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N° d’examen : 14
« Eviter de payer des impôts est la recherche intellectuelle gratifiante » selon Keynes.
L’impôt est au cœur de la vie des entreprises qui créent en effet de la richesse, mais doivent
s’acquitter de l’impôt, parfois selon des régimes différents. Cette diversité de régime et la
pluralité des prélèvements et taxes auxquels sont soumises les entreprises sont parfois
1
Voir par exemple RASCH, « Deutsche Konzernrecht », 3ème édition, Berlin 1966
2
Loi n°6404 du 15 décembre 1976, portant discipline des sociétés par actions
3
Art. 189 de la loi 2003-036 du 24 janvier 2004 portant loi sur les sociétés commerciales
6
difficiles à appréhender pour elles, mais peuvent également être utilisées à leurs avantages
dans le cadre de leurs développements stratégiques. Dans ce cadre, les entreprises vont
pouvoir utiliser les règles fiscales afin de réduire leur bénéfice imposable, et en vue de
maximiser les revenus. En effet, l’impôt sur le revenu s’applique à toute entité ayant une
activité lucrative.4 Beaucoup considèrent qu’il est immoral qu’une entreprise créatrice de
richesse, puisse essayer de réduire sa masse imposable et par là même, maximiser la
rémunération de ses actionnaires. Si l’utilisation de l’impôt en tant qu’instrument de gestion
n’est pas encouragée par l’administration fiscale, elle est défendue par certains principes,
entre autres la liberté de gestion selon laquelle « Le contribuable n’est jamais tenu des affaires
qu’il traite de tirer le maximum de profits que les circonstances lui auraient permis de
réaliser »5, et le principe de non-immixtion. La contrepartie de cette liberté sera donc la
responsabilité du dirigeant de l’entreprise à travers le contrôle de la comptabilité. La
jurisprudence s’est intéressée au contrôle des décisions de gestion par la création de la théorie
de l’acte anormal de gestion6. Le principe de non-immixtion est limité par la possibilité
offerte à l’administration et aux juges susceptibles de remettre en cause les dépenses qui ne
correspondent pas à une gestion normale ou ne sont pas émises dans l’intérêt social de
l’entreprise. Dans un système fiscal déclaratif7, les entreprises se trouvent dans l’obligation de
fournir périodiquement ou à l’occasion de certaines opérations, des documents fiscaux qui
permettent de calculer et de vérifier le montant de leur contribution aux finances publiques.
C’est à l’étude de ces déclarations que l’administration peut émettre des doutes sur la situation
fiscale du contribuable et ouvrir une procédure de contrôle en vérifiant la comptabilité.
L’acte anormal de gestion est défini par la jurisprudence comme un acte ou une
opération affectant le bénéfice que l’administration entend écarter comme étrangère ou
contraire à l’intérêt de l’entreprise, il se limite en cas d’enrichissement délibéré d’un tiers.
Ainsi la doctrine affirmait qu’il n’y a pas de gestion normale que si délibérément une
entreprise agit en dehors de son intérêt.8 Mais affirmer que l’acte anormal de gestion est l’acte
contraire à l’intérêt social n’est pas suffisant. Il est désormais admis que l’intérêt protégé par
le droit fiscal est celui de l’exploitation. La mise en œuvre du critère de l’exploitation oblige
le juge à envisager de multiples combinaisons d’intérêts, et s’avèrent donc beaucoup plus
4
L’impôt s’applique à toute société réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur ou égal à vingt millions
d’Ariary. L’impôt sur le revenu est fixé à 20% du bénéfice imposable.
5
CE, 7ème sous-section, 7 juillet 1958, n°35977, Dr fisc 1958, n°44, comm.938
6
Ibidem
7
Le système fiscal de notre droit positif est un système fiscal déclaratif
8
Pierre-François RACINE conclusion sous CE plén. 27 juillet 1984, n° 34588, Sté Renfort Service, RJF 10/84,
p. 582
7
ardue qu’il n’y paraît de prime abord.9 Ainsi, la théorie du risque manifestement excessif, qui
est également une construction prétorienne, a été utilisée pour apprécier le caractère normal
des prises de décision. Vivement critiquée du fait qu’elle pouvait sanctionner les décisions
prises initialement dans l’intérêt de la société, elle a été par la suite abandonnée. Désormais,
l’intérêt social demeure la balise de l’acte anormal de gestion, et le droit fiscal est réputé
comme étant un droit réaliste.
Une des nouveautés en droit des sociétés est la nouveauté majeure apportée par la loi
sur le Plan d’Actions pour la Croissance et la Transformation des Entreprises ou la loi
PACTE10 en prévoyant un impératif absolu en droit des sociétés par la modification de
l’article 1833 du Code civil. Désormais, la société doit être gérée dans son intérêt social qui
est utilisé par les magistrats comme baromètre de leur intervention en matière de gestion de la
société tant dans le maniement de trésorerie que dans la gestion financière. Cet intérêt
constitue la boussole de la société11. Or, l’intérêt social est elle-même difficile à appréhender.
Si certains auteurs insistent sur la conception contractuelle de l’intérêt social en ce que la
société est constituée dans l’intérêt commun des associés, d’autres développent une
conception institutionnelle selon laquelle l’intérêt social est à géométrie variable incluant
l’intérêt de la personne morale, des associés, des dirigeants, des créanciers, des tiers, voire
l’Etat. En outre, certains considèrent que l’intérêt social est la coexistence des deux
conceptions tandis que d’autres en proposent l’opposition. Force est de constater que selon la
branche de droit constater, la conception de l’intérêt à procéder n’est pas la même. Ainsi, en
réprimant les abus de biens sociaux, l’intérêt social en droit des sociétés est protégé par le
juge pénal, tandis que l’acte anormal de gestion est un pendant fiscal à la contrariété à l’intérêt
social.
9
Martin COLLET, « Contrôle des actes anormaux de gestion, pour un retour à l’anormal », Dr. fisc. 2003, n° 14,
p.538
10
Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 portant loi sur le Plan d’Actions pour la Croissance et la Transformation des
Entreprises, « loi PACTE »
11
Antoine PIROVANO, « La boussole de la société, intérêt commun, intérêt social et intérêt de l’entreprise », D.
1997, chron. p. 189
12
CE, 10 juillet 1992, n°1102 et 110214, Société Musel SBP, RJF 8-9/92, p. 673, concl.O.Fouquet
8
n’excède pas celle accordée à l’exploitation. Enfin, la jurisprudence du Conseil d’Etat relative
aux groupes de sociétés est venue rompre cet élargissement apparent : l’appartenance à un
même groupe ne suffit pas à caractériser l’intérêt social13. En effet, le groupe en tant que tel,
n’a pas d’existence juridique. Le groupe de sociétés est un ensemble constitué par plusieurs
sociétés dont chacune est dotée d’une existence propre mais placée sous la domination d’une
seule14. Il convient de rappeler que la morale des affaires implique que les entreprises ont
vocation à réaliser des bénéfices en vertu de l’article 1832 des Code Civil15. Ainsi, l’intérêt
prétendu du groupe ne cache-t-il pas en réalité des intérêts plus égoïstes ? De plus, si
l’animateur du groupe maintient chaque société plutôt que de les fusionner, on pourrait
prétendre que les sociétés eux-mêmes leur reconnaissent des intérêts distincts. Il peut paraître
paradoxal d’affirmer que la constitution d’un groupe de société répond d’abord et avant tout à
un souci d’économie. Chacun sait qu’il est inutile de posséder toute la totalité du capital d’une
société pour s’en rendre maître.16 Toutefois, la question de savoir si le groupe de sociétés est
une entité distincte de ses membres est essentielle en droit fiscal. En effet si tel est le cas, la
déduction de dépenses faites dans l’intérêt du groupe et non dans l’intérêt de la société qui les
a exposées serait autorisée. Or, si le droit fiscal comporte certaines dispositions favorables aux
opérations de restructuration résultant de fusions, scissions ou d’apports partiels d’actifs, il
devait également prendre en considération les relations particulières qui existent au sein du
groupe. Désormais, la fiscalité n’est guère altruiste.17 L’intérêt du groupe n’est pas reconnu,
par conséquent, le juge fiscal exclut la déductibilité d’une aide accordée au nom de l’intérêt
du groupe par le biais de l’acte anormal de gestion.
L’appartenance à un groupe n’a pas une vertu magique de transformer le mal en bien,
les conditions anormales en conditions normales. Certains auteurs comparent le groupe à une
famille,18 à l’image de laquelle les sociétés d’un même groupe entretiennent des relations
particulières et privilégiées. L’existence d’un lien de dépendance entre les sociétés justifie la
volonté de s’entraider. Toutefois, le principe de la personnalité fiscale implique l’imposition
séparée de chaque personne morale. Par conséquent, le droit fiscal fait abstraction de
13
Voir par exemple CE 26 septembre 2001, n°219825, SA Rocadis Dr fisc, 2002, n°24, comm 490, concl
Bachelier
14
Cass. Com. 1 3 juin 1965, Rev. sociétés, 1995, p. 735, P. Didier
15
Art. 1832 du Code civil : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un
contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de
profiter de l’économie qui pourra en résulter ».
16
Claude CHAMPAUD, Le pouvoir de concentration de la société par action, Sirey, 1962, p. 209 et s.
17
Maurice COZIAN, Altruisme et fiscalité, Mélanges in J. Paillusseau, Dalloz, 2003, p. 235
18
M. COZIAN et al, Droit des sociétés, Litec, 23ème édition, Paris, 2011
9
l’appartenance à un groupe, et prend individuellement chaque société pour apprécier
l’existence d’un acte anormal de gestion. La conciliation de la liberté de gestion et de l’acte
anormal de gestion est difficile dans les opérations intra-groupes. La jurisprudence a alors
déterminé à quelles conditions l’intérêt du groupe pouvait l’emporter sur l’intérêt individuel
des sociétés : il faut des liens financiers ou commerciaux entre sociétés. Dès lors, les
opérations intra-groupes deviennent donc motivées par des intérêts commerciaux ou
financiers. Il a été admis que si on est en présence d’intérêts financiers, on est en présence
d’acte anormal de gestion parce que l’entreprise n’est pas une œuvre de bienfaisance.19
Le régime optionnel de l’intégration fiscale semble donc être une solution aux
opérations intra-groupes car il répond à la philosophie d’impôt de groupe en neutralisant les
incidences des opérations internes au groupe. Lorsqu’une société fait l’objet d’un contrôle
fiscal et qu’il lui est reproché un avantage octroyé en faveur d’une autre société du groupe, le
résultat de chacune des deux sociétés sera rectifié en réintégrant l’avantage anormal chez la
société créancière de l’aide, et en imposant le revenu réputé distribué chez la société
bénéficiaire. Ces retraitements deviennent même obligatoires si l’avantage n’a aucune
incidence sur le résultat d’ensemble par les écritures du même montant dans l’actif de l’une
et dans le passif de l’autre. La consolidation comptable permet en effet de traiter plusieurs
entités juridiquement distinctes comme n’en formant qu’une seule. Cela signifie qu’on est en
présence d’une comptabilité de groupe mais le résultat d’ensemble est obtenu en retraitant la
somme des résultats individuels. D’ailleurs les groupes de sociétés ont une obligation de tenir
des comptes consolidés dès lors qu’une entreprise en contrôle une autre20, faute de quoi des
sanctions pénales sont exposées à leurs dirigeants.21 Malgré cette neutralisation, l’intégration
fiscale ne s’applique pas dans le cadre des groupes multinationaux en raison du principe de
territorialité de l’impôt. La gestion normale demeure donc une référence pour la rectification
des assiettes insuffisantes. Ce qui implique une référence au principe de pleine concurrence.
« Trop d’impôt tue l’impôt ». Cette expression est employée dans le cadre de l’évasion
fiscale ou de la fraude fiscale pour indiquer que les contribuables cherchent à éluder les
impôts qui leur paraissent trop lourds ou injustes. L’acte anormal de gestion est l’une des
armes de l’administration fiscale pour faire face aux « évaporations financières »22. Ainsi, on
est en présence d’intérêts antagonistes : ceux de l’Etat qui souhaitent maximiser ou préserver
19
Maurice COZIAN, Précis de fiscalité des entreprises, Litec, 2008, 31ème édition, Paris, p. 243
20
Art. L.233-16 du Code de commerce
21
Art. L.247-1 du code de commerce
22
Maurice COZIAN, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, 4ème édition, Litec, Paris, 1999, p. 92
10
les recettes fiscales, et ceux des entreprises qui souhaitent minimiser leurs charges fiscales
afin de dégager un maximum de profits dans un but de réinvestissement ou de rémunération
des porteurs de parts. Sans l’acte anormal de gestion, l’administration serait impuissante face
aux évaporations financières au sein des groupes de sociétés. Or on a vu que l’intérêt social
est une balise pour l’application de l’acte anormal de gestion mais son identification renferme
une part d’aléa. Mais la détermination de l’intérêt social se complique dès lors qu’on se trouve
en présence de groupe de sociétés. D’où se pose la question suivante : l’acte anormal de
gestion constitue-t-il une atteinte à la sécurité juridique des entreprises au sein d’un groupe de
sociétés?
Pour bien cerner le sujet, nous allons procéder aux étapes suivantes : en premier lieu,
l’acte anormal de gestion est utilisé pour établir l’équilibre dans les prises de décision au sein
des groupes de sociétés (Partie I), puis, par la suite, vu que les groupes de sociétés sont des
réalités incontournables, ils ont des incidences dans la mise en œuvre de l’acte anormal de
gestion (Partie II).
11
Partie I : La recherche d’équilibre dans les prises de décision
12
Chapitre I : L’acte anormal de gestion : un acte non conforme à l’intérêt
social
La loi PACTE promulguée le 22 mai 2019 dispose que l’entreprise doit être gérée dans
son intérêt social en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son
activité. Suite à la modification apportée par l’article 169 de cette loi selon l’article 1833 du
code civil, on estime que c’est la première fois qu’une norme de gestion de la société est
posée par le Code civil23. Cette disposition instaure ainsi la reconnaissance législative d’une
obligation dégagée par la jurisprudence : « La société est gérée dans son intérêt social… ». La
seconde partie de l’alinéa concerne tous les aspects de gestion de l’entreprise tant d’un point
de vue juridique qu’opérationnel. Le non-respect de cet alinéa pourrait constituer une faute24.
La modification des articles 1833 et 1835 du Code civil, par la loi PACTE, produit des
conséquences sur le plan juridique qui comporte des dispositions d’application volontaire.
Désormais, il est possible d’opter pour une « raison d’être » de l’entreprise (Paragraphe 1).
23
Art. 1833 al. 2 du code civil « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en compte des enjeux
sociaux et environnementaux »
24
La faute en question peut être un motif de révocation des dirigeants par la mise en œuvre de la responsabilité
civile, faute, dommage et lien de causalité.
25
COZIAN et al, Droit des sociétés, Litec, 23ème édition, Paris, 2011
26
Concl. Poussière sous CE 5 janvier 1965, n°62099, Dr Fisc, 1970, n°3 bis, p. 23
13
Mais il existe aussi des dispositions impératives concernant l’intérêt social. Cette notion est
peu évoqué dans le Code de commerce27, d’où la divergence sur le concept. Si certains
prétendent que l’intérêt social est l’intérêt de l’entreprise28, d’autres estiment qu’il doit
s’entendre comme l’intérêt propre de la société29 constituée dans l’intérêt des associés. Le
choix entre ces conceptions n’est pas neutre car il influe sur le mode de gestion de la société.
La notion d’intérêt social demeure déterminante pour l’application de la théorie d’acte
anormal de gestion. Il est question de savoir laquelle de ces conceptions est prise dans
l’application de l’acte anormal de gestion (Paragraphe 2). Mais il se complique dès lors que
l’on trouve en présence d’un groupe, au point de savoir s’il existe un intérêt social du groupe
(Paragraphe 3).
Les dispositions optionnelles prévues par la modification de l’art 1835 du code civil
concernent la « raison d’être » de l’entreprise et le statut à mission.30
L’art 1835 du Code civil prévoit désormais que : « Les statuts peuvent préciser une raison
d’être, constituée des principes dont la société se dote pour le respect desquels elle entend
affecter les moyens dans la réalisation de son activité. » A la différence de l’intérêt social, il
ne s’agit toutefois que d’une option. La raison d’être traduit une ambition de la société et
comme l’intérêt social, elle vise les entrepreneurs et les entreprises à se rapprocher de leur
environnement à long terme. Elle va donc servir de guide pour les décisions importantes. Sa
formulation est destinée à être utilisée de manière stratégique en fournissant un cadre de
référence31
Les entreprises qui ont défini leur raison d’être peuvent encore aller plus loin en adoptant
le statut de société à mission. L’idée est de permettre aux sociétés commerciales qui le
souhaitent de définir un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux qu’elles se
27
Art. L 221-4 sur les pouvoirs des gérants de SNC, art. L 233-3 sur les conventions de vote ; art. L 241-3 et L.
