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Cour suprême (ex. Cour de cassation) du Sénégal.

Arrêt
n° 79 du 16 juillet 2008. Aliou Bathily c/Abdoul Diallo pj

1 L a Cour

2Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

3Vu la loi organique n° 92-25 du 30 mai 1992 sur la Cour de cassation ;

4Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que par jugement du 28 mars 2001, le
tribunal régional de Dakar, après avoir rejeté la demande de résolution du contrat de
vente conclu entre Aliou Bathily et Abdoul Diallo et constaté que ce dernier s’est
libéré du prix convenu, a ordonné la perfection du contrat sous astreinte de 15000 F
par jour de retard ;

5Sur le premier moyen pris de la violation des dispositions des articles 323, 382 et
383 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, en ce que le juge d’appel a
confirmé le perfection de la vente sur la base uniquement d’un acte sous seing privé
n’ayant pas date certaine, passé entre le défendeur au pourvoi et El hadji Mamadou
Sall qui, ne disposant pas d’une procuration notariée, n’a jamais justifié être son
mandataire, alors que, s’agissant d’un titre foncier, les transactions portant sur
l’immeuble dont la perfection de la vente était recherchée, sont régies par un
formalisme rigoureux fixé par les règles visées au moyen ;

6Vu les articles 323, 382 et 383 du Code des Obligations Civiles et Commerciales,
ensemble l’article 258 du même Code ;

7Attendu qu’en vertu de ces textes d’ordre public, la vente et la promesse


synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé, ainsi que la procuration
donnée pour conclure de tels actes doivent, à peine de nullité absolue, être passées
par devant notaire ;

8Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, qui a ordonné la perfection de


la vente d’un immeuble objet du TF n° 19916/DG sur la base d’un acte sous seing
privé, l’arrêt retient « que l’appelant principal bien que représenté par un conseil, n’a
versé au dossier, à part l’acte d’appel, aucune autre pièce pour soutenir sa
demande tendant à l’infirmation de la décision attaquée ; que l’attitude de l’appelant
laisse supposer qu’il n’a pas de moyens sérieux à opposer aux arguments retenus par
les premiers juges » ;

9Qu’en se déterminant ainsi, alors que la vente porte sur un immeuble immatriculé,
la cour d’Appel a violé les textes susvisés ;

10Par ces motifs,


11Et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les deuxième et troisième moyens :

12Casse et annule…

Observations
131. « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient » [1][1]Souvent prêtée aux
hommes politiques (on se demande bien… lorsqu’elles portent sur la vente d’un
immeuble immatriculé et si elles ont été passées par acte sous seings privés. Cet
enseignement constant [2][2]Cf. CS, 2ème civ. et com., 04 juin 1993, Arrêt n° 107,
EDJA n°… de la jurisprudence de la Cour suprême du Sénégal [3][3]La loi organique
n° 2008-35 du 7 août 2008 a institué, à… vient, à nouveau, d’être confirmé par
l’arrêt n° 79 du 16 juillet 2008. Toutefois, malgré cette constance de la jurisprudence
de la Cour, cet arrêt peut faire débat à un double point de vue, au moins. D’une part,
la règle plusieurs fois répétée ne semble pas être parfaitement entendue par les
juridictions du fond. Certaines décisions continuent à accorder, comme en l’espèce,
une certaine valeur juridique à la promesse sous seings privés de vente d’immeuble
immatriculé. C’est le signe que le principe du formalisme de la promesse est loin de
faire l’unanimité. Il appelle certaines critiques qui, à maints égards, paraissent
légitimes au regard du fondement discutable que lui assigne la Cour suprême.
D’autre part, le principe de solution consacré apporte une précision supplémentaire
quant à la portée du formalisme des contrats relatifs à une transaction immobilière,
au-delà de la seule promesse de vente [4][4]Cf. infra : n° 33. - s.. Cet arrêt suscite
ainsi une discussion essentielle sur la détermination des contours du formalisme
des contrats relatifs aux immeubles immatriculés [5][5]La question est d’autant plus
importante dans le contexte du….
142. A l’origine de cette affaire, un mandataire ne justifiant pas d’une procuration
notariée avait signé un acte sous seings privés portant sur la vente d’un immeuble
immatriculé. La perfection de la vente a été poursuivie par le futur acquéreur qui
s’était libéré du prix convenu. Celle-ci sera ordonnée par la Cour d’appel de Dakar
dans son arrêt n° 657 du 17 décembre 2004, confirmant le jugement entrepris par le
tribunal régional hors classe de Dakar en date du 28 mars 2001. En déférant cet
arrêt de la Cour d’appel à la censure de la Haute juridiction sénégalaise, le pourvoi
l’invitait à se prononcer sur la question de savoir si la promesse synallagmatique de
vente sous seings privés portant sur un immeuble immatriculé est valable.
Répondant clairement par la négative, la Cour suprême a affirmé qu’une telle
promesse, tout comme la vente sur laquelle elle porte, doivent être passées par acte
notarié.

