Vous êtes sur la page 1sur 12

Les Moines encyclopédistes du XIIIe siècle

Vincent de Beauvais
Roger Bacon
Albert le Grand
Thomas d'Aquin

Siècle d'or de l'encyclopédisme médiéval, ils furent occupés à classer et mettre en ordre
l'énorme masse de faits et d'idées produits par le bouillonnant siècle précédent.

On attache souvent trop d'importance aux encyclopédies publiées dans le courant du XIIIème
siècle par plusieurs moines célèbres qui furent davantage des théologiens érudits et
n'exercèrent que peu d' influence sur la médecine.
Ils appartenaient aux ordres récents des Franciscains et des Dominicains;
ils avaient pu consulter les anciens manuscrits
ainsi que ceux rapportés d'Orient par les croisés.

Vincent de Beauvais
1190-1262
Savant, écrivain, membre de l'ordre dominicain

Fournissant la famille royale et la cour en abrégés et extraits d'œuvres, il joua le rôle de


bibliothécaire de Saint Louis (Louis IX) qui l'appela à l'abbaye cistercienne de Royaumont à
sa fondation (1228).

Vincent de Beauvais est né vers 1190. On sait peu de choses de la vie de Vincent de Beauvais,
savant dominicain, sinon qu'il étudia à Paris à la fin du règne du roi Philippe-Auguste. Entré
au couvent des dominicains de Saint-Jacques à Paris en 1218, il rend visite au roi Louis IX au
monastère de Royaumont en 1228, où le roi s'assied à terre, dit-on, pour l'écouter prêcher ou
faire la lecture. En 1246, il fut un des deux religieux chargés de réformer l'hôpital de
Beauvais. II est probable qu'il s'était fait remarquer par son enseignement et sa prédication,
lorsqu'il devint un des familiers de saint Louis, dont il a sans doute été aussi son bibliothécaire
et le précepteur de ses enfants. D'une vaste érudition, Vincent de Beauvais est un intellectuel
représentatif du XIIIe siècle. Il est mort après 1260, peut-être en 1264, à Beauvais
vraisemblablement.

"Speculum majus" ou "Grand miroir du Monde"


Vincent de Beauvais, assisté par les cisterciens de
Royaumont et les dominicains de Saint-Jacques de
Paris, accumula entre 1240 et 1260 une
impressionnante somme de connaissances qui aboutit
à la conception d'une véritable encyclopédie latine du
XIIIe siècle le "Speculum majus" ou "Grand miroir du
Monde" qui comporte dix volumes in-folio, rédigé à
la demande et sous le contrôle du roi, il témoigne de
la somme des connaissances de son temps. Saint
Louis ne se contenta pas de financer ce travail, mais le
suivit de près, l’influença et intervint sur les
remaniements, en particulier ceux de la troisième
partie historique.

Le "Speculum majus", également connu sous les titres


de Bibliotheca mundi et de Speculum triplex ou
Speculum quadruplex, répertorie et organise les
connaissances nouvelles pour les mettre à la
disposition des gouvernants. Il est conçu de façon à
être consulté facilement, il est divisé en 3 parties :
* le Speculum naturale (Miroir de la nature) traite
"selon l'ordre de la Sainte écriture en premier lieu du
Créateur, puis des créatures". Il traite en 32 livres de
la création du monde, de Dieu et des Anges, des
métaux et pierres précieuses. Il comporte également
une classification des plantes et des animaux et
s'intéresse à l'homme et l'âme humaine.
* le Speculum doctrinale (Miroir des sciences) se soucie "de la chute et de la restauration de
l'homme". Il comprend 17 livres et 2374 chapitres portant sur la logique, le droit, l'économie,
la politique. Il y est fait mention de la jurisprudence et des peines encourues pour les fautes et
délits. La médecine, l'agriculture, la chasse, l'astronomie, l'anatomie ou la théologie y sont
également abordées.
* le Speculum historiale (Miroir de l'histoire) énumère "les faits et les gestes historiques selon
la chronologie". Il présente en 31 livres et 3793 chapitres l'histoire du monde depuis la
création en passant par Babylone, Moïse, l'histoire grecque, latine, orientale ou Charlemagne
et jusqu'à 1250. On y trouve également une liste des poètes et leur biographie.