242-6 sur l’abus de biens sociaux
28
B. TEYSSIE, L’intérêt de l’entreprise, aspect du droit de travail, Dalloz 2004, p 1680
29
D. MARTIN, « L’intérêt des actionnaires se confond-il avec l’intérêt social ? » in Mélanges D. Schmidt, Joly
2005, p. 359
30
Art. 1835 modifié par la loi n°2019-486 du 22 mai 2019 : « Les statuts peuvent préciser une raison d’être,
constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la
réalisation de son activité »
31
Par exemple Michelin : la raison d’être dans les statuts est d’offrir à chacun une meilleure façon d’avancer
14
donnent pour ambition de poursuivre selon le nouvel article L.210-10 du Code de commerce.
Les entreprises peuvent publiquement faire état de leur qualité32 de société à mission si ces
statuts précisent une raison d’être.
L’intérêt social est une notion « à peine évoquée »33 par le législateur. Ainsi, certains
auteurs estiment que l’intérêt social doit s’entendre comme l’intérêt des associés qui attendent
une création de richesse et, tout particulièrement dans les sociétés par actions, une
optimisation de la valeur de leurs titres34. En se fondant sur les articles 1832 et 1833 du Code
civil, le pouvoir appartient aux apporteurs de capitaux qui, dans les statuts, marquent une
volonté, entre associés, de mettre en commun un apport afin de partager les bénéfices en
résultant. Ainsi, la société ne serait constituée en vue de satisfaire un autre intérêt que celui
des associés. Cette conception insiste sur le fait que l’intérêt social est celui des actionnaires
et que la raison d’être des sociétés est l’enrichissement des actionnaires35. La liberté
contractuelle doit avoir beaucoup de place face à l’évolution des contextes économiques et
juridiques. Une telle démarche apparaît d'autant plus nécessaire que l'on peut se demander si
l'intérêt social, censé transcender les intérêts des actionnaires, n'est pas devenu l'alibi d'un
nouveau " despotisme éclairé "».36
D’autres prétendent que l’intérêt social est l’intérêt de l’entreprise c’est-à-dire qu’il
englobe non seulement l’intérêt des associés mais également celui des salariés, des créanciers,
32
Art. 176 de la loi °2019-486, 22mai 2019, « loi PACTE »
33
P. BISSARA et al, Droit et pratique de la gouvernance des sociétés cotées : Conseils et comités, édition Joly,
2007, p.41
34
D. SCHMIDT, « De l’intérêt social » JCP, E, 1995, I, p.488
35
P. MARINE « La modernisation du droit des sociétés commerciales, une reconception du droit des sociétés
commerciales », conférence de presse du 10 septembre 1996, documentation française, p.13
36
Rapport Marini 1996, Documentation Française, p.13
15
des clients, voire de l’Etat37. Cette conception privilégie un intérêt à géométrie variable selon
que l’on s’intéresse à la société personne morale, aux associés, aux dirigeants, aux tiers. En
effet, l’intérêt social, en tant qu’intérêt de l’entreprise, tend à assurer la prospérité et la
continuité de l’entreprise. Les dirigeants et les majoritaires devraient alors agir conformément
à l’organisme économique que présente l’entreprise. Certains auteurs ont développé l’idée
d’intérêt collectif qui synthétise des deux grandes conceptions : c’est le point de convergence
entre l’intérêt de la société et la somme des volontés individuelles des actionnaires. 38 L’abus
de majorité renvoie à cette définition puisqu’il se caractérise cumulativement par une rupture
entre actionnaire et un acte contraire à l’intérêt social.
Considérer l’intérêt social comme l’intérêt des associés implique que la notion de société
repose sur un contrat entre ses membres en s’appuyant littéralement sur les définitions légales.
Une société est définie comme étant « un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes
conviennent de mettre en commun des biens en numéraire, en nature ou en industrie, dans le
but de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. Les associés
s’engagent à contribuer aux pertes »43. De son côté, l’acte anormal de gestion est un acte
contraire à l’intérêt social, plus précisément, c’est un acte qui met une dépense ou une perte à
la charge de l’entreprise ou qui prive cette dernière d’une recette.
Par définition, il existe une antinomie entre l’intérêt social, comme étant l’intérêt des
associés et la notion même de l’acte anormal de gestion.
37
Jean PAILLUSSEAU, « Les fondements du droit moderne des sociétés », JCP, éd. E, 1993, n°14193, p.165
38
CABRILLAC, L’acte juridique conjonctif en droit privé français, Tome 213, LGDJ, 1990
39
Rapport Viénot 1, 1995, Documentation Française, p. 5 : « L'intérêt social peut ainsi se définir comme l'intérêt
supérieur de la personne morale elle-même, c'est-à-dire de l'entreprise considérée comme un agent économique
autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses
créanciers dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt général
commun, qui est d'assurer la prospérité et la continuité de l'entreprise. »
40
J. BERTREL, « Le débat sur la nature de la société en droit des affaires »
41
D. SCHMIDT, « De l’intérêt commun des associés », JCP, Ed E, 1995, p.488
42
Antoine PIROVANO, « La boussole de la société, Intérêt commun, intérêt social et intérêt de l’entreprise », D.
1997, chron. p.189
43
Art 1ère loi n°2003 /036 du 30 janvier 2004, sur les sociétés commerciales équivalent art. 1832 du Code Civil
16
1- La participation aux résultats et la contribution aux pertes
La spécificité du contrat de société viendrait du fait que l’intérêt des associés n’a pas pour
unique objectif le partage de bénéfices, mais également de retirer les bienfaits les plus
importants de leur entreprise commune. Le bénéfice peut se traduire par un gain pécuniaire ou
un gain matériel qui s’ajoute à la fortune des associés. Les bienfaits les plus importants de leur
entreprise commune peuvent consister en une économie en numéraire ou en une atténuation
d’une perte. En contrepartie de leur participation aux bénéfices ou à l’économie réalisée, les
associés s’engagent à contribuer aux pertes.
D’après la définition stipulée l’article 1832 du Code civil, l’affectio societatis n’y figure
pas mais la tradition en fait une composante du contrat de société. De ce fait, la jurisprudence
a défini l’affectio societatis comme une expression de la volonté de collaborer ensemble sur
un même pied d’égalité au succès de l’entreprise commune44. L’affectio societatis détermine
les éléments qui caractérisent le contrat de société et son absence conduit à l’inexistence de la
société. Si l’affectio societatis n’existe pas, il ne saurait davantage y avoir de société. C’est la
raison pour laquelle certains prônent l’intérêt social comme l’intérêt commun des associés.
D’ailleurs, l’article 1833 du Code Civil dispose que toute société doit être constituée dans
l’intérêt commun des associés.
La société est donc dirigée selon la volonté des associés laquelle se traduit par la volonté
de la personne morale qu’ils ont constituée. Et toujours selon cette volonté, la société n’est
pas tenue de réaliser un maximum de profit. Par conséquent, l’intérêt social considéré comme
l’intérêt commun des associés semble être, de prime à bord, en adéquation avec le principe de
la liberté de gestion de l’entreprise. Mais il est à signaler que la perte pour l’entreprise est le
fondement de l’acte anormal de gestion.
Comme il a été précédemment indiqué, constitue un acte anormal de gestion un acte qui
met une dépense ou une perte à la charge de l’entreprise ou qui la prive d’une recette, sans
que l’acte soit justifié par les intérêts de l’exploitation commerciale. La perte financière subie
par la société est le critère déclencheur de l’application de la théorie de l’acte anormal de
gestion.
44
Cass, Civ, 3ème, 8 janvier 1975, Rev.soc.1976, n° 301, n. Balensi
17
a- La renonciation à un profit
L’acte anormal de gestion peut conduire à la prise en compte des profits que la société
aurait pu faire, et auxquelles elle renonce pour des raisons étrangères à son propre intérêt45.
Mais encore faut-il que cette renonciation soit faite au profit des membres ou au profit des
tiers. La renonciation à un profit consiste en une abstention anormale qui nuit à la société,
malgré l’évolution de la notion d’intérêt social qui ne renvoie plus uniquement à la recherche
de profit. Ainsi, l’acte anormal de gestion résulte d’une absence de contrepartie ou d’une
contrepartie insuffisante. Tout acte effectué par l’entreprise au profit de ses membres, que ce
soit des dirigeants, des associés ou autres membres de l’entreprise, ou au profit d’un tiers est
présumé avoir une contrepartie. A défaut, on serait en présence d’acte anormal de gestion.46
Par conséquent, la renonciation aux intérêts des prêts ou avances47, la vente d’un bien de
l’entreprise à un prix inférieur à sa valeur vénale48 ou une location à prix insuffisant à un
membre de la société ou à un tiers peuvent constituer un acte anormal de gestion. Cela signifie
qu’un acte pris même dans l’intérêt des associés peut être considéré comme un acte anormal
de gestion. D’où l’intérêt social n’est pas l’intérêt commun des associés.
Les actes par lesquels l’entreprise supporte des charges engagées dans l’intérêt de ses
membres ou des tiers sont considérés comme des actes anormaux de gestion. L’acte peut être
anormal quant à son montant, comme le cas des rémunérations excessives des dirigeants de la
société, ou quant à sa nature, comme le problème des cadeaux d’entreprise quand l’intérêt de
la société, en tant que personne juridique n’est pas démontré. Le Conseil d’Etat a jugé que les
cadeaux sont en principe déductibles mais il en va autrement si l’entreprise ne justifie pas
l’intérêt direct que présente ces cadeaux pour son activité, ou si l’administration établit que le
montant d’une dépense est excessif au regard de l’intérêt que le bénéficiaire présente pour
l’entreprise.49. On peut bien voir qu’en aucun cas, l’intégration des charges étrangères pour
qu’un acte soit anormal ne fait référence à l’intérêt commun des associés mais à l’intérêt de
l’entreprise. D’où encore, l’intérêt social ne peut pas être l’intérêt commun des associés car
l’intérêt des associés semble être en contradiction avec l’acte anormal de gestion.
45
BERUOZ-HOUIN Brigitte, Régime fiscal des affaires, Revue trimestrielle de droit commercial et de droit
économique, n°4, Dalloz, Octobre-Décembre 1999, p. 1003
46
CE, 7ème et 8ème sous-section, 29 mars 1978, n°4062, RJF.78, n°231
47
CE 4 avril 1990, n°65943 SARL Somag, RJF 6/90 n°671
48
CE 21 novembre 1980, n° 17055, Dr. Fisc. 81, n° 7, comm. 273
49
CE 11 février 2011, « Sté Philips France », Dr ; Fisc. 2011, n°18-19, comm. 335, note L. Faulcon
18
C- L’intérêt de l’entreprise et l’acte anormal de gestion
La société est plus un contrat, mais c’est un « organisme vivant »50. La notion d’intérêt de
l’entreprise est centrale pour l’application de la théorie de l’acte anormal de gestion puisque
l’intérêt de l’entreprise englobe non seulement l’intérêt des associés mais également celui des
salariés, des créanciers, des clients et de l’Etat. Le critère de l’intérêt de l’entreprise est
aujourd’hui communément admis à la fois par la doctrine51, l’administration et la
jurisprudence. En effet, si l’acte anormal de gestion est à juste titre considéré comme une
atteinte aux principes de liberté de gestion et de non-immixtion, l’intérêt de l’entreprise pose,
a contrario, une limite naturelle à ces atteintes. L’intérêt de l’entreprise est une notion qui se
marie idéalement avec l’objectif des entreprises et notamment des sociétés dont le principal
intérêt est la réalisation de profits.
50
J. CARBONNIER, Droit Civil, Théorie des Obligations, 14ème édition, PUF, Paris, 1990, p. 203
51
G.DEDEURWAEDER, « La distinction des erreurs et des décisions de gestion : Essai de présentation
renouvelée d’une théorie générale », Dr fisc 2014, n°28 et 427
52
Art 01.01.01 et art 01.01.03 Code Général des Impôts
53
CE 2 novembre 2009, « Cie Rhéname de raffinage », Dr fisc 2010, n°7,comm.186, concl. E. Geffray, note R.
Schneider
54
Pierre-François RACINE, concl. sous CE n°34588 du 27 juillet 1984, SA Renfort service, Dr Fisc, n°11/1985,
comm. 596 ; Olivier FOUQUET, concl, sous CE 10 juillet 1992, n°110213, Société Musel SBP, op. cit.
19
s’agit de préserver les intérêts du Trésor et non de l’entreprise elle-même ni de l’ordre public.
Si les actions civiles ou pénales cherchent à limiter un appauvrissement de l’entreprise, l’acte
anormal de gestion est une arme utilisée par l’administration pour refuser la déduction des
charges qui diminueraient le résultat imposable. Sans l’acte anormal de gestion,
l’administration serait « impuissante face à des variations du résultat non conforme à la réalité
de l’exploitation »55.
2- La prérogative de l’administration
Une entreprise a pour objet la recherche et le partage de bénéfices. Tout acte accompli
pour réaliser cet objet est présumé effectué dans son intérêt propre. Si certains actes ou
opérations peuvent apparaître contraires, il est possible à ceux qui prétendent s’immiscer dans
la gestion de l’entreprise de demander la nullité de ces actes et de réprimer l’auteur de ces
actes, si l’acte est qualifié de délit. Le concept d’acte anormal de gestion est la transplantation
en droit fiscal du concept commercial d’acte non conforme à l’intérêt social mais avec « deux
différences de taille : seule l’administration peut l’invoquer et elle peut agir d’office »56. Les
actionnaires ne sont pas propriétaires de l’actif social, ils possèdent seulement des droits
sociaux leur conférant des prérogatives d’ordre pécuniaire et des prérogatives de participation
à la vie sociale.
20
démontrer la preuve de l’inexactitude de l’acte dans son montant et dans son principe ; d’autre
part, les immobilisations incombent à l’administration qui doit apporter la preuve des
éléments selon lesquels l’évaluation est erronée (excessive ou minorée). Mais, il se peut que
dans les relations mère-fille, la preuve apportée par l’administration ne suffise pas à démonter
l’existence d’un acte anormal de gestion58. A contrario, le Conseil d’Etat peut exiger la preuve
matérielle de l’existence des prestations de services qui ont été facturées pour vérifier si la
rémunération versée et l’importance des prestations offertes sont adéquates59. La
démonstration de l’administration peut être écartée si les éléments de références ne sont pas
pertinents. Pour démonter l’acte anormal de gestion, l’administration peut se référer aux
usages de la profession60 ou elle peut apporter la preuve en comparant les activités similaires61
Sur plan juridique, la notion de groupe est caractérisée par la réglementation propre aux
comptes consolidés qui permet de faire abstraction à la personnalité de chaque entité pour
faire apparaître un résultat de groupe. Si elle est employée en droit social pour la création des
comités de groupe, sur le plan fiscal, elle est plus avancée. Le groupe de sociétés ne fait
l’objet d’aucune définition légale et n’est d’ailleurs pas doté de la personnalité juridique
contrairement aux différentes structures qui le composent. Les sociétés d’un groupe sont liées
par un même objectif. Les solidarités économiques existant entre sociétés d’un même groupe
qui se définissent par leur unique objectif trouvent leur limite dans l’autonomie juridique de
chacune de ces sociétés. Cela implique que l’intérêt de l’entreprise ne pourrait pas s’apprécier
au niveau du groupe au niveau de chaque société du groupe. Une société doit agir dans son
propre intérêt soit directement, soit indirectement en favorisant l’activité d’une société avec
qui elle a des relations privilégiées. Ainsi, les solutions dégagées pour les sociétés prises
individuellement s’étendent au groupe de sociétés (A) mais il existe des circonstances
auxquelles l’intérêt du groupe est reconnu indirectement (B)
La question de savoir si le groupe sociétés est une entité distinct de ses membres s’avère
essentielle en droit fiscal puisque si tel est le cas, la déduction de dépenses faites dans l’intérêt
du groupe et non dans l’intérêt de la société qui les a exposées serait autorisée.
58
CE, 14 juin 1963, n°57457, Dr Fisc 64,n°48 bis,p.167 avec concl. Ducamin ; CE 5 juillet 1978,n°7717, RJF
10/78 p. 283
59
CE, 8ème sous-section, 22 novembre 2002, n°238585, SA Mat-Transport, RJF 2/03, n° 151
60
CE 7ème et 9ème sous-section, 4 novembre 1988, n°80771, RJF 1/89, n°19, Dr fisc 11/89 comm. n°542
61
CE, 9ème et 10ème sous-section, 06 octobre 2010, n°308620, SA Eca 3, Dr fisc 2011
21
A- Principe : l’autonomie des sociétés dans un groupe
Le groupe de sociétés, en tant que tel, n’a pas d’existence juridique faute de personnalité
morale. Vouloir prendre en compte ses intérêts, c’est vouloir prendre en considération
l’intérêt d’un être qui n’existe pas.62 Ainsi, dans un groupe, chaque société garde son
indépendance juridique et qu’il ne peut exister un « affectio societatis » de groupe qui puisse
se traduire par la création d’une œuvre commune. L’autonomie des sociétés membres du
groupe, pour le droit fiscal, ne s’agit pas d’une solidarité passive entre codébiteurs d’une
même dette. Considérer les codébiteurs d’une même dette en autorisant le créancier à agir
contre l’un quelconque d’entre eux pour l’intégralité de la somme due n’est pas envisageable.
