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Droit administratif français –


Introduction – Chapitre 1
Chapitre 1 : L'administration
Citer : Pierre Tifine(Articles par Pierre Tifine) , 'Droit administratif français – Introduction – Chapitre 1,
Chapitre 1 : L'administration ' : Revue générale du droit on line, 2013, numéro 4198
(www.revuegeneraledudroit.eu/?p=4198)

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INTRODUCTION
1.-Droit public et droit administratif.- Le droit administratif constitue une branche du
système juridique français, et plus particulièrement du droit public. Il désigne l’ensemble
des règles qui s’appliquent à l’administration dans le cadre de son fonctionnement et dans
ses rapports avec les particuliers. Ces règles tiennent leur originalité de leur caractère
dérogatoire du droit privé et du fait qu’elles émanent essentiellement de la jurisprudence.

Le droit administratif se caractérise donc principalement par son objet et par les règles
particulières qui le constituent.
Chapitre I – L’administration
2.- Caractère polysémique de la notion d’administration.- La notion d’administration
peut désigner deux choses. Il s’agit, d’une part, de l’action d’administrer et on parle alors
d’administration fonction. Il s’agit, d’autre part, des organes chargés d’administrer et on se
réfère alors à l’administration en tant que système d’organes. Ces définitions ne rendent
toutefois qu’imparfaitement compte de ce qu’est l’administration, ce qui doit conduire à
privilégier une définition moderne de l’administration.

Section I- L’administration fonction


3.- Difficultés.- Si elle peut être assez aisément définie, la notion d’administration fonction
demeure assez délicate à appréhender en raison du caractère évolutif des missions
dévolues aux autorités administratives.

§I- Définition de l’administration fonction


4.- Rattachement de l’administration au pouvoir exécutif.- Le terme administration
vient du latin administrare qui désigne l’action de gérer ses affaires. Si au XI° siècle, ce
terme désigne exclusivement l’action de gérer ses affaires privées, à partir du XVIII° siècle,
avec le développement des théories de l’Etat, l’administration va s’étendre à la gestion des
affaires publiques en général.  Puis, avec l’apparition de la théorie de la séparation des
pouvoirs, ce terme va connaître une nouvelle restriction. En effet, la fonction d’administrer
va être rattachée à l’un des trois pouvoirs désignés par Montesquieu, le pouvoir exécutif.

C’est cette notion d’administration qui prévaut encore de nos jours. Toutefois, si
l’administration se rattache au pouvoir exécutif, le pouvoir exécutif ne se réduit pas à la
fonction d’administrer. En effet, le titulaire du pouvoir exécutif exerce, en plus de la
fonction administrative, la fonction gouvernementale. Ces deux fonctions sont d’ailleurs
hiérarchisées. La fonction gouvernementale a un rôle d’impulsion, de définition de la
politique à appliquer, alors que la fonction administrative recouvre un rôle d’exécution de
cette politique.

Cette vision hiérarchisée est notamment confirmée par l’article 20 de la Constitution de


1958  selon lequel «  le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il
dispose de l’administration ».

On retrouve également cette hiérarchie dans la jurisprudence administrative où il est opéré


une distinction entre deux catégories d’actes émanant des titulaires du pouvoir exécutif : les
actes administratifs et les actes de gouvernement qui échappent au contrôle du juge
administratif et plus généralement à tout contrôle juridictionnel (V. infra Quatrième partie,
Chapitre Un, Section une).

Finalement, selon cette première approche, on peut définir l’administration comme une
fonction consistant à assurer le fonctionnement des services publics, dans le respect des
normes juridiques qui s’imposent à elle et selon les directives du gouvernement.

§II- Evolution de la fonction administrative


5.-Une notion difficile à appréhender.- La fonction administrative n’est pas la même,
aujourd’hui, que celle qui existait au début du XX° siècle et elle certainement différente de
celle qui existera dans dix, cinquante ou cent ans. Pour en rester à une présentation simple,
et nécessairement réductrice, l’évolution de la fonction administrative est liée à la
transformation de l’Etat gendarme en Etat providence.

Dans un premier stade, la fonction administrative est limitée au maintien de l’ordre, et plus
généralement à ce que l’on appelle les activités régaliennes de l’Etat (justice, police, défense,
relations internationales…). Elle nécessite l’emploi de prérogatives de puissance publique,
c’est-à-dire de pouvoirs exorbitants du droit commun. En outre, la fonction administrative
est strictement exercée dans le cadre de l’application des lois. Les actes administratifs
réglementaires – on entend par là ceux qui ont un caractère général et impersonnel – se
bornent à préciser le contenu des lois.

