management.

1 Les déficiences du marché du travail


1.1 La déficience quantitative : la pénurie de compétences
Lorsqu’une entreprise développe une nouvelle activité, elle doit se
pourvoir en ressources humaines nécessaires à la mise
en œuvre de la
stratégie. À cet égard, le recrutement permet de doter l’organisation en
compétences. Cependant, lorsque sur
un segment donné du marché du
travail les offres d’emplois émanant des employeurs sont supérieures aux
demandes d’emplois
émises par les travailleurs, il y a une pénurie de main-
d’œuvre qui se traduit par une déficience du marché du travail à fournir
les
compétences recherchées. Cette pénurie peut handicaper la stratégie de
développement de l’entreprise. Ainsi, au début
des années 2000, dans sa
stratégie d’expansion en Chine, le groupe Peugeot-Citroën a été freiné dans
l’extension de son réseau
de concessions par la pénurie de mécaniciens sur
le marché du travail. En effet, pour répondre au développement du marché
automobile chinois, de nombreux constructeurs américains, japonais et
européens se sont implantés dans ce pays, ce qui a généré
un nombre
important d’offres d’emplois, notamment de mécaniciens. Le marché du
travail n’a pas pu répondre à cette demande
et cette incapacité a freiné le
développement des entreprises concernées.
Le développement d’une nouvelle activité suppose d’identifier la
disponibilité des compétences sur le marché du travail ainsi
que les
éventuelles pénuries. À cet égard, les pouvoirs publics définissent les
«  métiers en tension  » afin d’orienter leur
politique de formation et
d’immigration pour répondre aux besoins des entreprises. Ainsi, en 2011,
les Ministères du Travail
et de l’Intérieur français ont défini 14 métiers en
tension, dont ceux de «  cadre de l’audit et du contrôle comptable  », de
«  concepteur et dessinateur de produits électriques et électroniques  », de
« conducteur d’équipement de production chimique
et pharmaceutique », de
«  dessinateur BTP  » et de «  téléconseiller et de télévendeur  ». En 2012,
Manpower a identifié les
dix professions pour lesquelles les employeurs
suisses éprouvent des difficultés de recrutement. Il s’agit notamment des
« Ouvriers
qualifiés », des « Ingénieurs », des « Chefs et cuisiniers », des
«  Mécaniciens  », des «  Spécialistes informatiques  », des
«  Personnels
Comptables et finances  » et des «  Spécialistes du marketing et de la
communication  ». Selon cette étude, les
employeurs suisses envisagent,
pour faire face à ces pénuries de compétences, d’investir en formation
(43  % des réponses)
et de trouver de nouvelles sources de recrutement,
notamment à l’étranger (49 % des réponses).
Pour faire face à ces déficiences du marché du travail, les entreprises
peuvent donc faire le choix d’investir dans la formation.
Ainsi, en Inde,
terre de prédilection de la soustraitance informatique, la demande en
informaticiens est très importante de
la part des sociétés de services
informatiques indiennes (Tata Consulting Services emploie 250  000
salariés ; Wipro, 140 000
salariés ; Infosys, 150 000 salariés et HCL, 85 000
salariés) et des sociétés informatiques occidentales implantées dans ce
pays
(IBM fait travailler plus de 70 000 personnes en Inde ; Accenture, 45 000 et
Capgemini, 30  000). Cette forte demande
entraîne une pénurie de
ressources humaines informatiques que le système universitaire indien n’est
pas capable de résorber.
Aussi, les groupes informatiques investissent
massivement dans la formation. Par exemple, Infosys a créé à côté de
Bengalore
(la Silicon Valley indienne) un campus universitaire pouvant
accueillir 14  000 étudiants. L’entreprise recrute des ingénieurs
non-
informaticiens, issus par exemple de l’électronique ou de la mécanique,
pour les former pendant six mois de manière intensive
aux langages de
programmation et aux différents logiciels.
Le risque, en investissant dans la formation de ce type de compétences
transférables dans un marché en pénurie, est que les
concurrents viennent
débaucher les salariés formés. L’entreprise formatrice doit donc s’interroger
sur les facteurs de stabilité
des salariés, notamment salariaux, pour
rentabiliser son investissement en formation.

1.2 La déficience qualitative : l’existence de compétences


spécifiques
La déficience du marché du travail peut être due à la spécificité des
compétences mobilisées dans le cadre de l’activité de
l’entreprise. Le
processus de production, les produits de l’entreprise, ses clients ou son
organisation du travail sont plus
ou moins particuliers à l’entreprise. Ces
spécificités peuvent rendre nécessaires le recours à des compétences
humaines elles-mêmes
spécifiques.
Par définition, plus l’activité de l’entreprise induit des compétences
spécifiques et moins le marché du travail est capable
de fournir ces
compétences, soit parce que le système éducatif ne les forme pas, soit parce
que les autres entreprises n’en
ont pas l’usage et donc n’investissent pas
dans leur formation. Une pénurie de compétences peut créer de véritables
goulots
d’étranglement en matière de production. Plus le temps nécessaire
pour former ces salariés à des compétences spécifiques à
l’organisation est
important et plus l’effort d’anticipation doit être élevé pour accompagner le
développement de l’entreprise.
Lorsqu’une entreprise est l’unique employeur d’un type de compétences,
il n’y a pas de marché de l’éducation pour former à
ce type de qualification
et cela oblige l’entreprise à supporter l’investissement en capital humain.
Par exemple, en France,
la SNCF est l’unique employeur de conducteurs de
train. Les compétences liées à ce poste de travail sont spécifiques à
l’entreprise.
De ce fait, aucune institution ne se crée sur le marché de
l’éducation pour former à ces compétences. Il y aurait un risque
de « hold-
up  » pour les individus qui feraient l’investissement en formation au sens
où la SNCF pourrait imposer le salaire de son choix
car elle n’est pas
confrontée à un concurrent sur le marché du travail pour ce type de
compétences. Un salaire trop bas empêcherait
l’individu de rentabiliser son
investissement en formation. Cette situation limite les investissements des
individus et conduit
la SNCF à financer la formation de ses conducteurs de
train pour se doter de ce type de compétences.
L’organisation du travail influence le degré de spécificité des
compétences. Par exemple, dans l’industrie de la maroquinerie,
du fait des
spécificités de son processus de production, l’entreprise Hermès a recours à
des compétences en tannerie très
spécifiques sur des postes aux attributions
élargies qui l’oblige à faire des investissements en formation
particulièrement
importants, notamment à travers un apprentissage sur le
poste de travail. En revanche, dans le même secteur, Louis Vuitton
a mis en
œuvre une organisation plus scientifique du travail qui a permis à
l’entreprise de parcelliser le processus de production
et donc d’employer
des ressources humaines moins spécifiques. Chez Louis Vuitton, les
«  opératrices  » sont d’anciennes caissières,
restauratrices de meubles ou
agricultrices, titulaires d’une simple formation « maison » en maroquinerie.
Dans ce cas, les
tests de recrutement se limitent à évaluer la psychologie et
la dextérité des candidats.
Enfin, l’entreprise peut organiser la spécificité du capital humain pour
accroître la stabilité des salariés. Ainsi, dans
l’industrie bancaire, les
informaticiens sont des ressources humaines stratégiques, notamment pour
les activités de banque
d’investissement. Dans la mesure où les banques
utilisent des langages de programmation similaires (notamment Java), les
informaticiens
sont hautement transférables d’un établissement à l’autre.
Pour parer à ces défections, la banque Goldman Sachs utilise un
langage de
programmation particulier qui lui est spécifique. Cela oblige la banque à
supporter l’investissement en formation
de ses informaticiens mais en
contrepartie cela limite grandement leur transférabilité vers des concurrents
qui n’utilisent
pas le même langage de programmation.

2 L’accompagnement de choix stratégiques


2.1 L’accompagnement du lancement de nouveaux produits et
services
Au-delà de la qualité intrinsèque d’un nouveau produit, la réussite de son
lancement dépend également des compétences des
individus impliqués dans
sa distribution et son utilisation. Il s’agit des vendeurs, des distributeurs et
des clients. L’entreprise
doit prendre en charge la formation de ces acteurs
pour assurer la commercialisation d’un nouveau produit.
■ La formation des vendeurs
La connaissance de la spécificité d’un produit par les vendeurs est un
facteur déterminant du succès commercial de son lancement.
Ainsi, une
grande banque a connu un échec important lors du lancement d’un nouveau
produit d’épargne car les conseillers bancaires
de son réseau n’avaient pas
été formés aux caractéristiques ni préparés à l’argumentaire commercial à
destination des clients.
De ce fait, ils ont été incapables de commercialiser
le produit auprès des épargnants.
La formation commerciale doit porter sur les caractéristiques techniques
du produit, les services associés et la relation
avec le client. Par exemple,
les vendeurs des Apple Stores sont formés pendant plusieurs semaines aux
techniques de vente
spécifiques à l’entreprise qui met l’accent sur la qualité
de l’accueil. Ainsi, il est interdit aux vendeurs d’harceler une
personne qui
profite de la connexion Internet d’un Apple Store pour regarder ses emails.
En revanche, ils ont l’obligation
de lui accorder tout le temps nécessaire
s’elle demande un renseignement car la création d’un environnement
convivial favorise
l’acte d’achat.
La formation des commerciaux est particulièrement importante dans les
industries qui distribuent des produits très techniques
(par exemple,
l’aéronautique, l’industrie parapétrolière ou les éditeurs de logiciels) car
leur capacité à expliquer le produit
qu’ils vendent est déterminante dans le
comportement d’achat des clients.
■ La formation des distributeurs
De nombreuses entreprises ne commercialisent pas directement leurs
produits aux consommateurs finaux mais passent par des
réseaux de
distributeurs. Dans ce cas, la formation des distributeurs est un enjeu
stratégique pour assurer le succès du lancement
d’un nouveau produit.
Ainsi, Loewe, un fabricant allemand de téléviseurs haut de gamme, a défini
comme un axe stratégique
la formation de son réseau de distributeurs (320
revendeurs indépendants en France). Afin de garantir un service
irréprochable,
Loewe prend intégralement en charge l’initiation technique et
commerciale de l’équipe de vente, livreurs compris. L’accent
est mis sur la
pratique. Les personnes concernées consacrent trois ou quatre journées par
an à étudier le réglage optimal
des produits et à affiner les argumentaires
commerciaux. Au terme de la session de formation, un questionnaire
permet d’évaluer
les acquis des participants et, en cas d’échec, les
revendeurs peuvent se voir refuser le droit de vendre les modèles qu’ils
ne
connaissent pas suffisamment bien.
La formation des distributeurs peut concerner également le service après-
vente des produits. Ainsi, dans l’horlogerie de luxe,
c’est la capacité du
distributeur à réparer une montre qui est déterminant pour satisfaire un
client. Pour ce faire, l’horloger
Patek Philippe délivre cinq niveaux de
formation certifiés pour permettre à ses distributeurs d’assurer la
maintenance et
la réparation de ses montres. Le département de formation
de l’horloger prend en charge cette formation des distributeurs
et cet
investissement en capital humain est considéré par l’entreprise comme un
facteur clé de succès.

■ La formation des clients


L’utilisation des produits et services dépend aussi des compétences des
clients qui l’utilisent. Le succès d’un nouveau produit
nécessite parfois la
formation des utilisateurs. Dans certains cas, la formation des utilisateurs
est facturée aux clients
et constitue une composante importante du chiffre
d’affaires généré par un nouveau produit. Ainsi, dans les industries de
la
machine-outil et de la robotique, la formation des salariés des entreprises
clientes peuvent représenter des montants conséquents.
À plus long terme, la formation des utilisateurs constitue une stratégie de
rétention des clients. En se formant, les clients
font un investissement
spécifique qui n’est rentabilisable qu’avec l’utilisation du produit acheté.
Les compétences des clients
déterminent leur mode de consommation.
Ainsi, dans l’industrie du logiciel, une entreprise comme Oracle fait un
effort important
en matière de formation de ses clients à ses progiciels.
Outre les revenus générés par ces formations, ces dernières rendent
les
clients captifs dans la mesure où les compétences acquises par les
informaticiens sur les logiciels Oracle les inciteront
à l’avenir à
recommander des produits et des services de cette entreprise plutôt que
ceux de ses concurrents qui nécessitent
des compétences différentes.

2.2 L’accompagnement des changements organisationnels,


technologiques et réglementaires
Les organisations mettent en œuvre régulièrement des changements
organisationnels, technologiques et réglementaires qui nécessitent
la
formation des salariés pour être opérationnalisés. La formation est un outil
d’accompagnement de ces changements.
Ainsi, une entreprise peut définir de nouvelles procédures de travail pour
accroître son efficacité (par exemple la procédure
d’achat ou la procédure
de gestion de la relation client). La matérialisation des gains potentiels de
productivité et d’efficacité
induits par ces nouvelles procédures suppose la
formation des salariés responsables de leur mise en œuvre.
De même, les organisations intègrent fréquemment des nouvelles
technologies pour accroître leurs performances. Par exemple,
pour
améliorer son analyse de la segmentation de sa clientèle, une direction du
marketing peut décider de se doter d’un logiciel
d’analyse statistique des
bases de données clients (Stata ou SPSS). Pour rendre opérationnel cet
investissement, il convient
de former les salariés à l’utilisation du logiciel.
Enfin, les activités des entreprises sont encadrées par des dispositions
législatives et réglementaires que les salariés doivent
maîtriser pour ne pas
faire encourir des risques à leur employeur. Cette contrainte est
particulièrement prégnante dans les
activités de services où les salariés sont
en contact direct avec les clients. Ainsi, un conseiller bancaire d’un
établissement
financier, du fait de sa méconnaissance des règles imposées
par la Commission Nationale Informatique et Libertés, avait constitué
en
toute illégalité des bases de données sur ses clients sans les en informer.
L’établissement financier a fait l’objet d’une
condamnation. L’analyse a
montré que le défaut de formation des coillers bancaires en la matière était à
l’origine de ce dysfonctionnement.

3 Un outil de management


3.1 Un facteur d’attractivité et de rétention des talents
La formation offerte par une entreprise constitue une composante de la
proposition de valeur que l’employeur fait aux salariés
(Employee Value
Proposition) pour les recruter et les garder. Ainsi, de grandes entreprises
financent le MBA (Master In Business Administration) de leurs salariés
après trois ou quatre ans d’ancienneté. Cette pratique permet, dans un
premier temps, d’attirer des candidats
intéressés par le financement de leur
formation puis, dans un second temps, de les garder pendant plusieurs
années dans l’attente
de la formation, et enfin, de les retenir après la
formation si la politique de gestion de carrières accompagne cette formation
d’une promotion et/ou qu’une clause de dédit-formation liée au financement
de la formation.
De même, les grands cabinets d’audit financent la formation de leurs
auditeurs juniors à la préparation de l’examen pour l’expertise-comptable.
Cette disposition est un élément différenciant sur le marché du travail pour
recruter de jeunes diplômés à la sortie du système
universitaire.

3.2 La création d’une culture commune


Les actions de formation constituent un outil de management important
pour créer une culture commune au sein d’une organisation
et favoriser le
partage de bonnes pratiques entre les salariés. Pour cette raison, les
entreprises organisent des formations
d’intégration des jeunes recrutés,
parfois de plusieurs semaines, pour enseigner les valeurs et les méthodes
qui fondent la
culture de l’organisation. Le partage d’une culture commune
favorise la coordination au sein de l’entreprise et améliore son
efficacité.
De même, les séminaires de formation permettent de favoriser la création
de liens sociaux entre les salariés. Ils contribuent
ainsi à la diffusion de
connaissance au sein de communautés de pratique. Par exemple, GDF-Suez
utilise la formation continue
pour créer des réseaux sociaux entre les
chercheurs de sa direction de la R&D. Les liens sociaux créés entre les
chercheurs
au cours de la formation favorisent ensuite les coopérations pour
des projets de recherche. Ils promeuvent également les échanges
de
connaissances scientifiques et managériales nécessaires pour générer des
innovations[3].

Section 2
NATURE DES COMPÉTENCES


ET PRATIQUES DE FORMATION

1 La nature des compétences


Les compétences individuelles se distinguent selon deux dimensions.
D’une part, la possibilité ou non de les formaliser et,
d’autre part, leur degré
de spécificité à l’organisation qui les mobilise. Ces caractéristiques
influencent les modalités
de formation et les formes de financement de
l’investissement en formation.

1.1 La formalisation des compétences


■ Les compétences formalisables
Certaines compétences sont formalisables à travers un ensemble de
règles, de procédures ou de savoirs codifiés.  Il s’agit
de connaissances
explicites ou explicitables. Par exemple, les règles mathématiques, les
normes comptables ou les langages
de programmation sont autant de
compétences formalisables. La formalisation des compétences liées aux
situations de travail
propres à l’entreprise peut se faire à travers des
certifications de type ISO (International Organization for Standardization).
La réification des compétences en rendant des connaissances explicites
permet de former les individus en dehors du lieu de
travail, notamment au
sein d’institutions de formation. Ainsi, des personnes peuvent être formées
à la comptabilité, aux statistiques,
aux langages de programmation ou aux
normes juridiques en dehors de leurs périodes d’activité professionnelle et
au sein d’organismes
extérieurs à l’entreprise.
Les connaissances acquises en dehors du lieu de travail peuvent ensuite
être mises en œuvre dans le cadre d’une activité professionnelle
sans perte
de productivité. Elles sont instantanément productives. Cette situation reste
un idéal-type rarement rencontré
dans la réalité dans la mesure où
l’utilisation d’une compétence est fréquemment combinée à d’autres
compétences qui elles
peuvent être informalisables.
■ Les compétences informalisables
Inversement, certaines compétences sont informalisables. Il s’agit de
connaissances tacites qui ne sont pas formalisables
à travers un processus
de réification. Il s’agit de savoir-faire ou de savoir-être acquis à travers
l’expérience et la pratique.
Par exemple, les ouvriers-horlogers accumulent
des compétences à travers des années de pratique (un tour de main) et ces
connaissances
ne peuvent être acquises qu’à travers cette expérience sur le
poste de travail. Il peut également s’agir d’un savoir-être
commercial qui
correspond à des attitudes qui s’apprennent à travers la pratique
professionnelle et les rencontres avec les
clients.
Lorsque les compétences sont informalisables, la méthode de formation
privilégiée est l’apprentissage sur le lieu de travail
à travers la pratique de
l’activité (« Learning by doing ») ou le partage des connaissances avec des
salariés détenteurs de ces savoirs (« Learning by sharing »). La création de
communautés de pratiques est un vecteur important de partage entre les
salariés de connaissances tacites
informalisables nécessaires à l’activité de
l’entreprise.
L’apprentissage par la pratique («  Learning by doing  ») suit une courbe
plus ou moins rapide qui correspond au processus d’assimilation des
compétences par l’apprenant et se
traduit par un accroissement de sa
productivité. Cet apprentissage peut également induire des coûts cachés. Le
coût de cette
forme d’apprentissage est mesurable et permet d’évaluer la
rentabilité de la formation.
Par exemple, si l’on considère un poste de travail qui produit 4 000 euros
de valeur ajoutée par mois et que le salarié qui
occupe ce poste est
rémunéré 2  000  euros par mois. Nous faisons l’hypothèse que la courbe
d’apprentissage sur ce poste s’étale
sur quatre mois. Le premier mois, le
nouveau salarié ne crée aucune valeur ajoutée  ; le deuxième mois, il crée
25  % de la
valeur ajoutée attendue  ; 50  % le troisième mois et 75  % le
quatrième mois. Il produit 100  % de la valeur ajoutée attendue
(4  000  euros) à partir du 5e mois. Le coût de son apprentissage est la
différence entre la somme des salaires perçus (8 000 euros) et valeur ajoutée
produite
durant les quatre mois d’apprentissage (6  000  euros). Le coût de
l’apprentissage est donc de 2000 euros. Il est compensé par
la valeur
ajoutée produite par le salarié le cinquième mois. Le recrutement d’un tel
salarié est donc profitable à partir
du sixième mois (figure 5.1).
Figure 5.1  – Évolution de la productivité et coût salarial

Cependant, l’apprentissage induit d’autres coûts que celui de la perte de


productivité. Il suppose également un coût de supervision
par le manager et
le coût des erreurs commises par le salarié lors de cette période
d’apprentissage. Pour reprendre l’exemple
ci-dessus, si pendant les quatre
mois de l’apprentissage, le manager, rémunéré 4  000  euros par mois,
consacre 25  % de son
temps à superviser le nouveau salarié, le coût de
supervision de l’apprentissage est de 4  000  euros. De plus, si durant ces
quatre mois, le nouveau salarié a commis des erreurs pour un coût de 2000
euros, le coût total de son apprentissage est de
8 000 euros (2 000 euros de
perte de productivité + 4 000 euros de supervision + 2 000 euros d’erreurs).
En incluant ces coûts
cachés, le salarié ne commence réellement à créer de
la valeur ajoutée nette qu’à partir du neuvième mois, c’est-à-dire lorsque
l’ensemble des coûts induits par son apprentissage a été compensé par la
valeur ajoutée générée par le salarié.

1.2 La spécificité des compétences


La théorie du capital humain distingue deux types de compétences  : les
compétences spécifiques et les compétences générales.
La spécificité
influence les modalités d’apprentissage. Le degré de spécificité du capital
humain détermine également la transférabilité
des compétences entre les
organisations ainsi que les stratégies d’investissement en formation des
salariés et des employeurs.
■ Les compétences spécifiques
Le capital humain peut être spécifique à l’entreprise qui l’emploie. Du fait
de sa spécificité, ce capital humain n’atteint
son niveau maximal de
productivité que dans cette entreprise. Le capital humain spécifique est
intransférable dans une autre
entreprise sans une perte de productivité. De
ce fait, l’investissement en formation qui accroît le capital humain
spécifique
détenu par un individu n’augmente sa productivité que chez son
employeur.
Un salarié représente un portefeuille de compétences qui, en fonction de
la nature de l’activité de l’entreprise, sera plus
ou moins spécifique. Il y a
un continuum allant du portefeuille de compétences dans lequel chaque
compétence est spécifique,
et donc intransférable à niveau de productivité
constant, au portefeuille composé de compétences générales et donc
transférables
avec la même productivité. La transférabilité du portefeuille
de compétences de l’individu doit être appréhendée plutôt que
la
transférabilité d’une compétence en particulier. Un salarié peut acquérir une
compétence transférable (une langue, un progiciel
de gestion, etc.) mais si
l’essentiel de ses compétences est spécifique alors l’individu en tant que tel
est faiblement transférable.
La dimension importante est donc le degré de
spécificité du portefeuille de compétences du salarié.
La spécificité des compétences induit une dynamique auto-renforçante en
faveur de l’internalisation au sein de l’organisation
de l’investissement en
formation. Le fait que les compétences soient propres à l’entreprise rend
nécessaire le recours à des
formateurs internes détenteurs de ces
compétences spécifiques. De plus, la spécificité empêche la constitution
d’un marché
éducatif et la création d’organismes externes de formation
pour acquérir ces compétences.

■ Les compétences générales


Par opposition au capital humain spécifique, le capital humain général est
constitué de compétences parfaitement transférables
entre les entreprises.
Les salariés qui les détiennent gardent le même niveau de productivité quel
que soit l’employeur qui
les mobilise. De ce fait, l’investissement en
formation qui accroît le capital humain général détenu par un salarié
augmente
sa productivité potentielle chez tous les employeurs du fait de la
transférabilité des compétences acquises.
Par exemple, la formation à un MBA confère des compétences hautement
transférables entre les entreprises. Pour les MBA les
plus connus (Harvard,
Stanford, Insead, Columbia, etc.), le salaire obtenu sur le marché du travail
par les diplômés est une
information publique régulièrement relayée par les
médias. Ainsi, en 2009, l’hebdomadaire Business Week classait la Booth
School of Business de l’Université de Chicago comme la meilleure
Business School américaine. Le salaire
annuel moyen à la sortie de la
formation était de 105  000  dollars (contre en moyenne 78  000  dollars à
l’entrée). La formation
dure 21 mois et le coût de formation est d’environ
100  000  dollars. Un employeur qui enverrait un de ses salariés à cette
formation et ne lui accorderait pas un salaire au moins égal à
105  000  dollars aurait de fortes chances de voir partir ce
salarié dans une
autre entreprise. Cette probabilité est d’autant plus importante que le
marché du travail pour ce type de
profil est mondial et multisectoriel. C’est
d’ailleurs pour cette raison que les travailleurs ont une forte incitation à
financer
eux-mêmes ce type de formation. Ainsi, un ingénieur automobile
qui suit un MBA devient un candidat intéressant pour un constructeur
automobile, pour un sous-traitant de ce secteur industriel, pour un cabinet
de conseil en management ou une banque d’affaires
qui mène des missions
dans le secteur automobile.
De manière dynamique, la transférabilité des compétences favorise
l’émergence d’un marché éducatif et la création d’organismes
de formation
permettant de les acquérir. Ces organismes ont pour avantages de réaliser
des économies d’échelle qui leur permettent
de former à moindres coûts et
d’acquérir des expertises pédagogiques et thématiques qu’une entreprise ne
pourrait pas développer
en interne.
Dans le cas d’apprentissage de compétences générales, l’externalisation
peut s’expliquer par deux facteurs. Soit le prestataire
extérieur peut réaliser
la formation à moindre coût (par exemple les formations à la bureautique ou
aux langues étrangères).
Soit les organismes de formation ont développé
une expertise dans un domaine particulier pour des formations
interentreprises
standardisées dans des domaines tels que l’informatique, le
droit, les règles comptables ou le management.

2 Nature des compétences et modalités


d’apprentissage
Le croisement des deux dimensions  de description des compétences  :
formalisation et spécificité permet de décrire quatre modalités
distinctes
d’apprentissage (figure 5.2) :
L’internalisation de la formation au sein d’un service interne à
l’entreprise (université d’entreprise ou service de formation)
pour des
compétences spécifiques et formalisables.
L’internalisation de la formation sur le lieu de travail dans le cadre
d’un apprentissage par la pratique («  On the job learning  ») pour
acquérir des compétences spécifiques et informalisables.
L’externalisation de la formation auprès d’organismes externes de
formation pour acquérir des compétences générales et formalisables.
Par exemple, l’apprentissage de logiciels bureautiques ou de langues
auprès de prestataires de services de formation correspond
à cette
configuration.
L’externalisation de la formation auprès d’organismes externes de
formation pour acquérir, à travers des exercices de simulation,
des
compétences générales et informalisables. Par exemple,
l’apprentissage du pilotage d’avion dans un simulateur ou la formation
au comportement commercial correspondent à ce type de
configuration.

Figure 5.2  – Nature des compétences et modalités de formation

Section 3
DÉCISION STRATÉGIQUE


D’INTERNALISATION DE LA FORMATION

1 L’internalisation de la formation aux


compétences stratégiques
La théorie des ressources a mis en évidence en quoi la possession
exclusive de certaines compétences pouvait conférer à la
firme un avantage
concurrentiel. Le développement de ces compétences est un facteur-clé de
succès de la firme. Certaines entreprises
sont réputées pour être d’excellents
lieux de formation. Ainsi, des firmes comme Procter & Gamble ou Danone
sont réputées
pour leurs formations en marketing, Xerox ou Coca-Cola pour
leurs techniques de vente et General Electric ou 3M pour les compétences
en contrôle de gestion.
Les concurrents peuvent être amenés à débaucher des salariés pour
s’approprier une partie des connaissances qui fondent l’avantage
concurrentiel d’une entreprise. Un moyen de protéger ces connaissances
consiste à les former en interne, à favoriser l’apprentissage
par la pratique et
à ne pas délivrer de certification pour les compétences acquises. Ces
pratiques permettent d’augmenter
les coûts de transaction supportés par un
concurrent qui souhaiterait recruter un salarié compétent au sein de
l’entreprise
formatrice[4].
L’exemple d’une banque polonaise illustre l’impact des choix
d’externalisation et d’internalisation sur les coûts de transaction
supportés
par les concurrents qui souhaitent recruter par l’intermédiaire du marché du
travail. Lors de l’ouverture de la
Pologne aux entreprises occidentales, cette
banque a fait face à des besoins en connaissances des systèmes comptables
et financiers
européens et américains. Pour y répondre, la banque a
contractualisé avec un institut de formation à la gestion de Varsovie
et a
envoyé plusieurs de ses comptables en stage de formation pour qu’ils
acquièrent la connaissance des normes comptables
occidentales. À l’issue
de la formation, un diplôme était délivré aux stagiaires et un annuaire des
diplômés a été créé. Durant
cette même période de nombreuses entreprises
occidentales se sont installées en Pologne et elles ont recherché activement
des comptables maîtrisant les normes polonaises et occidentales pour
permettre les réconciliations financières nécessaires
aux consolidations des
comptes. Les cabinets de recrutement qu’elles avaient mandatés n’ont eu
qu’à contacter les comptables
de la banque dont le nom figurait dans
l’annuaire des diplômés. La banque a connu un taux important de démission
de ses comptables
formés et cela a été une source de dysfonctionnement.
Pour se prémunir de ces débauchages, la banque a finalement décidé
d’internaliser
la formation et de ne plus délivrer de diplôme.
L’internalisation permet de mieux dissimuler les personnes compétentes des
tentatives de recrutement des entreprises concurrentes en augmentant les
risques d’erreur de recrutement et les coûts de transaction
liés à de telles
pratiques.
L’internalisation de la formation peut induire des coûts plus importants
qu’une externalisation mais, en revanche, elle contribue
à une meilleure
protection des compétences stratégiques de l’organisation.

2 L’internalisation de la formation pour accroître


la flexibilité organisationnelle
La théorie des organisations et l’économie industrielle font généralement
des mécanismes concurrentiels du marché du travail
une modalité
d’ajustement des besoins et des ressources plus flexible que le management
au sein de l’entreprise. L’organisation,
soumise au droit du travail et régie
par des règles administratives, est présentée comme un dispositif rigide
pour répondre
à des besoins d’ajustement des ressources humaines. Dans
cette perspective, en matière de formation, le recours à des prestataires
externes devrait être une solution plus flexible que la création d’un service
interne de formation. Cependant, certaines situations
d’entreprise peuvent
inverser cette logique.
Ainsi, un grand constructeur automobile qui a dû, pendant deux ans, au
sein de la même usine, préparer le lancement d’un nouveau
modèle tout en
continuant à produire un modèle existant, a été confronté à ce choix entre
l’internalisation ou l’externalisation
de la formation. L’enjeu en matière de
GRH était de former les ouvriers employés dans l’usine aux outils
robotiques qui seraient
utilisés pour produire le nouveau modèle sans pour
autant pénaliser la production courante. Deux solutions s’offraient à
l’entreprise.
La première consistait à externaliser la formation auprès des
fabricants des solutions robotiques. La seconde consistait à
internaliser la
formation en la faisant prendre en charge par la direction de la formation de
l’entreprise. Cette dernière
solution supposait l’acquisition de plusieurs
robots deux ans avant le lancement de la production et d’organiser la
formation
de formateurs.
Le directeur financier avait une préférence pour la première solution car
elle permettait de retarder l’investissement dans
les robots de production et
donc d’économiser du capital financier. Cependant, le directeur de l’usine a
fait le choix de
l’internalisation de la formation en achetant deux robots et
en confiant l’organisation de la formation (conception des modules
de
formation, planification des stages, réalisation des formations) à son service
interne de formation. Ce choix a été fait
pour gagner en flexibilité
d’ajustement entre les actions de formation nécessaires pour le lancement
de la production du futur
modèle et les contraintes de l’activité de
production du modèle courant. En effet, l’industrie automobile produit dans
une
logique de juste à temps dans laquelle c’est l’acte d’achat du client qui
initie le cycle de production. Les cycles de consommation
(et donc les
cycles de production) ne sont que partiellement prévisibles et l’entreprise
peut devoir faire face à des hausses
ou des baisses inattendues de
production. Si le directeur de l’usine décide d’externaliser la formation en
la sous-traitant
au fabricant des robots, il doit s’engager sur un minimum de
planification de son plan le formation. Il fera cela en fonction
de ses
anticipations de production afin de contractualiser avec son prestataire de
formation. Si pour une raison ou une autre
le cycle d’activité réelle ne
correspond pas au cycle d’activité prévue (baisse de la consommation plus
importante qu’attendue
du fait de la récession économique ou, au contraire,
accroissement soudain de la demande du fait d’une prime d’incitation
fiscale à l’achat automobile ou de l’obtention d’une distinction du style
«  meilleure voiture de l’année »), alors le directeur
d’usine devra faire un
arbitrage entre ne pas envoyer les ouvriers en formation mais respecter le
contrat en payant le prestataire
externe ou envoyer les ouvriers en formation
mais ne pas répondre à la demande du marché. Inversement, en cas de plus
faible
niveau de production que prévu, le directeur d’usine ne pourra pas
envoyer ses ouvriers en formation car son prestataire externe
n’aura pas les
ressources nécessaires (formateurs, robots, locaux) lui permettant d’assurer
la formation. Pour cette raison,
l’internalisation devient une solution plus
flexible car le service de formation relève de l’autorité du directeur de
l’usine.
Ce dernier, de par ses attributions, peut décider d’annuler une
formation ou, au contraire, d’en organiser une en cas de baisse
d’activité.
Un service de formation internalisé constitue un coût fixe dont les
compétences peuvent être affectées à d’autres
tâches en cas de nécessité de
court terme sans qu’il y ait nécessité de rompre ou de renégocier le contrat
de travail du fournisseur
interne de la prestation de formation.

Focus
Une pratique originale :

un partenariat de formation avec les pouvoirs publics


Le recours à un organisme extérieur de formation peut se faire dans
le cadre d’un dispositif mixte entre l’entreprise et un
prestataire de
formation. Ce dernier peut être un organisme public. Par exemple,
pour accompagner la montée en puissance d’une
nouvelle usine de
production située en Charente, l’entreprise de maroquinerie Hermès a
signé une convention de partenariat
avec l’Éducation Nationale. À
travers cette convention, les deux partenaires ont créé un CAP en
maroquinerie au lycée professionnel
Jean-Rostand d’Angoulême.
C’est une formation en alternance dans laquelle les apprenants du
CAP maroquinerie suivent 28 semaines
de formation, dont 8 dans
l’entreprise. Hermès délègue dans le lycée une de ses salariées en tant
que formatrice experte des
spécificités du processus de production de
l’entreprise. Le lycée fournit les enseignants pour les matières
générales (mathématiques,
histoire, langues vivantes), les locaux et
s’occupe de la gestion administrative de la formation (recrutement,
inscription
et gestion des élèves). La formation compte des
promotions d’une trentaine de stagiaires ayant des profils très
différents
(professeur de philosophie, fleuriste, ébéniste, etc.) qui
supposent une attention particulière au moment de la sélection.
Ce dispositif mixte présente de nombreux avantages pour l’entreprise
Hermès. D’une part, cela permet à l’employeur d’évaluer
in situ les
compétences et les attitudes des apprentis pour ne sélectionner que
ceux qui lui conviennent le mieux. De plus, la montée
en charge de
l’usine étant progressive en fonction de la demande, le CAP constitue
une source de flexibilité car l’entreprise
peut ajuster le nombre de ses
recrutements aux volumes de production. Enfin, ce partenariat permet
à l’entreprise de réduire
les coûts de la formation puisqu’une partie
est prise en charge par l’Éducation Nationale et, indirectement, par
les formés
qui sont moins rémunérés dans le cadre de l’alternance
que s’ils étaient salariés d’Hermès. L’intérêt pour les pouvoirs
publics
et les apprenants est de permettre l’acquisition de
compétences qui peuvent être mobilisées par d’autres employeurs au
cas
où Hermès ne recruterait pas ces personnes formées.

Section 4
LA GESTION ET LA PROCÉDURE


DE L’INVESTISSEMENT EN FORMATION
La définition et la mise en œuvre de la politique de formation constituent
un processus de gestion (figure 5.3) qui est piloté par le service de
formation et qui implique de nombreux acteurs internes (notamment les
managers, les experts
techniques et la direction financière) et externes
(notamment les organismes de formation et les pouvoirs publics).

Figure 5.3  – Le processus de formation

1 L’identification des besoins


La première phase du processus de formation est celle du diagnostic des
besoins. Cette évaluation peut se faire de manière
descendante dans le cadre
général de la gestion prévisionnelle des ressources humaines pour assurer
l’adéquation entre les
besoins induits par un choix stratégique (ouverture
d’un nouveau site de production, lancement d’un nouveau produit, cessation
d’une activité, fusion-acquisition) et les ressources existantes. Dans ce cas,
le rôle du service de formation est d’identifier
les besoins en compétences
liés à la mise en œuvre du choix stratégique.
La définition des besoins peut également se faire de manière ascendante
par une identification au niveau individuel des besoins
liés à l’activité des
salariés. Cette identification se fait à travers un dialogue entre le salarié et
son manager, notamment
lors de l’entretien individuel d’évaluation. Dans
ce cas, le service de formation centralise les besoins individuels de
formation
pour établir son plan de formation.
L’identification des besoins de formation peut également résulter d’une
réaction à un dysfonctionnement organisationnel. Une
panne, une erreur ou
une sous-performance peuvent permettre d’identifier un déficit de
compétences et permettre d’orienter
des actions de formation pour corriger
le dysfonctionnement.

2 L’ingénierie pédagogique
L’ingénierie en formation a pour objectif de définir le dispositif
pédagogique qui permet aux apprenants d’acquérir les compétences
visées.
La conception de la formation tient compte des différentes contraintes liées
à la nature des compétences à acquérir
(connaissances techniques, savoir-
faire ou compétences comportementales), aux capacités d’apprentissage des
individus (afin
par exemple d’éviter les cours magistraux pour les salariés
autodidactes ou mobiliser la capacité d’abstraction des diplômés
de
l’enseignement supérieur), aux exigences de la production (période de fort
ou de faible niveau d’activité), aux capacités
du service de formation et aux
limites budgétaires de l’entreprise.
La conception de modules de formation s’appuie sur la définition
d’objectifs pédagogiques mesurables à partir desquels les
modalités de
l’apprentissage sont définies, notamment le contenu, la durée et la forme
(séminaires, simulation de situation
de travail, stages in situ ou e-learning).
C’est à cette étape que peut être prise la décision d’internaliser la formation
ou de l’externaliser par
un appel d’offre auprès d’organismes externes.
Enfin, c’est à cette étape qu’est appréhendé le financement de la formation,
notamment le recours à des organismes extérieurs ou à des financements
publics. Il convient également de définir en interne
sur quel budget sera
imputé le coût de la formation entre celui de la direction de la formation et
celui de la direction opérationnelle
ou de la filiale à laquelle est rattaché le
salarié formé.

3 La planification
Dès lors que les besoins ont été identifiés et que les modalités
d’apprentissage ont été définies, l’enjeu pour un service
de formation
consiste à planifier les actions de formation. Il s’agit de coordonner les
disponibilités des apprenants avec
les contraintes de l’action de formation.
L’objectif est de savoir qui sera formé, où et quand.
Souvent ce processus se fait de manière ascendante. La direction des
ressources humaines propose des dates à travers la publication
d’un
catalogue de formation auxquelles s’inscrivent les participants en fonction
de leurs disponibilités. La formation est
confirmée lorsqu’un nombre
minimum de participants est atteint.
Le risque pour la direction des ressources humaines est que les
participants ne se présentent pas à la formation à cause de
contraintes
professionnelles de dernier instant. Par exemple, un conseiller bancaire n’a
pas pu se rendre à une formation
car dans son agence plusieurs personnes
étaient absentes du fait de maladie ou de prises de congés. La législation
prévoit
qu’un nombre minimum d’employés soient présents pour pouvoir
ouvrir une agence et les diverses absences amenaient les effectifs
sous le
seuil minimum si le salarié considéré suivait la formation prévue. L’objectif
de la planification est de tenir compte
de ce type de contraintes.
Une comptabilité qui impute les coûts de formation sur les entités qui
emploient les formés plutôt que sur le service formation
est un facteur qui
réduit l’absentéisme. En effet, un manager n’annulera la présence d’un de
ses collaborateurs à une action
de formation que pour des raisons justifiées
car le coût sera imputé sur son budget même en cas d’absence de son
collaborateur
à la formation. Inversement, si le coût de la formation est
imputé sur une autre entité, alors le manager opérationnel ne
supporte pas le
coût financier d’une annulation de la participation d’un de ses
collaborateurs. Ainsi l’imputation des coûts
de formation influence le
comportement des managers.
Cette coordination peut également être plus flexible par une forme de
décentralisation des inscriptions en formation. Par
exemple, à la Société
Générale, les salariés se voient assignés des objectifs de formation en
bureautique. La banque a créé
un libre-service de formation en bureautique
avec des modules d’une demi-journée. Les salariés s’inscrivent en
formation selon
leurs disponibilités et cela peut se faire dans des délais très
court (du jour au lendemain).
Enfin, lorsque cela est prévu par la législation, la planification de la
formation doit prévoir la soumission du plan de formation
aux représentants
des salariés.

4 La mise en œuvre


La mise en œuvre de la formation correspond à la dimension
administrative et pratique de l’action de formation. Il s’agit
pour le service
formation de gérer la dimension logistique en s’assurant que les individus
sont bien convoqués à la formation,
que les aspects liés au transport et à
l’hébergement des apprenants et des formateurs sont pris en compte et que
l’infrastructure
nécessaire à la formation est adéquate et réponde aux
besoins du formateur (taille de la salle, siège, outils informatiques,
matériel
pédagogique, connexion Internet).
Au-delà de cette dimension logistique, la réussite de l’action de formation
et du processus d’apprentissage dépend également
de la convivialité entre
les apprenants et le formateur. Certaines entreprises prêtent une attention
particulière à l’accueil
des participants, au lieu de la session en organisant la
formation dans un lieu prestigieux (par exemple dans un château),
à la
qualité des repas et en planifiant des moments de convivialité (par exemple
en organisation des jeux d’équipe ou des
visites de musée). L’état d’esprit
des apprenants influence le processus d’apprentissage et une atmosphère
conviviale et détendue
favorise le partage entre les participants et
l’acquisition des compétences. La dynamique de groupe est déterminante
dans
le succès de l’action de formation.
Enfin, l’un des enjeux de la mise en œuvre de la formation est la présence
des participants. Pour certains niveaux hiérarchiques,
une logique de
contrôle des présences peut être un moyen de s’assurer de la présence des
personnes. Cependant, des moyens
plus subtils peuvent être employés. Par
exemple, les formations présentielles à distance du lieu de travail obligent
les individus
à une plus grande implication et évitent qu’ils s’éclipsent au
cours de la session de formation. Enfin, pour les hauts niveaux
hiérarchiques, la logique de contrôle et le respect de l’autorité de la DRH ne
sont pas des facteurs suffisants. Ainsi, la
DRH d’un grand groupe industriel
qui organise des formations pour ses cadres dirigeants, pour s’assurer de
leur présence,
effectue cette formation de deux jours dans un magnifique
château et le PDG de l’entreprise assiste à la dernière partie de
la formation
pour répondre aux questions des participants. Ces deux caractéristiques
garantissent la présence et l’implication
des participants.

