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20/06/2023 10:18 21. Assurances maladie obligatoire et complémentaires | Cairn.

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21. Assurances maladie obligatoire et complémentaires


Brigitte Dormont
Dans Traité de santé publique (2016), pages 191 à 198

Chapitre

M is en place à partir du programme du Conseil national de la Résistance, notre système de Sécurité sociale est réputé garantir la
solidarité sur un mode universel. Mais pour la santé, on a composé avec l’existant et abouti à un système mixte mêlant assurances
publique et privées. Les concepteurs du système ont prévu, dès l’origine, une couverture incomplète des dépenses de soins et laissé une place
1

aux protections complémentaires facultatives. Officiellement, le ticket modérateur visait à limiter la dépense en faisant payer une partie du
coût des soins par le patient. En pratique, il a été pris en charge par les organismes d’assurances complémentaires, conduisant à une
association de fait : la Sécurité sociale et les assurances complémentaires se partagent la couverture des soins.

Les performances du système de santé français sont bonnes, sans être exceptionnelles, alors que la dépense de santé est plus élevée dans 2
notre pays que dans beaucoup d’autres pays développés et que plusieurs études signalent une contre-performance pour les inégalités
(1)
sociales de santé  .

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On peut juger que l’organisation de l’assurance maladie en France ne permet pas véritablement de réaliser les principes fondateurs de notre 3
système, connus sous le nom de « pacte de 1945 » et résumés par la maxime : « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». En
effet, on peut considérer que la couverture n’est pas suffisante car elle ne protège pas les assurés sociaux contre le risque de restes à charge
très élevés. Dans ce cas, l’accès aux soins implique un coût qui n’est pas proportionné aux moyens financiers de l’individu, ce qui contrevient
au principe « de chacun selon ses moyens ». Par ailleurs, parce que les médecins sont rémunérés par un paiement à l’acte, les ressources de
l’assurance maladie pour les dépenses de ville sont allouées via les remboursements définis en fonction des consommations effectives
constatées. Cela contrevient à l’idée de prestations servies également en fonction des besoins, car l’accès aux consultations n’est pas égal sur
tout le territoire, compte tenu de l’inégale répartition géographique des médecins.

La France se distingue par la mixité de son système d’assurance : deux types d’opérateurs, la Sécurité sociale et les organismes 4
(2)
complémentaires, concourent à la couverture des mêmes soins. Une telle organisation est peu répandue  . Elle n’existe chez aucun de nos
grands partenaires européens, ni en Allemagne, ni aux Pays-Bas, ni au Royaume-Uni, etc. Cette organisation est particulièrement coûteuse
pour de multiples raisons : elle contribue à entraver la maîtrise des dépenses de santé ; les coûts de gestion et d’organisation d’un système
aussi complexe sont élevés ; trop timide, la régulation du secteur ne permet pas que la concurrence joue en faveur d’une modération du prix
des soins et d’une limitation des primes d’assurances complémentaires.

On peut s’interroger sur la viabilité à terme du système français, car il ne comporte aucun mécanisme véritable de pilotage de l’offre de 5
soins. Au contraire, l’organisation complexe de l’assurance maladie, qui combine l’assurance obligatoire avec des assurances
complémentaires facultatives et peu régulées, va de pair avec des mécanismes qui jouent en faveur d’une dépense excessive pour un résultat
qui n’est pas exceptionnel. Or, l’objectif d’une assurance maladie doit être d’offrir une bonne couverture pour garantir l’accès aux soins tout
en maîtrisant les coûts. Éluder la question de la maîtrise des coûts reviendrait à condamner le système à brève échéance. Pour le dire
simplement, faire un chèque en blanc aux industriels du secteur et aux professionnels de santé conduirait à coup sûr à une explosion des
dépenses couvertes avec, à court terme, des révisions déchirantes concernant le taux de couverture ou la liste des soins couverts.

Actuellement, le design de l’assurance maladie est pensé indépendamment de la question du pilotage de l’offre de soins, sans prendre en 6
considération les mécanismes permettant d’optimiser les comportements des individus, qu’il s’agisse des offreurs de soins ou des assurés
sociaux. Ce chapitre analyse les problèmes créés par l’organisation de l’assurance maladie en France, avant de résumer les pistes
d’amélioration envisageables.

Une couverture insuffisamment protectrice


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En France, les dépenses de santé sont couvertes à 78 % par la Sécurité sociale et l’État et à 13,5 % par les organismes d’assurances 7
(3)
complémentaires. Le reste du financement, soit 8,5 %, est payé directement par les ménages  (Tableau 21-I). Ce taux moyen de paiement
direct est l’un des plus bas d’Europe, mais il recouvre de grandes hétérogénéités et n’exclut pas qu’une proportion significative de ménages
doive supporter des dépenses importantes.

Tableau 21-I : Structure du financement de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM)(%).


2006 2012 2014

Sécurité sociale de base(1) 76,8 76,1 76,4

État et CMU-C organisme de base 1,4 1,3 1,4

Organismes complémentaires(2) 12,8 13,7 13,5

– mutuelles 7,7 7,4 7,2

– sociétés d’assurance 2,9 3,7 3,7

– institutions de prévoyance 2,3 2,5 2,6

Ménages 9,0 8,9 8,5

Total 100 100 100

(1) Ycompris le déficit des hôpitaux publics.


(2) Y compris les prestations CMU-C versées par ces organismes.
— Source : DRESS, comptes de la santé http://www.drees;sante.gouv.fr/IMG/pdf/er_935_depenses_de_sante.pdf.

La branche maladie de la Sécurité sociale est en déficit chronique, pour une raison essentiellement politique : les recettes liées aux 8
cotisations sont en retrait perpétuel par rapport à la progression de dépenses peu maîtrisées. Des plans de redressement ont lieu
périodiquement depuis les années 1950, associant hausses de prélèvements et baisses de prise en charge, via les tickets modérateurs et
l’introduction de déremboursements, franchises et forfaits. Les tickets modérateurs, instaurés dès la création de l’assurance maladie, ont été
(4)
fixés à des niveaux assez élevés : 30 % pour une consultation médicale, 20 % des frais d’hospitalisation  , etc. Ils sont aujourd’hui totalement
couverts par les couvertures complémentaires. De nombreux co-paiements ont été introduits depuis 2004 : les patients doivent payer des

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« participations forfaitaires » de 1 euro par consultation médicale, analyse de biologie ou d’imagerie et de 18 euros pour les actes dont le tarif
remboursable dépasse 120 euros. D’autres co-paiements, appelés « franchises », ont été créés en 2007 : 50 centimes par boîte de médicaments
et par acte paramédical et 2 euros par trajet pour les transports sanitaires, avec un plafonnement annuel de 50 euros. Créé en 1983, le forfait
hospitalier correspond à une participation des malades aux frais hôteliers. Il est actuellement de 18 euros par jour d’hospitalisation.

