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Revue du rhumatisme monographies 79 (2012) 248–252

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Rachitismes et ostéomalacies à l’âge adulte


Rickets and osteomalacia in adults
Maurice Audran a,b,∗ , Daniel Chappard a,c
a
LUNAM université, 49993 Angers, France
b
Service de rhumatologie, GEROM, 4, rue Larrey, 49993 Angers cedex, France
c
Groupe Étude Remodelage Osseux et bioMatériaux (GEROM)–LHEA, IRIS–Institut de biologie en santé (IBS), CHU d’Angers, 49933 Angers cedex, France

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Historique de l’article : La principale cause de l’ostéomalacie chez l’adulte est la déficience sévère et prolongée en vitamine D, faci-
Accepté le 3 juillet 2012 lement reconnue aujourd’hui par le dosage de la 25-hydroxyvitamine D [25(OH)D]. Le contexte clinique,
Disponible sur Internet le 30 août 2012 des anomalies biologiques phosphocalciques, des anomalies sur les examens d’imagerie (radiographies
standard, scintigraphie osseuse), une densité parfois très basse mesurée en densitométrie osseuse, per-
Mots clés : mettent d’évoquer la possibilité d’un trouble de la minéralisation de type ostéomalacique, diagnostic
Ostéomalacie éventuellement confirmé par les données histomorphométriques de la biopsie osseuse trans-iliaque
Vitamine D
après double marquage aux cyclines. Une cause à la carence en vitamine D doit être recherchée et traitée.
Histologie osseuse
Rachitisme vitamino-D-résistant
La supplémentation simple en vitamine D permet de guérir les patients. Des formes rares d’ostéomalacie,
dénommées rachitismes vitamino-D-résistants (dépendants, type 1 et 2), sont dues à une anomalie géné-
tique enzymatique (rachitisme pseudo-carentiel de Prader ou rachitisme vitamino-D-résistant de type 1,
lié à un déficit en 1-alpha hydroxylase) ou à une anomalie du récepteur à la vitamine D (VDR ; rachitisme
vitamino-D-dépendant de type 2) créant une résistance des organes cibles à l’action de la vitamine D.
Dans cette dernière forme, le traitement est difficile, nécessitant le recours à des doses pharmacologiques
fortes de vitamine D, en complément de la forte supplémentation calcique.
© 2012 Société française de rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t

Keywords: The main cause of osteomalacia in adults is a severe and prolonged loss in vitamin D; today, it is easily
Osteomalacia recognized by 25-hydroxyvitamin D assay [25(OH)D]. The clinical context, laboratory abnormalities of
Vitamin D the calcium-phosphate metabolism, abnormalities on medical imaging studies (radiographs, bone scan),
Bone histology sometimes, a very low density measured on bone densitometry can raise the possibility of minerali-
Vitamin D-resistant rickets
zation disorder such as osteomalacia. Diagnosis can be confirmed by histomorphometric analysis of
transiliac bone biopsy performed after double tetracyclin labeling. Cause for vitamin D deficiency should
be searched and treated. Simple supplementation with vitamin D can cure these patients. Rare forms of
osteomalacia, termed vitamin D-resistant rickets, are due to a genetic abnormality on an enzyme (Prader’s
pseudo-deficient rickets or type-1 vitamin D-resistant rickets due to the absence of alpha 1-hydroxylase)
or an abnormal vitamin D receptor (VDR, type 2 vitamin D-dependent rickets) creating a resistance to
the action of vitamin D in target organs. In this particular form, the treatment is difficult; it necessitates
the use of high pharmacological doses of vitamin D in addition to a high calcium supplementation.
© 2012 Société française de rhumatologie. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

