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Romania

Les origines du troubadour Jaufré Rudel


P. Cravayat

Citer ce document / Cite this document :

Cravayat P. Les origines du troubadour Jaufré Rudel. In: Romania, tome 71 n°282, 1950. pp. 166-179;

doi : https://doi.org/10.3406/roma.1950.3702

https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1950_num_71_282_3702

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LES ORIGINES DU TROUBADOUR
JAUFRÉ RUDEL

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fait
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du
de
ni
et
4.

t. V,
i . De
Paris,
Courcelles,
1825, art. Histoire
Blaye. généalogique et héraldique des pairs de France ,
2. E. Bellemer, Histoire de la ville de Blaye , Blaye-Bordeaux, 1886,
p. 68-91.
3 . Ch. Desages, Essai sur la chronologie et la généalogie des comtes d' An-
goulémtdu milieu du IX«à la fin du XI « siècle, dans Ëc. Nat. des Chartes. Posi¬
tions des thèses , 1907, p. 82-83.
4. Bibliographie dans A. Jeanroy, Les chansons de Jaufré Rudel, 2e éd.,
Paris, 1924 (Les classiques français du moyen âge), p. xiv-xv.
LES ORIGINES DU TROUBADOUR JAUFRÉ RUDEL I (fj
<G. Paris r, se contente pour les questions de généalogie d'uti¬
liser les recherches du chevalier de Courcelles et n'apporte
-aucun document nouveau. Son auteur va même jusqu'à affir¬
mer que Jaufré Rudel « ne figure dans aucune charte » 2.
Nous ne prendrons pas la peine de discuter la succession des
seigneurs de Blaye telle que prétend l'établir l'abbé Bellemer*.
"Sa généalogie est un mélange invraisemblable de confusions,
«d'erreurs et d'affirmations gratuites.
Il faut prendre plus au sérieux le travail du chevalier de
Courcelles. Cependant, si cet historien traite fort savamment
•de Guillaume Freland et de Girard de Blaye, il s'est complète¬
ment fourvoyé au départ. Croyant que Geoffroi Rudel, fils du
•comte d'Angoulême Geoffroi, était mort sans postérité, il a été
obligé de donner au. comte une fille imaginaire mariée au
vicomte 4. de Limoges, Adémar II, père supposé de Guillaume
Freland

U Historia pontificum et cmûtum Engolismensium 5 rapporte


•que Geoffroi eut cinq fils : Foulques, Geoffroi Rudel, Arnaud
<le Montausier, Guillaume et Aimar. A Foulques, son fils
aîné, il laissa le comté d'Angoulême et les terres qu'il avait
acquises par son mariage. Quant à Geoffroi Rudel, il aurait
reçu pour sa part le château de Montausier 6. Il y a certaine¬
ment là une erreur imputable soit à l'auteur dé Y Historia, soit
■à un de ses copistes. Ce ne fut pas Geoffroi Rudel qui devint
seigneur de Montausier mais bien son frère Arnaud. V Historia
•elle-même et plusieurs chartes lui donnent d'ailleurs le nom
«d'Arnaud de Montausier 7 et, dans un acte de 1075-1083, il

f.2. G.
Ibid.,
Paris,
p. 228,
Jaufrénote.
Rudel, dans Rev. hist., t. 53 (1893), p. 225-260.
3. E. Bellemer, ouvr. cité, p. 68-91.
4. De Courcelles, ouvr. cité, p. 1-3.
5 . Hist. pont, et com. Eng&l., cap. XXX, éd. E. Castaigne, Angoulême,
853, p. 36. Cette histoire s'arrête à 1159, à la mort de l'évêque Hugues
<de La Rochefoucauld. Son auteur, sans doute un membre du chapitre cathé-
■dral d'Angoulême, utilise abondamment les archives capitulaires.
6. Charente, arr. de Cognac, cant, et c1«de Baignes-Sainte-Radegonde.
7. Arnaîdus, Arnaudus de Monte Auserio (P. Cholet, Cart, de Baignes >
Niort, 1868, CCCI, p. 134 (1060-10 66, 15 mai), LXXXYII, p. 52 (avant
4109) ; J. de La Martinière, Cart, de Notre-Dame de BarbeçUux, CXI, dans
i68 P. CRAVAYAT