De ces trois miroirs (specula), véritable "Bibliothèque du monde", compilée et organisée par
Vincent de Beauvais pour "maîtriser" le savoir humain en vue de l’instruction et l’édification
de ses frères, le Speculum historiale connut le plus large succès. L' œuvre de Vincent de
Beauvais sera publiée en 1473-76 et rééditée en 1591 par la Contre-réforme catholique.

En 1333, Jeanne de Bourgogne, petite-fille de saint Louis et femme de Philippe VI de Valois,


le fit traduire en français par Jean de Vignay.

Roger Bacon
1214-1294
Philosophe, alchimiste, membre de l'ordre franciscain

Polémiste infatigable, philosophe hardi, mathématicien, logicien, grammairien et


expérimentateur accompli, Roger Bacon est la figure la plus originale de la pensée
franciscaine du XIIIe siècle. Se disant lui-même "très savant en toutes sciences" et lecteur
d’Aristote "plus qu’aucun autre" avant lui, il est à la fois le premier promoteur de la méthode
expérimentale et le plus grand linguiste de son temps. Roger Bacon est considéré comme le
père de la méthode scientifique.

Réorganisateur du savoir

Roger Bacon est né vers 1214 à Ilchester, dans le


Dorsetshire; il étudie les arts à Oxford puis à Paris, où il
obtient le grade de docteur en théologie et où il est l’un
des premiers à commenter la Physique et la
Métaphysique d’Aristote. De retour à Oxford en 1247, il
se consacre aux "études expérimentales" sous l’influence
de Robert de Lincoln (Grosseteste) puis entre dans
l’ordre franciscain vers 1240, avant de revenir à Paris en
1257 où il souffre de l’ignorance et de l’intolérance de
ses coreligionnaires. Là, il est contraint au silence, ne
pouvant ni enseigner ni publier sans censure préalable.

En 1265, le pape Clément IV (Guy Foulques) lui


demande communication de ses travaux, n’ayant pas
compris qu’ils n’étaient encore qu’à l’état de projet.
Obligé de rédiger en quelques mois un Écrit principal
qui couvrirait toutes les branches négligées du savoir, Bacon ne peut guère que multiplier les
esquisses et les programmes, produisant ainsi successivement trois préambules plus ou moins
achevés: l’Opus maius , l’Opus minus et l’Opus tertium (1267).

Bacon propose de les présenter lui-même à Rome. Cette infraction aux réglements des
supérieurs de son ordre, lui enjoignant de ne pas communiquer ses écrits à qui que ce soit, va
lui être fatale. Il se défend de l’accusation de magie : "Parce que les choses sont au-dessus de
votre intelligence, vous les appelez œuvre du démon. Les théologiens et les canonistes dans
leur ignorance les abhorent comme des productions de la magie."

Après la mort de Clément IV, il continue d’accumuler les réalisations partielles: travaux de
linguistique (grammaire grecque, grammaire hébraïque), de mathématiques, de physique, de
perspective, d’astronomie, d’alchimie et de médecine, avant de donner, vers 1271-1272, les
premiers éléments organisés d’une vaste encyclopédie de la philosophie (Compendium
philosophiae ). En 1278, le ministre général de l’ordre franciscain, Jérôme d’Ascoli, le fait
condamner à quinze ans de prison conventuel, car ses ouvrages renferment des "nouveautés
dangereuses et suspectes". On enchaîne ses livres aux tablettes de la bibliothèque des
Cordeliers d’Oxford, où ils sont rongés par les vers. Il n’est relâché qu’en 1292, accablé
d’infirmités et vient mourir à Oxford un an après sa remise en liberté, laissant une dernière
œuvre, le Compendium studii theologiae .

Philosophie de Bacon
Assez traditionnelle dans son contenu, empruntant à la fois aux maîtres parisiens et à la
théologie franciscaine, la philosophie générale de Bacon s’accorde souvent avec celle de saint
Bonaventure. C’est ainsi, par exemple, qu’elle reprend la thèse de l’unité essentielle de la
matière – distinguée dans les trois espèces de la matière spirituelle (des êtres séparés et
impassibles), de la matière sensible (des corps sublunaires soumis à la fois au mouvement et
au changement) et de la matière intermédiaire (des corps célestes soumis au seul mouvement)
– et qu’elle accueille les notions de pluralité des formes et de degrés formels.