153. Cet arrêt soulève des interrogations liées à la portée du formalisme des actes
relatifs aux immeubles immatriculés ainsi qu’à la valeur juridique de tels actes
lorsqu’ils sont passés sous seings privés. La Cour suprême y a apporté des réponses
tranchées en se prononçant sur la nature de la sanction de la violation de l’exigence
d’un acte notarié. Mais, de manière sous-jacente, l’arrêt de la Cour peut faire débat.
D’un point de vue de pure technique juridique, une distinction nette suivant la nature
des actes intervenus entre les parties n’a pas été clairement faite au regard des
dispositions visées. La Cour n’a pas fait le départ, ni affirmé clairement l’assimilation
entre la promesse visée par l’article 382 et « le contrat » auquel se réfère l’article
383. La promesse de vente -et au-delà d’elle, les avant-contrats- est-elle visée sous
ce vocable « contrat » ou est-ce seulement la vente définitive qui est visée ? D’un
point de vue de politique juridique, la nature des intérêts en cause dans les
transactions en matière immobilière doit être définie. De telles opérations
concernent-elles la protection des parties ou de la société, d’intérêts particuliers ou
de l’intérêt général ? Dans certains systèmes juridiques, la promesse synallagmatique
de vente (ou la vente), même portant sur un immeuble, peut être passée par acte
sous seings privés sans que sa validité ne soit remise en cause par ce seul fait [6]
[6]Ainsi, en droit français, la forme notariée n’est pas exigée…. Dans ce cas, la
portée de la promesse est déterminée par les stipulations des parties. Celles-ci
peuvent ainsi différer la seule prise d’effets de la vente jusqu’à l’accomplissement de
certaines formalités, auquel cas, la promesse synallagmatique de vente vaut vente [7]
[7]Par exemple, si les parties prévoient que le transfert de…. Mais elles peuvent
également prévoir que la formation de la vente est subordonnée à la signature d’un
acte authentique dans un certain délai. Dans ce dernier cas, la promesse ne vaut pas
vente [8][8]Cf. La vente d’immeuble. Sécurité et transparence, 99e Congrès…. Elle
s’analyse en un simple projet non obligatoire que certains qualifient, de manière
discutable, de vente sous condition suspensive [9][9]Cette qualification est
contestable dans la mesure où, d’une….
164. Au Sénégal, la Haute juridiction reste constante en matière d’encadrement des
opérations immobilières par le formalisme d’authenticité. Sur le fondement discutable
des dispositions d’ordre public du Code des obligations civiles et commerciales
(COCC), elle consacre, en effet, l’exigence d’un formalisme des contrats relatifs aux
immeubles immatriculés (I). Faut-il y voir une manifestation du renouveau du
formalisme en matière contractuelle ? Ce formalisme des contrats relatifs aux droits
réels immobiliers irait dans le même sens que les nouvelles tendances vers un
formalisme informatif protecteur [10][10]G. Couturier, « Les finalités et les sanctions
du formalisme »,…. Celui-ci est sanctionné, le plus souvent, sévèrement [11]
[11]Magnier, « Les sanctions du formalisme informatif », JCP 2004,…, par la
jurisprudence. Ou alors, est-ce la marque de lourdeurs mal fondées qui freinent ou
ralentissent inutilement les opérations immobilières ? Quel que soit le point de vue
adopté, le développement de ce formalisme de validité marque un recul
supplémentaire du consensualisme ou liberté des formes contractuelles [12][12]J.-L.
Bergel, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 4e éd.…. La justification réside, selon
la décision d’espèce, dans l’ordre public, c’est-à-dire, des impératifs liés à la
protection des parties, des tiers et de la société, en général. Partant, la Cour a
apporté une précision quant à la sanction des actes sous seings privés portant sur un
immeuble immatriculé (II).

I – Le formalisme des contrats relatifs aux immeubles


immatriculés

175. Suivant l’arrêt de la Chambre civile et commerciale, les actes juridiques litigieux
devaient faire l’objet d’un acte passé par devant notaire. Afin de préciser la base
juridique de cette exigence, la Cour se réfère à des dispositions d’ordre public
comme fondement textuel du formalisme (A). Dans le même temps, elle détermine
l’expression de ce formalisme (B).

A – Le fondement textuel du formalisme


186. Pour asseoir l’exigence de formalisme des contrats relatifs aux droits réels
immobiliers, l’arrêt se fonde sur les dispositions combinées des articles 258, 323, 382
et 383 du COCC. L’ensemble de ces dispositions serait d’ordre public et constitue,
selon la Cour, la base légale du formalisme exigé. Toutefois, si les textes d’ordre
public des articles 258, 382 et 383 du COCC peuvent constituer le siège, le
fondement, certes discutable, du formalisme des contrats relatifs aux droits réels
immobiliers (1), la référence, par la Cour, à l’article 323, consacré à la promesse de
contrat consensuel, est plus contestable et rend ce fondement inopportun (2).