5 L’évaluation
L’évaluation du processus de formation est un enjeu critique pour justifier
l’investissement en formation. L’évaluation suppose
la mesure. Il convient
de ce fait de définir des objectifs pédagogiques mesurables lors de la phase
d’ingénierie pédagogique.
L’objectif de la formation est d’accroître la valeur d’usage des individus,
c’est-à-dire de les rendre plus productifs par
l’acquisition de connaissances
ou l’apprentissage de nouveaux comportements. L’évaluation doit mesurer
les connaissances acquises,
l’évolution des comportements ou
l’amélioration des résultats induit par la formation.
L’étape de l’évaluation est particulièrement critique car il y a une
dimension symbolique importante à la fois pour l’apprenant,
mais
également pour le formateur et le manager. Les individus ont parfois des
difficultés à recevoir de manière constructive
des évaluations négatives et
sont généralement réfractaires à une quelconque remise en cause. De même,
les formateurs et les
managers vont avoir une certaine réticence à émettre
des jugements négatifs qui pourraient entraîner des situations conflictuelles.
Or, la réussite d’un dispositif pédagogique dépend aussi de la qualité des
«  feedbacks  », éventuellement négatifs, et de leur acceptation positive par
les apprenants pour enclencher les boucles d’apprentissage[5].
Il existe quatre niveaux d’évaluation d’une action de formation :
L’évaluation de la formation par les formés. Cette évaluation «  à
chaud  » par les apprenants doit être interprétée avec prudence car la
satisfaction des participants
ne constitue pas nécessairement un critère
de réussite pédagogique. Une formation exigeante, la remise en cause
de schémas
de représentation ou des méthodes pédagogiques
innovantes peuvent entraîner des résistances de la part des formés.
L’évaluation des connaissances acquises par les apprenants.
L’objectif est de s’assurer que les connaissances ont été acquises et que
les objectifs pédagogiques ont bien été atteints.
Cette évaluation est
l’œuvre du formateur et se fait sous forme de tests, d’exercices
d’application ou de mises en situation.
Cette évaluation constitue
également une forme de « feedback » pour le formateur sur la qualité
de sa pédagogie.
L’évaluation des changements de comportement dans l’activité
courante des individus. La formation n’est pas une finalité en tant
que telle mais un moyen pour faire évoluer le comportement
professionnel quotidien
des apprenants et améliorer leur efficacité.
L’objectif est d’identifier en quoi les connaissances acquises lors de la
formation
modifient la pratique professionnelle du formé. Cela ne
dépend pas que de ce dernier, mais également de l’organisation du
travail dans laquelle il évolue et de son manager. L’amélioration de la
performance suppose que l’environnement de travail
intègre l’usage
des compétences acquises. Il peut s’agir de pratiques managériales, de
savoirs comportementaux, de techniques
d’analyse ou de l’usage de
logiciels. Cette évaluation est l’œuvre du manager et/ou du service
formation.
L’évaluation de l’impact de la formation sur les résultats de
l’individu. L’objectif est de mesurer la variation de la performance de
l’apprenant qui a suivi la formation. Si la formation porte sur
les
techniques de réparation d’une machine, il s’agit de mesurer si la
vitesse et la fiabilité des réparations se sont améliorées.
Si la formation
porte sur des techniques de vente, il convient d’évaluer
l’accroissement du chiffre d’affaires du formé. L’évaluation
de
l’impact sur les résultats permet de mesurer l’impact de la formation
et, dans certains cas, de construire le modèle économique
de l’action
de formation en mesurant ses coûts et ses bénéfices. Cette évaluation
est du ressort du manager ou du service
de formation et doit être
effectuée plusieurs semaines, voire plusieurs mois après la formation.

Cas d’entreprise
Le e-learning : l’usage des serious games au Crédit Agricole[6]
L’IFCAM (Institut de Formation du Crédit Agricole) s’est appuyé sur
la nature ludique du jeu pour faciliter l’apprentissage
de techniques
bancaires via un dispositif de e-formation. Le serious game permet de
reconstituer un environnement de travail réel et rend de ce fait le
processus d’apprentissage plus concret. À travers
des situations
ludiques, l’individu devient un acteur de son apprentissage. De plus, le
jeu permet de mobiliser les émotions
pour accélérer et ancrer les
apprentissages.
Ainsi, le centre de formation a conçu un serious game pour former les
conseillers bancaires à la lutte contre la fraude documentaire. Dans le
jeu, le conseiller est mis en situation
de gestion d’une base de
prospects ou de clients constituée de 20 personnes. Grâce aux
algorithmes du jeu, l’apprenant rencontre
à chaque fois six clients, et
les types de fraudes sont très différents d’une session à l’autre. Dans
une session, un client
peut être un fraudeur, et la fois d’après ne plus
l’être. L’objectif pédagogique est d’apprendre aux conseillers à être
attentifs
aux fraudes subtiles que les clients peuvent faire en modifiant
des documents officiels pour obtenir un prêt ou un service
de la
banque. Le but est également d’insister sur la nécessaire vigilance
permanente car un fraudeur peut avoir été pendant
plusieurs années un
client honnête.
Le jeu, dont une séquence dure entre 20 et 30 minutes, permet de
vérifier que les connaissances sont bien acquises. Lorsqu’un
apprenant
n’a pas trouvé une fraude au cours du jeu, il est renvoyé vers le
document falsifié et un message lui explique en
quoi il est falsifié et
comment le repérer. Cette fonctionalité permet d’assurer un feedback
constructif à l’apprenant.
Les serious games présentent plusieurs avantages. Ils permettent une
plus grande implication des apprenants du fait de la dimension ludique
et de l’interactivité. Ils rendent possible un enseignement à distance
individualisé. Enfin, ils valorisent la formation par
son caractère
innovant. Cependant, ils nécessitent une ingénierie pédagogique
adaptée, s’appliquent plutôt à des savoirs-faire
procéduraux qui offrent
une variabilité réelle, ils nécessitent l’implication d’experts du contenu
et d’experts techniques.

Section 5

CONFLITS D’INTÉRÊTS

ET JEUX D’ACTEURS AUTOUR DE LA FORMATION

Quatre acteurs principaux interviennent dans la formation  : les salariés,


les employeurs, les pouvoirs publics et les organismes
privés de formation.
Les premiers veulent se former pour accroître leur rémunération et la
probabilité de trouver un emploi,
les seconds pour améliorer la productivité
et la performance de l’organisation, les troisièmes pour lutter contre le
chômage
et supporter la compétitivité nationale ou régionale, et les derniers
sont des acteurs économiques d’un marché de l’éducation
qui vendent aux
salariés et/ou aux entreprises un service de formation pour générer des
profits.
Une même formation peut être financée par des acteurs différents. Ainsi,
l’acquisition de compétences en management par un
individu peut être
financée par la personne elle-même si cette dernière paye son inscription
dans une business school (par exemple l’Insead ou l’IMD) ou une université
(par exemple Harvard ou Stanford) qui sont des organismes privés de
formation.
La formation peut également être financée par les pouvoirs
publics si cette personne acquiert ses compétences dans une université
publique financée par les impôts et dans laquelle les droits d’inscription
pour les étudiants sont très faibles. Enfin, l’acquisition
des compétences
peut être financée par l’employeur si ce dernier prend à sa charge
l’inscription de son salarié dans un programme
de formation (MBA ou
autre).
Pour comprendre les conflits d’intérêts qui peuvent se produire autour de
la formation, il convient de distinguer, comme nous
l’avons vu
précédemment, la valeur d’usage des ressources humaines (sa capacité à
créer de la valeur) de sa valeur d’échange
(son salaire). L’objectif de la
formation est d’accroître la valeur d’usage des ressources humaines. La
capacité de l’employeur
à s’approprier l’accroissement de valeur ajoutée
détermine son incitation à investir dans la formation de ses salariés. La
capacité de l’employeur à capter la création de valeur dépend du degré de
spécificité des compétences. La spécificité des
compétences est au cœur de
la rationalité des acteurs à investir en formation.
Lorsque les compétences sont intransférables dans une autre entreprise
sans perte importante de capacité à créer de la valeur,
et donc de baisse de
rémunération pour le salarié, alors l’employeur est incité à financer
l’investissement en formation.
L’intransférabilité liée à la spécificité des
compétences garantit la stabilité des salariés et donc la rentabilisation de
l’investissement. Pour reprendre l’exemple de la SNCF, cette dernière peut
rationnellement financer la formation de ses conducteurs
de train. En tant
que monopole, l’entreprise est la seule à utiliser ces compétences. Elle est
assurée de rentabiliser son
investissement en capital humain car ses
conducteurs ne peuvent pas revendre leurs compétences chez un autre
employeur. Inversement,
dans ce cas, le salarié n’est pas incité à financer
l’investissement dans ce type de formation car il ne pourra pas revendre
ses
compétences à un autre employeur.
En revanche, si les compétences sont transférables, c’est-à-dire que la
capacité à créer de la valeur (la valeur d’usage)
reste constante quel que soit
l’employeur, alors le salarié est incité à prendre en charge une partie du
financement de la
formation. Si son employeur lui refuse une augmentation
de rémunération correspondant à son accroissement de productivité,
il a la
possibilité de mettre en concurrence les employeurs et de revendre ses
compétences à un autre employeur pour en obtenir
une valeur d’échange
(un salaire) plus élevée. Par exemple, les compétences acquises dans le
cadre d’un MBA sont utilisables
dans de nombreuses entreprises. Pour
certains MBA prestigieux, le marché du travail pour les diplômés est
mondial et ces derniers
peuvent mettre en concurrence de nombreux
employeurs pour obtenir le niveau de rémunération maximum. Dans ce cas,
les individus
ont rationnellement intérêt à investir dans ce type de
formation. Inversement, lorsque les compétences sont transférables,
l’employeur n’est pas incité à financer la formation car sa capacité à
s’approprier l’augmentation de création de valeur est
relativement faible.
Les intérêts des entreprises et des salariés en matière d’investissement en
formation sont donc diamétralement opposés. Pour
l’entreprise, l’intérêt à
investir est une fonction croissante de la spécificité du capital humain, alors
que pour le salarié,
c’est une fonction décroissante (figure 5.4). Il y a deux
situations d’équilibre stable. La première est lorsque les compétences sont
totalement spécifiques à la firme
qui les emploie (Point B). Dans ce cas,
l’entreprise prend à sa charge l’investissement en formation car
l’intransférabilité
des compétences garantit la rentabilisation du capital
humain. La seconde est lorsque les compétences sont totalement
transférables
entre une multitude d’employeurs (Point A). Dans ce cas, les
salariés prennent en charge l’investissement en formation et
mettent les
employeurs en concurrence pour obtenir la rémunération maximale.
La situation est problématique et instable lorsqu’il y a un nombre limité
d’employeurs pour une compétence donnée (point C)[7]. Dans ce cas ni les
salariés, ni les entreprises n’ont intérêt à investir en capital humain. Le
risque pour le salarié est
un risque de «  hold-up  », c’est-à-dire que les
employeurs se mettent d’accord sur les niveaux de salaire et ne se fassent
pas concurrence pour recruter
les travailleurs formés. Ce type de cartel est
possible quand le nombre d’employeurs est réduit. Inversement, le risque
pour
l’employeur est que, s’il ne trouve pas d’accord avec les autres
employeurs, les salariés formés revendent leurs compétences
aux autres
employeurs et, de ce fait, il ne rentabilise pas son investissement en
formation. Dans cette situation, l’incertitude
concernant la rentabilité de
l’investissement en capital humain est importante tant pour les individus
que pour les entreprises.
Cette incertitude peut conduire à un sous-
investissement en formation au niveau macro-économique. Cela justifie
l’intervention
des pouvoirs publics par une socialisation de l’investissement
en capital humain. Dans ce cas, le système universitaire public
prend en
charge le coût de formation à ces compétences.
Ces mécanismes de marché du travail structurés autour de la spécificité
du capital humain donnent lieu à des comportements
stratégiques de la part
des acteurs. Les entreprises qui investissent en formation vont essayer
d’imposer des obligations
de service pour rentabiliser l’investissement (par
exemple, l’armée oblige les pilotes d’hélicoptère qu’elle a formé à assurer
plusieurs années de service avant de pouvoir revendre leurs compétences
dans le secteur privé) ou des clauses de dédit-formation
qui obligent les
salariés à rembourser leur formation s’ils souhaitent quitter l’entreprise.

Figure 5.4  – Spécificité des compétences et stratégie d’investissement


en capital humain

Une autre stratégie des entreprises consiste à transférer sur les pouvoirs
publics ou les individus l’investissement en formation.
Cette stratégie est
d’autant plus réalisable que le taux de chômage est élevé. L’exemple de
Swatch Group est à cet égard illustratif.
Dans les années 2010, le groupe
horloger suisse a connu une croissance importante de son chiffre d’affaires
qui a rendu nécessaire
le recrutement de nombreux ouvriers qualifiés dans
les métiers de l’horlogerie. En Suisse, il y avait une pénurie de compétences
en la matière et le faible taux de chômage n’incitait pas les individus où les
pouvoirs publics à prendre en charge les investissements
en capital humain.
A priori, le groupe horloger aurait dû assurer le financement de la formation
de ses ouvriers. Cependant, l’entreprise est proche
de la frontière française
et de la région Franche-Comté qui connaît un fort taux de chômage (11 %
contre 3  % en Suisse). L’entreprise
Swatch Group a implanté une usine à
Boncourt dans le Jura suisse (à deux kilomètres de la frontière française)
pour respecter
l’obligation de fabriquer ses montres sur le territoire
helvétique afin de bénéficier du label «  Swiss made  ». Swatch Group
a
ensuite recruté pour cette usine des chômeurs français qui ont été formés à
Montbéliard (Doubs) dans des lycées publics
(notamment le Lycée Edgar
Faure  –  Morteau) aux métiers de l’horlogerie. La formation a donc été
financée par la Région Franche-Comté
et les pouvoirs publics français à
travers Pôle Emploi. La libre circulation des personnes entre l’Union
Européenne et la
Suisse permet au Swatch group de recruter sans contrainte
des salariés français pour travailler dans le canton du Jura suisse
et de
transférer les coûts de formation sur les pouvoirs publics et les travailleurs
français. Il y a ainsi une convergence
d’intérêt entre une entreprise, qui
cherche à recruter des ouvriers qualifiés, et des pouvoirs publics qui sont
prêts à réaliser
un investissement en formation pour accroître
l’employabilité de chômeurs et leur permettre de retrouver un emploi.

Focus
Une pratique originale d’investissement

en formation
Les clubs de football sont des entreprises qui investissent en
formation et rentabilisent ces investissements en vendant des
joueurs.
Ces investissements sont d’autant plus rentables que le règlement de
la FIFA (Fédération Internationale de Football
Association) prévoit,
dans son article  20, qu’en cas de transfert «  des indemnités de
formation sont redevables à l’ancien
club où le joueur a signé son
premier contrat professionnel[8]  » et, selon l’article  21, que «  si un
professionnel est transféré avant l’expiration de son contrat, le ou les
clubs qui
ont participé à la formation et à l’éducation du joueur
reçoivent une partie de l’indemnité versé à l’ancien club
(contribution
de solidarité)  ». Un joueur est considéré en formation
entre son 12e et son 23e anniversaire. Chacune des quatre premières
années (de 12 à 15 ans) donne droit à 0,25 % de l’indemnité totale de
transfert
et les huit suivantes (de 16 à 23 ans) donnent droit à 0,5 %
de l’indemnité totale de transfert. Outre l’intérêt pour améliorer
les
performances sportives du club, l’investissement dans la formation
des joueurs peut être rentabilisé par la vente de ces
joueurs à d’autres
clubs. La durée du contrat restant à courir détermine le prix de vente
du joueur. Les clubs ont intérêt
à prendre les joueurs sous contrat le
plus jeune possible et à leur offrir des contrats le plus long possible
pour optimiser
la valeur des transferts.
L’exemple de l’Olympique Lyonnais est à cet égard intéressant.
L’attaquant Karim Benzema, a commencé sa formation à l’âge
de 9
ans au centre de formation du club. À 17 ans (saison 2004-2005), il
commence sa carrière de joueur professionnel à l’Olympique
Lyonnais en signant un contrat professionnel de 3 ans (jusqu’en
2007). La saison suivante, à 18 ans (saison 2005-2006), alors
que ses
performances s’améliorent, l’Olympique Lyonnais prolonge son
contrat jusqu’en 2010. À 20 ans (saison 2007-2008), l’Olympique
Lyonnais prolonge son contrat jusqu’en 2012. En mars 2008, le club
prolonge encore son contrat jusqu’en 2013 avec une option
pour une
année supplémentaire. En juillet  2009, l’Olympique Lyonnais vend
Karim Benzema au Real de Madrid pour un montant
de 35 millions
d’euros. Cette somme correspond au rachat des quatre années de
contrat restant plus l’option de prolongation.
Enfin, au cas où le Real
de Madrid revendrait Karim Benzema à un autre club, l’Olympique
Lyonnais percevrait un pourcentage
du montant du transfert
déterminé par le nombre d’années de formation que le joueur a
effectué dans le club.

[1]
  Centre d’Etudes et de Recherches sur les Qualifications.
[2]
    G. Becker (1962),  «  Investment in Human Capital: a theoretical analysis  », The Journal of
Political Economy, vol. 70, n°5, pp. 9-49.
[3]
    Ferrary M. et Blanchot-Courtois V. (2009), «  Valoriser la R&D par des communautés de
pratique d’intrapreneurs », Revue Française de Gestion, Vol. 195, pp. 93-110.
[4]
  Ferrary M. (1994), « Dualisme du marché du travail. Coûts de transaction, investissements de
forme et comportements stratégiques
des acteurs sociaux  », Revue Française d’Économie, Vol.
IX, 4, pp. 85-135.
[5]
    Argyris C. et Schön D. (2002), Organizational Learning: a Theory of Action Perspective,
Addison-Wesley, 328 p.
[6]
  Crédit Agricole (2013), « Entre e-learning et serious games », Libre Blanc, 30 p.
[7]
    Ferrary M. (2002), «  Les conséquences de la dérégulation d’un monopole sur sa politique
d’investissement en capital humain.
Le secteur des télécommunications  », Revue d’Économie
Industrielle, n°100, pp. 63-92.
[8]
  « Les indemnités de formation sont déterminées en prenant les coûts de formation du nouveau
club et en les multipliant par
le nombre d’années de formation à compter en principe de la saison
du 12ème anniversaire du joueur jusqu’à la saison de son 21ème anniversaire ». Règlement FIFA,
p. 41
Chapitre

La politique d’évaluation
6

SOMMAIRE
Section 1 Les objectifs de l’évaluation des ressources humaines
Section 2 Les enjeux humains de la politique d’évaluation
Section 3 Le processus d’évaluation des performances individuelles

Le management des ressources humaines nécessite une politique


d’évaluation pour mesurer la contribution des individus aux activités
de
l’organisation et pour identifier les facteurs explicatifs de ces performances
afin d’orienter les pratiques de GRH en
matière de valorisation et de
développement des RH. La politique d’évaluation vise à piloter les résultats
de l’organisation
au niveau individuel pour assurer une cohérence entre les
objectifs stratégiques de l’entreprise et les comportements des
salariés. Le
système d’évaluation se définit comme un système structuré et formel dont
la finalité est de mesurer, évaluer
et influencer les caractéristiques, les
comportements et les résultats d’un salarié occupant un poste donné pour
permettre
la mise en œuvre de la politique générale de l’entreprise. La
direction des ressources humaines est responsable de la qualité
du processus
d’évaluation. Son rôle consiste à traduire les orientations stratégiques de
l’entreprise dans les critères d’appréciation
des individus afin de s’assurer
que ces derniers sont évalués sur leurs contributions aux objectifs de
l’entreprise.
Les travaux de Kaplan et Norton[1] ont insisté sur la nécessité de traduire
les orientations stratégiques de la firme en critères quantitatifs concernant
les
objectifs financiers, la satisfaction client, la performance des processus
internes et l’innovation  ; ces critères doivent
ensuite se traduire dans
l’évaluation des salariés pour mesurer leur contribution réalisée et
potentielle à la stratégie de
l’entreprise. Il y a un nécessaire alignement
entre les deux dimensions. Par exemple, si l’entreprise met en avant
l’importance
stratégique de la qualité de la relation client et qu’elle met en
œuvre des pratiques d’enquête auprès des clients sans que
cela se traduise
dans les objectifs et les critères d’évaluation des salariés qui interagissent
avec les clients, alors il
est fort probable que l’intention stratégique ne se
traduise pas dans le comportement des salariés.
Le processus d’évaluation vise, ex ante, à définir la contribution attendue
des individus et les moyens qui leur sont alloués pour les atteindre. Ex post,
il s’agit de mesurer les résultats et d’identifier d’éventuelles mesures
correctrices pour améliorer la performance des
individus. La politique
d’évaluation est donc caractérisée par deux temporalités différentes. La
première est proactive, il
s’agit de fixer des objectifs futurs aux salariés
pour orienter leurs comportements et de définir les moyens d’action
nécessaires
à l’atteinte de ces objectifs. La seconde est rétroactive. Il s’agit
d’apprécier les résultats passés des individus et de
diagnostiquer les facteurs
de performance et de non-performance. Les deux dimensions sont liées
dans la mesure où les objectifs
définis ex ante servent de base à l’évaluation
des résultats ex post.
L’évaluation des salariés a de nombreuses implications en matière de
GRH. Elle influence la politique de rémunération dès
lors que l’entreprise
rétribue les salariés en fonction de leurs performances. Pour influencer le
comportement des individus,
l’évaluation doit avoir un impact sur la
rétribution de la personne évaluée. La définition d’objectifs qui donnent
ensuite
lieu à une évaluation permet également d’orienter les
comportements futurs des salariés en indiquant les résultats attendus
par
l’organisation. En ce sens, le processus d’évaluation constitue un exercice
de communication entre l’entreprise et ses
salariés. La démarche
d’appréciation influence également les pratiques de formation car elle
permet de définir un plan de
développement des compétences au niveau
individuel. Dans ce cas, l’évaluation constitue une forme de feedback qui
permet d’enclencher le processus d’apprentissage individuel et contribue à
l’amélioration du fonctionnement de l’entreprise.
Enfin, le processus
d’évaluation influence la gestion des carrières des salariés en permettant
d’identifier les capacités
et les souhaits des individus en matière de mobilité
professionnelle. Dans c’ette perspective, l’évaluation permet d’apprécier
au
niveau individuel le potentiel d’évolution des ressources humaines pour
progresser dans l’organisation ou accompagner des
changements
stratégiques.
La contribution de la politique d’évaluation de la performance des
ressources humaines au fonctionnement de l’organisation
dépend de la
qualité intrinsèque du processus d’évaluation et de son articulation avec la
stratégie de l’entreprise et les
autres pratiques de GRH. D’un côté, les
objectifs stratégiques de l’entreprise doivent se refléter dans les indicateurs
de
performance à partir desquels sont évalués les salariés. De l’autre, le
processus d’évaluation est une composante du système
de GRH  ; cela
signifie qu’il influence les autres pratiques de GRH et qu’il est influencé
par elles. La direction de l’entreprise,
la DRH et les managers opérationnels
peuvent être décrédibilisés si l’entretien annuel d’évaluation n’est pas suivi
de conséquences
pour les salariés, c’est-à-dire si les conclusions de
l’appréciation n’ont pas d’implication en terme de rémunération, de
formation et de gestion des carrières.
Les résultats de l’appréciation ont des implications importantes pour
l’entreprise mais également pour les salariés tant sur
le plan professionnel
que personnel. Les conclusions d’une évaluation déterminent la
rémunération et la promotion professionnelle
d’un salarié mais elles
peuvent aussi conduire à son licenciement en cas de résultats insuffisants.
Au-delà de l’enjeu économique
que l’évaluation représente pour le salarié,
cette pratique de GRH a des implications psychologiques et sociologiques
importantes
que la DRH doit prendre en compte dans sa gestion du
processus d’évaluation. Ces différentes dimensions influencent les
stratégies
individuelles des salariés et peuvent induire des comportements
de résistance au processus d’évaluation. Pour cette raison,
au-delà de
permettre un alignement entre la stratégie de l’entreprise et les
comportements des salariés, un enjeu important
de la politique d’évaluation
est celui de l’objectivité des critères et de la transparence du processus.
La pratique de l’évaluation ne se réduit pas à une relation entre
l’employeur et ses employés. D’autres parties prenantes
porteuses d’intérêts
spécifiques sont impliquées dans le processus d’évaluation. Ainsi, les
managers sont concernés à deux
niveaux. D’une part, ils sont souvent en
charge de conduire l’entretien d’évaluation et leur comportement durant ce
face-à-face
avec leurs collaborateurs est un facteur clé de succès du
processus d’évaluation. D’autre part, les résultats de l’évaluation
peuvent
influencer la composition de leurs équipes, notamment en entraînant la
mobilité professionnelle de leurs collaborateurs.
Cela peut influencer la
stratégie d’un manager qui peut être tenté de sous-évaluer les collaborateurs
qu’il souhaite garder
et surévaluer ceux dont il veut se séparer. De même,
les syndicats sont des observateurs attentifs des critères d’évaluation
et de
l’usage qui est fait des conclusions de l’appréciation. Ils sont prompts à
attaquer devant les tribunaux une quelconque
irrégularité dans le processus
d’évaluation. Enfin, les pouvoirs publics font des entretiens d’évaluation un
vecteur du dialogue
social au niveau individuel et, dans certains pays,
notamment en France, imposent aux entreprises d’en organiser
régulièrement.
Les intérêts des acteurs et les jeux de pouvoir entre les parties prenantes
déterminent les comportements et influencent la
définition et l’usage des
outils et du processus d’évaluation. La nécessaire transparence du système
peut se heurter à la
volonté des managers intermédiaires de créer des zones
d’incertitude dans le processus d’évaluation pour acquérir des ressources
de
pouvoir à l’égard de leurs collaborateurs. À tous les niveaux hiérarchiques,
les individus sont des acteurs rationnels
qui optimisent leurs intérêts. Ils
s’approprient la procédure d’évaluation pour parfois la détourner à leur
profit. Au moment
de l’élaboration de la politique d’évaluation, la DRH
doit anticiper cette appropriation de la procédure d’évaluation par
les
salariés afin de s’assurer que l’appréciation contribue à la performance de
l’organisation et n’induit pas des comportements
contre-productifs.
Dans une première partie sont présentées les différentes dimensions des
ressources humaines analysées par la politique d’évaluation
et les
implications que cela peut avoir sur les autres pratiques de GRH. L’accent
est mis sur les apports et les limites du
management par objectifs dans la
mise en œuvre d’une politique d’évaluation des performances individuelles.
Dans une seconde
partie sont explorés les enjeux économiques,
psychologiques et sociologiques qu’un processus d’évaluation peut
représenter
pour des salariés et qui peuvent influencer leurs comportements.
Dans une troisième partie sont abordés le processus, les
méthodes et les
acteurs de la politique d’évaluation.

Section 1
LES OBJECTIFS DE L’ÉVALUATION


DES RESSOURCES HUMAINES
1 L’évaluation de ressources humaines
différenciées
La politique d’évaluation vise à mesurer la performance des salariés et à
identifier les facteurs qui déterminent cette performance.
Les résultats
positifs ou négatifs d’un individu dépendent de plusieurs facteurs. Ils
peuvent être liés à des facteurs qui
sont extrinsèques à l’individu tels que la
conjoncture sur le marché de l’entreprise, l’état de l’outil de production,
l’organisation
de l’activité ou encore des phénomènes inattendus tels que
des accidents ou des crises politiques. La performance peut également
être
liée à des facteurs intrinsèques au salarié, notamment en termes de
compétences et de motivation. Dans ce cas, la performance
d’un individu
est la combinaison de l’adéquation de ses compétences avec les besoins de
l’entreprise et de sa motivation à
accomplir la mission qui lui est confiée
par son employeur.
La politique d’évaluation des ressources humaines vise à apprécier quatre
dimensions liées aux salariés. La première consiste
à évaluer la
performance des individus dans leur poste de travail. La seconde analyse les
compétences des individus comme
autant de soubassements à la
performance individuelle. Dans une perspective dynamique, la troisième
dimension cherche à évaluer
la capacité d’évolution de l’individu vers
d’autres fonctions. Enfin, la quatrième dimension relève de la motivation de
l’individu
dans son poste de travail et de sa motivation à évoluer dans
l’organisation.
Les besoins en ressources humaines des organisations évoluent. Ces
évolutions rendent certaines compétences obsolètes et elles
nécessitent
aussi l’acquisition de nouvelles compétences. De même, la motivation des
individus à s’impliquer dans l’organisation
augmente ou diminue en
fonction d’éléments personnels ou de la politique de l’entreprise. Du fait de
ces évolutions organisationnelles
et individuelles, les ressources humaines
deviennent progressivement un groupe hétérogène au sein de l’entreprise.
L’enjeu
de la politique d’évaluation est d’identifier les différentes catégories
de salariés afin de mettre en œuvre des pratiques
de GRH différenciées et
adaptées pour les faire évoluer de manière constructive en fonction de leurs
compétences et des besoins
de l’entreprise.
À partir d’une dimension liée aux compétences des salariés et d’une autre
liée à leur motivation, quatre populations peuvent
être identifiées au sein de
l’organisation et induire des pratiques de GRH différenciées (figure 6.1).
Les talentueux. Il s’agit de salariés performants dont les compétences
correspondent aux besoins de l’organisation et qui sont motivés par
le
système incitatif proposé par l’entreprise que ce soit en termes de
rémunération ou de gestion des carrières. L’enjeu en
matière de
management des ressources humaines est de valoriser ces salariés et de
s’appuyer sur eux pour mettre en œuvre la
stratégie de l’entreprise.
Les sérieux. Il s’agit de salariés dont le degré d’implication dans
l’organisation est élevé mais dont les performances peuvent être
pénalisées
par un manque de compétences. Par exemple, un brillant
ingénieur qui est promu chef d’équipe peut ne pas être performant dans
ses nouvelles responsabilités d’encadrement. Cette situation ne résulte
pas de la motivation de l’individu mais de ses compétences
managériales. L’enjeu en matière de GRH est de permettre à cette
personne d’acquérir les compétences nécessaires et de la
faire évoluer
vers la catégorie des « talentueux ». Les pistes d’amélioration relèvent
de l’apprentissage et non pas du système
incitatif. Le risque est de
démotiver le salarié si celui-ci est sanctionné pour de piètres résultats
liés à son manque de
compétences alors que cela est lié à un défaut
d’action de formation adaptée de la part de son employeur. Une erreur
d’interprétation
des performances individuelles peut conduire à des
pratiques inadaptées et faire basculer le salarié dans la catégorie des
« dangereux » en le démotivant.
Les désabusés. Il s’agit de personnes qui détiennent des compétences
nécessaires au fonctionnement de l’organisation mais qui ne sont pas
motivées par le système incitatif de l’entreprise. Elles sont en situation
de retrait et mobilisent parfois à minima leurs
compétences. L’enjeu
managérial consiste à définir un contrat incitatif adapté en termes de
rémunération, de gestion des carrières,
voire de reconnaissance
symbolique pour remotiver ces salariés et éviter qu’ils basculent dans
la catégorie des « dangereux ».
Les pistes d’amélioration relèvent plus
du système incitatif pour accroître la motivation et moins de la
formation pour développer
les compétences.
Les dangereux. Il s’agit de personnes qui se caractérisent par leur
incompétence et leur démotivation. Cet état peut résulter d’erreurs
de
management de la part de l’employeur ou d’une évolution personnelle
des individus. Leur présence dans l’organisation est
contre-productive
et ils peuvent avoir une influence négative sur la performance des
autres salariés.
Il convient dans ce cas de se séparer de ces salariés en organisant leur
mobilité externe pour les aider à trouver un autre
environnement de travail
dans lequel ils soient motivés et qui corresponde à leurs compétences.

Figure 6.1  – Évaluer les ressources humaines pour un management


différencié
Cas d’entreprise
Une pratique originale : l’évaluation par des clients mystères chez
McDonald’s
Les activités de services se caractérisent par une co-production entre le
salarié et le client  : Le salarié produit au moment
où le client
consomme. Du fait de cette co-production, la direction de l’entreprise
peut difficilement introduire une étape
d’évaluation de la qualité entre
l’acte de production et l’acte d’achat. Une solution est de se substituer
au client pour
juger de la qualité de service en le consommant à sa
place. Cette méthode est mise en œuvre par le recours à des clients
mystères
qui évaluent un service grâce à une batterie de critères. De
nombreuses industries de service recourent à cette méthode,
notamment
l’hôtellerie, les concessions automobiles et la restauration.
Ainsi, McDonald’s, entreprise de restauration rapide, fixe aux
managers de ses restaurants des objectifs de qualité de service
et de
satisfaction des clients, notamment en termes de temps d’attente aux
caisses pour être servi. McDonald’s envoie dans
ses restaurants des
clients mystères dotés d’une grille d’évaluation qui porte sur de
nombreux critères tels que la propreté
du restaurant, le temps d’attente,
la qualité des produits, la qualité de l’accueil et l’ambiance du
restaurant. L’entreprise
fixe des niveaux de satisfaction à atteindre
pour chacun des différents points.
Les résultats de cette enquête, connue comme le Mcqualiscope, sont
transmis aux managers et permettent un classement entre
les
restaurants. Les objectifs de performance qui ne sont pas atteints
constituent des pistes d’amélioration de la qualité
de service. La non-
atteinte des objectifs peut également entraîner une suppression des
primes pour les salariés du restaurant.
L’évaluation par des clients
mystères a donc un impact économique sur la rémunération et
sociologique lié à la reconnaissance
professionnelle.
2 Management par objectifs et évaluation de la
performance
2.1 Les principes du management par objectifs
L’évaluation de la performance des individus est une problématique
centrale du management. L’enjeu principal d’une politique
d’évaluation est
la question de l’objectivité des critères d’appréciation. Historiquement,
l’organisation scientifique du
travail conçue par Taylor visait à élaborer une
méthode rationnelle et objective d’évaluation de la performance
individuelle
à travers le contrôle des actes de travail. La parcellisation du
travail et la spécialisation des individus permettent une
évaluation
scientifique de la performance des travailleurs. La performance est la
conséquence du respect du travail prescrit.
Cependant, la tendance à la
réagrégation des tâches et la décentralisation du pouvoir de décision qui
caractérise certains
postes de travail rend plus difficile la définition
d’indicateurs objectifs et pertinents pour mesurer les performances
individuelles.
La performance d’un individu est souvent ramenée aux résultats de son
activité professionnelle. Dans cette perspective, il
convient pour l’entreprise
de définir des critères d’évaluation afin de fixer ex ante des objectifs et de
mesurer ex post les résultats. Peter Drucker[2], a été l’un des premiers
théoriciens à populariser cette démarche du management par objectifs qui
constitue un principe structurant
des politiques d’évaluation. Dans ce cas,
l’évaluation ne porte pas sur l’acte de travail mais sur le résultat du travail.
Le management par objectifs est considéré comme une source de
motivation pour les salariés. Il donne plus de sens au travail
des employés
en formalisant des résultats à atteindre et en permettant d’indexer la
rétribution des individus à leurs performances.
Le management par objectifs
est d’autant plus un facteur de motivation que les salariés participent à la
définition des résultats
à atteindre. Aussi, certains processus d’évaluation
prévoient que la fixation des objectifs résulte d’une concertation entre
l’employeur et ses employés. Cette démarche participative est parfois
analysée comme une forme de manipulation des salariés
puisque ces
derniers sont amenés à s’engager sur des résultats, parfois à les intérioriser,
et non pas à se soumettre à l’autorité
de l’employeur.
L’un des enjeux les plus importants de la politique d’évaluation est la
définition de critères objectifs, pertinents et adaptés.
Compte-tenu des
enjeux que représente pour les salariés leur appréciation en termes de
rémunération et de carrière, il est
important pour l’entreprise de limiter
toute subjectivité dans le système d’évaluation afin d’en assurer la
légitimité. Des
indicateurs de performance qui sont perçus comme
inéquitables par les salariés remettent en cause le système d’évaluation.
La
tentation est grande pour la DRH de définir systématiquement des
indicateurs quantitatifs. La définition d’indicateurs
de performance clés
(KPI ou Key Performance Indicators) relève de cette recherche de critères
mesurables permettant de définir des objectifs quantifiables et d’évaluer
métriquement
les performances des individus. Dans cette perspective, une
approche méthodologique préconise de définir des indicateurs de
performance qui soient SMART, c’est-à-dire des indicateurs qui soient
Spécifiques à l’individu évalué et ne relevant pas de facteurs qu’il ne
maîtrise pas  ; des indicateurs Mesurables, c’est-à-dire incontestables et
reconnus par les salariés  ; des indicateurs Acceptables par les salariés
évalués ; des indicateurs Réalisables par le salarié au regard des moyens qui
lui sont alloués et Temporellement définis, c’est-à-dire avec des étapes
intermédiaires et une étape finale pour les projets ou avec une périodicité
définie
pour les activités en continu (hebdomadaire, mensuelle ou annuelle).
La nature des critères d’évaluation de la performance diffère selon les
fonctions, les responsabilités managériales et la
position hiérarchique des
individus évalués. Ainsi, une fonction d’agent commercial peut être évaluée
sur le nombre de ventes
effectuées au cours d’une période donnée. Un
conseiller bancaire peut être évalué sur le montant des nouveaux capitaux
sous
gestion et la rentabilité de son portefeuille. Un informaticien sur le
temps d’indisponibilité du système d’information qu’il
gère. La
performance d’un ouvrier peut être appréciée en fonction du taux de défauts
sur les produits qu’il fabrique et celle
d’un agent de recouvrement peut être
évaluée sur les montants récupérés auprès des débiteurs.
L’objectif de l’évaluation des résultats et de la définition d’indicateurs de
performance est de rétribuer de manière équitable
la contribution des
salariés et d’identifier d’éventuels dysfonctionnements afin de concevoir
des actions d’amélioration.
Les objectifs donnés aux individus orientent
leurs comportements et le choix de critères inadaptés peut conduire à des
actions
individuelles contre-productives pour l’entreprise. La modification
des indicateurs de performance peut en revanche induire
une amélioration
de la productivité et de la qualité du travail des salariés. Par exemple,
pendant de nombreuses années, les
pilotes d’une grande compagnie
aérienne étaient évalués et partiellement rémunérés sur leur temps de vol.
Plus ce dernier
était long et plus les pilotes percevaient une rémunération
élevée. Le temps de vol était comptabilisé dès lors que les pilotes
prenaient
possession de l’avion. Paradoxalement, dans ce système d’évaluation, les
pilotes étaient d’autant plus rémunérés
que leur avion avait du retard alors
que dans les faits cela correspondait à une dégradation de la qualité du
service délivré
aux clients. En poussant le raisonnement à l’extrême, les
pilotes avaient intérêt à subir des retards, voire à les provoquer,
pour
augmenter leur rémunération. Le système d’évaluation et de rémunération
était antinomique avec les objectifs de qualité
de la compagnie aérienne
pour laquelle la ponctualité est un critère important de satisfaction des
clients et un argument
commercial. La compagnie aérienne a changé son
système d’évaluation-rémunération en rétribuant les pilotes non plus au
temps
de vol mais au nombre de vols indépendamment d’éventuels retards.
Implicitement, ce nouveau critère a supprimé toute incitation
pour les
pilotes à favoriser l’allongement des vols. Ce changement du critère
d’évaluation de la performance a permis de réduire
considérablement les
retards aériens et donc d’améliorer la qualité de service.
Il est parfois difficile d’évaluer la performance intrinsèque d’un individu,
notamment lorsqu’il s’agit d’apprécier le travail
d’un expert. Ce dernier
bénéficie souvent d’une asymétrie d’information importante face à un
contrôleur de gestion qui essaye
de définir des indicateurs de performance.
Une solution est de comparer les performances entre les experts et de
construire
une hiérarchie entre les personnes évaluées à partir de leurs
performances relatives. Par exemple, un contrôleur de gestion
qui doit
évaluer la performance d’un chirurgien en ce qui concerne son utilisation de
sang et d’instruments au cours d’opérations
chirurgicales, n’a souvent ni les
compétences et ni la légitimité pour se prononcer sur le bien-fondé du
volume de sang utilisé
pour tel ou tel acte chirurgical par tel ou tel
chirurgien. En revanche, il peut comparer la consommation de ce chirurgien
avec la moyenne des autres chirurgiens sur le même acte chirurgical. Un
dépassement systématique et important de la moyenne
peut constituer un
indicateur pertinent de faible performance du chirurgien évalué.
L’évaluation des managers, pour sa part, suppose des critères spécifiques.
Les managers sont souvent évalués sur les performances
de leurs équipes.
Cependant des objectifs particuliers peuvent leur être attribués à titre
individuel. Ainsi, un grand groupe
de services informatiques évalue ses
managers sur les taux de démission des différentes catégories de salariés de
ses équipes.
L’objectif à atteindre pour le manager est un faible taux de
départ des salariés les plus performants et un fort taux de démission
des
salariés les moins performants.
Les dirigeants d’entreprises cotées sont souvent évalués par les
actionnaires qui les nomment en fonction de l’évolution du
cours de bourse
relativement à l’évolution globale des marchés financiers ou du cours de
bourse des principaux concurrents
de l’entreprise. Ainsi, les principaux
actionnaires du groupe de grande distribution Carrefour ont, en 2009,
limogé José Luis
Duran, le PDG de l’entreprise de l’époque puis, en 2012,
son successeur, Lars Olofsson, en raison de la faible évolution de
la
valorisation boursière de l’entreprise durant leurs mandats.

Focus
Une nouvelle technologie appliquée

au processus d’évaluation
Les nouvelles technologies offrent des opportunités en matière
d’évaluation et de fixation d’indicateurs de performance. Par
exemple, en ce qui concerne les agents commerciaux itinérants, ces
derniers ont longtemps bénéficié d’une grande autonomie
et d’une
grande liberté d’action. Ils sont souvent évalués sur l’atteinte
d’objectifs commerciaux et non pas sur les moyens
de les atteindre.
Cette autonomie et cette indépendance contribuent à rendre la
fonction commerciale attractive pour certaines
personnes.
De nombreux directeurs commerciaux sont conscients que certains de
leurs agents commerciaux itinérants atteignent leurs objectifs
sans
réellement travailler à temps plein, notamment lorsqu’ils détiennent
un portefeuille de clients de grande qualité. Le
souhait d’un manager
peut être de s’assurer que ses commerciaux optimisent leur temps de
travail en prenant un maximum de
rendez-vous pour accroître leur
chiffre d’affaires. Cependant, les possibilités de contrôle ont été
pendant longtemps réduites
ou coûteuses.
Les nouvelles technologies, notamment par l’intermédiaire des
agendas électroniques partagés consultables à distance par les
managers permettent de contrôler le nombre de rendez-vous pris par
un agent commercial et de fixer des objectifs de prise
de rendez-vous.
Le partage d’agenda permet également à des téléopérateurs de
prendre des rendez-vous pour les agents commerciaux.
Les nouvelles technologies permettent de suivre de nouveaux
indicateurs de performance, en l’occurrence celui de la prise
de
rendez-vous. Cependant, la mise en œuvre d’un tel système peut
susciter une résistance de la part des agents commerciaux
car il est
perçu comme une forme de contrôle («  un flicage  ») pour une
catégorie de salariés accoutumés à une grande liberté
professionnelle.