L’ostéomalacie est une ostéopathie généralisée de l’adulte qui La principale cause d’ostéomalacie chez l’adulte est la défi-
provient d’un défaut de minéralisation de la matrice pré-osseuse cience sévère et prolongée en vitamine D [1]. Le dosage de la
édifiée par les ostéoblastes (le tissu ostéoïde). 25 hydroxyvitamine D [25(OH)D] a contribué à attirer l’attention
sur cette ostéomalacie carentielle et à la définir plus précisément.
Beaucoup plus rarement, l’ostéomalacie de l’adulte relève
d’autres causes ; certaines, regroupées sous le nom de rachitismes
∗ Auteur correspondant. vitamino-résistants, sont dues à une anomalie génétique enzy-
Adresse e-mail : MaAudran@chu-angers.fr (M. Audran). matique (déficit en 1-alpha hydroxylase) ou à une anomalie du

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http://dx.doi.org/10.1016/j.monrhu.2012.07.001
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médiale de la diaphyse fémorale, bord latéral des omoplates, les


métatarsiens parfois [2,4]. Étudiant des cas d’ostéomalacie prou-
vés par biopsie osseuse trans-iliaque, les auteurs de la Mayo Clinic
concluaient à l’intérêt de rechercher ces pseudofractures par des
radiographies du squelette [3]. Caractéristiques de l’ostéomalacie,
elles ont été observées dans d’autres séries de la littérature chez
des patients victimes de fractures du col du fémur, et même dans
des pays à fort ensoleillement [5,6].
La scintigraphie osseuse s’avère utile pour détecter en un seul
temps ces anomalies radiographiques qui se présentent sous forme
de foyers d’hyperfixation, mais non spécifiques [2,7].

1.3. Anomalies biochimiques

La biologie est indispensable pour assurer le diagnostic et on


doit donc au minimum vérifier la calcémie, la phosphatémie, le
taux des phosphatases alcalines totales et la créatininémie. Dans
la série de la Mayo Clinic, l’élévation des phosphatases alcalines
totales était relevée dans 94 % des cas, une hypocalcémie et une
hypophosphatémie dans environ un cas sur deux, une hypocalciu-
rie n’étant présente que dans 18 % des cas [3]. Le taux de 25(OH)D
peut être très bas, inférieur à 25 nmol/L, voire 12,5 nmol/L, mais ce
n’est pas constant [8]. Peach et al. à propos de 50 cas d’ostéomalacie
prouvés par l’histologie osseuse et 50 témoins appariés à histolo-
gie normale, ont montré la supériorité diagnostique de l’élévation
Fig. 1. Strie de Looser-Milkman sur le fémur : solution de continuité dans la dia- du taux des phosphatases alcalines (faux-négatif dans 14 % des cas,
physe, sous forme d’une bande transparente étroite, perpendiculaire à la corticale
faux-positif dans 8 %) [9]. En associant la calcémie, la phosphaté-
(avec l’aimable autorisation du Pr C. Marcelli).
mie et le taux des phosphatases alcalines, les taux de faux-négatif
et de faux-positif sont respectivement de 12 % et 0 %, établissant
récepteur à la vitamine D (VDR) créant une résistance des organes que cette triple analyse a la meilleure sensibilité [9].
cibles à l’action de la vitamine D.
Enfin indépendamment des troubles du métabolisme
1.4. Ostéodensitométrie
du phosphate (voir l’article « Diabètes phosphatés » dans
cette monographie), une ostéomalacie peut être reconnue
Une valeur basse de densité minérale osseuse [DMO] n’est pas
dans l’hypophosphatasie, les intoxications au cadmium ou à
synonyme d’ostéoporose et une cause de déminéralisation, de type
l’aluminium. . .
ostéomalacique, doit être écartée. Sous traitement par vitamine D,
la DMO s’élève de façon substantielle [10].
1. Ostéomalacie carentielle de l’adulte