Cela permet de libérer les autres codébiteurs. Ce qui explique que le groupe ne peut pas être
considéré comme une entité distincte à part des sociétés qui le composent. Par conséquent, les
sociétés d’un groupe doivent agir selon leur propre intérêt conformément au principe de
« l’égoïsme sacré »63. Pour la jurisprudence, tout avantage accordé à un tiers qui ne sert pas
les intérêts de l’entreprise est considéré comme un acte anormal de gestion. Elle prend en
compte l’appartenance au groupe, un intérêt qui compense l’avantage consenti. Elle n’a
jamais été favorable à la reconnaissance d’un intérêt de groupe. C’est ainsi que dans l’affaire
Fruehauf64, il a été jugé qu’une société mère ne peut pas imposer à l’une de ses filiales, en
avançant l’intérêt général du groupe, une décision contraire aux intérêts spécifiques de cette
société. De même, lorsqu’une société mère vient en aide à sa filiale, en lui accordant par
exemple une subvention, elle doit agir dans son propre intérêt en protégeant sa participation
de la même façon que lorsqu’un fournisseur vient en aide à son client, il s’aide lui-même en
cherchant à sauver ses contrats futurs. Pour le juge fiscal, même après l’institution du régime
de l’intégration fiscale, l’intérêt du groupe intégré ne peut exister65 et les résultats imposables
des sociétés sont déterminés conformément au droit commun66. Cette détermination ne peut
reposer que sur le critère de la personnalité juridique. Le groupe demeure une somme
d’entités devant fonctionner comme si elles étaient indépendantes. En outre, l’intérêt propre
d’une société ne peut s’effacer devant l’intérêt d’une autre société ou s’identifier à lui-même
si ces sociétés appartiennent à un même groupe et cela, bien que le groupe de sociétés se
caractérise par la domination de la société mère. L’appartenance à un groupe ne suffit pas à
62
Yves CHARTIER, Droit des affaires, les sociétés commerciales, Thémis, PUF, Paris, 1985, p. 472
63
Jérôme TUROT, « Avantages consentis entre société d’un groupe multinational », RJF 1989, chron. p. 263
64
CA. Paris, 22 mai 1965, JCP, 1965,II, n°14274 bis, concl. Nepveu
65
CE 10 mars 2006, n°263183, « Sté Sept », Dr fisc 2006, n°21-22, comm 414 ; CE 28 avril 2006, n°277572,
« Société SEEE, RJF 7/06, n°836 ; CE 28 mars,n°277522, « SA Clément » RJF 6/08, n°640
66
Y. BERNARD, « Groupes de sociétés : la jurisprudence n’a pas d’esprit de sacrifices, RJF 6/06, p 499
22
caractériser l’intérêt social. La jurisprudence prend en compte l’appartenance à un groupe, en
recherchant si la société retire de son appartenance au groupe un intérêt qui compense
l’avantage consenti. Il s’agit donc d’éviter qu’une société ne « se sacrifie aux intérêts
supérieurs du groupe »67.
La direction des sociétés affilées est par nature sous le contrôle du groupe par la détention
de la société mère de plus de 50% du capital de sa filiale, et entraîne le contrôle des organes
sociaux. Le lien de dépendance se caractérise par la désignation des dirigeants de la filiale par
la société mère, ce qui lui permet de se positionner comme le centre du pouvoir stratégique.
C’est à la société mère que reviennent les choix concernant la fusion ou la cession des
sociétés membres, l’allocation des ressources nécessaires aux unités. Ainsi, la société mère
contribue à créer « un intérêt de groupe » tout en prenant en compte l’intérêt d’une filiale.
D’un point de vue économique, le groupe ne forme qu’une seule entité. On peut le définir
comme un ensemble constitué par des sociétés qui dépendent financièrement et
économiquement d’un centre qui assure la direction et le contrôle des sociétés dépendantes.
Le groupe est alors un sujet de droit réel, et l’autonomie juridique des filiales n’est qu’un
écran qui masque la cohérence d’un ensemble organisé68. Du point de vue juridique, le groupe
n’est pas une entité juridique faute de patrimoine du groupe. Néanmoins, l’idée d’une entité
autonome est reconnue par le droit. Sur le plan comptable, cela se traduit par une comptabilité
de groupe faisant l’objet de la « consolidation comptable ». Techniquement, cela suppose
d’ignorer les opérations internes du groupe pour ne retenir que les opérations externes à
travers le contrôle exclusif et le contrôle conjoint69. En droit social, cela se traduit par la
notion de comité de groupe pour la protection des salariés. En droit commercial, lorsque les
créanciers des sociétés du groupe ne parviennent pas à se faire payer par leur débiteur, ils
peuvent agir contre une autre société du même groupe, généralement la société mère70. En
droit fiscal, un régime fiscal des groupes donne la possibilité à la société mère d’être seule
67
Jérôme TUROT, « Avantages consentis entre société d’un groupe multinational », op.cit.
68
Maggy PARIENTE, Les groupes de sociétés : aspects juridique, social, comptable et fiscal, Paris, Litec, 1993
69
Ces deux contrôles correspondent à deux méthodes d’intégration des filiales : la méthode globale et la
méthode proportionnelle
70
Dominique SCHMIDT, « La responsabilité civile dans les relations de groupe de sociétés »,
Rev.sociétés.1981, p 725 ; Cass. com 18 octobre 1994, Bull. Joly 1994, p.1317 n°370, A. COURET ; Cass. com,
26 février 2008, Bull. Joly 2008, p 602, n°129
23
redevable des impôts du groupe si elle détient ses filiales à 95% en France, et 75% à
Madagascar.
En ce qui concerne les relations intra-groupe, il est normal qu’au sein de groupe, par
solidarité, une société, la société mère le plus souvent, vient en aide à l’une de ses filiales en
difficulté. Ainsi, un fait ou un acte qui est jugé abusif à l’état isolé peut être légitimé par des
contingences économiques dont les conséquences s’avèrent sur un long terme favorable au
groupe. Une société mère ne peut déduire une charge sur le fondement du seul intérêt de
groupe si elle n’y trouve pas un intérêt social71. Une aide ne peut être déductible au sein d’un
groupe lorsque l’appréciation de cette déductibilité à l’échelon de l’entité, en tant que société
indépendante, ne conduit pas à accorder la déduction. Mais, dans la décision Atys France72, il
n’a pas été interdit à la société mère d’exercer des prérogatives spécifiques en sa qualité de
mère garante de l’intérêt de l’ensemble. Contrairement à la jurisprudence Sept, le juge revient
sur l’intérêt des charges comptabilisées à l’échelle du groupe et non pas à l’échelle de la seule
société concernée. L’intérêt du groupe peut se confondre avec l’intérêt de la société mère. Il
peut justifier un sacrifice momentané demandé à une autre société du groupe car ce sacrifice
est compensé par un développement ou une meilleure réputation du groupe.
Ce qui revient à dire que lorsqu’une société d’un groupe est en difficulté, c’est à la société
mère de lui venir en aide, en consentant les sacrifices nécessaires. D’où la société mère est
garante de l’intérêt du groupe.
Chaque société du groupe doit avoir sa gestion propre. La gestion d’une filiale dans
l’intérêt exclusif de la société mère, aboutissant à condamner la filiale à avoir un résultat nul
est condamnée73. En effet l’intérêt du groupe vient en limitation de l’intérêt propre, comme
l’intérêt général en limitation des intérêts particuliers. Le fait que la société mère, tête du
groupe, puisse être dépositaire d’intérêts spécifiques au groupe, n’implique pas qu’une filiale
ne dispose jamais d’un intérêt propre à des décisions prises dans l’intérêt du groupe. Une
société peut parfaitement avoir des intérêts conjoints avec les autres entités de son groupe.
C’est ainsi que l’aide accordée par une société dans un même réseau de distribution ne peut
consister en un acte anormal de gestion et donc déductible74. La jurisprudence judiciaire a
71
CE, section, 10 mars 2006, n°263183, Société Sept, Dr fisc 2006, n°21-22, comm. 414
72
CE, 3ème et 8ème sous-section, 28 avril 2006, n°278738, Société Atys France, concl F. Seners
73
CE, 8ème et 9ème sous-section, 04 mars 1985, n°41396 et 41399, Dr fisc 85, n°41, comm 1675
74
CE 26 septembre 2001, n° 219825, « SA Rocadis », op.cit.
24
reconnu l’intérêt du groupe à travers la protection des actionnaires minoritaires dans le cas où
une société anonyme actionnaire minoritaire serait bien fondé à désigner un administrateur
provisoire non seulement à cette société, mais aussi aux autres sociétés du groupe auxquelles
elle appartenait75. La jurisprudence a déterminé à quelles conditions l’intérêt du groupe
pouvait l’emporter sur l’intérêt des sociétés : il faut des liens financiers ou commerciaux entre
sociétés.
Le débat sur l’intérêt social a lieu aujourd’hui plus souvent dans les prétoires qu’au
sein des sociétés. Le juge pénal peut être conduit à sanctionner les dirigeants sur la base d’un
abus de biens sociaux et le juge fiscal vérifie les décisions fiscales prises au sein de la société
par l’acte anormal de gestion. L’abus de biens sociaux consiste dans le fait pour les dirigeants
sociaux, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, en usage qu’ils savent contraire
à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise
dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement76. L’acte anormal de gestion,
quant à lui, est « une dépense exposée au nom de l’entreprise dans l’intérêt plus ou moins
direct d’un tiers ou d’une partie liée »77. Les deux notions contribuent donc des barrières à
l’excès des dirigeants dans la gestion de leur exploitation. L’acte anormal de gestion est au
droit fiscal ce que l’abus de bien social est au droit des sociétés78. En effet, certains nombres
d’éléments laissent croire que l’acte anormal de gestion et l’abus de biens sociaux sont deux
notions ayant une même finalité. Elles tendent chacune à corriger l’atteinte au patrimoine
social réalisé à l’encontre de l’intérêt social (paragraphe 1). Mais elles ne sont pas identiques
à ce point puisque l’acte anormal de gestion n’entraîne pas automatiquement des poursuites
pour abus de biens sociaux, et inversement. La raison, c’est qu’il y a une différence
d’approche entre deux notions s’agissant des groupes de sociétés (Paragraphe 2).
75
Com. 5 février 1995, JCP 1995, II, 20492, A. Viandier
76
Art. L. 241-3 à 242-6 du Code de commerce
77
R.GOUYET, « La théorie de l’acte anormal de gestion », PA 2000,n°225, p.4
78
A.MEDINA, Abus de biens sociaux : prévention, détection, poursuite, Dalloz 2001, p.84
25
Paragraphe 1 : La ressemblance dans le critère d’application
L’intérêt social est une référence qui se situe au cœur de l’acte anormal de gestion et de
l’abus de biens sociaux, et toute atteinte à l’intérêt social est sanctionnée.80 Ainsi les deux
notions sont liées par la recherche d’un même objectif qui réside dans la préservation de
l’intérêt social. Le principe de la liberté de gestion de l’entreprise implique le principe de non-
immixtion, et la liberté accordée à la gestion ou l’exploitation de l’entreprise, autorise les
dirigeants à prendre des décisions qui ne sont pas nécessairement lucratives. Mais face à cette
liberté qui peut amener l’entreprise à une perte de revenu, les actes ne relevant pas d’une
gestion normale sont remis en cause. La problématique juridique de l’abus de biens sociaux et
de l’acte anormal de gestion dans les groupes de sociétés demeure spécifique en ce qu’elle
suppose que soient préalablement réalisés des actes qui, dans le cadre d’une société, seraient
constitutifs d’un acte contraire à l’intérêt social. Ce n’est qu’ensuite que doit être examiné le
point de savoir si les actes examinés commis au sein d’un groupe peuvent constituer une
cause d’exonération de responsabilité ou un acte déductible. Aussi bien dans l’acte anormal
de gestion que dans l’abus de biens sociaux, il s’agit de protéger l’intérêt de la société.
L’absence de définition de l’intérêt social incite la jurisprudence à considérer l’intérêt de la
personne morale. En effet, la principale conséquence des deux notions réside dans la perte
subie par l’entreprise. C’est en raison de cette atteinte au patrimoine social que l’acte anormal
de gestion est appliqué,81 tandis que l’impact économique constitue la preuve de l’atteinte à
l’intérêt social pour l’abus de biens sociaux. De plus, l’acte anormal de gestion n’existe pas
79
Pierre-François RACINE, conclusion sous CE 27 juillet 1984, SA Renfort service, op. cit.
80
Maurice COZIAN, Alain VIANDIER, Droit des sociétés, 17ème édition, Litec, Paris, 2004, p.285
81
R. GOUYET, « La théorie de l’acte anormal de gestion », PA 2000, n°225, p. 4 : il s’agit surtout des intérêts
économiques
26
tant que les prises de décision dans la gestion de l’entreprise n’exposent pas son intérêt à
un « risque manifestement excessif ».82 De son côté, la poursuite pour abus de biens sociaux à
l’encontre des dirigeants est engagé s’ils font courir un risque anormal à la société. Un
préjudice direct peut être causé aux créanciers ou aux actionnaires.83 Le caractère excessif du
risque se traduit par une perte. S’agissant de l’acte anormal de gestion, il est constitué par une
renonciation à un profit, c’est-à-dire une abstention, ou une intégration de charge étrangère à
l’intérêt de l’entreprise. De même, l’usage de biens contraire à l’intérêt de la société dans
l’abus de biens sociaux ne peut pas seulement résulter d’une action, mais également d’une
abstention volontaire.84 Mais l’abus de biens sociaux exige l’agissement contre l’intérêt social
par la poursuite d’un but personnel. C’est ainsi que la Cour de cassation censure souvent des
décisions du juge du fond lesquelles n’ont pas suffisamment caractérisé le but personnel.85
Le patrimoine d’une société constitue l’objet d’une aide de détournement au profit d’une
autre société appartenant au même groupe. Il convient de rappeler que l’acte anormal de
gestion ne présente qu’une contrepartie, parfois insuffisante, pour la société. Ce critère se
retrouve dans la définition de l’abus de biens sociaux. L’existence d’un lien de dépendance
caractérise des situations particulières dans lesquelles une entreprise a la capacité de dicter à
une autre des conditions économiques défavorables à l’entreprise dépendante mais
correspondant à l’intérêt de l’entreprise dominante ou du groupe86. Cette formule marque la
notion de rupture d’équilibre et d’absence de contrepartie, ce sont des critères prépondérants
caractérisant l’abus de biens sociaux87. Pour déterminer l’existence d’une rupture d’équilibre,
les sociétés du groupe seront prises isolement. En effet, l’aide entre deux sociétés d’un même
groupe peut être admissible. L’aide apporté par les dirigeants d’une société à une autre
entreprise doit être dictée par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au
regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce groupe qui ne doit être ni démuni de
contrepartie. Il ne doit non plus rompre l’équilibre entre les engagements respectifs des
diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières d’une société quelconque
qui en supporte la charge pour l’abus de biens sociaux. Ce qui rejoint la définition de l’acte
82
CE, 7ème, 8ème et 9ème sous-section, 17 octobre 1990, n° 83310, Loiseau, Dr. Fisc. 1991, n° 48, comm. 2281
83
Cass. crim. 9 novembre 1992, Rev. sociétés, 1993, p.433, B. Bouloc
84
Cass. Crim. 28 janvier 2004, Bull. Joly 2004, n°171, p.861, J.-F. Barbieri
85
Cass. Crim. 4 novembre 2004, Dr. pén. 2005, n°44
86
Martin conclusion, sous CE, 9ème et 8ème sous-section, 18 mars 1994, n°68799 et 78014, SA Sovemarco
Europe, Dr fisc 1994, n°40, comm. 1703
87
Cass. Crim. 4 février 1985, « Rozenblum », Bull. crim., n°54 ; JCP 1985, II, 14613 ; Rev. sociétés 1985,
p.649, note Bouloc
27
anormal de gestion comme étant un acte accompli dans l’intérêt minime hors de proportion
avec l’avantage que le tiers peut en retirer88. Ce qui met en exergue la rupture d’équilibre.
Ainsi l’acte anormal de gestion et l’abus de biens sociaux demeurent très proches dans leurs
critères d’application.
L’aide entre deux sociétés, pour le droit pénal, est autorisée sans être toutefois constitutive
d’abus de biens sociaux. La jurisprudence judiciaire ne sanctionne pas un acte comme fautif
du seul fait qu’il s’est relevé dommageable à la société ; mais, inversement, il ne suffit pas
que le dirigeant ait agi dans l’intérêt de l’entreprise pour être exonéré de sa responsabilité.89
Pour le droit fiscal, l’aide entre deux sociétés est présumée être anormale. Cette discordance
s’explique par une différence de conception de l’intérêt social dans deux domaines : l’une
objective, et l’autre subjective. Le droit pénal a admis l’existence d’un intérêt de groupe
tandis que la jurisprudence fiscale n’a jamais fléchi sur sa position.
88
CE section. 10 juillet 1992, n°110213, Sté Musel SBP, op. cit., concl.O.Fouquet
89
Jérome TUROT, « L’entrepreneur, le risque et le fisc. La notion d’acte qui, sans être étranger à l’intérêt de
l’entreprise lui fait courir un risque excessif », RJF 11/90, p. 735, 1990
90
Trib. Corr. Paris 16 mai 1974, Rev. Soc. 1975, 665 ; D. 1975, 37
91
Cass. Crim.4 février 1985, « Rozenblum », op. cit.
28
Pour échapper aux textes incriminant l’abus de biens sociaux, à titre d’exemple, l’existence
d’un groupe doit être établie et que le concours financier apporté doit être dicté par un intérêt
économique commun.