est ainsi désigné : Arnaldus, filius Gaufridi, Engolisme comitis ,


princeps castri Monteauserii 1 . On nesaurait souhaiter texte plus
explicite.
S'il est certain que Geoffroi Rudel ne fut pas seigneur de
Montausier, rien en revanche n'indique quel fut son lot. Mais,
sachant que son père, le comte Geoffroi, possédait le château
de Blaye 2 et que, d'autre part, ses descendants tenaient le même
château, on peut admettre qu'il eut Blaye en partage.
Geoffroi Rudel ne paraît que dans des documents d'origine
angoumoisine. Il est nommé dans des chartes de donation en
faveur des abbayes de Saint-Amand-de-Boixe * et de Saint-
Cybard * et du chapitre cathédral d'Angoulême >, dans l'acte de
fondation du prieuré de la Rochefoucauld 6 et enfin, pour la
dernière fois, le 29 juillet 1089, dans une notice relatant la
restitution au chapitre cathédral du droit de nommer son
sacriste ?. Dans tous ces actes, il se borne à souscrire ou bien
figure parmi les témoins, en compagnie de ses frères et neveux.
A s'en tenir à ces documents, il semble avoir joué un rôle

Arch. hist, de la Saintpnge et de VAunis, t. XLI, 1911, p. 40 (s.d.) ; Arnaldus


de Montoser (A.Bruel, Chartes de Cluny, t. IV, n° 349s, p. 612 (1076, avant
le 9 décembre).
i . P. Cholet, ouvr. cité, IV, p. 8.
2 . Dans les dernières années du Xe siècle, le comte d'Angoulême
Guillaume IV s'était emparé de Blaye, avec l'aide du duc d'Aquitaine. Après
sa mort (1028, 6 avril), ses deux fils, Audoin II et Geoffroi se disputèrent
la place les armes à la main puis, à la suite d'un arrangement, Audoin II
céda en bénéfice à son frère les trois quarts de Blaye, se réservant l'autre
quart (A. de Chabannes, Chron., 1. III, ch; 41 et 67, éd. J. Chavanon,.
p. 165 et 193).
3. Charente, arr. d'Angoulême. Cart, de Saint-Amand-de-Boixe, Arch.
dép. de la Charente, H'y 2*, nos 9 p. 42-43, et 257, p. 126-127 (1040-1042,,
11 décembre), n° 65, p. 43-44 (1040-1048).
4. Charente, cne d'Angoulême. P. Lefrancq, Cart, de Saint-Cybard „
Angoulême, 1930, n° 225, p. 204 (1041-1048).
5 . J. Nanglard, Cart, de l'Église d' Angoulême, Angoulême, 1900, LXXXVII,.
p. 80 (1048-1060).
6. Charente, arr. d'Angoulême. P. Marchegay, Chartes de Saint-Florent
près Saumur, concernant V Angoumois, dans Bull, de la Soc.-arch, et hist, de la
Charente (1887), p. 13 du tirage à part.
7. J. Nanglard, ouvr. cité, CLXXXIX, p. 179.
LES ORIGINES DU TROUBADOUR JAUFRÉ RUDEL 1 69
assez effacé. De plus, jamais on ne le rencontre en Bordelais,
mais toujours en Angoumois où, sans doute, il était richement
possessionné.
Le fonds de l'abbaye de Notre-Dame de Saintes conserve la
copie d'un acte qui serait du plus haut intérêt, s'il n'était pas
manifestement un faux. Il s'agit du « contrat de mariage », daté
de 1040, d'un prétendu Guillaume Rudel, comte de Blaye,
avec une nommée Marguerite, nièce de Geoffroi, comte de
Saintes, en qui il faut voir Geoffroi II Martel, comte d'Anjou
(1040-1060)'.
A ne considérer que sa forme, cet acte ne peut résister à un
examen même superficiel. Qu'il suffise de relever des expres¬
sions telles que contraction matrimonii per verba de praesenti, cen¬
sus ac redditus perpetuiet foncerii, dominia... adjudicata per senten-
tiam et decretnm judiciale, domini directi et feodales. Le contrat
de mariage par paroles de présent, les cens et rentes perpé¬
tuelles et foncières, le décret judicaire, la directe féodale sont
autant
seté de d'anachronismes
cet acte 2. qui ne laissent aucun doute sur la faus¬

Cependant il n'a peut-être pas été forgé de toutes pièces.