La mise en place de ces participations financières s’est accompagnée de dispositifs compensatoires en direction des plus modestes et des 9
plus malades : la CMU complémentaire (CMU-C) offre depuis 2000 une couverture complémentaire gratuite aux personnes à bas revenus ;
les assurés affectés d’une maladie chronique figurant dans la liste des affections de longue durée ALD bénéficient d’une prise en charge
à 100 % pour les soins liés à cette affection. La combinaison de ces dispositifs aboutit à une couverture moyenne par la Sécurité sociale très
hétérogène entre les assurés sociaux, avec un taux de couverture relativement faible pour l’immense majorité des assurés qui ne bénéficient
pas du régime des ALD (ils sont 82,7 %) : en 2012, leur couverture moyenne pour l’ensemble des soins était de 61,3 % (Tableau 21-II).

L’analyse de la couverture offerte par l’assurance maladie doit tenir compte du fait que la distribution des dépenses de soins est très 10
concentrée : chaque année, 50 % des dépenses couvertes par la Sécurité sociale sont causées par les soins prodigués à une minorité de
patients, qui représentent seulement 5 % des assurés. Cette caractéristique ne découle pas d’un dysfonctionnement de l’assurance maladie,
mais simplement de la valeur des traitements : leur coût peut, dans certains cas, atteindre des valeurs extrêmes qui dépassent les capacités
financières des ménages les plus fortunés. Tout individu encourt un risque non nul d’être exposé à un niveau de dépenses qu’il ne peut
assumer.

Tableau 21-II : Taux de couverture moyen par la Sécurité sociale pour les consommants en 2012.
Non ALD ALD Ensemble des consommants

Ensemble des soins 61,3 88,0 76,1

Soins ambulatoires hors optique 56,3 86,5 72,0

Soins ambulatoires, y compris optique 51,0 84,4 67,7

Hôpital 88,1 95,0 92,4

Part dans la population des consommants 82,7 17,3 100

— Source : rapport HCAAM, 2013 http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/rapport_annuel_2013.pdf.


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Cette caractéristique de la distribution des dépenses de soins entraîne qu’une société qui veut garantir à tous ses membres un accès aux 11
soins de base doit rendre obligatoire l’assurance maladie. L’obligation d’assurance imposée en France comme dans la plupart des pays
développés permet d’instaurer un partage des risques à l’échelle de la population, réduisant le coût de l’assurance pour chacun. Par
définition, le financement est alors fondé sur des prélèvements obligatoires, qui peuvent prendre des formes variées : impôts, cotisations ou
primes. Une autre raison de priver les citoyens de la liberté de ne pas s’assurer est que, dans une société comme la nôtre, l’État ne peut pas
s’engager à ne pas soigner les personnes non assurées. Pour des raisons éthiques évidentes, les individus sont de toute façon pris en charge
aux frais de la collectivité. Il est logique de les contraindre à contribuer ex ante au pot commun.

La distribution très concentrée des dépenses de soins a aussi pour conséquence qu’une couverture partielle par l’assurance maladie 12
(5)
obligatoire expose les individus à des « restes à charge »  considérables, en l’absence de mécanisme de plafonnement. Or, telle est bien la
conception de l’assurance maladie en France, avec les tickets modérateurs respectif de 30 % et 20 % pour la médecine de ville et l’hôpital, sans
plafond pour limiter les dépenses encourues par les assurés.

En 2012, le reste à charge moyen pour les personnes ayant consommé des soins est de 507 euros, dont 452 euros pour les soins de ville 13
et 55 euros pour les soins hospitaliers. Mais la concentration des dépenses de soins fait que les moyennes donnent peu d’information sur les
risques encourus. Pour apprécier le risque, ce sont les distributions qu’il faut examiner. On aboutit alors à des valeurs assez
impressionnantes : pour les soins de ville, 1 % des assurés ont un reste à charge moyen de 3 730 euros et pour l’hôpital 1 % des assurés ont un
reste à charge moyen de 1 365 euros (Tableau 21-III). Ces sommes s’expliquent par l’application du ticket modérateur, mais aussi par le fait
que les remboursements de la Sécurité sociale se fondent sur des tarifs fixés par convention (tarifs dits « opposables ») alors que des
dépassements d’honoraires peuvent être demandés par les médecins du secteur 2 et que les prix de certains biens médicaux, notamment
pour l’optique et les prothèses dentaires et auditives, sont très supérieurs aux bases de remboursement de la Sécurité sociale. On constate
ainsi que sur le reste à charge moyen du centile supérieur, plus de la moitié, soit 2 604 euros, résulte de la « liberté tarifaire » (voir Tableau 21-
III). Enfin, ces restes à charge ne sont pas vraiment des écarts de dépenses exceptionnels qui pourraient être absorbés à la longue : un calcul
réalisé en pluriannuel, sur 2008-2010, montre que la valeur moyenne du reste à charge des personnes situées dans le dernier centile de
(6)
consommation est égale à 10 106 euros  .

Tableau 21-III : Dépenses à la charge des assurés après remboursement par la Sécurité sociale, moyennes par
déciles et pour le dernier centile, pour les consommants en 2012 (euros).

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(1) Les comptes de la santé 2014 produisent une étude réalisée par la CNAMTS qui examine les restes à charges sur six ans pour la période 2008-2013.
Sur cette période, il apparaît que 1 % de la population a un reste à charge sur six ans supérieur à 13 130 euros. Plus ancien, le rapport 2012 du HCAAM,
calcule sur 2008-2010 la valeur moyenne (et non la valeur du centile qui ne donne que le seuil au-delà duquel se positionnent les restes à charge du
dernier centile) du reste à charge des consommants situés dans le dernier centile de consommation et obtiennent la valeur de 10 106 euros.
— Source : rapport HCAAM, 2013 http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/rapport_annuel_2013.pdf.