Même si l’intérêt social d’une filiale ne peut se concevoir pleinement sans tenir compte de
l’intérêt du groupe dans lequel elle est intégrée93, la jurisprudence fiscale n’a jamais été
favorable à la reconnaissance d’un intérêt de groupe malgré la résistance de la Cour d’appel.
Il s’agit du refus de la réintégration d’une provision pour dépréciation sur des titres acquis en
augmentation du capital d’une société extérieur au groupe94, de la normalité de la prise en
charge par une société de groupe des indemnités d’expatriation de salariés de filiale étrangère
de la société mère95. Le Conseil d’Etat s’est toujours opposé à la prise en compte d’un intérêt
de groupe intégré96. Autrement dit, une société aide une entreprise appartenant à un même
groupe, commet un acte contraire à son intérêt social97. L’aide est appréciée au regard de
l’intérêt social de la société pris isolement pour apprécier son caractère normal. D’où
l’affirmation du commissaire de gouvernement Guy Rivière : « S’il apparaît souhaitable de
prendre d’avantage en considération la réalité économique que constituent les groupes de
sociétés, c’est au législateur qu’il appartient de le faire en définissant avec précision les
92
Cass. crim. 27 octobre 1997, Craignon, Rev. Sociétés 1997, p. 869, B. Bouloc
93
A. LEGENDRE, « Plaidoyer pour la reconnaissance en droit fiscal de l’existence d’une part, non détachable
de l’intérêt du groupe auquel elle appartient, de l’intérêt propre d’une société », Dr. fisc. 2006, n°11, p.606
94
CAA Paris 10 décembre 2004, n°00-36, «Sté SEEE », RJF 4/05,n°312
95
CAA paris 21 janvier 2005, n°01873, « Société Sias France », RJF 5/05,n°433
96
CE 28 avril 2006, n°277572, « Société SEEE », RJF 7/06, n°836, CE 28 avril 2006, n°278738 « Société
Atys » venant au droit de la société Sias, RJF 7/06, n°837
97
CE, 1er mars 2004, n°237013, SA Représentation, Dr. fisc. 2004, n°37, comm. 663- le Conseil d’Etat a écarté
l’acte anormal de gestion estimant que la société filiale auteur d’un abandon de créance justifiait bien un intérêt à
consentir cet abandon de créance
29
conséquences, notamment fiscales, qui doivent en découler. En attendant pareil changement,
le juge doit constater que les solidarités économiques existant entre sociétés trouvent leur
limite dans l’autonomie juridique de chacune d’elles, et tirer les conséquences fiscales de
cette autonomie. »98
98
Guy Rivière, concl sous CE 26 juillet 1982, n°16-645, Dr fisc 1983, n°10, comm 378
30
Chapitre II- La restitution du véritable caractère de certains actes
Le principe général est qu’un exploitant commet un acte anormal de gestion s’il
poursuit des fins autres que de satisfaire l’intérêt de l’entreprise. La jurisprudence a déduit que
les seules dépenses déductibles sont celles qui ont été exposées dans l'intérêt de
l'exploitation99. Sur l’application de l’acte anormal de gestion à des sociétés liées, la question
est évidemment plus sensible. Une entreprise peut en effet avoir un intérêt certain à aider une
de ses filiales ou une autre entreprise liée, les raisons de cette aide, peuvent être financières,
économiques ou commerciales (Section 1). En matière d’aides commerciales, les exigences
sont strictes. Les aides peuvent en effet être considérées comme relevant d’une gestion
anormale si l’entreprise qui a accordé l’aide, ne démontre pas qu’elle avait un intérêt propre à
le faire. Les aides motivées par des intérêts financiers sont, quant à elles, constitutives d’acte
anormal de gestion (section 2).
La particularité du groupe réside dans le fait que les sociétés membres entretiennent
des relations privilégiées entre elles. Une aide accordée à une société membre du groupe peut
être considérée comme étant dans l’intérêt de la société créancière si la contrepartie est
évidente. Ainsi, les opérations entre sociétés d’un même groupe sont admises mais elles
doivent répondre à des conditions. Les opérations courantes conclues à des conditions
normales ne peuvent constituer un acte anormal de gestion. Ce principe est valable dans le
cadre des opérations commerciales (Paragraphe 1) et dans le cadre des opérations financières
(Paragraphe 2).
S’agissant de groupes, les relations entre sociétés ne peuvent être réputées librement
négociées100. Les opérations courantes conclues dans des conditions normales ne font pas
l’objet de la procédure des conventions réglementées c’est-à-dire qu’elles ne sont pas
soumises à l’autorisation préalable du conseil d’administration. Mais l’autorisation n’est pas
nécessaire lorsque les conventions portent sur des opérations courantes conclues dans des
99
cf. concl. D. Fabre sur CE 14 avril 1976 n° 92197 et 97260, Dr. fisc. 42/76 c. 1479
100
Jérôme TUROT, « L’entrepreneur, le risque et le fisc. La notion d’acte qui, sans être étranger à l’intérêt de
l’entreprise, lui fait courir un risque excessif », RJF 11/90 p. 735, 1990
31
conditions normales101. Ainsi les conventions ne sont pas constitutives d’acte anormal de
gestion à condition que les opérations réalisés soient courantes (A) d’une part, et qu’elles
soient conclues dans des conditions normales (B) d’autre part, car les opérations internes au
groupe sont analysées sous l’angle de l’acte anormal de gestion.
Les opérations courantes sont effectuées par une société, d’une manière habituelle, dans le
cadre de son activité. Le caractère habituel de ces opérations nécessite un fonctionnement
répétitif, mais il est à signaler que les aides répétitives versées à titre habituelle et
systématiquement sont généralement considérées comme anormales102. Les opinions se
divergent sur le caractère « courant » des opérations internes au groupe qui présentent un
caractère financier ou commercial. D’ une part, on a considéré que le caractère courant de la
convention ne doit pas s’apprécier in abstracto au sein des sociétés prises en général mais au
sein de la société intéressée, par référence à l’activité qu’elle exerce effectivement. Il ne
s’agit pas d’une transaction courante dans des sociétés mais courante dans une seule société.
On a considéré, d’autre part, que pour avoir un caractère courant, la transaction devrait obtenir
l’autorisation des organes de décision. Elle est habituelle si elle a été prévue dans l’objet
social de l’entreprise considérée, mais encore elle doit figurer au nombre les transactions que
la société réalise quotidiennement, en ne l’engageant pas pour une durée excessive.
Les conventions de trésorerie conclues au sein des groupes de sociétés ont une validité
consacrée. A ce titre, elles peuvent être considérées comme des conventions courantes
échappant à la procédure des conventions règlementées, si les transactions n’entrainent pas
des déséquilibres importants entre la société et le groupe. Les juges estiment qu’au sein des
groupes de sociétés, ces conventions ne sauraient présenter par nature un caractère habituel.
En effet, les sociétés appartenant à un groupe sont censées se trouver dans une relation de
dépendance économique réciproque par la composition de leur capital. Cela signifie que la
qualification de ces opérations, en tant qu’opérations courantes, facilite le fonctionnement des
groupes de sociétés.
Les conditions normales sont celles qui sont appliquées, pour des conventions semblables,
non seulement par la société en cause, mais également par les autres sociétés de même secteur
101
Art. 465 de la loi 2003-086 loi sur les sociétés commerciales
102
Maurice COZIAN, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, op. cit., p. 444
32
d’activités103. La normalité des transactions implique que les transactions soient faites dans les
conditions du marché. Ainsi, il convient de veiller à ce que les transactions opérées entre les
sociétés d’un même groupe soient réalisées au prix du marché. Toutefois, il est possible de
conclure des opérations « hors marché » dans le groupe.
Le respect du prix du marché constitue une règle de portée générale, que doivent
respecter les sociétés d’un même groupe dans leurs relations commerciales. Chacune des
sociétés devra être en mesure de justifier, par des raisons commerciales normales, les
opérations qu’elle a pu consentir à une société sœur. Par le respect de cette règle, chaque
société échappera à la requalification des opérations intra-groupes en acte anormal de gestion.
Pour apprécier la normalité des opérations, les juges se réfèrent aux opérations de même
nature dans les conditions similaires. Par exemple, pour les baux, les juges se réfèrent à la
valeur locative réelle104. Les prestations de services posent une certaine difficulté, ainsi le
calcul peut se faire sur la base de la rémunération pratiquée dans la profession à l’égard des
tiers105. Un prix inférieur au prix de revient ne suffit pas à caractériser l’existence d’un acte
anormal de gestion106.
103
Art. 465 de la loi 2003-036 sur les sociétés commerciales, équivalent art. L.225-38 du Code de commerce
104
CE 22 février 1989, n° 71181, Rev. Sociétés 1989 p.487, note Fouquet
105
CE 24 février 1978, n° 2372, RJF 4/78 n° 161
106
CE 26 juin 1996, n°80178, SARL Rougier Hornitex, RJF 8-9 /96 n°973
107
D. OHL, Les prêts et avances consenties entre sociétés d’un même groupe, Litec, Paris, 1982, p. 158
33
D’une manière générale, une dépense excessive constitue une source d’acte anormal
de gestion en raison de l’absence de proportionnalité entre l’opération et la contrepartie
escomptée. Pour que celle-ci échappe à cette qualification, il faut démontrer le caractère
substantiel de la contrepartie. C’est ainsi qu’une rémunération importante accordée à un
dirigeant, eu égard à la part que celui-ci prend personnellement dans la croissance du chiffre
d’affaires et des bénéfices, peut être normale. Par conséquent, l’appréciation de la contrepartie
doit se référer à l’intérêt propre de l’entreprise.
b- La démonstration du non-respect
108
CE, 7è, 8è et 9è sous-section, 27 juillet 1984, SA Renfort Service, n°3'588 RJF 1984, comm. 1233, concl. P.F
Racine p 292 : CE Plén. n° 34588 du 27 juillet 1984, SA Renfort Service : « il appartient… à l’administration
d’établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal ; toutefois,… si l’acte contesté par
l’administration s’est traduit, en comptabilité, par une écriture portant, soit sur des … charges …,
l’administration doit être réputée apporter la preuve qui lui incombe si le contribuable n’est pas, lui-même, en
mesure de justifier dans son principe comme dans son montant, de l’exactitude de l’écriture dont s’agit ».
109
C. de la MARDIERE, La preuve en droit fiscal, Litec, coll. Fiscal, 2009, p 121-155
34
l’existence d’une contrepartie dont la valeur correspond à la charge. La référence peut être
constituée par les usages de la profession ou les usages des contribuables placés dans les
situations comparables.110
L’administration peut comparer le montant d’une dépense avec celle qui correspond aux
usages de la profession. Ainsi pour la rémunération d’un dirigeant, l’administration compare
cette rémunération à la rémunération attribuée aux dirigeants d’entreprise de même taille, du
même secteur et de même chiffre d’affaires tout en prenant en compte l’importance du
dirigeant au sein de l’entreprise111. S’agissant de commission, l’administration peut se référer
à des informations disponibles figurant dans la comptabilité de l’entreprise concernant la
rémunération habituelle de ce type de prestation. Concernant le versement d’honoraire,
l’administration peut se référer aux usages de la profession à partir d’une comparaison des
honoraires pratiqués par des sociétés intervenant dans le même secteur d’activité112.
Pour déterminer la normalité de l’acte, l’administration peut se fonder sur la valeur vénale
du bien en question, et qui peut se faire par le biais d’une expertise. De même, elle peut se
référer à des biens présentant des caractéristiques similaires. C’est ainsi que le Conseil d’Etat
a admis dans une affaire du 6 octobre 2010 que l’administration puisse comparer le montant
des loyers avec ceux pratiquées dans les locaux de superficie équivalentes situés dans le
même immeuble pour déduire l’existence d’ un acte anormal de gestion113. Mais la preuve
apportée par l’administration peut être écartée si les éléments de référence ne sont pas
pertinents. L’importance de la contrepartie est une condition pour écarter un acte anormal de
gestion. Ainsi, dans la décision « Croë Suisse »114. Le Conseil d’Etat énonce d’une part que
constitue un acte anormal de gestion « l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à
des fins étrangères à son intérêt » et d’autre part que si l’écart de prix est établi par
l’administration fiscale. C’est au contribuable de démontrer que l’appauvrissement qui en
résulte a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise en précisant que « soit que celle-ci se soit
110
Patrick SERLOOTEN, « Liberté de gestion et droit fiscal : la réalité et le renouvellement de l'encadrement de
la liberté », Dr. Fisc. 2007, n° 12, p. 11
111
CE 7ème et 9ème sous-section, 4 novembre 1988 n°80771, RJF 1/89, n°19 ; Dr Fisc 11/89, comm n°542
112
CE 3ème et 8ème sous-section, 19novembre 2008, n°291 041, Société/ Auteuil investissement, RJF 2009, N°2,
111 concl F. Seners
113
CE, 9ème et 10ème sous-section, 6 octobre 2010, n°308629, SA Eca,, RJF 1/&& n°19 et 77 concl. J Boucher
114
CE, 3ème, 8ème, 9ème, et 10ème chambres réunies, 21 décembre 2018, n° 402006, Cröe Suisse, publié au recueil
lebon
35
trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une
contrepartie.»
Les opérations financières entre sociétés d’un même groupe sont fréquentes. L’appui
financier qu’elles peuvent s’octroyer est l’une des principales causes de la création d’un
groupe de sociétés. Les mouvements financiers constituent un mouvement légitime d’entraide
115
CE, sect. 24 février 1978, n° 2.372, RJF 4/78, n° 161, DF 30/78 comm. n°1212 avec concl. Rivière
36
entre les sociétés du groupe. On collecte dans les sociétés excédentaires pour les redistribuer
dans les sociétés en difficulté. Les prêts et avances en compte courant que consentent les
sociétés de groupe permettent en effet, la plus parfaite adéquation des ressources aux besoins
du groupe tout entier.116 D’une part, le rapport de financement n’est nullement subordonné à
un flux de biens et services préalable. En théorie, deux sociétés qui n’entretiennent aucun
rapport commercial ou financier direct pourront se faire financer réciproquement. D’autre
part, contrairement à un prêt ordinaire, la perspective d’une rémunération apparait nettement
secondaire. Les opérations intra-groupe de type avances consenties entre sociétés appartenant
au même groupe ne soulèvent pas de risque fiscal particulier si elles sont effectuées aux
conditions du marché. Dans le cas contraire, ce sont des actes anormaux de gestion, contraires
à l’intérêt de la société et seraient d’une part réintégrées dans le résultat imposable de la
société qui a consenti les avances, et d’autre part imposable chez la société bénéficiaire117.
Il convient de rappeler qu’il est interdit à toute personne autre que les établissements de
crédit d’effectuer des opérations de crédit à titre habituel. Mais cette règle présente une
exception. En effet, l’interdiction visée ne fait pas obstacle qu’une entreprise quelle que soit
sa nature puisse procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés qui ont avec elle un
lien de capital conférant à l’une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les
autres118. Sous l’angle du droit des sociétés, ces opérations de trésorerie doivent entrer dans
l’objet de la société prêteuse119.
D’une façon générale, il n’est pas question dans un groupe de freiner la mobilité des
capitaux en exigeant un taux d’intérêt élevé. Ainsi, les concours financiers sont parfois
gratuits. Dans la plupart des cas, des taux en usage sont des taux préférentiels par rapport à
ceux du marché à condition qu’ils ne soient pas inférieurs aux taux de base bancaire.
D’ailleurs dans certains groupes de grandes dimensions, il existe même une politique propre
des taux d’intérêt dans laquelle un taux uniforme est fixé et sera valable à un moment donné
quelle que soit la société bénéficiaire de l’opération. Ainsi, pour optimiser la gestion
financière, les dirigeants peuvent mettre en place un « pool de trésorerie » grâce auquel
116
D. OHL, Les prêts et avances, op. cit., p. 7
117
CE 21 juin 1995, SA Sofige, Dr. fisc. 1995, n°52, comm. 2393
118
Art. 12-3èmement de la loi n°95-030 du 22 février 1996 relative à l’activité et au contrôle des établissements de
crédits, « loi bancaire »
119
Com. 13 novembre 2007, JCP E 2008, 1280, JJ Caussain, Fl Deboissy et G Wicker ; il s’agissait d’une nullité
pour contrariété à son intérêt social sans contrepartie par une filiale au profit de la société mère
37
différentes sociétés du groupe font remonter les excédents financiers vers une société holding
financier et en reçoivent des avances lorsqu’elles doivent faire face à des encaissements non
couverts par leur disponibilité120. Cela signifie que les trésoreries des différentes sociétés du
groupe sont donc généralement mises en commun, et la société mère se charge du placement
des fonds disponibles ou de leur redistribution aux filiales qui ont besoin d’argent. Dans la
mesure du possible, on veut éviter que certaines filiales, dont la croissance est rapide et la
trésorerie tendue, ne soient obligées d’emprunter sur le marché bancaire à des taux élevés
alors que d’autres sociétés disposent des liquidités abondantes ou des créances mobilisables
dans de bonne condition. Mais certains groupes, composés de sociétés dont les activités sont
interdépendantes que les difficultés d’une filiale, peuvent affecter le fonctionnement du
groupe tout entier. Il sera naturel que chacun de ses membres se porte secours parce que son
bon fonctionnement en dépend. Par conséquent, les « pools trésorerie » sont considérés par la
jurisprudence comme ne pouvant présenter par nature un caractère inhabituel dans un groupe
de société121. Les avances et prêts de trésorerie dans un groupe sont donc normaux puisqu’ils
marquent la recherche d’équilibre entre les sociétés. C’est ainsi qu’on considère que les prêts
et avances dans le groupe « n’ont pas d’existence juridique autonome : ils forment un élément
non dissociable de la vente ou de la prestation de service. »122
Les opérations de trésorerie peuvent engager une perte chez la société créancière qui peut
être jugée normale. Pour apprécier la normalité des aides financières, la réalité économique et
l’unité économique des groupes de sociétés sont prises en compte. Ainsi, les opérations de
trésorerie entre société mère et filiale sont beaucoup plus admissibles que celles entre deux
sociétés sœurs.