Comme nous le verrons, Geoffroi Rudel eut un fils nommé
Arnaud Ferriol (Arnaldus Ferriolî). Or il se trouve qu'Ermen-
garde, sœur du comte Geoffroi II Martel, était mariée avec le
comte de Gâtinais Geoffroi Férole ( Gaufridus Fœrolem) K Cette

i . « Factum pour dame Françoise de Foix, abbesse de Xaintes, défen¬


deresse, contre les demoiselles Martel, demanderesses... »[vers 1665J. Arch.
dép. de la Charente-Maritime, H 76, n° 1. Une transaction entre le même
Guillaume Rudel et l'abbaye de Saintes (1049) est imprimée à la suite
de cet acte. Rédigée dans le même style, fourmillant d'anachronismes, elle
ne mérite pas plus de confiance.
2. On pourrait en donner encore bien d'autres preuves, par exemple la
mention du'franc valant 25 sous et celle du notaire impérial qui a reçu l'acte
et l'a fait grossoyer. Ce faux fut sans doute fabriqué au début du xvne siècle.
L'abbaye le produisit dans de nombreux procès (Arch. dép. de la Charente-
Maritime, H 76, n°s 15, 29, 36, 48). La fausseté de cet acte ne paraît pas
avoir encore été reconnue. Il est utilisé par lesabbés Briand (Hist, de lÉ'glise
santone et (tunisienne, t. I, La Rochelle, 1843, P-296-297), et Bellemer (ouvr.
cité, p. 69-71).
3. G. Estournet, Les origines historiques de Nemours et sa charte de fran-
>
I 70 P. CRAVAYAT
similitude de surnoms est à noter. Elle peut être due au hasard.
On peut supposer aussi que Marguerite, donnée comme la
nièce de Geoffroi II Martel, ait été une fille restée inconnue
d'Ermengarde et de Geoffroi Férole, qui aurait transmis à son
fils le surnom de son père. La mention, dans un nécrologe
par exemple, d'un G. Rudel que le faussaire aurait traduit par
Guillelmus Rudel aurait pu servir de base à son travail.
Quoi qu'il en soit, Geoffroi Rudel laissa deux fils, Guillaume
Freland 1 et Arnaud Ferriol. La filiation du premier est attestée
par plusieurs textes. Dans un acte de 1089-1098, il est dit fils
de Geoffroi \ Par ailleurs, il est désigné comme le neveu du
comte d'Angoulême 3 et de son frère l'évêque Aimar4. Quant
àFreland
Arnauds . Ferriol, une charte en fait le frère de Guillaume

Guillaume Freland est cité pour la première fois dans un acte


de 1067-1078, du vivant de son père6. Ce n'est qu'en 1090
qu'il est qualifié de prince de Blaye (.Blaviensium princeps) 1.

chise (1170) dans Annales de la Soc. hist, et arch, du Gdtinais, t. XXXIX,


p. 18 du tirage à part.
I . Son nom paraît dans les chartes, sous les formes suivantes : Fredelan-
dus, Fredelannus , Fredelensis, Frehelandus, Freelandus, Freslandus , Frellandus.
2. Willelmus nuncupatus Freslandus, Gaufridi filius (P. Cholet, ouvr. cite,
CCCCXXIV, p. 171
3 . Guillelmus Fredelandi, nepos comitis Engolismensis. (Cart, de Saint-A mand-
de-Boixe, Arch. dép. de la Charente, H,v 2* , n° 102, p. 47) (1066-1087).
4. Ego, in Dei nomine, Guillelmus Fredelandi concedo... in presentía domini
Ademari, Engolismensis episcopi, avunculi met ( Ibid ., n° 11, p. 12-13) (1075-
ixoo, juillet). En 1095, L'évêque Aimar prend pour témoins d'une donation
Engolismensem comifem Willelmum Talliferr nepotem meum, et Fredelandum,
Herum nepotem meum (J. Nanglard, ouvr . cité, XVII, p. 16-18).
5. Arnaldus Ferrioli, frater ipsius Guillelmi Fredelandi. (Cart, de Saint-
Amand-de-Boixe, Arch. dép. de la Charente, HIV 2*, n° 11, p. 12-13) (1075-
1100, juillet). En 1066-1087, Guillaume Freland fait une donation à Saint-
Amand-de-Boixe en demandant l'entrée de son neveu au monastère (Ibid.,
n° 102, p. 47). Il s'agit vraisemblablenlent d'un fils d'Arnaud Ferriol qui sous¬
crit l'acte de donation .
6. Donation par Gui-Geoffroi, duc d'Aquitaine, à l'abbaye de La Chaise-
Dieu du lieu de Sainte-Gemme (J. Besly, Hist, des comtes de Poictou, Paris,
i647> P- 379).
7. Donation par Ama.t, archevêque de Bordeaux, à l'abbaye de Saint-
LES ORIGINES DU TROUBADOUR JAUFRÉ RUDEL 171
Son père figurant encore dans un acte du 28 juillet 1089, on
peut supposer qu'en 1090 il venait de lui succéder et tenait
depuis peu le château de Blaye.
Il paraît dans d'assez nombreuses chartes qui, à défaut
d'autres renseignements, nous donnent au moins une idée
approximative de l'importance et de la situation de ses domaines
et aussi de sa générosité envers les églises. Guillaume Freland
possédait des biens en Angoumois, berceau de sa famille. Il
donne à l'abbaye de Saint-Amand-de-Boixe le quart du pacage
de Saint-Amand et sa part de la forêt de Villognon des vignes
et
de un
Vouharte
bourg non
4. identifié % à l'abbaye de Charroux 5 sa curtis