Psychologie de Bacon

La psychologie de Roger Bacon est plus difficile à classer. On y distingue trois grandes
phases, des commentaires parisiens d’Aristote aux trois Opera. Dans ses Quaestiones supra
undecimum primae philosophiae Aristotelis, il fait de l’intellect agent et de l’intellect possible
deux parties – l’une supérieure, l’autre inférieure – de l’âme humaine. Dans ses Quaestiones
alterae , il rejette cette opinion, qu’il attribue à tort à Averroès, et il se range à l’avis
d’"Alfarabi, d’Aristote, d’Avicenne et des théologiens" qui font de l’intellect agent une
"intelligence séparée". Dans ses œuvres ultérieures – notamment dans les trois Opera –, il
identifie l’intellect agent à Dieu. Cette évolution se retrouve dans sa conception de
l’immortalité de l’âme – tour à tour fixée dans l’intellect agent puis dans l’intellect possible
– et jusque dans son épistémologie générale, où, après avoir tenté d’accommoder la
psychologie aristotélicienne à la doctrine augustinienne des "deux raisons" (supérieure et
inférieure), il finit par placer dans l’intellect agent divin le principe unique de l’illumination
de l’âme humaine, générateur d’une connaissance simultanément définie comme sagesse.

Mathématiques et expérience

Bien que reconnaissant l'autorité d'Aristote, il se refuse à le suivre aveuglément: l'expérience


est en effet pour lui la "reine des sciences,", la seule capable de provoquer et de vérifier leurs
résultats. Il substitue à l’autorité d’Aristote, l’autorité de l’expérience. Il s’entoure d’un grand
nombre de jeunes gens qu’il instruit et qui l’aident dans ses recherches expérimentales. Il
dépense en expériences plus de deux mille livres, somme considérable pour l’époque. Il arrive
à des découvertes exceptionnelles en astronomie, en physique, en chimie et en médecine. Il
considère les mathématiques comme la clé de voûte des autres sciences. L'ampleur de ses
connaissances lui fit donner le nom de "Docteur admirable". Ses observations astronomiques
lui valent d’être accusé de magie et suscitent la méfiance de ses contemporains.

Mathématiques et langues sont pour lui les indispensables instruments de la réforme de


l’organisation du savoir chrétien programmée dans les sept livres de l’Opus maius . Les
mathématiques, parce que la nature opère selon les lois de la géométrie – la diffusion de la
lumière, pensée comme "multiplication des espèces" selon "les lignes, les angles et les
figures", est à la fois le modèle et l’illustration de la physique véritable. Les langues, parce
que la sagesse des philosophes est le fruit d’une révélation dans l’histoire, qui suppose, pour
le chrétien, la maîtrise d’au moins quatre langues: l’hébreu, le chaldéen, le grec, l’arabe.

À la fois mystique et rationaliste, Bacon voit d’emblée l’unité consubstantielle des sciences et
de la théologie. C’est ainsi, par exemple, qu’on ne saurait expliquer le phénomène de l’arc-en-
ciel sans combiner les données des mathématiques, de l’expérience et de l’exégèse,
puisqu’elles nous en livrent respectivement les causes matérielle, efficiente et finale.
Il est le premier à s’apercevoir de l’erreur du calendrier Julien par rapport à l’année solaire et
propose en 1264 à Clément IV de le rectifier. Mais il n’est pas écouté.

Il doit être considéré comme l’un des fondateurs de l’optique ; il met au point la théorie des
miroirs ardents ; il explique, le premier, la formation de l’arc-en-ciel par l’action des rayons
réfléchis et réfractés dans un milieu diaphane.

En établissant les bases de la méthode expérimentale, il est le précurseur des grands médecins
du XVIIIe et du XIXe siècle.
Il avait des idées pertinentes sur l'anatomie et la physiologie de lœil, les miroirs et les verres
grossissants. Vers 1280, son étude de l’action des lentilles et des verres convexes établit les
principes qui permettront la réalisation, plus tard, des bésicles, du télescope et du microscope.