1- La nécessité d’une contrepartie dans les aides consenties entre sociétés sœurs
En principe, les avances de trésorerie « horizontales » entre sociétés sœurs sont possibles.
Mais en tout état de cause, il ne saurait être question de ne pas rémunérer ces avances ou de
servir une rémunération insuffisante au nom de l’intérêt de groupe. Le manque à gagner subi
par la société prêteuse est a priori constitutif d’un acte anormal de gestion et il ne saurait être
en question d’invoquer l’existence d’un intérêt de groupe, seul l’intérêt propre de la société
120
Maurice COZIAN et al. Droit des sociétés, Litec, 23ème édition, Paris, 2011, p. 628
121
CA Versailles com.réunies 1 avril 2002, Société clos des pieure c/Mc Souchon, Dr soc 2002, p. 25
122
M.G. PASTRE « Les financements inter-entreprises, aspect juridique et fiscaux d’un circuit extra-bancaire de
crédit », thèse, Paris 1, 1975, p. 63
38
pouvant être pris en considération. En d’autres termes, il faut considérer les sociétés sœurs
comme des sociétés tierces et par conséquent, faire abstraction de leur appartenance au même
groupe. Mais il est en effet admis qu’une entreprise consent à une autre entreprise des avances
sans intérêts ou rémunérés à un taux plus bas que le normal, à condition qu’elle perçoive une
contrepartie proportionnée. Or, au sein des groupes tout particulièrement, lorsqu’il s’établit
des relations commerciales entre les sociétés sœurs, il est tout à fait concevable que la société
bénéficiaire de l’avance consente par ailleurs des avantages à la société prêteuse lesquels
formeraient contrepartie de son manque à gagner. Mais il appartiendra à la société prêteuse
d’établir non seulement qu’elle a trouvé un intérêt propre dans l’opération mais encore que la
contrepartie qui lui a été offerte lui a procuré un gain proportionné à son manque à gagner
Les avances, non rémunérées ou rémunérées dans des conditions moins favorables que la
normale intervenant de la part d’une société mère en direction des filiales, doivent toujours
être justifiées par l’intérêt de la société mère. Toutefois, il est plus facilement admis qu’une
société mère trouve un intérêt à soutenir financièrement une filiale par des aides financières,
soit parce que la filiale connaît des difficultés, soit même pour l’aider à se développer. Il est
évident qu’une société mère a généralement intérêt à éviter la cessation de paiements d’une
société membre des groupes. Et un dépôt de bilan pourrait être particulièrement préjudiciable
à l’ensemble des sociétés qui les constituent.
39
dans l’intérêt de l’entreprise qui les concède. Dans la décision Rocadis, le Conseil d’Etat juge
que l’octroi de prêts sans intérêts, l’abandon de créances ou le consentement gratuit d’une
caution sont normaux s’il apparaît qu’en consentant de tels avantages, l’entreprise a agi dans
son propre intérêt123. Il en va ainsi notamment lorsque les avantages consentis peuvent être
regardés comme la conséquence d’engagements constituant la contrepartie des avantages que
l’entreprise retire directement de son adhésion à un groupe. Mais, face aux opérations qui
peuvent exister au sein d’un groupe, il est dès lors admis que toutes opérations motivées par
un intérêt commercial peuvent être déduites et les opérations motivées par un intérêt financier
sont exclues de cette déduction (Paragraphe 1), à l’exception des aides faites aux entreprises
en difficulté (Paragraphe 2).
123
CE, 26 septembre 2001, SA Rocadis, op. cit. : « au cas d’une société venue en aide à deux autres sociétés
sous forme d’engagements de caution portant sur des emprunts souscrits par ces dernières, de prêts sans intérêts
et d’abandons de créances, en conséquence du parrainage qu’avec d’autres centres de distribution préexistants de
la même enseigne commerciale, elle avait assumé au profit desdites sociétés. »
124
CE 31 décembre 2008, Société Multimédia Finances, RJF 4/09, n°317 (abandon à caractère financier
125
CAA Paris, 27 juin 2003, Société financière des Terres Rouges RJF 11 /03, n°1229
126
CE 11 mars 2006, Société Sept, op. cit. ; CE 28 avril 2006 « Société SEEE », op. cit.
127
CE 26 septembre 2001, SA Rocadis, op.cit.
128
CE, 3è et 8è sous-section, 30 mai 2007, n°285575, SARL Perronet RJF 10/07, n°1012
40
permet d’admettre, de limiter ou d’exclure sa déductibilité du résultat fiscal. Mais il se peut
que l’aide n’est qualifié ni de caractère commercial ni de caractère financier. Dans, ce cas le
Conseil d’Etat a dû se prononcer sur le régime applicable. Selon la logique, l’aide devrait
relever d’un acte anormal de gestion. Toutefois, les particularités qui lient certaines
entreprises pouvaient justifier la déduction des aides consenties entre elles. Le juge préserve
cette position, quand il s’agit d’entreprises membres d’un réseau. En ces termes, le Conseil
d’Etat fait une application de la jurisprudence antérieure concernant les sociétés qui se
trouvent dans un même réseau129. Ce qui signifie qu’en l’absence de lien financier et de lien
commercial, les aides intra-groupes pouvaient être déductibles du résultat fiscal de
l’entreprise consentante sur appréciation souveraine du juge.
Plus récemment, pour mettre à terme à l’évasion fiscale, le régime des aides interentreprises
a été renforcé et désormais, seules les aides à caractère commercial ne constituent pas un acte
anormal de gestion. Les aides, autres que commercial, sont déductibles sauf si l’aide est
octroyée à une entreprise en difficulté.
L’aide présente un caractère commercial lorsqu’elle est consentie entre deux entreprises
entretenant entre elles des relations commerciales. L’existence d’un lien commercial dans les
relations intra-groupes est beaucoup plus fréquente que dans les relations entre deux sociétés
tierces, en raison de l’imbrication des intérêts et des activités dans les groupes de sociétés. Le
recours à l’aide est justifié par leurs relations d’affaires. La loi ne donne aucune définition du
caractère commercial. Il s’agit d’une aide qui trouve sa cause dans les relations commerciales
qui unissent les entreprises pour maintenir des débouchés, ou pour préserver les sources
d’approvisionnement. L’évolution des aides intra-groupes contribue à rendre difficile la
détermination de l’aide consentie. En effet, une aide peut revêtir à la fois un caractère
commercial et un caractère financier. Mais il est à remarquer que le fait d’obtenir des titres au
capital de l’entreprise aidée n’est pas un obstacle à qualifier l’aide octroyée en une aide à
caractère commercial. Ainsi, un abandon de créances consenti par une société mère qui
détient la quasi-totalité des parts de sa filiale en difficulté, est une aide à caractère commercial
dès lors qu’elle permet de sauver la filiale et de sauvegarder les poursuites de ses activités
129
CE 26 septembre 2001, SA Rocadis, op.cit ; CE Section du 30 mars 1987, n° 52754, SA Labo Industries,
rapp. Tiberghien, concl. Martin-Laprade
41
commerciales. De même, lorsque l’aide consentie permet à la société mère de maintenir sa
propre activité, la jurisprudence admet sa déduction. Par exemple la décision Labo-Industries
a consacré la possibilité d’un abandon de créance commerciale, justifié par le maintien dans le
pays d’exportation un réseau de distribution.130 L’intérêt commercial va généralement
consister dans le souci de ménager un partenaire en difficulté, une société du groupe, dont la
cessation du groupe aurait une incidence sur la poursuite de ses propres activités
commerciales. La déduction des subventions accordées par une société mère à ses filiales
fournisseurs est admise si ces subventions tendent à rétablir l’équilibre de l’exploitation de ses
fournisseurs lorsque les aléas et contraintes économiques alourdissent leur gestion. Les
difficultés du partenaire doivent être de nature à compromettre la poursuite des activités
commerciales de la société. Le périmètre de l’intérêt commercial constitue l’intérêt de
l’entreprise, mais le juge prend néanmoins en considération les données du groupe.
L’appréciation de l’aide se fait de manière globale en prenant en compte la situation
économique de la société bénéficiaire et la contrepartie. Par conséquent, l’octroi d’un
avantage peut également résulter de la volonté d’obtenir un marché131.
Les aides financiers sont des aides octroyées pour des motifs non commerciaux. Ainsi,
l’aide a un caractère financier lorsqu’elle est motivée par la sauvegarde de la valeur de titres
de participation détenue par la société qui l’accorde dans le capital de la société réceptrice. En
effet, si l’aide consentie n’est justifiée que par des liens de capital, elle ne présente pas un
caractère commercial. L’aide à caractère financier qui n’existe que dans les groupes de
sociétés s’analyse comme une subvention que la société mère verse à sa filiale. Elle se situe
hors du cadre des relations commerciales et peut s’analyser comme une recapitalisation,
déguisée pour bénéficier de la déduction en charge des contours ainsi versés. Un abandon de
créance, visant la perspective de profits éventuels ou la valorisation des participations,
consiste en un abandon de créance à caractère financier.
130
CE Section du 30 mars 1987, n° 52754, SA Labo Industries, op. cit.
131
CE 3 décembre 1975, n°89412, RJF 76, p. 163
42
L’aide à caractère financier était déductible pour sa fraction qui ne permettait pas à la
société mère de valoriser sa participation dans le capital de sa filiale, c’est-à-dire que tant que
la situation nette de la filiale demeure négative, et seulement au-delà, à hauteur des droits
détenus par les autres associés132. Chez la filiale, l’aide était imposée pour sa fraction
déductible chez la mère à condition qu’elle prenne l’enregistrement d’augmenter son capital
au profit de la mère pour un montant équivalent à l’aide consentie. A défaut, ce serait qualifié
d’acte anormal de gestion. En effet, l’aide financière apportée au-delà des besoins d’une
situation nette négative se traduit par un accroissement dû à une concurrence de la valeur de la
participation détenue dans la société aidée. Plus généralement, la logique de déduction reflète
l’idée qu’une entité placée dans une telle situation est bénéficiaire et n’a pas besoin d’aide. La
jurisprudence limite donc la déductibilité de l’abandon de créance financier, par contraste
avec l’abandon de créance consenti pour la préservation d’un flux commercial, qui est
entièrement déductible sous réserve d’un intérêt propre.
Les aides faites aux entreprises ne peuvent être qualifiées d’acte anormal de gestion. Une
aide à caractère financier normalement imposable est déductible à condition que l’aide ait été
octroyée en faveur d’une entreprise en difficulté. En effet, l’exclusion des aides non-
commerciales ne s’applique pas aux aides consenties dans le cadre d’une procédure de
conciliation ou celles consenties aux entreprises pour lesquelles une procédure de sauvegarde
de redressement ou de liquidation judiciaire est ouverte. En pratique, il s’agira d’une aide
consentie par une société mère à sa filiale avec laquelle elle n’entretient pas de relations
commerciales puisque si l’aide était de nature commerciale, elle serait déductible pour cette
raison. La jurisprudence admet l’aide octroyée aux entreprises en difficulté. En effet, une
opération de crédits sans contrepartie est un acte anormal de gestion « hormis le cas où deux
sociétés telle que la société mère puisse être regardée comme ayant agi dans son propre intérêt
en venant en aide à une filiale en difficulté »133. Le Conseil d’Etat exige par ailleurs que les
difficultés de la filiale soient sérieuses et même si les difficultés financières proviennent de la
société mère.
132
CE Plen.30 avril 1980, Dr Fisc 1980, n°30, comm642 ; CE n° 263183 du 10 mars 2007, Société Sept, rapp. A.
Egerszegi, concl. F. Seners publiée au recueil Lebon : dans le cas d’une aide à une sous-filiale, sauf preuve
contraire, cette aide doit être réputée augmenter la valeur de la participation détenue dans le capital de la filiale
qui contrôle la sous-filiale
133
CAA Paris, 1er fev 1994, Bull. Joly 1994, p.699
43
Dans les rapports mère-filiale, l’aide pourra toujours être justifiée en cas de difficultés de la
filiale pour des raisons financières. C’est une sorte d’ « obligation alimentaire »134 en visant à
maintenir la valeur des titres de sa participation et à exercer ses responsabilités d’actionnaire.
En outre, les difficultés financières de la filiale peuvent être de nature à porter atteinte à son
renom135. Mais pour qu’elle soit déductible, l’aide ne doit pas favoriser les dirigeants136.
Ainsi l’aide à caractère financier est déductible si elle est octroyée aux entreprises en
difficulté. Mais le régime de la déductibilité partielle des aides à caractère financier posé par
le Conseil d’Etat reste applicable dans le sens où l’aide n’est déductible qu’à hauteur de la
situation négative de l’entreprise qui en bénéficie et, pour le montant excédant cette situation
nette négative, à proportion des participations détenues par d’autres personnes que l’entreprise
qui consent les aides. Cela signifie que la fraction de l’aide correspondant à l’accroissement
de l’actif de la filiale n’est pas déductible au-delà du comblement du passif pour retrouver une
situation nette positive, à concurrence de la participation de la société mère dans le capital de
la filiale.
134
Maurice COZIAN, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, Litec, 4ème édition, 1999, p. 425
135
CE, 17 décembre 1984, n°52 3410, Rev. Sociétés 85, p. 145
136
CE, 22 avril 1985, n° 45813, Bull Joly 85, p. 647
44
Partie II- Le réalisme dans la mise en œuvre de l’acte anormal de gestion
Le droit fiscal est reconnu comme étant un droit plus objectif. Le groupe constitue une
réalité économique incontournable, mais non pas considéré comme une entité juridique
autonome, d’où il ne peut y avoir de patrimoine de groupe. Ainsi, l’administration fiscale et le
juge font abstraction de l’appartenance à un groupe, et prennent isolement chaque société.
Pour apprécier le caractère anormal de certains actes, la théorie du risque manifestement
excessif est aussi une création prétorienne basée sur l’acte anormale de gestion. Elle
sanctionne désormais une prise de décision qui peut être initialement pris dans l’intérêt de
l’entreprise, mais qui n’a pas généré les profits escomptés. Par ailleurs, cette théorie incite le
juge à s’immiscer beaucoup plus dans la gestion de la société. Récemment, la théorie du
risque manifestement excessif a été abandonnée, et désormais, l’acte anormal de gestion se
cantonne à sa source : un acte non conforme à l’intérêt social.
45
Chapitre I- L’insécurité juridique dans le critère de risque excessif
Le Conseil d’Etat juge qu’un contribuable n’est jamais tenu de tirer de ses affaires le
plus grand profit possible que les circonstances lui auraient permis de réaliser, sauf à ce que
l’administration apporte la preuve de l’inexactitude des allégations du contribuable quant aux
avantages qu’il prétendait pouvoir en retirer137. L’objectif vise à éviter que l’administration et
le juge ne s’érigent en censeurs des entreprises et ne portent des appréciations d’opportunité
sur les décisions prises par ses dirigeants. En outre, il convient de rappeler que la morale des
affaires implique que les entreprises ont vocation à réaliser des bénéfices. C’est ainsi qu’un
acte contraire à ce but pourra être sanctionné par l’administration et le juge à travers la théorie
de l’acte anormal de gestion. A l’inverse des actions civiles ou pénales qui cherchent à limiter
un appauvrissement de l’entreprise en se fondant sur l’acte anormal de gestion,
l’administration refuse la déduction des charges résultant de cet acte qui viendrait diminuer le
résultat imposable. La jurisprudence avait déduit que les seules charges déductibles sont celles
qui ont été exposées dans l’intérêt de l’exploitation138, à l’exception des charges dont la
déduction est interdite par la loi elle-même, comme les amendes pénales et les
indemnisations. Ainsi, l’acte anormal de gestion se traduit par l’acte accompli dans l’intérêt
d’un tiers par rapport à l’entreprise ou celui qui n’apporte à cette entreprise qu’un intérêt
minime hors de proportion avec l’avantage que les tiers peuvent en retirer. Même si la
jurisprudence a établi l’intérêt de l’exploitation comme critère unique de l’acte anormal de
gestion, la définition de cet intérêt laisse une appréciation du risque de l’exploitation. Si l’acte
en question présente un risque excessif pour l’entreprise, cet acte n’était pas déductible pour
l’administration. En effet, les risques excessifs pris par les entreprises consistent à sanctionner
les entreprises. La théorie du risque excessif a été reconnue comme branche de l’acte anormal
de gestion (Section I). Cette solution sur le critère de l’acte anormal de gestion fait
essentiellement l’objet de commentaires pour devenir un sujet polémique contesté par la
doctrine, comme portant atteinte aux principes de la liberté de gestion et de non-immixtion.