En Saintonge, ses possessions semblent avoir été très impor¬


Notre-Dame
tantes, comme
de Saintes.
en témoignent
Il renonce
ses endonations
sa faveur àà l'abbaye
la moitié de
la dîme de Nieuil-lès-Saintes s, lui donne une dîme à Cham¬
pagne 6, paroisse qui était tout entière dans sa seigneurie .lui
cède la moitié de la terre de Nancras8, la dîme "de Balanzac9,
la moitié des terres, vignes, maisons, etc., qu'il avait à Saint-
Sulpice-d'Arnoult 10 et lui fait abandon du terrain occupé par

Romain de Blaye de l'église de Saint-Symphorien de Gauriac. A la suite


de la date, figure parmi les synchronismes cette mention : et Guillelmo For-
lando (sic), Blaviensium principe (Dom Cl. Estiennot, Antiq. Bened. dioc.
Burdig., Bibl. Nat., ms. lat. 12.773, p. 73).
i. Charente, arr. d'Angoulême, cant, de Mansie. Cart, de Saint-Amand-
de-Boixe, Arch. dép. de la Charente, HIV 2*, n° 102, p. 47 (1066-1087).
2. Ibid., no 11, p. 12-13 (1075-1 100, juillet).
3. Vienne, arr. de Montmorillon.
4. Charente, arr. d'Angoulême, cant, de Saint-Amand-de-Boixe. Dom
P. de Monsabert, Chartes et documents pour servir à Vhist. de Vabbaye de
Charroux, dans Arch. hist, du Poitou , t. XXIX, XXII, p. 123-125 (1100).
5. Charente-Maritime, arr. et cant, de Saintes. Th. Grasilier, Cart, iné¬
dits de la Saintonge. II. Car t. de Vabbaye de Notre-Dame de Saintes, Niort, 1871,
XCVIII, p. S4-85 (1093).
6. Charente-Maritime, arr. de Rochefort, cant, de Saint-Agnant.
7. Ibid., CIV, p. 88 (1079-1096).
8. Charente-Maritime, arr. de Saintes, cant, de Saujon.
9. Charente-Maritime, arr. de Saintes, cant, de Saujon.
10. Charente-Maritime, arr. de Saintes, cant, de Saint-Porchaire. Ibid.,
LXXVIII, p. 70-71 (1079-1099).
172 P. CRAVAYAT
le bief des moulins que l'abbesse Hersent avait construits près
de Saintes1. Au prieuré de Sainte-Gemme â enfin, il donne une
terre, des marais et rivières pour établir moulins et viviers3.
A en juger par ses libéralités aux églises, ses domaines du
Bordelais, où pourtant était situé son château de Blaye, ne
semblent pas avoir eu autant d'importance que ceux de Sain-
tonge et d'Angoumois. A l'abbaye de La Sauve-Majeure 4 il
donne la franchise d'un bateau dans le port de Blaye, un terrain
à bâtir dans cette ville, les vignes de Fuisaco et la forêt de
Corles 5, et à l'abbaye de Baignes ses coutumes et autres droits
surGuillaume
la terre de Ausat,
Frelanddans
fut lacertainement
paroisse de Saint-Ciers-la-Lande
un familier des ducs

d'Aquitaine, Gui-Geoffroi (1058-1086) et Guillaume IX le


Jeune, appelé aussi le Troubadour (1086-1 126), dont il était
le vassal, au moins pour certaines de ses possessions sainton-
geaises8. On le trouve souvent à leurs côtés. Il souscrit ou
confirme des chartes ducales pour les abbayes de la Chaise-
Dieu 9 et de Notre-Dame de Saintes10 et figure parmi les té¬
moins d'une charte en faveur du chapitre de Sainte-Radegonde
de
laume
Poitiers
Freland
II. Le
à Notre-Dame
duc est présent
de Saintes
lors d'une
I2. Ilsdonation
font en commun
de Guil¬
une donation au prieuré de Sainte-Gemme I3. Enfin, leurs noms
se
Florent
trouvent
de Saumur
encore réunis
I4. au bas d'un acte de l'abbaye de Saint-

i. Charente-Maritime... Ibid., LIV, p. 55 (1079-1099).