1 – Le fondement discutable du formalisme


197. La situation des textes visés en l’espèce dans le Code est primordiale pour
l’intelligence de l’arrêt. Ainsi, l’article 258 du COCC consacre le caractère d’ordre
public des dispositions relatives, notamment, aux contrats relatifs aux immeubles
immatriculés [13][13]Ainsi, après avoir précisé que les dispositions de la deuxième….
Il fait partie des dispositions du titre préliminaire de la deuxième partie du Code
traitant des contrats spéciaux [14][14]Loi n° 66-70 du 13 juillet 1962, entrée en
vigueur le 1er…. Toutefois, force est de reconnaître qu’il ne suffit pas, comme le fait
la Cour, de constater le caractère d’ordre public des dispositions visées pour
caractériser le fondement du formalisme de la promesse ou du mandat. Un examen
minutieux de ces textes et de leur situation dans le COCC permet d’apporter de
sérieuses réserves sur la justesse de la référence.
208. L’article 382 est consacré à la promesse synallagmatique de vente portant sur
un immeuble immatriculé. Il dispose que « l’acte par lequel les parties s’engagent,
l’une à céder, l’autre à acquérir un droit sur l’immeuble, est une promesse
synallagmatique de contrat » [15][15]Art. 382 al. 1.. L’acte ainsi défini « oblige l’une
et l’autre partie à parfaire le contrat en faisant procéder à l’inscription du transfert du
droit à la Conservation de la propriété foncière » [16][16]Art. 382 al. 2.. Mais pour
produire des effets, la promesse synallagmatique de contrat doit-elle respecter la
condition inscrite à l’article 383 ? Celui-ci, introduit par la loi n° 85-37 du 23 juillet
1985, dispose que « le contrat doit, à peine de nullité, être passé devant un notaire
territorialement compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires
contraires » [17][17]Ce texte peut être rapproché de l’article L. 261-11 du Code…. Le
champ d’application de ce dernier texte pourrait faire débat du fait de l’usage du
terme « le contrat » par le législateur.
219. Une première lecture, privilégiée par la Cour, suggère que « le contrat » visé
est entendu au sens large englobant l’« avant-contrat » dont traite l’article 382 du
COCC [18][18]Cette analyse est partagée en droit sénégalais. Cf. notamment,…. C’est
ainsi que l’on peut expliquer que la décision de la Cour se réfère expressément à « la
vente et la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé ainsi que
la procuration donnée pour conclure de tels actes ». Cette conception large pourrait
apparaître comme conforme à l’architecture du code qui insère l’article 383 parmi les
règles générales applicables « aux contrats relatifs aux droits réels portant sur les
immeubles immatriculés ». Alors, la référence « aux contrats » justifierait de ne pas
cantonner la règle de l’article 383 à la seule vente définitive. Sous cet angle, la
position de la Cour respecte la nature juridique de la promesse synallagmatique ainsi
que du mandat. La promesse synallagmatique de vente s’analyse, en effet, comme
un contrat par lequel les parties s’obligent mutuellement, l’une à vendre, l’autre à
acheter un bien déterminé à un prix fixé. De même, le mandat, qu’il soit bénévole ou
salarié, nécessite un accord de volontés entre le mandant et le mandataire. Il fait
naître au moins une obligation, à la charge du mandataire, de réaliser des actes
déterminés, à titre indépendant, pour le compte du mandant.
2210. Mais cette position de la Cour respecte-t-elle l’esprit des dispositions visées ?
On peut en douter avec raison. En effet, une deuxième lecture de ces textes incline à
limiter l’exigence d’un acte notarié au seul contrat final de vente d’immeuble.
Vraisemblablement, le terme « le contrat », inscrit à l’article 383 du COCC, vise le
contrat de vente définitive. Or, la promesse de contrat, en matière de vente
d’immeuble, se distingue du contrat définitif. Si, en vertu de l’article 323 du COCC, la
promesse synallagmatique de vente vaut vente, c’est à la condition expresse que le
contrat puisse être passé librement. Il en est autrement en matière immobilière
où l’article 383 prescrit un formalisme obligatoire. La réglementation y est donc
dérogatoire par rapport au consensualisme de la vente en droit civil sénégalais. La
promesse synallagmatique de vente, dont le législateur a pris soin de définir le
régime juridique (définition et effets) dans l’article 382 présente une autonomie
certaine par rapport à un contrat définitif qui, indubitablement, est formaliste. On
peut donc raisonnablement considérer que si l’article 383 a consacré un formalisme à
un « contrat », il s’agit bien du contrat de vente définitive. Le principe d’une
interprétation stricte des exceptions milite en ce sens. Le législateur l’aurait
certainement précisé sans équivoque dans l’article 382 qui est consacré à cet avant-
contrat s’il avait entendu exiger le même formalisme pour la promesse. Celle-ci
devrait donc être valable lorsqu’elle est passée sous seings privés. Toutefois, ce n’est
pas la position adoptée par la Cour suprême qui a écarté cet entendement strict de
l’article 383 par un raisonnement qui ne semble pas exact, ni bien fondé.

2311. Obéissant à une politique jurisprudentielle orientée vers le contrôle des


transactions immobilières, l’arrêt de la Cour suprême est fondé sur une interprétation
large mais contestable de l’article 383 du COCC. Au demeurant, en suivant la logique
empruntée par la Cour, les dispositions d’ordre public de ce texte, combinées à celles
des articles 258 et 382 se seraient suffi à elles-mêmes pour servir de base légale à
l’exigence de formalisme. C’est pourquoi la référence à l’article 323 du COCC peut
paraître inopportune, voire contradictoire.

2 – Le fondement inopportun du formalisme


2412. La Cour suprême se réfère à l’article 323 du COCC. Aux termes de ce texte,
« la promesse synallagmatique est une vente parfaite lorsque le contrat peut être
passé librement. Dans le cas contraire, elle oblige les parties à parfaire le contrat en
accomplissant les formalités nécessaires à sa formation ». L’arrêt renvoie à ce texte
comme à une disposition d’ordre public servant de base légale à l’exigence du
formalisme prescrit à propos des actes portant sur des immeubles immatriculés. Or,
un tel renvoi est très discutable. Il révèle une certaine contradiction dans la
détermination des bases légales du formalisme.

2513. D’abord, la référence manque d’exactitude car le texte de l’article 323 du


COCC n’est pas d’ordre public. Il ne relève pas des matières considérées par l’article
258 alinéa 2 comme faisant l’objet de dispositions d’ordre public. Il est plutôt soumis
au principe posé par le premier alinéa de cet article. Suivant ce principe, « les
dispositions de la deuxième partie du COCC sont supplétives de la volonté des
contractants ». L’article 323 fait partie des dispositions consacrées aux modalités de
la vente. Il pose donc une règle dispositive à laquelle la Cour renvoie, sans raison,
comme à une règle d’ordre public.