Ces sommes sont plus ou moins bien couvertes dans le cas où l’individu a souscrit une complémentaire, la détention d’une telle assurance 14
apparaissant comme une condition d’accès aux soins de base. A contrario, le renoncement aux soins est très lié à l’absence de couverture par
une complémentaire : le taux de renoncement aux soins des personnes non couvertes est plus du double de celui observé chez les détenteurs
d’une complémentaire. Dans quelle proportion les restes à charge sont-ils couverts par les assurances complémentaires ? Les données
individuelles actuellement disponibles sur les couvertures offertes par les assurances complémentaires sont très parcellaires. Mais on sait
que les contrats offrent des couvertures très hétérogènes : d’un côté, on observe que 47 % des contrats ne couvrent pas les dépassements
(7)
d’honoraires   ; de l’autre, on observe que des couvertures très généreuses sont offertes, surtout par les contrats de groupe.

La complémentaire santé est-elle accessible à tous au-dessus du plafond CMU ? Situons-nous dans la situation qui prévaut avant l’extension 15
des complémentaires d’entreprises prévue en application de la loi de 2013 sur la sécurisation de l’emploi, dont l’obligation est effective depuis
le 1er janvier 2016 : on observe qu’environ deux cinquièmes des détenteurs d’une assurance complémentaire en bénéficient grâce à un contrat
collectif d’entreprise. Pour les autres, l’accès à la complémentaire est facultatif. Il passe par le paiement d’une prime souvent indépendante
(8)
du revenu et croissante avec l’âge  . Dans ce cas, le financement est dégressif : en 2006, la part du revenu consacrée à l’achat d’une
complémentaire hors employeur est de 2,9 % pour les ménages les plus aisés mais peut atteindre 8 % pour les plus modestes. Un tel effort

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pour la seule complémentaire santé peut sembler prohibitif aux ménages modestes et les conduire à renoncer à l’assurance. En moyenne,
une faible proportion de la population (5 %) ne détient pas d’assurance complémentaire en 2012. Mais cette proportion atteint 11 % chez les
(9)
ménages modestes appartenant au premier quintile de revenus  .

Les défauts de coordination pour la maîtrise des dépenses de santé

Dans tous les pays, le financeur des soins doit chercher à maîtriser les dépenses, car le niveau total des dépenses de soins grève le budget de 16
tous, contribuables ou assurés. Dans le National Health Service britannique, les soins médicaux sont délivrés dans le cadre d’un service
public. Dans ce système, c’est l’administration en charge de ce service qui est censée assumer cet objectif de maîtrise des dépenses afin de
maximiser le bien-être de la population concernée. Dans un système de type concurrence régulée entre assureurs avec un niveau de
couverture fixé, comme en Suisse, en Allemagne ou aux Pays-Bas, les assureurs sont incités à maîtriser la dépense afin d’être compétitifs,
c’est-à-dire d’offrir l’assurance maladie à moindre coût.

Les économistes ont étudié les mécanismes permettant de gagner en efficience, c’est-à-dire aptes à limiter la dépense de soins sans dégrader 17
le service rendu :

–   du côté de la demande de soins, des co-paiements incitant l’assuré à ne pas surconsommer des soins, sans nuire à l’accès aux soins. 18
Leur pertinence se limite au champ de la consommation de soins qui peut être influencée par le comportement du patient ;
–   du côté de l’offre de soins, une contractualisation avec les offreurs de soins portant sur un cahier des charges spécifiant des tarifs et
des formes de paiements incitatifs à la qualité et à l’efficience des soins délivrés.

En France, la mise en place de tels mécanismes est entravée par un défaut de coordination entre la Sécurité sociale et les organismes 19
complémentaires.

Du côté de la demande, le statut du ticket modérateur reste ambigu : soit il ne vise pas à la modération des dépenses et devrait être éliminé, 20
(10)
soit il est utile  et l’on comprend mal pourquoi une complémentaire et ses clients seraient autorisés à s’entendre sur le dos de la Sécurité
sociale pour en annuler les bénéfices incitatifs. Depuis 2006, une disposition fiscale favorise l’offre de contrats dits « responsables », qui ne
doivent pas couvrir la participation forfaitaire de 1 euro, les « franchises » et les majorations de ticket modérateur, qui pénalisent un non-

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respect du parcours de soins. Mais ces dispositions sont timides en comparaison de l’ampleur des tickets modérateurs de 20 et 30 % qui
restent entièrement couverts et dont on ne comprend pas la justification (sinon, peut-être, de réserver une part de marché aux organismes
complémentaires).

Du côté de l’offre de soins, les carences sont encore plus marquées. Dans les systèmes de concurrence régulée entre caisses d’assurances 21
comme en Suisse ou aux Pays-Bas, la maitrise des coûts passe par une contractualisation des caisses avec les offreurs de soins, avec, pour les
assureurs, l’aiguillon constitué par la recherche de compétitivité. En France, les incitations à l’efficacité sont faibles : la Sécurité sociale est en
monopole, et l’organisation actuelle des complémentaires dénature la concurrence entre organismes (voir plus loin).

L’organisation en système mixte rend très difficile la mise en place d’une réelle contractualisation. En effet, celle-ci signifierait une action 22
concertée de la Sécurité sociale et de la complémentaire de l’assuré pour négocier avec les offreurs de soins. Ce processus devrait respecter
les principes d’une concurrence équitable entre les assureurs complémentaires. En d’autres termes, il faudrait que la Sécurité sociale
s’engage avec chaque offreur de soins dans autant de négociations qu’il y a d’assureurs, tout en veillant à respecter l’égalité de traitement
entre eux, ce qui est quasi impossible. En pratique, le peu de contractualisation mise en place émane de la Sécurité sociale, à l’exception de
secteurs comme l’optique ou le dentaire, où les faibles taux de remboursement par la Sécurité sociale rendent l’intervention des
(11)
complémentaires non marginale  . L’absence de coordination entre la Sécurité sociale et les organismes complémentaires est manifeste en
ce qui concerne les données de santé : dans la situation qui prévaut jusqu’à fin 2015, les complémentaires ne disposent pas des données
individuelles des assurés détenues par la CNAMTS. Intervenant en aval de la Sécurité sociale, elles ne reçoivent que les informations
administratives permettant de procéder au remboursement, sans pouvoir mettre en place des mécanismes incitant à plus d’efficience pour
les patients et les offreurs de soins.