Bien que traitant rarement de médecine dans son œuvre, il a fait preuve d'originalité en
désignant le cerveau comme le centre du système nerveux, ce qui était contraire à l'opinion
d'Aristote et des Arabes.

Il découvre aussi que le mélange de soufre, de salpêtre et de charbon produit une substance
explosive dont on fera la poudre à canon.

Logique et philosophie du langage

De toutes les faiblesses de la société chrétienne, c’est, cependant, l’incapacité des jeunes
théologiens mendiants à fonder l’exégèse sur une connaissance approfondie des langues qui
répugne le plus à Bacon. Il n’a jamais assez de mots pour stigmatiser la "bêtise" et la
"frivolité" de ses contemporains en matière de linguistique et de logique. C’est cette hargne
polémique qui lui fait composer à intervalles réguliers traités et opuscules logiques
(Summulae dialectices , Summa de sophismatibus et distinctionibus , Opus puerorum , De
signis ), qui restent incontestablement le meilleur et le plus fort de son œuvre de savant.

Parallèlement à ses expériences, il apprend les langues latine, grecque, hébraïque, arabe, pour
lire les Anciens dans le texte original.

Frappés d'un long et sévère interdit, de polémiques universitaires ou d’antagonismes


personnels, ses trois principaux ouvrages "l'Opus Majus", "Opus Minus" et "Opus Tertius"
apparaissent comme une encyclopédie et ne furent publiés à Londres qu'en 1733. Il y défend
une réforme nécessaire des sciences, en regroupant la grammaire et la logique ainsi que les
mathématiques et la physique.

• Sa thèse principale est que les noms sont originairement institués ("imposés") pour "appeler"
des individus et non des formes générales. Bacon rejette la théorie parisienne de la
"supposition naturelle", qui interprète l’appellation comme la restriction de la référence
omnitemporelle du sujet par le temps verbal du prédicat. Pour lui, l’appellation n’est pas une
propriété déterminée par le contexte propositionnel: c’est une propriété originaire. Un nom
qui n’"appelle" rien n’a pas de signification ou, s’il en a une, elle est équivoque. La
signification va de pair avec la force appellative. Elle n’est pas "donnée" une fois pour toutes.

• La deuxième thèse fondamentale est que le simple ordre des mots ne suffit pas à déterminer
automatiquement les relations syntactico-sémantiques entre les termes (l’"inclusion"). Le
logicien ne doit pas s’intéresser au seul niveau horizontal de la phrase réalisée ("prononcée"),
il doit aussi considérer les relations verticales entre les différents "engendrements" successifs
qui, du plan mental au plan verbal, concourent à la production d’un discours (generatio
sermonis ).

• La troisième thèse baconienne, qui résulte des deux précédentes, dévoile une dimension
pragmatique du langage: rejetant à la fois la notion de détermination contextuelle automatique
du sujet par le prédicat et l’hypothèse d’une fixité de la signification des noms garantie par
l’"imposition originaire" du "premier instituteur" (Adam), Bacon montre que les contextes
propositionnels ne sont que des "incitations" (causes "occasionnelles") à "ré-imposer" les
noms dans le sens suggéré ou impliqué par les différentes situations linguistiques et
extralinguistiques proposées au locuteur. De ce fait, chaque locuteur peut et doit être
considéré comme le "premier inventeur du langage". L’imposition originaire des noms
recommence chaque fois que deux personnes se parlent. Cet occasionnalisme linguistique, qui
fait de chaque locuteur un impositeur, permet de justifier logiquement le thème traditionnel de
l’origine "conventionnelle" du langage – tout acte de communication est un pacte
linguistique – et de motiver philosophiquement la recherche historique et philologique sur
l’évolution des langues – toute langue a une histoire. En dernière analyse, c’est la liberté
humaine qui fonde et garantit la rationalité du langage dans le mouvement de ses altérations.
Si l’usage a force de loi, c’est uniquement parce qu’il ne réclame que la rationalité de celui à
qui l’on s’adresse.

On le voit, c’est dans le domaine de la philosophie du langage que Bacon a le mieux concilié
son triple goût pour l’empirisme, la critique et la spéculation.

