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Filage textile

par Raoul HAGÈGE


Docteur-Ingénieur
Ancien Directeur du Laboratoire de l’Institut textile de France (ITF) - Paris

1. Définitions et questions de terminologie ......................................... AM 3 740 - 2


2. Principaux procédés de mise en œuvre du filage........................... — 2
3. Filage à l’état fondu ................................................................................ — 3
3.1 Filage actuel ................................................................................................. — 3
3.1.1 Polymères de base ............................................................................. — 3
3.1.2 Température de filage ........................................................................ — 3
3.1.3 Profil des trous de filière .................................................................... — 4
3.1.4 Débit d’extrusion ................................................................................ — 4
3.1.5 Refroidissement sous filière .............................................................. — 5
3.1.6 Ensimage............................................................................................. — 5
3.1.7 Bobinage ............................................................................................. — 5
3.2 Phénomènes de structuration .................................................................... — 6
3.2.1 Observations sur la ligne de filage.................................................... — 6
3.2.2 Observations hors ligne de filage ..................................................... — 7
3.3 Modélisation du filage à l’état fondu ......................................................... — 7
3.3.1 Schéma de principe simplifié du procédé de filage textile ............. — 8
3.3.2 Notion de viscosité élongationnelle.................................................. — 8
3.3.3 Bilan des inconnues et des équations du filage textile
à l’état fondu ....................................................................................... — 8
3.3.4 Filage isotherme ................................................................................. — 9
3.3.5 Filage non isotherme.......................................................................... — 9
3.4 Quelques conséquences pratiques ............................................................ — 10
4. Filage à partir de solutions concentrées de polymères ................ — 10
4.1 Filage des fibres acryliques ........................................................................ — 10
4.2 Phénomènes morphostructuraux intervenant sur la ligne
de fabrication ............................................................................................... — 11
4.3 Les nouvelles fibres cellulosiques.............................................................. — 12
4.4 Filages de solutions mésomorphes de dérivés cellulosiques ................. — 12
4.5 Filage des fibres à base de poly(chlorure de vinyle) ................................ — 12
5. Filage par procédés spéciaux ............................................................... — 13
5.1 Filage de mésophases lyotropes................................................................ — 13
5.2 Filage de gel ................................................................................................. — 13
6. Conclusion et perspectives................................................................... — 14
Pour en savoir plus........................................................................................... Doc. AM 3 740

our fabriquer les étoffes (tissus, tricots, etc.) servant à l’habillement, à con-
P fectionner des serviettes, des nappes, des draps, des rideaux et des voila-
ges…, pour réaliser des textiles à usages techniques (voiles de bateau, tentes,
chapiteaux, bâches, géotextiles, architectures de bâtiments, etc.), on a utilisé,
jusqu’à la fin du XIXe siècle, les fibres naturelles fournies par l’agriculture (coton
et lin…) et par l’élevage (laine, soie…). Depuis un peu plus d’un siècle, les
besoins de tous les marchés correspondant à ces divers produits ont conduit à

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un emploi de plus en plus massif, à côté des fibres naturelles, de fibres n’existant
pas dans la nature et que l’on appelle fibres synthétiques (ou parfois fibres chi-
miques).
Le filage textile consiste essentiellement en la fabrication de ces fibres synthé-
tiques. Celles-ci non seulement peuvent donc remplacer les fibres naturelles sur
un plan quantitatif, mais apportent également des caractéristiques originales
répondant à de nouveaux besoins. C’est pourquoi la technologie du filage textile
est en constante évolution depuis son invention dans les années 1880, et
englobe désormais la fabrication de fibres « à hautes caractéristiques
mécaniques », telles que les fibres de carbone ou de céramique.