Un système coûteux en frais de gestion et subventions

Un tel système est coûteux en frais de gestion et en dépenses fiscales pour faire tenir cet édifice complexe et semi-privé dans le moule du 23
pacte de 1945. Pour avoir une idée des ordres de grandeurs, il faut avoir en tête que les assurances complémentaires couvraient 13,5 % des
dépenses de santé en 2014, ce qui représente 25,7 milliards d’euros (voir Tableau 21-I).
(12)
Les comptes de la santé 2014  présentent les frais de gestion du système de santé, dont les deux principaux postes sont les frais de gestion 24
des organismes relevant de la Sécurité sociale (CNAMTS, etc.), pour 7,1 milliards d’euros, et les frais de gestion des organismes
(13)
complémentaires, pour 6,8 milliards d’euros  . Les sommes concernées sont d’un ordre de grandeur similaire, alors que les deux types
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d’opérateurs remboursent respectivement 76,6 et 13,5 % des soins. Sans entrer dans les débats récurrents sur les frais de communication et
de marketing entraînés par un contexte concurrentiel, on peut relever que les organismes complémentaires doivent traiter autant de
dossiers que la Sécurité sociale, même si les sommes concernées sont plus faibles. Surtout, il convient de pointer l’inefficience d’un système
qui cumule les frais de gestion de la Sécurité sociale et des organismes complémentaires.

Les pouvoirs publics encouragent depuis longtemps l’accès aux assurances complémentaires santé par différents types d’aides sociales et 25
fiscales. Ces aides sont attribuées si le contrat est « responsable » et, dans le cadre des contrats collectifs, s’il est obligatoire. Pour
l’année 2011, le HCAAM a évalué à 5,6 milliards d’euros, le montant total des aides publiques à l’acquisition des complémentaires,
dont 3,6 milliards pour les aides attribuées aux contrats collectifs obligatoires. En effet, ces contrats faisaient l’objet, pour la contribution du
(14)
salarié, d’une déductabilité de son revenu imposable  et, pour la participation de l’employeur, d’une non-prise en compte dans le net
imposable du salarié et d’une exemption de cotisations sociales.

Ces aides publiques créent d’importantes disparités de traitement. Le HCAAM a calculé que l’aide annuelle par contrat variait de 15 euros 26
pour les contrats individuels auxquels ont accès les fonctionnaires à 226 euros pour les contrats collectifs obligatoires et 260 euros pour les
(15)
contrats Madelin (professions indépendantes), sans compter que nombre de contrats individuels ne jouissent d’aucune subvention  . Cette
discrimination de l’aide publique entre contrats individuels et collectifs joue au détriment des jeunes, des chômeurs et des personnes âgées,
qui doivent payer une prime plus élevée pour accéder à une assurance complémentaire. Un argument souvent développé en faveur des
contrats collectifs est celui de la mutualisation des risques au niveau de l’entreprise ou de la branche. Mais cette mutualisation laisse de côté
des individus comme les personnes âgées, qui ont plus souvent des problèmes de santé, effectuant une sélection qui renforce le coût des
assurances complémentaires auxquelles elles pourront avoir accès. En résumé, cette mutualisation est le fait des insiders et dégrade la
situation des autres. On peut se demander si la tutelle publique est censée encourager un tel objectif.

Un système qui contribue à une hausse des prix des soins

Ces subventions différenciées encouragent la demande pour une couverture plus étendue dans les contrats collectifs. L’analyse des garanties 27
offertes montre en effet que ces derniers offrent des couvertures beaucoup plus généreuses que les contrats individuels. Entre 2006 et 2010,
l’écart s’est même creusé en raison de la montée en gamme des contrats collectifs. C’est la prise en charge des dépassements d’honoraires
(16)
des praticiens hospitaliers qui a le plus augmenté sur cette période, parallèlement à la progression de ces dépassements  .

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La générosité de la couverture peut encourager les dépassements d’honoraires et les hausses des tarifs des dispositifs médicaux en général 28
(par exemple, les lunettes ou les prothèses dentaires). L’analyse des causes de développement des dépassements d’honoraires en France
demanderait certes une réflexion approfondie. Du côté de l’offre de soins, il importe qu’une offre de soins à tarifs opposables soit toujours
disponible sur le territoire, si l’on veut que les patients aient le choix et que la couverture offerte par la Sécurité sociale soit effective. On peut
considérer que cette condition est vérifiée en ce qui concerne les généralistes, mais pas pour les spécialistes, en particulier dans de grandes
villes comme Paris.

Du côté de la demande, il est clair que le patient n’est pas en position d’instaurer un rapport de force pour une modération des dépassements 29
dans son face à face avec le médecin. Par ailleurs, l’information sur la qualité des soins délivrés par les médecins est inexistante en France.
Seuls jouent les éléments de réputation et, dans ce cadre, des dépassements importants peuvent être interprétés par les patients comme un
signal de qualité. Dans l’intérêt du patient, il donc est important que le financeur – l’État, l’assurance maladie ou des assurances en
concurrence régulée – joue le rôle d’intermédiaire, un intermédiaire plus informé que le patient sur les questions de qualité des soins et sur
les coûts supportés par le médecin. Cette question des dépassements montre toute l’importance qu’aurait la mise en place d’une
contractualisation entre le financeur et les offreurs de soins.

En l’absence de contractualisation, les subventions qui favorisent les contrats de groupe ont encouragé l’achat de couvertures très 30
généreuses qui ont contribué à solvabiliser la demande pour des soins à des tarifs hors contrôle. Il est probable que cette dépense fiscale ait
(17)
contribué au dérapage des dépassements d’honoraires  .

Des règles de concurrence qui encouragent la sélection des risques

De façon générale, en l’absence d’une régulation particulière, la concurrence en assurance maladie encourage les pratiques de sélection des 31
risques. En effet, sélectionner des affiliés jeunes et en bonne santé est, pour les assureurs, un moyen simple de gagner en compétitivité, plus
facile à mettre en œuvre, que de chercher à contractualiser avec des médecins pour gagner en efficience dans la délivrance des soins.