1.1. Symptômes cliniques de l’ostéomalacie 1.5. Critères diagnostiques

Contrairement à l’ostéoporose qui ne se manifeste clinique- 1.5.1. Diagnostic biologique


ment qu’à l’occasion des complications fracturaires, l’ostéomalacie Selon Bingham et Fitzpatrick, le diagnostic d’ostéomalacie doit
peut se traduire par des douleurs osseuses, pelvi-crurales ou de être évoqué quand il existe deux des critères suivants, indépen-
la ceinture scapulaire, une sensibilité douloureuse à la pression damment des données histologiques :
des côtes, du sternum, de la crête tibiale. La douleur et une impo-
tence fonctionnelle pseudo-myopathique des membres inférieurs • hypocalcémie ;
provoquent des troubles de la marche (démarche dandinante, « en • hypophosphatémie ;
canard »). Plus tardivement on observe des déformations de cer- • élévation du taux des phosphatases alcaline ;
tains os longs. Cette diversité des signes cliniques est trompeuse • anomalies radiographiques évocatrices d’ostéomalacie (pseudo-
et fait souvent errer le diagnostic, les signes étant attribués au fractures en particulier) [3].
vieillissement, à l’« arthrose », à un rhumatisme des ceintures, à une
fibromyalgie. Il en résulte alors des traitements inappropriés. Non 1.5.2. Diagnostic histologique de l’ostéomalacie
diagnostiquée, l’ostéomalacie peut confiner les patients au lit [2–4]. La biopsie osseuse trans-iliaque après double marquage
est le seul moyen d’affirmer de façon certaine le diagnostic
1.2. Signes radiographiques d’ostéomalacie. Le prélèvement est inclus en poly (méthylmétha-
crylate), sans décalcification, et lu après coloration de Goldner.
Les radiographies du squelette sont souvent décrites comme Dans 17 cas d’ostéomalacie, identifiés à partir de 3077 biopsies
de qualité médiocre, « bougées », en raison de la déminéralisation trans-iliaques de la Mayo Clinic, le volume ostéoïde est supérieur à
qui rend plus floue la trame osseuse. Plus caractéristique et évoca- 10 % et l’épaisseur du tissu ostéoïde supérieure à 15 ␮m [3]. Seuls six
trice est toutefois est la pseudofracture (ou encore fissure, strie) patients avaient eu un marquage à la tétracycline, mais le trouble
de Looser-Milkman, solution de continuité perpendiculaire à la de minéralisation était tel qu’aucune mesure du « mineralisation
corticale, parfois bordée d’une ostéocondensation (Fig. 1). Ces pseu- lag time » n’a été possible.
dofractures sont retrouvées, dans des formes évoluées, sur le bassin Les critères diagnostiques histologiques d’ostéomalacie le plus
(ilion et branches ilio- et ischiopubiennes), cols fémoraux, face souvent retenus sont donc :
250 M. Audran, D. Chappard / Revue du rhumatisme monographies 79 (2012) 248–252