Surnommé le "Docteur admirable", il est pour son époque un esprit novateur, soucieux du
progrès de la science.

Albertus Manus ou Albert le Grand


1193 (1206) - 1280
Philosophe et téologien, membre de l'ordre dominicain

Albert-le-Grand, scientifique, philosophe et théologien alémanique, érudit en sciences et


naturaliste du XIIIe siècle.

Religieux de l'ordre des Dominicains.

Albert von Bollstädt ou encore Albert le Grand


est né entre 1193 et 1206, à Lauingen dans le
duché de Souabe (Bavière), sur les bords du
Danube, en pays Alémanique, dans une famille
de militaires ou de fonctionnaires au service de
l’Empire. Albert étudie les lettres et la médecine
à Venise et à Padoue. Il y fait la connaissance du
maître général de l’Ordre des dominicains, Jourdain de Saxe. En 1223, il entre dans l'ordre
des Prêcheurs (dominicains).

Selon l'usage, il fut envoyé dans sa patrie, l'Allemagne. Il fit à Cologne son noviciat et ses
études théologiques, et accéda au sacerdoce. Il reçoit l’habit de Saint Dominique, à Padoue en
1229. Il fut nommé lecteur dans différents couvents récemment fondés de la province
allemande de l'ordre, chargé de compléter la formation théologique des frères, à Hildesheim,
Ratisbonne, Fribourg et Strasbourg. C'est alors - entre 1234 et 1242 - que parurent ses
premières œuvres.

Découverte et enseignement à Paris

Prenant conscience de la pénétration massive en Occident de la science gréco-arabe (Ibn al-


Haytham, Avicenne), "Maître Albert" se livre à une étude de pionnier dans laquelle il mettra
en valeur la pensée d’Aristote. La philosophie aristotélicienne devient alors "la servante" du
dogme chrétien, car "la réflexion philosophique loin de contredire la révélation, permet de
mieux la comprendre".

Vers 1242 il découvre à Paris, où il est venu enseigner en tant que bachelier et y obtenir le
grade de maître, les traductions des textes grecs et arabes et commence à travailler sur
Aristote et son commentateur arabe Averroès. Le bachelier, à peu près comparable au
professeur assistant d'aujourd'hui, devait faire une année un cours d'Écriture sainte et, l'année
suivante, se consacrer aux commentaires des quatre "Livres des Sentences" de Pierre
Lombard, alors la plus importante œuvre de théologie.

Nommé Maître en théologie de l’Université de Paris en 1245. Il s'installe donc à Paris de


1245 à 1248. Il était d'usage que les cours fussent données dans la "maison" du professeur : en
l'occurrence, au couvent Saint-Jacques qui se trouva bientôt trop petit, tant les étudiants se
pressaient aux cours d'Albert. Il occupait une maison aujourd'hui Rue maître Albert… proche
de la Place Maubert… nom à consonance familière pour l'instruit, son nom Magister Maubus,
transformé au cours des siècles devient Maubert, une place en plein Paris dans le VIe
arrondissement porte ce nom en souvenir de cet homme qui donnait de nombreux cours aux
étudiants venus pour suivre son enseignement. C'est à Paris qu'il eut pour élève le jeune
Thomas d'Aquin.

L'entrée d'Aristote dans les programmes d'études provoquait alors une ouverture des
mentalités dans la vie intellectuelle et ouvrait de nouveaux domaines de recherche, Albert
restait toujours fidèle à la méditation journalière d’une page de l’Ecriture.

Retour à Cologne

Il séjourne à nouveau à Cologne de 1248 à 1254, où il fonde l’Ecole supérieure de théologie


(Studium generale) qu'il dirige jusqu'en 1254. Thomas d’Aquin l’a suivi en disciple. Albert
recommanda le jeune bachelier à la faculté de Paris et l'imposa, malgré quelques résistances
avec ces mots : "Maintenant mon fils, retourne à Paris, car tu es meilleur clerc que moi."