En France, une régulation insuffisante de la concurrence sur le marché de l’assurance complémentaire crée des incitations à la sélection des 32
risques par les assureurs. En effet, les complémentaires individuelles sont facultatives et ont une grande liberté dans la définition des
contrats qu’elles offrent.

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De fait, des compagnies d’assurance maladie privées en concurrence sur un marché d’assurance facultatif ne peuvent offrir qu’un partage 33
des risques limité. Même des mutuelles qui affichent un idéal de solidarité ne peuvent se permettre d’égaliser les primes de leurs adhérents.
Ce faisant, elles risqueraient de perdre leurs affiliés jeunes, réduisant l’étendue de la mutualisation et renchérissant d’autant la prime
moyenne. Dans ce contexte, les compagnies doivent calculer les primes au plus près des dépenses prévues pour chaque individu. La
concurrence leur impose notamment de définir des primes plus élevées pour les personnes âgées. Les écarts de prime entre les jeunes et les
seniors peuvent ainsi varier du simple au triple.

En principe, la sélection des risques en tant que telle est découragée par la loi Évin de 1989, qui impose une garantie viagère pour les assurés, 34
même dans le cas d’apparition de « mauvais risques » après souscription. En outre, les augmentations de tarif doivent être uniformes pour
les affiliés d’un même contrat, excluant des hausses individuelles en fonction des consommations de soins observées. Enfin, des pathologies
survenues avant la souscription du contrat ne peuvent être exclues de la couverture.

En pratique cependant, la segmentation des contrats permet une sélection des risques indirecte, qui passe par le ciblage de publics 35
particuliers auxquels les compagnies offrent des garanties et des tarifs spécifiques. En France, de telles stratégies sont rendues possibles par
l’absence d’une régulation définissant un contrat standard, contrairement à ce qui existe dans les pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou
la Suisse, où des règles assez strictes encadrent la concurrence entre assureurs.

Décrivons plus précisément les pratiques actuelles sur le marché des complémentaires en France. Les règles fiscales découragent la fixation 36
de tarifs en fonction de l’état de santé du souscripteur en favorisant les contrats dits « solidaires », sans tarification en fonction de la santé ni
questionnaire médical à la souscription. Pour respecter cette contrainte, tout en ajustant leurs tarifs au plus près des dépenses de santé des
individus, les compagnies développent des stratégies de segmentation des contrats : des produits de plus en plus différenciés sont proposés,
contrats modulaires, contrats low cost, avec franchise cautionnée, surcomplémentaires et contrats à options. Cette stratégie permet de cibler
des groupes d’affiliés avec des niveaux de dépenses homogènes, réalisant de facto une sélection des risques et une tarification selon l’état de
santé, tout en respectant formellement les contraintes du contrat solidaire. Par exemple, des jeunes en bonne santé seront attirés par les
contrats low cost : on pourra proposer à ce groupe une prime bien plus attractive que ce que l’on pourrait leur offrir avec une tarification à
l’âge à l’intérieur d’un groupe plus large couvert par un contrat plus généreux. Ici, l’avantage concurrentiel dont bénéficie la compagnie qui
développe une segmentation des contrats vient du fait qu’elle peut sélectionner les « bons risques » en offrant un contrat avec une faible
couverture.

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En France, le marché de l’assurance complémentaire est ainsi caractérisé par la dégradation progressive de la mutualisation des risques 37
entre malades et bien portants et une esquive de la pression concurrentielle par les stratégies de sélection des risques développées par les
compagnies via la segmentation des contrats. La multiplicité des contrats qui en résulte engendre une complexité de l’offre qui devient
difficilement lisible pour le consommateur, érigeant un obstacle supplémentaire à une véritable concurrence.

Les évolutions en cours

La politique engagée depuis 2012 vise à faciliter l’accès aux complémentaires santé, sans remettre en cause leur périmètre d’intervention. En 38
d’autres termes, le principe de co-couverture par la Sécurité sociale et les complémentaires est entériné, sans réel pilotage de l’offre et avec
l’impossibilité maintenue de création de réseaux de soins aptes à négocier des tarifs avec les professionnels de santé (à l’exception de
secteurs spécifiques comme l’optique et le dentaire).

Nous avons souligné au début de ce chapitre que l’assurance maladie doit offrir une bonne couverture tout en maîtrisant les coûts. Force est 39
de constater que les décisions récentes visent à une augmentation de couverture sans aucun mécanisme additionnel pour maîtriser les
coûts.

L’extension de l’accès aux complémentaires a été prévue dans le cadre de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, repris 40
par la loi relative à la sécurisation de l’emploi. Elle prend la forme d’une généralisation des contrats de groupe à tous les salariés du privé
(18)
effective au 1er janvier 2016  . À cela s’est ajoutée une augmentation des plafonds de ressources donnant accès à la CMU-C et à l’aide à la
complémentaire santé (ACS), permettant de prévoir respectivement 400 000 et 350 000 nouveaux bénéficiaires de la CMU-C et de l’ACS.
Pour en réduire le coût pour les finances publiques, l’extension des contrats de groupe s’est accompagnée d’une réduction de l’avantage fiscal
qui y était associé : dans la loi de finances de 2014, la contribution de l’employeur est intégrée au revenu imposable du salarié. En revanche, la
déductabilité de la contribution salariale demeure, de même que l’exonération de cotisations sociales pour l’employeur. La différence de
traitement entre contrats individuels et collectifs est donc réduite, mais pas annulée.

L’extension des contrats de groupe à l’ensemble des salariés du privé bénéficie à 400 000 salariés qui n’étaient pas couverts par une 41
complémentaire. Mais elle touche aussi 4 millions de salariés déjà couverts par des contrats individuels ! C’est un effet d’aubaine
considérable pour une mesure qui va coûter au moins 1,5 milliards d’euros aux finances publiques et au moins 2 milliards d’euros aux

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(19)
entreprises  . Plus grave, cela va dégrader la situation des affiliés à un contrat individuel qui seront désormais, dans leur grande majorité,
des personnes âgées. En effet, vont sortir de leur périmètre de mutualisation des salariés qui sont plus jeunes et en meilleure santé que ceux
qui resteront dans le champ des contrats individuels.