Finalement, cette théorie de risque excessif a été finalement abandonnée par le juge (Section
II)
137
CE 7 juillet 1958, n°35977, Dr fisc, n°44, comm. 938
138
CE 14 avril 1976, n°92147, Dr fisc 42 /76, comm. 479, concl. D. Fabre
46
Section I : Le risque excessif, critère de l’appréciation de la contrepartie
139
Julie BURGUBURU, « Acte anormal de gestion : le juge prend-il trop de risques ? » RJF 4/07, p. 331
140
B. PLAGNET, « La non-immixtion de l’administration fiscale dans la gestion des entreprises », Bull. Fisc.
11/99, p. 687
141
CE 17 octobre 1990, n°83310, Loiseau, RJF 11/90, n°1317
142
Nicolas LABRUNE, « Retour à la normale de l’acte anormal de gestion : l’abandon du risque manifestement
excessif », RJF 11/16, p.1245
47
Paragraphe 1 : Appréciation objective
L’acte anormal de gestion consiste en définitive à déterminer sur le plan budgétaire qui de
l’entreprise ou de la collectivité des contribuables, doit supporter les conséquences d’une prise
de risque : ceux qui sont en charge de la gestion de l’entreprise, des entrepreneurs individuels
ou des dirigeants sociaux143. Ainsi certains auteurs prônent la théorie du risque comme
branche de l’acte anormal de gestion. La jurisprudence avait réservé l’application de la théorie
du risque manifestement excessif aux seuls cas des entreprises qui effectuent des placements
financiers ou participent à des montages financiers hasardeux ou en cas d’opérations intra-
groupe où le risque pris par la société est si excessif qu’il aboutit quasiment à supprimer toute
contrepartie pour cette dernière.
143
Florence DEBOISSY, « Prise de risque excessive et acte anormal de gestion », Dr fisc 2015, n°23 comm.
386, p. 82
144
CE 3ème et 8ème sous-section, 30 mai 2007, n°285575, SA Peronnet 1 ère espèce et n°285573, SARL Peronnet,
Dr fisc 2007, n°46, comm. 958
145
CE 8ème et 3ème sous-section, n°313868, 22 janvier 2010, Société d’acquisition immobilière, Dr Fisc 2010,
comm 230 ; Bull Joly Sociétés 2010, paragraphe 121, p. 584
48
d’une gestion commerciale normale mesurée dès lors que cette avance, même assortie du
versement d’intérêts, est d’un montant manifestement hors de proportion avec la solvabilité
du bénéficiaire. Cette solution mérite une pleine approbation. En effet, une avance, dont il est
quasiment certain qu’elle ne pourra être remboursée, fait courir à son auteur un risque
excessif, ce qui n’est pas le signe d’une gestion normale.
Les relations entre société mère et société filiale ne constituent pas en général un acte
anormal de gestion qui se constate ainsi au sein du groupe de société dans les relations entre
sociétés sœurs et dans les relations mère-fille, dans le sens filiale à la société mère. Mais selon
la décision Société Fraslen Holding du 11 juin 2014146, le Conseil d’Etat a étendu la théorie
du risque manifestement excessif aux relations entre sociétés mères et filiales bien que telles
relations soient privilégiées et puissent difficilement être qualifiées d’actes anormaux de
gestion. En l’espèce, la société Fraslen Holding (ex Fraslen Horlogerie) avait consentie entre
1997 et 2001 des avances en compte courant assorties d’intérêts à sa filiale, la société Timelex
France, distributrice en France des montres de la marque du même nom,et dont elle détenait
99,99% du capital. A la suite de la dissolution anticipée sans liquidation de la société Timelex
France prononcée le 26 novembre 2011, la société Fraslen Holding a déduit son bénéfice
imposable une perte exceptionnelle d’un montant équivalent à la créance en compte courant
qu’elle détenait sur la société Timelex France. L’administration fiscale remis en cause cette
déduction au motif qu’en consentant ces avances, la société Fraslen Horlogerie n’avait pas agi
dans le cadre d’une gestion commerciale normale.
146
CE, 3ème et 8ème sous-section, n°363 168, 11 juin 2014, Société Fraslen Holding, Dr Fisc 2014, n°5, comm
115
147
CAA Nancy, 2ème ch., 5 février 2009, n°07NC00888, Sté Fraslen Holding ; FR 35/14, n°3
49
de l’acte anormal de gestion. Elle a révélé d’une part que des relations commerciales entre la
société Fraslen Holding et sa filiale Timelex France étaient réduites et d’autre part, que la
préservation du renom de la société Fraslen Holding ne pouvait être avancée pour justifier les
aides consenties, dès lors que la clientèle de cette société se composait exclusivement de
sociétés de groupe. Ainsi, elle a déduit que les aides consenties par la société Fraslen Holding
à sa filiale étaient anormales, dès lors que l’intérêt retiré par cette société était minime et hors
proportion avec l’avantage que la filiale bénéficiaire pourrait en retirer.
Afin d’apprécier le caractère excessif d’un risque pris par l’entreprise, il faudrait que
celui-ci soit réellement excessif et non pas simplement élevé. Il faudrait donc par exemple
prendre en compte les capacités de l’entreprise à mobiliser les fonds placés, afin que
l’équilibre financier de la société versante ne soit pas remis en cause par l’opération. Il
faudrait également étudier l’objectif de l’aide accordée et notamment sa juste rémunération.
Enfin, il faudrait s’intéresser à la situation de l’entreprise bénéficiaire suite au versement de
l’aide dans des conditions normales. En d’autres termes, il ne fallait pas se contenter d’étudier
a postériori une situation largement dégradée qui ne pouvait pas être anticipé au moment de
l’aide.
L’acte anormal de gestion dont les charges ne sont pas admises en déduction est l’acte
accompli dans l’intérêt d’un tiers par rapport à l’entreprise ou qui n’apporte à cette entreprise
qu’un intérêt minime hors de proportion avec l’avantage que le tiers peut en retirer148.
L’intérêt de l’entreprise est utilisé pour apprécier l’existence d’un acte anormal de gestion de
148
CE 10 juillet 1992, n°11213, Sté Musel SBP, op. cit.
50
manière objective. Toutefois, afin d’apprécier le risque, la jurisprudence est nécessairement
soumise à une part d’appréciation subjective.
La décision de gestion demeure un choix régulièrement effectué par les dirigeants d’une
entreprise dans le respect des dispositions comptables et fiscales. L’acte anormal de gestion et
l’erreur constituent des actes de gestion qui conduisent à l’appauvrissement de l’entreprise.
Cet acte résulte d’un choix visant à privilégier des intérêts autres que ceux de l’entreprise.
L’erreur de gestion peut être involontaire et commise de bonne foi. L'erreur correspond à une
écriture comptable erronée, effectuée de manière involontaire ce qui l'exclut d'emblée de la
catégorie des décisions qui sont nécessairement volontaires.149 Elle peut être une erreur de
fait c’est-à-dire que l’entreprise a fait abstraction à une opération matérielle ; ou bien une
erreur de droit, c’est-à-dire que l’entreprise a mal interprété la loi fiscale et cela a une
incidence sur une écriture comptable. Ainsi, la décision de gestion peut avoir un caractère
irrégulier lorsqu’elle est volontairement effectuée dans le but de se soustraire à l’impôt. La
jurisprudence administration distingue de ce fait les décisions de gestion irrégulières qui
résultent d’une défaillance involontaire comme l’oubli de comptabilisation d’une charge ou
d’une recette.
A- L’importance de la participation
Ainsi, dans une décision Société Legeps, le Conseil d’Etat a étendu la théorie du risque
manifestement excessif aux placements financiers152. Le Conseil d’Etat reconnaît l’existence
d’une disproportion entre le montant de ce placement comme faisant courir un risque
manifestement exagéré. En outre, le juge indique que, pour caractériser un risque
manifestement excessif, doivent être prises en compte les informations dont dispose le
dirigeant à la date de sa décision, les circonstances dans lesquelles celles-ci interviennent et la
149
Olivier FOUQUET et al., Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Fiscale, DALLOZ, 2003, 4ème éd., p. 569
150
CE, 7ème et 9ème sous-section, 26 juillet 1985, n°42920, Dr. fisc. 6/86, comm. 182, concl. Fouquet
151
CE, 8ème et 9ème sous-section, 1er février 1984, n°36508, Dr. fisc. 44/84, comm. 1906, concl. Ph. Bissara
152
CE, 8è et 3è sous-section, 27 avril 2011, n°327764, Société Legeps, Dr. fisc 2011, n°25, comm 399, concl. L.
Olléon
51
situation économique générale. En effet, cette recherche d’équilibre préconise à ne pas
considérer comme un acte anormal de gestion une décision des dirigeants prise initialement
dans l’intérêt d’une entreprise du seul fait que l’opération n’a pas généré les profits
escomptés. De ce point de vue, le fait d’avoir pris la décision qui n’a pas généré les profits
recherchés est assimilé à une imprudence de la part des dirigeants. Toutefois, la participation
passive ou active du dirigeant suffit à qualifier le détournement de libéralité constitutive d’un
acte anormal de gestion153. Par cet arrêt, la notion de risque n’a pas été reprise directement.
C’est la « carence manifeste » des dirigeants qui devait être sanctionnée, cela signifie qu’elle
ne devrait pas être assimilée à une mauvaise gestion mais bien à une absence totale de gestion
par les dirigeants qui constitue en un comportement délibéré contraire à l’intérêt de
l’entreprise constitutif d’acte anormal de gestion. C’est l’élément intentionnel qui distingue
l’acte anormal de gestion de l’erreur de gestion, ce qui ne semble pas être prise en compte par
la jurisprudence.
153
Jean COURTIAL, conclusion sous CE 14 février 2001, SA MAEC, RJF 5/01,n°592
154
CE 5 octobre 2007, n°291049, Société Alcatel CIT, RJF 12/07 n°1381
155
CE 27 juillet 1988, n°54510, SA Matériel Terrassement France, RJF 10/88, n°1070, concl O. Fouquet
52
salarié, le détournement est qualifié de charge déductible à moins que les dirigeants y aient
pris part.
53
la part de subjectivité de contrôle. On pourrait être tenté de voir dans la référence aux usages
un critère souple et réaliste de la gestion normale. Mais ce serait condamner les entreprises à
faire la même chose que leurs concurrents, et à les cantonner dans une gestion « à la papa »159.
La référence aux usages semble ainsi admise dans le cas particulier des relations entre
sociétés d’un même groupe. Ainsi, dans une affaire où une société qui a consenti à sa filiale
divers avantages se prévaut de l’intérêt du groupe pris dans son ensemble, le Conseil d’Etat
avait jugé que la société a poursuivi des fins étrangères à son intérêt propre en consentant des
avantages « qui ne sont pas conformes aux usages commerciaux ».160 Mais cette approche ne
limite pas l’immixtion dans la gestion de l’entreprise. D’autres auteurs161 proposent de
remplacer l’intérêt de l’exploitation par l’analyse de la cause ou de l’objet de l’acte.
Mais le Conseil d’Etat est venu rectifier sa position par la décision SA Monte Paschi
Banque du 13 juillet 2016162 en sanctionnant l’abandon de la jurisprudence Loiseau. Par cet
arrêt, la théorie du risque manifestement excessif a été abandonnée par la jurisprudence. C’est
ainsi qu’affirme le Conseil d’Etat que « c’est au regard du seul intérêt propre de l’entreprise
que l’administration doit apprécier, pour déterminer le caractère déductible d’une charge, si
des opérations correspondent à des actes relevant d’une gestion commerciale normale et qu’il
n’appartient pas à l’administration , dans ce cadre, de se prononcer sur l’opportunité des choix
de gestion opérés par l’entreprise et notamment pas sur l’ampleur des risques qu’elle a pris
pour améliorer ses résultats.» Le juge rappelle le principe de non-immixtion qui s’impose à
d’administration ayant un rôle de vérificateur et que l’anormalité d’un acte de gestion se
caractérise uniquement en fonction de l’intérêt de l’entreprise. Ce retour à l’origine de l’acte
de gestion s’appuie sur le fait d’une part que l’entreprise ne peut échapper à la prise de risque
et en conséquence seules les décisions fautives peuvent constituer un acte anormal de gestion
(A) ; et d’autre part que le droit fiscal est particulier car c’est un droit réaliste (B).
159
Jérôme TUROT, « L’entrepreneur, le risque et le fisc. La notion d’acte qui, sans être étranger à l’intérêt de
l’entreprise lui fait courir un risque excessif », RJF 11/90, p. 735
160
CE 12 juillet 1978, n° 2138 et 2769, RJF 10/78 n°401
161
Patrick SERLOOTEN, « Liberté de gestion et droit fiscal : la réalité et le renouvellement de l’encadrement
de la liberté » Dr. fisc. 12/07 n°301
162
CE, section 13 juillet 2016, n°375801, SA Monte Paschi Banque, Dr fisc 2016, n°36, comm. 464. L’abandon
de la jurisprudence Loiseau apparaît nettement par la formulation de la décision : « En statuant ainsi, alors qu’il
lui appartenait seulement de rechercher si les décisions en cause étaient conformes à l’intérêt de l’entreprise, sans
qu’il y ait lieu de s’interroger sur l’ampleur des risques pris, la cour a commis une erreur de droit »
54
A- Le risque inhérent dans la vie de l’entreprise
Selon l’adage « qui ne tente rien n’a rien », le risque fait partie de la vie économique. La
prise de risque est inhérente à la volonté de réaliser des profits. En effet, la société a pour
vocation la recherche de profits. Dans la recherche constante d’une optimisation fiscale, les
entreprises peuvent être amenées à commettre des actes de gestion excessifs. Sanctionner, un
tel risque à travers l’acte anormal de gestion implique une immixtion dans la gestion de
l’entreprise. En effet, le contrôle d’un tel risque ne porte pas sur la légalité de l’acte anormal
de gestion mais porte sur l’opportunité de l’acte puisqu’il s’agit d’une remise en cause d’un
excès d’optimisme ou d’une insuffisance de prudence à l’issue d’une opération risquée mais
réalisée dans le but d’améliorer des résultats de l’entreprise. C’est ainsi qu’affirme Olivier
Fouquet : « il n'y a pas de gestion anormale dès lors que le risque encouru serait seulement
important, le risque est inhérent à la vie de l'entreprise, mais lorsque le risque devient
tellement important qu'il excède manifestement celui qu'un chef d'entreprise peut être conduit
à prendre, il devient étranger à l'intérêt même de l'entreprise. »163
163
Olivier FOUQUET, conclusion sous CE 17 octobre 1990 n° 83310, 7ème et 8ème sous-section, Loiseau, op. cit.
55
L’appréciation du risque doit se faire à l’aune de son résultat et non au moment où il est pris.
En effet, l’aide entre sociétés de même groupe peu avoir comme résultat à sauvegarder la
clientèle ou le renom du groupe ce qui est difficilement appréciable au moment où il est pris.
C’est ainsi que Maurice Cozian affirme que l’administration fiscale n’a pas vocation à devenir
« l’assureur tous risques des négligences et des insouciances des contribuables » et qu’elle «
ne saurait admettre sans réagir que par une gestion fantaisiste, les dirigeants laissent
s’évanouir la matière imposable de l’entreprise ».164
La réalité du monde des affaires peut conduire les dirigeants à utiliser des méthodes
interdites par la loi, non à des fins personnelles mais pour l’intérêt de leur société. Ce risque
est à la fois illicite et bénéfique pour la société. Mais il est à remarquer qu’il y a une
divergence de point de vue sur l’appréciation du caractère anormal du risque par la
jurisprudence. Le droit commun est qu’une entreprise n’est imposée que sur ses bénéfices et
164
Maurice COZIAN, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, Litec, 4e éd., 1999, p. 82 et suiv.
165
CE, 7ème et 8ème sous-section 7 octobre 1988, n° 42924, Dr. fisc. 89 n° 8 comm.325, RJF 12/88 n° 1361
166
Nicolas LABRUNE, « Retour à la normale de l’acte anormal de gestion : l’abandon du risque manifestement
excessif », op. cit.
56
lorsqu’une entreprise a subi une perte à la suite d’une opération risquée, cette perte a bel et
bien grevé son résultat.167 Dans la prise en compte du risque excessif comme branche de
l’acte anormal de gestion, le droit fiscal est réputé un droit qui n’est pas toujours réaliste. « Le
droit fiscal, contrairement à sa réputation, n'est pas objectif ou froidement réaliste : les
éléments subjectifs y ont leur place, les considérations économiques ne sont pas étrangères à
l'esprit du juge et de l'administration fiscale. »168
Le Conseil d’Etat juge régulièrement et fermement que les actes illicites ne constituent pas
intrinsèquement d’actes anormaux de gestion dès lors qu’ils ont été commis dans l’intérêt de
l’exploitation. Le juge a basé sa décision en s’alignant avec le juge judiciaire, mais cette
position a été par la suite abandonnée.
