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Etude de cas :Nike
Article 1 : Le cas Nike, tiré de concept et cas en management stratégique, sous la dir. De Soparnot
Richard et Grandval Samuel, chapitre rédigé par F. Mauléon et D. Wolff, coll. Groupe ESCEM,
Lavoisier, 2005.
Depuis que son fils a intégré la prestigieuse université de Californie à Los Angeles (UCLA), John
Moore ne cesse de parler de cette formidable ascension sociale à tous ses amis. Il est si fier de son fils
Paul et des études de management que celui-ci a commencé il y a maintenant 2 ans. Il faut dire que
dans la famille Moore, on n’était pas des habitués des campus.
John Moore et sa femme Susan ont élevé le petit Paul à Beaverton dans l’Oregon au nord de la
Californie. Cette ville est bien connue pour accueillir le siège social de l’entreprise Nike, leader
mondial en équipements de sport et culture physique. Ancien athlète de l’université de l’Oregon, Phil
Knight avait fondé Blue Ribbon Sports avec Bill Bowerman en 1968.
La marque sera rebaptisée Nike – du nom de la déesse grecque de la victoire - en 1972. Le groupe est
notamment devenu ce qu’il est grâce à son slogan Just Do it et par sa politique de recrutement de stars
du monde du sport, tels que le footballeur brésilien Ronaldo ou le golfeur américain Tiger Woods.
Qui est cette fameuse Naomi Klein, journaliste canadienne, dont son fils lui fait l’éloge depuis qu’il a
assisté à une conférence donnée à UCLA sur le sujet de la tyrannie des marques, à propos duquel elle
compte bientôt faire un livre, et sur l’évolution de l’économie mondiale depuis une décennie ? Paul lui
a expliqué comment cette journaliste a enquêté sur les stratégies marketing des grandes entreprises qui
auraient abandonné le discours classique sur la qualité des produits pour imaginer des stratégies de
promotion axées sur l’idée que les firmes vendent avant tout une manière de vivre. Avant cette
fameuse conférence, elle serait juste revenue d’une étude de terrain pour rendre compte de l’envers du
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Un sweatshop, appelé également "atelier de misère" (« magasin ou l’on transpire) est un espace de travail qui
ne respecte pas les normes fondamentales du travail de l’OIT et la Déclaration universelle des droits de
l’homme. Dans ces ateliers, les conditions de santé et sécurité sont mauvaises, les heures supplémentaires
excessives, les salaires misérables, et les abus ainsi que le harcèlement fréquents
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Campagne contre l’idée de fabriquer et porter des pulls à l’effigie des universités produits dans des conditions
de travail indécentes.
décor. Mais quel terrain ? Quel décor ? John a du mal à suivre le lien avec la si belle compagnie
Nike…
Et puis, quelle idée de s’engager en faveur de la protection des salariés de Nike ! Ceux qu’il connait
près de chez lui ont l’air très en forme et les nombreuses installations sportives à leur disposition au
siège social doivent y être pour quelque chose. Il y a aussi cette histoire de mobilisation sur le campus
d’UCLA. Depuis l’année dernière Paul a rejoint la Sweet Free Campus Campaign, association qui
réclame l’application de codes de conduite par les entreprises qui fournissent en textile les universités.
Son fils a fait état de nombreuses victoires gagnées autour de ces exigences, lui qui avant ne
s’intéressait qu’à la victoire de ses équipes sportives préférées. Paul et ses nouveaux amis demandent à
ce que les normes sociales chez les confectionneurs de vêtements à l’effigie de leur université soient
en cohérence avec les valeurs de ceux qui vont les porter.
Toutes ces histoires, John les avait assimilées à une tocade de jeunesse, un enthousiasme générationnel
et passager. Jusqu’à ces derniers jours où la découverte d’un article de journal l’a conduit à téléphoner
à son courtier afin d’être éclairé sur son portefeuille de valeurs mobilières et plus précisément sur le
cours de Nike. En effet les propos étaient quelque peu alarmants.