Il est vrai que la suppression de l’avantage fiscal rapproche la situation des insiders de celle des affiliés à des contrats individuels. Mais, à 42
l’inverse, la recomposition des affiliés des contrats individuels et collectifs va détériorer les conditions de mutualisation dans les contrats
individuels : on peut prévoir une augmentation du coût d’accès aux contrats complémentaires individuels. On observe déjà que les contrats
souscrits par les retraités offrent, pour un coût plus important, des garanties moins étendues que celles auxquelles les actifs ont accès. La
restructuration du secteur impulsée par l’ANI va sans nul doute contribuer à amplifier ces inégalités.

Quelques timides décisions cherchent à colmater les défauts les plus criants de cet ensemble hétéroclite d’assurances maladie, sans remettre 43
en cause une logique d’ensemble qui vise à ménager tous les acteurs. La définition du contrat responsable (qui donne accès à une fiscalité
réduite) a été modifiée de façon à ce qu’il ne rembourse pas des dépassements excessifs et comporte des garanties minimales suffisantes :
cela devrait limiter les effets inflationnistes de la couverture des dépassements d’honoraires ainsi qu’une segmentation excessive des
contrats permettant de sélectionner les risques.

Enfin, suite aux préoccupations concernant le renchérissement prévisible des complémentaires individuelles accessibles pour les retraités, le 44
gouvernement a introduit dans le PLFSS 2016 un article visant à organiser le marché de la complémentaire pour les personnes âgées
de 65 ans et plus. Même si les intentions sont d’améliorer l’accès à l’assurance pour les retraités, force est de constater que l’organisation à
l’étude revient à instaurer pour la complémentaire santé un périmètre de mutualisation restreint aux personnes âgées qui est à rebours de la
solidarité entre les âges appliquée par la Sécurité sociale pour l’assurance maladie de base. Sans discuter sur le fond du principe d’une
tarification à l’âge pour la santé, on constate que des principes de solidarité contradictoires sont appliqués pour deux acteurs – assurance de
base et complémentaires – qui concourent à couvrir les mêmes soins.

Que faire ?

Comment bien couvrir les malades en fonction de leurs besoins, sans que tous dépensent trop pour financer l’assurance ou le service public 45
correspondant ? De très nombreuses propositions existent, qui suggèrent des réformes plus ou moins radicales de l’existant. Dans ce qui
(20)
suit, nous résumons les propositions que nous avons faites dans le cadre du Conseil d’analyse économique  .

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La première étape de la maîtrise des coûts est la définition du panier de soins couverts, appelé panier de soins solidaire, pour lequel on 46
(21)
décide d’organiser un financement garantissant une solidarité entre malades et bien-portants et entre hauts et bas revenus  . Un tel
financement reposant nécessairement sur des prélèvements obligatoires, le contenu de ce panier doit être défini en fonction d’arbitrages
politiques : il peut être plus ou moins large, selon les préférences de la population en matière d’étendue de la solidarité et selon ses arbitrages
concernant l’allocation des dépenses publiques à l’éducation, le logement, la santé, etc.

La deuxième étape consiste à mettre en œuvre des mécanismes favorisant la maîtrise des dépenses pour les soins de ce panier, tout en 47
garantissant une couverture protectrice pour chaque malade. La responsabilisation des acteurs peut agir du côté des patients, mais
l’essentiel des gains d’efficacité est à attendre du côté des offreurs de soins.

Chercher à responsabiliser le patient n’a de sens que s’il a une marge de décision sur sa dépense de soins. S’il n’a aucune influence, réduire la 48
couverture n’a pas d’impact sur les dépenses et fait seulement baisser les remboursements. Compte tenu de la littérature empirique sur la
(22)
question, qui ne montre pas d’influence des patients sur leurs dépenses d’hospitalisation  , il serait juste et pertinent de couvrir à 100 % les
(23)
soins hospitaliers, à l’exception d’un forfait journalier ramené à environ 8 euros  . Pour les soins de ville en revanche, on pourrait envisager
de remplacer le ticket modérateur et les diverses participations financières en place par une franchise et un co-paiement. Pour que la
modération des dépenses soit effective, il est crucial que la participation du patient ne soit pas couverte par les assurances. Pour que la
couverture soit suffisamment protectrice, cette participation (franchise + co-paiement) doit être plafonnée. Cela signifie qu’au-delà du
plafond, les assurés sont couverts à 100 % pour leurs soins de ville. Pour prendre deux exemples de pays qui ont introduit des franchises, en
Norvège et en Suède, les plafonds annuels sont respectivement de 273 € et 130 €.

Introduire une franchise revient à supprimer la couverture lors du premier contact avec le système de soins. Cela peut nuire à l’accès aux 49
soins et contribuer à amplifier des inégalités sociales de santé déjà particulièrement marquées dans notre pays. Plus précisément, on
observe déjà en France que les personnes à bas revenu ont tendance à retarder la première consultation en cas de problème de santé, ce qui
nuit au succès des traitements ultérieurs. Dans ce contexte, ajouter un paiement à la charge directe du patient ne peut pas améliorer la
situation.

Ce débat sur une dégradation de l’accès aux soins causée par des franchises a eu lieu dans de nombreux pays avec des choix politiques 50
contrastés. En France certains préconisent d’introduire une franchise en la modulant en fonction des revenus. Au Danemark, le risque de
sous-médicalisation des personnes pauvres a conduit à rejeter l’introduction de franchises, contrairement à ses voisines nordiques, la
Norvège et la Suède. Enfin, il ne faut pas oublier qu’au Royaume-Uni les soins sont gratuits dans le cadre du National Health Service, qui est
(24)
un service public de la santé  .

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Un point très important est celui du plafond qui pourrait être introduit pour limiter les restes à charge. Les pays qui adoptent des franchises 51
interdisent leur couverture par des assurances, mais les conjuguent systématiquement avec un plafond pour limiter l’ampleur des sommes à
la charge des patients. En France, le débat se concentre sur le rejet des franchises en oubliant que des restes à charge considérables pèsent
actuellement sur les assurés français. Nous avons documenté ce point plus haut en montrant que la couverture offerte par la Sécurité sociale
est insuffisamment protectrice : 1 % des consommateurs de soins ont un reste à charge de 5 095 euros en moyenne (voir Tableau 21-III).