2. Charente-Maritime, arr. de Saintes, cant, de Saint-Porchaire.
3. Bibl. Nat., coll. Baluze, vol. 4, f° 84 v° (1094, 9 juin).
4. Gironde, arr. de Bordeaux, cant, de Créon.
5 . Grand cart, de la Sauve-Majeure, Bibl. mun. de Bordeaux, ms. 769, t. II,
p. 253-254 (s. d.).
6. Charente, arr. de Cognac.
7. Gironde, arr. de Blaye. P. Cholet, ouvr. cité, CCCCXXIV, p. 171
(1089-1098).
8. Th. Grasilier, Cart, de Notre-Dame de Saintes, CIV, p. 88 (1079-1096).
9. Haute-Loire, arr. de Brioude. J. Besly, ouvr. cité, p. 379 (1067-1078).
10. Th. Grasilier, ouvr. cité, LIII, p. 54-55 (1079).
n.J. Besly, ouvr. cité , p. 442-443 (1088-1099).
12. Th. Grasilier, ouvr. cité, CIV, p. 88 (1079-1096).
13. Bibl. Nat., coll. Baluze, vol. 40, f° 84 v° (1094, 9 juin).
14. P. Marchegay, Chartes saintongeaises de V abbaye de Saint-Florent près
LES ORIGINES DU TROUBADOUR JAUFRÉ RUDEL I73
Avant même que le pape Urbain II ait commencé à prêcher
la croisade, Guillaume Freland décida de partir en pèlerinage
pour la Terre Sainte et, afin d'assurer le succès de son entre¬
prise, il fit, en compagnie à' Hilaria, sa femme, une généreuse
donation à l'abbaye de La Sauve-Majeure, entre les mains de
l'abbé saint Géraud (*{- 1095, 5 avril) *. Le souvenir du pèle¬
rinage aventureux de son grand-père et les merveilleux récits
qu'il en entendit poussèrent sans doute le troubadour Jaufré
Rudel à entreprendre lui aussi le voyage d'outre-mer. En 1100,
Guillaume était revenu en France2. Après cette date, on ne
retrouve plus sa trace.
Il laissa un fils, Girard de Blaye, qui, avant 1096, paraît
déjà dans une donation de son père à Notre-Dame de Saintes 3.
Sur ce personnage les chartes ne nous fournissent que fort
peu de renseignements. Vers 1106-1107, il donne à l'abbaye
de Cluny les verveux que les habitants d'Aire-sur-l'Adour 4
lui devaient annuellement à titre de cens 5. Plus tard, entre
11 17 et 1125, il fit donation de la terre de Peunouveau6 à
l'abbaye de Fontdouce 7. En 1125, lorsque l'abbaye essaima à
Tenaille 8, cette terre fit partie de la première dotation du nou¬
veau monastère et, dans la suite, Girard eut à régler plusieurs
conflits qui s'étaient élevés à son sujet entre moines et paysans9.

Saumur,
1086). dans Arch. hist, de la Saintonge et de VAunis, t. IV, p.. 67 (1083-

i. L'acte est intitulé au nom de Guillelmus Fredelanni de Blavia oppido,


cupiens ire in Jherusahm ad sepulchrum Domini... (Grand cart, de la Sauve-
Majeure, Bibl. mun. de Bordeaux, ms. 769, t. II, p. 253-255) (1087-1095).
2. Dom P. de Monsabert, ouvr. cité , p. 123-125.
3. Th. Grasilier, ouvr. cité , CIV, p. 88 (1079-1096).
4. Landes, arr. de Saint-Sever.
5. La donation est faite pour le salut de son âme et de celle de son père
Guillaume Freland, pro salute anime mee patrisque mei Willelmi Frellandi
(Cart. Bde l'abbé de Cluny, n° 725, Bibl. Nat., n. acq. lat. 1498, f° 270 v°).
6. Charente-Maritime, arr. et cant, de Saintes, cne de Chaniers.
7. Charente-Maritime, arr. de Saintes, cant; de Burie, cne de Saint-Bris-
des-Bois.
8. Charente-Maritime, arr. de Jonzac, cant, de Saint-Genis, cne de Saint-
Sigismond.
9. Gallia, t. II, col 484-486 instr,
174 P- CRAVAYAT
Enfin, à une date inconnue, il céda au prieuré de Sainte-Gemme
une rente en grain et en vin1.
C'est tout ce que nous saurions de Girard de Blaye, si Y His-
toria pontificum et comitum Engolismensium n'apportait de pré¬
cieux renseignements sur ses rapports avec le comte d'Angou¬
lême, Bougrin II, son cousin.
En raison de leur commune origine, les droits respectifs des
comtes d'Angoulême et des seigneurs de Blaye étaient parfois
embrouillés. Ainsi le comte Guillaume V possédait une partie
de la curtís de Vouharte dont Guillaume Freland disposa en
faveur de l'abbaye de Charroux2. Le même comte et Girard
confirment,
de Saint-Amand-de-Boixe
en tant que coseigneurs,
3. une donation à l'abbaye