examen n’est pas indispensable quand coexistent les symptômes


cliniques, biochimiques et radiographiques de l’ostéomalacie, il
observait cependant que la biopsie retrouvait des signes histolo-
giques d’ostéomalacie chez 5 % des patients victimes de fracture
vertébrale (n = 162) dont le taux de phosphatases alcalines était
pourtant normal [13]. Chez les sujets victimes de fractures de l’ESF,
l’incidence de l’ostéomalacie est difficile à estimer, les critères
pouvant différer d’une étude à l’autre ; elle peut ainsi varier de
0 à 37 % selon les séries publiées [6]. En retenant comme critère
de normalité histologique osseuse une augmentation des surfaces
ostéoïdes inférieure 24 % et plus de 60 % de surfaces ostéoïdes
présentant un front de minéralisation, Aaron et al. observaient
sur les biopsies obtenues de 134 patients victimes de fractures
du fémur, des troubles de la minéralisation dans 37 % des cas,
avec une variation saisonnière de ces anomalies, plus marquées
de février à avril [14]. Dans un travail portant sur 78 patients,
Hordon et al. constataient des anomalies histologiques sur 56 des
Fig. 2. Ostéomalacie carentielle. Coloration de Goldner montrant le tissu ostéoïde 78 biopsies trans-iliaques. Dans neuf cas, ils retenaient le diagnos-
en noir et le tissu minéralisé en gris foncé. Notez l’abondance du tissu ostéoïde, son tic d’ostéomalacie [15]. Dans une série hollandaise de 89 biopsies
étendue à la surface des travées et son épaisseur considérablement augmentée en obtenues à l’occasion de cette fracture, les auteurs insistent plus
certaines zones. Grossissement original : × 100. sur l’état de haut remodelage observé chez 22 % des sujets et
caractérisé par des surfaces ostéoïdes supérieures à 18 % et des
surfaces érodées supérieures à 6 %, sans modification de l’épaisseur
ostéoïde. Dans une série anglaise, les auteurs observaient une
ostéomalacie chez 12 % des patients avec fracture de l’ESF, notant
dans ces cas une sévère insuffisance en vitamine D [taux sérique
moyen de 25(OH)D à 10,6 nmol/L] [16]. Dans une étude transver-
sale de biopsies osseuses nécropsiques, les auteurs ont observé une
accumulation de tissu ostéoïde (surfaces ostéoïdes [OS/BS] de plus
de 20 %), compatible avec une ostéomalacie chez un peu plus d’un
tiers des sujets ; aucune accumulation anormale de tissu ostéoïde
n’est relevée quand le taux de 25(OH)D était supérieur à 75 nmol/L
[17]. À l’inverse, les auteurs ne discernent pas de valeur minimale
en dessous de laquelle un trouble de la minéralisation serait inévi-
table ; des sujets dont les valeurs de 25(OH)D sont basses peuvent
n’avoir aucun trouble de minéralisation, ce qui souligne l’influence
de la génétique et des apports calciques. L’une des limites de cette
étude est l’absence de double marquage pour l’étude histologique
et de données biologiques autres que la vitamine D.
Fig. 3. Ostéomalacie carentielle avec forte réaction d’hyperparathyroïdie secon- Une déficience prolongée en vitamine D a pour conséquence
daire. Coloration : détection histoenzymologique de la phosphatase acide résistante d’induire une réaction parathyroïdienne secondaire. L’élévation de
au tartrate (TRAcP) ; les ostéoclastes apparaissent en gris foncé (flèches), le tissu la sécrétion de PTH stimule alors le niveau de remodelage osseux et
ostéoïde gris très clair et le tissu minéralisé en gris moyen. Les ostéoclastes réa- induit, en raison de l’hyper-ostéoclastose, une perte osseuse pro-
lisent des images de résorption endotrabéculaire (hook resorption). Grossissement
gressive, prédominant en secteur cortical ; le secteur trabéculaire
original : × 200.
est mieux préservé [6]. La raréfaction corticale avec porosité accrue,
en association avec le trouble de la minéralisation sont autant
• un volume de tissu ostéoïde non minéralisé représentant plus de de facteurs qui réduisent la résistance du squelette et exposent à
5 à 10 % du volume osseux ; un risque accru de fractures [6,18]. Toutefois, l’hyperparathyroïdie
• plus de 70 % de surfaces non minéralisées ; secondaire (HPT II) est fréquente, mais non constante chez les sujets
• des bordures ostéoïdes très épaissies, dépassant 15 ␮m, sur au déficients en vitamine D [19].
moins quatre coupes [6] (Fig. 2) (Fig. S1). Une forme particulière d’ostéomalacie est l’ostéomalacie axiale
caractérisée par un tableau douloureux modéré, des anoma-
La vitesse de minéralisation est souvent effondrée, à tel point lies radiographiques axiales à type de trabéculation grossière
même qu’il peut arriver de ne pouvoir déceler la fluorescence du et condensée, en l’absence le plus souvent d’anomalies radio-
double marquage. Le diagnostic repose donc sur la démonstra- graphiques. L’histologie osseuse confirme sur la biopsie osseuse
tion d’une réduction du taux d’apposition minérale, de la surface trans-iliaque après double marquage des signes de condensation
de minéralisation surface et du taux de formation osseuse calculé corticale et trabéculaire et identifie des troubles de minéralisation
après double marquage aux tétracyclines [11]. À ces anomalies en foyers [20] (Fig. 4).
s’associent des signes histologiques reflétant la réaction hyperpa-
rathyroïdienne secondaire, avec parfois aspect de hook resorption 1.6. Causes des ostéomalacies par carence en vitamine D
due à des ostéoclastes actifs (TRAcP +) (Fig. 3) (Fig. S2).
La procédure, faite dans des conditions techniques et Les principales causes de l’ostéomalacie carentielle sont présen-
d’anesthésie locale optimales, n’est pas douloureuse et ses tées dans le Tableau 1. Dans les maladies intestinales, l’incidence
complications sont exceptionnelles [12]. Meunier a, en 1980, de l’ostéomalacie a été souvent surestimée et l’ostéoporose en est
décrit l’intérêt de cette étude histologique pour le diagnostic une complication plus fréquente ; dans une étude récente, la mala-
des troubles de la minéralisation notant toutefois que si cet die cœliaque reste cependant une cause d’ostéomalacie à toujours
M. Audran, D. Chappard / Revue du rhumatisme monographies 79 (2012) 248–252 251