1- Un moralisme controversé
Cette position de la jurisprudence a été fortement critiquée par la doctrine. C’est ainsi
que Maurice COZIAN affirme : « Toute cette jurisprudence, d’inspiration moralisatrice est
très critiquable ; si une dépense ou une perte est subie dans le cadre de la gestion d’une
entreprise, il faut en admettre la déduction, à moins qu’un texte ne l’interdise de façon
expresse. »170 En effet, pour cette doctrine, la protection de l’intérêt de l’entreprise devrait
l’emporter quels que soient les moyens utilisés pour arriver à cette fin. En outre, le
commissaire du gouvernement Leger ajoute dans ses conclusions que « cette conception, qui
167
Nicolas LABRUNE, « Retour à la normale de l’acte anormal de gestion : l’abandon du risque manifestement
excessif », op. cit.
168
Julie BURGUBURU, « Le juge prend-il trop de risque ? », op.cit.
169
CE, 7ème et 9ème sous-section, 10 décembre 1969, n°73973, Dr. fisc. 1970, n°50, comm. 1429
170
Maurice COZIAN, « Illicéité et normalité », Dr. Fisc. 1995, n° 51, p. 1837
57
fait de toute illicéité un acte de gestion anormale et qui doit être celle du juge pénal comme
elle l’est du confesseur, doit-elle être celle du juge fiscal ? Nous ne le pensons pas. »171
Par cette décision, la prise en compte du risque ne paraît pas exclue de la qualification
d’acte anormal de gestion. En effet, le Conseil d’Etat a essentiellement voulu souligner d’une
part, que toute illicéité n’est pas contraire à l’intérêt de l’exploitation, et d’autre part qu’elle
n’est pas plus constitutive en elle-même d’un risque manifestement excessif. D’où la Cour est
censurée pour s’être fondée sur le seul motif d’un risque excessif. La position de la
jurisprudence semble être claire : tout acte illicite n’est pas constitutif d’acte anormal de
gestion s’il a été fait dans l’intérêt de l’entreprise. En suivant cette position, le fait de prendre
le risque dans l’intérêt de l’entreprise fait écarter la notion d’intérêt du groupe. En effet, l’aide
d’une société mère à une filiale, n’est pas constitutive d’acte anormal de gestion, mais, par
171
LEGER conclusion sous CE 11 juillet 1983, n°33942, Dr. Fisc. 1984, n° 16, comm. 813
172
CE 7 janvier 2000, n°186108, Philippe, RJF 2/00 n°162
58
contre, l’aide d’une société à une société sœur dans le groupe constitue un acte anormal de
gestion. Comme le groupe n’a pas de personnalité juridique, le fait d’apprécier la prise de
risque excessif au niveau des sociétés, pris individuellement au regard de son intérêt social,
fait du droit fiscal un droit réaliste en protégeant l’intérêt économique de la société.
La spécificité du droit fiscal, du fait de son réalisme, est parfois critiquée par certains
auteurs, d'être des concepts vides, n'ayant jamais été sérieusement démontrés et ne servant que
de conclusions à des auteurs peu inspirés.173
Ce mouvement, parti d’un constat fait aux États-Unis et en Angleterre, sur l’inefficacité du
conseil d’administration et la trop grande liberté des dirigeants, a proposé de recentrer
l’intérêt de la société sur un équilibre des forces en présence : propriété du capital d’un côté et
dirigeants de l’autre. L’introduction des dirigeants indépendants susceptibles d’assurer la
séparation de la gestion et du contrôle met un terme alors à une tendance naturelle vers
l’affranchissement du contrôle des actionnaires afin d’éviter une gestion de l’entreprise
tournée vers l’investissement et la croissance dans l’intérêt propre des dirigeants de
l’entreprise au détriment des propriétaires du capital. Ainsi, il s’agit d’un rééquilibrage de
pouvoir afin de mettre à terme au débat concernant l’intérêt social (A) par la combinaison
d’intérêts au sein de la société (B).
173
Maurice COZIAN, Précis de fiscalité des entreprises, Litec, 4ème édition, Paris, 1999, p. 3
174
Dominique LEGEAIS, Droit commercial et des affaires, Sirey, 18ème édition, Paris, 2009, p 228
59
larges pouvoirs aux actionnaires pour faire sanctionner des atteintes à l’intérêt social. Ainsi,
elle redonne de l’importance aux assemblées d’actionnaires. Les actionnaires souhaitent
connaître l’opinion des administrateurs sur les opérations financières concernant la société et
qu’en outre ils sont informés sur ces opérations. Le besoin de rééquilibre de pouvoir s’est fait
sentir dans les pays anglo-saxons à la suite du scandale « ENRON » qui a mis en scène un
conseil d’administration ayant abusé de son indépendance. Ce scandale est dû à une
multiplication des conflits d’intérêts entre les administrateurs et la société175. Les scandales
financiers ont eu pour conséquence de réinstaurer la confiance entre actionnaires et dirigeants
sociaux. La « Corporate govenance » promouvait la transparence au sein de la société et
octroie de nouvelles prérogatives aux actionnaires qui sont chargés de seconder les décisions
des dirigeants et non plus les contrôler. Elle renforce les contrôles sur les conventions passées
entre la société et ses dirigeants ou actionnaires.
La nécessité d’une définition de l’intérêt social se fait sentir en droit fiscal. Le rapport
Vienot I176 définit l’intérêt social comme l'intérêt supérieur de la personne morale elle-même,
c'est-à-dire de l'entreprise considérée comme un agent économique autonome, poursuivant des
fins propres. Le rapport Marini177 quant à lui privilégie l’approche institutionnelle dans
laquelle la société est porteuse d’intérêt social distinct de celui des associés. La Corporate
governance consiste donc en une combinaison d’intérêts en ce sens que l’intérêt des
actionnaires est le même que celui de la société. Elle privilégie la régulation interne de la
société et par conséquent écarte l’intervention d’un tiers dans les affaires sociales puisque les
actionnaires interviennent dans l’organe décisionnaire de la société. Autrement dit, elle
semble promouvoir le principe de la liberté de gestion et de non-immixtion. De ce fait, une
décision caractérisée comme un risque excessif est issue de la volonté des associés pour
l’accomplissement de l’objectif commun. Et apprécier comme risque excessif une décision
175
D. MILLET et B. RICHARD, La dynamique du gouvernement d’entreprise, , édition D’organisations 2003,
p.3
176
Rapport Vienot I, Documentation française, 1995, p. 5
177
Rapport Marini, Documentation française, 1996, p. 13
60
prise par l’assemblée des actionnaires et des dirigeants limiterait leurs vocations, et par
conséquent cela consisterait à définir l’intérêt de l’entreprise par un tiers à l’entreprise. Ce qui
présente en effet une incohérence. Ce qui permet de dire que les décisions issues de
la Corporate governance seraient des décisions prises dans l’intérêt de la société puisque les
actionnaires y ont pris part. Ainsi la régulation interne de la société permet donc à définir son
intérêt par rapport aux intérêts des actionnaires afin d’assouplir sa gestion. Mais cette
définition reviendrait à ignorer les autres acteurs qui s’impliquent dans la vie de l’entreprise.
Et une telle définition de l’intérêt social aboutirait probablement à un agissement des
actionnaires contrairement à l’intérêt du Trésor public.
Comme tout groupement, une société fonctionne sur la base de l’impulsion de la majorité.
Ce principe majoritaire n’est pas nécessairement numérique mais peut être capitale. Chaque
associé a le droit de participer aux décisions et dispose d’un nombre de voix égal à celui des
parts sociales qu’il possède. La majorité doit réunir une double condition pour agir, d’une
part, elle doit réunir les conditions de majorité légale au regard de la nature des décisions à
prendre, et d’autre part, elle ne doit pas abuser de son pouvoir de décision qui se définit par
l’atteinte à l’intérêt social. Ainsi toute décision adoptée par la majorité conforme aux
exigences suscitées engage légitimement le patrimoine social. Les dommages y afférents
constituent des risques légitimes s’inscrivant dans les conditions normales de la vie sociétaire.
Au grand souhait des associés, ce serait parfait si les dirigeants sociaux chargés de la
gestion réussissaient à tous les coups, sans échec. Mais l’obligation qui pèse sur le gérant de
la société n’est qu’une obligation de moyen. Cela implique pour les responsables une
obligation de diligence, au même titre que celle qui incombe au mandataire salarié. C’est ainsi
que si la société subit des pertes ou qu’elle tombe en faillite, les dirigeants sociaux ne devront
en principe être tenus d’aucune responsabilité. D’ailleurs les textes prévoient que dans les
rapports entre associés et en l’absence de la détermination de ses pouvoirs par les statuts, le
gérant peut faire tous les actes de gestion dans l’intérêt de la société. 178 Toutefois, l’abus
correspond à un comportement fautif perpétré à l’occasion du pouvoir de décision. L’abus de
majorité est constitué par une décision prise en contradiction avec l’intérêt général de la
société et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la
178
Art. 292 de la loi n° 2003-036 du 24 janvier 2004 sur les sociétés commerciales
61
minorité.179 Ainsi, il doit être fait délibérément ou volontairement. Il faut que l’auteur ait
conscience de la nature et de la portée de l’acte, c’est-à-dire qu’il recourt à la notion de
mauvaise foi. En outre, il faut que cet abusl soit pris à l’encontre de l’intérêt de la société.
Selon Viandier et Cozian, « l’abus n’est caractérisé qu’en cas de détournement de fonction, si
la décision ne s’explique que par un intérêt égoïste contraire à l’intérêt social, elle aboutit à
sacrifier les intérêts légitimes des autres associés.180
Ainsi, les éléments constitutifs de l’abus sont l’intention délibérée et l’atteinte à l’intérêt
social. C’est qu’il convient de rappeler la définition de l’acte anormal de gestion. En effet,
l’acte anormal de gestion est un acte pris délibérément à l’encontre de l’intérêt social. Les
éléments constitutifs sont les mêmes mais le droit des sociétés sanctionne l’auteur de l’acte
tandis que le droit fiscal procède à une régularisation des comptes. Le droit pénal et
commercial sanctionne l’auteur de l’acte par l’engagement de leur responsabilité.
179
Com. 18 avril 1961, JCP 1961, II, 12164
180
Maurice COZIAN et Alain VIANDIER, Droit des sociétés, Litec, 23ème édition, Paris, 2011, p.143
62
Chapitre II- La prise en compte de la réalité du groupe
63
Paragraphe 1- La neutralisation des flux intra-groupe
L’objectif de l’intégration fiscale vise à procéder à la consolidation des résultats des sociétés
liées. Le périmètre de l’intégration fiscale n’est pas limité numériquement : un groupe intégré
ne peut être ainsi formé simplement entre deux sociétés, une société mère et une filiale
membre du groupe, mais peut également concerner des centaines de sociétés. Ce qui donne
une certaine souplesse à ce régime et permet de le faire évoluer selon le besoin des
contribuables. Ainsi les sociétés peuvent mettre en place une convention de la charge fiscale,
dont la mise en place doit respecter l’intérêt propre de chaque entité membre d’un périmètre
d’intégration, afin de préserver un certain équilibre dans la répartition des charges. Cette
limite implique que la convention peut procéder à une répartition des charges d’imposition, en
prenant en compte les résultats propres des différentes entités du groupe. Par la suite, la
répartition prévue ne va pas à l’encontre de l’intérêt propre de chacune des entités du groupe,
ni aux droits des actionnaires minoritaires, tout en ne constituant pas un acte anormal de
gestion. Cette possibilité de reconnaissance d’un intérêt du groupe a donc permis la neutralité
des opérations intra-groupe en basant le caractère normal de la décision de gestion sur les
contraintes économiques et juridiques qui pèsent sur des entreprises membres d’un réseau181.
L’aide anormale ne produit plus aucun effet dans le régime d’intégration fiscale. Le
résultat d’ensemble du groupe fait l’objet d’un certain nombre d’ajustements destinés
principalement à éviter des doubles impositions de produits et surtout des doubles déductions
de charges. L’intégration fiscale prévoit que les abandons de créances ou les subventions ne
sont pas prises en compte pour la détermination du résultat d’ensemble. La neutralisation
permet de ne pas rompre l’équilibre existant entre la déduction de la subvention opérée chez
la société qui l’a consentie et son imposition chez l’entité qui en bénéficie. C’est le cas par
exemple pour une cession d’immobilisation consentie à prix inférieur à sa valeur vénale182.
Elle prévoit la neutralisation de provisions pour créances douteuses intra-groupes ou pour
dépréciation d’élément d’actifs, des plus ou moins-values de cession d’immobilisation. Ainsi
une distinction s’impose entre, d’une part, les aides normales déductibles qui donneront lieu à
une double correction sous la forme de réintégration de l’aide dans les charges de la société
qui a consenti l’aide et d’une déduction des sommes comprises dans les profits de la société
aidée ; et d’autre part, les aides anormales qui ne pourront pas être déduites.
181
CE, 8ème et 3ème sous-section, 26 septembre 2001, op. cit., concl. G.Bachelier
182
CE, 3ème et 8ème sous-section, 10 novembre 2010, n° 309148, Dr. fisc. 2010, n° 51, comm. 605
64
B- Présomption de non-déductibilité des subventions issues de trésorerie
Un abandon de créance ou une subvention directe ou indirecte qui serait consenti entre
deux sociétés de groupe, n’est pas pris en compte dans la détermination du résultat
d’ensemble. Cette neutralisation vise à corriger la dysmétrie qui apparaîtrait si la société qui
accorde l’avantage n’a pas le droit à la déduction fiscale correspondante. Dans le cadre des
groupes, les avantages accordés prennent la forme de subventions indirectes qui ne doivent
être prises en compte dans le résultat d’ensemble. Les subventions indirectes portent sur des
opérations qui confèrent des avantages à des sociétés du groupe sous autre forme que des
versements de fonds sans contrepartie. Sont ainsi visés les cessions d’actifs intra-groupe à
prix différent de leur valeur vénale, les livraisons de biens à un prix inférieur à leur prix de
revient, des prêts consentis sans intérêt ou à des taux inférieur à la normale. Les subventions
indirectes, les cessions de biens ou services à des sociétés intégrées pour un prix situé entre le
prix de revient et la valeur vénale constituent des opérations normales dans le groupe intégré
et ne doivent pas être considérées comme des actes anormaux de gestion.
183
CE 9ème et 10èmé sous-section, 15 avril 2015, Sté Agapes, Dr. fisc. 2015, n°24, comm. 407
65
Par conséquent, l’aide s’imputera sur le déficit dont dispose une filiale avant son entrée dans
le périmètre et la société qui aura accordé l’aide pourra la déduire à son tour de son propre
résultat. Par contre, si la filiale à intégrer ne dispose pas de déficits antérieurs, l’intégration
immédiate est une solution puisque l’aide qui n’est pas déductible chez la mère ne sera pas
imposée chez la filiale. Autrement dit, ce régime est un mécanisme utilisé pour permettre une
optimisation fiscale.
Lorsqu’une société fait l’objet d’un contrôle fiscal et qu’il lui est reproché un avantage
octroyé en faveur d’une autre société du groupe, le résultat de chacune des deux sociétés sera
rectifié en réintégrant l’avantage anormal chez la société créancière de l’aide et en imposant le
revenu réputé distribué chez la société bénéficiaire. Ces retraitements sont obligatoires même
si l’avantage n’a aucune incidence sur le résultat d’ensemble, c’est-à-dire qu’il y a eu deux
écritures de même montant dans l’actif de l’une et dans le passif de l’autre. La consolidation
comptable permet de traiter plusieurs entités juridiquement distinctes comme n’en formant
qu’une seule. Cela signifie qu’on est en présence de comptabilité de groupe mais le résultat
d’ensemble est obtenu en retraitant la somme des résultats individuels. D’ailleurs, les groupes
de sociétés ont une obligation de tenir des comptes consolidés dès lors qu’une société en
contrôle une autre184 faute de quoi, des sanctions pénales sont exposées à leurs dirigeants185.
Dans l’intégration fiscale, la multiplicité des comptabilités entraîne des contrôles fiscaux
multiples puisqu’il n’y a pas de contrôle fiscal du groupe mais une combinaison de contrôle.
L’administration qui contrôle les comptes individuels d’une société membre d’un groupe
intégré doit indiquer à la société les conséquences de la vérification si elle n’était pas membre
du groupe.
184
Art. L.233-16 du Code de commerce
185
Art. L.247-1 du Code de commerce
66
Section 2 : L’acte anormal de gestion face aux groupes multinationaux
Les règles de l’intégration fiscale qui permettent la neutralité des aides entre
entreprises du même groupe n’ont pas vocation à s’appliquer dans le cadre de la gestion des
aides transfrontalières puisque le régime de l’intégration fiscale n’est réservé qu’aux sociétés
soumises à l’impôt sur le revenu des sociétés sur un territoire (Paragraphe 1). Les aides
consenties sur un territoire national consistent, dans la plupart des cas, en des aides à caractère
commercial. Les aides transfrontalières, quant à elles, permettent aux entreprises la
localisation de leurs bénéfices et leurs pertes selon les convenances fiscales. Ainsi, la théorie
de l’acte anormal de gestion constitue une arme pour lutter contre les transferts de bénéfices
(Paragraphe 2).
La gestion des aides transfrontalières soulève des enjeux importants en raison du principe de
territorialité de l’impôt. L’impôt sur le revenu est caractérisé par le principe de territorialité.
Mais ce principe semble inadapté aux groupes de sociétés exerçant une activité internationale.