Girard de Blaye et le comte Bougrin II (n 20-1 140) se par¬


tageaient le château angoumoisin de Montignac 4 dont le comte
avait
munauté
seulement
devait leêtre
quart
uneavec
source
la garde
de conflits.
d'une tour.
Girard
Cettes'étant
com¬

emparé de la part de Bougrin II, celui-ci appela à son aide le


ducd'AquitaineGuillaume le Jeune (1086-1 126) et mit le siège
devant Montignac. De son côté, Girard leva une coalition de
seigneurs saintongeais, poitevins et périgourdins qui s'enfer¬
mèrent avec lui dans le château. Lassés par un long siège et
ayant subi de lourdes pertes, ils finirent par abandonner la
place. Le comte fit alors hommage à l'évêque d'Angoulême
pour ce château qu'il fortifia solidement
Cet épisode nous révèle l'importance du rôle que purent
jouer les seigneurs de Blaye. Non seulement Girard n'hésite
pas à s'attaquer au puissant comte d'Angoulême et à résister au
duc d'Aquitaine mais encore il a assez de crédit pour attacher
à sa cause de nombreux seigneurs.
Girard de Blaye eut deux fils, Geoffroi Rudel et Guillaume
Freland qui, après 1125, confirment avec leur père là cession
de la terre de Peunouveau faite par l'abbé de Fontdouce aux

n°4.
2.
3.
5.i.187,
Dom
Cart,
Bibl.
Charente,
Hist.
p. pont,
Nat.,
P.
de deSaint-Amand-de-Boixe,
96(1100-1120).
arr.
etcoll.
Monsabert,
com.
d'Angoulême,
Baluze,
Engol.,
ouvr.
vol.
cap.cant,
40,
cité,
XXXV,
Arch.
f°XXII,
de87Saint-Amand-de-Boixe.
r°.
éd.
dép.
p.E.123-125
de
Castaigne,
la Charente,
(1100).
p. 47-48.
HIV 2*>
LES ORIGINES DU TROUBADOUR JAUFRÈ RUDEL 1 75
moines de Tenaille *. A une date indéterminée, Geoffroi Rudel
conclut un accord avec Bernard, prieur de Sainte-Gemme, au
sujet d'une rente donnée par son père 2. C'est tout ce que les
documents diplomatiques nous apprennent de lui.
L'accord avec le prieuré de Sainte-Gemme, connu seulement
par une analyse de Baluze, prouve que Geoffroi Rudel succéda
à Girard. Toutefois, il ne dit pas expressément que Geoffroi
futrecueillit
il seigneur sadesuccession.
Blaye mais seulement qu'à la mort de son père,
Doit-on identifier ce Geoffroi Rudel avec le troubadour
Jaufré Rudel ? De ce dernier nous savons fort peu de chose.
Seuls les premiers mots de sa biographie provençale sont à
retenir : Jaufres Rudels de Blaia si fot mout gentils ont, princes
de Blaia... 5. D'autre part, nous savons par des vers de Mar-
cabru, datés par P. Boissonnadede la seconde moitié de 11484,
qu'il prit part à la seconde croisade \ G. Paris résumait ainsi
ce que lui apprenaient les témoignages certains : « Il était sei¬
gneur, prince ou vicomte de Blaye, ií composa des vers dans
la langue des troubadours et il se croisa en 1147 6. »

dellii. etIllud
instr.). fVillelnms
vero donum
Freelandi,
Geraldus
îibenti
de Blavia
animo concesserunt
et filii ejus, (scilicet
Gallia ,Gatiffredus
t. II, col. 484
Ru-