2.2 Les limites d’une politique d’évaluation des performances


individuelles
Une mesure objective des résultats individuels se révèle parfois
compliquée et peut donner lieu à des manipulations de la
part des salariés.
Des indicateurs de performance inadaptés peuvent entraîner des
comportements contre-productifs à moyen
terme et faire courir des risques
juridiques à l’employeur. Plusieurs facteurs constituent des limites à une
évaluation objective
des performances individuelles.
Une première limite à l’évaluation des performances individuelles
est la difficulté de définir des critères chiffrés pertinents. Certaines
fonctions et activités ne se prêtent pas à l’élaboration d’indicateurs
mesurables. La recherche systématique de
critères quantitatifs de
l’évaluation de la performance individuelle peut conduire à la
définition d’indicateurs qui induisent
des comportements inappropriés.
Les organisations fourmillent d’exemples de critères d’évaluation
incohérents conduisant à
des dysfonctionnements. Par exemple, une
institution hospitalière a décidé d’évaluer la performance de ses
chirurgiens en
fonction du nombre de patients qui décèdent lors des
opérations chirurgicales. Ce critère tend à défavoriser les meilleurs
chirurgiens qui, pour progresser dans leur expertise médicale, ont
tendance à accepter les patients dont la pathologie est
la plus complexe
mais également dont la probabilité de décès est la plus importante.
Pour améliorer leurs performances, les
meilleurs chirurgiens ont donc
été conduits à refuser les cas les plus difficiles pour les laisser aux
jeunes chirurgiens
moins expérimentés. Paradoxalement, les critères
d’évaluation ont conduit à un accroissement de la mortalité au sein de
l’hôpital.
Une seconde limite est la difficile quantification d’éléments
subjectifs de l’activité des salariés. À cet égard, le principal argument
avancé pour dénoncer un système d’évaluation est celui de la
subjectivité des critères
qui laisse une place importante au libre-arbitre
de l’évaluateur (communément qualifiée d’« appréciation à la tête du
client  »).
Ainsi, il est difficile d’évaluer objectivement la prise
d’initiatives par un salarié, sa politesse à l’égard des clients
ou son
esprit d’équipe  ; qui sont autant de dimensions nécessaires à la
performance individuelle mais difficiles à mesurer.
Ainsi, une salariée
d’un palace de la Côte d’Azur a été licenciée car elle n’était pas, aux
yeux des managers, assez souriante
avec les clients. Les tribunaux ont
invalidé le licenciement en raison de la trop grande subjectivité de
l’appréciation. De
même, en 2011, la CGT a dénoncé avec succès
devant les tribunaux l’évaluation des cadres d’Airbus sur leur capacité
« à défendre
les valeurs de l’entreprise ». Les instances judiciaires ont
également estimé que ce critère était trop subjectif. L’enjeu
pour la
DRH est de définir des critères suffisamment objectifs pour éviter que
l’évaluateur puisse interpréter les critères
et ainsi introduire une forme
de subjectivité dans l’évaluation de ses collaborateurs. L’autre enjeu
est d’arriver à évaluer
des attitudes et des compétences dont
l’appréciation suppose nécessairement une part de subjectivité dans
l’évaluation par
les managers sans que cela soit perçu comme étant
inéquitable par les salariés ou fasse courir le risque juridique d’une
contestation
devant les tribunaux.
Une troisième limite est liée au caractère systémique de la
performance individuelle. La performance d’un salarié s’explique
rarement entièrement du fait de ses compétences propres et de sa
motivation. L’environnement
de travail, la qualité des interactions avec
les autres membres de l’organisation ou les systèmes d’information
influencent
la performance des salariés. La dimension systémique de la
performance rend particulièrement compliquée la possibilité d’isoler
ce qui relève d’une action individuelle spécifique. Ainsi, au sein d’un
groupe pharmaceutique, il est difficile d’identifier
dans le succès d’un
nouveau médicament ce qui est lié à l’efficacité de la molécule
découverte par les chercheurs du département
de R&D, de ce qui est
dû à la qualité de la campagne marketing qui a accompagné le
lancement du médicament et de ce qui relève
du dynamisme des forces
commerciales de l’entreprise. Cette dimension systémique peut
conduire à définir des indicateurs qui
ne mesurent pas réellement la
contribution d’un individu à la performance de l’organisation. Par
exemple, l’évaluation de
l’activité des chercheurs est souvent ramenée
aux indicateurs facilement mesurables que sont le nombre de dépôts de
brevets
ou leurs publications d’articles scientifiques et non pas à leur
contribution réelle à la croissance de l’entreprise. Cette
dernière
dimension est difficilement mesurable.
Une quatrième limite est liée à la difficulté d’anticiper les
comportements contre-productifs que peuvent induire des critères
d’évaluation inadaptés. L’enjeu pour la DRH est d’anticiper cette
capacité des salariés à détourner les procédures d’évaluation à leur
profit. Il
est bien souvent reproché aux individus d’abuser du système
d’évaluation et rarement aux managers ou à la DRH d’avoir échoué
à
concevoir un système d’évaluation performant, c’est-à-dire qui induit
les comportements recherchés par la direction de l’entreprise.
La mise en œuvre de systèmes d’évaluation peut faire l’objet d’un
détournement par les individus évalués. Un exemple concerne
un service de
gestion de la relation client d’un opérateur téléphonique. Ce dernier mesure
la qualité du traitement des réclamations
des clients reçues par messagerie
électronique en fonction de la vitesse à laquelle les téléopérateurs répondent
à une requête.
Les salariés répondent aux clients par message électronique.
Un logiciel informatique peut donc calculer automatiquement les
temps de
réponse des téléopérateurs et donner une évaluation précise de la qualité.
Cet indicateur a été détourné par les
téléopérateurs. Ces derniers se sont mis
à renvoyer très rapidement des courriels aux clients qui faisaient une
réclamation,
non pas pour leur donner une réponse mais pour leur demander
des précisions sur leurs requêtes. Ainsi, la mesure du temps
de réponse
montre une amélioration de la performance mesurée par la vitesse d’envoi
d’un courriel de réponse alors que dans
les faits la qualité du traitement des
réclamations des clients s’est dégradée puisque ces derniers ne reçoivent
pas réellement
de réponse à leurs requêtes.
De même, des critères inadaptés peuvent conduire à une dégradation de la
relation client et faire courir des risques juridiques
à l’entreprise. Ainsi, une
grande banque à réseaux avait donné des objectifs élevés à ses conseillers
bancaires en matière
de placement d’actions auprès de clients particuliers.
Ces objectifs ont conduit certains conseillers à faire de la vente
forcée, voire
à acheter des actions sur le compte de clients sans l’accord de ces derniers.
La banque a été condamnée par
les tribunaux pour les comportements
inappropriés de ses conseillers.
Ces dysfonctionnements liés aux critères d’évaluation concernent
également les positions managériales. Par exemple, une entreprise
en phase
de restructuration peut être tentée d’évaluer son DRH sur l’évolution de la
masse salariale afin de l’inciter à réduire
cette composante des coûts
opérationnels. Cependant, ce critère peut induire des décisions
inappropriées. Le DRH peut supprimer
le département interne de
maintenance informatique en licenciant le personnel en charge de cette
activité et sous-traiter
cette activité à un prestataire extérieur. D’un point de
vue comptable, la masse salariale a diminué du fait de la suppression
des
emplois de maintenance informatique et le DRH a atteint ses objectifs. En
revanche, en ce qui concerne l’organisation
il n’est pas évident que cela ait
entraîné une réelle diminution des coûts opérationnels.
Au niveau de la direction de l’entreprise, l’évaluation d’un dirigeant à
l’aune de l’évolution du cours de bourse de l’entreprise
peut conduire à des
pratiques nuisibles pour la pérennité de l’organisation. Pour satisfaire ses
actionnaires et augmenter
la valorisation boursière de l’entreprise, un
dirigeant peut accroître le paiement de dividendes ou initier un programme
de
rachat d’actions. Si ces mesures ont un impact positif à court terme sur le
cours de bourse, elles peuvent cependant obérer
le développement à moyen
terme de l’entreprise en réduisant les investissements productifs. Dans ce
cas, le problème n’est
pas le comportement du dirigeant qui agit
rationnellement au regard des critères sur lequel il est évalué mais plutôt la
définition
de critères erronés par le conseil d’administration en charge de
l’évaluation du dirigeant.
Une cinquième limite est liée au développement de comportements
individualistes que peut favoriser un management des salariés
par
objectifs. En effet, dès lors qu’une personne est évaluée sur ses
résultats personnels, cela signifie que le système d’évaluation ne
favorise pas les comportements collaboratifs. Dans le meilleur des cas,
les salariés qui atteignent leurs objectifs avant
le terme prévu réduisent
leur activité, même si leurs collègues ont des difficultés à atteindre
leurs objectifs. Cela arrive
notamment dans les équipes commerciales
où certains salariés atteignent voir dépassent leurs objectifs individuels
de vente
alors que certains de leurs collègues ont des difficultés à les
réaliser. Pour éviter cet inconvénient, certaines entreprises
évaluent et
intéressent les salariés sur la base de la performance de l’équipe à
laquelle ils appartiennent et non pas sur
la performance individuelle.
Cette pratique incite les individus les plus performants à aider les
autres afin d’atteindre
les objectifs collectifs.
L’incitation à un comportement individualiste peut également se révéler
contre-productif au niveau organisationnel quand,
pour atteindre ses
objectifs, un salarié est amené à recourir à des pratiques qui peuvent nuire à
d’autres départements de
l’entreprise. Par exemple, un agent commercial,
dans sa précipitation à conclure une vente et pour ne pas consacrer trop de
temps à des tâches administratives, peut ne pas collecter auprès d’un client
toutes les informations nécessaires à la livraison
ou au paiement. Cela lui
permet de consacrer plus de temps à son action commerciale et à
l’amélioration de ses performances.
Cependant, la mauvaise qualité des
informations qu’il aura collectées nuira à la performance de ses collègues
des services
de livraison et de comptabilité en charge du règlement.
Section 2
LES ENJEUX HUMAINS DE LA POLITIQUE


D’ÉVALUATION

La politique d’évaluation peut avoir des conséquences importantes pour


les salariés évalués. L’appréciation de leurs performances
représente pour
les salariés des enjeux d’ordre économique, psychologique et sociologique.
Pour ces raisons, les salariés
s’impliquent dans le processus d’évaluation et
la compréhension par la DRH de ces trois dimensions est importante lors de
la conception et de la mise en œuvre de la politique d’évaluation.

1 Les enjeux économiques


Le processus d’évaluation est confronté aux intérêts économiques des
salariés car les conclusions de l’appréciation peuvent
avoir des impacts
positifs ou négatifs sur la rémunération et la carrière des individus.
L’évaluation peut conduire à une
augmentation de salaire, une promotion ou
un accès privilégié à une formation. Cependant, elle peut également
conduire à une
limitation de la rétribution ou à un licenciement. Les revenus
financiers à court et moyen terme des salariés peuvent donc
être fortement
impactés par les conclusions de l’appréciation ; or l’évolution des revenus
du travail détermine le pouvoir
d’achat et les conditions de vie des salariés
et de leur famille. Plus la rémunération est liée à l’évaluation et plus les
enjeux économiques sont importants pour les salariés et justifient leur
implication dans la gestion de ce processus.
À cet égard, il est rationnel de la part des salariés d’essayer
d’instrumentaliser et de détourner le système pour optimiser
leurs intérêts et
accroître leurs revenus, parfois au détriment de leur employeur. Une
attention particulière doit être portée
à cette dimension lorsque la
performance individuelle est difficile à définir ou que l’asymétrie
d’information entre le manager
et le salarié est importante, notamment
quand ce dernier est un expert. Ce genre de situations offre des zones
d’incertitude
que le salarié peut utiliser à son avantage pour obtenir une
bonne évaluation ou réduire sa responsabilité dans des situations
d’échec.

2 Les enjeux psychologiques


Dans le champ de la psychologie, l’évaluation des salariés est au cœur de
la problématique explorée par la théorie de l’attribution[3]. Cette dernière
analyse les facteurs auxquels les individus attribuent leurs performances
positives ou négatives. Comme cela
a été précisé en introduction de cette
section, deux catégories d’explications apparaissent  : les facteurs internes
liés à
l’individu et les facteurs externes liés à l’environnement de travail.
Plusieurs causes peuvent expliquer l’incapacité d’atteindre
un objectif. Cela
peut être un manque de motivation ou un déficit de compétences du salarié
(facteurs internes), des objectifs
trop élevés, l’absence de mise à disposition
de moyens par l’entreprise, la dégradation de la conjoncture économique ou
la
qualité du produit vendu (facteurs externes).
Les travaux dans le domaine de la Psychologie montrent une tendance
naturelle des individus à attribuer leurs succès à des
causes internes et leurs
échecs à des causes externes. Par nature, les personnes ne s’attribuent pas
leurs échecs et tendent
à en rejeter la faute sur des facteurs externes même
lorsqu’ils sont liés à des facteurs internes.
Le processus d’évaluation vise à identifier de manière objective les
facteurs explicatifs de la performance, qu’ils soient
internes ou externes. Ce
processus peut conduire à mettre en évidence des explications internes des
piètres résultats d’un
salarié et provoquer de ce fait une résistance
psychologique et un rejet de l’évaluation par l’individu. Le processus
d’évaluation
constitue pour le salarié un principe de réalité qui confronte
l’image que se fait de lui son employeur à l’image que le salarié
a de lui-
même. Cela peut générer des tensions psychologiques pour l’individu. Si le
processus renvoie une image positive à
l’individu, ce dernier l’accepte et
s’en trouve motivé. En revanche, si l’image renvoyée est négative alors la
tentation est
grande pour le salarié d’en rejeter la cause sur des facteurs
externes et de refuser toute remise en cause personnelle. Il
est parfois
psychologiquement difficile pour un individu de reconnaître qu’il est moins
compétent que ce qu’il pense être.
Dans ce cas, le processus d’évaluation
peut induire un processus de dissonance cognitive chez la personne évaluée
si le message
envoyé lors de l’évaluation est perçu comme étant décalé par
rapport à la représentation que l’individu a de lui-même. Cette
dissonance
peut induire une modification du comportement de l’individu vers un
comportement attendu par l’organisation. Elle
peut également entraîner un
déni de réalité et un rejet du processus d’évaluation.
La capacité psychologique d’un individu à accepter les conclusions
négatives de son évaluation détermine la qualité du processus
d’amélioration et d’apprentissage qui peut être initié pour améliorer les
performances du salarié. La négation par un individu
du rôle des facteurs
internes pour expliquer ses contre-performances peut remettre en cause
toute dynamique d’amélioration
et de développement des compétences.

3 Les enjeux sociologiques


L’évaluation est également confrontée à des mécanismes sociologiques
liés à la dynamique des groupes. Un collectif de travail
au sein d’une
organisation constitue une forme de communauté produisant de manière
informelle des normes et des valeurs qui
servent à évaluer la performance
des individus et auxquelles s’identifient ses membres. Ces critères
informels peuvent différer
des critères formels du processus d’évaluation
définis par la direction de l’entreprise. Cependant, lorsque les critères
formels
d’évaluation définis par la direction sont alignés avec les critères
informels de la communauté, ils contribuent à objectiver
et à rendre
publique une hiérarchie sociale entre les salariés en distinguant les plus
performants des moins performants.
Cette dimension sociologique d’un
processus d’évaluation qui établit publiquement et formellement un
classement entre les
salariés contribue à valoriser socialement les plus
performants et à dévaloriser les moins performants.
Certaines entreprises utilisent à des fins managériales ces implications
sociologiques lorsqu’elles conçoivent leur politique
d’évaluation et de
management des ressources humaines. Par exemple, dans les sociétés de
conseil en management, l’absence
de promotion induite par une piètre
évaluation est une information connue de l’ensemble de la communauté de
travail et cela
conduit bien souvent les salariés non-promus à démissionner.
C’est la coercition sociale induite par l’évaluation qui explique
le
comportement des individus. L’absence de promotion apparaît comme une
reconnaissance publique que l’employeur évalue négativement
le travail
effectué par le consultant. Le fait de ne pas être promu est vécu par
l’individu comme une forme de déchéance sociale
au regard de ses pairs. La
règle du « up or out » (cf chapitre 4) en matière de gestion des carrières est
rendue possible par l’enjeu sociologique que représentent, pour les
consultants,
l’évaluation et la promotion professionnelle pour obtenir la
reconnaissance sociale des membres de leur communauté.
Inversement, les entreprises utilisent cette dimension sociologique pour
valoriser les individus les plus performants. Ainsi,
un grand groupe
informatique invite à un week-end festif, dans un lieu prestigieux, les
salariés ayant obtenu les meilleures
évaluations. L’intérêt ne réside pas dans
les activités du week-end mais dans la possibilité pour les salariés invités de
notifier aux autres salariés qu’ils n’ont pas été invités. L’évaluation
informellement rendue publique contribue à créer une
hiérarchie sociale
implicite entre les salariés en distinguant les individus avec un haut statut
professionnel en raison de
leurs excellentes performances de ceux ayant un
faible statut du fait de leurs moindres performances. L’invitation au
weekend
festif devient un marqueur social qui rend public la hiérarchie
professionnelle de l’entreprise.
Dans une perspective sociologique, il est nécessaire de tenir compte de
cette évaluation permanente des salariés entre eux
au sein du collectif de
travail de l’organisation. Cette appréciation est bien souvent informelle et
subjective, elle nourrit
des non-dits qui peuvent entraîner des situations de
conflits. De plus, ces critères d’évaluation informelle peuvent être
en
contradiction avec les critères d’évaluation formelle définis par la direction.
Dans certains ateliers de production, il
existe parfois des normes
informelles de productivité des ouvriers fixées par le collectif de travail qui
sont inférieures
aux normes formelles que souhaiterait imposer la direction
de l’usine. Dans ce cas, les ouvriers respectent les normes informelles
pour
ne pas risquer d’être ostracisés par leur communauté de travail.
La conjonction des trois dimensions psychologique, sociologique et
économique fait du processus d’évaluation une pratique
managériale
extrêmement sensible au sein des organisations. Cela peut conduire à des
comportements d’évitement de la part
des salariés et des managers ou à des
situations conflictuelles entre les membres impliqués dans le processus. La
conception
du processus d’évaluation doit tenir compte des risques induits
par ces trois dimensions pour lui permettre de contribuer
au bon
fonctionnement de l’organisation.

Section 3
LE PROCESSUS D’ÉVALUATION


DES PERFORMANCES INDIVIDUELLES
L’objectivité du système d’évaluation fonde son équité et sa légitimité
dans l’entreprise. On retrouve au sein de l’organisation
l’importance décrite
par Weber[4] dans les sociétés occidentales d’une légitimité basée sur la
nature rationnelle-légale du support de la décision. Le caractère
objectif et
scientifique du processus d’évaluation détermine sa légitimité. Au-delà de
sa légitimité, qui explique le sentiment
d’équité perçue par les salariés, cette
objectivité fonde aussi sa légalité en cas de contestation de l’évaluation et
de ses
conséquences devant un tribunal.
La DRH est responsable de l’équité, de la légalité et de la qualité du
système d’évaluation. Pour cela, il convient, d’une
part, de définir un
processus d’évaluation transparent et cohérent et, d’autre part, d’impliquer
les acteurs concernés par
le processus d’évaluation, notamment les salariés
et les managers.
La politique d’évaluation des salariés s’appuie sur un processus de
gestion qui constitue un cycle récurrent (figure 6.2). L’enjeu pour la DRH
est de définir un processus transparent et cohérent qui assure la convergence
entre les intérêts des
salariés et ceux de l’organisation. Le processus
d’évaluation se caractérise par différentes étapes, chacune d’entre elle
donne lieu à une nécessaire coordination avec d’autres pratiques de GRH.
Au-delà de la mesure de la performance, la politique
d’évaluation constitue
également une action de communication ascendante et descendante entre
l’employeur et ses salariés.
Les managers en charge de l’évaluation sont des
acteurs clés de ce processus et de cette communication.
Figure 6.2  – Le processus d’évaluation et les pratiques de GRH

■ Étape 1 – Fixation des objectifs individuels et des moyens d’action


Il s’agit, en début de cycle, de fixer au salarié des objectifs quantitatifs
et/ou qualitatifs à atteindre dans une période
de temps donné. Cette fixation
peut se faire de manière unilatérale par le manager ou les objectifs peuvent
être négociés
avec le salarié. Plus le salarié est impliqué dans la définition
de ses objectifs et plus il intériorise le souhait de les
atteindre. La dimension
participative permet d’impliquer le collaborateur et assure sa plus grande
motivation à atteindre
des objectifs qu’il a lui-même contribué à fixer. Le
risque est que le salarié ait un certain ascendant sur son manager et
que des
objectifs peu ambitieux lui soient fixés.
Au-delà de la définition des objectifs individuels, il convient de définir les
moyens mis à la disposition du salarié pour
atteindre ses objectifs. En
matière de GRH, il peut s’agir de formation afin d’acquérir les compétences
nécessaires à l’atteinte
des objectifs. Il peut également s’agir
d’accompagner une prise de fonction dans le cadre d’une évolution de
carrière décidée
suite aux conclusions de l’évaluation de la période
précédente.
À cette étape, il est important de formaliser par écrit les objectifs définis
entre le salarié et l’entreprise. Il s’agit
d’un acte formel qu’il convient de
faire parapher par les acteurs impliqués afin d’éviter toute ambiguïté et de
marquer symboliquement
l’engagement des parties. Le formulaire
d’évaluation est un artefact qui inscrit l’action individuelle dans la
stratégique
de l’entreprise tout en permettant de mesurer la contribution
passée et de définir la contribution future des salariés. Le
formulaire
d’évaluation est à la fois un outil de contrôle, un outil de communication et
un outil de planification.

■ Étape 2 – Développement des compétences et évolution de carrière


Cette étape est celle du suivi du déroulement de l’activité du salarié. Il
s’agit de faire un suivi de la performance de l’individu
et des moyens mis à
sa disposition. Certaines organisations prévoient des entretiens en cours
d’année pour évaluer si le salarié
est en phase pour atteindre ses objectifs. Il
s’agit également de faire le point sur l’acquisition des compétences prévue
lors de l’entretien de fixation des objectifs.
La DRH est en charge de ce suivi. L’enjeu est de détecter préventivement
tout décalage entre les objectifs fixés et les objectifs
en cours de réalisation
afin d’éventuellement apporter des mesures correctrices au cours du cycle
de l’évaluation.

■ Étape 3 – Collecte des informations relatives à l’activité du salarié


Cette étape arrive en fin de cycle d’évaluation, souvent au terme d’une
année calendaire. Il s’agit pour la DRH de s’assurer
que toutes les données
nécessaires à l’évaluation sont collectées pour être transmises à l’évaluateur
et à l’évalué. Dans
certaines configurations organisationnelles, cette collecte
est relativement simple. Par exemple, un responsable commercial,
qui
évalue ses collaborateurs sur les chiffres de vente, a souvent ces données à
sa disposition de par sa fonction. Dans certains
cas, l’exercice est plus
compliqué. Par exemple, dans les structures matricielles qui fonctionnent en
mode projet, le supérieur
hiérarchique n’est pas nécessairement en contact
quotidien avec les personnes qu’il est supposé évaluer en fin d’année. C’est
le chef de projet qui a cette connaissance sans pour autant être le supérieur
hiérarchique de la personne évaluée. Dans ce
cas, le processus d’évaluation
prévoit une appréciation des individus par les chefs de projet à la fin de
chaque mission.
En fin d’année, ces évaluations sont transmises au
responsable hiérarchique en charge de l’évaluation du salarié.
■ Étape 4 : L’entretien d’évaluation des résultats et des compétences
L’entretien d’évaluation est une institutionnalisation de l’interaction
sociale entre le manager et ses collaborateurs. Il
est à l’intersection d’une
communication ascendante de remontée d’information sur les salariés en
terme de besoins de formation
et de mobilité professionnelle et d’une
communication descendante en impliquant les managers dans l’explicitation
des choix
stratégiques de la direction.
Il s’agit de l’étape la plus critique du cycle d’évaluation. Elle implique les
managers. L’entretien d’évaluation est un acte
managérial clé dans le
fonctionnement des organisations mais sur lequel la DRH et la direction de
l’entreprise ont peu de
contrôle au moment de son déroulement. L’enjeu est
que les managers fassent avec leurs collaborateurs un bilan constructif
entre
les objectifs fixés et les objectifs réalisés. La capacité à mener un entretien
d’évaluation est une compétence clé
d’un manager. La direction des
ressources humaines a pour mission de veiller à ce que cet entretien se
tienne de manière rigoureuse
et constructive.
L’évaluation se fait bien souvent dans le cadre d’un entretien entre le
manager et le collaborateur. Il peut également y avoir
un comité
d’évaluation composé de plusieurs personnes.
Lorsque les objectifs ont été atteints, voire dépassés, il s’agit de valoriser
le salarié par une reconnaissance formelle
par l’organisation des
performances réalisées. En revanche, lorsque les objectifs n’ont pas été
atteints, cet entretien d’évaluation
devient un exercice managérial périlleux,
notamment en raison des enjeux économiques, psychologiques et
sociologiques précédemment
évoqués. L’entretien peut ne pas être
constructif ni pour l’organisation, ni pour le salarié. Il peut prendre une
tournure
conflictuelle entre le collaborateur et son manager en raison d’un
désaccord sur la nature des facteurs explicatifs de la
non-atteinte des
objectifs. Le manager peut attribuer la faible performance à des facteurs
internes et le salarié à des facteurs
externes. Il peut également se produire
un déni de réalité de la part des deux acteurs pour éviter une situation
conflictuelle.
Cela conduit le manager a évalué positivement un salarié qui
n’a pas atteint ses objectifs. Dans les deux cas, le résultat
de l’entretien
d’évaluation ne permet pas d’enclencher un processus d’apprentissage et de
développement des salariés.
En raison des enjeux que recouvre l’entretien d’évaluation, certaines
entreprises forment leurs managers à la conduite de
ce type d’entretien. Les
managers sont parfois démunis face à cet exercice et cela peut les conduire
à avoir des pratiques
d’évitement qui dénature le processus. La finalité de
cette pratique est de faire de l’entretien d’évaluation un espace de
dialogue
entre le manager et son collaborateur afin que soient identifiés les facteurs
explicatifs de la non-atteinte des
objectifs et pour définir des pistes
d’amélioration pour le futur. Les indicateurs de performance chiffrés
constituent une
base factuelle de discussion qui sous-tend le principe de
réalité qui peut enclencher un processus d’apprentissage. L’entretien
est
plus difficile à mener quand l’évaluation du manager constitue une
appréciation négative qui est subjective et non quantitative
du collaborateur.
À cet égard, la méthode du classement forcé a pour objectif d’obliger les
managers à prendre leurs responsabilités en matière
d’évaluation,
notamment à l’égard de leurs collaborateurs les moins performants. Il s’agit
de demander aux managers d’effectuer
un classement de leurs
collaborateurs afin d’identifier clairement les salariés les plus performants
de ceux qui le sont moins.
Certaines entreprises affinent l’exercice en
obligeant les managers à distinguer dans leurs équipes les 10  % de
collaborateurs
les plus performants et les 10 % de ceux qui le sont le moins.
Ce classement peut parfois entraîner le licenciement pour insuffisance
professionnelle des salariés les moins performants. La légalité de cette
démarche dépend des législations nationales.
Enfin, pour éviter une trop grande influence du manager sur le processus
d’évaluation qui pourrait le conduire à surévaluer
des collaborateurs dont ils
souhaitent le départ de son équipe ou, inversement, à sous-évaluer ceux
qu’il souhaite garder  ;
pour éviter également que la nature des relations
interpersonnelles entre l’évaluateur et l’évalué n’influence l’évaluation
au-
delà de considérations professionnelles, les entreprises créent des comités
d’évaluation dans lesquels sont impliqués des
représentants de la DRH et
les supérieurs hiérarchiques du manager de l’évalué afin d’apprécier la
cohérence des évaluations
réalisées par les managers.

■ Étape 5 – Implications en termes de rémunération et de gestion de


carrière
Le processus d’évaluation est une pratique de GRH sensible dans la
mesure où il peut avoir des conséquences sur la rémunération
et la carrière
des salariés évalués. Les résultats de l’évaluation peuvent conduire à une
hausse ou une baisse de rémunération
et peuvent justifier une promotion
professionnelle ou un licenciement. En principe, les conclusions de
l’évaluation influencent
deux catégories de pratiques de GRH. La première
relève de la rétribution du salarié. L’évaluation permet de justifier un
niveau
faible ou important de hausse de rémunération directe (salaire de base),
variable (prime) ou indirecte (prise en charge
de certains frais). La seconde
relève de la formation et de la gestion de carrière, soit dans le cadre de
mesures correctives
pour améliorer les performances futures, soit dans le
cadre d’une promotion professionnelle qui vient accompagner un haut
niveau de performance. Par exemple, en France, chez IBM, les salariés se
voient attribuer une note allant de 1 («  résultats
extraordinaires  ») à
4  («  résultats insuffisants  »). À l’origine, le salarié noté 4 se voyaient
refuser une augmentation de
salaire, une promotion ou une prime. Par la
suite, les salariés les moins bien notés ont fait l’objet d’un licenciement
pour
insuffisance professionnelle. La DRH d’IBM a reconnu l’existence de
«  fourchettes de notations  » qui correspondent à un classement
forcé des
salariés. Ces fourchettes étaient de 10 % à 15 % pour la note 1, de 65 % à
70 % pour la note 2, de 15 % à 25 % pour
la note 3 et de 2 % à 5 % pour la
note 4. Selon les syndicats, IBM utiliserait le système de notation pour
justifier des licenciements
individuels pour insuffisance professionnelle et
ainsi éviter les procédures de licenciements économiques.
Face à ces enjeux et aux conséquences possibles, les managers et les
organisations peuvent avoir des stratégies d’évitement
en matière
d’évaluation. Il n’est pas rare que des entreprises mettent en œuvre un
processus d’évaluation avec la définition
d’indicateurs de performance et la
tenue d’entretiens d’évaluation sans que cela n’ait de conséquences en
termes de gestion
des ressources humaines. Dans ce cas, les acteurs de
l’entreprise, DRH, managers et salariés participent à un processus dénaturé
et perçu comme étant d’autant plus illégitime qu’il n’a aucune implication
pour les personnes évaluées.
Une solution pour éviter les situations conflictuelles consiste à découpler
l’entretien relatif à la rémunération de celui
lié à la gestion des
compétences. Les salariés sont plus particulièrement sensibles aux
questions touchant aux rémunérations.
Aussi, pour éviter que les
discussions relevant de la rétribution ne nuisent à celles concernant la
formation et la gestion
de carrières, certaines entreprises mettent en place
deux entretiens d’évaluation, parfois avec deux interlocuteurs différents.
Par
exemple, l’entretien d’évaluation qui est lié à la performance présente, et
qui impacte la rémunération, sera mené par
le manager. L’entretien de
carrière qui évalue le potentiel, le souhait et les conditions d’évolution
professionnelle des
salariés sera réalisé par un représentant de la DRH.
■ Étape 6 – Mise en cohérence globale des décisions individuelles
Une étape importante pour la DRH est la mise en cohérence des
conclusions de l’ensemble des évaluations et la consolidation
des
implications en termes de rémunération, de formation et de gestion des
carrières pour tous les salariés de l’entreprise.
Dans un premier temps, la consolidation des évaluations individuelles
permet d’identifier le groupe d’appartenance des salariés
selon qu’ils
relèvent de la catégorie des «  talentueux  », des «  sérieux  », des
«  désabusés  » ou des «  dangereux  ». Ce type
de consolidation permet
également d’identifier les managers qui ont tendance à systématiquement
surévaluer leurs collaborateurs
pour éviter les situations conflictuelles.
La consolidation est également nécessaire pour mesurer l’impact sur la
masse salariale, sur le plan de formation et la gestion
de carrières que les
décisions prises suite aux évaluations peuvent avoir. La DRH doit réaliser
un arbitrage entre, d’une
part, les évolutions souhaitées par les salariés et
les managers et, d’autre part, les évolutions nécessaires et possibles
pour
l’organisation. Par exemple, en raison de contraintes financières, une
entreprise peut, dans certains cas, ne pas pouvoir
augmenter la
rémunération de tous les salariés jugés performants. D’un point de vue
pratique, l’enjeu pour la DRH est de s’assurer,
d’une part, que les entretiens
d’évaluation sont réalisés avant la fixation des augmentations de
rémunération et, d’autre
part, que les conclusions des évaluations
aboutissent à des décisions d’augmentation qui tiennent compte des
contraintes d’évolution
de la masse salariale imposées par la direction de
l’entreprise.
De même, un employeur peut ne pas pouvoir former tous les salariés pour
lesquels le processus d’évaluation a identifié un
besoin, ni promouvoir tous
ceux qui ont été évalués comme pouvant l’être dans le cadre de l’évaluation
individuelle. C’est
le rôle de la DRH de réaliser ces compromis en
respectant les contraintes d’équité et les besoins de l’organisation.
La procédure d’évaluation doit être cohérente avec la politique de
formation. Cela signifie, d’un point de vue pratique, que
les entretiens
d’évaluation doivent être effectués préalablement à la conception du plan de
formation afin de permettre à
la DRH d’identifier, de consolider et de
donner une priorité aux besoins en formation détectés au niveau individuel.
La DRH
élabore le compromis entre les besoins individuels identifiés lors
de l’évaluation et les besoins organisationnels définis
en fonction des
orientations stratégiques ; le tout en respectant les contraintes du budget de
formation. Cette synchronisation
entre le processus d’évaluation et celui du
plan de formation vise également à permettre aux équipes en charge de
l’ingénierie
pédagogique de concevoir des modules adaptés.
Le processus d’évaluation doit aussi être articulé de manière cohérente
avec la politique de gestion des carrières car il
permet de détecter les
salariés dont la compétence, le potentiel et la motivation correspondent aux
besoins de l’organisation.
Enfin, en ce qui concerne la gestion des équipes, la politique d’évaluation
est un outil de management qui permet aux managers
de gérer leurs
collaborateurs. Au sein des équipes, la procédure d’évaluation doit avoir
pour objectif de crédibiliser les
managers auprès de leurs collaborateurs et
de leur donner des leviers d’action. Cette crédibilité dépend de la qualité
intrinsèque
de la procédure mais également de la cohérence entre les
conclusions du manager et les pratiques de GRH qui s’en suivent.
Par
exemple, si une bonne évaluation faite par un manager n’entraîne pas, d’une
manière ou d’une autre, une forme de rétribution
ou, pire, si les
augmentations de rémunération accordées par la direction sont en
contradiction avec les conclusions du manager,
alors l’entreprise prend le
risque de décrédibiliser ses managers et son processus d’évaluation.

Cas d’entreprise
Un prestataire de service de l’évaluation des ressources humaines :
Mercer
La définition de critères objectifs d’évaluation des résultats individuels
des salariés pour y indexer de manière équitable
la politique de
rémunération est un exercice complexe qui nécessite parfois un
outillage managérial conséquent. Cet exercice
est d’autant plus
difficile lorsqu’il s’agit, au sein de la même entreprise, de comparer
des fonctions différentes dans des
pays différents. Des cabinets de
conseil en GRH comme Aon Hewitt, Hay Group, Mercer ou Towers
Watson ont développé des méthodologies
d’évaluation des ressources
humaines.
Par exemple, Mercer, le cabinet de conseil en gestion des ressources
humaines (40  bureaux dans le monde et environ 19  000
salariés), a
défini une méthode d’évaluation des postes (et non des individus qui
les occupent), la International Position Evaluation, qui mesure leurs
contributions au fonctionnement de l’organisation. Cette évaluation se
fait à partir de 5 critères :
L’impact qui mesure quelles responsabilités l’occupant du
poste exerce sur les résultats ou les actifs de
l’organisation.
La communication qui évalue l’importance de l’occupant
du poste en matière de communication interne ou externe.
L’innovation qui identifie le rôle plus ou moins important
de la créativité dans le poste considéré.
Le knowledge qui évalue le poste en fonction de la nature
et de la complexité des connaissances à maîtriser par celui
qui l’occupe.
Le risk qui mesure les risques mental, physique et
environnemental auxquels est exposé l’occupant du poste.
Chacune des dimensions se mesure en points. Ce système métrique
permet d’évaluer l’importance d’un poste relativement aux
autres en
fonction de son impact sur l’organisation, mesurée en nombre de
points, et d’adapter la politique de rémunération
en fonction de cette
évaluation. Cette méthodologie permet de définir une politique de
rémunération équitable qui s’appuie
non pas sur les performances des
salariés mais sur l’importance du poste qu’ils occupent.

[1]
  Kaplan R.S. et Norton P. (2003) Le tableau de bord prospectif, Les Editions d’Organisation, 311
p.
[2]
  Drucker P. (1952), The Practice of Management, Harper & Row, 416 p.
[3]
  Fritz Heider (1958), « The Psychology of Interpersonal Relations », LEA Editor, 323 p.
[4]
  Weber M. (1921), Économie et Société, Plon (1971), 452 p.
Chapitre
La politique
7 de rémunération

SOMMAIRE
Section 1 Politique salariale et politique de rémunération
Section  2 La rémunération comme facteur d’attractivité sur le marché du
travail
Section  3 La rémunération comme facteur de motivation des individus au
sein de l’organisation
Section 4 Les parties prenantes de la politique de rémunération
Section 5 Les systèmes de rémunération
Section 6 Politique de rémunération et innovation managériale

Section 1
POLITIQUE SALARIALE


ET POLITIQUE DE RÉMUNÉRATION

1 Politique salariale
L’exactitude et la ponctualité du versement des rémunérations sont un
enjeu administratif important de la GRH dont dépend
le bon
fonctionnement de l’organisation. Une entreprise peut avoir une excellente
stratégie, détenir d’excellentes technologies
et concevoir des produits de
grande qualité, tout cela ne se traduit en chiffre d’affaires et en profits que si
les individus
censés faire fonctionner l’organisation le font. La participation
effective des salariés suppose qu’ils soient rétribués pour
leur travail. La
mission première d’un DRH est de s’assurer que le paiement des salariés est
réalisé le jour prévu et du montant
prévu. Si cette condition première n’est
pas remplie, alors l’efficacité de toutes les autres pratiques de GRH (gestion
de
carrières, évaluation, formation, etc.) est remise en cause et la pérennité
même de l’entreprise peut en pâtir.
Cependant, il y a une généralisation des systèmes de gestion
administrative de la paie pour prendre en charge cette dimension
de la
GRH. Cela se fait soit par le recours au sein de l’entreprise de progiciels de
gestion dédiés à la paie (notamment GSI,
Peoplesoft ou SAP), soit par une
externalisation à des sous-traitants spécialisés, éventuellement auprès d’un
centre agréé
de gestion pour les très petites entreprises. L’existence de
progiciels de gestion de la paie et d’une offre structurée de
sous-traitants
permet aux DRH de s’affranchir des questions administratives relatives aux
salaires pour se focaliser sur les
dimensions stratégiques et politiques que
recouvre la gestion des rémunérations et de la masse salariale.
La rétribution des salariés est au centre de la relation contractuelle entre
les employeurs et les employés. Les individus
vendent leur force de travail
contre une rémunération. Cependant, la relation salariale ne se limite pas à
une relation économique
interindividuelle entre l’employeur et l’employé.
La détermination des salaires résulte de la conjonction de plusieurs
mécanismes
au niveau individuel, organisationnel et sociétal.
La théorie économique permet un premier niveau de problématisation des
enjeux liés à la rémunération. Au niveau individuel,
l’analyse utilitariste
s’appuie sur la « désutilité » du travail pour expliquer le comportement des
travailleurs. Ces derniers
renoncent à leur temps de loisirs pour travailler
afin de percevoir un salaire nécessaire pour acquérir les biens
indispensables
à leur existence (nourriture, logement, santé, etc.). Les
travailleurs font donc un arbitrage entre leur temps de loisirs
et leur temps
de travail. Cet arbitrage dépend du niveau de salaire offert par l’employeur.
Plus le niveau de rémunération
est élevé et plus le nombre de personnes
désireuses de renoncer à leur temps de loisirs pour vendre leur force de
travail
est élevé.
Les contributions de la psychologie et de la sociologie montrent que le
comportement des travailleurs ne se réduit pas à une
analyse utilitariste.
D’autres dimensions interviennent pour expliquer le comportement des
individus. Des mécanismes psychologiques
tels que l’intérêt intrinsèque
pour l’activité ou des mécanismes sociologiques tel que le besoin
d’appartenance à un groupe
social sont autant de facteurs justifiant le
souhait des individus d’appartenir au monde du travail. Enfin, le sentiment
d’équité
qu’éprouvent ou non les salariés à l’égard de leur rétribution et le
tabou social qui peut exister autour de la rémunération
influencent
également la politique salariale de l’entreprise.
Au niveau organisationnel, le coût de production que représente la
rémunération des travailleurs détermine trois types de
décisions
stratégiques. D’une part, il détermine la rentabilité du travail et justifie
l’intérêt pour l’employeur de recruter
ou non un travailleur. D’autre part, ce
sont les différences géographiques en matière de rémunération qui dans
certains cas
justifient les choix de délocalisation des grandes firmes
internationales. Enfin, c’est le coût de la force de travail qui
détermine
l’intérêt de la substitution du travail par du capital technique et justifie des
choix de robotisation et d’automatisation
du processus de production.
Au-delà de cette dimension économique, d’autres dimensions
interviennent pour déterminer la politique salariale de l’entreprise.
Le cadre
légal fixé par les pouvoirs publics, les conventions collectives et les accords
d’entreprise déterminent la politique
salariale mise en œuvre par la DRH.
Ce cadre légal résulte de négociations politiques entre les parties prenantes
et constitue
l’environnement contraignant dans lequel la logique
économique se déploie.
La rationalité des acteurs est également encastrée dans des conflits
sociaux et des négociations entre les employeurs et les
employés.
L’entreprise est un lieu de création de valeur que l’employeur et les salariés
vont essayer de s’approprier de manière
légitime. L’analyse marxiste, qui
constitue un schéma dominant de représentation des relations
professionnelles, fait d’ailleurs
de l’appropriation de cette valeur ajoutée
l’enjeu de la lutte des classes. Cet enjeu explique pourquoi les négociations
entre
les employeurs et les salariés portent souvent sur les rémunérations.
Enfin, la politique salariale de l’entreprise ne se réduit pas à la relation
entre les employeurs et les employés. Plusieurs
autres parties prenantes
interviennent et interagissent dans la relation salariale entre un employeur et
ses employés. Les
pouvoirs publics, les syndicats, les médias et l’opinion
publique sont autant d’acteurs qui peuvent influencer la politique
salariale
d’une entreprise. L’exemple de Daniel Vasella, PDG du groupe
pharmaceutique suisse Novartis, illustre l’influence
des parties prenantes
sur la politique salariale de l’entreprise. En 2013, au moment de son départ
à la retraite, M.  Vasella
avait négocié avec le conseil d’administration de
Novartis, représentant des actionnaires propriétaires de l’entreprise, une
prime de départ de 72  millions de francs suisses. Cette indemnité visait à
compenser pendant six ans une clause de non-concurrence.
Ce contrat,
qualifié de «  parachute doré  » entre un employeur, Novartis, et un de ses
employés, M. Vasella, était juridiquement
légal. Cependant, l’annonce de ce
contrat a été faite au moment où les citoyens helvétiques devaient voter sur
l’initiative
Minder, lancée contre l’avis du gouvernement et du parlement
suisses, dont la finalité était de limiter les rémunérations
abusives des
dirigeants d’entreprise. Dans ce contexte, l’annonce du contrat du PDG de
Novartis a été perçue comme une provocation
par l’opinion publique suisse
et les médias ont fortement relayé cette annonce en la critiquant. Certains
gestionnaires de
fonds d’investissement se sont prononcés contre cette
indemnité de départ. Parallèlement, le syndicat patronal, Economiesuisse,
dont M.  Vasella était membre du comité directeur, mena une campagne
virulente contre l’initiative Minder alors que les électeurs
suisses y étaient
favorables (l’initiative a finalement reçu 67,9 % de votes favorables). Cette
campagne ne fit que renforcer
au sein de l’opinion publique le sentiment
d’inégalité entre les travailleurs et les dirigeants des grandes entreprises. La
pression de l’opinion publique et la campagne médiatique ont finalement
conduit M.  Vasella à renoncer à son «  parachute doré  »
et à s’exiler aux
États-Unis. Cet exemple illustre à l’extrême l’influence de l’intervention de
parties prenantes extérieures
à l’entreprise sur sa politique salariale.
La politique salariale d’une organisation est ainsi déterminée par une
multitude de mécanismes qui interagissent et qui sont
plus ou moins
antagonistes. La complexité de la politique salariale est liée à la gestion
simultanée des différentes contraintes
et des différentes parties prenantes.
La politique de rémunération est principalement soumise à trois
contraintes managériales  : la rationalité budgétaire liée
au contrôle de la
masse salariale, l’attractivité externe pour favoriser la capacité de
l’organisation à recruter sur le marché
du travail et l’équité interne  pour
assurer au sein de l’organisation la motivation et la coopération des
ressources humaines
mobilisées.
Figure 7.1  – Les trois contraintes managériales de la politique de
rémunération

Le système de rémunération d’une organisation est un équilibre entre les


interactions des différentes contraintes managériales
et l’intervention des
différentes parties prenantes. L’évolution du système de rémunération d’une
entreprise résulte de l’évolution
de ses contraintes managériales et des
intérêts et du pouvoir des parties prenantes impliquées dans le
fonctionnement de l’organisation.
La sophistication des outils de
rémunération a pour objectif de répondre à ces différentes contraintes
managériales tout en
tenant compte des différentes parties prenantes
impliquées. En matière de politique salariale, les DRH sont amenés à être
des innovateurs et à faire preuve de créativité pour générer de véritables
innovations managériales. Une pratique salariale
est d’autant plus efficiente
qu’elle prend en compte efficacement les différentes contraintes
managériales et satisfait les
parties prenantes les plus influentes.
La politique salariale est une pratique particulièrement complexe de
management des ressources humaines. Pour cette raison,
elle est analysée à
travers deux grandes parties. La première porte sur la politique de
rémunération pour explorer les déterminants
de la relation salariale au
niveau individuel entre l’employeur et le salarié (chapitre 7). La
rémunération est comprise comme un facteur d’attraction des salariés qui
sont sur le marché du travail et comme un facteur
d’incitation lorsqu’ils
sont au sein de l’organisation. La seconde partie concerne le niveau
organisationnel et explore la
problématique du pilotage de la masse salariale
(chapitre 8). Cette dernière constitue un coût opérationnel dont la gestion
détermine la rentabilité de l’entreprise. Ces deux dimensions
permettent de
prendre en compte les différentes logiques dont le DRH doit tenir compte
lors de l’élaboration de la politique
salariale de l’entreprise.