Ainsi, des atténuations au principe ont été prévues.
Les bénéfices passibles d’être imposés sont ceux réalisés dans les entreprises exploitées
dans un territoire donné186. Si ce principe permet aux revenus des entreprises exploitées à
l’extérieur d’un territoire exempté de la fiscalité du territoire en question, il ne permet pas aux
sociétés nationales d’imputer sur ses résultats les pertes subies par une exploitation étrangère.
Ce principe n’est pas employé de manière unanime par les Etats parce que la majorité des
pays développés, dont les Etats-Unis par exemple, ont choisi le principe de la mondialité de
l’impôt187. Le principe de territorialité impose aux entreprises de distinguer les résultats
affectés aux activités nationales, de ceux d’ Etat étranger. Chaque bénéfice est ainsi soumis à
une imposition différente selon les pays où l’activité est réalisée.
67
ou un bureau de vente. Ensuite, la jurisprudence vérifie l’existence d’un représentant
autonome. Un préposé ou un collaborateur commercial ne peuvent être considérés comme
étant un représentant autonome dans un territoire étranger. Enfin, le cycle commercial doit
être effectué à l’étranger, c’est-à-dire que les opérations commerciales sont exécutées hors
territoire. Il faut néanmoins que l’activité soit détachable de celle exercée par la société
nationale. C’est ainsi que le juge fiscal a refusé de considérer comme étant des résultats
relevant d’une exploitation étrangère, les profits réalisés dans le cadre d’achat de vin en
Algérie pour les revendre en Afrique, car les décisions relatives à l’activité étaient prises par
le siège social français.188
L’application de ce principe est critiquée par la doctrine. D’une part, elle risque de
permettre une double imposition des bénéfices distribués. Le résultat généré par la filiale
étrangère sera soumis à la fiscalité de l’Etat d’exploitation, les dividendes distribués seront
encore imposés au niveau de la société mère nationale. Mais il existe un mécanisme
d’exonération des dividendes distribués dans le cadre du régime des sociétés mères filles s’il y
a une détention d’une participation d’au moins 5% sur la filiale étrangère. D’autre part, le
principe de territorialité implique une impossibilité de compenser des pertes subies à
l’étranger. Ainsi, ce principe pénalise les sociétés s’il ne permet pas la prise en compte des
difficultés de la filiale étrangère, et les aides consenties par la société mère pour aider sa
filiale située à l’étranger ne seraient pas déductibles.
188
CE 14 mars 1979, RJF 5/1979, n°284
189
CE, 9ème et 7ème sous-section, 14 mars 1984, n°33188, publié au recueil Lebon
68
au principe de territorialité. La déductibilité de l’aide à caractère commercial ne porte pas
atteinte au principe de la territorialité de l’impôt. Elle doit être seulement consentie dans
l’intérêt propre de la société mère.
Lorsqu’une société vient en aide à une autre société de même groupe, c’est parce que cette
dernière est supposée connaître des difficultés économiques. Des mécanismes fiscaux
permettent la prise de sincérité de la comptabilité.
La dépréciation des titres de participation, qui est fondée sur le principe de sincérité de
la comptabilité permet à la société mère de prendre en compte la valeur économique réelle de
sa participation au capital de la filiale étrangère. Le régime de dépréciation peut aussi
s’appliquer sur les créances détenues sur la filiale étrangère. Concernant l’abandon de
créances, la société mère peut inscrire des dépréciations de ses créances dans ses comptes. Or,
l’opposabilité de l’inscription d’une dépréciation de créance au fisc est source de contentieux
car l’entreprise doit veiller à la réalité de l’insolvabilité de son débiteur. Il est alors nécessaire
de distinguer la créance douteuse, incertaine, litigieuse et irrécouvrable190. Seule la créance
douteuse peut faire l’objet d’une dépréciation. Le doute repose sur les chances de recouvrir la
créance. A l’inverse, une créance est incertaine parce qu’elle n’est pas sûre dans son montant
et ne peut faire l’objet d’une inscription dans la comptabilité de l’entreprise créancière. Une
créance litigieuse peut faire l’objet d’une provision et non d’une dépréciation. Le caractère
certain de la créance litigieuse doit être pris en compte. La créance doit être inscrite en
comptabilité et pareillement doit faire l’objet d’une provision. Enfin, la créance est
irrécouvrable lorsqu’il n’y a aucune chance de la recouvrir. Elle est assimilée à une perte.
2- La détention de titres
La société mère peut inscrire des provisions pour dépréciation de titres lorsque la
valeur des titres détenus sur la filiale étrangère a diminué. Le choix d’inscrire ou non une
provision pour dépréciation de titres de participation est facultatif. Lorsque la société mère a
recours à la provision, la dépréciation n’est pas déductible des résultats fiscaux. La reprise de
la provision ne sera pas non plus imposable. Il ne peut y avoir de charge déductible là où il
n’y a pas de profit imposable
190
Maurice COZIAN, Précis de fiscalité des entreprises, Litec, 31ème édition, Paris, 2008, n°747, p. 158
69
Les pertes subies par la filiale étrangère sont prises en compte de manière définitive
chez la société mère si elle décide de céder ses titres au regard des mauvais résultats de sa
filiale. C’est le régime des plus ou moins-values qui s’applique. La cession de titres de
participation s’impose selon qu’elle soit à long ou à court terme. La moins-value à court terme
est déductible au cours duquel la cession intervient, tandis que la moins-value à long terme
n’est pas déductible du résultat imposable
191
M. COZIAN, Fl. DEBOISSY, op. cit.
192
Principe de l’OCDE applicable en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et
des administrations fiscales, juillet 2010
70
A- Le transfert de bénéfices et l’acte anormal de gestion : deux notions similaires
Le transfert de bénéfices est l’acte anormal de gestion pour rectifier la base imposable
chez l’entreprise subissant une insuffisance d’assiettes, et la gestion normale constitue un
point de référence. La technique des prix de transfert n’est pas difficile à saisir : il s’agit pour
l’entreprise de fixer ses tarifs qui lui permettent de minorer à un niveau ses bénéfices
lourdement imposés en majorant ceux d’une filiale où ils sont le moins. En tant que tel, le prix
de transfert se traduit comme un acte anormal de gestion. La jurisprudence applique le
principe de pleine concurrence : les prix intra-groupe doivent être comparables à ceux
pratiqués entre entreprises indépendantes effectuant des opérations similaires dans des
circonstances analogues.193 En aucun cas l’entreprise ne peut invoquer un intérêt collectif
supérieur.
Maurice Cozian décrit l’acte anormal de gestion comme une arme contre les
« évaporations financières »194. Il s’agit d’une perte financière à l’entreprise par une
renonciation à un profit ou par l’intégration des charges étrangères à l’entreprise. Le transfert
de bénéfices, quant à lui, concerne les bénéfices indirectement transférés à des entreprises qui
sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d’entreprise situé hors d’un territoire soit
par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente, soit par tout autre
moyen.
Un écart positif entre le bénéfice qui aurait dû être enregistré et le bénéfice déclaré peut
donner lieu à une rectification. C’est le cas lorsque le transfert s’effectue à travers des prix de
transactions menées intra-groupes ou des opérations économiques conduisant indirectement
une entité à supporter des charges excessives ou une renonciation à une créance. Cela se
manifeste par l’inscription sur son passif des dettes, amortissements ou des provisions
étrangères à sa gestion. L’acte anormal de gestion implique également que la dégradation des
avoirs de l’entreprise s’effectue au bénéfice d’un tiers. L’acte anormal de gestion implique
également l’idée de transfert, que ce soit une action délibérée ou un manquement aux
diligences nécessaires. Le transfert de bénéfices comme l’acte anormal de gestion concerne
deux entités liées dans lesquelles l’une agit contre son intérêt. Comme l’acte anormal de
gestion peut concerner les relations au sein d’un groupe multinational, l’acte anormal de
193
Arnaud DE BISSY, « L’inadaptation du droit fiscal en période de crise » cité in Crise(s) et droit, Presse
Universitaire de Toulouse 1, Capitole, 2012, p. 52
194
Maurice COZIAN, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, op. cit., p. 92
71
gestion et le transfert de bénéfice sont similaires puisqu’ils s’agissent d’un manquement à la
rationalité économique des entreprises dans laquelle une entreprise a l’obligation d’agir dans
son propre intérêt195. En effet, les deux notions font reposer sur une entreprise la charge
d’établir des avantages anormaux consentis dans l’intérêt de son exploitation. Ils constituent
deux bases alternatives qui donnent à l’administration le choix des armes196. La rectification
des transferts de bénéfices peut avoir lieu, en théorie sur le fondement de l’acte anormal de
gestion ou du transfert de bénéfices.
2- La référence à la normalité
Dans la décision Cap Gemini, la référence à la normalité est extériorisée par l’assimilation
« entreprises similaires exploitées normalement » par les entreprises dépourvues de liens de
dépendance ». Dans ses conclusions, Emmanuel Glaser considère que la prise en charge sans
refacturation, par la maison mère du salaire d’un cadre détaché dans une filiale étrangère ou
de prêts consentis sans intérêts constituent des avantages par nature. En revanche, d’autres
comportements ne sont constitutifs d’avantages que par comparaison parce que leur montant
diffère celui habituellement pratiqué comme les prix de vente. Ainsi, le transfert de bénéfice
et l’acte anormal de gestion s’articulent à l’évidence. D’ailleurs Nicolas Labrune définit les
195
Art. 1833 du Code civil
196
Laurent OLLEON, Actes de colloque, « la gestion fiscale des groupes de sociétés » ; Dr Fisc 49/2016- Table
ronde sur la lutte contre la fraude et l’évasion ficale : « lorsqu’une société est liée à une autre société qui se
trouve dans un Etat étranger, et que soit elle achète les produits à prix élevé, soit elle vend à un prix trop faible,
l’administration peut mettre en œuvre l’art 57 du CGI (transfert de bénéfices). Mais on est également en
présence d’un acte anormal de gestion. C’est même précisément la définition que la jurisprudence donne de
l’acte anormal de gestion »
197
CE ,3ème et 8ème sous-section, 7 Novembre 2005, n°266436 et 266438, Ministre de l’économie, des finances et
de l’industrie c/société Cap Gemini, RJF 1/06 n°17, rapp. E.Crépey, concl. E.Glaser
72
entreprises similaires exploitées normalement directement en référence avec le critère de
gestion normale198. Ainsi, les deux notions deviennent similaires mais autonomes, elles
sanctionnent les comportements anormaux.
Dans la décision Boutique 2M199, la distinction des bases légales de rectification que
constituent l’acte anormal de gestion et le transfert de bénéfice est apparente.
Dans la décision, est en cause la normalité des frais supportés par une société, au titre des
déplacements de l’une de ses associés à l’étranger. La société qui exerce le commerce de
vêtements supporte les frais de voyage de déplacement en Suède d’un associé.
L’administration a estimé qu’il s’agit d’un acte anormal de gestion. Ainsi, les dépenses de
voyages d’une personne sont considérées comme anormales par nature, tandis que la
déduction de commissions présente les relations économiques avec un fournisseur. Le
redressement sur les frais de voyage est confirmé, tandis que celui sur les commissions fait
l’objet d’un dégrèvement car elles sont considérées comme la contrepartie d’un soutien
effectif apporté par la société, qui facturait ses marchandises à prix exorbitant, représentant
une contrepartie équivalente.200. Par conséquent, la distinction entre le transfert de bénéfices
et l’acte anormal de gestion demeure apparente du fait que l’administration peut faire jouer
entre elles la substitution de base légale et solliciter, par exemple la requalification en acte
anormal de gestion d’un acte conçu auparavant comme transfert de bénéfices.201
198
Nicolas LBRUNE, « Transfert de bénéfice à l’étranger », chron sous CE n°370974 du 9 novembre 2015,
Société Sodirep Textile SA-NV : « l’administration n’a nul besoin de se livrer à un exercice de comparaison
pour établir que ceux-ci constituent des avantages : aucune entreprise ne saurait dans le cadre d’une gestion
normale sur un marché concurrentiel, se comporter de la sorte »
199
CE 27 juillet 1988, n° 50020, SARL Boutique 2M, rapp. Turquet de Beauregard, concl. O. Fouquet
200
La rédaction de la décision Boutique 2M distingue bien les deux considérants de droit relatif aux deux
redressements, sans formuler de considérant de principe commun.
201
CE, 9ème et 8ème sous-section, 18 mars 1994, n°68799 et 70814, Sovemarco-Europe, op. cit., rapp. Fabre,
concl. Ph. Martin
202
CE 3ème et 8ème sous-section, 28 avril 2006, n°278738, Société Atys France, BDCF 7/06 n°837. Selon le
commissaire F. Seners, « L’administration a considéré que la prise en charge des dépenses incombant
normalement aux sociétés étrangères constituait un transfert indirect de bénéfices au profit de ces sociétés
appartenant à un même groupe, transfert qui est réputé constituer un acte anormal de gestion et doit entraîner la
réintégration dans les résultats imposables. »
73
bénéfices fait présumer l’existence d’un acte anormal de gestion. En outre, dans ses
conclusions, G. Bachelier affirme que « nous ne voyons pas qu’un transfert de bénéfices peut
être opéré au seul motif que la société mère a opté pour une avance en compte courant à sa
filiale au lieu d’un apport en capital… Les entreprises sont libres d’adopter le mode de
financement de leurs investissements sous réserve d’un acte anormal de gestion. »203 Ce qui
affirme l’autonomie entre l’acte anormal de gestion et le transfert de bénéfices.
203
G. BACHELIER, conclusion sous CE section, n°233894 du 30 décembre 2003, SA Andritz, Dr. fisc.
16/2004, p. 761 à 771,
204
Laurent OLLEON, Actes de colloque, « La gestion fiscale des groupes de sociétés », op. cit
74
Conclusion
205
M. COLLET, « Contrôle des actes de gestion : pour un retour à l’anormal », op. cit., p. 536
75
Annexes
76
77
78
79
80
Bibliographie
Ouvrages généraux
- AIME Charles et ROCHEDY Marc, Droit fiscal, Sirey, 10ème édition, collection Aide-
mémoire, Paris, 2008, 256 pages
- CHARTIER Yves, Droit des affaires, les sociétés commerciales, Thémis, PUF, Paris,
1985, 472 pages
- COZIAN Maurice, Les grands principes de la fiscalité des entreprises, Litec, 4ème
édition, Paris, 1999, 513 pages
- COZIAN Maurice, Précis de fiscalité des entreprises, Litec, 31ème édition, Paris, 2008,
607 pages
-COZIAN Maurice et VIANDIER Alain, Droit des sociétés, Litec, 17ème édition, Paris,
2004, 655 pages
- COZIAN Maurice et al., Droit des sociétés, Litec, 23ème édition, Paris, 2011, 673
pages
-LEGEAIS Dominique, Droit commercial et des affaires, Sirey, 18ème édition, Paris
2009, 228 pages
-MERLE Philippe, Droit commercial, Les sociétés commerciales, Dalloz, 13ème édition,
Paris, 2009, 944 pages
Ouvrages spéciaux
- OHL Daniel, Les prêts et avances entre sociétés d’un même groupe, Litec, Paris,
1982, 372 pages
Instruments juridiques
81
- Loi n° 95-030 du 22 février 1996 relative à l’activité et au contrôle des
établissements de crédits, « Loi bancaire »
Articles et revues
- PAILLUSSEAU Jean, « Les fondements du droit moderne des sociétés », JCP, éd. E,
1993, n°14193, p.165
82
- SERLOOTEN Patrick, « Liberté de gestion et droit fiscal : la réalité et le
renouvellement de l’encadrement de la liberté » Dr. fisc. 12/07, 2007, n°301, p. 11
- TUROT, Jérôme, « L’entrepreneur, le risque et le fisc. La notion d’acte qui, sans être
étranger à l’intérêt de l’entreprise, lui fait courir un risque excessif », RJF 11/90, 1990,
p. 735
- TUROT, Jérôme, « La liberté de gestion des entreprises entre enfer et paradis (et plus
près de l’enfer) », Dr. fisc. 11/07, 2017, n° 27.
Thèses
83
Tables des matières
Sommaire...................................................................................................................................5
Introduction...............................................................................................................................6
84
A- Acte contraire à l’intérêt social……………………………………………………26
B- Rupture d’équilibre ou absence de contrepartie…………………………………..27
85
Partie II : Le réalisme dans la mise en œuvre de l’acte anormal de gestion......................45
A- L’importance de la participation..............................................................................51
B- Distinction de la qualité de l’auteur.........................................................................52
86
Paragraphe 2 : La rationalisation des flux intra-groupe..................................................65
Conclusion……………………………………………………………………………………75
Annexes………………………………………………………………………………………76
Bibliographies………………………………………………………………………………..81
87
Résumé
Il n’existe pas de véritable droit de groupes. Cette impression de vide juridique entraîne
différentes appréhensions de la notion selon la branche de droit concernée. En outre, l’intérêt
social demeure une notion ambiguë et sa détermination se complique lorsqu’on est en
présence d’un groupe de sociétés. Ainsi, l’acte anormal de gestion repose sur des notions
floues, au lieu de constituer une simple balise pour la société, il devient un frein au
développement de cette dernière.
Mots clés : intérêt social, intérêt de groupe, intérêt financier, contrepartie, intégration fiscale