« Cela ne va pas fort pour Nike. Les ventes de la célèbre marque de chaussures et de vêtements de
sport ont culminé à 9,6 milliards de dollars en 1998. En 2000, elles n’étaient plus que de 9 milliards de
dollars. (.. ) Les ventes aux Etats Unis qui avaient atteint 5,2 milliards de dollars en 1997, sont
descendues à 4,7 milliards de dollars en 2000, soit une baisse de 9% ».
– 60% de ses ventes est réalisée hors des États-Unis, siège de la compagnie.
– Plus de 50% de sa production est réalisée en Asie, pour 80% de sa main d’œuvre.
– 20 000 employés directs dans la recherche et le développement, le marketing, aux USA.
– Nike emploie indirectement au niveau de ses sous-traitants environ 550 000 personnes.
En résumé, Nike a opté pour une stratégie basée sur une forte capacité d’innovation, un
marketing agressif mettant en scène des superstars du monde sportif. Ainsi, Nike emploie
directement environ 20000 personnes, la majorité étant localisée aux États-Unis sur des
activités de recherche développement et de marketing et l’autre partie étant essentiellement
localisée en Europe. Les activités productives sont localisées dans des pays, où les coûts
salariaux sont bas. Pour être et rester compétitive en termes de coûts, Nike a développé une
stratégie de sous-traitance dans des pays essentiellement asiatiques (55 % des unités de
production et 84 % de la main-d’œuvre indirecte en Asie du Sud-Est). Nike emploie
indirectement au niveau de ses sous-traitants, environ 550000 personnes.
Les bénéfices substantiels réalisés par Nike grâce à la faiblesse des coûts de production
salariaux résultant d’une politique de sous-traitance des activités de production et d’une
politique de marketing agressif, ne sont pas exempts d’effets pervers. En effet, cette stratégie
a relativement bien fonctionné, jusqu’à ce qu’elle fasse l’objet de critiques véhémentes par
des activistes, dénonçant les pratiques des sous-traitants, considérées comme non conformes à
l’éthique communément acceptée dans les pays développés. Au nombre des pratiques
dénoncées, figuraient en bonne place le non-respect de certaines conventions internationales
portant, entre autres, sur la liberté syndicale, les conditions de travail, le travail forcé, le
travail des enfants et les questions salariales.
Texte 4 : Extrait de Ivan du Roy, (2016). Des sponsors toujours aussi peu reluisants, Alternatives
Économiques 2016/6 (N° 358), page 17,
On croyait les équipementiers sportifs réconciliés avec la responsabilité sociale. Il n'en est
rien. Ils dépensent sans compter pour le sponsoring, mais continuent de chercher les salaires
les plus bas.
Quel est le point commun entre Cristiano Ronaldo, star du Real Madrid et de la sélection
nationale portugaise qui dispute l'Euro 2016 en France, et un ouvrier d'une usine textile
vietnamienne ? Une marque : Nike. Le premier bénéficie d'un contrat de sponsoring
avoisinant les 25 millions d'euros annuels pour arborer les chaussures et les maillots
estampillés du célèbre logo. Le second les confectionne pour environ 174 euros mensuels, soit
30 % de moins que le salaire vital [salaire nécessaire à la satisfaction des besoins
fondamentaux d'une famille : logement, énergie, eau potable, alimentation, habillement, santé,
éducation...] estimé par une alliance de syndicats et d'organisations non gouvernementales
(ONG) asiatiques. Le déséquilibre est gigantesque.
Le contrat de sponsoring que Nike a conclu avec Cristiano Ronaldo pourrait permettre à 19
500 ouvriers vietnamiens travaillant dans ses usines sous-traitantes d'être rémunérés pendant
un an à ce salaire vital au lieu de leur salaire de misère actuel. "Ces chiffres choquants
illustrent le modèle des grands équipementiers sportifs : une surenchère dans la
communication marketing et dans la recherche de rentabilité pour les actionnaires, sans que
les travailleurs qui contribuent à leur croissance en bénéficient réellement", commente Nayla
Ajaltouni, du Collectif Ethique sur l'étiquette, qui oeuvre en faveur des droits humains au
travail et rassemble plusieurs associations de solidarité internationale et des syndicats.