2 Politique de rémunération
L’analyse de la politique de rémunération d’une entreprise vise à explorer
les différentes dimensions de la relation salariale
entre l’employeur et le
travailleur au niveau microéconomique. D’un point de vue légal, le salaire
se définit comme la rémunération
de l’activité du travailleur, lié par un
contrat de travail à un employeur, en contrepartie de la mise à disposition de
sa
force de travail. Le contrat de travail est un contrat synallagmatique au
sens où, contre une rémunération, le salarié accepte
de se soumettre à
l’autorité de l’employeur. Il est également incomplet dans la mesure où, au
moment de sa conclusion, le
contrat ne fixe pas précisément toutes les
activités que doit accomplir le salarié. Sauf exception, le contrat de travail
est établi sur une période indéterminée.
Au-delà de la dimension légale, la rémunération peut être appréhendée
sous trois dimensions différentes. La rémunération a
une dimension
économique qui correspond au prix de marché que doit payer l’employeur
pour recruter des travailleurs. À cet
égard, l’employeur est confronté à la
concurrence des autres entreprises sur des segments spécifiques du marché
du travail.
En ce qui concerne le travailleur, la rupture du contrat de travail
signifie une perte de revenus. La probabilité de rupture
du contrat de travail
influence l’espérance de gains du salarié et donc son comportement et sa
motivation. La politique de
rémunération a aussi une dimension
sociologique au sens où elle correspond à un mécanisme de valorisation
sociale qui contribue
à établir une hiérarchie professionnelle entre les
travailleurs à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation. Cette dimension
sociologique est également déterminante dans le sentiment d’équité ou
d’iniquité que peuvent ressentir les travailleurs dans
la mesure où c’est la
comparaison avec le traitement réservé aux pairs qui détermine le sentiment
de justice ressenti par
un individu. Enfin, la politique de rémunération a une
dimension psychologique dans la mesure où elle traduit pour un individu
le
degré de reconnaissance de son travail par son employeur. À cet égard, la
rémunération est une composante importante du
contrat psychologique
entre le salarié et son employeur.
La conjonction de ces trois dimensions (économique, sociologique et
psychologique) fait de la politique de rémunération un
levier majeur de la
motivation des salariés. Ces dimensions interagissent, parfois de manière
contradictoire, rendant nécessaire
une réelle créativité managériale de la
part des DRH pour gérer les tensions entre ces dimensions. La capacité du
DRH à concevoir
un contrat incitatif est un enjeu stratégique  pour
l’organisation  ; notamment dans les situations d’asymétrie d’information
entre l’employeur et l’employé où le premier ne peut pas contrôler à un coût
raisonnable l’activité du second.
En ce qui concerne les pratiques et les outils de la politique salariale
d’une organisation, on peut distinguer trois niveaux
d’analyse. Le premier
concerne le niveau du salaire de base, le second relève de la rémunération
pour inclure les éléments
monétaires et économiques autres que le salaire
(bonus, primes, avantages en nature, assurance santé, système de retraite,
etc.) et, le troisième, est celui de la rétribution pour prendre en compte les
éléments psychologiques et sociologiques qu’apporte
l’entreprise au
travailleur en contrepartie de la mise à disposition de sa force de travail.
L’analyse de la politique de rémunération est confrontée à deux
problématiques différentes selon que l’on considère la phase
préalable au
recrutement ou celle de la phase postérieure, qui correspond au
management de la personne recrutée. La première
est liée aux mécanismes
concurrentiels du marché du travail et à l’attractivité de la rémunération
offerte par l’organisation
relativement aux rémunérations proposées par les
employeurs concurrents au moment du recrutement. La seconde relève du
caractère
incitatif ou non du contrat salarial pour motiver les salariés à
remplir la mission qui leur est confiée dans l’entreprise.
Ce caractère
incitatif dépend de la nature de la rétribution offert par l’entreprise pour
rétribuer l’effort consenti par
les salariés et du sentiment d’équité perçu par
les travailleurs.
Enfin, le système de rémunération de l’entreprise est soumis à l’influence
de plusieurs parties prenantes telles que les pouvoirs
publics, les
organisations syndicales et les médias qui interviennent directement ou
indirectement sur la politique salariale
mise en œuvre par l’organisation.
Dans un temps est analysé le rôle de la politique de rémunération dans
l’attractivité de l’organisation sur le marché du travail
(section 2). Ensuite,
la politique de rémunération est appréhendée dans sa capacité à constituer
un contrat incitatif équitable pour
motiver les salariés au sein de
l’organisation (section 3). Dans un troisième temps, les différentes parties
prenantes impliquées dans la définition de la politique de rémunération
sont
présentées (section 4). Dans la section suivante, quatre systèmes de
rémunération différents sont présentés ; chacun ayant des avantages et des
inconvénients pour répondre aux différentes tensions auxquelles est
soumise la politique de rémunération (section 5). Finalement, dans une
dernière partie est exploré le rôle de la créativité salariale dans le
management des ressources humaines
(section 6).
Section 2 LA RÉMUNÉRATION COMME

FACTEUR D’ATTRACTIVITÉ


SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL

1 La rémunération comme prix de marché pour


l’acquisition de ressources humaines
Au niveau macroéconomique, dans une situation de concurrence pure et
parfaite, les mécanismes concurrentiels du marché du
travail déterminent,
pour une qualification donnée, le salaire d’équilibre et le nombre de
travailleurs disponibles pour ce
salaire. La recherche d’emploi de la part des
individus est fonction du niveau de salaire offert par les employeurs.
Compte
tenu de la « désutilité » intrinsèque supposée du travail, la demande
d’emploi est une fonction croissante du salaire. Inversement,
l’offre
d’emploi de la part des entreprises est une fonction décroissante du salaire
car le niveau de rémunération détermine
la rentabilité du recrutement et
l’intérêt de la substitution du facteur travail par du capital technique. Ainsi,
une hausse
du salaire sur le marché du travail augmente le nombre de
demandeurs d’emploi et, parallèlement, diminue l’offre d’emploi
de la part
des employeurs. Inversement, une baisse des rémunérations, en diminuant
le coût du travail, contribue à augmenter
l’offre d’emploi de la part des
employeurs et à diminuer la demande d’emploi de la part des individus. De
manière dynamique,
une pénurie de compétences sur un segment du marché
du travail entraîne une concurrence entre les employeurs qui induit une
hausse des rémunérations. À court terme, cela conduit certains employeurs
à renoncer à recruter et, à moyen terme, cela incite
des individus en
recherche d’emploi à se former pour trouver un emploi sur ce segment du
marché du travail. Le salaire, en
tant que prix de marché, est donc un
déterminant majeur du comportement des acteurs du marché du travail.
Un employeur qui souhaite recruter un salarié est en concurrence avec
d’autres employeurs sur le marché du travail. Cette
concurrence est plus ou
moins intense en fonction de la similarité des compétences recherchées et
de la localisation géographique.
Par exemple, les entreprises horlogères
helvétiques qui recrutent des artisans horlogers sont en forte concurrence
car elles
recherchent les mêmes compétences dans le même espace
géographique.
Le salaire offert est une composante clé de l’attractivité d’une entreprise
sur le marché du travail. Un employeur qui offre
une rémunération
inférieure à celle de ses concurrents sur le marché du travail reçoit
nécessairement moins de candidatures
ou des candidatures de moindre
qualité. Pour une qualification donnée, il est donc déterminant pour un
employeur de connaître
et de tenir compte du salaire de marché.
En matière de rétention des ressources humaines, c’est la possibilité ou
non pour un salarié d’obtenir un salaire équivalent
ou supérieur chez un
autre employeur qui détermine son comportement chez son employeur
actuel. Si le salarié est assuré de
trouver un autre emploi au moins au même
salaire, alors il a, sous l’hypothèse de la désutilité du travail, intérêt à
minimiser
son effort car, s’il est identifié comme «  tire-au-flanc  », il sera
licencié mais trouvera un emploi dans une autre entreprise.
Cela suppose
également que l’information relative aux salariés ne circule pas entre les
employeurs. Dans la réalité, cette
condition n’est pas toujours vérifiée. Il
suffit de considérer les livrets de travail d’antan, les certificats de travail
et
les références demandés par les recruteurs.
En revanche, si le travailleur sait qu’il ne peut pas trouver un même
niveau de rémunération chez un autre employeur, notamment
en raison de
compétences spécifiques intransférables ou d’un accord d’entreprise
particulièrement favorable, alors il est
incité à avoir un comportement
honnête pour ne pas risquer de perdre un niveau de rémunération qu’il ne
pourra pas retrouver
dans une autre entreprise. Cette rationalité des
travailleurs a conduit à la définition du salaire d’efficience qui correspond
à
une gestion stratégique des rémunérations par les employeurs. Il s’agit pour
l’employeur d’attribuer un salaire supérieur
au salaire de marché afin
d’induire un coût pour le salarié en cas de départ de l’entreprise. Le
raisonnement tenu par l’employeur
est qu’un salarié rémunéré au-dessus de
sa valeur de marché, et conscient de l’être, ne prendra pas le risque
d’adopter un
comportement de « tire-au-flanc » et d’être licencié au cas où
il serait découvert car il ne pourrait pas retrouver un emploi
au même
niveau de salaire dans une autre entreprise. Il est donc efficient pour
l’employeur de rémunérer un salarié au-dessus
de son salaire de marché
afin de réduire le taux de démission des employés  et inciter les salariés à
adopter une norme d’effort
élevée.
Un système de rémunération n’est pas intrinsèquement attractif. Il l’est
relativement à ceux proposés par les concurrents
sur le marché du travail.
Un individu maximise ses revenus en vendant ses compétences à
l’employeur qui lui offre le plus
haut niveau de rémunération. L’attractivité
de l’organisation sur le marché du travail et la dynamique de la concurrence
peuvent
évoluer rapidement. Par exemple, au début des années 2000, pour
deux raisons, Google était une entreprise particulièrement
attractive dans la
Silicon Valley. D’une part, son statut de start-up en forte croissance
conférait une valeur potentielle
importante aux stock-options que
l’entreprise attribuait à ses salariés. D’autre part, il y avait une faible
concurrence sur
le marché du travail suite à la crise de l’industrie des
nouvelles technologies en 2001. En 2010, la situation était différente.
Google avait partiellement perdu de son attractivité en raison de la
stagnation de son cours de bourse qui ne rendait peu
attractive sa politique
d’attribution de stock-options. De plus, l’entreprise devait faire face à de
nouveaux concurrents
sur le marché du travail pour recruter des
informaticiens talentueux. L’un de ces concurrents était, Facebook. Cette
dernière
entreprise a recruté durant cette période plusieurs dizaines de
salariés chez Google. L’attractivité de Facebook était liée
au fait que
l’entreprise n’était pas encore cotée en bourse et qu’elle pouvait distribuer
des stock-options avec une espérance
de gains importants pour les salariés
au moment de l’introduction en bourse de l’entreprise. Pour essayer de
limiter le mouvement,
Google a décidé en janvier  2011 d’augmenter tous
les salaires de 10  % et d’accorder des bonus importants pour essayer de
rester
attractif face à la concurrence. L’introduction en bourse de Facebook
en 2012 et la stagnation du cours de son action ont
réduit l’attractivité d’un
des principaux concurrents de Google sur le marché du travail.
L’attractivité de l’entreprise sur le marché du travail dépend de sa capacité
à se différencier de ses concurrents par une
proposition de valeur originale
et à s’adapter aux nouvelles caractéristiques de la concurrence. L’attractivité
est donc une
dimension relative et évolutive. C’est en ce sens que la DRH
doit faire preuve de créativité managériale pour concevoir une
proposition
de valeur faite aux travailleurs qui soit plus attractive que celle de ses
concurrents. L’exemple de la banque
d’affaires Lazard illustre l’importance
de l’attractivité sur le marché du travail et le rôle de la créativité salariale
pour
attirer les ressources humaines stratégiques. Les activités de banque
d’affaires sont des activités intenses en connaissances.
Des travailleurs très
qualifiés constituent la principale ressource productive de l’entreprise. Les
revenus de ce type de
banques dépendent d’experts qui sont parfois
qualifiés de «  rainmakers  » (faiseurs de pluie). Les banques d’affaires se
livrent à une intense concurrence sur le marché du travail pour attirer
ces
experts et la rémunération, notamment à travers l’attribution de stock-
options, est un facteur déterminant de leur attractivité.
Hors, jusqu’en 2005,
Lazard était une banque dont le statut juridique de société en commandite
non-cotée en bourse ne permettait
pas d’attribuer des stock-options ou des
actions pour attirer des talents. Ses principaux concurrents de l’époque sur
le marché
du travail, à savoir Goldman Sachs, Morgan Stanley, Lehman
Brothers ou JP Morgan étaient des banques cotées en bourse que
leurs
politiques de rémunération actionnariale rendaient très attractives. Pour
endiguer les départs et attirer des talents,
le dirigeant de Lazard, Bruce
Wasserstein, a décidé de coter la banque en bourse. Cependant, pour
convaincre les analystes
financiers de recommander l’action aux
investisseurs et faire de l’introduction en bourse un succès, Lazard devait
s’assurer
de compter parmi ses salariés certains des meilleurs banquiers
d’affaires. Pour attirer les talents nécessaires à son introduction
en bourse,
et ne pouvant pas, comme ses concurrents attribuer des stock-options ou des
actions, la banque Lazard a attribué
à certains salariés des niveaux très
élevés de bonus garantis en cash. Cette politique de rémunération a permis
d’attirer
des talents mais a eu pour conséquence d’augmenter très fortement
la masse salariale et de lui faire atteindre une part des
revenus opérationnels
de la banque bien plus élevée que chez ses concurrents (cette part a dépassé
70  % contre moins de 60  %
dans les autres banques d’affaires). Cette
structure de coûts a rendu les analystes financiers réticents pour
recommander
l’achat de l’action de la banque auprès des investisseurs.
L’enjeu pour la banque Lazard fut de convaincre simultanément les
analystes que l’introduction en bourse permettrait de réduire la masse
salariale en substituant une politique de bonus en
cash par une politique
d’attribution de stock-options et de persuader ses salariés d’accepter ce
changement de rémunération
sans qu’ils ne quittent l’entreprise.
Au-delà de l’articulation des différentes composantes de la rémunération,
l’attractivité de la proposition de valeur dépend
aussi de son adéquation au
profil psychologique du travailleur visé. Ainsi, des jeunes diplômés qui
souhaitent travailler
sur les marchés financiers seront plus sensibles à la
politique de bonus alors qu’un jeune informaticien sera plus attiré
par la
politique de formation ou la qualité du matériel informatique fourni par
l’employeur. De même, l’aversion au risque
varie selon les individus et
dépend de la situation familiale des travailleurs. Un jeune diplômé
célibataire sans dette est
naturellement plus enclin à prendre des risques et à
accepter un faible salaire fixe avec une part variable importante.
Inversement,
un père ou une mère de famille qui doit financer la scolarité
de ses enfants et éventuellement rembourser un crédit immobilier,
sera
naturellement plus attiré par un salaire fixe de base plus élevé avec une part
variable plus réduite, quitte à avoir
une espérance de rémunération globale
plus faible mais plus stable. Ainsi, la fonction publique qui offre une
rémunération
stable à long terme du fait de la garantie de l’emploi qu’elle
propose, fait des administrations des employeurs attractifs
auprès de
travailleurs averses au risque et qui recherchent une stabilité de leurs
revenus.
Enfin, la politique de rémunération constitue un moyen de sélection des
salariés. Deux systèmes différents attireront des
profils d’individus
différents. Par exemple, dans les activités de gestion de fortune au sein des
établissements financiers,
il existe plusieurs systèmes de rémunération.
Dans les grandes banques, les gestionnaires de fortune (relationship
managers) ont, en général, une part importante de salaire fixe et une part
plus réduite de rémunération variable alors que dans de
petits
établissements spécialisés, type «  boutique  », société de gestion ou gérant
indépendant, le salaire fixe est souvent
plus faible et le système de
rémunération variable peut faire espérer une rémunération globale plus
élevée. Par exemple, un
gestionnaire de fortune d’une grande banque qui
gère 100 millions d’euros pour des clients fortunés, percevra 250 000 euros
de salaire fixe et potentiellement 50 000 euros de rémunération variable, ce
qui fait un gain potentiel de 300  000  euros.
Un établissement spécialisé
proposera à ce même gestionnaire un salaire fixe de 100  000  euros et lui
proposera de lui rétrocéder
50 % de la rentabilité générée par la gestion du
portefeuille. Si le portefeuille est de 100 millions d’euros et la rentabilité
est
de 1 %, le gestionnaire de fortune de l’établissement spécialisé percevra une
rémunération variable de 500  000  euros,
auxquels s’ajoutent les
100  000  euros de fixe, soit une rémunération globale de 600  000  euros.
Dans ce cas, il est plus rentable
pour le gestionnaire de fortune de travailler
dans l’établissement spécialisé que dans la grande banque. En revanche, si
le
portefeuille géré et/ou la rentabilité sont moindres, alors le gestionnaire
de fortune peut avoir une rémunération plus élevée
dans la grande banque
du fait de l’importance du salaire fixe. Cet arbitrage entre les systèmes de
rémunération est particulièrement
important à calculer quand un
gestionnaire de fortune d’une grande banque envisage une proposition de
recrutement d’un établissement
spécialisé. Il doit arbitrer entre, d’une part,
une rémunération globale potentiellement moins élevée mais un salaire fixe
plus important et, d’autre part, une rémunération globale potentiellement
plus élevée mais un salaire fixe garanti plus faible.
Le choix du gestionnaire
est lié à son degré d’aversion au risque, qu’elle lui soit intrinsèque ou lié à
sa situation personnelle
(tel que le fait d’avoir des enfants en bas âge, des
crédits à rembourser ou que son conjoint ait ou non une activité
professionnelle).
Son choix est également lié à la capacité qu’il s’attribue à
convaincre ses clients de le suivre chez son nouvel employeur
et à sa
capacité à trouver de nouveaux clients fortunés. Le système de
rémunération de l’établissement spécialisé est plus
attractif pour les
gestionnaires de fortune qui ont une faible aversion au risque et une forte
confiance en eux pour convaincre
leurs clients de changer de banque.
La rémunération offerte par un employeur est un déterminant important
de son attractivité par rapport à ses concurrents sur
le marché du travail.
Cependant, la difficulté pour l’employeur est de connaître la rémunération
de marché pour chaque profil
de compétences recherché. Cette difficulté est
d’autant plus grande que la rémunération ne se réduit pas au salaire de base
mais comprend une multitude d’éléments plus ou moins substituables selon
les individus. À cet égard, il y a une imperfection
de l’information sur le
marché du travail qui peut conduire l’organisation à faire une offre
insuffisante pour attirer un
candidat ou, inversement, à surpayer un
travailleur par rapport à son prix de marché. C’est pour réduire cette
imperfection
de l’information que s’est créée une offre d’enquêtes de
rémunération par des cabinets comme Aon-Hewitt, Mercer ou Hay afin
de
permettre aux DRH de connaître la rémunération de marché selon les
caractéristiques de la fonction (notamment le domaine
d’activité,
l’ancienneté, la localisation géographique, les responsabilités managériales
et l’industrie).

Cas d’entreprise
Un prestataire de service : les enquêtes de rémunération d’Aon-
Hewitt
La rémunération versée à un salarié est un prix de marché, celui d’une
ressource humaine acquise sur le marché du travail.
Cependant,
l’information sur ce marché est imparfaite et cela influence le
comportement des agents. Concrètement, un employeur
qui souhaite
recruter un salarié doit lui faire une proposition de rémunération qui
soit attractive par rapport aux autres
recruteurs potentiels. De même,
une entreprise qui souhaite conserver un talent doit savoir si ses
rémunérations sont suffisamment
compétitives pour retenir ses
salariés.
Cette imperfection de l’information a créé une opportunité de marché
pour des cabinets de conseil en ressources humaines qui
collectent les
données auprès des entreprises et les synthétisent pour définir un prix
de marché selon les fonctions, les
pays, les secteurs industriels et la
taille des entreprises.
Aon Hewitt est l’un de ces cabinets de conseil qui établit des
benchmarks de rémunération. Ainsi, pour chaque fonction, à
partir de
la compilation de données de plusieurs entreprises, Aon Hewitt fournit
le quartile inférieur et supérieur, le niveau
moyen et le niveau médian
pour le salaire de base, le bonus, les autres périphériques de la
rémunération et la rémunération
totale. Ces informations permettent à
l’employeur de savoir si la rémunération qu’il offre est supérieure ou
inférieure au
prix de marché. Dans le premier cas, son attractivité et sa
capacité de rétention sont élevées. Dans le second cas, les risques
de
démission et les difficultés de recrutement peuvent être plus
importants.
Aon Hewitt publie chaque année le Global Salary Planning Report qui
couvre une centaine de pays et plus de 500  fonctions différentes.
L’étude permet aux DRH d’avoir une idée précise du
positionnement
de la politique salariale de l’entreprise par rapport à ses concurrents sur
le marché du travail et de prendre
des décisions managériales en
fonction de l’évolution des rémunérations et des différences selon les
pays.

L’attractivité d’un employeur sur le marché du travail dépend de la qualité


de la proposition de valeur qu’il fait aux travailleurs
(Employee Value
Proposition) relativement à ses concurrents. Cependant, la proposition de
valeur ne se réduit pas au salaire de base mais correspond
à différents
éléments qui déterminent la rémunération à court terme (bonus, primes,
avantages en nature, assurance maladie,
etc.), à moyen terme (actionnariat,
formation, mobilité professionnelle, etc.) et à long terme (indemnités de
départ, assurance
retraite). D’autres éléments non-économiques, tels que
l’image de l’entreprise, la nature du produit, l’environnement de travail
ou
le degré d’autonomie, interviennent également dans l’attractivité de
l’organisation. Les différentes dimensions de la proposition
de valeur sont
plus ou moins substituables.

2 Le salaire comme facteur déterminant de la


rentabilité du travailleur
À un niveau microéconomique, le recrutement peut être considéré comme
une transaction sur le marché du travail au cours de
laquelle les deux
partenaires de l’échange, à savoir l’employeur et le travailleur, sont
d’accord sur l’équivalence du bien
échangé, à savoir la valeur de la force de
travail et son prix, en l’occurrence le salaire. Pour reprendre l’analyse des
économistes
classiques, les deux partenaires, effectuent la transaction parce
qu’ils conviennent que la valeur d’usage de la force de
travail, c’est-à-dire
sa capacité à créer de la valeur, vaut la valeur d’échange à laquelle elle est
achetée sur le marché
du travail, c’est-à-dire le salaire. C’est l’écart entre la
valeur d’usage et la valeur d’échange qui détermine la rentabilité
d’un
recrutement. Ainsi, il n’est pas rentable pour un employeur d’accorder à un
travailleur un salaire (valeur d’échange)
supérieur à sa création de valeur
(valeur d’usage).
La productivité d’un travailleur (valeur d’usage) est une fonction
croissante de son niveau de qualification. Aussi, le niveau
de rémunération
(valeur d’échange) est corrélé avec le niveau de qualification. Cependant, la
valeur d’usage d’un travailleur
varie aussi en fonction de l’adéquation de
ses compétences à l’environnement de travail de l’organisation. Pour une
qualification
donnée, un travailleur peut être plus productif dans une
entreprise que dans une autre. L’entreprise dans laquelle le salarié
est
potentiellement le plus productif a la capacité d’offrir le niveau de
rémunération le plus élevé sur le marché du travail
pour attirer le travailleur
considéré. Par exemple, si le travailleur A peut potentiellement créer 100 de
valeur dans l’entreprise
1 et 80 de valeur dans l’entreprise 2, si l’entreprise
1 propose une rémunération de 81, elle est plus attractive que l’entreprise
2
car cette dernière n’a économiquement pas la capacité d’offrir une
rémunération supérieure à 80. En proposant 81, l’entreprise
1 est plus
attractive et peut s’approprier 19 de la valeur ajoutée créée par le salarié.
Enfin, le rapport entre la valeur d’usage et la valeur d’échange peut
évoluer. Ces deux valeurs sont soumises à des logiques
indépendantes. La
valeur d’usage dépend de l’organisation du travail alors que la valeur
d’échange est déterminée par les
mécanismes concurrentiels du marché du
travail. Plusieurs configurations sont possibles dans l’évolution de la valeur
d’usage
et de la valeur d’échange. Ces évolutions structurent les
négociations salariales entre l’employeur et l’employé.

2.1 L’évolution de la valeur d’usage


Un premier cas correspond à une variation positive de la valeur d’usage,
c’est-à-dire une augmentation de la productivité
du salarié. Le salarié en
activité accumule des savoirs de différentes formes (savoir technique,
constitution d’un réseau
de clientèle, etc.) qui contribue à accroître sa
productivité, c’est-à-dire sa valeur d’usage. Cette dernière peut devenir
bien
supérieure à sa valeur d’échange, c’est-à-dire à son salaire. Dans cette
configuration, deux stratégies sont envisageables
pour l’employeur :
soit l’employeur ajuste automatiquement à la hausse la valeur
d’échange du salarié, son salaire, pour partager l’augmentation
de
valeur ajoutée créée par le salarié. C’est notamment le cas quand le
salarié a une rémunération variable liée à son activité ;
soit l’employeur n’accorde pas d’augmentation salariale et s’approprie
la valeur ajoutée créée. En cas de désaccord du salarié,
ce dernier a
deux stratégies possibles en fonction de la transférabilité de ses
compétences. Si les savoirs accumulés sont
transférables à d’autres
entreprises avec la même valeur d’usage, c’est-à-dire la même
productivité, alors le salarié a rationnellement
intérêt à négocier la
mise à disposition de ses compétences auprès d’un autre employeur
pour obtenir une valeur d’échange
plus élevée. Dans ce cas, le salarié
active les mécanismes concurrentiels du marché du travail pour quitter
l’entreprise  :
c’est la stratégie de sortie ou «  exit  »[1]. Une stratégie
annexe à celle-là consiste à obtenir une offre d’un autre employeur
pour négocier une augmentation de rémunération
avec l’employeur
actuel.

En revanche, si les savoirs accumulés ne sont pas transférables à


d’autres entreprises avec le même niveau de valeur d’usage
en raison
de la spécificité des compétences, alors la seule stratégie possible pour
le salarié est de protester, éventuellement
de faire grève, pour instaurer
un rapport de force et menacer l’employeur d’actions qui entraîneront
des pertes de production
et des pertes financières importantes. Cette
stratégie de contestation («  voice  ») lui permet d’obtenir une
augmentation salariale. Augmentation que l’employeur est enclin à
accorder tant que l’augmentation
de la valeur d’échange ne dépasse
pas le niveau de la valeur d’usage.
Un second cas correspond à une variation négative de la valeur d’usage,
c’est-à-dire une diminution de la productivité du
salarié, qui conduit à ce
que la valeur créée par le travailleur soit inférieure à sa valeur d’échange.
Cette baisse de productivité
du travailleur peut être liée à une obsolescence
de ses compétences ou à leur inadaptation du fait d’un changement de
l’environnement
de travail (nouveau produit, nouvelle technologie, etc.).
Dans ce cas, cinq stratégies sont possibles. Soit le salarié accepte
une baisse
de sa rémunération, ce qui est parfois automatique lorsque le salaire est
indexé à la performance individuelle.
Soit le salarié entre en conflit avec
son employeur pour maintenir sa rémunération ; ce qu’il sera d’autant plus
enclin à
faire si le droit et son contrat de travail le protègent. Soit il quitte
l’entreprise en espérant trouver un niveau de rémunération
plus élevé
auprès d’un autre employeur. Il peut également accepter d’être licencié par
son employeur. Enfin, l’employeur et
l’employé peuvent se mettre d’accord
sur une action de formation qui permettra d’accroître la valeur d’usage du
salarié.

2.2 L’évolution de la valeur d’échange


La valeur d’échange, le salaire, est déterminée par les mécanismes
concurrentiels du marché du travail. Deux configurations
d’évolution de la
valeur d’échange sont possibles.
Dans un premier cas, la valeur d’échange augmente du fait d’une pénurie
sur le marché du travail qui fait monter le prix d’équilibre.
Dans ce cas, la
valeur d’échange présente du salarié est supérieure à celle à laquelle il a été
recruté par le passé. Par
exemple, lors du passage à l’an 2000, les craintes
de pannes informatiques ont accru la demande d’informaticiens et généré
une pénurie sur le marché du travail qui s’est traduit par une augmentation
du salaire de marché de ces travailleurs. Dans
ce cas, l’entreprise peut
spontanément accorder au salarié une augmentation de rémunération
jusqu’à égaler la valeur d’échange
fixée par le marché pour s’assurer que le
salarié ne quitte pas l’entreprise. Elle peut également attendre que le salarié
négocie une augmentation de rémunération, ce qui s’apparente à une
relation de conflit, ou du moins à un rapport de force
(« voice »). Dans cette
dernière hypothèse, l’employeur risque que le salarié quitte l’entreprise
(« exit ») pour obtenir un meilleur niveau de rémunération. Dans la mesure
où la stratégie de sortie (« exit ») est naturellement préférée à la stratégie de
conflit (« voice »), l’employeur prend un risque non négligeable de voir ses
salariés démissionner en n’étant pas proactif dans sa politique
de
rémunération en cas d’augmentation des salaires sur le marché du travail.
Dans un second cas, la valeur d’échange du travailleur peut baisser du fait
d’un excédent de demandeurs d’emploi sur le marché
du travail qui fait
baisser le prix d’équilibre. Dans ce cas, le salaire d’un travailleur recruté
lorsque le prix d’équilibre
sur le marché était plus élevé est supérieur à celui
de son collègue qui a été recruté à la nouvelle valeur d’échange fixée
par le
marché du travail. Cette baisse de la valeur d’échange peut résulter d’une
ouverture des marchés du travail qui favorise
les flux migratoires de
travailleurs ou qui permet à des entreprises de s’installer sur d’autres
marchés du travail pour recruter
des salariés à moindres coûts. La
globalisation du marché du travail qui conduit les entreprises à choisir la
localisation
de leurs unités de production en fonction des salaires et à
délocaliser dans des pays à faibles coûts de main-d’œuvre illustre
cette
configuration. Ainsi, les constructeurs automobiles français ont délocalisé
leurs usines dans les pays d’Europe de l’Est
où les salaires (valeur
d’échange) sont plus faibles pour une productivité (valeur d’usage)
similaire. Au cours des années
2010, la menace de délocalisation a constitué
un argument de négociation pour les employeurs afin d’obtenir des baisses
de
rémunération de la part des ouvriers français dans le cadre d’accord de
productivité.
Lorsque la valeur d’échange d’un salarié baisse, soit l’employeur négocie
avec le travailleur une baisse de rémunération pour
s’ajuster au salaire de
marché, ce qui peut permettre à l’employeur de s’approprier une part plus
importante de la valeur
ajoutée créée par le salarié. Cette négociation peut
aboutir à une situation de conflit entre l’employeur et l’employé.
Cependant,
fréquemment le conflit se conclut par un licenciement des
salariés et leur remplacement par des travailleurs rémunérés au
nouveau
salaire de marché. En cas de rigidité salariale au sein d’une entreprise, le
risque est que des concurrents payant
les salariés au nouveau salaire de
marché, en étant plus compétitifs et plus rentables, finissent par acculer
l’entreprise
à la faillite.

3 Les limites des déterminants concurrentiels de la


politique de rémunération
La politique de rémunération n’est pas strictement déterminée par les
mécanismes concurrentiels du marché du travail. Trois
facteurs limitent une
pure régulation marchande de la politique de rémunération au sein des
organisations.

3.1 La spécificité du capital humain


Une parfaite régulation concurrentielle des salaires suppose implicitement
une parfaite substituabilité des individus, notamment
pour pouvoir
remplacer un salarié par un autre moins rémunéré sans perte de
productivité. Or, dans le fonctionnement de l’entreprise,
les travailleurs sont
amenés à accumuler des compétences spécifiques liées aux produits de
l’entreprise, à l’organisation
du travail, aux technologies de production et à
l’environnement social de travail. L’accumulation de ce capital humain
spécifique
induit un coût implicite lorsque l’apprentissage se fait au cours
de l’activité et un coût explicite lorsqu’il est accumulé
à travers des stages
de formation. Lorsque le capital humain accumulé par le salarié est
spécifique à l’entreprise, cela signifie
qu’il entraîne une augmentation de la
productivité uniquement dans l’entreprise. Cette spécificité réduit la
transférabilité
des salariés et donc la possibilité, tant pour l’employeur que
pour le travailleur, de recourir aux mécanismes concurrentiels
du marché du
travail dans le cadre des négociations salariales.
Pour l’employeur, se séparer d’un salarié détenteur de compétences
spécifiques pour le remplacer par un autre acceptant une
moindre
rémunération afin de réduire les coûts salariaux, s’accompagne
mécaniquement d’une baisse de la productivité du nouveau
travailleur.
L’amélioration de la productivité de ce dernier ne peut résulter que d’une
accumulation des compétences spécifiques
nécessaires pour occuper le
poste de travail. Dans ce cas, le recours aux mécanismes concurrentiels du
marché du travail n’est
pas rentable pour l’entreprise si le coût d’acquisition
de compétences par le nouveau travailleur est supérieur à l’économie
de
salaire réalisée par le licenciement du salarié remplacé.
Pour le salarié, la détention de compétences spécifiques à son entreprise
signifie que sa productivité est maximale chez son
employeur actuel et que
sa productivité serait nécessairement moindre dans une autre entreprise.
Cette baisse de productivité
induite par une mobilité externe signifie pour le
travailleur détenteur de compétences spécifiques qu’il recevra
nécessairement
une rémunération plus faible en accord avec sa moindre
productivité. Le salarié n’a, dans ce cas, pas intérêt à changer d’employeur
car il subirait une baisse de salaire. La spécificité des compétences prive le
salarié de la possibilité de recourir aux mécanismes
concurrentiels du
marché du travail pour mettre en compétition les employeurs. Plus les
compétences d’un travailleur sont
spécifiques à l’entreprise, et donc
intransférables dans d’autres entreprises avec le même niveau de
productivité, et plus
son pouvoir de négociation lié à son employabilité est
faible.

3.2 La contrainte d’équité interne


La relation entre l’employeur et un salarié donné est influencée par la
nature de la relation salariale entre l’employeur
et les autres salariés.
L’ensemble des contrats de travail constitue une norme collective qui définit
la règle d’équité et
limite la marge de manœuvre de l’employeur et d’un
potentiel salarié en matière de rémunération. Ainsi, si une pénurie sur
le
marché du travail entraîne une hausse du salaire de marché pour un profil
de compétences donné, il est difficile pour un
employeur de justifier le
recrutement d’un salarié à une rémunération supérieure à celle attribuée à
un salarié ayant les
mêmes compétences mais ayant été recruté à une
période antérieure à laquelle le salaire de marché était plus bas. Une
solution
pour l’employeur consiste à ajuster les salaires des travailleurs en
place à celui du nouveau travailleur recruté à un salaire
supérieur afin
d’éviter des situations de conflit ou des démissions provoquées par le
sentiment d’iniquité. Cependant, ce
choix peut entraîner un accroissement
de la masse salariale qui sera préjudiciable à la marge opérationnelle de
l’entreprise.
La rationalité budgétaire limite les possibilités d’ajustement
entre la contrainte d’attractivité et celle d’équité.
Inversement, lorsque l’accroissement de la demande d’emploi entraîne
une baisse du salaire de marché, l’employeur ne peut
pas exiger une baisse
trop importante des prétentions salariales d’un candidat qu’il souhaite
recruter s’il a précédemment
recruté un salarié avec le même profil de
compétences ou le même diplôme à un salaire supérieur. Le marché du
travail des
jeunes diplômés de l’enseignement supérieur illustre ce
mécanisme. D’une année sur l’autre, le salaire de marché des nouveaux
diplômés peut baisser. Cependant, un employeur qui aurait recruté un
diplômé d’une école donnée peut difficilement recruter
l’année suivante un
diplômé de la même école à un salaire inférieur car cela serait jugé
inéquitable par les travailleurs.
Cette tension se révèle particulièrement marquée lorsque les emplois sont
positionnés à travers des systèmes de pesée des
postes (par exemple des
sociétés de conseil comme Mercer et Hay réalisent ce type d’évaluation).
Ces systèmes sont fondés
sur une logique d’équité et ils mesurent la
contribution des postes à l’activité de l’entreprise (ce qui correspond à
évaluer
la valeur d’usage) pour construire une grille salariale. Cependant,
cette hiérarchie peut être soumise aux tensions sur le
marché du travail et,
pour des contributions identiques, certains postes peuvent nécessiter des
niveaux de rémunérations plus
importants que d’autres pour attirer les
candidats. La gestion de cette tension entre attractivité et équité amène les
entreprises
à définir des grilles de rémunération complexes pour se ménager
des marges de flexibilité salariale.
Ainsi, les rémunérations accordées aux salariés lors de leur recrutement
contribuent à fixer une norme plus ou moins rigide
qui définit l’équité
salariale au sein de l’organisation. L’employeur doit tenir compte de cette
norme lors de nouveaux recrutements,
même si le salaire de marché a
fortement varié. La prise en compte de cette dimension peut conduire les
entreprises à créer
de nouvelles entités juridiques pour mettre en place des
politiques de rémunération qui s’affranchissent de cette contrainte
d’équité
interne et qui s’adaptent à l’évolution du salaire de marché.

3.3 Le cadre réglementaire


La relation salariale entre un employeur et un travailleur est partiellement
déterminée par un ensemble de règles qui limitent
le rôle des mécanismes
concurrentiels du marché du travail pour déterminer la rémunération au
moment de la conclusion du contrat
de travail puis ensuite au cours de la
relation de travail. Ces règles peuvent relever de la législation nationale,
notamment
pour ce qui concerne un éventuel salaire horaire minimum, la
rémunération des heures supplémentaires, les augmentations automatiques
indexées sur l’inflation ou la taxation des avantages en nature. Ces règles
salariales peuvent également relever d’une convention
collective négociée
par les partenaires sociaux au niveau sectoriel et porter sur des éléments
comme la rémunération à l’ancienneté
ou la définition d’une classification
salariale. Les règles salariales peuvent aussi être définies dans le cadre d’un
accord
d’entreprise et porter sur les mêmes éléments que la convention
collective mais avec un champ d’application restreint à l’entreprise.
Enfin,
le contrat de travail constitue un ensemble de règles qui fixe de manière
plus ou moins irréversible la rémunération
du salarié. Un changement
important par l’employeur, sans l’accord du salarié, des règles de
rémunération définies dans le
contrat de travail peut constituer une
modification substantielle du contrat de travail et être considéré par les
tribunaux
comme une rupture abusive du contrat de travail.
Le cadre réglementaire encadrant la relation salariale constitue une
contrainte pour ajuster la politique de rémunération
de l’entreprise aux
salaires fixés par le marché du travail. Généralement, ces règles sont
perçues comme un facteur de rigidité
à la baisse des salaires. Cependant,
elles peuvent également constituer une limite à une augmentation des
salaires. Ainsi,
les administrations publiques, dont la politique de
rémunération est fixée par des grilles salariales strictes, peuvent avoir
des
difficultés à recruter des individus dont le niveau de rémunération sur le
marché du travail n’entre pas dans leur grille
de classification. Par exemple,
les administrations en charge de la régulation des marchés financiers ont
des difficultés
à recruter certains experts dont la valeur de marché fixée par
les employeurs du secteur bancaire est si élevée qu’elle est
hors des grilles
salariales existantes. Ces tensions entre les mécanismes concurrentiels et le
cadre réglementaire du secteur
public obligent les administrations à mettre
en place des dispositifs permettant de déroger aux grilles salariales
publiques.
Cela peut se faire en définissant un statut hors-classe, en
recourant à des contrats de travail de droit privé ou en utilisant
des sous-
traitants.

Section 3

LA RÉMUNÉRATION COMME

FACTEUR DE MOTIVATION DES INDIVIDUS

AU SEIN DE L’ORGANISATION

Dans un premier temps, la politique de rémunération contribue donc à


l’attractivité de l’organisation sur le marché du travail.
Dans un deuxième
temps, la rémunération intervient dans la motivation des individus à remplir
la mission qui leur est assignée
par l’employeur. Cette dimension incitative
est d’autant plus importante lorsqu’il existe une asymétrie d’information
entre
l’employeur et l’employé. Cette asymétrie signifie que le premier ne
peut pas contrôler le second de manière permanente à
un coût raisonnable
pour l’entreprise. Dans ce cas, la politique de rémunération doit constituer
un contrat incitatif qui
motive les travailleurs à remplir correctement leur
fonction.
La compréhension de l’impact de la rémunération sur le comportement
des individus ne se réduit pas à la stricte rationalité
économique des agents.
Au-delà de la dimension économique, des facteurs sociologiques et
psychologiques interviennent dans
la signification qu’accordent les
individus à leur rémunération. À cet égard, la théorie des besoins,
notamment avec les travaux
de Maslow[2], permet de mieux appréhender
l’impact sur la motivation des individus que peut avoir une politique de
rémunération en répondant
aux différentes natures des besoins humains. La
théorie des besoins définit trois catégories de besoins. La première relève
des besoins primaires et correspond aux besoins physiologiques et aux
besoins de sécurité tels que se nourrir, se loger, entretenir
sa santé ou se
déplacer. La seconde relève des besoins secondaires liés au besoin
d’appartenance à un groupe social et de
reconnaissance par ses pairs. La
troisième catégorie correspond à des besoins tertiaires relevant de l’estime
de soi et d’accomplissement
personnel. Ces trois catégories correspondent à
des dimensions économiques, sociologiques et psychologiques de la
motivation
des individus. L’entreprise doit tenir compte de ces trois
dimensions dans sa définition de sa politique de rémunération.