2. En raison de son importance, nous reproduisons l'analyse que Baluze


nous a conservée de cet acte :
De hiis quae in parrochia S. Joannis de Angelis habentur.
Gir ardus, dominus Blaviae, dédit Deo et beato Rotberto et monachis in loco qui
S. Gemma dicitur Deo famulantibus duos sextarios, unum frumenti et alium
mixturae, et duos modios vini. Postea, praedicto Gir ardo defuncto, cum Gaufridus
Rudelli paterna jura suscepisset, fecit cum monachis talem convenientiam in manu
Bernardi, prioris Sanctae Gemmae (Bibl. Nat., coll. Baluze, vol. 40, f° 87 r°).
3. A. Jeanroy, ouvr. cité, p. 21.
4. P. Boissonnade, Les personnages et les événements de l'histoire d'Alle¬
magne, de France •et d'Espagne dans l'œuvre de Marcabru (1129-iijo). Essai
sur la biographie du poète et la chronologie de ses poésies, dans Romania, XLVIII,
1922, p. 227-229.
5. Lo vefs e-l so vuill enviar
A-n Jaufre Rudel outra mar.
D. Dejeanne, Œuvres complètes de Marcabru, Toulouse, 1909 (Bibl. mé-
rid., ire série, XII), p. 63.
6. G. Paris, ouvr. cité, p. 229.
176 P. CRAVAYAT
Le Geoffroi Rudel mentionné après 1125, du vivant de son
père Girard de Blaye, et qui, plus tard, devait recueillir l'héritage
paternel, ne peut être que le troubadour Jaufré Rudel, ¡princes
de Blaia. Le personnage historique dont nous venons de cons¬
tater l'existence est certainement le croisé de 1147. D'ailleurs,
il faut attendre l'année 12.00 pour rencontrer un autre membre
del1.
de la maison de Blaye portant aussi le nom de Geoffroi Ru¬

Au temps du comte d'Angoulême Bougrin II (11 20-1 140),


se place un événement qui eut de graves conséquences pour la
maison de Blaye. A une date qu'il n'est pas possible de préci¬
ser, le duc d'Aquitaine Guillaume IX le Jeune s'était emparé de
vive force du château de Blaye et en avait ruiné les murs et le
donjon. Son fils et successeur, Guillaume X le Toulousain
(1126-1137), tenait toujours le château. Bougrin II, dont la
politique se heurtait souvent à celle du duc, décida d'interve¬
nir.
Guillaume
Il levaX,une
releva
puissante
les murs
armée
du château
et, en dépit
et le fortifia
des efforts
si bien
de
que, jusqu'au temps où écrivait l'auteur de 1 'Historia, c'est-à-
dire vers 1 1 5 9, il avait pu résister à tous les assauts, même à
ceux du duc d'Aquitaine2.
Dans cette affaire, on ne voit pas très bien quel rôle joua le
seigneur de Blaye, Girard ou son successeur. Sa place était aux
côtés du comte d'Angoulême qui se trouvait être à la fois son
parent et son vengeur.
Après sa conquête, Bougrin II aurait pu garder le château
dans ses mains et y entretenir une garnison. Son intérêt, comme
les liens qui l'unissaient à la maison de Blaye, lui imposait une

de
Le i.Girard
chevalier
H.-F.deDelaborde,
de Courcelles
Blaye, mais
Layeltes
tout
(oiivr.
à dufait
cité,
Trésor
gratuitement.
p. 5-6)
des chartes,
fait duIlt.troubadour
ne
V, cite
n° 131,
aucun
unp.petit-fils
texte
45-46.à

l'appui
des dates».
de son affirmation qu'il fonde uniquement sur « le rapprochement

2. Hist. pont, et com. Engol., cap. XXXV, p. 45. Cette entreprise se place
au temps de Guillaume le Toulousain et non de Guillaume le Jeune, comme
le dit 1 'Historia (A. Richard, Hist, des comtes de Poitou, t. II, Paris, 1903,
p. 7-8). Il est impossible de savoir si le siège de Montignac fut une cause
ou
taine.
une conséquence de la destruction du château de Blaye par le duc d'Aqui¬
LES ORIGINES DU TROUBADOUR JAUFRÉ RUDEL 1 77
meilleure solution : remettre le château à son seigneur légi¬
time. Il s'épargnait ainsi les frais d'une coûteuse et' lointaine
garnison et s'attachait étroitement son vassal. Le titre de
prince de Blaye porté par le troubadour montre que le comte
d'Angoulême prit ce parti.
Ces événements éclairent la situation de Jaufré Rudel avant
son départ pour la croisade. Quand il prit le chemin de la
Terre Sainte, ce ne put être qu'en compagnie de son cousin et
suzerain le comte d'Angoulême Guillaume VI Taillefer (1140-
1 1 79) qui s'embarqua à Port-de-Bou avec le comte de Toulouse
Alphonse Jourdain \ Il devait faire partie de ce «grand ost »
que Guillaume V Taillefer avait levé pour accompagner le roi
de France 2 et qui débarqua à Saint-Jean-d' Acre le 13 avril 1148-3.
Connaissant les liens féodaux qui attachaient Jaufré Rudel
au comte d'Angoulême, le vers 33 de la chanson I prend une
signification nouvelle. Le « bon garant qui le veut, l'appelle
et l'accepte » est, non pas Dieu, comme le pense G. Paris 4,
mais son »suzerain
Bethléem \ qui va lui permettre de « suivre Dieu à