Dans un second stade, l’administration intervient dans des domaines de plus en plus
nombreux, l’éducation et la santé notamment. Les actes administratifs ne se bornent plus à
l’exécution des lois, mais ils interviennent parfois de façon autonome. En outre la fonction
administrative n’est plus exclusivement dévolue à des personnes publiques. Par exemple,
les cliniques privées à but non lucratif, certains organismes de certification, participent à la
fonction administrative. Parallèlement, en partie sous l’influence du droit de l’Union
européenne, des pans entiers de l’activité administrative relèvent aujourd’hui du droit
privé : soit par la soumission de personnes publiques à des règles de droit privé, soit par la
privatisation de personnes publiques.

Ce caractère évolutif, qui a conduit à une interpénétration du secteur public et du secteur


privé, rend difficilement opérationnelle la notion d’administration fonction.

Section II – L’administration système d’organes


6.- Organes administratifs et organes gouvernementaux.- Le terme d’administration
désigne ici les différentes personnes, autorités et agents, chargés d’assurer les fonctions
administratives. On observe ici la même dualité qu’au niveau des fonctions  : certains
organes assurent la fonction gouvernementale, d’autres organes assurent la fonction
administrative. Cependant, cette distinction est toute relative. Par ailleurs, l’administration
publique inclut aujourd’hui, en plus des personnes morales de droit public, des personnes
morales de droit privé.

§I- La distinction classique opérée entre les organes administratifs et les


organes gouvernementaux
7.- Une distinction ancienne consacrée par la Constitution.- Cette distinction remonte au
XIX° siècle et elle est consacrée par l’article 20 de la Constitution du 4 octobre 1958. Elle
emporte trois séries de conséquences.

Tout d’abord, il s’agit de la subordination de l’administration au gouvernement.

Ensuite, on observe que les personnels chargés du gouvernement et ceux qui sont chargés
de l’administration disposent généralement de compétences différentes. Les premiers sont
des politiciens élus, les seconds des fonctionnaires, techniquement compétents et recrutés
par concours.

Enfin il existe, en général, une différence de stabilité entre les structures gouvernementales
et les structures administratives. Les premières sont amenées à être renouvelées, par le
moyen des élections, alors que les secondes sont censées assurer la continuité de l’Etat.

§II- La relativité de la distinction classique entre organes administratifs


et organes gouvernementaux
8.- Relativité de la distinction entre la structure gouvernementale et la structure
administrative.- Une même autorité peut disposer à la fois d’une fonction administrative et
d’une fonction gouvernementale. La séparation entre la structure gouvernementale et la
structure administrative n’existe d’ailleurs pas au sommet de l’Etat. Tel est le cas,
notamment, pour le Président de la République et surtout pour le Premier ministre qui est
le véritable chef de l’administration en plus d’être le chef du gouvernement. De la même
façon, les ministres sont situés à la tête d’une administration.

Au niveau inférieur, il n’existe pas non plus de séparation absolue du politique et de


l’administratif. Ainsi, certaines autorités administratives ont des organes élus et fortement
politisés. C’est par exemple le cas, au niveau de la commune, du maire et du conseil
municipal.  De même, si le préfet est le représentant du gouvernement dans les régions et
les départements (Constitution, art. 72) et s’il dirige à ce titre les services administratifs de
l’Etat dans la région et le département une alternance politique va généralement entraîner
son remplacement.
Ainsi, la distinction entre ce qui relève du politique et ce qui relève de l’administration est
beaucoup plus fonctionnelle qu’organique sachant, comme on l’a vu, que l’approche
fonctionnelle est également critiquable.

§III- La participation de personnes morales de droit privé


9.- Une participation ancienne.- La participation de personnes morales de droit privé aux
activités administratives ne constitue pas, à proprement parler, une nouveauté. Dès le
début du XIX° siècle, en effet, l’Etat a eu recours à la technique du contrat de concession qui
consiste à confier à un opérateur privé, agissant sous son contrôle, la construction d’un
ouvrage public que celui-ci est ensuite chargé normalement d’exploiter. C’est par exemple
au moyen de cette technique contractuelle que la France s’est dotée d’un réseau de chemin
de fer dès le premier tiers du XIX° siècle (V. G. Numa, Théorie de l’agence et concessions de
chemins de fer français au XIXème siècle : Rev. économie industrielle 2009, p. 105).

Depuis lors, les techniques contractuelles se sont diversifiées et dans l’arrêt d’Assemblée du
13 mai 1938 Caisse primaire Aide et
protection<https://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/decisions/conseil-detat-assemblee-13-mai-1938-
requete-numero-57302-publie-au-recueil/> (requête numéro 57302  : D. 1939, III, p.65, concl.
Latournerie, note Pépy) le Conseil d’Etat a admis pour la première fois qu’une mission de
service public pouvait être confiée à une personne morale de droit privé en dehors de tout
contrat. Il est même de plus en plus fréquent que les personnes publiques «  camouflent  »
leur intervention en recourant à des personnes morales de droit privé qui constituent, en
réalité, de véritables démembrements de l’administration  : c’est le cas, notamment, des
associations transparentes, des sociétés d’économie mixtes, des sociétés publiques locales
ou encore des sociétés anonymes à capitaux majoritairement publics.