1 La rémunération et la dimension économique de


la motivation
La compréhension de la dimension économique de la motivation peut
s’appuyer sur l’articulation de la théorie économique et
la théorie des
besoins. L’analyse économique pose le principe de la désutilité intrinsèque
du travail. L’activité productive
n’est pas recherchée pour elle-même mais
pour les revenus monétaires qu’elle apporte à l’individu qui vend sa force
de travail.
La rémunération permet au travailleur de satisfaire ses besoins
primaires tels que se nourrir, se loger ou se soigner. Par
extension,
l’espérance de gains monétaires induite par une implication importante dans
les activités professionnelles est
une source importante de motivation pour
les individus. Par exemple, certains producteurs de cinéma conviennent
avec les acteurs
de les rémunérer en leur attribuant un pourcentage des
recettes générées par le film en contrepartie d’une rémunération fixe
plus
faible. Ce dispositif présente deux avantages pour le producteur, d’une part
il réduit les coûts fixes de réalisation
du film et, d’autre part, il constitue un
système incitatif pour les acteurs qui vont s’engager activement dans la
promotion
du film pour accroître leurs gains monétaires.
Dans cette logique économique, les individus sont amenés à arbitrer entre
le temps consacré au travail pour percevoir un salaire
et le temps consacré à
leurs loisirs. S’ils jugent le salaire offert ou la prime proposée pour accroître
leur effort insuffisant,
alors ils arbitrent en faveur de leurs loisirs et se
retirent du marché du travail ou limitent leurs efforts. Par exemple,
une
compagnie d’assurance ayant lancé un nouveau produit d’assurance-vie a
connu un échec commercial important car la commission
versée aux agents
généraux en charge de la distribution du produit n’était pas assez élevée.
Les agents généraux dont les
revenus étaient suffisants au regard de leur
mode de vie n’ont pas jugé que la rémunération proposée pour leur effort de
commercialisation
du nouveau produit justifiait de renoncer à leurs loisirs.
Il faut donc que la rémunération de l’effort soit supérieure au
coût personnel
de l’effort subjectivement mesuré par les individus pour influencer le
comportement de ces derniers.
L’espérance de gains monétaires est donc un facteur de motivation des
individus. Cela peut être une espérance de gains à court
terme (bonus,
primes) ou à moyen terme par le biais d’une promotion professionnelle qui
entraîne une augmentation de salaire.
Par exemple, le passage de la fonction
de consultant ou d’auditeur junior à celle de consultant ou d’auditeur senior
puis
de manager, se traduit par une augmentation de rémunération souvent
significative. Dans ce cas, c’est l’accroissement des
revenus induit par la
promotion qui est une source de motivation pour accomplir la mission
définie par l’employeur.
La politique de rémunération tient donc compte de l’horizon
d’optimisation des individus. La stratégie rationnelle pour l’employeur
consiste à différer le plus possible le paiement de l’effort réalisé pour
s’assurer que l’effort sera reproduit. Par exemple,
le versement mensuel du
salaire garantit que le salarié viendra travailler tous les jours pour percevoir
son salaire à la
fin du mois. Une entreprise qui verse les salaires à la fin de
chaque journée prend le risque que ses salariés ne reviennent
pas travailler
le lendemain. Dans ce cas, la stratégie rationnelle de l’employeur est
d’inciter le salarié à dépenser rapidement
son salaire pour l’obliger à revenir
travailler le lendemain. Ainsi, par le passé, certains employeurs versaient
les salaires
à leurs ouvriers dans des bars, conduisant les salariés à dépenser
rapidement leurs gains en boissons ou au jeu. Cette dilapidation
de leur
salaire les obligeait à revenir travailler le lendemain. C’est pour cette raison
que le code du travail français spécifie
que le salaire ne peut pas être versé
dans un débit de boisson. De manière moins anecdotique, le versement des
bonus de fin
d’année et l’attribution de stock-options visent également à
assurer un niveau d’effort continu de la part d’individus rationnels
qui
maximisent leurs intérêts économiques sur un horizon temporel de moyen
terme. Cette rationalité économique des individus
explique les démissions
des traders après que leurs bonus annuels leur ont été versé (et non pas
avant). Elle explique également
les démissions des salariés des start-ups
après que l’entreprise qui les emploie soit cotée en bourse  ; (et non pas
avant)  ;
cette cotation leur permet d’exercer leurs stock-options pour
revendre leurs actions et réaliser une plus-value.
La rationalité économique qui motive l’individu à agir pour maximiser
ses revenus est au centre de la théorie du contrat incitatif
en situation
d’asymétrie d’information définie par la théorie économique. La théorie de
l’agence[3] décrit une situation dans laquelle une personne (le principal)
engage une autre personne (l’agent) pour exécuter en son nom
une tâche
quelconque qui implique une délégation d’un certain pouvoir de décision à
l’agent. Il y a une problématique managériale
particulière en cas
d’asymétrie d’information entre le principal et l’agent impliquant que le
premier n’a pas la possibilité
de contrôler in situ et au moindre coût que le
second s’implique au mieux dans la réalisation de sa mission. Dans ce cas,
la politique de rémunération
doit définir un contrat incitatif pour amener
l’agent à maximiser les intérêts du principal tout en optimisant ses propres
intérêts. Un exemple illustratif est celui des relations entre les actionnaires
d’une entreprise, qui représentent le principal,
et les dirigeants qui eux
tiennent le rôle de l’agent. Les actionnaires délèguent aux dirigeants la
gestion de l’entreprise.
Les premiers, pour inciter les seconds à maximiser
les intérêts des actionnaires, à savoir la rentabilité et la valeur de
l’action,
peuvent proposer aux dirigeants de devenir actionnaires de l’entreprise à
travers une politique de rémunération
qui attribue des stock-options ou des
actions de l’entreprise. Dans ce cas, sous l’hypothèse que les individus sont
motivés
par les gains monétaires qu’ils peuvent réaliser, les dirigeants
chercheront à accroître la valeur des actions de l’entreprise
pour accroître
leurs propres gains et, ce faisant, optimiser les intérêts du principal, à savoir
les actionnaires. L’actionnariat
des dirigeants est donc perçu comme un
contrat incitatif qui motive l’agent (les dirigeants) à remplir au mieux la
mission
fixée par le principal (les actionnaires) sans que ce dernier ne soit
obligé de contrôler systématiquement le comportement
de l’agent. Le
système de rémunération assure la convergence des intérêts entre les
dirigeants et les actionnaires.
Les fonds de private equity (capital-investissement) qui investissent au
capital d’entreprises de manière importante sans prendre en charge le
management
opérationnel se retrouvent dans cette situation d’asymétrie
d’information. La nature du contrat incitatif qu’ils offrent aux
managers
opérationnels est déterminante dans le succès de leur investissement car elle
influence le degré d’implication des
dirigeants. Généralement, les
gestionnaires de fond de private equity, préalablement à leur prise de
contrôle de l’entreprise, proposent aux dirigeants en place ou aux personnes
pressenties pour
diriger l’entreprise, de leur distribuer des actions et,
surtout, ils leur demandent de s’endetter pour investir à titre personnel
dans
le capital de l’entreprise qu’ils dirigent ou qu’ils vont diriger. Ce système de
rémunération permet d’exposer les dirigeants
à un risque de perte important
mais également à un potentiel de gain financier conséquent. Ce dispositif
garantit aux investisseurs
un engagement élevé des dirigeants pour assurer
la réussite de l’entreprise. Si les dirigeants refusent le contrat, ils révèlent
implicitement qu’ils ne sont pas confiants dans le devenir de l’entreprise et
cela peut conduire les investisseurs à renoncer
à leur investissement.
Plus généralement, les mécanismes de rémunération différée comme celui
des stock-options ou des bonus différés favorisent
la stabilité des salariés
dans la mesure où leur rationalité économique les incite à rester dans
l’entreprise pour percevoir
la rétribution de leurs efforts passés. Dans cette
même logique d’utilisation de la politique de rémunération pour favoriser
la
rétention des salariés, certains employeurs lient la rémunération du salarié à
son ancienneté dans l’organisation. Par
exemple, Starbucks ne prend en
charge l’assurance maladie et n’inclut dans le plan de retraite de l’entreprise
que les salariés
qui ont au moins une année d’ancienneté. De même,
certaines entreprises lient le nombre de semaines de vacances
supplémentaires
au nombre d’années passées dans l’entreprise (par
exemple, une semaine supplémentaire au bout de dix ans et deux semaines
au bout de vingt ans d’ancienneté). Le principe étant qu’un salarié qui
démissionne a peu de chance de trouver des avantages
identiques comme
nouveau salarié dans une autre entreprise.
Dans la même logique, certaines entreprises accordent des prêts à des taux
préférentiels qui doivent être remboursés en cas
de démission. Cela
constitue une autre forme d’avantage qui favorise la rétention de salariés
qui optimisent leurs intérêts
économiques.

2 La rémunération et la dimension sociologique de


la motivation
La théorie des besoins apporte un éclairage intéressant sur les différentes
formes de rétribution que constitue la rémunération
et les différents ressorts
de motivation qu’elle active. Au-delà de la rétribution du travail, la
politique de rémunération
peut répondre au besoin de reconnaissance
sociale des individus car elle constitue aussi une forme de rétribution
symbolique.
En ce sens, elle contribue à satisfaire les besoins secondaires
liés au besoin d’appartenance à un groupe social par l’employeur
et de
reconnaissance par ses pairs. D’un point de vue sociologique, la
rémunération a une dimension symbolique importante
car elle traduit la
reconnaissance sociale par l’employeur du travail effectué par l’employé.
Elle contribue à la construction
de la hiérarchie sociale à l’intérieur et à
l’extérieur de l’organisation, notamment dans les milieux sociaux et
professionnels
qui confèrent un statut social prestigieux à ceux qui, parmi
de leurs membres qui ont les plus hauts niveaux de rémunération.
Obtenir la plus haute rémunération d’un groupe d’individus permet d’être
au sommet de la hiérarchie professionnelle que constitue
une communauté
des salariés. Par exemple, au sein d’un groupe de commerciaux, l’enjeu de
la prime ou du bonus accordé au meilleur
vendeur est souvent lié au statut
social qu’elle ou il confère, plus qu’au gain monétaire en lui-même.
L’attribution d’une
prime signifie que l’employeur reconnaît publiquement
la performance d’un salarié et cela répond aux besoins secondaires des
individus liés à la reconnaissance sociale.
Les organisations constituent des communautés de travail dans lesquelles
les individus cherchent la reconnaissance de leurs
pairs. Au-delà de l’aspect
financier que peut représenter une récompense, il y a la visibilité sociale
que celle-ci peut conférer
à son bénéficiaire. Plus la récompense obtenue est
connue des autres membres de la communauté professionnelle et plus le
niveau
de reconnaissance sociale pour celui qui la reçoit est important.
Aussi, certaines entreprises, pour un coût identique, préfèrent
donner un
avantage en nature bien visible de tous pour rétribuer un salarié performant
plutôt qu’une prime financière. Un
tel avantage permet de reconnaître
publiquement les salariés performants et, implicitement, ceux qui le sont
moins.
Pour cette raison, au-delà de sa dimension financière, la politique de
rémunération, notamment à travers les avantages en
nature, influence la
motivation des salariés car elle correspond également à une forme de
reconnaissance (ou une non-reconnaissance)
publique de l’employeur.
Ainsi, l’attribution d’une voiture de fonction ou d’un smartphone, en tant
qu’avantage en nature, constitue un attribut hautement symbolique de la
hiérarchie professionnelle dans l’entreprise
et un révélateur du statut social
du détenteur au sein de la communauté que constitue une entreprise. Ces
rétributions symboliques
publiquement visibles se retrouvent dans les
conditions de travail. Ainsi, avoir ou non un bureau individuel, la taille du
bureau, l’étage du bureau, ou avoir un bureau d’angle sont autant
d’éléments symboliques qui signalisent implicitement la
hiérarchie sociale
de l’entreprise. Un grand cabinet d’audit, qui pour des raisons fiscales
avantageuses, accordait des voitures
de fonction à ses salariés, usait de cette
rémunération en nature pour signaler la hiérarchie sociale de l’entreprise.
Les
senior partners étaient dotés d’une Audi A8, les partners d’une Audi
A6, les associate partners d’une Audi A4 et les managers d’une Audi A3.
Ainsi chaque matin, les salariés pouvaient visualiser la hiérarchie sociale
de
l’organisation sur le parking de l’entreprise et bénéficier ou non de la
reconnaissance de leurs pairs.

3 La rémunération et la dimension psychologique


de la motivation
La théorie des besoins met en avance l’importance de la satisfaction des
besoins tertiaires comme facteur de motivation des
salariés. Ce sont les
besoins liés à l’estime de soi et l’accomplissement personnel. Dans cette
perspective, la politique
de rémunération, et plus largement les éléments de
rétribution, contribuent également à la motivation des individus.
Dans certains secteurs activités, l’estime que le salarié s’attribue à lui-
même dépend de sa rémunération. Par exemple, dans
l’industrie financière,
où les individus tendent à considérer que les mécanismes concurrentiels du
marché définissent la valeur
des biens et des personnes, l’importance du
salaire obtenu auprès d’un employeur finit par être un élément déterminant
de
l’estime que l’individu s’accorde à lui-même.
Au-delà du rôle que la rétribution financière joue dans l’estime qu’un
individu se porte à lui-même, de nombreux autres éléments
non monétaires
fournis par l’employeur contribuent à l’accomplissement personnel des
salariés. Ainsi, la mission de l’organisation,
l’autonomie accordée dans la
fonction, le contenu du travail, la créativité attendue ou la complexité de
l’activité sont autant
d’éléments non monétaires de la rétribution des
salariés qui relèvent de besoins psychologiques et contribuent à
l’accomplissement
des individus et, in fine, à leur motivation lorsque ces
besoins sont satisfaits.

Section 4

LES PARTIES PRENANTES DE LA POLITIQUE

DE RÉMUNÉRATION

La rémunération est au cœur de la relation salariale entre l’employeur et


le salarié. L’analyse marxiste a fait de la répartition
de la valeur ajoutée
entre le paiement de dividendes aux capitalistes et le paiement de salaires
aux détenteurs de la force
de travail le cœur des relations sociales dans les
entreprises. La politique salariale correspond à la répartition de la valeur
ajoutée créée entre les acteurs impliqués dans l’activité productive. Dans la
mesure où la valeur créée est limitée, cette
répartition de la valeur ajoutée
est nécessairement conflictuelle et résulte de relations de pouvoir entre
employeurs et salariés.
Chaque acteur cherche à légitimer et à légaliser son
appropriation de la valeur ajoutée créée. Les actionnaires justifient
le
paiement des dividendes pour rémunérer leur apport en capital et les
employés revendiquent un salaire pour rétribuer l’apport
de leur force de
travail.
Cependant, la définition de la politique de rémunération ne se réduit pas à
une relation de pouvoir entre l’employeur-actionnaire
et le salarié ou entre
l’entreprise et les représentants du personnel. Plusieurs autres parties
prenantes interviennent dans
la politique de rémunération de l’entreprise.
Les intérêts de ces différents acteurs peuvent converger ou diverger et
donner
lieu à des alliances qui influencent la politique de rémunération de
l’entreprise. Trois parties prenantes avec des intérêts
spécifiques
interviennent dans la politique de rémunération des entreprises. Il s’agit des
managers, des pouvoirs publics
et des médias.

1 Les managers
L’émergence de la grande entreprise a érigé les managers comme étant
une catégorie professionnelle spécifique entre les actionnaires
et les
employés[4]. Les dirigeants d’entreprise, salariés non-actionnaires mandatés
par les actionnaires, sont porteurs d’intérêts propres qui
les conduisent à
chercher à s’approprier une partie de la valeur ajoutée créée au détriment
des actionnaires et des salariés.
L’asymétrie d’information dont bénéficient
les managers constitue une problématique explorée par la théorie de
l’agence et
les pratiques d’attribution d’actions ou de stock-options aux
dirigeants ont pour objectif de faire converger les intérêts
de ces derniers
avec ceux des actionnaires.
Si théoriquement le modèle est cohérent, il n’en demeure pas moins que
des individus rationnels peuvent essayer de détourner
le contrat incitatif.
Les dirigeants, dès lors qu’ils détiennent des actions de l’entreprise, peuvent
par exemple convaincre
les actionnaires d’employer la trésorerie de
l’entreprise pour racheter des titres sur les marchés financiers et ainsi créer
une rareté qui entraîne une augmentation artificielle du prix de l’action sans
réellement créer de la valeur pour l’entreprise.
Les dirigeants peuvent
également améliorer artificiellement les résultats comptables de l’entreprise
par des montages financiers
qui enjolivent la situation à court terme et
favorisent le cours de l’action ; quitte à dégrader la situation de l’entreprise
à moyen terme. L’exemple d’Enron illustre ce cas. Les dirigeants avaient
déconsolidé dans des entités basées dans des paradis
fiscaux une partie de la
dette de l’entreprise pour obtenir de meilleurs résultats comptables pour la
maison-mère et ainsi
accroître la valeur des actions pour tirer des profits
importants de l’exercice de leurs stock-options. Un autre exemple est
celui
des dirigeants qui détournent le contrat incitatif de sa finalité en antidatant
leurs stock-options de manière légale
par un vote du conseil
d’administration ou de manière illégale en rédigeant des faux en écriture
pour les faire coïncider
avec des périodes où la valeur des actions était
faible[5]. Ainsi, en 2006, la firme Apple a été soupçonnée d’avoir antidaté
des stock-options destinées à des cadres dirigeants de
l’entreprise afin de
leur permettre d’accroître leurs gains financiers.

2 Les pouvoirs publics


Les pouvoirs publics, que ce soit au niveau national ou supranational, sont
une partie prenante importante de la politique
de rémunération des
entreprises et ils influencent cette dernière par leurs décisions en matière de
prélèvements sociaux,
leurs subventions et leur fiscalité. Les pouvoirs
publics légifèrent sur les rémunérations à travers la fixation d’un salaire
minimum et ils définissent des politiques fiscales plus ou moins incitatives
en fonction des formes de rémunération. Ainsi,
la fiscalité relative à
l’intéressement et la participation des salariés aux résultats de l’entreprise
détermine les pratiques
de l’entreprise en la matière. De même, la fiscalité
appliquée aux salaires, aux stock-options, aux avantages en nature et
aux
différentes composantes de la rétribution conditionne la politique de
rémunération des entreprises.
Dans la mesure où la rémunération fait l’objet de prélèvements de la part
des pouvoirs publics, tant au niveau de l’employeur
qu’à celui du salarié,
cela peut conduire à des alliances, parfois illégales, entre ces deux derniers
afin de soustraire les
rémunérations aux prélèvements sociaux sur les
salaires. Les deux acteurs peuvent ensuite se redistribuer une partie des
économies
réalisées sur les prélèvements fiscaux et sociaux. Les
condamnations régulières par la justice de pratiques de travail dissimulé
par
lesquelles employeurs et employés s’accordent pour ne pas déclarer
certaines activités ou certains revenus illustrent
ces alliances. De même, les
pratiques sophistiquées d’éclatement de la rémunération de cadres
supérieurs sur plusieurs pays
afin de réduire le barème global de
prélèvements résultent de cette convergence d’intérêts entre employeurs et
salariés au
détriment des pouvoirs publics.

3 Les médias
Les médias, et par leur intermédiaire l’opinion publique, sont également
des parties prenantes de la politique de rémunération
des entreprises. La
médiatisation de pratiques salariales excessives, que ce soit concernant
l’importance des montants accordés
à certains dirigeants ou à certaines
catégories de salariés, ou que ce soit la faiblesse de la rétribution de
certaines professions,
peut rapidement mobiliser l’opinion publique pour
devenir un débat de société qui conduira les pouvoirs publics à modifier
la
réglementation, ce qui, in fine, changera les politiques de rémunération des
entreprises.
En ce qui concerne les rémunérations des dirigeants des grandes
entreprises, parfois jugées excessives par l’opinion publique,
une alliance
implicite s’est construite entre les pouvoirs publics, les actionnaires et les
médias pour limiter certains excès.
Les premiers ont dans de nombreux
pays rendu obligatoire la publication de la rémunération des dirigeants ainsi
que leur approbation
par un vote de l’assemblée générale des actionnaires
(« Say on pay »). Ainsi, en 2012, l’assemblée générale des actionnaires de
la banque américaine Citigroup a rejeté le bonus destiné au
PDG de
l’entreprise, M. Vikram Pandit. Les médias ont fortement communiqué sur
ce désaveu et cela a conduit à la démission
du dirigeant.
Ces dispositions en matière de publication conduisent à une médiatisation
des rémunérations des dirigeants. Régulièrement,
des classements
établissent une hiérarchie des dirigeants en fonction de leur rémunération et
s’interrogent sur la justification
des montants qu’ils perçoivent au regard de
la performance de l’entreprise. Une telle médiatisation n’est pas neutre dans
la définition de la politique de rémunération mise en place par la DRH.
Cette médiatisation peut également être utilisée par l’employeur. Ainsi,
une grande compagnie aérienne européenne, qui menait
des négociations
salariales tendues avec ses pilotes, a laissé filtrer dans les médias les
niveaux de rémunération des pilotes
et leur temps de travail par rapport aux
autres compagnies. Elle a également fait savoir que le PDG de l’entreprise
ne percevait
que le 250e salaire de l’entreprise. La médiatisation de ces
informations et la désapprobation publique qui s’en est suivie ont
nécessairement
pesées sur les négociations salariales au sein de l’entreprise.
4 Les interactions entre les parties prenantes et
leur influence sur les politiques de rémunération
L’exemple des banques européennes au début des années 2010 illustre les
interactions des parties prenantes et leur influence
sur la politique de
rémunération des établissements financiers. En  2008 et  2009, les pays
occidentaux ont connu une grave
crise financière qui a entraîné la faillite de
plusieurs banques et cela a eu des impacts macroéconomiques importants
sur
ces pays. Une analyse couramment véhiculée par les médias fut que le
système de rémunération en vigueur dans les banques,
notamment la
politique de bonus des traders, était à l’origine de prises de risque
inconsidérées qui ont conduit à la crise
financière. Cette analyse a connu
une réelle popularité au sein des opinions publiques occidentales. Ces
dernières ont sommé
leurs dirigeants politiques de s’impliquer et d’agir à
l’encontre de telles pratiques de rémunération pour éviter de nouvelles
crises financières. Ainsi, en 2009, lors de la réunion des vingt pays les plus
industrialisés (le G20), le système de bonus
des traders, et plus
généralement des preneurs de risques au sein des banques, a été l’un des
sujets abordés par les dirigeants
politiques et a conduit à de nouvelles
réglementations dans plusieurs pays du monde. Les principes posés furent
de différer
sur plusieurs années les bonus gagnés par les traders (certains
États ont prévu que 40 à 60 % du paiement du bonus soient
différés de trois
ans), de limiter le montant du bonus en fonction du salaire fixe et de payer
une partie de ce bonus sous
forme d’actions de l’entreprise (50 % du bonus
dans certains pays européens). L’objectif était d’amener les traders à avoir
une approche du risque sur un horizon temporel plus long, de compenser les
bonus par des malus en cas de pertes les années
suivantes et de lier leur
rémunération de preneurs de risques à la santé financière de leur employeur.
Au début des années 2010, les interventions des pouvoirs publics et des
régulateurs ont rendu particulièrement difficiles
et incertaines la définition
des politiques de rémunération au sein des établissements financiers
occidentaux. La médiatisation
des bonus, l’instabilité réglementaire et les
différences entre les pays et les établissements financiers ont soumis les
politiques
de rémunération des banques à l’influence de nombreuses parties
prenantes. Dans ce cas, la politique de rémunération consiste
à définir la
structure juridique et la localisation géographique les mieux adaptés pour
employer, attirer et motiver les salariés
«  preneurs de risques  » tout en
tenant compte de l’influence des parties prenantes.

Cas d’entreprise
Une application Internet : Glassdoor
Glassdoor est un site Internet créé en 2008. Il s’appuie sur un
mécanisme de crowdsourcing pour faire émerger le salaire de marché
des fonctions selon les pays, les industries et les entreprises. Le site
permet à
des salariés de partager de manière anonyme des
informations concernant leur propre rémunération. Le site Internet
synthétise
ces informations et contribue à la définition d’un prix de
marché.
Ces informations sont publiques et interviennent dans le processus de
décision des agents sur le marché du travail. Par exemple,
une société
de services informatiques de la Silicon Valley qui souhaite recruter un
développeur informatique peut connaître,
par l’intermédiaire de
Glassdoor, le salaire moyen et la fourchette des salaires pour ce type
de fonction payés dans la région par des entreprises comme SAP,
Google, eBay et Oracle. Cette information lui permet de budgétiser un
recrutement ou d’éventuellement décider de localiser
l’emploi dans
une autre région.
L’existence de ce site modifie également la nature des négociations
entre les employeurs et les salariés, notamment dans les
grandes
entreprises. Les enquêtes de rémunération réalisées par les cabinets de
conseil RH comme Aon-Hewitt ou Mercer donnent
un avantage
informationnel aux employeurs qui y ont accès ; notamment parce que
généralement les salariés n’ont pas cette
information. Le partage
collectif par les travailleurs de ce type d’information par
l’intermédiaire d’un site comme Glassdoor
modifie la nature des
négociations salariales entre employeurs et salariés en rétablissant une
symétrie d’information.
Le fait que plusieurs milliers de salariés renseignent ce type
d’information confère une fiabilité certaine aux niveaux de
rémunération affichés. Cependant, certaines industries, certains pays et
certaines fonctions sont peu renseignés. Dans ce
cas, cela ne permet
pas de faire émerger une information fiable concernant le salaire de
marché. En France, le site www.meilleures-entreprises.com
permet
également ce type de démarche collaborative de partage d’information
sur les rémunérations.

Section 5

LES SYSTÈMES DE RÉMUNÉRATION

Une entreprise rémunère les ressources humaines (input). Ces dernières


peuvent être appréhendées comme un moyen de production ou comme
produisant un résultat (output). Dans le premier cas, l’entreprise rétribue les
moyens mis à disposition par le travailleur  ; cela peut-être le temps de
travail du salarié ou ses compétences. Dans le second cas, l’entreprise
rémunère la performance du travailleur. La nature
de l’appréhension par
l’employeur et le degré de contrôlabilité de l’activité du travailleur
influencent le système de rémunération
mis en œuvre dans l’organisation.
Quatre systèmes de rémunération sont présentés. Le premier rémunère le
poste mais pas le titulaire du poste ou sa performance.
Le deuxième
rémunère la performance individuelle en situation de symétrie
d’information entre l’employeur et le travailleur.
Le troisième rémunère les
compétences de l’individu dans des situations où l’employeur ne peut pas
mesurer objectivement les
résultats. Le quatrième est un contrat incitatif en
situation d’asymétrie d’information entre l’employeur et le travailleur.
Chaque modèle est caractérisé par des avantages et des inconvénients
spécifiques tout en correspondant à une recherche de
justification objective
de la rémunération et du partage de la valeur ajoutée créée entre
l’employeur et l’employé.

1 La rémunération du statut


Dans ce système, l’entreprise rémunère le poste de travail et non pas la
performance du travailleur dans son poste de travail.
Le poste de travail est
caractérisé par un certain nombre de tâches qui induisent des qualifications
et un temps de travail.
Chaque poste est positionné dans un système de
classification avec un grade et un échelon.
Dans ce système, les augmentations de rémunération sont liées soit à
l’ancienneté, soit à la promotion à un poste plus élevé
dans le système de
classification. Généralement, la promotion est souvent aussi liée à
l’ancienneté. L’hypothèse implicite
est qu’avec le temps les individus
accumulent des compétences qui les rendent plus productifs dans
l’organisation. Ces compétences
accumulées justifient une promotion et une
la augmentation de la rémunération.
Les administrations publiques sont souvent présentées comme l’archétype
de la rémunération du statut. Les fonctionnaires ont
un statut caractérisé par
une catégorie, une classe, un échelon et/ou un grade qui déterminent leur
rémunération.
Le système de rémunération du statut fait l’objet de nombreuses critiques.
Il est souvent jugé peu motivant dans la mesure
où la performance des
individus dans leur poste n’est pas rémunérée. D’autre part, il induit une
certaine rigidité des salaires.
Il ne permet pas un ajustement à la baisse en
cas de diminution de l’activité.
Cependant, malgré ses limites, ce système présente un certain nombre
d’avantages. D’une part, il protège les salariés de l’arbitraire
des managers,
notamment dans les situations où la performance n’est pas objectivement
mesurable. D’autre part, la stabilité
de la rémunération permet d’attirer des
travailleurs compétents mais averses au risque. Enfin, la rigidité jouant
également
à la hausse, ce système permet à l’employeur de s’approprier une
part plus importante en cas d’augmentation importante de
la valeur créée
par l’entreprise.

2 La rémunération des résultats


Le système de rémunération des résultats vise à rémunérer la performance
du travailleur (son « output »). La rémunération et le contrôle ne s’exercent
pas sur les moyens mis en œuvre par le travailleur mais sur ses résultats.
Cependant, comme cela est mentionné dans le chapitre  sur la politique
d’évaluation, la rémunération des résultats suppose
une capacité
managériale à mesurer objectivement la performance individuelle. Cela
suppose aussi que la rétribution de la
performance à court terme des salariés
n’obère pas la performance à moyen terme de l’organisation.
La contrôlabilité des individus est déterminante dans la mise en place
d’un tel système. Ainsi, les vendeurs itinérants dont
on ne peut pas
contrôler le comportement en permanence perçoivent des commissions sur
le montant des ventes qu’ils réalisent.
En revanche, les vendeurs en
boutique sont plus facilement contrôlables par le manager du point de
vente, ce qui rend moins
nécessaire la rémunération des résultats. Ainsi, la
faible contrôlabilité nécessite la mise en place d’un contrat incitatif
qui
donne l’opportunité aux salariés de s’approprier une part plus importante de
la valeur ajoutée par rapport à une situation
où le management peut
superviser en permanence le comportement des salariés.
Outre sa dimension incitative, la rémunération des résultats permet à
l’employeur de partager avec les salariés le caractère
risqué de l’activité de
l’entreprise. Ce système de rémunération permet de transférer aux salariés
le risque lié aux fluctuations
de l’activité et ainsi de flexibiliser la masse
salariale. Si le chiffre d’affaires diminue, la rémunération du salarié baisse
et, inversement, s’il augmente, le salarié voit ses revenus augmenter.
Enfin, un système de rémunération des résultats permet d’attirer des
salariés performants et d’écarter d’éventuels « tire-au-flanc ».
Ainsi, si l’on
considère une entreprise qui propose à un salarié, quels que soient ses
résultats, un salaire fixe de 2000
euros. Ce type de contrat salarial attire les
personnes averses au risque qui craignent que des facteurs exogènes
(conjoncture
économique, qualité du produit, accident, etc.) nuisent à leurs
résultats indépendamment des efforts qu’ils ont fournis. Ce
contrat convient
également aux «  tires-au-flanc  » qui ne souhaitent pas s’investir outre
mesure dans leur activité professionnelle.
Faisons l’hypothèse que la même
entreprise change son système de rémunération pour récompenser la
performance en prévoyant,
par exemple, un salaire fixe de 1 000 euros et un
pourcentage de 10 % sur le montant des ventes réalisées. Dans ce cas, si
le
salarié réalise un chiffre d’affaires inférieur à 10 000 euros, sa rémunération
est inférieure à 2000 euros. Si ce salarié
à le choix, sa préférence devrait
rationnellement aller à un salaire fixe de 2000 euros. En revanche, si le
salarié réalise
un chiffre d’affaires supérieur à 10  000  euros, alors sa
rémunération est supérieure à celle qu’il aurait eue dans le cadre
d’une
rémunération fixe. Ainsi, plus l’individu espère dépasser le chiffre de
10  000  euros de vente et plus il est incité
à choisir le système de
rémunération aux résultats. Ce système conduit à la démission des salariés
avec une norme d’effort
basse tout en attirant et en motivant les individus
avec une norme d’effort élevée[6].
Les limites des systèmes de rémunération des résultats sont nombreuses.
Un tel système peut encourager des comportements nuisibles
à l’entreprise
et favoriser une trop grande prise de risque si les gains potentiels pour le
salarié sont disproportionnés
par rapport aux pertes éventuelles. Par
exemple, si une banque rémunère ses conseillers bancaires sur le volume de
crédits
qu’ils attribuent, cela peut inciter les individus à accorder des prêts
sans se préoccuper de la capacité de remboursement
des emprunteurs. Dans
ce cas, le volume de crédits augmente, les conseillers bancaires perçoivent
des primes plus élevées
mais la qualité des risques supportés par la banque
se dégrade. À terme, cela nuit à la performance financière de la banque
en
raison de l’augmentation des crédits impayés. Un raisonnement similaire
peut être appliqué pour les commerciaux dont la
prime est calculée sur le
montant des factures émises et non pas aux paiements effectués par les
clients. Dans ce cas, la
tentation est grande pour les commerciaux de
démarcher et de vendre des marchandises à des clients insolvables afin de
percevoir
leur prime.

3 La rémunération des compétences


Le principe de la rémunération des compétences est de rétribuer l’input de
production que constituent les ressources humaines. Ce système peut
constituer une alternative lorsqu’il est difficile
de mesurer objectivement les
résultats (« output ») des travailleurs. À défaut de mesurer et de rémunérer
la performance, l’entreprise s’efforce dans ce cas de mesurer les
compétences nécessaires à l’atteinte des résultats. Ce système suppose une
capacité à décrire les compétences individuelles
mobilisées par l’entreprise
et d’identifier celles qui sont détenues par chaque salarié. Une méthode très
répandue dans les
secteurs industriels est la méthode Hay de peser des
postes. Cette méthode positionne les emplois en leur attribuant des points
à
partir de trois dimensions différentes  : les compétences nécessaires pour
occuper le poste en termes de connaissances, de capacités de direction et
d’aptitudes aux relations humaines ;
l’initiative créatrice liée au cadre dans
lequel se placent la réflexion et la nature des problèmes à résoudre par le
titulaire du poste ; et la finalité du poste qui mesure les responsabilités du
poste et l’impact potentiel que ce dernier peut avoir sur les résultats de
l’entreprise.
De manière dynamique, le système de rémunération des compétences vise
à encourager le processus d’apprentissage des individus.
Il y a une
incitation à apprendre en rémunérant le travailleur en fonction de sa
détention des compétences nécessaires pour
son poste de travail. Ce
système est particulièrement pertinent dans les environnements changeants
qui nécessitent l’acquisition
de nouvelles compétences par les salariés pour
maintenir l’efficacité de l’organisation.
La rémunération des compétences peut prendre plusieurs formes. Ainsi,
certaines entreprises rémunèrent uniquement les compétences
mobilisées
sur le poste de travail. D’autres rémunèrent toutes les compétences détenues
par le salarié et mobilisables sur
un poste de travail existant dans
l’organisation. L’objectif dans ce cas est de constituer une réserve de
flexibilité organisationnelle
en encourageant la polyvalence des travailleurs
pour les affecter sur différents postes de travail en fonction des besoins
de
l’activité. Le fait de rémunérer les compétences incite les travailleurs à les
entretenir et à les développer en sollicitant
des mobilités professionnelles.
Enfin, d’autres entreprises rémunèrent l’acquisition de nouvelles
compétences. Par exemple,
certaines sociétés de services informatiques
rétribuent l’apprentissage de nouveaux langages de programmation par
leurs informaticiens.
Le principe est d’inciter les individus à s’inscrire dans
un processus d’apprentissage et non pas de les obliger à se former.

4 La rémunération de l’initiative entrepreneuriale


Les situations d’asymétrie d’information entre l’employeur et l’employé
précédemment décrites constituent un enjeu managérial
qui peut être résolu,
sous certaines conditions, par un système de rémunération incitatif.
L’information est dite asymétrique  quand
certains agents bénéficient d’un
avantage informationnel sur d’autres. Dans le modèle de la théorie de
l’agence, le principal (l’employeur) est non informé, tandis que l’agent
(l’employé) dispose d’une information privée sur certaines variables
(comme ses propres actions ou des caractéristiques de
l’environnement).
L’asymétrie d’information et l’incertitude qui en résulte pour le principal
peuvent être liées à une situation
de sélection adverse. Dans ce cas,
l’avantage informationnel de l’agent porte sur une variable indépendante
des actions qu’il entreprend. Par
exemple, l’état de la demande qui peut
expliquer les mauvaises performances commerciales de l’entreprise est un
cas de sélection
adverse. L’asymétrie d’information peut être liée à une
situation de hasard moral. Dans ce cas, l’incertitude pour le principal porte
sur l’honnêteté de l’agent. Dans les deux situations, le principal est
incapable d’évaluer précisément les décisions prises par l’agent pour
conduire les affaires de l’entreprise.
Un problème d’incitation se pose lorsque la satisfaction du principal
dépend de l’information détenue par l’agent. Dans ce
cas, la stratégie du
principal consiste à proposer à l’agent un contrat l’incitant à révéler son
information ou à entreprendre
les actions attendues. Pour que l’agent
accepte le contrat proposé par le principal et adopte le comportement
attendu, il
faut qu’il ait intérêt à le remplir, c’est-à-dire que le contrat lui
procure une utilité au moins aussi élevée que ce qu’il
obtiendrait en
adoptant un comportement différent.
La relation entre les dirigeants de l’entreprise et les chercheurs du
département de R&D est caractérisée par une asymétrie
d’information. La
mise sur le marché d’une innovation est le résultat d’une multitude
d’interactions interindividuelles qui
rendent difficile l’évaluation de
l’apport exact de chacun, notamment des chercheurs. La logique de contrôle
est difficilement
déployable dans les activités de recherche. Le chercheur
est un expert au sens de Crozier[7], c’est-à-dire un individu qui est le seul à
disposer du savoir-faire, des connaissances et de l’expérience du contexte
qui
permettent de résoudre certains problèmes cruciaux pour l’organisation.
Il détient une expertise que ne détient pas la direction.
Son comportement
constitue de ce fait une source d’incertitude pour l’entreprise et donc de
pouvoir pour le chercheur. Formulé
dans le cadre de la théorie de l’agence,
le comportement du chercheur industriel constitue un hasard moral dans la
mesure
où tout dépend du bon vouloir du chercheur à réellement déployer
ses efforts dans le sens de l’intérêt de l’entreprise. L’incontrôlabilité
intrinsèque de l’activité de recherche doit conduire à passer d’une logique
de contrôle à une logique d’incitation des chercheurs
pour favoriser la
création de valeur pour l’entreprise. Les pratiques de management doivent
inciter le chercheur à révéler
sa capacité d’initiative en rémunérant le
comportement entrepreneurial[8].
Dans cette perspective, certaines entreprises ont mis en place des
dispositifs d’essaimage afin d’inciter les chercheurs à
adopter un
comportement d’innovation favorable à l’entreprise. L’essaimage
correspond à la création d’une entité juridiquement
nouvelle par un salarié
avec l’aide de son employeur. L’essaimage constitue un contrat incitatif
dans une situation d’asymétrie
d’information. En effet, l’employeur ignore
si un chercheur peut ou non générer une innovation. La pratique de
l’essaimage
incite un chercheur à révéler sa capacité d’innovation en
rétribuant le comportement entrepreneurial tant sur le plan financier
que sur
le plan symbolique. L’essaimage est financièrement incitatif dans la mesure
où il organise un partage de la valeur
potentiellement créée plus favorable
au chercheur. En étant actionnaire de l’entreprise essaimée chargée de
valoriser son
innovation, le chercheur peut espérer un enrichissement
personnel par le biais des dividendes versés et/ou des plus-values
en capital
en cas d’introduction en bourse ou de cession à une grande entreprise.
D’autre part, l’essaimage constitue un contrat
symboliquement et
psychologiquement incitatif car il permet au chercheur de s’identifier à son
projet et d’être identifié
à ce projet par son milieu social et professionnel.
Cette double identification permet de satisfaire un besoin de reconnaissance
sociale et un besoin de réalisation personnelle. Enfin, les chercheurs ont une
plus grande autonomie de décision et d’action
en tant que dirigeant de
l’entreprise essaimée, juridiquement indépendante de la structure
bureaucratique de la maison-mère.
Cette autonomie constitue un facteur de
motivation important au niveau psychologique.
L’essaimage stratégique constitue une pratique particulièrement adaptée
aux grandes organisations dont la bureaucratisation
inhérente à leur taille
tend à freiner les initiatives individuelles. Dans les années 2010, Google a
mis en place une politique
d’essaimage stratégique afin d’inciter ses salariés
à développer en interne des start-ups porteuses d’innovation plutôt que
de
créer une entreprise à l’extérieur sans lien avec la maison-mère[9].
L’essaimage stratégique permet aux salariés de Google de créer leur propre
entreprise pour commercialiser les services,
les produits ou innovations
technologiques qu’ils ont conçu dans leurs entités d’origines.