Cela est rendu possible par l’absence de plafond, ce qui est une rareté dans les systèmes de soins des pays développés : des mécanismes de 52
plafonnement sont en place en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suisse, en Norvège, en Suède et dans la plupart des contrats d’assurance
maladie aux États-Unis (une liste non exhaustive). Soulignons que, contrairement aux franchises qui touchent tous les consommateurs de
soins, les restes à charge catastrophiques ne concernent que les gros utilisateurs de soins, donc les plus malades, ce qui contrevient aux
principes de solidarité censés inspirer notre système. Il est urgent de plafonner les restes à charge en France. Le débat sur les franchises ne
doit pas être utilisé pour évacuer cet impératif. Pour le dire plus simplement, il est possible d’introduire un plafond aux restes à charge sans
introduire de franchise.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’essentiel des gains d’efficience est à attendre de la mise en place d’une réelle contractualisation 53
avec les offreurs de soins. La note du Conseil d’analyse économique définit les conditions d’une réforme a minima, tout en soulignant
l’importance d’une restructuration profonde du système d’assurance maladie.

Une réforme de court terme respecterait les périmètres d’intervention de la Sécurité sociale et des complémentaires. Il faudrait associer les 54
complémentaires à la contractualisation avec les offreurs de soins et stimuler la concurrence dans ce secteur. Cela passerait par la
suppression des exonérations sociales et fiscales favorisant encore les contrats collectifs et par la définition d’un contrat homogène quant à
l’étendue des garanties que tout organisme d’assurance complémentaire devrait offrir. Un contrat homogène présente l’avantage
d’améliorer la lisibilité de l’offre et d’éviter la sélection des risques qui passe par la segmentation des contrats. Soulignons que cette
disposition n’empêcherait pas les assureurs de proposer des couvertures supplémentaires.

Mais à terme il est impératif de mettre fin à la dualité qui caractérise le système d’assurance maladie en France. Nous en avons détaillé les 55
défauts : la dualité Sécurité sociale-complémentaires augmente les coûts de gestion et nuit à un pilotage efficace de l’offre de soins. Elle va de
pair avec une régulation des complémentaires qui n’empêche pas la sélection des risques, ni d’importantes inégalités dans l’accès à la
couverture complémentaire. Elle ne protège pas les assurés contre des restes à charge considérables.

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Deux scénarios sont possibles : une version publique décentralisée et une version avec des caisses d’assurance en concurrence régulée. Dans 56
les deux systèmes, un socle commun serait défini pour garantir l’application des principes du pacte de 1945 et encourager l’efficacité de la
dépense de soins : il comporterait l’égal accès de tous aux soins du panier de soins solidaire, un financement sur la base de cotisations
proportionnelles aux revenus, la suppression du ticket modérateur à l’hôpital, l’introduction éventuelle de participations financières pour la
médecine de ville, lesquelles seraient plafonnées, la contractualisation avec les offreurs de soins et le développement d’un système
d’information centralisé sur les performances sanitaires.

Dans l’option publique, le pilotage de l’offre de soins serait confié à des agences régionales qui pourraient être des agences régionales de 57
santé (ARS) aux pouvoirs étendus : ce sont elles qui devraient contractualiser avec les offreurs de soins, en développant des choix
stratégiques diversifiés entre régions ou à l’intérieur d’une même région en matière de conventionnement et de systèmes de paiement. Un
système d’information centralisé devrait produire et diffuser des indicateurs sur les performances des agences régionales de santé en
matière de santé publique, de qualité des soins et d’accès aux soins, afin d’évaluer l’impact de leurs choix stratégiques pour l’offre de soins.
Les indicateurs seraient homogènes sur le territoire pour de permettre une comparaison des agences régionales de santé.

L’option de la concurrence régulée entre assureurs n’est pas une option privée à proprement parler, mais plutôt une délégation de service 58
public. Elle implique la définition d’un contrat standard correspondant au panier de soins solidaire, l’interdiction de la sélection des risques,
assortie d’un mécanisme de compensation des risques et l’absence de tarification au risque. La contractualisation avec les offreurs de soins
serait assumée par les assureurs, lesquels seraient motivés par la concurrence entre caisses. Un système d’information centralisé devrait
produire et diffuser des indicateurs sur leurs performances en matière de santé publique, de qualité des soins et d’accès aux soins, afin de
permettre une comparaison des assureurs et un choix éclairé des citoyens.

Ces deux systèmes sont très proches du point de vue de l’application de la solidarité, d’un accès aux soins sans barrières financières et de la 59
(25)
protection contre le risque de dépenses excessives. Ils peuvent avoir le même financement par cotisations assises sur les revenus  . Ce
financement serait bien plus proche des principes de solidarité que le système actuel, où l’accès aux complémentaires passe souvent par le
paiement d’une prime indépendante du revenu.

Dans les deux cas, l’État devrait assumer des fonctions cruciales pour la définition du panier de soins solidaire, la production de systèmes 60
d’information et l’amélioration de la qualité des soins. Il serait responsable de l’allocation des ressources issues des cotisations aux agences
régionales (option publique) ou aux assureurs (option concurrence régulée) en fonction des besoins des populations dont ils ont la charge. Il
présiderait à la péréquation régionale associée à une liberté de circulation entre régions dans l’option publique ou mettrait en œuvre la

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compensation des risques dans la concurrence régulée. Il veillerait, enfin, au bon fonctionnement du système et serait particulièrement
vigilant à la possibilité de rationnements dans l’option publique, à la localisation des médecins et au développement éventuel d’une sélection
des risques dans la concurrence régulée.

Sortir de la mixité de la couverture maladie est un objectif difficile à atteindre car il bouscule le paysage actuel où sont présents des acteurs 61
publics et privés à l’assise historique importante. Cependant, le coût du statu quo est suffisamment élevé pour inviter le décideur public à
s’engager dans cette direction.

Notes

Voir note CAE n° 8 « Pour un système de santé plus efficace », par P. Askenazy, B. Dormont, P.-Y. Geoffard, Paris V, 2013 (http://www.cae-
eco.fr/IMG/pdf/cae-note008.pdf).

Des assurances supplémentaires existent dans de nombreux pays, mais elles couvrent d’autres soins que ceux du panier de base. La spécificité
française, c’est que le même soin, par exemple une consultation, soit remboursé à 70 % par la Sécurité sociale et à 30 % par une complémentaire.

Ces chiffres sont tirés des comptes nationaux de la santé en 2014, Études et Résultats, DREES, n° 935, septembre 2015.