2614. Ensuite, une telle référence est de nature à jeter le trouble dans la mesure où
il s’évince de ce texte que la promesse synallagmatique de vente, par laquelle les
parties s’accordent mutuellement, l’une pour vendre, l’autre pour acheter une chose
déterminée pour un prix fixé [19][19]A l’opposé, dans la promesse unilatérale de
vente ou d’achat,…, est une vente parfaite lorsque le contrat est consensuel. Sinon,
elle oblige les parties à parfaire le contrat en accomplissant les formalités nécessaires
à sa formation [20][20]Art. 323 du COCC.. La solution induite par l’article 323 prend
le contre-pied de celle qui découle de la position de la Cour. Elle obligerait les parties
à un contrat portant sur un droit réel immobilier à le parfaire en accomplissant les
formalités nécessaires à sa formation. Des dispositions supplétives de volontés,
consacrées à la vente, en général, ne devraient pas, selon la solution de l’espèce,
pouvoir faire échec à l’application de règles d’ordre public consacrées spécialement
aux contrats portant sur des immeubles immatriculés. L’opportunité d’inclure l’article
323 du COCC parmi les bases légales de l’exigence de formalisme est donc très
discutable. Et ce texte est d’ailleurs souvent brandi afin de justifier la solution
contraire [21][21]Cf. en ce sens, CA Dakar, n° 339 du 4 juil. 2002.
Décision… permettant de conclure à la validité de la promesse de vente sous seings
privés [22][22]Cf. supra..
2715. Une référence à l’article 322 du COCC aurait été plus compréhensible de la
part de la Cour suprême. Ce texte consacre une définition de la promesse
synallagmatique de vente plus précise que celle de l’article 382, alinéa 1. Il met
l’accent sur les éléments essentiels sur lesquels porte l’accord des parties : « une
chose déterminée » et « un prix fixé ». Il aurait donc été parfaitement
complémentaire avec les dispositions des articles 382 et 383 qui, dans l’esprit de cet
arrêt, déterminent la manifestation du formalisme.

B – L’expression du formalisme
2816. L’arrêt apporte deux précisions concernant la position de la Cour sur la
manifestation du formalisme dans les actes relatifs aux droits réels portant sur les
immeubles immatriculés. D’une part, il s’agit d’un écrit ad solemnitatem [23][23]On
parle de formalisme ad solemnitatem si la nullité est… (1) qui fait échec au principe
du consensualisme. D’autre part, c’est un écrit authentique (2) qui repose en principe
sur l’établissement d’un acte notarié.
1 – L’exigence d’un écrit ad solemnitatem
2917. Les conventions litigieuses auraient dû, selon les termes de l’arrêt, « être
passées par devant notaire ». Ainsi, le formalisme exigé par la Cour affecte la validité
de la vente, de la promesse ou du mandat consenti pour passer de tels actes. A ce
titre, il fait véritablement exception au consensualisme qui trouve son siège, en droit
sénégalais, à l’article 41 du COCC. Ce principe qui gouverne la matière des contrats
signifie que ceux-ci peuvent être passés librement, leur validité se suffisant de
l’échange des consentements. Les parties expriment leur consentement de quelque
manière que ce soit, à condition que la manifestation de volonté ne laisse aucun
doute sur leur intention [24][24]Article 60 du COCC.. L’exigence d’un écrit ou d’autres
formalités pour la validité d’une convention relève donc d’une exception qui doit être
prescrite par une disposition particulière. Selon la Cour suprême, la conclusion des
actes relatifs à un immeuble immatriculé, notamment d’une promesse, compte parmi
les exceptions au consensualisme, même si cela ne résulte pas, de manière
univoque, de la loi.
3018. Le formalisme réside donc dans la rédaction d’un écrit [25][25]Le formalisme
de validité peut également résider dans la remise… ad solemnitatem [26][26]L’acte
juridique qui est frappé d’un tel formalisme est un acte…. Si l’écrit n’est pas défini
par le législateur sénégalais, il est admis qu’il résulte d’une suite de lettres, de
caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification
intelligible [27][27]Définition consacrée par l’article 1316 du Code civil français…. En
principe, le support sur lequel est établi l’écrit est indifférent quant à sa valeur
juridique. En effet, la loi 2008-08 du 25 janvier 2008 sur les transactions
électroniques (LTE) prévoit que « lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte
juridique, il peut être établi et conservé sous forme électronique… » [28][28]Article
19 LTE. Il convient également de noter que le règlement…. Il n’en est autrement que
pour, d’une part, les actes sous seing privé relatifs au droit de la famille et des
successions et, d’autre part, les actes sous seing privé relatifs à des sûretés
souscrites pour des besoins non professionnels [29][29]Article 20 LTE.. La promesse
de vente d’immeuble n’échapperait donc pas à la règle de l’équivalence fonctionnelle
des écrits sur support papier et électronique.
3119. L’écrit prescrit, selon l’arrêt d’espèce, pour la promesse de vente d’immeuble
se distingue de l’écrit exigé à titre de simple condition de preuve. La violation d’un tel
formalisme affecte l’efficacité de l’acte en cas de contestation. Ses effets sont alors
simplement paralysés. C’est le cas, en droit civil, pour les actes juridiques dont le
montant dépasse le seuil fixé par la loi [30][30]Ce montant est fixé à 20 000 FCFA,
soit environ 30,48 euros.. Mais le formalisme consacré aux contrats portant sur des
droits réels immobiliers est-il simplement de validité ou permet-il également de
remplir une fonction de publicité ? D’une part, pour ce qui est de l’acte notarié, on
peut considérer, comme en matière de droit de la famille, que « la forme assume
une fonction sociale… elle fait connaître l’acte privé. Elle lui donne la publicité » [31]
[31]G. Cornu, L’art du droit en quête de sagesse, Paris, PUF,…. D’autre part, en plus
d’être passé par devant notaire, l’acte constitutif ou translatif de droit réel immobilier
doit faire l’objet d’une inscription au titre foncier. Mais est-ce un acte de formation ou
d’exécution du contrat translatif de droit réel ? En vertu de l’article 381 du COCC,
« l’acquisition du droit réel résulte de la mention au titre foncier du nom du nouveau
titulaire du droit ». En droit sénégalais, le transfert de propriété ne s’opère pas solo
consensu [32][32]V. article 276 du COCC.. C’est plutôt par l’exécution de l’obligation
de délivrance que se réalise le transfert de la propriété de la chose à l’acquéreur [33]
[33]Cf. article 276, al. 3 du COCC.. S’agissant de la vente d’immeuble, la délivrance
est faite par la réalisation des formalités de publicité exigées par les dispositions
particulières à la propriété foncière et l’établissement du titre foncier au nom de
l’acheteur [34][34]Cf. article 277, al. 2 du COCC. L’inscription est soumise aux….
L’acte translatif de droit réel fait ainsi l’objet d’un formalisme de validité, un écrit ad
solemnitatem, mais également de publicité, qui permet d’assurer l’exécution de
l’obligation de délivrance.
3220. Mais sur la question de savoir si l’écrit exigé pour la validité de l’acte peut être
sous seings privés, la juridiction suprême n’a pas jugé dans le même sens que la
Cour d’appel. Cette dernière, malgré l’absence d’un acte authentique, avait admis la
validité de la promesse et prescrit la perfection de l’acte [35][35]CA Dakar, arrêt n°
657 du 17 décembre 2004, inédit.. La confirmation de la perfection de la vente avait
été obtenue sans que la Cour d’appel ne se prononçât directement sur la validité de
la promesse en elle-même. Ce n’est que par un raisonnement déductif que l’on
pouvait conclure que la Cour d’appel a affirmé la validité de la promesse sous seings
privés de vente d’immeuble immatriculé. Une position plus claire aurait été
bienvenue sur la qualification de la promesse synallagmatique de vente d’immeuble
immatriculé. L’importance de la question soulevée militait en cette faveur, du fait des
enjeux liés à la précision de la valeur et du régime juridiques de la promesse de
contrat en matière immobilière. Or, c’est le principe même de la validité de la
promesse de vente d’immeuble sous seings privés qui est rejeté par la Cour
suprême. Le fait que celle-ci exige qu’elle résulte d’un acte authentique imprime à la
promesse un caractère solennel. Le formalisme prescrit est un acte authentique.