D'une très grande culture philosophique et théologique, érudit en sciences on lui donna le nom
de "Docteur universel". Son œuvre est vaste et variée.
Il traite peu de médecine, mais dans "Summa naturalium" il s'intéresse à la botanique et aux
vertus des plantes utilisées en thérapeutique. Dialecticien, disciple d'Aristote, il accordait une
place non négligeable à l'observation et l'expérience dans la connaissance. Dans le "Cælo et
Mundo" et dans "Physica" ses deux œuvres majeures il définit ce que doit être l'état d'esprit du
scientifique: "Une conclusion logique qui contredit la perception des sens est inacceptable. Un
principe qui ne concorde pas avec l'observation expérimentale n'est pas en réalité un principe
mais, au contraire, une faute de principe."

De nombreuses personnes l'ont suspecté de s'être livré à l'art alchimique sous le couvert de la
religion. Il croyait en la Magie des Plantes et des Pierres, et à leurs effets sur l'être humain. On
peut rappeler ici que les plus fameux grimoires de sorcellerie qui nous sont parvenus ont été
écrits par des Dominicains.

En 1259, il structure avec Thomas d’Aquin les études des Prêcheurs, en les ouvrant aux
philosophies nouvelles.

L'événement décisif de ces années fut pour lui un voyage à la cour pontificale, à Anagni, où il
défendit devant le pape Alexandre IV l'ordre attaqué par quelques professeurs de l'université
de Paris. Le pape le retint quelques mois à sa cour et le chargea d'enseigner à l'École
pontificale : il y donna des cours sur l'évangile de saint Jean et les épîtres pastorales. Mais
lorsqu' il put regagner sa cellule conventuelle à Cologne, ce furent les bourgeois de cette ville
qui le firent pénétrer dans la vie politique. Conciliateur par vocation, Albert arbitre plusieurs
conflits dont celui qui oppose la ville de Cologne à son archevêque. Une véritable guerre se
préparait entre la ville et l'archevêque Conrad de Hochstaden qui imposait aux bourgeois des
restrictions pour leur commerce et en exigeant d'eux des modifications de leur administration.
Albert joua avec succès le rôle d'arbitre. L'archevêque Conrad n'avait échappé qu'en se
démettant de sa charge à un procès imminent pour dissipation des biens d'Église et autres
graves abus

C'est alors que le Pape, dont l'inquiétude était justifiée devant l'état affligeant du diocèse, en
1260, nomme Albert au siège d'évêque de Ratisbonne (ville libre impériale de Bavière). Après
avoir occupé sa charge pendant à peine deux ans, considérant qu'il y avait contradiction à ce
qu'un moine mendiant fût évêque de Ratisbonne et par là même prince d'Empire, quand
Albert pensa avoir trouvé, en la personne du doyen de la cathédrale, un successeur possible, il
alla trouver à Anagni le pape Urbain IV, le pria d'accepter sa démisssion et lui suggéra de
désigner comme évêque de Ratisbonne le doyen Léon. Le pape fut d'accord sur tout cela.
Mais au lieu de laisser Albert retourner à Cologne et reprendre ses commentaires d'Aristote, il
le retint dans sa cour d'Anagni, puis l'envoya comme légat pontifical prêcher en Allemagne,
pendant trois ans (1261-1264) la croisade (la huitième) qu'on préparait.

Il reprend alors l’enseignement, de ville en ville, à Würzbourg (1264), Strasbourg (1267),


Cologne (1270) et revient à Paris, vers 1276-1277, pour tenter d’apaiser l’hostilité des
théologiens de l’université contre les philosophies grecque et arabe.

Albert le Grand laisse une œuvre savante d’une grande ampleur, particulièrement brillante
dans les domaines :
* des sciences naturelles,
* de la philosophie,
* de la théologie
Ses traités de sciences naturelles, conçus sur le modèle de l’encyclopédie d’Aristote,
condensent les textes grecs et latins commentés et complétés par les Arabes (dans les
domaines de l’astronomie, des mathématiques, de la médecine) ; mais Albert ajoute ses
propres critiques et observations. Il prône l’expérience, n’hésitant pas à interroger lui-même
les spécialistes. Ainsi son traité "De Animalibus" est composé de dix-neuf livres rapportant
les données antiques et de sept livres qui sont les fruits de ses observations et de ses enquêtes
auprès de chasseurs, fauconniers, baleiniers... Il classe plus de quatre cents espèces végétales
"De Vegetalibus libri septem" (Des Végétaux). S’autorisant à critiquer Aristote, il corrige
chaque fois qu’il le juge utile les erreurs de l’héritage antique.