Après 1148, on ne relève plus aucune trace de Jaufré Rudel.


S'il n'expira pas dans les bras de la comtesse de Tripoli, il eut
l'occasion de trouver une mort digne d'un chevalier dans les
combats contre les infidèles ou de finir moins glorieusement,
terrassé
croisés. par les épidémies et les privations qui accablèrent les

Jaufré Rudel laissa une postérité et son nom se retrouve

i . P. Boissonnade, Les Taillefer et les Lusignan, comtes de la Marche et


d'Angoulême et leurs relations avec les Capétiens et les Plantagenets (1 1 ßj-i 3 14),
dans Bull, de la Soc. arch, et hist, de la Charente (1935), p. 35 ; G. Paris,
ouvr. cité , p. 252.
2. Hist. pont, et com. EngoL, cap. XXXVII, p. 58.
3. P. Boissonnade, ouvr. cité, p. 35.
4. G. Paris, ouvr. cité , p. 239, n. 2.
5. E suy en tant aventuros
Qu'enqueras n'ay mon cor jauzen
La merce de mon Bon Guiren
Que -111 vol e m'appell' e-m denha
E m'a tornat en bon esper
A. Jeanroy, ouvr. cité , I, vers 31-35, p. 3.
Romania, LXX1. 12
1 78 P. CRAVAYAT
encore dans la maison de Blaye au xiiie siècle \ Il fut sans
doute le père de ce Girard de Blaye qui, en 1164, avant d'en¬
treprendre, lui aussi, le voyage de Jérusalem pour visiter le
Saint-Sépulcre, abandonnait à l'abbaye de Saintes toutes ses
prétentions sur le péage de villa Gadii 2.
Ces notes d'histoire éclairent bien faiblement la personna¬
lité du troubadour. Cependant, avoir suivi pas à pas à travers
les documents la longue lignée qui le rattache à la maison des
comtes d'Angouléme, eux-mêmes alliés à la race royale des
Carolingiens
en lumière sa situation
l'avoir vu
féodale
paraître
à ladans
veilledesdechartes,
son départ
avoirpour
mis
la Terre Sainte n'est peut-être pas inutile pour mieux connaître
le poète et son œuvre.
Paul Cravayat.

i. De Courcelles, ouvr.citè, p. 6-12.


2. Th. Grasiller, ouvr. cité, CCL bis, p. 163-164.
3. L. Levillain, Adémar de Chabannes généalogiste, dans Bull, de la Soc. des
Ant. de l'Ouest (1934), p. 247-248; L. Auzias, L' Aquitaine carolingienne
(778-887), Toulouse-Paris, 1937, p. 352, n. 63.
101)
Aimar d'Angoulême (1076-1
évêque
Montausier
de
Arnaud
de
seigneur
Ferriol
l'abbaye
à
[1075-1 0 ]) !
en
et >
[(1p06araî-1087t]
en
Arnaud Freland après
(paraît
1125)
moine Saint-Amand- eBoixe
1042]
Rudel
Guil aume
[1040-
en
Geof roi comte
d'Angoulême (1030-1048)
Geof roi Blaye de
de en 125)
1
(paraît Blaye 1096
Freland Blaye
pridence en
[1067-1078] et
100) !
1
en
après
et
(paraît
Girard prince
Guil aume (paraît
Rudel de
Jaufré prince f
Blave (?)
1149
Guil aume évêque
d'Angoulême (1043-1076)
v
II
Tail efer
vi
120) I I Bougrin
d'Angoulême (1
140)
120-1
d'Angoulême (1087-1 d'Angoulême (1 40-1 79)
Foulques comte
d'Angoulême (1048-1087) Guil aume
comte comte comte
Guil aume

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