En une décennie, les dividendes versés aux actionnaires de Nike ont bondi ainsi de 135 %,
approchant les 3 milliards d'euros en 2015. Ceux d'Adidas ont grimpé de 66 % à plus de 600
millions d'euros l'an dernier. Le Collectif Ethique sur l'étiquette a réalisé une estimation : sur
100 euros dépensés par un consommateur pour une paire de chaussures Nike, seulement 2
euros reviennent à l'ouvrier qui l'a confectionné. Sur 50 euros déboursés pour un maillot
Adidas, cette proportion est encore moindre : le salaire des sous-traitants ne représente que 50
centimes environ.
Par comparaison, les dépenses de marketing et de sponsoring des marques représentent près
de 6 euros par paire de chaussures. Leurs dépenses de sponsoring au profit des dix principaux
clubs européens de football (Manchester, Bayern Munich, Real...) représentaient à elles seules
400 millions d'euros en 2015, en hausse d'un tiers depuis 2013. Ces 400 millions d'euros
pourraient permettre à 310 000 travailleurs indonésiens de vivre décemment en touchant un
salaire vital au lieu de leur salaire actuel.
Cette disproportion est connue. Ce qui l'est moins, c'est la volonté de ces marques de la
maintenir malgré leurs déclarations vantant leur responsabilité sociale. Leur recherche
incessante du coût d'achat le plus faible continue en effet d'entraver les hausses de salaires
dont pourraient bénéficier celles et ceux qui fabriquent baskets et maillots. Adidas fait
travailler environ 400 000 salariés en Chine, au Vietnam et en Indonésie. Dans un document
sur ses "pratiques responsables", l'équipementier allemand "reconnaît l'importance de
respecter et de promouvoir les droits humains dans leur globalité. Nous sommes convaincus
que le secteur privé peut jouer un rôle constructif dans la poursuite de ces objectifs." Et Nike
d'affirmer : "Les préoccupations salariales des travailleurs continuent de figurer parmi les
objectifs prioritaires identifiés lors de nos audits au sein des usines. Nous pensons que c'est
un objectif important et nous avons passé plusieurs années à étudier les rémunérations que
les travailleurs perçoivent dans les usines sous-traitantes."
Certes, les scandales les plus visibles qui entachaient l'industrie des équipements sportifs
semblent en partie révolus. Nike avait été la première multinationale textile à avoir été mise à
l'index, il y a vingt ans, suite à un reportage photo montrant des enfants pakistanais, accroupis
à même le sol, en train de coudre des ballons de football pour son compte. Adidas comme
Nike ont encore été accusées, au début des années 2000, de recourir à des sous-traitants
indonésiens qui employaient des enfants travaillant 15 heures par jour, pour un salaire
inférieur à 50 euros par mois.
8Depuis, les deux grandes marques ont multiplié audits et indicateurs sociaux. Et en 2011, six
grandes marques internationales dont Nike, Adidas et Puma ont signé un accord avec le
patronat et les syndicats indonésiens pour garantir la liberté syndicale dans les usines de leurs
sous-traitants. En 2013, suite à une campagne internationale, Adidas a accepté de participer à
l'indemnisation de 2 800 travailleurs indonésiens mis brutalement à la porte d'une usine, après
la fuite de son propriétaire. En 2014, plusieurs grandes marques textiles, dont Nike, Adidas et
Puma, ont aussi demandé au gouvernement cambodgien de respecter les droits des ouvrières
en lutte pour un salaire minimum.
Quitter la Chine
Ces multinationales sont-elles vraiment devenues vertueuses ? Elles disent publiquement
depuis quelques années maintenant vouloir établir des "partenariats de long terme" avec leurs
sous-traitants. Mais la pression croissante des dépenses de marketing et de sponsoring et leur
perpétuelle quête du moindre prix d'achat rendent ces bonnes intentions largement caduques.
C'est ce que montre l'étude réalisée pour le Collectif Ethique sur l'étiquette par le Bureau
d'analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic), un bureau d'études indépendant.