Cas d’entreprise
Une pratique originale de rémunération : le Crédit Suisse
La crise financière de la fin des années 2000 s’est concrètement
traduite pour les établissements bancaires par la comptabilisation
dans
leurs bilans d’engagements financiers et de prises de position sur les
marchés de mauvaise qualité. L’enjeu pour les
dirigeants des banques
était d’assainir leur bilan en dénouant leurs positions sur les marchés
financiers et en cédant des
actifs.
Cependant, la gestion de cette situation était caractérisée par une forte
incertitude et une asymétrie d’information entre
la direction des
banques et les salariés qui avaient pris les positions. L’incertitude est
liée à la qualité des engagements.
Si certains d’entre eux étaient de
mauvaise qualité et pouvaient entraîner des pertes importantes pour la
banque, d’autres
en revanche étaient de bonne qualité et pouvaient
générer des gains. En vendant indistinctement l’ensemble de leur
portefeuille
en dénouant toutes leurs positions, les directions des
banques pouvaient réaliser des pertes plus importantes que celles
qu’elles
auraient faites en gérant dans le détail le débouclage des
positions. D’autre part, les traders qui avaient pris les engagements
étaient les mieux à même de connaître la qualité des positions et de les
vendre dans les meilleures conditions.
L’enjeu managérial pour les banques était de proposer aux salariés un
contrat incitatif pour les amener à dénouer les positions
prises dans le
meilleur intérêt de leur employeur, c’est-à-dire à révéler leur
information. Pour répondre à ces contraintes,
le Crédit Suisse a mis en
œuvre une pratique originale de rémunération. Dans un premier temps,
la banque a logé dans une structure
juridique indépendante 5 milliards
de dollars de dettes de mauvaise qualité (junk bonds). Elle a ensuite
attribué sous forme de bonus la propriété de ce fond à certains de ses
banquiers seniors qui étaient à l’origine
des engagements, c’est-à-dire
ceux qui avaient la meilleure connaissance de la qualité des risques. Le
transfert de propriété
du portefeuille signifiait que les gains générés
par le dénouement des positions étaient attribués aux personnes qui les
dénouaient
et qui, accessoirement, étaient celles qui les avaient pris.
Ce montage, connu sous le nom du Partner Asset Facility, présentait
plusieurs avantages pour le Crédit Suisse. Il lui a permis de sortir des
créances douteuses de son bilan, d’offrir
un système de bonus original
pour garder des talents à une période où les banques réduisaient leur
masse salariale et d’inciter
les traders à révéler leur information tout en
gérant au mieux la liquidation du portefeuille.
Section 6
POLITIQUE DE RÉMUNÉRATION


ET INNOVATION MANAGÉRIALE

La politique de rémunération d’une entreprise est un aspect complexe du


management des ressources humaines qui ne se réduit
pas à l’attribution
d’un salaire par l’employeur à un travailleur. La complexité est liée à
plusieurs dimensions. D’une part,
la rémunération peut prendre différentes
formes (paiement comptant, stock-options, avantages en nature ou diverses
assurances)
dont le terme du paiement peut varier ainsi que l’intérêt que
leur portent les salariés. D’autre part, la rémunération au
sens large n’est
qu’une des composantes de la proposition de valeur (Employee Value
Proposition) qu’offre un employeur à ses salariés pour les rétribuer. En fait,
les autres pratiques de GRH (formation, gestion de carrières
ou politique de
congés) constituent également une composante de cette proposition de
valeur tout comme l’image de l’entreprise
et le degré d’autonomie dans le
travail. Ces différentes dimensions composent la rétribution globale offerte
aux salariés.
Les différentes dimensions sont plus ou moins substituables.
Pour cette raison, la politique de rémunération doit être appréhendée
dans
sa dimension systémique pour tenir compte des interactions avec les autres
dimensions de la GRH.
Ensuite, la politique de rémunération est soumise à l’influence de
plusieurs parties prenantes. En externe, il s’agit des
concurrents sur le
marché du travail par rapport auxquels se définit l’attractivité relative de la
proposition de valeur que
l’entreprise fait aux ressources humaines qu’elle
souhaite recruter. Les pouvoirs publics interviennent également dans la
mesure où ils définissent le cadre légal et fiscal des pratiques de
rémunération mises en œuvre par l’entreprise. D’autres
acteurs externes
interviennent, notamment par leur évaluation et leur médiatisation des
pratiques salariales des entreprises.
Il s’agit des médias, mais également des
agences de notations sociales, des organisations non gouvernementales
impliquées
dans le monde du travail, des chercheurs universitaires et des
analystes financiers. En interne, il s’agit des représentants
du personnel
avec lesquels se concluent les accords d’entreprise qui fixent le cadre de la
politique de rémunération au sein
de l’organisation. De manière informelle,
l’ensemble des salariés de l’entreprise constitue une communauté de travail
qui
fixe implicitement les normes sociales par rapport auxquelles se définit
l’équité de la politique salariale et qui contingentent
les pratiques en matière
de rémunération.
Enfin, il convient de garder à l’esprit que l’ensemble des salariés ne
constituent pas un ensemble homogène dont les intérêts
convergent
nécessairement. Certaines catégories de salariés peuvent avoir des intérêts
spécifiques et un pouvoir de négociation
plus important que d’autres pour
s’approprier une partie plus importante de la valeur ajoutée créée par
l’entreprise. Les
managers, et plus particulièrement les cadres dirigeants,
sont dans une position intermédiaire entre, d’une part, les actionnaires
propriétaires de l’entreprise qui leur délèguent la gestion de l’organisation
et, d’autre part, les travailleurs employés
par l’entreprise. L’asymétrie
d’information concernant la gestion de l’entreprise dont ils bénéficient par
rapport aux actionnaires
et aux salariés peut leur permettre de concevoir une
politique de rémunération qui leur soit particulièrement favorable ;
parfois
au détriment des autres parties prenantes.
La multiplicité des éléments à prendre en compte lors de la définition et
de la mise en œuvre d’une politique de rémunération
fait de la capacité à
concevoir des innovations managériales, c’est-à-dire des pratiques
originales en matière de rémunération,
un enjeu stratégique pour les
organisations. Il s’agit de concevoir des pratiques qui satisfassent
simultanément les contraintes
d’attractivité externe, d’équité interne et de
rationalité budgétaire. Par exemple, dans les années 2000, un prestigieux
cabinet
de conseil en management a conçu une innovation managériale
originale pour faire face à un taux de démission important des
consultants
de son bureau de San Francisco. À cette époque, qui fut celle de l’explosion
d’Internet et des télécoms, de nombreuses
start-ups se sont créées dans la
Silicon Valley dans ces domaines d’activité. Elles ont recruté dans les
grandes entreprises
implantées dans la région, comme Hewlett-Packard,
Oracle ou Sun Microsystems. Leur attractivité sur le marché du travail était
très forte car, outre la reconnaissance sociale qu’apportait à l’époque le fait
de travailler pour une start-up, la grande
autonomie dans le travail, la
créativité et le contact direct avec les fondateurs de l’entreprise, les start-
ups offraient
un potentiel d’enrichissement important avec leur politique
d’attribution de stock-options que les grandes entreprises, les
cabinets de
conseil en management et les laboratoires de recherche ne pouvaient pas
concurrencer. La capacité à redéfinir
une proposition de valeur attractive
pour les travailleurs devint un enjeu stratégique pour attirer et garder des
salariés
qualifiés, notamment pour les cabinets de conseil en management.
À cet égard, un cabinet international a dû fermer son bureau
de San
Francisco car tous ses consultants avaient démissionné pour aller travailler
pour des start-ups ou des entreprises
de hautes technologies de la Silicon
Valley. Un autre cabinet a conçu une pratique managériale sophistiquée
pour attirer et
garder ses consultants.
Face à l’exode de ses consultants spécialisés dans les domaines de
l’Internet et des télécoms, une solution spontanément avancée
consiste à
augmenter les rémunérations pour être compétitif sur le marché du travail.
Cette solution n’est pas envisageable
pour un cabinet de conseil dont les
rémunérations représentent en général plus de 70 % des coûts opérationnels.
Augmenter
les salaires de 20 ou 30  % pour rester attractif conduirait
nécessairement la société à être déficitaire. Dans ce cas, la
contrainte de
rationalité budgétaire ne permet pas des hausses de salaires pour restaurer
l’attractivité externe. Une autre
solution consistait à n’augmenter que la
rémunération des consultants des domaines Internet et télécoms et de ne pas
augmenter
les consultants spécialisés dans les autres domaines d’expertise
du cabinet, à savoir l’automobile, la pharmacie, les services
financiers et le
luxe. Cette solution se heurtait à la contrainte d’équité interne. En effet, les
consultants des différents
domaines ont en commun d’être diplômés des
mêmes prestigieuses business schools (Harvard, Stanford, Chicago ou
Wharton) et d’avoir, à même position hiérarchique et même ancienneté, des
niveaux de rémunération
très proches. Aussi, décider soudainement
d’augmenter les rémunérations uniquement d’une catégorie d’entre eux ne
pourrait
qu’entraîner un sentiment d’injustice parmi ceux dont la
rémunération ne serait pas revalorisée. Le sentiment d’iniquité est
lié au fait
que l’évolution de leur rémunération ne dépend pas de leurs performances
mais au fait qu’ils sont spécialisés
dans un domaine pour lequel la
concurrence sur le marché du travail est moins forte. Le fait que les
consultants soient localisés
au même endroit et se connaissent bien
favorisent la diffusion de l’information relative aux pratiques de
rémunération au
sein de la communauté de travail des consultants.
Devant cette situation compliquée dans laquelle les contraintes de
rationalité budgétaire, d’attractivité externe et d’équité
interne exerçaient
des pressions contradictoires, la direction du cabinet de conseil en
management, que l’on appellera Alpha,
a imaginé une solution originale
(figure 7.2). D’une part, elle a créé une entité juridique spécifique (spin-off),
@Alpha, à laquelle n’ont été rattachés que les consultants des domaines
Internet et télécoms. Cette entité juridiquement
indépendante est de fait
devenue plus autonome dans sa politique de rémunération. Elle a pu décider
des augmentations de rémunération
uniquement pour les consultants de
cette entité. De plus, cette entité a été relocalisée à Palo Alto, au cœur de la
Silicon
Valley, à distance du bureau employant les autres consultants qui
était lui resté à San Francisco.
Ensuite, le cabinet de conseil @Alpha a été démarcher les start-ups
susceptibles de lui débaucher ses consultants afin de
leur proposer
d’employer les consultants en question mais d’attribuer les stock-options
non pas directement aux consultants
mais de les distribuer au cabinet de
conseil. Ce dernier déposait les stock-options dans un fonds commun de
placement dont
les actionnaires étaient les consultants détachés auprès des
start-ups. Les consultants percevaient indirectement les stock-options
en
étant les actionnaires du fond commun de placement.
Cette innovation managériale présentait un intérêt pour les trois acteurs
concernés. Pour le consultant, cela lui permettait
de diversifier ses risques
puisqu’il était actionnaire d’un fond commun de placement détenteur de
stock-options de plusieurs
start-ups. En effet, si certaines start-ups
connaissent un succès phénoménal, finissent par être cotées en bourse et
enrichissent
leurs salariés actionnaires ; la très grande majorité d’entre elles
disparaît et la valeur de leurs stock-options est annihilée
annihilée. De plus,
en restant salarié du cabinet de conseil, en cas de faillite de la start-up dans
laquelle il était détaché,
le consultant a toujours un contrat de travail et peut
être détaché chez d’autres entreprises clientes. Pour leur part, les
start-ups
pouvaient mobiliser les compétences dont elles avaient besoin pour une
rémunération identique en stock-options tout
en bénéficiant d’une plus
grande flexibilité pour rompre la relation de travail avec tel ou tel
consultant en fonction du
développement de son activité. Enfin, pour le
cabinet de conseil, cela lui permettait de conserver ses consultants et de
générer
des revenus sous forme de paiement en stock-options ou en cash,
tout en restant attractif sur le marché du travail.
L’exemple du cabinet Alpha illustre la nature et la diversité des
contraintes qui peuvent s’exercer sur la politique de rémunération
d’une
entreprise ainsi que la créativité managériale nécessaire pour concevoir des
pratiques originales qui tiennent compte
de ces différentes contraintes.
Figure 7.2  – Innovation managériale et attractivité dans la Silicon
Valley

[1]
  Les deux options correspondent à celles décrites par Hirschman (1970) dans son ouvrage Exit,
Voice, and Loyalty: Responses to Decline in Firms, Organizations, and States (Harvard
University Press) soit le salarié mécontent quitte l’organisation («  Exit  »), soit il proteste
(« Voice »). 
[2]
  Maslow A. (1954), Motivation and personality, Harper, 411 pages.
[3]
    Jensen M. et Meckling W. (1976), “Theory of firm, managerial behavior agency costs and
ownership structure”, Journal of Financial
Economics, Vol. 3, n°4, pp. 305-360.
[4]
    Chandler A. (1977), The visible hand  : the managerial revolution in American business,
Belknap Press.
[5]
  Lie E. et Heron R. (2005), « Does backdating explain the stock price pattern around executive
stock option grants ?”, Journal
of Financial Economics, 83(2), pp. 271-295. 
[6]
  Lazear E. (2000), « Performance Pay and Productivity », The American Economic Review, Vol.
90, n°5, pp. 1346-1361.
[7]
  Crozier M. et Friedberg E. (1977), L’acteur et le système, Le Seuil, 675 p.
[8]
    Ferrary M. (2005), «  Le management des équipes de R&D, entre organisation et contrat
d’incitation : l’essaimage stratégique »,
Gestion, vol. 30, n°1, pp. 31-41.
[9]
    Ferrary M. (2013), « Ecosystème intrapreneurial et innovation  : le cas Google  », Revue
Française de Gestion, vol. 4, n°233, pp. 107-122.
Chapitre
Pilotage de la masse
8 salariale

SOMMAIRE
Section  1 Gestion de la masse salariale et performance financière de
l’entreprise
Section 2 Les facteurs d’évolution de la masse salariale
Section 3 L’enjeu financier de la flexibilisation de la masse salariale
Section 4 Décisions stratégiques et gestion de la masse salariale
Section 5 Gestion de la masse salariale et optimisation fiscale

Les rémunérations attribuées aux ressources humaines mobilisées par les


organisations représentent un coût opérationnel pour
les employeurs.
L’ensemble des rémunérations versées correspond à la masse salariale de
l’entreprise. La masse salariale se
définit comme la somme des
rémunérations brutes et des charges sociales patronales supportées par
l’entreprise.
La qualité de la gestion des coûts salariaux influence la rentabilité de
l’entreprise et, dans certains cas, l’existence même
de l’organisation. D’un
point de vue comptable, l’ensemble des coûts salariaux se retrouvent dans
la rubrique «  Frais/charges
de personnel  » du compte de résultat des
entreprises. Ces charges peuvent représenter des montants conséquents.
Ainsi, en
2012, les «  Frais de personnel  », représentaient une charge de
15,255 milliards d’euros pour la banque BNP Paribas et 14,915 milliards
de
francs suisses (environ 12 milliards d’euros) pour le groupe agroalimentaire
Nestlé.
La mission de la direction financière, qui consiste à gérer les ressources
financières de l’entreprise, l’amène à se pencher
sur les montants alloués à
la masse salariale afin de l’optimiser, voire de la diminuer dans l’optique
d’accroître la rentabilité
ou la capacité d’investissement de l’entreprise.
Pour cette raison, de nombreuses décisions de management des ressources
humaines
sont dictées par la gestion de la masse salariale, notamment les
délocalisations d’activité et les réductions d’effectifs.
Les facteurs affectant
l’évolution de cette masse salariale peuvent avoir des conséquences
importantes sur la marge opérationnelle
de l’entreprise.
La masse salariale, en tant que coût opérationnel, constitue la contrainte
budgétaire qui s’exerce sur la politique de rémunération
de l’entreprise.
Cette dimension interagit avec les contraintes d’attractivité externe et
d’équité interne. Cependant, l’importance
de la masse salariale dans les
coûts salariaux peut diverger selon les organisations et fait de la gestion des
charges du
personnel un levier plus ou moins important pour contribuer à la
rentabilité de l’entreprise. Enfin, la focalisation sur la
gestion des coûts que
représente la masse salariale peut entraîner des dysfonctionnements
organisationnels. Par exemple Walmart,
le groupe américain de grande
distribution, a réduit le nombre de salariés dans les rayons de ses
supermarchés afin d’accroître
sa marge opérationnelle en diminuant la
masse salariale. Ce choix de GRH a entraîné un manque de personnel pour
remplir les
linéaires et faire payer les clients aux caisses des magasins. Ces
sous-effectifs ont conduit à une dégradation du service,
caractérisé par
l’absence des produits dans les rayons et des temps d’attente prolongés aux
caisses. À moyen terme, cela a
entraîné une baisse du nombre de clients et
cela a nui aux performances financières de l’entreprise. Cet exemple illustre
en quoi les salariés sont à la fois un coût opérationnel et une ressource
productive. La performance financière et la croissance
de l’entreprise
résultent d’une gestion subtile de l’équilibre entre ces deux dimensions.
Dans le secteur hôtelier, qui peut connaître des variations d’activité
saisonnières importantes (le taux d’occupation des
chambres pouvant varier
de 30  % à 90  % entre la basse et la pleine saison), la rentabilité de
l’entreprise dépend de la capacité
à flexibiliser la masse salariale. Cette
contrainte est d’autant plus importante que l’hôtellerie est une activité
intense
en ressources humaines. Cependant, une trop grande flexibilisation
de la masse salariale par un recours intensif aux travailleurs
intérimaires et
aux salariés en contrats à durée déterminée peut nuire à la qualité des
ressources humaines recrutées sur
le marché du travail et, in fine, sur la
qualité de la prestation offerte aux clients. En faisant prévaloir strictement
l’ajustement des coûts salariaux aux
besoins de l’activité, le risque est de ne
pas recruter des personnes suffisamment qualifiées, notamment en termes
de savoir-être,
en raison d’une pénurie sur le marché du travail au moment
où l’entreprise recherche du personnel. Les travailleurs saisonniers
les plus
compétents trouvent généralement très rapidement un emploi en début de
saison. Une moindre compétence des salariés
peut conduire à une
dégradation de la qualité du service qui peut elle-même entraîner une perte
de chiffre d’affaires. Aussi,
les DRH des palaces de la Côte d’Azur font un
compromis entre la contrainte financière et la contrainte de ressources
humaines
en recrutant des travailleurs saisonniers en CDD avant même le
début de la saison afin de s’assurer d’avoir le personnel le
mieux qualifié,
quitte à ce que ces salariés aient une faible productivité pendant quelques
semaines du fait du nombre réduit
de clients en tout début de saison
touristique.
Au-delà de la structure des coûts salariaux, les facteurs qui expliquent
l’évolution des frais de personnel sont des éléments
importants à prendre en
compte dans le pilotage de la masse salariale. Des facteurs externes et
internes à l’organisation
et aux ressources humaines influencent la
dynamique d’évolution de la masse salariale. Ces facteurs doivent être
identifiés
et anticipés par la direction des ressources humaines pour évaluer
leur impact sur les coûts opérationnels et les performances
financières
futurs de l’entreprise.
L’importance plus ou moins grande des charges de personnel dans la
structure des coûts opérationnels et les fluctuations de
la conjoncture
économique font de la flexibilisation de la masse salariale un enjeu
stratégique pour assurer la survie de
l’organisation. Aussi, plusieurs
pratiques de gestion des ressources humaines s’expliquent par cette
recherche de flexibilité
des coûts salariaux. La gestion de la masse salariale
explique trois types de décision stratégique que peuvent prendre les
entreprises. La prise en compte des coûts salariaux est déterminante dans
l’élaboration des modèles économiques qui conduisent
aux décisions
stratégiques liées à l’externalisation (outsourcing), à la délocalisation
(offshoring) et à la robotisation ou à l’automatisation.
Enfin, la structure et la dynamique de la masse salariale d’une entreprise
sont soumises à l’influence de plusieurs parties
prenantes qui peuvent
déterminer leur importance et leur rigidité.
Dans une première partie de ce chapitre est analysé l’impact de la gestion
des coûts salariaux sur la performance financière
de l’entreprise. Dans une
seconde partie sont exposés les facteurs d’évolution de la masse salariale.
Une troisième partie
expose l’enjeu financier de la flexibilisation des coûts
salariaux. Une quatrième partie présente des décisions stratégiques
liées à la
gestion de la masse salariale. Une dernière partie expose la problématique
de l’optimisation fiscale des frais
de personnel comme étant une
composante du pilotage de la masse salariale.
Section 1

GESTION DE LA MASSE

SALARIALE ET PERFORMANCE FINANCIÈRE

DE L’ENTREPRISE

1 La structure salariale des organisations


La masse salariale de l’entreprise constitue un coût opérationnel induit
par l’activité de l’entreprise. Elle correspond à
la rémunération des
ressources humaines mobilisées dans la combinaison productive de
l’organisation pour produire des biens
ou des services.
Au-delà du montant brut que représente la masse salariale, son
importance dans la composition des coûts opérationnels conditionne
la
dimension stratégique que représente son pilotage pour contribuer à la
rentabilité opérationnelle de l’entreprise. La structure
salariale varie
fortement selon les entreprises (tableau  8.1). Schématiquement, il est
possible de distinguer les entreprises
dont la combinaison productive est
très intense en ressources humaines de celles dont la combinaison est peu
intense en ressources
humaines. Les premières se caractérisent par un
pourcentage élevé de charges du personnel dans l’ensemble des coûts
opérationnels.
On retrouve dans cette catégorie des entreprises comme
Publicis (groupe de communication) dont les coûts salariaux représentent
75  % des coûts opérationnels, CapGemini (société de services
informatiques) avec un pourcentage de 65 %, la Société Générale
(banque)
avec près de 58 % ou Sodexo (restauration collective) avec 48 % des coûts
opérationnels constitués de frais de personnel.
Inversement, les secondes se
caractérisent par un faible pourcentage des frais de personnel dans
l’ensemble des coûts opérationnels.
Une entreprise comme Total (énergie),
dont les coûts salariaux ne représentent que 4,23 % des coûts opérationnels
est l’archétype
de cette catégorie. On peut adjoindre à cette catégorie des
entreprises comme Axa (assurance) avec 8,81  %, Carrefour (grande
distribution) avec 9,91  % ou Renault (constructeur automobile) avec
14,31 % des coûts opérationnels constitués de frais de
personnel.
Il convient de noter le déterminisme industriel qu’exerce le secteur
d’activité sur la structure salariale des entreprises.
Ainsi, les banques (BNP
Paribas, Société Générale et Crédit Agricole) présentent des intensités en
ressources humaines très
proches. On retrouve ces similarités intra-
sectorielles pour les entreprises liées à l’environnement (Véolia
Environnement
et Suez Environnement), à la construction (Vinci et
Eiffage), à l’automobile (Peugeot-Citröen et Renault) ou à la grande
distribution
(Casino et Carrefour).
Dans le secteur non-marchand, les organisations supportent également des
charges du personnel qui peuvent parfois représenter
une part conséquente
de leurs coûts opérationnels. Par exemple, les Hôpitaux Universitaires de
Genève, qui comptent plus de
10 000 collaborateurs, bénéficiaient en 2012
d’un budget de 1,724  milliard de francs suisses (environ 1,4  milliard
d’euros).
L’ensemble des charges du personnel représentaient 1,265 milliard
de francs suisses (environ 1  milliard d’euros), soit 73,39  %
du budget de
fonctionnement. De même, l’École Polytechnique de Lausanne, une des
plus prestigieuses universités européennes,
emploie 4  945 personnes qui
représentent une masse salariale de 556 millions de francs suisses (environ
452  millions d’euros),
ce qui correspond à 69,30  % du budget annuel de
l’institution qui se monte à 803  millions de francs suisses (environ
653 millions
d’euros).
Dans le secteur sportif, la part de la masse salariale représente également
souvent un pourcentage élevé des coûts opérationnels.
Par exemple, sur la
saison 2012-2013, le club de football de Manchester United a employé 793
personnes pour générer un chiffre
d’affaires de 363  millions de livres
(308  millions d’euros). Les charges du personnel se sont montées à
180,5  millions de
livres (153  millions d’euros), soit 70,89  % des
254,6  millions de livres de coûts opérationnels du club (216  millions
d’euros).

Tableau 8.1  – Part de la masse salariale dans les coûts opérationnels en


2012

2 Gestion de la masse salariale et rentabilité de


l’entreprise
La gestion de la masse salariale, notamment en cas de fluctuation de
l’activité, peut avoir une incidence importante sur la
rentabilité de
l’entreprise. D’un point de vue comptable, la marge opérationnelle de
l’entreprise est égale à son chiffre
d’affaires duquel on déduit les coûts
opérationnels (Marge opérationnelle =  Chiffre d’affaires  –  Coûts
opérationnels). Le
fait que ces derniers inclus les charges de personnel fait
du pilotage de la masse salariale un facteur qui détermine en partie
le taux
de marge opérationnel de l’entreprise.
Une baisse de chiffre d’affaires correspond à une diminution des
ressources financières pour rémunérer les salariés. Si cette
baisse d’activité
est de faible ampleur et temporaire, que les coûts salariaux représentent une
faible part des coûts opérationnels
et que l’entreprise dispose d’une
trésorerie suffisante, alors l’employeur peut utiliser cette dernière pour
maintenir les
rémunérations de ses salariés sans chercher à baisser la masse
salariale pour préserver la rentabilité de l’entreprise.
En revanche, si la baisse d’activité est importante et que les coûts
salariaux représentent une part conséquente des coûts
opérationnels, alors la
réduction de la masse salariale est un impératif financier pour préserver la
marge opérationnelle
et garantir la survie de l’entreprise. Par exemple, la
rentabilité d’une société de services informatiques ou de conseil en
management dépend du taux de facturation des consultants, c’est-à-dire du
nombre de jours qui sont facturés à des entreprises
clientes. Pour ces
entreprises, les périodes d’inter-contrats, c’est-à-dire celles durant
lesquelles les consultants ne sont
pas en mission chez un client, signifient
qu’elles rémunèrent un salarié qui n’est pas facturé à un client. Cette
situation
handicape fortement la rentabilité de ce type d’entreprise car les
coûts salariaux sont une part importante des coûts opérationnels
(entre 60 et
70  %). Aussi, ces entreprises s’efforcent de réduire au maximum les
périodes d’inter-contrats. Une autre solution
pour ce type d’entreprise est
d’accroître la flexibilité salariale pour permettre l’ajustement des coûts
salariaux à l’activité.
Cette recherche de flexibilisation de la masse salariale
explique pourquoi le Syntec, le syndicat professionnel des sociétés
de
conseil en France, fut à l’origine du projet de loi sur le contrat de mission
qui devait permettre de réduire la masse
salariale en ne rémunérant pas les
salariés en période d’inter-contrats.
Le fait que l’importance des coûts salariaux dans les coûts opérationnels
varie selon les entreprises détermine l’intérêt
financier de piloter la masse
salariale pour accroître la rentabilité. Par exemple, considérons deux
entreprises dont le taux
de marge opérationnelle en 2012, à savoir le ratio
marge opérationnelle/chiffre d’affaires, est relativement proche, à savoir
Total (taux de 15,69 %) et Publicis (taux de 18 %). Si ces deux entreprises
diminuent leur masse salariale de 10 %, à chiffre
d’affaires constant, alors
le taux de marge opérationnel de Total passe à 16,04 % et celui de Publicis
à 24,16 %[1]. Dans le cas de Total, la baisse de la masse salariale de 10 %
entraîne une baisse des coûts opérationnels de 0,42 % alors
que dans le cas
de Publicis, elle induit une diminution de 7,52  % des coûts opérationnels.
C’est la différence d’importance
de la masse salariale dans les coûts
opérationnels de chacune de ces deux entreprises, à savoir 4,23  % pour
Total et 75,18  %
pour Publicis, qui explique pourquoi un même
pourcentage de baisse de la masse salariale entraîne une évolution différente
du taux de marge opérationnelle selon les entreprises.
Ainsi, plus l’entreprise est intense en ressources humaines, donc plus la
masse salariale représente un pourcentage élevé
des coûts opérationnels, et
plus le pilotage de la masse salariale a un impact sur la rentabilité
opérationnelle. Inversement,
plus ce pourcentage est faible et moins
l’entreprise a un intérêt financier à réduire la masse salariale, surtout si cela
induit des licenciements économiques qui risquent d’entraîner une
démotivation des salariés, des mouvements sociaux et une
éventuelle
implication des pouvoirs publics. Dans ce cas, la faible réduction des coûts
opérationnels ne compensera pas la
baisse de productivité des salariés
démotivés et la détérioration de l’image publique de l’entreprise.
3 De la productivité du travail à la rentabilité
salariale
Du point de vue organisationnel et comptable, la DRH pilote la masse
salariale. Cette dernière constitue la contrainte budgétaire
à partir de
laquelle est définie la politique de rémunération de l’entreprise.
L’employeur peut également être amené à s’interroger
sur la rentabilité
salariale des frais de personnel engagés par l’entreprise pour mesurer le
montant de valeur ajoutée créée
par unité de salaire dépensée.
Traditionnellement, l’entreprise mesure la productivité du salarié pour en
évaluer la rentabilité en comparant cette dernière
à la rémunération
attribuée au travailleur. Dans cette perspective, l’entreprise calcule la marge
opérationnelle par salarié.
La marge opérationnelle moyenne par salarié
étant la différence entre le chiffre d’affaires moyen par salarié duquel est
déduit
le salaire moyen par salarié.
Cependant, pour affiner l’analyse, il peut être intéressant de calculer la
productivité salariale (chiffre d’affaires/masse
salariale) qui correspond au
montant de chiffre d’affaires généré par unité de salaire dépensée ainsi que
la rentabilité salariale
(marge opérationnelle/masse salariale) qui correspond
au montant de marge opérationnelle généré par unité de salaire dépensée
par l’entreprise.
L’intensité en capital technique, et corollairement l’intensité en ressources
humaines, influence la productivité et la rentabilité
salariales des
entreprises. Ainsi, a priori, plus une entreprise est intense en capital
technique est plus sa productivité et sa rentabilité salariales sont élevées.
L’exemple de Total est à cet égard illustratif puisque sa forte intensité en
capital technique (et, corollairement, sa faible
intensité en ressources
humaines) se traduit par une productivité et une rentabilité salariale élevées
qui se montent respectivement
à 28,04  euros et 4,40  euros par unité de
salaire dépensée (tableau 8.2).
Ces indicateurs de gestion sont intéressants pour comparer des entreprises
appartenant à un même secteur industriel, notamment
lorsqu’elles sont
intenses en ressources humaines. Ainsi, la comparaison des trois banques
BNP Paribas, Crédit Agricole et
Société Générale montre que les trois
entreprises ont une structure salariale très proche (cf. tableau 8.1), en
revanche BNP Paribas a une productivité et une rentabilité salariales plus
élevées que ses concurrentes et cela se traduit
par un taux de marge
opérationnel plus élevé (cf. tableau 8.2). Cela signifie que la banque génère
plus de chiffre d’affaires et de marge opérationnelle par unité de salaire
dépensée
que ses concurrentes.
La marge opérationnelle est en partie déterminée par la différence entre la
productivité salariale et la rentabilité salariale.
Cette dernière dépend
également de la redistribution aux salariés de la valeur créée par
l’entreprise. Par exemple, la productivité
salariale de Carrefour (10,37) est
supérieure à celle de Casino (8,61), cela signifie que le chiffre d’affaires par
unité
de salaire dépensée est plus élevé dans la première entreprise que dans
la seconde. Cependant la rentabilité salariale, c’est-à-dire
le montant de
marge opérationnelle par unité de salaire dépensée, de Casino (0,41) est
supérieure à celle de Carrefour (0,28).
Cela s’explique notamment par le
fait que le salaire moyen chez Carrefour (20 731 euros) et supérieur à celui
de Casino (15 399 euros).
On peut faire l’hypothèse que chez ce dernier, la
moindre rétrocession aux salariés de la valeur ajoutée créée par l’entreprise
contient la masse salariale et détermine un taux de marge opérationnelle
plus élevé que chez son concurrent.
Il est généralement admis que des salariés plus qualifiés sont plus
productifs que des salariés qui le sont moins. Cependant,
comme le niveau
de rémunération augmente avec le niveau de qualification, il est possible
que les entreprises qui emploient
des salariés très qualifiés connaissent une
rentabilité salariale inférieure à celles qui emploient des salariés moins
qualifiés.
La comparaison de Legrand et d’Alstom illustre cette situation.
Les deux entreprises ont une structure salariale proche (tableau  8.1),
cependant la première emploie plutôt des salariés déqualifiés (34 941 euros
de salaire moyen chargé) et la seconde plutôt
des salariés qualifiés
(69 587 euros de salaire moyen chargé). Cependant, la productivité (3,86) et
la rentabilité (0,73)
salariales de Legrand sont supérieures à celles d’Alstom
(3,38 et 0,24) (tableau 8.2). Ces différences peuvent être dues à
des
conjonctures économiques différentes dans les deux secteurs industriels.
Elles peuvent également être dues à une appropriation
plus importante de la
valeur créée par l’entreprise Legrand que par l’entreprise Alstom. La
moindre qualification des salariés
de Legrand implique un plus faible
pouvoir de négociation que celui des salariés plus qualifiés d’Alstom et
entraîne une moindre
capacité à s’approprier une part plus importante de la
valeur créée par l’entreprise.

Tableau 8.2  – Productivité et rentabilité salariales (2012)


4 La procédure budgétaire et la fixation de la
masse salariale
Les entreprises mettent en œuvre des procédures de prévision budgétaire
afin d’anticiper les revenus et les coûts liés à leur
activité. Cet exercice
prévisionnel vise à s’assurer de l’équilibre financier futur de l’entreprise. La
dualité des ressources
humaines, à savoir un facteur de production qui
contribue à la création de valeur et un coût salarial qui impacte la marge
opérationnelle, a met au centre de la procédure de prévision budgétaire.
À travers la procédure budgétaire, les organisations demandent à leurs
managers opérationnels d’anticiper leur activité, les
ressources nécessaires à
la mise en œuvre de l’activité prévisionnelle et les coûts opérationnels qui y
sont associés. La
procédure budgétaire prévoit que les managers traduisent
en coûts salariaux les ressources humaines qu’ils mobilisent. Cela
suppose
de prendre en compte les salaires, les charges sociales, la rémunération des
heures supplémentaires et le recours
éventuel à des travailleurs temporaires,
à des salariés en contrats à durée déterminée ou à des sous-traitants. Il
convient
également dans la procédure budgétaire d’anticiper des coûts
induits par d’éventuelles démissions ou par un taux d’absentéisme
élevé.
Enfin, la procédure budgétaire peut anticiper le coût d’une réserve de
flexibilité en budgétisant des coûts de travailleurs
temporaires en cas
d’accroissement de l’activité ou d’imprévus.
La simulation budgétaire au niveau individuel est ensuite calculée au
niveau des unités opérationnelles puis consolidée au
niveau global afin de
calculer la masse salariale prévisionnelle de l’organisation. Le suivi
budgétaire effectué sur une base
mensuelle, trimestrielle ou annuelle,
autorise un pilotage à court terme de l’activité et de l’évolution des coûts
opérationnels
tant au niveau des unités de production que de l’ensemble de
l’entreprise.
Enfin, la procédure budgétaire permet un contrôle a posteriori des coûts
salariaux liés à l’activité et d’analyser d’éventuels décalages entre les
chiffres prévisionnels et les chiffres
réalisés. L’analyse des écarts permet
d’identifier des pistes d’amélioration et d’évaluer la capacité des managers
à respecter
leur budget prévisionnel.

Focus
Une pratique originale de gestion

de la masse salariale
Un enjeu du pilotage de la masse salariale est de trouver un
compromis entre la contrainte budgétaire et l’attribution
d’augmentations
individuelles après les évaluations. Les revenus de
l’entreprise et les choix de la direction financière déterminent les
marges
de manœuvre en matière de politique salariale. Les
augmentations individuelles doivent s’inscrire dans une enveloppe
budgétaire
globale et satisfaire à la contrainte d’équité entre les
salariés. Le fait que le processus budgétaire de l’entreprise et
son
processus d’évaluation des salariés ne soient pas concomitants
complexifie la coordination des deux dimensions.
Une solution est d’attribuer aux managers opérationnels une
enveloppe de points à répartir entre leurs collaborateurs en fonction
de leurs performances. Le manager attribue des points en fonction
des évaluations individuelles. Ensuite, lorsque l’enveloppe
budgétaire destinée aux rémunérations est connue, un calcul de la
valeur du point est réalisé par la DRH et chaque salarié
peut convertir
ses points en équivalent monétaire pour connaître son augmentation
de rémunération. Cette méthode permet de
concilier deux
contraintes : le besoin d’équité entre les salariés au sein du groupe de
travail et les limites budgétaires
de l’entreprise.
Prenons l’exemple d’un manager A, qui a quatre collaborateurs à
évaluer, sachant que l’évaluation donne lieu ensuite au paiement
d’une prime de performance. Le manager a 100 points à attribuer. Il
attribue 35 points au salarié 1 qui a été particulièrement
efficace, 25
aux salariés 2 et 3, et 15 au salarié 4 qui a été le moins performant.
Lorsque l’enveloppe budgétaire est fixée
en tenant compte des
contraintes financières de l’entreprise, chaque salarié perçoit un
pourcentage du montant total correspondant
au nombre de points
obtenus et à la valeur du point. Ainsi, si l’enveloppe finalement
attribuée au manager A est de 10 000 euros,
la valeur du point est de
100 euros. Le salarié 1 perçoit une prime de 3 500 euros, les salariés
2 et 3 reçoivent 2 500 euros
chacun et le salarié 4 obtient 1 500 euros.
Cette méthode permet de gérer les contraintes liées à un éventuel
découplage entre la procédure d’évaluation des salariés
et la
procédure budgétaire qui définit l’enveloppe salariale destinée aux
augmentations de rémunération dans l’entreprise.

Section 2
LES FACTEURS D’ÉVOLUTION


DE LA MASSE SALARIALE

Au-delà de la structure des coûts salariaux, il convient pour l’entreprise


d’anticiper la dynamique de la masse salariale.
Plusieurs facteurs externes
et internes, plus ou moins contrôlables par l’employeur peuvent influencer
l’évolution des coûts
salariaux. L’anticipation de la dynamique de la masse
salariale est au cœur de son pilotage et de la rentabilité opérationnelle
future
de l’entreprise. À cet égard, la gestion prévisionnelle des ressources
humaines est un outil majeur du pilotage de
la masse salariale.

1 Les augmentations générales des salaires


Un facteur important de la variation de la masse salariale est lié aux
augmentations générales prévues par un accord d’entreprise,
une
convention collective ou par le législateur. Par exemple, la décision des
pouvoirs publics d’augmenter le salaire minimum
a pour conséquence
d’accroître la masse salariale des entreprises. Cet impact est encore plus
important si la grille des rémunérations
d’une entreprise lie les salaires les
uns aux autres. Dans ce cas, une hausse de la rémunération des salariés
payés au salaire
minimum entraîne l’augmentation de toutes les autres
rémunérations de l’entreprise. Il y a une dynamique systémique qui entraîne
une hausse mécanique de tous les salaires et donc un accroissement
conséquent de la masse salariale.
Cet accroissement mécanique peut être lié à d’autres facteurs. Un premier
cas correspond à l’indexation des salaires à l’inflation
des prix à la
consommation. Le principe sous-jacent est la volonté de maintenir le
pouvoir d’achat des travailleurs. Lors
des négociations salariales, la
préservation du pouvoir d’achat des salariés est un argument fort des
représentants du personnel
pour obtenir une augmentation collective des
rémunérations. En période de forte inflation, la masse salariale connaît
mécaniquement
une hausse importante si les salaires sont indexés à la
hausse des prix. Ce phénomène peut entraîner une dégradation de la
marge
opérationnelle si la hausse de la masse salariale est supérieure à
l’augmentation du chiffre d’affaires de l’entreprise.
Les accords collectifs d’entreprise sur les salaires peuvent aboutir à des
augmentations généralisées différentes en fonction
des niveaux de
rémunération. Cela permet de concilier la préservation du pouvoir d’achat
des employés ayant les plus faibles
salaires tout en limitant l’accroissement
de la masse salariale. Ainsi, en 2011, l’entreprise de grande distribution
Casino
a convenu avec les représentants du personnel d’une augmentation
générale de 2,5  % pour les salaires réels inférieurs à 1  445  euros
(pour
36 heures de présence hebdomadaire), de 2,25 % pour ceux compris entre
1  445  euros et 1  585  euros et de 2  % pour les
salaires réels supérieurs à
1 585 euros.
Un second cas est lorsque la convention collective ou l’accord
d’entreprise prévoit des augmentations automatiques liées à
l’ancienneté et
à la progression de carrière. Ce mécanisme est connu sous le terme de
Glissement Vieillesse et Technicité
(GVT). Il traduit l’accroissement de la
masse salariale lié à des augmentations automatiques des rémunérations du
fait de
l’ancienneté (Vieillesse), d’une reconnaissance des compétences
acquises à travers une promotion (Technicité) et des autres
augmentations
irréversibles de rémunérations qui sont attribuées individuellement
(Glissement). La fonction publique, qui
prévoit des augmentations et des
promotions automatiques en fonction de l’ancienneté et des promotions, est
particulièrement
sensible à l’effet GVT sur la masse salariale. Ce
mécanisme d’augmentation des rémunérations se révèle particulièrement
problématique
pour la politique de rémunération de l’entreprise en période
de faible inflation des prix. En effet, une faible inflation
signifie, à niveau
de production identique, que le chiffre d’affaires augmente faiblement et
donc que la capacité de l’entreprise
à augmenter la masse salariale est
relativement limitée. Si la masse salariale augmente mécaniquement du fait
du GVT, alors
la marge de manœuvre est réduite pour une DRH qui
souhaite individualiser les rémunérations des salariés à leurs performances.
L’automaticité des augmentations de rémunération prévues par les
accords d’entreprise ou les conventions collectives conduit
donc à des
accroissements de masse salariale qui peuvent être déconnectés de la
performance économique de l’entreprise. Cette
déconnexion limite les
possibilités d’action en matière de politique de rémunération et
d’individualisation des rétributions.
Pour résoudre cette tension entre la
contrainte budgétaire et le besoin d’attribuer des rémunérations équitables
en fonction
de la performance, les employeurs négocient parfois une hausse
générale de la masse salariale destinée à une catégorie de
salariés en
particulier mais se réservent le droit d’individualiser la répartition de
l’enveloppe salariale. Cette pratique
permet de concilier la contrainte de
rationalité budgétaire, la contrainte d’équité interne et la contrainte
d’attractivité
externe. Ainsi, en 2011, l’accord susmentionné de l’entreprise
Casino a prévu une augmentation de 2,25  % de la masse salariale
de la
population des cadres mais stipule que la répartition se fait de manière
individualisée. Certains cadres pouvant bénéficier
d’augmentations
supérieures à 2,25  % et d’autres d’augmentations inférieures. Ces
augmentations individuelles permettent de
rétribuer la performance ou
d’ajuster les rémunérations en fonction des salaires fixés par le marché du
travail tout en respectant
une contrainte de rationalité budgétaire.
L’influence des conventions collectives sur l’évolution de la masse
salariale varie selon les secteurs industriels et les
pays. Ainsi, en France, la
convention collective de la banque, qui s’impose à tous les établissements
bancaires, définit onze
niveaux de classification auxquels est associé un
salaire annuel minimum conventionnel garanti hors ancienneté. Cette
convention
fixe également des salaires annuels minima conventionnels
garantis à a l’ancienneté. Ces minima sont définis selon des paliers
de cinq
ans et ils sont régulièrement révisés. D’autre part, la convention collective
prévoit une garantie salariale de branche
qui assure aux salariés, jusqu’à un
certain plafond[2], une progression minimale de leur rémunération. Enfin,
des négociations annuelles de branche sur les salaires minima et l’évolution
des salaires sont prévues par la convention collective des banques.
Comparativement, en Suisse, la convention relative aux
conditions de
travail du personnel bancaire ne prévoit aucune augmentation automatique
des rémunérations ni aucun salaire
minimum. Elle laisse à la négociation
entre les partenaires sociaux au sein de chaque banque le soin de fixer
d’éventuels
minima et augmentations collectives. En revanche, dans la
confédération helvétique, la convention collective de travail des
industries
horlogère et microtechnique prévoit que, chaque année, les parties
contractantes de la convention collective fixent
les salaires minimaux
d’embauche et négocient l’adaptation des salaires au renchérissement du
coût de la vie. La convention
prévoit explicitement que la décision qui
résulte de ces négociations «  est réputée compenser intégralement le
renchérissement
de l’année civile en cours ».
Pour s’affranchir des rigidités induites par ces augmentations
automatiques de rémunération, les entreprises vont parfois
contourner ou
dénoncer les conventions collectives et les accords d’entreprise. Ainsi, une
grande banque française a créé
une filiale pour sortir les traders sur produits
dérivés de la convention collective des banques et pouvoir leur appliquer
une politique de rémunération spécifique à partir d’une autre convention
collective.
Les délocalisations permettent également de s’affranchir des
réglementations sociales nationales en matière de rémunération et de
renégocier certaines conventions collectives. Ainsi, au début des années
2010, le secteur automobile français a connu
une crise importante et a, en
partie, délocalisé la production dans des pays européens à faibles coûts
salariaux afin de réduire
les coûts de revient des véhicules. En 2013, les
représentants du personnel des ouvriers des usines françaises des
constructeurs
automobiles ont accepté une certaine modération salariale en
contrepartie de la préservation des emplois sur le territoire
national. Ainsi,
en mars  2013, trois syndicats (CFDT, FO et CFE/CGC) ont signé avec la
direction de Renault un «  contrat pour
une nouvelle dynamique de
croissance et de développement social de Renault en France  » qui prévoit
que l’entreprise s’engage
à maintenir un certain niveau d’ingénierie et de
production sur le territoire national (820 000 véhicules doivent être fabriqué
en France en 2016) et donc, implicitement, à préserver les emplois. En
contrepartie, les salariés acceptent une certaine modération
salariale, une
plus grande mobilité géographique et une annualisation du temps de travail.
Ainsi, dans son chapitre 9, l’accord stipule que « La situation économique
de la branche automobile et ses performances… conduit à une nécessaire
limitation
de la progression de la masse salariale dans une approche de
modération salariale. Il est ainsi envisagé pour 2013 le maintien
des
rémunérations à leur niveau actuel  ». L’accord prévoyait pour les années
suivantes une évolution des rémunérations en
fonction de la situation de
l’entreprise.