Tableau 2
Caractéristiques des rachitismes héréditaires liés à un défaut de la 1-alpha hydroxy-
lation rénale [rachitisme par pseudo-déficience en vitamine D] ou à une résistance
des organes cibles [rachitisme vitamino-D-dépendant de type 2] [24,25].

RVD de type 1 RVD de type 2


OMIM 264700 OMIM 277440
Déficit en 1-alpha Résistance de
hydroxylase l’organe-cible

Anomalie génétique CYP27B1 VDR


Alopécie Non Oui
Taux de calcitriol Bas Élevé
Calcémie Basse Basse
Phosphatémie Basse Basse
Taux de PTH Haute Haute
Réponse au traitement Oui Non

vitamine D chez l’adulte : 50 000 UI de vitamine D2 par semaine


pendant huit semaines [24]. Dans la prévention et le traitement de
la déficience en vitamine D chez l’obèse, il conseille de doubler voire
tripler les doses par rapport à celles recommandées en cas d’indice
de masse corporelle normal. En cas de malabsorption intestinale ou
de prise de médicament interférant avec le métabolisme de la vita-
mine D, la posologie conseillée est de 6000 à 10 000 UI/j de vitamine
D pour maintenir un taux de 25(OH)D à 75 nmol/L.
Fig. 4. Principales modifications biochimiques et endocriniennes conduisant à un Lors de l’ostéomalacie secondaire à la maladie cœliaque, la vita-
trouble de la minéralisation osseuse de type ostéomalacique (d’après [22], pour les
mine D est mal absorbée par l’intestin [1]. Le but essentiel du
diabètes phosphatés, se reporter à l’article « Diabètes phosphatés » dans ce même
numéro). traitement est donc de corriger ce trouble par le régime adapté sans
gluten, qui peut à lui seul suffire pour faire disparaître le trouble
de minéralisation. L’apport de vitamine D est conseillé par Holick
Tableau 1
Causes de l’ostéomalacie par carence en 25-hydroxy-vitamine D chez l’adulte (avec dans le traitement d’appoint des syndromes sévères de malabsorp-
le mécanisme principal) [1]. tion (maladie de Crohn, de Whipple, colite ulcéreuse) : exposition
au soleil, 50 000 IU de vitamine D2 par jour, un jour sur deux ou
Pathologie Mécanisme
par semaine, et à long terme maintien d’un apport de 50 000 unités
Défaut d’exposition solaire (anhélie) Déficit de synthèse cutanée de la toutes les deux semaines en prévention, et 50 000 IU de vitamine
Pigmentation cutanée vitamine D
D2 par jour ou un jour sur deux en traitement curatif [1].
Vieillissement Baisse du 7-déhydrocholestérol
cutané et moindre synthèse
cutanée de la vitamine D 2. Rachitismes vitamino-D-résistants
Obésité Stockage de la vitamine D dans le
tissu adipeux Certaines formes de rachitismes et d’ostéomalacies résistent à
Maladie cœliaque, bypass ou résection Malabsorption intestinale et
l’administration de vitamine D. Ce sont les rachitismes vitamino-
de l’intestin, maladie de Crohn, diminution de la biodisponibilité D-résistant (ou vitamino-D-dépendant, terme interchangeable) qui
pancréatite chronique, de la vitamine D relèvent de causes génétiques et qu’il peut s’agir d’affections auto-
mucoviscidose somiques récessives [25,26]. Leur étude a pu être menée chez