Avec des exceptions pour les accouchements, les personnes en ALD et les séjours comportant un acte chirurgical.

Ici, on appelle « restes à charge » les sommes non couvertes par l’assurance maladie dans les dépenses donnant droit à remboursement : elles incluent
les tickets modérateurs, les participations forfaitaires, les « franchises », le forfait hospitalier et les dépassements au-delà des tarifs opposables.

HCAAM, rapport annuel 2012 (http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/rapport_annuel_2012_hcaam.pdf).

Garnero M., Le Palud V. « Les contrats les plus souscrits auprès des complémentaires santé en 2010 », Études et Résultats, DREES, n° 837, avril 2013.

C’est particulièrement le cas des sociétés d’assurance. Voir Le Palud V. « Comment les organismes complémentaires fixent leur tarifs », Études et
Résultats, DREES, n° 850, septembre 2013.

Célant N., Guillaume S., Rochereau T. « Enquête sur la santé et la protection sociale 2012 », Les rapports de l’IRDES, n° 556, 2014.

Avec en l’occurrence un taux de co-paiement de 30 % qui serait particulièrement élevé par rapport aux taux observés dans les autres pays.

De nombreux réseaux de soins ont été mis en place par les complémentaires santé. Ils concernent l’optique, les prothèses dentaires et auditives
(HCAAM « la généralisation de la couverture complémentaire en santé », rapport 2013 http://www.securite-
sociale.fr/IMG/pdf/generalisation_couverture_complementaire_sante_rapporthcaam2013.pdf.) Sous couvert d’indépendance professionnelle, les
médecins sont très hostiles à tout réseau de soins qui serait développé par une complémentaire santé. Le Conseil de l’Ordre et les syndicats de
médecins étaient aussi très hostiles à tout paiement à la performance, avant que les primes proposées par la CNAMTS en contrepartie de
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performances mesurées par des indicateurs quantitatifs mesurant la qualité de la pratique médicale et les actes de prévention, emportent en pratique
un réel succès auprès des médecins (Dormont B. « Le paiement à la performance ? : contraire à l’éthique ou au service de la santé publique ? », Les
Tribunes de la santé, n° 40, 2013/3, p. 53-61).

Les dépenses de santé en 2014, édition 2015, résultats des comptes de la santé, DREES,
septembre 2015 (http://www.drees.sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_cns_2015_commission.pdf).

Source : DREES, comptes de la santé 2012, p. 173.

Mais la loi de finance pour 2014 a supprimé la déductibilité des contributions des salariés, concomitamment à l’extension des complémentaires santé
à tous les salariés du privé.

Voir HCAAM. « La généralisation de la couverture complémentaire en santé », 2013 (http://www.securite-


sociale.fr/IMG/pdf/generalisation_couverture_complementaire_sante_rapporthcaam2013.pdf).

Garnero M., Le Palud V. op cit. et « Médecins exerçant en secteur 2 : une progression continue des dépassements d’honoraires, la nécessité d’une
réforme structurelle du système », Assurance maladie, Point d’information, mai 2011.

Une récente étude économétrique valide cette hypothèse : on observe que les assurés qui bénéficient d’une amélioration de leur couverture
complémentaire augmentent significativement leur recours aux spécialistes du secteur 2 et les dépassements d’honoraires qu’ils doivent acquitter. De
façon très intéressante, les résultats montrent que cet impact n’est observé que dans les zones où il y a peu de spécialistes du secteur 1, c’est-à-dire
dans les zones où les patients n’ont pas vraiment le choix. Voir Dormont B., Péron M. « Does health insurance encourage the rise in medical prices ? A
test on balance billing in France », Document de travail LEDa-LEGOS,
n° 2/2015 (http://legos.dauphine.fr/fileadmin/mediatheque/recherche_et_valo/LEGOS/photos/dormontperon.pdf).

Les éléments chiffrés cités dans ce paragraphe et les suivants sont tirés du rapport du HCAAM, (2013) : « La généralisation de la couverture
complémentaire en santé », 2013 (http://www.securite-
sociale.fr/IMG/pdf/generalisation_couverture_complementaire_sante_rapporthcaam2013.pdf).

Selon l’étude d’impact du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, citée par le HCAAM (2013).

Dormont B., Geoffard P.-Y., Tirole J. « Refonder l’assurance maladie », note CAE n° 12, avril 2014 (http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/cae-note012.pdf).

Cette terminologie est celle définie dans la note CAE n° 8, « Pour un système de santé plus efficace », par P. Askenazy, B. Dormont, P.-Y. Geoffard,
Paris V, 2013 (http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/cae-note008.pdf).

Voir par exemple Aron-Dine A., Einav L., Finkelstein A. « The RAND health insurance experiment, three decades later », Journal of Economic
Perspectives, vol. 27, n 1, 2013, p. 197-222.

La conception actuelle du forfait journalier, qui le porte à 18 euros, est qu’il correspond aux frais d’hébergement. Comme il semble logique de couvrir
ce risque, le forfait journalier se limite aux dépenses d’alimentation qui auraient de toute façon été à la charge du patient s’il n’avait pas été
hospitalisé.
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Il y a peu d’études empiriques sur l’impact de l’introduction de franchises sur l’état de santé (et non la consommation de soins) des personnes
modestes.

Dans la version de la concurrence régulée que nous présentons ici, l’assuré ne paie pas directement de prime à l’assureur de son choix : comme en
Allemagne, ses cotisations sont versées à un pot commun qui alloue une capitation à chaque assureur pour chaque affilié en fonction de ses
caractéristiques (âge, sexe, éventuellement maladie).

Plan
Une couverture insuffisamment protectrice

Les défauts de coordination pour la maîtrise des dépenses de santé

Un système coûteux en frais de gestion et subventions

Un système qui contribue à une hausse des prix des soins

Des règles de concurrence qui encouragent la sélection des risques

Les évolutions en cours

Que faire ?

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Auteur
Brigitte Dormont

Professeur des Universités, laboratoire d’Économie de Dauphine-laboratoire d’Économie et Gestion des organisations de santé (LEDa-LEGOS),
université Paris Dauphine.

Mis en ligne sur Cairn.info le 25/09/2020


https://doi-org.ezscd.univ-lyon3.fr/10.3917/lav.bourd.2016.01.0216

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