Focus
Des logiciels de simulation

de la masse salariale
La simulation de l’évolution de la masse salariale pour prendre en
compte les choix de politique de rémunération et l’impact
de
l’évolution de la structure des ressources humaines est un enjeu
important de la DRH, notamment dans le cadre de ses discussions
avec la direction financière au moment des négociations budgétaires.
Les entreprises de progiciels de gestion ont développé des logiciels
de simulation qui tiennent compte des recrutements et
des départs
prévisionnels, des changements de fonction, des grilles salariales et
des prélèvements sociaux pour mesurer l’évolution
de la masse
salariale. Ils permettent de simuler des politiques d’individualisation
des rémunérations et l’impact de mesures
d’augmentations salariales.
L’interdépendance de ces différents éléments contribuant à
l’évolution des frais de personnel
est complexe à calculer mais se
prête bien à une automatisation. En ce sens, les logiciels de
simulation sont des outils d’aide
à la décision.
Au niveau des business units, ces logiciels permettent aux managers
opérationnels de simuler leur budget et la rentabilité de leur unité. Ils
rendent
possible l’évaluation de l’impact d’un recrutement et
l’influence du type de contrat utilisé (CDI, CDD, intérim, stagiaire
ou
sous-traitant) sur l’évolution des coûts salariaux de l’unité. Les
logiciels de gestion de la masse salariale facilitent
également la
consolidation des propositions d’augmentation faites par les
managers opérationnels et leur compatibilité avec
les contraintes
budgétaires de l’entreprise.
A posteriori, les logiciels de pilotage de la masse salariale permettent
une analyse des écarts entre les budgets prévisionnels et les
budgets
réalisés afin d’identifier les facteurs de variation des coûts salariaux.
Ces logiciels deviennent un outil de dialogue
entre les acteurs du
pilotage de la masse salariale : la direction financière, la DRH et les
managers opérationnels.

2 Les effets de la structure des qualifications sur


la masse salariale
Les entreprises emploient des salariés de différents niveaux de
compétences. Ces différences constituent la structure des
qualifications de
l’organisation. L’évolution de la structure des qualifications de l’entreprise
a un impact sur l’évolution
de la masse salariale. Cette structure des
qualifications a une définition juridique qui correspond à la distinction dans
l’industrie ouvriers, agents de maîtrise et ingénieurs et cadres, et dans
certains secteurs des services comme les banques la structure de
qualification est identifiée par les catégories
employés, gradés et cadres.
Dans les sociétés de conseil en management, les sociétés de services
informatiques, les cabinets d’audit et les firmes d’avocats,
cette hiérarchie
salariale liée aux qualifications se traduit à travers les dénominations de
poste de consultant/auditeur/juriste junior et senior, puis manager,
associate partner et partner.
Cette hiérarchie professionnelle correspond à une hiérarchie salariale
allant des postes les moins rémunérés aux plus rémunérés.
Des choix
stratégiques peuvent entraîner une évolution de la structure des
qualifications en diminuant une catégorie de salariés
et en augmentant une
autre. Cette évolution structurelle a une influence sur la masse salariale
indépendamment de l’évolution
quantitative des effectifs. Le secteur
bancaire illustre ce changement de structure qui a influencé la masse
salariale. Les
emplois déqualifiés d’employés ont disparu du fait de
l’informatisation des processus financiers et, parallèlement, le nombre
d’emplois qualifiés de cadres s’est accru du fait de la complexification des
produits et services financiers qui ont rendu nécessaire le recours à des
salariés plus qualifiés. Pour un niveau d’effectif constant, l’évolution de la
structure des qualifications a conduit à une
augmentation de la masse
salariale car, globalement, les salariés des banques sont désormais plus
qualifiés et donc mieux
rémunérés.
Les dirigeants d’entreprise et les analystes financiers sont
particulièrement sensibles à l’effet de structure dans les secteurs
industriels
où la masse salariale est une composante importante des coûts
opérationnels. Par exemple, dans les sociétés de
conseil, un ratio important
qui révèle la structure des qualifications est le nombre de consultants
juniors et seniors par
partner. Plus ce ratio est élevé et plus la société est
supposée profitable car la productivité et la marge opérationnelle par
consultants
est relativement plus importante que celle des partners. Par
exemple, dans les sociétés de conseil en management et système
d’information comme Accenture ou Cap Gemini, la règle
du « Up or Out »
en matière de gestion des carrières influence la masse salariale car chaque
promotion entraîne une augmentation de rémunération
au niveau individuel
et, à effectif constant, un accroissement des frais de personnel. Ainsi, une
société qui compte dans
ses effectifs 40 % de consultants juniors, 20 % de
consultants seniors, 20 % de managers, 15 % d’Associate Partners et 5  %
de Partners, est, toutes choses égales par ailleurs, plus rentable qu’une
société dont la structure de qualification est de 20 % de consultants
juniors,
40 % de consultants seniors, 10 % de managers, 10 % d’Associate Partners
et 20  % de Partners. Pour un chiffre d’affaires identique, du fait de la
structure des qualifications, la première société a une marge opérationnelle
plus élevée car sa masse salariale est inférieure à la seconde.
3 L’effet noria de l’évolution de la structure des
qualifications sur la masse salariale
L’effet noria vise à évaluer l’impact sur la masse salariale de l’évolution
de la structure des qualifications de l’organisation.
C’est une analyse
dynamique de l’effet induit par l’évolution de la structure des qualifications
de l’entreprise. L’effet
noria mesure l’influence sur la masse salariale des
entrées et des sorties par catégorie du fait des différences entre les
salaires
moyens des entrants et des sortants. Cet effet n’existe qu’en cas de
remplacement des salariés partants par de nouveaux
embauchés.
Généralement, les départs concernent des salariés plus anciens et mieux
rémunérés que les salariés nouvellement recrutés.
Par exemple, dans le
secteur bancaire, le départ à la retraite de conseillers bancaires ayant des
grades hiérarchiques élevés
et leur remplacement par de jeunes diplômés de
l’enseignement supérieur moins rémunérés du fait de grades hiérarchiques
de
niveaux plus faibles, se traduit dans un effet noria qui contribue à
diminuer la masse salariale.
Les flux de personnel et les mécanismes qui les déterminent (notamment
le taux de démission et le taux de départ à la retraite)
ont un impact sur la
masse salariale et sont analysés avec attention, notamment dans les
entreprises intenses en ressources
humaines. Par exemple, dans les sociétés
de services informatiques et les cabinets d’audit, les démissions
d’informaticiens
et d’auditeurs seniors ayant trois ou quatre ans
d’ancienneté permet de les remplacer par des jeunes diplômés moins
rémunérés
car recrutés à des postes d’informaticiens et d’auditeurs juniors.
L’effet noria induit par ces flux de personnel contribue
à réduire la masse
salariale. Au-delà de la gestion des carrières, la règle informelle du « Up or
Out  » qui pousse à la démission des consultants seniors, parfois peu
performants mais avec des niveaux de rémunération élevés,
pour les
remplacer par des consultants juniors moins rémunérés mais aussi
performants, constitue donc également un mécanisme
de régulation de la
masse salariale en modifiant la structure des qualifications de l’entreprise.
Ainsi, si l’on considère le cabinet d’audit Alpha, qui emploie 100
auditeurs. Si ces derniers sont tous des auditeurs seniors
rémunérés sur une
base mensuelle de 3 000 euros, dans ce cas, la masse salariale mensuelle du
cabinet est de 300 000 euros.
Si 30 auditeurs seniors démissionnent et sont
remplacés par 30 auditeurs juniors rémunérés 2  000  euros, alors la masse
salariale
mensuelle du cabinet est de 270  000  euros. Cette évolution
représente une diminution de 10  % de la masse salariale mensuelle.
Cela
correspond à l’effet noria lié au changement de la structure des
qualifications du cabinet d’audit induit par les flux
d’entrées et de sorties
des salariés.

4 L’effet report des augmentations de


rémunération et des recrutements sur l’évolution
de la masse salariale
L’effet report correspond à l’impact sur la masse salariale de l’année
suivante (année n+ 1) d’une augmentation des rémunérations
effectuée dans
l’année en cours (année n). Dans le compte de résultat établi annuellement,
la masse salariale est comptabilisée
sur l’année écoulée. Toute
augmentation de rémunération qui est irréversible, qu’elle soit individuelle
ou collective, a un
impact sur l’évolution de la masse salariale de l’année
suivante. Cependant, la date à laquelle l’augmentation des rémunérations
est effectuée influence plus ou moins l’évolution de la masse salariale de
l’année suivante. C’est ce que l’on nomme l’effet
report. Plus
l’augmentation des rémunérations est proche de la fin de l’année et plus
l’effet report sur l’année suivante
est important.
Considérons par exemple l’entreprise A dont la masse salariale mensuelle
en janvier de l’année n est de 100. Si pour le mois
de décembre, l’entreprise
augmente les rémunérations de l’ensemble de ses salariés de 8 %, sa masse
salariale pour le dernier
mois de l’année est de 108. La masse salariale de
l’année n est donc de 1  208 (11  mois ×  100 +  1  mois ×  108). Cela
correspond
à une augmentation de 0,67 % de la masse salariale au cours de
l’année n par rapport à l’année n-1. En ce qui concerne l’année
n+  1, la
masse salariale sera de 1  296 (12 mois ×  108). Cela correspond à une
augmentation de 7,28 % de la masse salariale
en année n+ 1 par rapport à la
masse salariale de l’année n. Dans ce cas, l’effet report, c’est-à-dire
l’impact de l’augmentation
des salaires en année n sur la masse salariale en
n+  1 est de 7,28  %. L’effet de l’augmentation des rémunérations sur
l’évolution
de la masse salariale est donc plus important sur l’année à venir
que sur l’année en cours. Ainsi, plus l’augmentation des
rémunérations a
lieu en début d’année et moindre est l’effet report sur l’année suivante et
inversement.
Un mécanisme similaire se produit avec les recrutements et les
licenciements. Il convient de mesurer la différence d’impact
sur la masse
salariale d’un recrutement ou d’un licenciement entre l’année en cours et
une année pleine. Par exemple, si une
entreprise A emploie en début
d’année 10  salariés et que chacun d’entre eux est rémunéré 100, alors la
masse salariale mensuelle
est de 1  000 et la masse salariale annuelle de
12  000 (12 ×  1  000). Si début septembre, l’entreprise recrute un salarié
rémunéré
100, l’accroissement de masse salariale pour l’année en cours est
de 400 (4 mois de salaire à 100), soit une hausse de 3,33  %
de la masse
salariale qui en fin d’année est de 12  400. L’année suivante, le salarié
recruté en septembre de l’année précédente
sera rémunéré toute l’année.
L’année n+  1, la masse salariale de l’entreprise sera de 13  200 (100 ×  11
salariés ×  12 mois),
ce qui correspond à une augmentation de 6,45  % par
rapport à l’année n. L’effet report sur la masse salariale de l’année n+ 1
du
recrutement réalisé en n est donc de 6,45  %. Dans ce cas, l’effet du
recrutement sur la masse salariale est plus important
l’année suivante que
l’année du recrutement. Plus les recrutements ou les licenciements sont
réalisés en fin d’année et plus
l’effet report sur la masse salariale de l’année
suivante est important.

Section 3

L’ENJEU FINANCIER DE LA FLEXIBILISATION

DE LA MASSE SALARIALE

1 Les leviers de la flexibilité salariale


La capacité d’ajustement de la masse salariale aux variations des revenus
détermine la capacité de l’entreprise à préserver
sa rentabilité, voire sa
survie. Pour cette raison, l’employeur va s’efforcer d’ajuster les coûts
salariaux aux variations
de son activité. Les entreprises cherchent à se
construire des capacités de flexibilité de la masse salariale. Une solution
spontanément avancée consiste à recruter et à se séparer de salariés en
fonction des besoins de l’activité dans une logique
de flexibilité externe des
ressources humaines. Cette pratique peut connaître certaines limites. De
plus, elle n’est pas la
seule modalité de flexibilisation de la masse salariale.
Concernant les travailleurs qui sont contractuellement des salariés de
l’organisation, dans la mesure où :
Masse salariale = Nombre de salariés × Salaire moyen
on put considérer qu’un employeur dispose de deux leviers pour ajuster la
masse salariale de l’entreprise aux fluctuations
de l’activité. Le premier
consiste à réduire le nombre de salariés. Le second à diminuer les
rémunérations individuelles.
Les deux leviers d’ajustement correspondent
aux deux modes de flexibilité des RH précédemment analysés. L’entreprise
qui s’appuie
sur les réductions d’emplois pour réduire sa masse salariale,
s’inscrit dans une logique de flexibilité externe. En revanche,
celle qui a
recours à une baisse du salaire moyen est dans une logique de flexibilité
interne des RH.
Par exemple, si l’on considère une entreprise qui rémunère 100 salariés
1 000 euros chacun et dont la masse salariale est
de 100 000 euros. Si une
baisse d’activité rend nécessaire une réduction de 10  % de la masse
salariale pour l’amener à 90  000  euros,
d’un point de vue comptable, le
résultat visé est atteint que l’entreprise décide de licencier 10 salariés et
maintenir le
salaire des 90 salariés restants à 1 000 euros ou qu’elle décide
de baisser la rémunération de tous les salariés de 10  % pour
les payer
900 euros et en gardant tous ses effectifs.
Théoriquement, et abstraction faite de la détention de compétences
spécifiques par certains salariés, l’entreprise est indifférente
au mode
d’ajustement. En revanche, quand les salariés détiennent des compétences
spécifiques à l’entreprise, l’employeur préfère
diminuer la masse salariale
par une baisse de la rémunération des salariés plutôt que par des
licenciements économiques. Dans
la réalité des entreprises, les deux formes
de flexibilisation de la masse salariale sont mobilisées de manière
concomitante
par les DRH mais avec une importance différente selon les
organisations.
Le pilotage de la masse salariale et sa flexibilisation expliquent de
nombreuses pratiques de GRH. Ainsi, suite à la crise
financière des années
2008-2009, qui s’est traduite par une baisse importante du chiffre d’affaires
de certaines banques,
la diminution de la masse salariale était une condition
nécessaire à la survie puis à la restauration de la rentabilité des
établissements financiers. Pour cette raison, certaines banques ont procédé à
d’importants licenciements économiques pour
réduire les coûts salariaux.
Par exemple, la banque UBS a connu une baisse de 28,75 % de son activité
entre  2007 et  2009 (son
chiffre d’affaires est passé de 31,72  milliards de
francs suisses à 22,60 milliards). En 2007, les coûts salariaux représentaient
72  % des coûts opérationnels de la banque. La réduction de la masse
salariale était une condition de la survie d’UBS. Pour
cela, l’établissement
financier a, d’une part, diminué le nombre d’emplois de 22  % en faisant
passer les effectifs de 83  560
personnes à 65  233 personnes (soit une
réduction de 18 327 emplois) et, d’autre part, grâce au système des bonus, a
diminué
le salaire moyen chargé de 17 % puisqu’il était de 305 349 francs
suisses par salarié en 2007 et de 253 599 francs suisses
en 2009. L’addition
de la diminution des effectifs (flexibilité externe) et des rémunérations
individuelles (flexibilité interne)
a permis à la banque de réduire ses coûts
salariaux de 35,16 % puisque la masse salariale est passée de 25,5 milliards
de
francs suisses en 2007 à 16,5 milliards en 2009.
Ainsi, la flexibilité externe de l’emploi n’est pas le seul levier
d’ajustement de la masse salariale. L’évolution de la rémunération
moyenne
constitue un autre levier d’ajustement. À cet égard, les systèmes de
rémunération variable qui lient la rémunération
des salariés à leurs
performances par l’attribution de bonus ou de primes constituent des
mécanismes de flexibilisation de
la masse salariale.
La prévalence de l’une ou de l’autre forme de flexibilité salariale dépend
également du système de rémunération. Si ce dernier
s’appuie sur une
individualisation des rémunérations qui ajuste ces dernières au chiffre
d’affaires, alors la flexibilité
des rémunérations individuelles peut prévaloir
sur la flexibilité de l’emploi. Inversement, une rigidité des rémunérations
individuelles, du fait d’accord d’entreprise ou de convention collective, peut
inciter les entreprises à ajuster plutôt par
l’emploi que par les
rémunérations.
L’irréversibilité des augmentations de rémunération fait peser une menace
importante sur la rentabilité future d’une entreprise
en réduisant les
possibilités d’ajustement par les salaires. La rigidité des salaires favorise un
ajustement par l’emploi
de la masse salariale. Aussi, dans un
environnement économique incertain, les employeurs s’efforcent de
flexibiliser la masse
salariale en individualisant les rémunérations et en les
liant à la performance individuelle, voire à la performance collective
de
l’entreprise. Par exemple, les bonus des traders favorisent la flexibilité
salariale dans les activités de banque d’investissement.
Suite à la crise
financière de 2008, le développement, sous la pression des régulateurs, des
rémunérations fixes et la réduction
des bonus pour inciter les traders à
prendre moins de risque, a eu un effet induit imprévu qui est que la
rémunération n’est
plus une variable d’ajustement de la masse salariale et
qu’une réduction de cette dernière dans les banques ne peut se faire
qu’à
travers des réductions d’emplois.

2 Élasticité de la masse salariale et de la


rémunération moyenne
L’évolution de la masse salariale en fonction de l’activité conditionne la
rentabilité opérationnelle de l’entreprise, plus
particulièrement en cas de
baisse du chiffre d’affaires.
La flexibilité de la masse salariale en fonction de la variation du chiffre
d’affaires se mesure par l’élasticité de la masse
salariale à l’activité (eMS)
tel que :

MS est la masse salariale.


CA est le chiffre d’affaires de l’entreprise.

■ Soit l’élasticité de la masse salariale à l’activité est inférieure à 1


Dans ce cas, en situation de hausse de l’activité, toutes choses égales par
ailleurs, la marge opérationnelle s’améliore car
les coûts salariaux
augmentent moins vite que le chiffre d’affaires. En revanche, une baisse de
l’activité, toutes choses
égales par ailleurs, entraîne une baisse de la marge
opérationnelle car la masse salariale diminue moins vite que le chiffre
d’affaires. Dans cette configuration, il y a une rigidité de la masse salariale
à la hausse comme à la baisse de l’activité.
■ Soit l’élasticité de la masse salariale à l’activité est supérieure à 1
Dans ce cas, en situation de hausse de l’activité, toutes choses égales par
ailleurs, la marge opérationnelle se dégrade car
les coûts salariaux
augmentent plus vite que le chiffre d’affaires. En revanche, dans une
situation de baisse de l’activité,
toutes choses égales par ailleurs, cela
entraîne une amélioration de la marge opérationnelle car la masse salariale
diminue
plus vite que le chiffre d’affaires. Dans cette configuration, il y a
une flexibilité de la masse salariale .
En cas de baisse de l’activité, l’élasticité de la masse salariale dépend du
pouvoir de négociation individuel et collectif
des salariés pour préserver les
emplois et leur rémunération. Lorsque les salariés ont un fort pouvoir de
négociation, ils
peuvent imposer une rigidité de la masse salariale alors que
l’employeur cherche à la diminuer. Le pouvoir des salariés peut
également
se traduire par une capacité à obtenir des recrutements et/ou des
augmentations de rémunération lors des périodes
d’accroissement de
l’activité. Cela se traduit par un accroissement de la masse salariale alors
que l’employeur cherche à
privilégier une rigidité salariale pour accroître sa
marge opérationnelle.
Dans la mesure où la masse salariale résulte de la multiplication du
nombre de salariés par la rémunération moyenne dans l’entreprise,
l’élasticité de la masse salariale (et donc sa flexibilité) aux variations de
l’activité dépend de la l’élasticité de l’emploi
et/ou de l’élasticité de la
rémunération moyenne. Ainsi, soit l’entreprise ajuste ses coûts salariaux par
une réduction du
nombre d’emplois, soit elle réduit la rémunération
individuelle moyenne. Le premier cas correspond à une logique de
flexibilité
externe et le second de flexibilité interne des ressources
humaines. L’élasticité à l’activité de la masse salariale correspond
à la
combinaison de l’élasticité à l’activité de l’emploi et de l’élasticité à
l’activité de la rémunération moyenne.
Ainsi, en 2010, le groupe hôtelier Accor a connu une baisse de 14,68 %
de son chiffre d’affaires. Cette baisse s’est accompagnée
d’une baisse de
14,59  % de la masse salariale (soit une élasticité à l’activité de la masse
salariale presque parfaite de
0,99) qui est principalement due à une baisse
de la rémunération moyenne (-10,68 %, soit une élasticité à l’activité de la
rémunération moyenne de 0.73) et moins à une baisse du nombre de salariés
(-4,38  %, soit une élasticité à l’activité de l’emploi
de 0,3). Dans ce cas,
l’entreprise a privilégié la flexibilité interne des RH pour ajuster sa masse
salariale.
Inversement, en 2009, l’entreprise de fabrication de composants
électriques Legrand a connu une baisse de 14,87 % de son chiffre
d’affaires.
Cette baisse s’est accompagnée d’une baisse de 10,75  % de la masse
salariale (soit une élasticité à l’activité
de la masse salariale de 0,72) qui
s’explique essentiellement par une baisse des effectifs (-10,39  %, soit une
élasticité
à l’activité de l’emploi de 0,70) et peu par une variation de la
rémunération moyenne (-0,40  %, soit une élasticité à l’activité
de la
rémunération moyenne de 0,03). Dans ce cas, l’entreprise a privilégié la
flexibilité externe des RH pour ajuster sa
masse salariale.
Pour reprendre l’exemple du secteur bancaire, le système de bonus
correspond à un mécanisme de flexibilisation de la masse
salariale par une
variation des rémunérations et non par une variation des effectifs. Ainsi, en
2008, la banque Goldman Sachs
a connu une baisse de 39 % de son activité
(de 8,796 milliards de dollars en 2007 à 5,357 milliards de dollars en 2008).
En
2007, la masse salariale de la banque se montait à 2,018  milliards de
dollars, soit 71,13  % des 2,828  milliards de dollars
de dépenses
opérationnelles. En 2008, la masse salariale a baissé de 45,84  % pour
atteindre 1,093  milliard de dollars  ; cela
correspond à une élasticité à
l’activité de la masse salariale de 1,17. Cette réduction a résulté presque
exclusivement d’une
baisse de la rémunération moyenne des salariés de la
banque qui est passée de 661 490 dollars à 363 654 dollars (soit une
baisse
de 45,02 %) ; cela correspond à une élasticité à l’activité de la rémunération
moyenne de 1,15. Dans le même temps
les effectifs n’ont diminué que de
1,49 % en passant de 30 522 à 30 067 ; cela correspond à une élasticité à
l’activité de
l’emploi de 0,04. En privilégiant la flexibilité interne à la
flexibilité externe des RH pour ajuster sa masse salariale,
Goldman Sachs a
pu garder tous ses salariés détenteurs de compétences stratégiques et
répondre à la reprise de l’industrie
financière qui a eu lieu les années
suivantes.

3 Évolution de la masse salariale et répartition de


la valeur ajoutée
L’activité de l’entreprise nécessite le recours à des ressources humaines
pour créer de la valeur ajoutée. La masse salariale
correspond à la partie de
la valeur ajoutée créée qui est redistribuée aux travailleurs. Une variation de
l’activité de l’entreprise,
à la hausse ou à la baisse, entraîne une variation de
la valeur ajoutée créée et une variation de la masse salariale. Cependant,
l’évolution de la masse salariale n’est pas strictement proportionnelle à
l’évolution de l’activité. Il y a une élasticité
de la masse salariale à l’activité
de l’organisation qui dépend de la productivité des travailleurs rémunérés et
de la redistribution
des gains de productivité. L’élasticité dépend également
de la productivité et de la rémunération des salariés qui sont recrutés
en
période de hausse d’activité ainsi que de la productivité et la rémunération
de ceux qui quittent l’entreprise en période
de baisse d’activité. L’élasticité
à l’activité de la masse salariale traduit également le pouvoir de négociation
des salariés
pour s’approprier une partie de la valeur ajoutée créée par
l’entreprise.
D’un point de vue comptable, et de manière simplifiée, la valeur ajoutée
créée par l’entreprise correspond à la somme de la
masse salariale et de la
marge opérationnelle. Ainsi, si la marge opérationnelle de l’entreprise est de
50 et que sa masse
salariale est de 100, alors la valeur ajoutée créée par
l’entreprise est de 150. Dans ce cas, les salariés s’approprient 66,66  %
de
cette valeur ajoutée. Si une augmentation de l’activité s’accompagne d’une
hausse de la masse salariale de 20 % pour atteindre
120 et d’une hausse de
la marge opérationnelle de 10 % pour atteindre 55, alors la valeur ajoutée
créée par l’entreprise est
de 175. Dans ce cas, les salariés s’approprient
68,57  % de cette valeur ajoutée, ce qui correspond à une part plus
importante
que précédemment.
En période de hausse d’activité, l’enjeu pour l’employeur est de s’assurer
que l’élasticité à l’activité de la masse salariale
est inférieure à 1. Cela est
nécessaire pour améliorer la marge opérationnelle et ainsi financer les
investissements et/ou
rétribuer les actionnaires. Dans une phase de hausse
d’activité, si l’entreprise augmente sa production par un accroissement
de la
productivité des salariés en place et ne rémunère pas les salariés pour cette
augmentation de productivité, c’est-à-dire
que les élasticités à l’activité de
la masse salariale et donc celle de la rémunération moyenne sont égales à
zéro, alors,
toutes choses étant égales par ailleurs, la masse salariale reste
stable et la marge opérationnelle de l’entreprise augmente.
Dans ce cas,
l’entreprise s’approprie un pourcentage plus important de la valeur ajoutée
créée. Inversement, si l’entreprise
voit la rémunération moyenne s’accroître
de manière plus importante que la productivité moyenne des salariés, par
exemple
du fait de la législation sur la rémunération des heures
supplémentaires, alors, toutes choses étant égales par ailleurs,
l’accroissement d’activité s’accompagne d’une augmentation
proportionnellement plus importante de la masse salariale, ce qui
correspond à une élasticité à l’activité de la masse salariale qui est
supérieure à 1. Dans ce cas, l’entreprise connaît une
baisse de sa marge
opérationnelle et elle s’approprie un pourcentage plus faible de la valeur
ajoutée créée.
Lorsque les entreprises recrutent pour faire face à une croissance de
l’activité, si les nouveaux employés sont en moyenne
rémunérés au même
salaire que les salariés en place mais que leur productivité est inférieure, par
exemple du fait de compétences
moins adaptées et/ou de la période
d’apprentissage, alors toutes choses étant égales par ailleurs, l’élasticité à
l’activité
de la masse salariale est supérieure à 1 et la marge opérationnelle
de l’entreprise se dégrade. Inversement, si les nouveaux
employés sont en
moyenne plus productifs et/ou moins rémunérés que les salariés en place,
alors la masse salariale progresse
proportionnellement moins que l’activité,
ce qui signifie que l’élasticité à l’activité de la masse salariale est inférieure
à 1. Dans ce cas la marge opérationnelle de l’entreprise s’améliore.
En période de baisse d’activité, les entreprises réduisent les effectifs et/ou
la rémunération moyenne pour réduire la masse
salariale et ainsi préserver
la rentabilité de l’entreprise. Si l’entreprise ne réduit pas ses effectifs,
l’élasticité à l’activité
de la masse salariale dépend de la proportionnalité de
la baisse de rémunération moyenne relativement à la baisse de la
productivité
moyenne. Si la rémunération moyenne diminue moins que la
productivité moyenne, alors, toutes choses étant égales par ailleurs,
l’élasticité à l’activité de la masse salariale est inférieure à 1 et le
pourcentage de la valeur ajoutée que l’entreprise
s’approprie diminue.
Dans le cas où l’entreprise réduit ses effectifs pour réduire sa masse
salariale lors d’une baisse de son activité, l’élasticité
à l’activité de la masse
salariale dépend aussi de la rémunération moyenne et de la productivité
moyenne des salariés qui
quittent l’entreprise. Si les employés qui partent
de l’entreprise sont les plus productifs et les moins rémunérés, alors,
toutes
choses étant égales par ailleurs, l’élasticité de la masse salariale peut être
inférieure à 1. Inversement, si ce sont
les employés les moins productifs et
les mieux rémunérés qui quittent l’entreprise, alors l’élasticité à l’activité de
la
masse salariale peut être supérieure à 1.
Cet impact de la productivité et de la rémunération moyenne des salariés
qui quittent l’entreprise justifie la gestion qualitative
des plans sociaux.
L’entreprise a intérêt, d’une part, à garder les employés les plus productifs
et proportionnellement les
moins rémunérés. D’autre part, l’entreprise a
intérêt à faciliter le départ des travailleurs les moins productifs, surtout
s’ils
sont proportionnellement mieux rémunérés  ; c’est-à-dire que leur valeur
d’usage (productivité) est inférieure à leur
valeur d’échange (salaire). Dans
la réalité, ces mouvements ne se font pas naturellement et cela pour deux
raisons. D’une
part, la première catégorie de salariés est celle dont
l’employabilité est la plus élevée. Ces individus retrouvent plus facilement
un emploi hors de l’organisation car leur valeur d’usage est supérieure à
leur valeur d’échange. Ils sont donc plus enclins
à quitter l’entreprise quand
cette dernière connaît des difficultés économiques. Inversement, les salariés
les moins productifs,
et proportionnellement les mieux rémunérés au regard
de leur productivité, ont plus de difficultés à retrouver un emploi à
l’extérieur de l’organisation. Ils seront donc plus réticents à quitter
l’entreprise. D’autre part, les conventions collectives
et les accords
d’entreprise prévoient souvent que, en cas de licenciements économiques
pour accompagner une baisse d’activité,
les derniers salariés recrutés par
l’entreprise soient les premiers licenciés. Ces derniers sont souvent plus
productifs et
moins rémunérés que certains salariés dont les rémunérations
sont plus élevées du fait d’augmentations salariales liées à
l’ancienneté et
dont la productivité peut avoir chuté du fait du vieillissement.
Section 4
DÉCISIONS STRATÉGIQUES


ET GESTION DE LA MASSE SALARIALE

La masse salariale est une composante du modèle économique d’une


entreprise dans la mesure où elle correspond à des coûts
opérationnels. Pour
cette raison, la gestion de la masse salariale est une dimension importante
de la stratégie d’entreprise.
L’optimisation de la masse salariale vise à
réduire ou à flexibiliser les frais de personnel. La réduction de la masse
salariale
peut permettre de dégager les capacités d’investissement
nécessaires au financement de l’innovation pour accompagner une stratégie
de différenciation. Elle peut également permettre de réduire les prix de
vente dans le cadre d’une stratégie de domination
globale par les coûts.
L’optimisation de la masse salariale peut expliquer trois types de
décisions stratégiques prises par une entreprise  : l’externalisation,
la
délocalisation et la robotisation.

1 L’externalisation d’une activité


1.1 Externaliser pour flexibiliser les coûts salariaux
Le recours à la sous-traitance et aux entreprises de travail temporaire
constituent indirectement des réserves de flexibilité
des coûts, notamment
des coûts liés aux ressources humaines.
En raison des commissions prélevées par les entreprises de travail
temporaire et de la législation qui impose le versement
d’une prime de
précarité aux travailleurs intérimaires, une entreprise qui recourt à ce type
de travailleurs supporte un coût
du travail unitaire plus élevé que si elle
employait le même salarié en contrat de travail à durée indéterminée. Un
employeur
accepte ce surcoût pour bénéficier d’une réserve de flexibilité de
ses coûts salariaux et ainsi faire face aux incertitudes
liées à son activité. En
cas de baisse d’activité, l’entreprise ne renouvelle pas les contrats de travail
temporaire et réduit
de fait ses coûts salariaux.
Le même raisonnement s’applique pour la sous-traitance d’une partie de
l’activité de l’entreprise. Ainsi, dans le secteur
du bâtiment, les maîtres
d’œuvre, qui sont parfois de très grandes entreprises qui gèrent les chantiers
de construction, sous-traitent
la réalisation des chantiers à une multitude de
petites entreprises. Cette sous-traitance constitue une réserve de flexibilité
des coûts salariaux dans la mesure où si le maître d’œuvre n’a pas de
nouveau chantier à confier à son sous-traitant, il lui
suffit de ne pas
renouveler la relation commerciale. Les conséquences en matière d’emploi,
notamment d’éventuels licenciements,
sont à gérer par le sous-traitant et
non par le donneur d’ordre.

1.2 Externaliser pour optimiser les coûts salariaux


L’externalisation peut permettre de réduire les coûts opérationnels de
l’entreprise en confiant à un prestataire de services
extérieur la charge d’une
activité préalablement réalisée au sein de l’organisation. Certains sous-
traitants, du fait de leur
spécialisation et de leur volume de production, ont
des coûts plus faibles qui justifient qu’une entreprise externalise une
activité donnée. Ces coûts salariaux plus faibles peuvent également être dus
au fait que le sous-traitant relève d’une convention
collective moins
avantageuse pour ses salariés ou que son accord d’entreprise est moins
favorable.
La réduction des coûts opérationnels et notamment des coûts salariaux est
un argument fréquemment mis en avant par les prestataires
de services pour
inciter des grandes entreprises à externaliser certaines activités. Cette
externalisation peut toucher de
nombreuses fonctions de l’entreprise et des
activités à faible ou à forte valeur ajoutée. Ainsi, Procter & Gamble à a
externalisé
la gestion administrative des bulletins de paie à la société de
services informatiques IBM. Des hôpitaux, des administrations
et des
grandes entreprises sous-traitent la restauration de leurs salariés à des
entreprises de restauration collective comme
Sodexo. D’autres sous-traitent
leur service téléphonique de gestion de la relation client à une entreprise
comme Téléperformance.
Dans le secteur industriel des hautes
technologies, les entreprises sous-traitent fréquemment l’assemblage de
leurs produits.
Ainsi, l’entreprise Foxcom est connue pour assembler de
nombreux produits conçus par Apple.
L’externalisation permet également de mettre en concurrence les sous-
traitants pour obtenir des prix plus faibles. Pour remporter
des contrats,
souvent attribués aux mieux-disant en termes de coûts, les sous-traitants
sont parfois conduits à adopter des
pratiques moralement discutables, voire
dans certains cas illégales, pour réduire leurs coûts en ressources humaines.
Plusieurs
associations de protection des travailleurs dénoncent
régulièrement cette pratique d’externalisation des grandes entreprises
qui
leur permet d’imposer à leurs sous-traitants des pratiques illégales de
gestion des ressources humaines, notamment en
termes de rémunération,
sans engager leur propre responsabilité légale. Pour contrer cette pratique,
le législateur de certains
pays a rendu le donneur d’ordre responsable des
conditions de travail en vigueur chez ses sous-traitants.
L’externalisation peut permettre également de réduire les coûts salariaux
en sortant des salariés du cadre d’un accord d’entreprise
ou d’une
convention collective particulièrement favorable en matière de
rémunération. Ainsi, en France, la convention collective
des banques s’est
pendant longtemps révélée être très favorable pour les salariés des
établissements financiers. Elle attribuait
notamment un salaire d’embauche
élevé, des augmentations de salaire liées à l’ancienneté et l’attribution de
15  mois de salaire
par an. Pour réduire la masse salariale, de nombreuses
DRH de banques ont externalisé des activités comme le transport de
fonds,
le traitement des chèques, le nettoyage et l’entretien des bâtiments. Cette
externalisation leur a permis de sortir
les salariés concernés de la
convention collective des banques et de réduire les coûts opérationnels en
substituant des coûts
salariaux par des coûts plus faibles de sous-traitance.

2 La délocalisation d’une activité


Le pilotage des coûts salariaux constitue un facteur explicatif des
politiques de délocalisation des grandes entreprises.
L’ouverture des
frontières, la réduction des coûts de transport des flux physiques et
d’information, la constitution de zones
de libre-échange et la création de
monnaies communes favorisent l’optimisation des coûts salariaux par
l’implantation dans
des pays à faibles coûts de main-d’œuvre. Ainsi, en
2012, le constructeur automobile Mercedes a décidé de construire une usine
de fabrication de son modèle classe B compact en Hongrie plutôt qu’en
Allemagne. L’une des justifications de cette décision
stratégique est que, à
compétences similaires, le coût horaire d’un ouvrier hongrois était de
8,61  euros contre 45,66  euros
pour un ouvrier allemand. Sachant que
40  heures de travail sont nécessaires pour produire un véhicule, le
constructeur automobile
économise 1  482 euros de coûts salariaux par
véhicule fabriqué. L’usine produisant 200 000 voitures par an, Mercedes, en
construisant
son usine en Hongrie, réalise un gain annuel de 296,4 millions
d’euros par rapport à la même usine en Allemagne.
Les différentiels de coûts salariaux entre les pays peuvent influencer les
stratégies de délocalisation des activités de production.
Cependant, au-delà
du simple coût salarial horaire qui peut être pris en compte dans le calcul du
modèle économique conduisant
à un choix de délocalisation, d’autres
dimensions managériales[3] doivent être prises en compte :
La part des coûts salariaux dans les coûts opérationnels. Plus cette
part est importante et plus la politique de délocalisation peut avoir un
impact élevé sur le compte de résultat
de l’entreprise.
Le différentiel de productivité entre les travailleurs des deux
localisations. La main-d’œuvre de certains pays peut être moins chère
mais si la productivité des travailleurs est plus faible, notamment
en
raison d’un moindre niveau de qualification, alors le gain en masse
salariale peut être inférieur à la perte de productivité
du travail.
La disponibilité des travailleurs qualifiés sur le marché du travail.
Certains pays se caractérisent par des coûts salariaux plus faibles mais
également par des pénuries de travailleurs sur certains
segments du
marché du travail. L’incapacité de l’entreprise à recruter nuit à la
performance de la délocalisation. Ces situations
de pénurie se
produisent d’autant plus aisément lorsque des grands groupes
industriels pratiquent une politique de délocalisation
similaire dans le
même pays.
L’évolution des coûts salariaux entre les deux localisations. Les
pays connaissent des inflations différentes des prix à la consommation
et corollairement des coûts salariaux. Ainsi,
certains pays connaissent
des augmentations de salaires beaucoup plus rapides que d’autres et
cela peut, à moyen terme, obérer
la rentabilité économique de la
délocalisation.
Les coûts de coordination entre la direction et l’entité localisée à
l’étranger. Les délocalisations peuvent augmenter fortement les coûts
de coordination au sein de l’entreprise. La distance géographique
rend
nécessairement une formalisation et une explicitation des
communications que ne nécessitent pas les ajustements mutuels
que
permet une plus grande proximité géographique. De plus, des éléments
tels le décalage horaire, l’utilisation de langues
différentes et des
différences culturelles importantes peuvent compliquer fortement la
coordination entre la maison-mère et
des filiales délocalisées à
l’étranger.
Une stratégie de délocalisation induit des investissements dont la
rentabilité est calculée sur plusieurs années et elle doit
tenir compte de
plusieurs paramètres. Si les coûts salariaux peuvent, à court terme, justifier
la rentabilité d’une implantation,
à moyen terme, l’évolution des salaires
peut obérer la rentabilité d’une délocalisation. Par exemple, au début des
années
2000, il était particulièrement intéressant pour les sociétés
informatiques occidentales de s’implanter en Inde pour recruter
des
informaticiens moins rémunérés que leurs collègues américains ou
européens. Cependant, au cours des années 2000, le coût
salarial d’un
informaticien indien a augmenté de 15 à 20 % par an du fait des tensions
sur le marché du travail et de l’inflation
des prix des biens de
consommation. Dans le même temps, les salaires des informaticiens
européens ont eu tendance à stagner,
notamment du fait de la crise
économique du début des années 2010. Ces inflations salariales différentes
peuvent obérer les
stratégies de délocalisation en Inde mises en place par
les sociétés de services informatiques.
Le différentiel d’évolution des coûts salariaux peut rapidement modifier
la rentabilité du modèle économique d’une délocalisation
géographique. Par
exemple en 2003, le différentiel de coût salarial horaire pouvait justifier
l’implantation d’un site de
production en Slovaquie plutôt qu’au Portugal
puisque dans le premier pays le coût salarial horaire était de 4,38 euros et
de
8,19 euros dans le second (tableau 8.3). En 2012, le différentiel salarial s’est
fortement réduit puisque le coût salarial
horaire est de 11,30  euros en
Slovaquie et de 12,10 euros au Portugal. La prolongation de la tendance des
évolutions salariales
dans les deux pays montre que rapidement les coûts
salariaux slovaques dépasseront ceux du Portugal.
La prospective en matière d’évolution de coûts salariaux selon les pays
est un exercice nécessaire à l’élaboration d’un modèle
économique pouvant
justifier une délocalisation géographique. Par exemple, la société d’audit
PWC se livre à ce type de prospective.
Elle estime que le salaire moyen
mensuel qui était en Chine de 523 dollars en 2011, sera de 2 057 dollars en
2030. La véracité
de cette anticipation peut avoir un impact très important
sur les stratégies d’implantation d’unités de production des grandes
entreprises internationales.
Tableau 8.3  – Coût salarial horaire dans l’industrie manufacturière
(dollars)

3 La robotisation ou l’automatisation d’une


activité
L’automatisation et la robotisation des activités humaines constituent une
tendance importante dans la dynamique des organisations.
Elles
correspondent à une substitution du capital humain par du capital technique.
La justification économique d’une telle
substitution dépend des coûts
salariaux et du coût des robots et des automates. Elle dépend également du
niveau de dextérité
de ces robots et de ces automates.
Au-delà du mixte coût/dextérité, les robots présentent plusieurs autres
avantages pour un employeur. D’une part, ils ne sont
pas soumis à la
législation du travail. Ils peuvent fonctionner 24  heures sur 24 en cas de
nécessité. D’autre part, ils peuvent
évoluer dans des environnements
toxiques ou dangereux inaccessibles aux êtres humains. Enfin, ils ne sont
pas porteurs d’intérêts
propres qui pourraient les conduire à entretenir des
relations conflictuelles avec leur employeur.
La tendance historique dans les pays occidentaux est à une hausse des
rémunérations moyennes et à une baisse du prix des automates
et des
robots. De plus la dextérité de ces derniers ne cesse de s’accroître. On
assiste donc à un processus de substitution
du capital humain par du capital
technique dans de nombreux secteurs industriels. Ainsi, dans le secteur
bancaire, les billets
sont distribués par des automates et non plus par des
guichetiers. Dans la grande distribution, les passages en caisse des
clients
sont automatisés et ne sont plus traités par des caissiers. Dans le transport
ferroviaire, les trains sont conduits
par des automates et plus par des
conducteurs. Dans le transport aérien, les billets d’avion sont vendus par
des automates
électroniques et non plus par des salariés d’agences de
voyage. Dans la production industrielle, des tâches de peinture, de
soudure
et d’assemblage sont prises en charge par des robots. Le ministère français
de l’industrie estime à plus de 1,5 million
de robots industriels en activité
dans le monde en 2015.
Le modèle économique et la rentabilité de la substitution du capital
humain par du capital technique peuvent être relativement
simples à
calculer. Par exemple, récemment, la société américaine Rethink Robotics a
mis sur le marché son robot Baxter qui
peut prendre en charge des activités
de remplissage de cartons pour expédier des produits arrivant en bout de
chaîne de production.
La mise en œuvre du robot ne nécessite pas de
programmation. Il apprend les tâches à effectuer par la manipulation d’un
opérateur
humain. D’autre part, il peut très rapidement être affecté à
d’autres tâches ; apportant ainsi une source de flexibilité à
l’entreprise. Son
prix est d’environ 25 500 euros. Il peut travailler 24 heures sur 24, 7 jours
par semaine et 52 semaines
par an. Cela représente 8 736 heures de travail
par an. Sur la première année, le coût horaire du robot est de 2,91  euros
(25 500 euros / 8 736 heures). Ce robot peut aisément remplacer un salarié
pour des tâches de conditionnement. Un tel travailleur
œuvre en général
8  heures par jour, 5  jours par semaine et 45  semaines par an. Ce qui
représente 1  800 heures de travail par
an. Si son coût horaire est de
15  euros, alors le coût annuel pour l’entreprise de l’ouvrier de
conditionnement est de 27  000  euros.
Dans le cas d’une entreprise
produisant en flux continu, au cours d’une année, le robot Baxter assurera
4,85 fois plus d’heures
de travail qu’un ouvrier (8  736 heures de robot /
1 800 heures de travailleur), et cela pour un coût quasiment identique pour
la première année. Si l’on fait l’hypothèse que la durée de vie du robot est
de 7 ans, l’intérêt économique de la substitution
du travailleur par le robot
s’en trouve démultiplié.
Dans la simulation du modèle économique de la robotisation d’une
activité, il convient cependant d’intégrer d’autres variables
tels que le risque
de panne, le salaire de l’opérateur qui s’occupe ponctuellement de
manipuler le robot, la consommation
d’énergie et la possible obsolescence
du robot. Du côté du travailleur, il faut tenir compte des risques de
démissions, d’absence
et de conflit, ainsi que de potentielles revendications
salariales et de la possible obsolescence de ses compétences.