Hépatopathie sévère (cirrhose biliaire Défaut de 25 hydroxylation de la
des patients en même temps que dans des modèles animaux. Ces
primitive) vitamine D
affections se traduisent par un rachitisme sévère. On observe des
Syndrome néphrotique Fuite rénale de vitamine D associée troubles de la minéralisation et un ralentissement de la croissance
à sa protéine de transport (DBP)
et du développement osseux, des troubles du métabolisme phos-
Anticonvulsivants, rifampicine Accélération du catabolisme de la phocalcique (hypocalcémie, hypocalciurie, élévation du taux des
25(OH)D
phosphatases alcalines, HPT II) (Tableau 2).
Mutation du gène CYP2R1 [OMIM Anomalie génétique de la En 1961, Prader rapporte deux patients souffrant de rachi-
600081] 25 hydroxylation tismes sévères à début précoce résistants au traitement par la
vitamine D, rapproche ces cas d’observations déjà connues et pro-
pose le terme de rachitisme pseudo-carentiel vitamino-D-résistant
rechercher [21]. Les causes plus rares, notamment chez l’enfant, ont (ou rachitisme pseudo-carentiel de Prader) [27]. Dans cette affec-
été décrites [22]. tion héréditaire de transmission autosomique récessive, le défaut
génétique concerne la 25-hydroxyvitamin D-1␣-hydroxylase (1␣-
1.7. Traitement hydroxylase), enzyme clé de la transformation de la 25(OH)D
en sa forme active, la 1,25 dihydroxyvitamine D, ou calcitriol. Ce
Il était admis que de faibles doses de vitamine D2 ou D3, de rachitisme est dénommé rachitisme de type (RVDR-1 ou VDDR-
l’ordre de 450 UI/j, pouvaient prévenir et traiter l’ostéomalacie 1) ou rachitisme par pseudo-déficience en vitamine D (PDDR).
carentielle liée à l’anhélie ou la dénutrition chez l’adulte [23]. Pour L’anomalie génétique a été identifiée sur le 12q14 et est la
accélérer la guérison en cas d’ostéomalacie avérée ou chez l’obèse, conséquence de mutations du gène CYP27B1 [28]. Le déficit en
Holick proposait en 2006 de recourir à des posologies plus fortes, 1␣-hydroxylase a pour conséquence objectivable biologiquement
de l’ordre de 2000 UI/j, soit 50 ␮g/j quand le taux de 25(OH)D était un taux bas voire indétectable de calcitriol dans le sérum. Cette
très bas [1]. Plus récemment, ce même auteur suggère le recours forme est accessible à un traitement, des doses physiologiques de
à des posologies encore plus fortes pour corriger la déficience en 1,25(OH)2 D amenant la guérison de l’ostéomalacie [29].
252 M. Audran, D. Chappard / Revue du rhumatisme monographies 79 (2012) 248–252

Dans l’autre affection, le récepteur à la vitamine D (VDR) est [3] Bingham CT, Fitzpatrick LA. Noninvasive testing in the diagnosis of osteomala-
déficient, à l’origine du rachitisme vitamino-D-dépendant de type II cia. Am J Med 1993;95:519–23.
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la version en ligne de cet article est disponible sur http://www. [29] Delvin EE, Glorieux FH, Marie PJ, et al. Vitamin D dependency: replacement
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