Son œuvre philosophique est très importante : ses paraphrases d’Aristote et d’Averroès ont été
des vecteurs de diffusion en Occident des philosophies grecques et arabes, qu’il a été le
premier savant chrétien (vite relayé par son disciple Thomas d’Aquin) à faire entrer dans la
doctrine chrétienne.

S’il a fait preuve de moins d’originalité dans son œuvre théologique, les divers commentaires
des Evangiles, du Livre des Sentences de Pierre Lombard, des prophètes, portent cependant sa
marque.

En 1274, année de la mort de Thomas d’Aquin, Albert participe au concile de Lyon où


"Orientaux et Occidentaux - note le saint docteur universel- chantent ensemble le Credo en
latin puis en grec". Lorsque l’évêque parisien Tempier condamne les thèses thomistes, en
1277, maître Albert revient à Paris pour défendre son disciple. "Il vit encore parmi nous par sa
science et sa sainteté", déclare-t-il au sujet de son disciple Thomas d’Aquin.

Albert consacra les derniers mois de sa vie à prier et à méditer dans sa cellule. Il meurt
entouré des prières de ses frères, à Cologne le 15 novembre 1280.

Saint Albert le Grand sera béatifié par Grégoire XV le 15 septembre 1622, mais ne sera
canonisé et déclaré docteur de l'Eglise par Pie XI que le 16 octobre 1931. "Albert qui, durant
sa vie, collabora avec autant d’énergie que de succès à ramener la paix entre les Etats et les
princes, entre les peuples et les individus, nous apparaît comme le type véritable de l’arbitre
de la paix. Il possédait en effet à un haut degré le don de la conciliation, grâce à la renommée
que lui valait sa solidité doctrinale et sa réputation de sainteté. Le tout s’alliait enfin, chez lui,
à une grande dignité personnelle que relevait encore, en l’ennoblissant, le caractère sacré du
sacerdoce.
La science elle-même est la meilleure des voies qui conduisent à une paix stable, quand elle se
soumet en même temps à la droite raison et à la foi surnaturelle. Chez Albert le Grand, les
clartés des sciences tant humaines que divines, se fondent dans une admirable union et le
nimbent d’une glorieuse auréole. Par son exemple magnifique, il nous avertit qu’entre la
science et la foi, entre la vérité et le bien, entre les dogmes et la sainteté, il n’existe aucune
espèce d’opposition ; bien plus, qu’il existe entre eux une intime cohésion (...) "

Pie XII le proclame "patron céleste de tous ceux qui s’adonnent à l’étude des sciences
physiques et naturelles" , le 16 décembre 1941.

Saint Albert le Grand, le "Docteur universel", eut une influence considérable sur Thomas
d'Aquin qui fut le plus éminent de ses disciples.
Thomas d'Aquin
1226-1274
Théologien, philosophe italien, membre de
l'ordre dominicain
Considéré comme l'un des principaux maîtres de la scolastique et de la théologie catholique, il
a été proclamé Docteur de l'Église en 1568.

Thomas est né en 1226 au château de


Roccasecca, à Aquino près de Naples en
Italie. Il appartenait à une riche famille
lombarde. Cette année là, François d'Assise
mourait et le futur Saint Louis montait sur le
trône. Il fait ses premières études chez les
bénédictins du mont Cassin, où il s'initie à la
grammaire, aux sciences naturelles, et à la
philosophie grecque, avant de poursuivre ses
études à l'université de Naples et de
rejoindre l'ordre dominicain en 1244.

Le jeune Thomas fut reçu parmi les novices


de l'ordre mendiant que saint Dominique
avait fondé en 1214 et y entra, en dépit de
l'opposition de sa famille qui le fait
emprisonner pendant un an. Ensuite il
poursuit ses études pendant trois ans à Paris
puis à Cologne (1248) où il a pour maître
Albert le Grand dominicain allemand et
savant naturaliste, qui tentait d'accorder la
théologie à la philosophie. Il y est ordonné
prêtre en 1250.