Section 5
GESTION DE LA MASSE SALARIALE


ET OPTIMISATION FISCALE

En matière de rémunération, il convient de distinguer le salaire net perçu


par le salarié après impôts sur le revenu, de son
salaire net perçu après
charges sociales, de son salaire brut versé par son employeur et du salaire
brut chargé, c’est-à-dire
incluant les charges sociales payées par
l’entreprise, qui est supporté par l’employeur. L’État intervient dans le coût
du
travail en prélevant des cotisations sociales patronales auprès des
employeurs et des cotisations sociales salariales auprès
des salariés. Ces
prélèvements lui permettent de financer le régime chômage, le régime
maladie et le régime retraite de la
Sécurité Sociale. L’État prélève
également des impôts sur les bénéfices des entreprises et les revenus des
salariés pour financer
les dépenses publiques (éducation, armée, culture,
etc.).
Par une politique fiscale différenciée, les pouvoirs publics vont influencer
le coût du travail pour essayer d’orienter la
politique de gestion des
ressources humaines des entreprises. Par exemple, pour inciter les
employeurs à recruter des salariés
peu qualifiés, proportionnellement plus
touchés par le chômage, les pouvoirs publics mettent souvent en place des
niveaux
de prélèvements sociaux plus faibles pour les bas salaires. Certains
États exonèrent de prélèvements pendant plusieurs mois
ou plusieurs années
les entreprises qui recrutent des chômeurs de longue durée. De même, en
période de baisse d’activité des
entreprises, les pouvoirs publics peuvent
financer le chômage partiel des salariés pour éviter que les employeurs ne
licencient
les travailleurs conjoncturellement en sureffectifs. Dans ce cas,
les pouvoirs publics prennent en charge une partie du salaire
et réduisent
ainsi d’autant les coûts salariaux supportés par l’entreprise. La politique de
financement du chômage partiel
est particulièrement développée en
Allemagne. Ainsi, lors de la crise économique de 2009, les pouvoirs publics
allemands ont
consacré 6  milliards d’euros au financement de cette
politique sociale. L’OCDE a estimé que ce financement a permis d’éviter
plus de 220 000 licenciements dans les entreprises allemandes.
Dans sa gestion de la masse salariale en tant que coût opérationnel, la
DRH considère le coût salarial chargé pour évaluer
le coût exact d’un
salarié. Selon les pays et le type d’emploi, les différences entre les quatre
dimensions du salaire peuvent
être très importantes et conduire à des écarts
conséquents entre le salaire net perçu après impôt sur le revenu par le
salarié
et le salaire brut chargé supporté par l’entreprise. Ces différences
dépendent de la politique fiscale et sociale des pouvoirs
publics. Ces
derniers interviennent dans le coût salarial et dans les modalités de pilotage
de la masse salariale en fixant
une politique de prélèvements et de
subventionnements qui varie selon les éléments de la rémunération et les
emplois.
Dans la mesure où le salaire net perçu par le salarié est celui qui influence
sa motivation et que les charges payées par
son employeur sont souvent
méconnues par les salariés, l’intérêt de l’entreprise est que le coût salarial
du salarié soit
le plus proche de son salaire net perçu. La réduction de
l’écart entre ces deux dimensions relève de l’optimisation fiscale
de la
masse salariale. Par exemple en France, les charges sociales payées par
l’employeur représentent approximativement 45 %
de la rémunération brute
versée à un salarié. Concrètement, pour un salaire versé de 2  500  euros,
l’entreprise doit payer
1  125  euros de charges sociales patronales. Si l’on
considère que le salarié paye environ 20 % de charges sociales, son salaire
net est de 2000 euros, somme sur laquelle le salarié payera ensuite des
impôts sur le revenu. Hors impôts sur le revenu, il
coûte donc chaque mois
à l’entreprise 3  625  euros pour attribuer un salaire net mensuel de 2  000
euros à un salarié.
L’optimisation fiscale de la masse salariale est induite par le système
fiscal défini par les pouvoirs publics. Les différentes
composantes de la
rémunération, à savoir le salaire, les bonus, l’intéressement, les stock-
options, les avantages en nature
(voiture de fonction, téléphone,
appartement, etc.), la prise en charge d’assurances maladie, de la retraite ou
d’autres éléments
de la rémunération ne bénéficient pas du même traitement
fiscal et ne supportent pas toutes les mêmes charges sociales. Certaines
ne
sont pas considérées comme composant le revenu du salarié. Par exemple,
sous certaines conditions, la voiture de fonction
peut ne pas être considérée
comme un avantage en nature et les administrations sociales et fiscales ne la
considèrent pas
comme un revenu. Dans ce cas, il est de l’intérêt de
l’employeur d’attribuer une voiture de fonction à un salarié plutôt que
de lui
donner un salaire qui lui permette d’acquérir à titre personnel le même
véhicule. Dans le cas de l’attribution d’une
voiture de fonction, l’avantage
en nature ne fera pas l’objet d’un prélèvement fiscal ou social et la valeur
perçue par le
salarié sera égale au coût supporté par l’employeur. Dans le
cas de l’attribution au salarié d’une augmentation de salaire
pour qu’il
acquiert le même véhicule, le montant des prélèvements fiscaux et sociaux
supportés par l’employeur et le salarié
conduira à une différence importante
entre la valeur du bien acquis par le salarié et le coût supporté par
l’employeur et
le salarié. L’optimisation fiscale de la masse salariale va
donc consister à jouer sur les différentes dispositions légales
et fiscales
auxquelles sont soumis les différents éléments de rémunération.
Lors des négociations d’augmentation de rémunération, il peut être de
l’intérêt de l’employeur et du salarié d’analyser les
différentes formes de
prélèvements selon les éléments de rémunération. Par exemple, si un salarié
négocie une augmentation
de rémunération pour s’offrir une inscription à
un club de golf qui se chiffre à 5  000  euros par an, le coût salarial pour
l’entreprise pour que, in fine, son salarié perçoive un tel montant est très
important car il intègre les charges sociales et patronales ainsi que les
impôts
sur le revenu payés par le salarié. En revanche, si l’administration
fiscale considère, comme c’est le cas pour certains emplois,
que
l’inscription à un club de golf est nécessaire à l’activité professionnelle de
la personne considérée et que cela ne constitue
donc pas un avantage en
nature, alors dans ce cas l’entreprise a intérêt à prendre directement en
charge le coût (5 000 euros)
de l’inscription car ni elle et ni son salarié ne
payeront de charges ou d’impôts. De plus, l’entreprise déduit ce coût de
sa
marge opérationnelle et paye de ce fait moins d’impôts sur les sociétés.
La pratique de l’optimisation fiscale de la masse salariale peut se révéler
complexe à mettre en œuvre car les dispositions
légales sont différentes
selon les éléments de rémunération, le type d’emplois, le contrat de travail,
la structure juridique
de l’entreprise ou le pays. De plus, les dispositions
légales et fiscales changent fréquemment et peuvent remettre en cause
une
stratégie d’optimisation fiscale de la masse salariale. Enfin, ces dispositions
font l’objet d’interprétations parfois
différentes de la part des parties
prenantes. L’administration fiscale peut être amenée à requalifier une
pratique comme étant
un élément de rémunération soumis à prélèvements
alors que l’employeur pensait le contraire. Dans ce cas, la valeur de
l’avantage
perçu sera soumise aux charges sociales et patronales et le
salarié payera des impôts sur le revenu sur l’élément de sa rémunération
requalifié par l’administration fiscale..
Les entreprises subissent des contraintes légales et fiscales différentes et
sont plus ou moins efficaces dans leur politique
d’optimisation fiscale. Ces
divers éléments entraînent des taux de prélèvements différents selon les
entreprises. Ainsi, si
l’on compare trois entreprises, à savoir Cap Gemini,
Publicis et la Société Générale, leurs pourcentages de charges sociales
diffèrent notablement. Ainsi, en 2012, les coûts salariaux de Cap Gemini se
montaient à 6,126  milliards d’euros. Les salaires
et traitements
représentaient 4,890  milliards et les charges sociales s’élevaient à
1,236 milliard d’euros ; ces charges représentaient
donc 20,17 % des coûts
salariaux. La même année, les coûts salariaux de Publicis se montaient à
3,687 milliards d’euros. Les
salaires représentaient 3,159 milliards d’euros
et les charges sociales s’élevaient à 528  millions, soit 14,32  % des coûts
salariaux. Enfin, à la Société Générale, les rémunérations du personnel
représentaient 6,858  milliards d’euros, les charges
sociales et fiscales sur
rémunérations, 1,667  milliard d’euros  ; les charges de retraite nettes –
 régimes à cotisations définies,
626 millions, les charges de retraite nettes –
régimes à prestations définies, 135  millions d’euros  ; la participation,
intéressement,
abondement et décote, 227  millions d’euros. Le tout
représentait des coûts salariaux de 9,513 milliards d’euros dont les charges
sociales diverses et variées représentaient 27,90  %. Des trois entreprises,
Publicis est celle qui en proportion supporte
le moins de charges sociales.
L’un des leviers les plus usités par les grandes entreprises internationales
en matière d’optimisation fiscale de la masse
salariale est la stratégie de
localisation géographique des salariés. En effet, les politiques fiscales et
sociales en matière
de prélèvements diffèrent grandement entre les pays et
offrent des marges de manœuvre en matière de pilotage de la masse
salariale.
La création du marché du travail européen et les différences de
fiscalité entre les pays donnent lieu à des stratégies d’optimisation
de la
masse salariale. Par exemple, la compagnie aérienne Ryanair a été accusée
de pratiquer du « dumping social » en basant
son personnel navigant dans
des pays à plus faible fiscalité sociale que ceux où les salariés travaillent
réellement. Ainsi,
en 2010, l’entreprise a été condamnée par
l’administration fiscale française pour employer 120 personnels navigants
basés
en permanence à Marseille mais dont le contrat de travail était
localisé en Irlande. La même année, la compagnie aérienne
Easyjet a été
condamnée à verser 1,4 million d’euros d’amende pour avoir employé 170
salariés à l’aéroport de Paris-Orly avec
un contrat de travail britannique.
Dans la mondialisation du marché du travail, les États sont mis en
concurrence par les employeurs sur leur fiscalité et les
prélèvements
appliqués au travail. Certains pays n’hésitent pas à jouer de cette dimension
de la politique fiscale et sociale
pour attirer des entreprises étrangères sur
leur territoire.

Focus
Un prestataire de service :

les cabinets d’optimisation de la masse salariale


Certains cabinets de conseil en management sont spécialisés dans
l’optimisation des coûts des organisations et dans ce cadre
proposent
à leurs clients d’améliorer le pilotage de leur masse salariale. Trois
des cabinets de conseil les plus connus dans
ce domaine sont Alma
Consulting, Leyton et LowendalMasaï.
Un des leviers que ces cabinets mobilisent pour réduire les coûts de
personnel consiste à optimiser la dimension fiscale en
mettant en
œuvre des dispositions légales d’exonération et de réduction de
l’assiette des cotisations sociales. La complexité
et l’instabilité de la
réglementation liée aux charges sociales créent des opportunités en
matière d’optimisation fiscale.
Ces cabinets peuvent prendre en
charge la récupération des charges sociales indument payées, tenter
de réduire les cotisations
patronales et proposer des mesures pour
prévenir l’absentéisme et les risques opérationnels encourus par les
salariés. Ils
interviennent dans la gestion des frais liés aux accidents
du travail et aux maladies professionnelles afin de piloter les
coûts
sociaux et optimiser les taux de cotisation. Plus récemment, les
dispositions du Crédit Impôt Compétitivité Emploi,
qui visent en
France à réduire le niveau des charges sociales supportées par les
entreprises sur les salaires inférieurs à
2,5 fois le SMIC, a ouvert de
nouvelles opportunités pour les cabinets de conseil qui aident leurs
clients à optimiser les
nouvelles dispositions fiscales.
Ces prestataires de services peuvent aussi s’impliquer dans
l’optimisation des coûts liés au recours à des travailleurs intérimaires
en intervenant dans la renégociation des contrats de prêt de main-
d’œuvre avec les entreprises de travail temporaire.
Les cabinets de conseil en optimisation des coûts salariaux
s’engagent souvent sur une réduction de 2 à 3 % de la masse salariale
grâce à l’optimisation fiscale des frais de personnel. Certains de ces
cabinets de conseil sont rémunérés par leurs clients
sur la base d’un
pourcentage de la masse salariale qu’ils réduisent.
[1]
  En 2012, le chiffre d’affaire de Total était de 200 milliards d’euros, sa marge opérationnelle de
31,38 milliards d’euros
et sa masse salariale de 713,5 millions d’euros. Pour sa part, le chiffre
d’affaire de Publicis était de 5,816 milliards d’euros,
sa marge opérationnelle de 1,190 milliards
d’euros et sa masse salariale de 4,075 milliards d’euros.
[2]
  En 2011, le plafond était de 32500 euros de salaire annuel.
[3]
  D’autres facteurs interviennent également dans la simulation du modèle économique, tels que le
taux de change et son évolution
ou les coûts de transports et leur évolution. Les risques politiques
de changement de régime ou d’évolution lourde de la fiscalité
peuvent entrer également en ligne
de compte dans l’estimation de l’intérêt économique qu’une organisation peut avoir à s’implanter
à l’étranger.
Conclusion – La DRH et
Chapitre

la responsabilité sociale
2
de l’entreprise

SOMMAIRE

Section 1 L’entreprise est une affaire de société


Section 2 Idéologies politico-économiques et gestion des entreprises
Section 3 Crise des idéologies et émergence de la responsabilité sociale des
entreprises
Section 4 Une entreprise alternative socialement responsable
Section 5 La DRH face à une injonction paradoxale dans sa définition d’un
management responsable

Section 1

L’ENTREPRISE EST UNE AFFAIRE DE SOCIÉTÉ

L’entreprise est une institution au cœur de nos sociétés et elle structure les
rapports sociaux. Pour reprendre les termes
de Sainsaulieu, sociologue des
organisations, «  l’entreprise est une affaire de société  »[1]. En ce sens les
pratiques de GRH des employeurs touchent les individus dans leur rôle de
salariés, mais également de citoyens,
de consommateurs, de parents et dans
tout autre rôle social qu’ils peuvent tenir. Une personne qui bénéficie d’un
emploi apporte
sa contribution au rôle économique et social de son
employeur, il perçoit un salaire qui lui confère un pouvoir d’achat et
il
acquiert un statut social dans la société. Inversement, la perte d’un emploi
entraîne la diminution de la capacité de consommation
de l’individu,
souvent une dévalorisation du statut social et parfois oriente le vote
électoral du citoyen. En raison de ces
différentes dimensions, les pratiques
de GRH d’un employeur n’impactent pas uniquement l’individu en tant que
travailleur
mais elles le concernent également dans tous ses autres rôles
sociaux.
L’entreprise est également une affaire de société au niveau méso-
économique. Les choix de gestion d’un employeur ont un impact
sur le tissu
socio-économique local. Une entreprise qui décide de créer un centre
d’activité dans une ville crée des emplois
directement en employant des
salariés et, indirectement, en recourant à des sous-traitants. Elle amène
également des consommateurs
pour les commerces locaux. Elle agglomère
une population qui justifie des services publics tels que les écoles et les
hôpitaux.
De plus, l’employeur et ses salariés payent des impôts locaux qui
contribuent au financement des services publics de proximité.
Inversement,
lorsqu’une entreprise décide de fermer un centre d’activité, cela a des
conséquences socio-économiques pour le
bassin industriel local et sur le
fonctionnement des services publics. Les entreprises sont donc des acteurs
centraux des
dynamiques de développement local.
Enfin, l’entreprise est une affaire de société car elle est une composante
majeure des systèmes idéologiques politico-économiques
qui orientent les
décisions des élus politiques qui dirigent les sociétés. Chaque idéologie
politico-économique attribue un
rôle particulier à l’entreprise dans sa
contribution au bien-être collectif des citoyens et à la promotion de l’intérêt
général.
Implicitement, derrière des conceptions différentes du rôle des
entreprises doivent se comprendre des pratiques différentes
de gestion des
ressources humaines. Au-delà de l’orchestration des relations entre
l’employeur et ses salariés, les pratiques
de GRH traduisent aussi les
relations entre l’entreprise et la société civile à laquelle elle appartient.

Section 2 IDÉOLOGIES

POLITICO-ÉCONOMIQUES


ET GESTION DES ENTREPRISES

Le xxe siècle s’est caractérisé par une opposition entre deux idéologies
politico-économiques qui attribuent des fonctions différentes
à l’entreprise
pour contribuer au bien-être collectif. Ces deux paradigmes politiques ont
des perceptions opposées de la régulation
des pratiques de GRH mises en
œuvre par les employeurs.
D’un côté prévaut l’idéologie libérale pour laquelle l’entreprise privée,
l’initiative individuelle et la coordination des
agents par les mécanismes
concurrentiels du marché doivent permettre d’atteindre le niveau optimal de
bien-être collectif.
Dans cette perspective, l’intervention des pouvoirs
publics doit être réduite à son minimum pour ne pas entraver la régulation
économique. En matière de gestion des ressources humaines, ce sont les
mécanismes concurrentiels du marché du travail qui
doivent déterminer les
pratiques. Ainsi, le salaire doit être fixé par la confrontation de l’offre et de
la demande de travail
et non pas par le législateur  ; cela exclut de fait un
salaire minimum. Le contenu du contrat de travail doit être défini
par la
négociation entre l’employeur et le travailleur sans intervention publique
tout en pouvant être rompu au bon gré des
parties. Concrètement cela
suppose que la durée et les conditions de travail, l’investissement en
formation, les congés, la
contribution à des systèmes d’assurance-maladie,
chômage ou retraite, le préavis et les indemnités de licenciement ne peuvent
résulter que de l’initiative privée et des négociations entre l’entreprise et les
travailleurs. Dans ce système idéologique,
au sein d’une économie de
marché concurrentiel, la seule responsabilité sociale du dirigeant de
l’entreprise est de chercher
à optimiser les profits versés aux actionnaires.
La «  main invisible  » du marché et les intérêts égoïstes des agents sont
censés assurer une allocation optimale des ressources et permettre de
promouvoir l’intérêt général. C’est par cette quête
du profit que l’entreprise
contribue le mieux au bien-être collectif au sein de la société. Dans un
article célèbre, Milton
Friedman, prix Nobel d’économie,[2] a synthétisé
cette approche en affirmant que, dans un système de libre concurrence, la
seule responsabilité sociale de l’entreprise
est d’augmenter ses profits.
Face à cette idéologie libérale, une idéologie plus interventionniste a une
conception différente du rôle de l’entreprise
dans la société et de la fonction
de l’État dans la régulation des rapports socio-économiques en général et
des rapports entre
employeurs et travailleurs en particulier. Ce système
idéologique est plus ou moins influencé par l’analyse que Marx a
développée
dans son ouvrage Le Capital. L’entreprise y est perçue comme
le lieu de structuration des rapports sociaux au sein de la société et comme
l’espace de
l’exploitation des travailleurs par les employeurs-capitalistes.
Dans cette perspective, les rapports entre les employeurs
et les salariés ne
peuvent pas être laissés à la libre initiative des parties car les employeurs-
capitalistes abuseraient
nécessairement du pouvoir que leur confère la
détention de l’outil de production afin d’exploiter les travailleurs et ainsi
nuire au bien-être collectif. L’influence de cette idéologie fut
particulièrement forte dans les pays communistes puisqu’elle
a conduit à la
nationalisation des moyens de production et à la régulation étatique de la
coordination économique. Les nationalisations
doivent être comprises
comme une appropriation de l’outil de production par les travailleurs-
citoyens qui deviennent ainsi,
collectivement, ceux qui décident de leurs
conditions de travail. À la sortie de la seconde guerre mondiale, cette
influence
a aussi été très prégnante dans certains pays occidentaux. Ainsi,
en France, les pouvoirs publics se sont approprié une partie
des moyens de
production en nationalisant les transports (SNCF, Air France et les sociétés
d’autoroute), la construction automobile
(Renault), les télécommunications
(France Télécom), les médias (l’ORTF), la production d’énergie (EDF-GDF
et Charbonnages
de France), les banques (la Banque de France, la BNP, la
Société Générale, le Crédit Lyonnais) et les compagnies d’assurance.
En
1981, l’accession au pouvoir du parti socialiste a prolongé ce mouvement
avec la nationalisation d’entreprises industrielles
comme Saint Gobain,
Rhone-Poulenc, Pechiney, Thomson ou Usinor. Ces nationalisations se sont
traduites en termes de gestion
des ressources humaines par l’élaboration de
règles particulièrement favorables aux travailleurs, notamment pour ceux
qui
ont accédé au statut de fonctionnaires ou de quasi-fonctionnaires. Dans
ce système, les travailleurs bénéficient d’une forte
protection de l’emploi,
voire d’un emploi à vie  ; les rémunérations sont garanties et augmentent
régulièrement avec l’ancienneté
et les promotions. En ce qui concerne le
secteur privé, les pouvoirs publics se sont fortement ingérés dans les
relations
entre les employeurs et les salariés afin de protéger ces derniers.
Les pratiques de gestion des ressources humaines furent
fortement régulées
par les pouvoirs publics. À travers le droit du travail, le législateur fixe
notamment un salaire minimum,
des congés payés, des horaires de travail,
des assurances santé, chômage et retraite obligatoires, une participation des
salariés
aux résultats de l’entreprise, une obligation d’investissement en
formation et parfois impose une autorisation administrative
de licenciement.
Il donne également un pouvoir de négociation aux représentants des
salariés, notamment les syndicats de travailleurs,
pour définir les relations
de travail au sein de l’entreprise. Si le contrat de travail reste du ressort de
la libre négociation
de l’employeur et du travailleur, son contenu reste
fortement encadré par le législateur au nom de la protection du travailleur-
citoyen
face au pouvoir de l’employeur-capitaliste.

Section 3

CRISE DES IDÉOLOGIES ET

ÉMERGENCE DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE

DES ENTREPRISES

Ces systèmes idéologiques ont sous-tendu deux conceptions différentes de


l’entreprise et de la nécessaire ou non régulation
publique des pratiques de
gestion des ressources humaines mises en œuvre par les employeurs. La fin
du xxe siècle et le début du xxie siècle ont été marqués par la remise en
cause de ces deux systèmes idéologiques sous-tendant la régulation
publique et la
coordination économique. La crise du système
d’interventionnisme d’État s’est concrètement traduite en Europe de l’Est
par
la disparation des régimes communistes, par l’instauration de
mécanismes concurrentiels de régulation de l’activité économique
et par la
promotion de l’initiative privée. En Europe occidentale, notamment sous
l’influence de la Commission Européenne,
on a assisté à une vague de
dérégulations, de privatisations et plus généralement de défiance à l’égard
de l’intervention
publique dans le champ économique. En ce qui concerne
le marché du travail, plusieurs États ont réduit les contraintes qui
pouvaient
peser sur sa régulation, notamment en matière de salaire minimum et de
licenciement. De plus, les services publics
ont transféré plusieurs de leurs
compétences au secteur privé et un marché européen du travail a été créé
avec la libre circulation
des travailleurs.
L’idéologie libérale connaît également une forme de crise, moins dans ses
structures institutionnelles que dans sa capacité
politico-économique à
favoriser le bien-être du plus grand nombre de citoyens. La répartition de la
valeur créée est au cœur
des relations sociales dans l’entreprise et de la
dynamique de croissance au niveau macroéconomique. Les Trente
Glorieuses
(1945-1975) ont été le résultat de gains de productivité permis
par le fordisme et la redistribution de ces gains entre les
actionnaires
(dividendes), les salariés (salaires), les consommateurs (baisse des prix) et
les pouvoirs publics (impôts).
Cette règle de répartition de la richesse a été
à l’origine du cercle vertueux de la régulation fordienne. Par contraste,
c’est
l’inégalité de la redistribution de la richesse entre salariés et actionnaires
qui est invoquée pour expliquer la crise
économique de la fin des années
2000 aux États-Unis. Faute de recevoir une part suffisante de la richesse
créée au sein des
entreprises, les individus se sont endettés pour maintenir
leur pouvoir d’achat, notamment pour acquérir leur logement. La
crise du
surendettement des ménages est la conséquence du déclin de la part des
salaires dans la répartition des richesses
créées par les entreprises. Au-delà
de la montée des inégalités, les nombreuses crises financières, les cas de
malversation
de dirigeants d’entreprise qui ont atteint leur paroxysme avec
la faillite d’Enron puis l’affaire Madoff, les vagues de licenciements
menées
par des entreprises rentables, l’évasion fiscale des grands groupes
internationaux, les mauvaises conditions de travail
dans les usines de sous-
traitance dans les pays à faibles coûts de main-d’œuvre qui conduisent
parfois à des accidents mortels,
la montée de la pauvreté dans les pays
occidentaux suscitent une défiance des citoyens à l’égard du système libéral
et des
entreprises qui le sous-tendent.
Le début du xxie siècle se caractérise donc par une crise des systèmes
idéologiques politico-économiques et plus particulièrement de leurs
composantes industrielles et managériales. Cette crise conduit à une
recherche collective d’un nouveau modèle d’entreprise
qui constituerait une
alternative entre le système libéral et le système interventionniste tout en
gardant les avantages des
deux systèmes  ; en l’occurrence la capacité du
système capitaliste à créer de la valeur économique et la recherche d’une
répartition
équitable de la valeur économique qui prévaut dans l’idéologie
communiste.
C’est dans cette recherche d’un système idéologique alter-capitaliste qu’il
convient de replacer la montée des problématiques
liés au développement
durable et à la responsabilité sociale des entreprises. Il y a, au niveau de la
société, une attente
de renouvellement du contrat social entre les parties
prenantes que sont les pouvoirs publics, les entreprises et les travailleurs-
citoyens
pour promouvoir l’intérêt général de manière durable et équitable.
Une demande émane des différentes parties prenantes du
fonctionnement
des entreprises pour que ces dernières aient un comportement responsable
en matière d’environnement, de gouvernance
et de pratiques sociales. La
dernière dimension concerne directement les pratiques de gestion des
ressources humaines des
entreprises et met la DRH au centre de la
définition d’une équation équitable d’une entreprise socialement
responsable. Les
pratiques de GRH sont au cœur de la responsabilité sociale
de l’entreprise. Les choix managériaux en termes de formation,
de
recrutement, de licenciement, de rémunération, de promotion et de sous-
traitance engagent la responsabilité sociale de
l’entreprise.
La conception et la mise en place au sein des organisations d’un système
de GRH responsable à l’égard des différentes parties
prenantes des
entreprises deviennent un enjeu économique et stratégique. Comme le
notait Michael Porter, dans un article de
la Harvard Business Review[3], les
dirigeants de l’entreprise ne sont pas uniquement responsables à l’égard des
actionnaires mais également à l’égard des
autres parties prenantes de
l’organisation que ce soit les clients, les fournisseurs ou les administrations
locales et nationales.
Des pratiques de management jugées irresponsables
par l’opinion publique peuvent avoir des conséquences sur le modèle
économique
de l’entreprise. Aux États-Unis, l’exemple de Walmart,
premier groupe mondial de grande distribution, illustre les conséquences
que peuvent avoir des pratiques de GRH socialement condamnées.
L’entreprise est régulièrement accusée de pratiques antisyndicales,
de sous-
payer ses salariés, d’imposer des conditions de travail précaires, de recourir
au travail dissimulé, de discriminer
ses salariés d’origine africaine et
d’exploiter ses sous-traitants. Ces pratiques ont suscité des vagues de
protestation importantes
et une mobilisation des citoyens américains qui,
dans certaines villes, notamment en Californie, se sont opposés à
l’implantation
de nouveaux magasins. Cette opposition a connu une forte
médiatisation qui a nui à l’image de l’entreprise et, in fine, à son activité
économique.
L’histoire économique est marquée d’exemples d’entreprises dont les
pratiques de GRH (licenciements, discrimination, travail
des enfants, etc.)
ont été condamnées par des consommateurs citoyens. Ces condamnations
ont eu des conséquences négatives
sur l’image et l’activité de ces firmes.
La période récente est marquée par un phénomène nouveau qui est lié à
l’apparition de nouveaux acteurs et à l’institutionnalisation
du champ de la
responsabilité sociale des entreprises[4]. De nouvelles parties prenantes
directement liées la responsabilité sociale des entreprises ont vu le jour et
influencent
directement ou indirectement les pratiques managériales. Des
organisations non gouvernementales telles que Human Rights Watch
et
Amnesty International ont été des précurseurs dans la dénonciation de
pratiques condamnables utilisées par les entreprises.
Plus récemment, des
agences de notation sociale ont été créées, notamment Viego en Europe et
KLD aux États-Unis, pour permettre
aux autres parties prenantes de
bénéficier d’un jugement externe sur les pratiques sociales des entreprises.
L’émergence de l’investissement socialement responsable, qui conduit les
investisseurs à conditionner leurs choix d’investissement
aux pratiques
responsables des entreprises, marque l’apparition récente d’une partie
prenante particulièrement influente de
la gestion des entreprises. Les
capitaux relevant de cette préoccupation sociale augmentent régulièrement
et constituent une
réelle force de pression sur les dirigeants d’entreprise.
Des grandes banques créent et gèrent des fonds d’investissement dédiés
aux placements dans des entreprises socialement responsables.
Certains
fonds d’investissement utilisent leur pouvoir d’actionnaire pour promouvoir
certaines pratiques de GRH. Ainsi, l’assureur
britannique Legal & General,
le plus important investisseur institutionnel du Royaume-Uni, s’est proposé
de voter contre la
reconduction des membres des conseils d’administration
où il est représenté dès que les femmes y sont sous-représentées.
Pour leur part, les pouvoirs publics ont diversifié leurs actions pour
promouvoir dans les entreprises des pratiques socialement
responsables. On
assiste à la promulgation d’une législation contraignante et parfois
coercitive sur les rémunérations, l’investissement
en formation, la
participation des salariés et de leurs représentants aux processus de décision
des entreprises, le recours
à la sous-traitance et la promotion de l’égalité
professionnelle. D’autre part, dans plus en plus de pays, les pouvoirs
publics
obligent les entreprises à publier des informations relatives à leurs
pratiques de GRH. Ces publications donnent des informations
à des parties
prenantes extérieures (syndicats, ONG, médias, agences de notation, fonds
d’investissement, chercheurs universitaires,
etc.) pour analyser les pratiques
des entreprises. Enfin, les administrations publiques introduisent de plus en
plus des clauses
de mieux disant social dans leurs appels d’offres pour
favoriser les fournisseurs qui s’efforcent de mettre en œuvre des pratiques
de GRH responsables.
Section 4

UNE ENTREPRISE

ALTERNATIVE SOCIALEMENT RESPONSABLE

Progressivement s’institutionnalise un champ de la responsabilité sociale


d’entreprise avec un ensemble de parties prenantes
qui interagissent pour
influencer les pratiques de gestion des entreprises, notamment celles
relevant de la GRH. Cependant,
malgré les nouvelles demandes sociales à
l’égard de l’entreprise, il n’en reste pas moins que celle-ci reste une entité
soumise
à la concurrence et aux contraintes économiques. Des pratiques de
management alternatives ne peuvent pas se faire à l’encontre
de la survie de
l’entreprise. Même si cette dernière ne cherche pas systématiquement à
optimiser le profit, il n’en demeure
pas moins que la marge opérationnelle
de son compte de résultat ne peut pas être durablement négative sans
risquer d’obérer
l’existence même de l‘organisation. L’enjeu sociétal est
donc de définir un modèle d’entreprise alternative qui articule différemment
les contraintes économiques et sociales tout en restant profitable. C’est en
ce sens que l’entreprise est à la recherche d’une
équation équitable qui
confère une place différente à la gestion des ressources humaines dans le
management des organisations.
Cette recherche de modèles de management alternatif trouve notamment
des sources d’inspiration dans les entreprises coopératives
qui s’appuient
sur des relations contractuelles alternatives entre les employeurs et leurs
salariés. Une entreprise coopérative
comme l’espagnol Mondragon, qui en
2012 employait plus de 80 000 personnes et générait un chiffre d’affaires de
plus de 14  milliards
d’euros, offre un exemple de relation contractuelle
originale entre les entreprises et les salariés. Ces derniers sont bien
souvent
actionnaires de l’entreprise, ils élisent les dirigeants de l’organisation et
chaque salarié est éligible aux organes
de direction. Les salariés perçoivent
des dividendes quand l’entreprise est profitable et sont assurés que la
préservation
de l’emploi sera la préoccupation majeure des dirigeants en cas
de récession. L’entreprise investit massivement dans la formation
de ses
salariés, notamment à travers l’université Mondragon, et limite les écarts de
rémunération au sein de l’organisation.
L’écart des salaires entre les plus
élevés et les plus faibles était initialement de un à trois. Il a été élargi,
officiellement
de un à six. Au Pays Basque, région d’origine de Mondragon,
les salaires des ouvriers de l’entreprise sont supérieurs de 15  %
à la
moyenne locale alors que les salaires des cadres sont inférieurs de 30 % à
ceux du secteur privé.
De même, le groupe de distribution britannique John Lewis est une
coopérative de salariés qui employait en 2012 plus de 80 000
personnes et
générait un chiffre d’affaires de plus de 12  milliards d’euros. Créée en
1929, cette coopérative a connu une
forte croissance et a résisté à de
nombreuses crises économiques, montrant par là même la possible
compétitivité durable d’entreprises
alternatives.
Ces modèles d’entreprises alternatives se caractérisent par une part
importante de l’actionnariat-salarié au capital de l’entreprise.
Cette
participation change les relations de travail au sein de l’organisation et
influence la motivation des individus. Un
salarié-actionnaire participe aux
processus de décision, notamment en matière d’emploi et de formation.
Cette participation
limite, sans l’exclure en cas de contrainte économique,
son risque de licenciement. De plus, la participation au capital accroît
la
motivation des individus car les résultats financiers positifs de l’entreprise
contribuent à l’enrichissement des salariés-actionnaires.
À l’aune du critère de l’actionnariat-salarié comme soubassement du
contrat social dans l’organisation, il apparaît que les
entreprises qui sont
totalement ou majoritairement détenues par leurs salariés sont relativement
nombreuses, sont présentes
dans différents secteurs et se révèlent souvent
durables. Ainsi, les grands cabinets d’audit comme Deloitte (créé en 1845,
employant en 2013 plus de 203  000 personnes et générant un chiffre
d’affaires de 32,4 milliards de dollars), PWC (créé en
1849, employant en
2013 plus de 184  000 personnes et générant 32,1  milliards de dollars de
chiffre d’affaires), Ernst&Young
(créé en 1849, employant en 2013 plus de
175 000 personnes et générant plus de 25,8 milliards de chiffre d’affaires)
et KPMG
(créée en 1870, employant en 2013 plus de 155 000 personnes et
générant un chiffre d’affaires de 23,4  milliards de dollars)
sont des
partnerships dont le capital est détenu par des associés élus par leurs pairs,
qui collectivement décident de la stratégie de l’entreprise
et perçoivent les
dividendes lorsque la firme est profitable. Le fait que l’essentiel des
associés soit issu de la promotion
interne et que chaque employé peut
potentiellement devenir un associé constitue un contrat équitable et
motivant pour les
salariés.
De même, les grands cabinets d’avocats comme Baker & McKenzie
(fondé en 1949, employant en 2013 plus de 10 000 personnes et
générant un
chiffre d’affaires de plus de 2,4 milliards de dollars), les cabinets de conseil
en stratégie comme McKinsey (fondé
en 1926, employant en 2013 plus de
17  000 personnes et générant plus de 7  milliards de dollars de chiffre
d’affaires) sont
des partnerships dont le système de GRH des ressources
humaines et la gouvernance accordent une importance majeure aux salariés.
De même,
les entreprises de hautes technologies de la Silicon Valley, avant
leur introduction en bourse, se caractérisent par un actionnariat-salarié
très
important et largement majoritaire lorsque l’on inclut les fondateurs. Ces
entreprises constituent les coopératives des
temps modernes qui mettent en
place des pratiques de GRH équitables et durables.
Ces différents exemples se caractérisent par l’importance de
l’actionnariat-salarié. Cet actionnariat correspond à une redéfinition
de la
propriété de l’entreprise. Il conduit les dirigeants à donner la priorité à une
gestion tournée vers une relation de
long terme avec les salariés et à
favoriser un partage de la valeur ajoutée en faveur des ressources humaines.
Cette participation au capital de l’entreprise marque une différence
radicale entre le discours équitable tenu certains les
dirigeants et les
pratiques équitables réellement mises en œuvre dans leur entreprise. La
répartition équitable de la valeur
ajoutée et la promotion d’une relation
durable entre les salariés et l’entreprise résultent notamment de
l’importance de l’actionnariat-salarié.

Section 5 LA DRH FACE À UNE INJONCTION

PARADOXALE DANS SA DÉFINITION


D’UN MANAGEMENT RESPONSABLE

La tentation est grande pour des dirigeants d’entreprise de proclamer


l’importance d’un comportement responsable, d’affirmer
que les salariés
sont les actifs les plus importants de l’entreprise, que l’investissement en
capital humain est un facteur
de développement de l’organisation, que la
promotion de la diversité est un facteur de performance et que le traitement
équitable
des travailleurs est un facteur de progrès. Toutes les grandes
entreprises se plient à cet exercice de communication et leurs
rapports
annuels véhiculent ces mêmes messages. Dans les faits, ces mêmes
entreprises recourent parfois à une sous-traitance
qui précarise le travail,
restructurent pour accroître les marges opérationnelles et multiplient les
contrats de travail précaires
(CDD, intérimaires, travailleurs indépendants,
stagiaires, etc.), bien souvent pour accroître la marge opérationnelle et les
dividendes versés aux actionnaires et aux dirigeants détenteurs d’actions.
La cohérence entre un discours portant sur la responsabilité sociale de
l’entreprise en matière de GRH et ses pratiques dans
le domaine marque la
distinction entre l’imaginaire leurrant ou l’imaginaire moteur produit par les
organisations[5]. Les travaux précurseurs de psychologues tels que Mayo[6]
ou McGregor[7] ont montré que la motivation des salariés pouvait être une
source de performance pour l’organisation. Cette motivation peut
être
obtenue par une responsabilisation des individus, un traitement équitable et
responsable des salariés ou un projet d’entreprise
valorisant. Cependant, ces
découvertes ont parfois donné lieu à un management produisant de
«  l’imaginaire leurrant  » consistant
à délivrer aux salariés et aux autres
parties prenantes un discours mettant en avant une GRH responsable alors
que, dans les
faits, les pratiques précarisent l’emploi. La direction de
l’entreprise, par des exercices subtils de communication, que certains
qualifient de « manipulation », s’efforce parfois d’obtenir l’implication de
ses ressources humaines sans pour autant partager
avec eux la création de
valeur obtenue par cette plus grande motivation.
La DRH se trouve au centre de cette contraction entre le discours et les
pratiques. Cet antagonisme contribue à décrédibiliser
la fonction RH et peut
être source de tensions psychologiques pour les membres de la direction des
ressources humaines chargés
de mettre en œuvre cette injonction
paradoxale.
La DRH peut, de ce fait, se retrouver confrontée à la direction de
l’entreprise lorsqu’il s’agit de réellement mettre en œuvre
des pratiques de
GRH responsables. Ces dernières sont parfois appréhendées par les
dirigeants comme un coût relevant d’un
exercice de communication plutôt
que contribuant réellement à la création de valeur pour l’entreprise. L’enjeu
pour la DRH
est de définir un système de GRH responsable qui contribue à
la création de valeur pour l’entreprise et de convaincre les
dirigeants et les
autres parties prenantes de l’efficience d’un tel modèle de management.
Pour qu’un modèle d’entreprise responsable perdure, il est nécessaire que
le discours managérial et les pratiques de GRH soient
cohérents sur le long
terme, notamment en période de crise économique. Cette cohérence est le
ferment du contrat psychologique
entre l’employeur et le salarié et du
contrat social entre l’entreprise et la communauté de travailleurs qui la
constitue.
La cohérence entre un discours et des pratiques socialement
responsables produit un « imaginaire moteur » qui est source de
motivation
pour les salariés.
Plusieurs travaux académiques ont montré que la performance des
entreprises était associée à des pratiques de GRH responsables
et équitables
en matière de formation, de rémunération, de participation aux processus de
décisions et de gestion de carrière[8]. La définition et la mise en œuvre
d’organisations qui réconcilient le social et l’économique dans leurs
pratiques de management
est l’enjeu sociétal des directions des ressources
humaines. L’objectif est de répondre à une demande sociétale des
travailleurs-citoyens
en faveur d’une entreprise socialement responsable.

[1]
  Sainsaulieu R. (1992), L’Entreprise une affaire de société, Presses de la FNSP.
[2]
  Milton Friedman, “The Social Responsibility of Business Is to Increase Its Profits,” New York
Times Magazine, September 13,
1970.
[3]
    Porter M. et Kramer M. (2011)  “Creating Shared Value,”  Harvard Business Review,  Vol. 89
Issue 1/2, pp. 62-77.
[4]
    Avetisyan E. et Ferrary M. (2013), “Dynamics of Stakeholders’ Implications in the
Institutionalization of the CSR Field in
France and in the United States”, Journal of Business
Ethics, vol. 115, n°1, pp. 115-133.
[5]
  Enriquez E. (1992), L’organisation en analyse, PUF.
[6]
  Mayo E. (1933), The Human Problems of an Industrialised Civilisation, Macmillan.
[7]
  McGregor D. (1960), The Human Side of Enterprise, McGraw-Hill.
[8]
  Lado A. et Wilson M. (1994), «  Human resource systems and sustained competitive advantage:
a competency-based perspective
 », Academy of Management Review, vol. 19, n° 4, pp. 699-727.
Guthrie J., Spell C. et Nyamori. (2002), «  Correlates and consequences of high involvement
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