10.- Emergence de la notion d’entreprise publique.- Cet enchevêtrement des activités


publiques et privées transparaît également à travers la notion d’entreprise publique, qui
vise « toute entité sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou
indirectement une influence dominante du fait de la propriété, de la participation
financière ou des règles qui la régissent » (Comm. CE, dir. n° 80/723, 25 juin 1980 modifiée
par Comm. CE, dir. n° 85/413, 24 juill. 1985). Cette notion désigne indistinctement des entités
publiques (comme France télévisions) ou privées (comme aujourd’hui EDF et la SNCF)
gérant ou non des activités de service public. C’est le cas, par exemple, pour la SNCF et EDF.
En revanche, ce n’est pas le cas, par exemple, pour Naval Group –anciennement DCNS – qui
est une entreprise de construction navale de défense au capital détenu par l’Etat à 62,49%.
Toutes ces entreprises se voient appliquer essentiellement un régime juridique de droit
privé.
Relevons également que la plupart des établissements publics et des entreprises
partiellement ou totalement détenues par l’Etat – 88 en 2019 – relèvent du champ de
compétence de l’Agence des participations de l’Etat dont la mission consiste à représenter
l’Etat actionnaire.

11.- Importance des considérations organiques.- Si cette évolution relativise la portée du


critère organique, celui-ci conserve néanmoins une importance réelle. C’est le cas, par
exemple, en matière de détermination de la nature publique ou privée d’un contrat. De
même, seule une personne morale de droit public peut être investie de pouvoirs de police
administrative générale ou être propriétaire d’un domaine public, alors que les voies
d’exécution ne peuvent être exercées contre elles et qu’elles ne peuvent recourir à
l’arbitrage sauf disposition législative expresse ou stipulations de conventions
internationales régulièrement incorporées dans l’ordre juridique interne (CE, 23 décembre
2015, requête numéro 376018, Territoire des îles de Wallis-et-
Futuna<https://www.revuegeneraledudroit.eu/blog/decisions/conseil-detat-23-decembre-2015-requete-
numero-376018-territoire-des-iles-de-wallis-et-futuna/> : Rec. p. 484 ; AJDA 2016, p. 1182, note Gras ;
BJCP 2016, p. 205, concl. Bourgeois-Machureau).

Section III – La notion moderne d’administration


12.- Définition large de la notion d’administration.- L’opposition artificielle entre
domaines politique et administratif, entre personnes publiques et personnes privées, est
souvent dépassée et c’est pourquoi les auteurs actuels privilégient désormais, pour la
plupart, une définition très large de l’administration.

Selon J. Waline il s’agit de « l’activité par laquelle les autorités publiques, et parfois privées,
pourvoient, en utilisant le cas échéant les prérogatives de puissance publique, à la
satisfaction de l’intérêt général » (Droit administratif, Dalloz, 28ème éd. 2020, p.6). Pour Ch.
Debbasch l’administration est «  l’appareil de gestion des affaires publiques. Elle est
constituée par l’ensemble des services dont la bonne marche permet la réalisation des
objectifs définis par le pouvoir politique  » (Science administrative, Dalloz 1980, p.1). MM.
Frier et Petit donnent quant à eux deux définitions complémentaires de l’administration
(Droit administratif, LGDJ, 8ème éd. 2013, p.22). Dans une approche matérielle,
l’administration publique est «  l’activité instrumentale des personnes morales de droit
public ou de droit privé étroitement liées à celles-là, qui remplissent une mission de service
public, hors des fonctions législatives et juridictionnelles  ». Dans un sens organique elle
concerne «  l’ensemble des organes assurant la fonction administrative, qui, au sein des
personnes publiques, relèvent du pouvoir exécutif, soit par un lien de subordination directe
dans le cadre étatique, soit par la soumission à son contrôle ».
Comme on le voit la notion d’administration renvoie à des activités exercées dans un but
d’intérêt général qui peuvent, le cas échéant, être prises en charge par des personnes
privées.

Au final on peut donc avancer que l’administration est constituée par l’ensemble des
structures publiques, et parfois privées, qui ont pour mission de prendre en charge des
activités d’intérêt général.

Cette particularité de l’action administrative, son caractère essentiellement désintéressé,


permet de la distinguer des activités privées qui sont fondées sur la recherche d’un intérêt
personnel généralement d’ordre pécuniaire, même si ce n’est pas toujours nécessairement
le cas si l’on pense notamment aux associations. Elle constitue la raison principale de
l’existence du droit administratif, c’est-à-dire d’un ensemble de règles qui définissent un
régime juridique spécifique appliqué à l’administration.

Table des matières

About Pierre Tifine

Professeur de droit public à l'Université de Lorraine.


Directeur adjoint de l'IRENEE

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