2 – L’exigence d’un acte authentique


3321. La Cour considère que la promesse de vente d’immeuble immatriculé, comme
les autres actes portant sur les droits réels immobiliers, doit être passée par devant
notaire [36][36]Cf. les décisions déjà citées de la chambre civile et…. Cette exigence
d’un acte notarié fait de la promesse un contrat solennel au sens strict du terme [37]
[37]On peut avoir une perception plus ou moins large de la notion…. La solennité
réside dans l’intervention du notaire qui établit l’acte. Il s’agit d’un « rite
d’écriture » [38][38]J. Carbonnier, Droit civil, vol. 2, Les biens, les obligations,… qui
révèle, aux yeux des parties, l’importance de l’acte. Ce rite fait des actes dont il
célèbre l’existence « des actes ostensibles, de grands piliers dressés pour être
vus » [39][39]G. Cornu, op. cit., p. 149.. Si l’acte est établi par voie électronique, le
rite de l’intervention du notaire prend la forme d’une signature électronique qui
« confère l’authenticité à l’acte » [40][40]Article 41, al. 1 LTE. Pour une analyse
doctrinale de l’acte…. Toutefois, si l’acte authentique en question est en principe un
acte notarié, celui-ci peut, dans certains cas, être suppléé par un acte équivalent.
3422. L’acte notarié n’est pas le seul acte authentique. L’authenticité [41][41]Cf. sur
la notion d’authenticité, A. Lapeyre,… de l’acte peut provenir de l’intervention
d’autres dépositaires du sceau public. D’ailleurs, c’est l’intervention d’un officier
public qui permet d’opérer la traditionnelle distinction entre l’acte authentique et
l’acte sous seings privés. Toutefois, concernant le contrat relatif aux droits réels
immobiliers, l’article 383 du COCC impose qu’il soit passé « par devant un notaire
territorialement compétent sauf dispositions législatives ou réglementaires
contraires ». Il faut se garder d’en conclure que seule l’intervention du notaire
permet de satisfaire au formalisme prescrit pour la validité de telles conventions, à
l’exclusion de celle de tout autre dépositaire du sceau public. D’autres titulaires de
l’office public ont reçu le « pouvoir de communiquer l’authenticité aux actes qu’ils
reçoivent » [42][42]G. Cornu, op. cit., p. 149. Cf. sur les différentes catégories….
3523. Il arrive que la transaction portant sur un droit réel immobilier soit consacrée
par une décision de justice revêtue de l’autorité de la chose jugée. C’est le cas,
notamment, lorsqu’une vente est opérée au terme d’une procédure judiciaire
d’adjudication. De tels actes peuvent dispenser d’un acte notarié et être admis
comme des actes authentiques équivalents. L’exigence d’authenticité ne confine donc
pas aux seuls actes notariés. Qu’en serait-il de ce qu’il est convenu d’appeler « acte
sous signature juridique » ? Est ainsi désigné l’acte conclu devant un « professionnel
du droit soumis à un statut contraignant et à un contrôle rigoureux » [43][43]En
France, « cette catégorie comprendrait les avocats au… destiné à la protection des
usagers du droit ou l’acte rédigé par un tel professionnel. L’acte ainsi visé aurait une
force probante renforcée car faisant foi quant à son origine et son contenu, ayant
date certaine et n’étant pas soumis à la formalité dite du double. Mais il ne serait pas
revêtu de la force exécutoire [44][44]F. G’Sell-Macrez, op. cit. p. 12.. Ce formalisme
pourrait, s’il était consacré, perturber la conception bipartite de la forme littérale des
actes juridiques au Sénégal et dans les pays attachés à la tradition civiliste. En
France, une certaine doctrine appelle de ses voeux ce troisième type d’acte
littéral [45][45]Idem.. Mais en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour suprême
sénégalaise, un acte sous signature juridique subirait le même sort qu’un acte sous
signatures privées s’il portait sur un immeuble immatriculé. Il serait frappé de nullité
absolue, comme la Haute juridiction sénégalaise l’a rappelé dans cette affaire.