L'attitude de ces multinationales vis-à-vis de leurs fournisseurs chinois en est l'illustration la
plus flagrante. En dix ans, le salaire annuel moyen chinois a été multiplié par 2,5 et le salaire
minimum par trois. C'est le seul pays d'Asie où le salaire moyen se rapproche enfin du salaire
vital, tel que calculé par la société civile asiatique.
Au vu des principes de responsabilité sociale qu'elles affichent, les multinationales des
équipements sportifs devraient se réjouir d'une telle évolution. Elles la déplorent au contraire
vivement. Dans un document interne dont Basic a eu connaissance, Adidas s'inquiète de "la
fin de la Chine à bas coût"4 . Tandis qu'une étude présentée chez Nike indique que les
augmentations des salaires en Chine constituent "une menace" pour la "durabilité de la valeur
ajoutée".
Cette "durabilité de la valeur ajoutée", autrement dit les bas salaires maintenus chez les sous-
traitants, les deux géants du textile vont la chercher ailleurs en Asie, principalement au
Vietnam et, dans une moindre mesure, en Indonésie et au Cambodge. Ces pays sont pourtant
mal notés par l'Organisation internationale du travail (OIT). Par exemple, près de neuf usines
vietnamiennes sur dix ne respectent pas la législation du pays sur les congés payés, selon les
données 2015 de l'OIT. Et près d'une usine indonésienne sur trois ne rémunère pas tous ses
ouvriers au salaire minimum local, fixé à 80 euros mensuels. Dans les deux tiers d'entre elles,
la durée légale de travail est régulièrement dépassée. Le salaire moyen y est très inférieur au
salaire vital : 102 euros contre 209 euros en Indonésie, 115 contre 229 au Cambodge et 174
euros contre 247 euros au Vietnam.
Alors qu'en Chine les salaires moyens rattrapent désormais ce salaire vital. C'est pourtant bien
ce pays qu'Adidas et Nike veulent abandonner. D'ici à 2020, la part des tee-shirts Adidas
fabriqués en Chine devrait tomber de 33 % à 12 %, au profit principalement du Vietnam, du
Cambodge et de l'Indonésie, selon un document interne de la marque. Celle des chaussures
diminuerait de 23 % à 15 %, toujours au profit du Vietnam, de l'Indonésie ou encore de
l'ancienne dictature birmane.
4
Voir www.ethique-sur-etiquette.org
Ces multinationales disposent en effet d'outils de management très précis pour suivre au
centime près le coût de fabrication d'une chaussure, de la semelle au lacet en passant par le
salaire des ouvriers et la marge du sous-traitant. "Il s'agit d'un outil de négociation et
d'optimisation des coûts qui prouve leur capacité à maîtriser toute la chaîne
d'approvisionnement. Rien ne les empêcherait de l'utiliser pour estimer le prix de revient
correspondant à un salaire décent. Jusqu'à preuve du contraire, elles ne le font pas", détaille
Christophe Alliot, du Basic. Nous avons sollicité Nike et Adidas pour qu'elles puissent
expliquer leurs choix. Elles n'ont pas souhaité répondre à notre demande d'entretien.
Vingt ans après les premiers scandales qui l'ont éclaboussé, l'industrie des équipements
sportifs peine donc toujours à rompre avec un modèle qui privilégie les paillettes de la
publicité et du sponsoring et les dividendes de leurs actionnaires, aux dépens des salaires et
des conditions de travail de leurs sous-traitants.
Questions :
1. Définissez les termes : délocalisation, externalisation /4
2. Après avoir défini la stratégie de production de Nike, identifiez-en les avantages qui lui
sont liés. /4
3. Comment expliquer la baisse significative du Chiffre d’Affaire de Nike entre 1997 et
2000 (fin texte 1). /2
4. Quel type de management est remis en cause par l’opinion publique à travers le cas
Nike : identifiez les choix de management et les problèmes qui peuvent lui être
attribués /4
5. Définissez le marché dont Nike fait partie. /1
6. A quelle place l’entreprise Nike est-elle positionnée ? comment qualifieriez-vous ses
concurrents, citez-les et positionnez-les en définissant chaque terme. /2
7. Pourquoi, selon vous l’entreprise Nike est-elle plus critiquée que ses concurrents alors
qu’ils ont des pratiques similaires ? /3