Rêveur, taciturne mais réfléchi, par dérision


ses condisciples le surnommèrent le grand
bœuf muet de Sicile. Un jour que son illustre
maître, Albert le Grand, lui demanda de soutenir une thèse contre lui, le génie de Thomas se
manifesta dans toute sa puissance. Heureux et fier pour son église et pour son ordre, Albert le
Grand déclara: "Voilà celui que nous appelions un bœuf muet; mais il poussera dans la
science de tels mugissements, qu'ils retentiront dans le monde entier."

Thomas revient à Paris envoyé par son maître Albert le Grand, où il enseigne la théologie à
l'Université de Paris entre 1252 et 1255, il obtient le grade de docteur et dirige une des deux
écoles du collège de Saint-Jacques. Il était devenu très rapidement Maître renommé. Ses
prédications et ses écrits eurent un immense succès. Bénéficiant d'une nouvelle traduction
latine des œuvres d'Aristote, il eut l'audace de mettre au service de la "science théologique" la
philosophie du Stagirite.
Il va prêcher dans plusieurs villes d'Italie. Puis à la demande du roi et de l'Université il revient
enseigner à Paris de 1269 à 1272. Le roi Saint Louis aimait l'avoir à sa cour pour le consulter.

Il est nommé régent des études à Naples.

La pensée théologique de Thomas d'Aquin repose sur deux principes fondamentaux:


* Une confiance active en la raison,
* Une référence permanente à la nature.

Le 6 décembre 1273 Thomas a une vision qui provoque l'écriture de sa Somme théologique
qu'il dictera à des secrétaires et à la rédaction de laquelle il consacre la dernière année de sa
vie. Sa vision réalise une synthèse heureuse entre les écritures, la doctrine des Pères de
l'Eglise et la connaissance antique telle qu'elle était exposée par Aristote. Il réconcilie foi et
raison en mettant les ressources de la raison au service de la foi, au point de constituer la
théologie en science véritable - science des choses divines - battit à l'aide de raisonnements et
de démonstrations conformes aux principes aristotéliciens.

"En matière de foi et de mœurs, il faut croire Saint-Augustin plus que les philosophes, s'ils
sont en désaccord ; mais si nous parlons médecine, je m'en remets à Galien et à Hippocrate, et
s'il s'agit de la nature des choses, c'est à Aristote que je m'adresse ou à quelque autre expert en
la matière".

Sa formation le vouait à combattre sur deux fronts:


- d'une part, contre les augustiniens, les disciples de saint Augustin, pour qui la philosophie
gréco-arabe introduisait le paganisme dans la pensée chrétienne;
- de l'autre, contre les averroïstes, pour qui la philosophie s'identifiait avec les positions du
célèbre philosophe arabe Averroès.

Il meurt le 7 mars 1274 à l'abbaye de Fossa-Nuova, à quarante-neuf ans, lors d'une étape, en
se rendant au Concile de Lyon, où il avait été convoqué comme expert. Il fut enterré à l'église
Saint-Sernin à Toulouse en 1368.

L'Eglise reconnut la sainteté de vie du "Docteur angélique" et la portée de son travail


théologique: canonisé dès 1323 par Jean XXII, il fut proclamé Docteur de l'Eglise en 1567 par
Pie V.

« A juste titre, saint Thomas peut être appelé "Apôtre de la vérité". En effet, l'intuition du
"Docteur angélique" consiste en la certitude qu'il existe une harmonie fondamentale entre la
foi et la raison : "Il est donc nécessaire que la raison du croyant ait une connaissance naturelle,
vraie et cohérente, des choses créées du monde et de l'homme, qui sont aussi l'objet de la
révélation divine ; plus encore, la raison doit être en mesure d'articuler cette connaissance de
manière conceptuelle et sous forme d'argumentation. "
Jean-Paul II, pape ( dans la Lettre appostolique Inter Munera Academiarum, 28 janvier 1999)

Autres ouvrages de Thomas d'Aquin:


- Somme contre les gentils
- Traité sur Dieu et la création
- Commentaire des sentences
Autres Biographies ❘
Mis à jour le Mercredi 18 Octobre, 2017.

Vous aimerez peut-être aussi