II – La sanction des actes sous seings privés portant sur


un immeuble immatriculé

3624. Suivant la solution consacrée par la Cour suprême dans la décision d’espèce,
la nullité qui sanctionne les actes sous seings privés relatifs aux immeubles
immatriculés est absolue. Mais au-delà de la consécration de la nullité absolue (A),
cet arrêt apporte une précision. La nullité est encourue non seulement par la vente
et la promesse de vente, mais également par le mandat les concernant. L’étendue de
la nullité (B) couvre donc d’autres contrats constitutifs ou translatifs de droits réels
immobiliers que la seule vente.

A – La consécration de la nullité absolue


3725. L’arrêt précise, se fondant sur les dispositions de l’article 383 du COCC, que la
nullité d’un acte sous seings privés portant sur un droit réel immobilier présente un
caractère absolu. Les intérêts en jeu dans les transactions immobilières concernées
(1) justifient-ils la radicalité de la sanction (2) ?
1 – La nature des intérêts protégés
3826. La nature de la nullité dépend de l’objet des règles juridiques qui ont été
violées. Si celles-ci ne sont pas simplement destinées à la protection de l’une des
parties, d’un intérêt particulier, mais manifestent plutôt l’attention que la société
porte à l’acte envisagé du fait de l’intérêt général qui est en cause, la sanction
encourue est la nullité absolue. La Cour suprême constate et affirme que les
dispositions en cause sont d’ordre public. Mais celui-ci est protéiforme. Il est
possible, entre autres distinctions, que l’ordre public en cause qui est textuel et non
virtuel [46][46]V. sur cette distinction, J. Carbonnier, Droit civil, vol. 2,…, soit de
protection, par opposition à l’ordre public de direction.
3927. L’analyse stricte de l’article 258 du COCC consacrant le caractère d’ordre
public des dispositions consacrées aux conventions relatives aux droits réels portant
sur des immeubles immatriculés ne suffit pas à déterminer la nature exacte des
intérêts protégés. Même l’appréciation, d’un point de vue de pur droit positif, des
dispositions consacrées comme d’ordre public n’y suffirait pas. C’est, au-delà du texte
lui-même, les orientations de politique juridique qu’il consacre qui permettent de
répondre à la question de la nature des intérêts protégés par ces dispositions d’ordre
public. Or, il est certain que toute disposition juridique, même visant à protéger des
particuliers, parties ou tiers, recèle nécessairement une part d’intérêt général, la
société accordant à cette protection d’intérêts privés une certaine attention qui
manifeste l’intérêt général. Les notions d’intérêt [47][47]Cf. sur cette notion d’intérêt
en droit, Ph. Gérard, F. Ost, M.… privé ou d’intérêt général sont à contenu
variable [48][48]Sur ces notions, cf. Ch. Perelman, R. Vander Elst, Les notions…, ce
qui rend difficile leur caractérisation.
4028. Néanmoins, dans certaines matières, la prégnance de la volonté de l’autorité
publique de contrôler la validité des actes juridiques par la prescription d’un
formalisme strict, d’une constatation officielle de l’acte, est révélatrice de l’implication
de l’intérêt général. Il en est ainsi, notamment, des actes relatifs au droit des
personnes et de la famille ou de certains contrats pécuniaires [49][49]J. Flour, J.-L.
Aubert, E. Savaux, Droit civil. Les… comme les contrats portant sur les immeubles
immatriculés. La vente d’immeuble immatriculé n’échappe donc pas à la volonté de
contrôle de la régularité de certains actes juridiques du fait des intérêts en cause. Il
est possible d’y voir une « volonté de contrôler les transactions immobilières » [50]
[50]A. Cissé, op. cit., p. 74. Ainsi, dans le domaine des contrats… qui sont parfois
complexes. Certes, ce contrôle peut être mû par le souci de protéger la volonté des
parties ou de l’une d’elles. Ainsi, en vertu de son devoir de conseil, l’officier public
serait tenu d’apporter à ses clients un éclairage utile sur la portée de leurs
engagements. La constatation officielle de l’acte et de sa date pourrait également
être protectrice des tiers qui sont ainsi à l’abri de fraudes dont ils pourraient être
victimes [51][51]Cf. J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, op. cit., n° 306.. A l’égard de
toutes ces personnes la forme est « facteur de réflexion […], stimule, suscite,
provoque, alerte, avertit, met en garde ? et ? lorsque le fond sommeille, elle
réveille » [52][52]G. Cornu, op. cit., p. 151. ! Mais dans le même temps, elle
consacre la perfection de l’opération et révèle, comme en l’espèce, une cinquième
condition essentielle à la validité des conventions portant sur les droits réels
immobiliers. La forme « donne l’être » [53][53]J. Carbonnier, Droit civil, vol. 2, Les
biens, les obligations,… à la vente. La Cour a, sur la base d’un fondement et d’une
motivation contestables, étendu cette vérité à la promesse de vente ainsi qu’aux
autres contrats afférents à des immeubles immatriculés. Dans cet esprit, la nullité
encourue par une opération passée en violation d’une telle condition ne pouvait être
qu’absolue [54][54]Cf. en ce sens, J. Carbonnier, Droit civil, op. cit., n° 1004.. La
sanction est radicale.

2 – La radicalité de la sanction
4129. Le caractère absolu de la nullité encourue est affirmé expressément par le
législateur concernant le contrat de vente. La Cour suprême l’a étendu à la promesse
et au mandat. Cette nullité, tout comme la nullité relative, prive de tout effet l’acte
qui en est affecté. Le contrat concerné est censé n’avoir jamais existé. Aucune portée
juridique n’est donc reconnue à l’acte sous seings privés qui constitue ou transfère
un droit réel portant sur un immeuble immatriculé. La protection des parties et le
contrôle des transactions immobilières sont donc privilégiés par rapport au respect de
la parole donnée qui fonde la force obligatoire des conventions. On peut comprendre
aisément que le souci de contrôle des opérations immobilières puisse justifier que la
vente soit soumise à un formalisme rigoureux sanctionné par la nullité absolue. Une
telle rigueur est-elle nécessaire, s’agissant des actes préparatoires à la vente
immobilière ?

4230. La position de la Cour peut être à l’origine de certaines difficultés. D’abord, les
actes préparatoires perdent de leur utilité s’ils doivent être passés dans les mêmes
formes que la vente. La promesse permet souvent de consigner les engagements des
parties en attendant de pouvoir passer l’acte définitif dans les formes requises. En
sus, la privation de tels actes de tout effet lorsqu’ils sont passés sous seings privés
remet en cause la sécurité des transactions en fragilisant la force obligatoire des
conventions. Il devient plus facile de se délier d’un engagement pris dans le cadre
d’une promesse de vente d’immeuble au motif que la promesse ou la procuration
établie en vue de la conclure n’a pas été faite par devant notaire. Au surplus, le fait
qu’ils soient établis par acte sous seings privés ne dispenserait pas les parties de
parfaire la vente. Celles-ci seraient obligées de conclure l’acte définitif par acte
notarié, puis d’accomplir les formalités requises, conformément aux dispositions des
articles 383 et suivants du COCC. Le contrôle des opérations immobilières serait ainsi
maintenu sur le contrat définitif de vente. La protection des parties par un acte
notarié serait pourvue efficacement au moment de la perfection de la vente.

4331. Or, ce n’est pas le cas en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour


suprême [55][55]Cf. notamment, CS, civ. et com., 16 janvier 2008, arrêt n° 21,…. On
peut craindre certaines lourdeurs lorsque les actes préparatoires sont passés par acte
notarié. Les parties seraient obligées de repasser devant le notaire à plusieurs
reprises pour une même opération. Outre les coûts importants que cela entraîne, ce
formalisme paraît excessif en termes de délais. A moins que l’on considère que le
respect du formalisme pour la promesse dispense les parties de repasser par devant
notaire. La promesse, lorsqu’elle est passée dans les formes prescrites par l’article
383, vaudrait alors vente. Elle obligerait les parties à, directement, « procéder à
l’inscription du transfert du droit à la Conservation de la propriété foncière » [56]
[56]Article 382, alinéa 2, du COCC.. Une telle interprétation de ce texte serait très
hardie si elle ne relève pas, simplement, de l’aventure. Elle ne ressort d’ailleurs
nullement des termes de l’arrêt d’espèce.
4432. Par contre, il s’en déduit que l’absence d’acte notarié rend les actes
préparatoires de nul effet. Aucun engagement contractuel ne peut résulter d’une
promesse sous seings privés. L’action en nullité contre une telle promesse peut être
initiée par les parties, mais aussi par le ministère public. Le juge peut également
soulever d’office la nullité absolue d’un contrat portant sur un droit réel immobilier
passé sous seings privés. L’initiative est élargie afin d’augmenter les chances
d’éradiquer de tels actes considérés comme contraires à l’intérêt général. La nullité
s’impose au juge qui ne peut, comme l’a fait la Cour d’appel, reconnaître aucun effet
à l’acte conclu en violation du formalisme. Les parties ne peuvent pas non plus
maintenir l’acte dans la vie juridique en le confirmant. Et le périmètre de la nullité
s’étend, selon la Cour suprême, à tous les contrats relatifs à des droits réels portant
sur des immeubles immatriculés.

B – L’étendue de la nullité encourue


4533. En précisant que la vente, la promesse et le mandat portant sur ces contrats
sont tous soumis au formalisme consacré, la Cour suprême donne une large portée
au formalisme des contrats relatifs aux immeubles immatriculés. La nullité absolue
est encourue par les actes sous seings privés qui constatent des contrats translatifs
de droits réels immobiliers (1) ou des contrats préparatoires à de telles conventions
(2).

1 – Les contrats constitutifs ou translatifs de droits réels immobiliers


4634. Il ressort de l’article 383 du COCC que la vente d’un immeuble immatriculé
doit faire l’objet d’un acte notarié. Il en est ainsi car la vente constitue un acte
translatif de propriété par excellence. Interprétant ce texte de manière large, la Cour
affirme que d’autres actes translatifs de propriété devraient être soumis au
formalisme de validité consacré.

4735. A l’examen, deux critères semblent découler des dispositions des articles 379
et suivants du COCC consacrées aux contrats relatifs aux droits réels immobiliers.
D’une part, il faut que l’acte soit qualifié de contrat, c’est-à-dire, qu’il puisse être
considéré comme un accord de volontés générateur d’obligations [57][57]Article 40,
alinéa 1er du COCC.. Ce premier critère permet d’écarter les actes juridiques
unilatéraux du champ du formalisme des actes relatifs aux droits réels immobiliers.
Contrairement au contrat, ils émanent de la manifestation d’une volonté solitaire et
peuvent, au-delà de l’obligation, faire naître d’autres effets juridiques [58][58]Cf. en
droit sénégalais, J.-P. Tosi, Le droit des obligations…. D’autre part, le contrat doit
constituer ou transférer un droit réel immobilier. Ainsi, même si c’est la vente qui est
visée par la Cour, d’autres contrats constitutifs ou translatifs de droits réels
immobiliers peuvent être compris dans le périmètre de la nullité.
4836. Ainsi, l’apport en société d’un droit réel immobilier doit également faire l’objet
d’un acte notarié. Il s’agit d’un apport en nature qui se réalise par le transfert des
droits réels correspondant aux biens apportés et par la mise à la disposition effective
de la société des biens sur lesquels portent ces droits. Il est donc bien soumis aux
dispositions des articles 379 [59][59]Article 379 du COCC : « Les contrats relatifs à
des immeubles… et suivants du COCC dans la mesure où ces dispositions ne sont pas
contraires à celles du droit uniforme africain des affaires de l’OHADA [60][60]La
supranationalité du droit uniforme africain des affaires de…. Cette formalité est
accomplie par la rédaction ou la réception des statuts de la société par un notaire.
Ainsi, si les statuts ne sont plus nécessairement établis par un notaire -ceux-ci
pouvant être simplement enregistrés auprès d’un notaire-, il en est autrement
lorsqu’un associé apporte un droit réel immobilier en pleine propriété. Dans ce cas, le
transfert doit être passé par devant notaire.
4937. L’interprétation extensive de l’article 383 du COCC dans cet arrêt permet
également de conclure à l’application du formalisme requis à la donation portant sur
des droits réels immobiliers. La donation est bien un contrat et non un acte juridique
unilatéral car il requiert un accord de volontés entre le donateur et le donataire.
Toutefois, seul le premier s’oblige, en principe, ce qui en fait un contrat unilatéral, à
moins que des charges soient stipulées pour être supportées par le second. Mais
dans tous les cas, la donation entraîne un transfert de la propriété du donateur au
donataire. Il est donc un contrat translatif de propriété. A ce titre, il doit être passé
par devant notaire à peine de nullité absolue.

5038. Il devrait en être de même d’un échange portant sur des droits réels
immobiliers. Il résulte également d’un accord de volontés et permet de réaliser le
transfert de propriété des immeubles qui en font l’objet. Comme en matière de
vente, le transfert de propriété dans l’échange se produit par l’inscription de chacun
des transferts aux titres fonciers respectifs [61][61]V. article 391 du COCC.. Même le
bail peut être inclus dans le périmètre du formalisme de l’article 383 du COCC
lorsqu’il est assorti d’une promesse de vente. Non seulement l’opposabilité aux tiers
requiert dans ce cas une inscription au titre foncier [62][62]Cf. article 390 du COCC
en ce qui concerne l’opposabilité aux…, mais la validité de la promesse est tributaire
de l’existence d’un acte notarié, suivant la jurisprudence de la Cour suprême. Certes,
dans ce cas, le formalisme est davantage lié à la promesse de vente en tant qu’acte
préparatoire.

2 – Les actes préparatoires aux contrats translatifs de droits réels


immobiliers
5139. La Haute juridiction sénégalaise vise non seulement la vente, mais également
« …la promesse synallagmatique de vente d’un immeuble immatriculé, ainsi que la
procuration donnée pour conclure de tels actes… ». La promesse synallagmatique de
vente suppose que les parties aient donné leur consentement définitif à la vente, à
moins qu’une faculté de dédit n’ait été convenue. Les parties doivent s’être
entendues sur la chose et le prix [63][63]Cf. sur la promesse synallagmatique de
vente, Ph. Malaurie, L.…. Dans la promesse synallagmatique de vente, ni le vendeur,
ni l’acheteur ne bénéficient d’un droit d’option. Ils s’engagent réciproquement de
manière définitive. En droit sénégalais, si la vente porte sur un immeuble, la
juridiction suprême considère que la promesse ne peut être passée par acte sous
seings privés. Il en est ainsi d’une promesse synallagmatique tout comme d’une
promesse unilatérale. Dans ce dernier cadre, l’engagement du promettant est
définitif et le contrat de vente est parfait dès la levée de l’option par le bénéficiaire
dans les délais [64][64]A. Cissé, op. cit., p. 69..
5240. La solution retenue à propos de la promesse de vente devrait également être
étendue à la promesse unilatérale ou synallagmatique de conclure tout contrat
translatif de droit réel immobilier, notamment une promesse de donation, une
promesse d’apport ou une promesse d’échange. Toutefois, l’extension du formalisme
au mandat de conclure de tels actes est plus délicate encore. Certes, le mandat est
bien un contrat car il suppose l’accord de volontés du mandant et du mandataire. De
plus, il fait naître des obligations à la charge du mandataire et, parfois aussi, du
mandant. Mais le mandat ne peut opérer directement un transfert de droit réel
immobilier. Il ne porte que sur le pouvoir conféré au mandataire de réaliser de tels
actes. La volonté de contrôler la réalité de ce pouvoir permet de protéger le mandant
ainsi que les tiers qui contractent avec le mandataire. L’exigence du formalisme,
techniquement fondée sur la règle du parallélisme des formes [65][65]En droit
français, tout mandat peut indirectement devenir…, permet politiquement d’attirer
l’attention du mandant sur la gravité de l’acte. Elle est aussi destinée à assurer une
certaine sécurité juridique au tiers contractant avec le mandataire dont l’opération ne
sera pas anéantie pour défaut de pouvoir de ce dernier. L’exigence d’une procuration
notariée pour la vente d’un immeuble immatriculé est très clairement affirmée [66]
[66]On pourrait citer, dans le même sens, C. supr. Sénégal, n° 1 du… par les hauts
magistrats dans cette espèce. Il en va de même d’autres actes préparatoires à la
vente d’un immeuble immatriculé, notamment, un pacte de préférence portant sur
un immeuble immatriculé [67][67]CS. n° 57 du 16 juillet 2003, Soc. Foncière de la
côte…. Le contrôle de l’opération immobilière est ainsi totalement assuré d’un bout à
l’autre de la chaîne. L’ensemble des contrats relatifs à un immeuble immatriculé, y
compris la promesse et le mandat, est soumis au même formalisme de validité -un
acte notarié- et à une même sanction -la nullité absolue-. Il en sera ainsi, hélas,
jusqu’à ce que la Haute juridiction abandonne sa lecture extensive contestable des
dispositions visées en l’espèce. Pour une légitimité plus forte, les chambres réunies
pourraient le faire, à moins que le législateur n’intervienne par une réécriture
univoque de ces textes, pour que vaille la promesse sous seings privés de vente
d’immeuble immatriculé !

Notes

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