1. Définitions et questions Multifilament appelé par poulie


de terminologie Canalisation d’amenée du collodion
de xanthogénate de cellulose

Bien que ces notions n’aient pas encore fait l’objet, à notre con-
naissance, d’une terminologie précise et homologuée, nous dési-
gnerons sous l’expression de filage textile, et de façon volontaire-
ment restrictive, l’opération (ou l’ensemble d’opérations) consistant
à transformer une masse visqueuse de polymère organique (fondue Bain de coagulation
ou dissoute dans un solvant adéquat) en un ensemble de filaments
continus parallèles et jointifs et, le plus souvent, bobinés, en finale,
sous la forme d’un multifilament continu, dit aussi fil continu. Les
produits ainsi obtenues, bobinés ou « câblés », sont essentiellement
des produits intermédiaires destinés aux opérations textiles usuel- Bloc filière
Point de rassemblement
les prévues en aval [transformation en fibres coupées (dites aussi des filaments individuels
discontinues), texturation, tissage, tricotage, etc.] ou bien à certai- Ensemble Bobine terminale
nes modalités de la technologie d’élaboration des composites. Ainsi des filaments de fil de rayonne
défini, le filage textile fait partie de l’ensemble des procédés dits de extrudés
« mise en forme des matériaux » (essentiellement, sinon exclusive-
ment, des matériaux macromoléculaires organiques). Figure 1 – Schéma de principe du filage selon le procédé viscose
Le besoin de cette précision terminologique est la nécessité, selon
nous et divers autres auteurs, de bien saisir les ressemblances et les
différences entre le procédé que nous venons de définir et le pro- — un piston, en tête de cette canalisation, qui symbolise la pres-
cédé textile généralement appelé filature : ce dernier permet de sion exercée sur cette masse visqueuse pour l’extruder au travers
transformer une masse de fibres dites en bourre (fibres naturelles d’une série de trous percés dans une plaque en métal réfractaire ;
telles que laine ou coton, et/ou aussi mélange de ces fibres avec des — l’ensemble plaque plus trous qui prend le nom de filière ;
fibres synthétiques coupées) en un fil (dit aussi filé de fibres). Les — le bain dit « de coagulation » essentiellement aqueux dans
filés de fibres, d’une part, et les multifilaments continus synthéti- lequel est immergée la filière et au sein duquel prennent naissance
ques, d’autre part, sont d’une certaine manière des concurrents chacun des filaments individuels du fil final. Chacun de ces fila-
pour les transformations de l’aval, en surfaces textiles par exemples ments passe très rapidement de l’état liquide visqueux à l’état solide
(tissage, tricotage...). La filature implique, en général, une forte tor- dès qu’il entre au contact de l’eau (on peut parler de
sion des fibres de départ, ce qui la distingue fondamentalement du « précipitation » au sens physico-chimique du terme) ;
filage. — les filaments solidifiés qui sont alors rassemblés au sein du
bain et bobinés à la sortie sous la forme de fil continu
L’invention du procédé de filage textile date de la fin du XIXe siè-
cle, époque où Hilaire de Chardonnet inventa (vers 1883) la soie arti-
ficielle, sous le nom de procédé viscose : le polymère utilisé était
alors la cellulose, polymère naturel qui est un constituant fonda-
mental de la paroi des cellules végétales. Cette cellulose, extraite de 2. Principaux procédés
certaines pâtes de bois (matière première de l’industrie papetière)
de pureté particulière, est transformée en un dérivé soluble, le xan- de mise en œuvre du filage
thogénate de cellulose, à la suite d’une série de transformations
dont nous ne parlerons pas dans le présent article. La figure 1 repré-
sente un schéma de principe de ce procédé de filage, avec, On distingue deux grandes classes de procédés :
successivement : — le procédé de filage à partir de l’état fondu (melt spining en
— la canalisation d’amenée du liquide visqueux à filer : ce liquide anglais) : nous emploierons souvent, dans la suite du texte, une
possède une viscosité de l’ordre de quelques poiseuilles adaptation de cette expression anglaise, en parlant de « filage du
(1 Pl = 1 Pa.s), disons comparable à celle du miel, pour une concen- fondu (ou en fondu) » ;
tration de l’ordre de 30 % en masse de xanthogénate de cellulose, — le procédé de filage à partir d’une solution concentrée, plus ou
dans un solvant aqueux à très forte alcalinité ; moins dérivé de l’ancien procédé viscose.

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Le premier procédé est de beaucoup le plus utilisé, car son prix de — soit auprès de la société Rhône-Poulenc Filtec, qui produit
revient est très inférieur (et il évite les solvants souvent polluants), notamment des fils de PET (et aussi de PA6-6) à emplois
mais il ne s’applique qu’à des polymères ayant un point de fusion techniques : tissus PET « supports » d’enduction PVC pour des
assez bien défini et qui ne subissent pas de réactions secondaires applications types bâches, chapiteaux ou autres « constructions
(telles que réticulations) sous l’action de la chaleur. Le second est légères » (architectures textiles) ; fils PET (ou PA) pour renforcement
employé chaque fois que le premier est inapplicable. de matrices en élastomères (pneumatiques et autres produits en
Le filage à l’état fondu est utilisé pour le filage du poly(téréphta- caoutchouc), tissus PET pour bandes transporteuses, etc. ;
late d’éthylèneglycol) (PET, communément nommé Polyester), qui — soit auprès de la société Nylstar (filiale commune entre Rhône-
est depuis une vingtaine d’années, et encore sans doute pour long- Poulenc et SNIA BPD), qui produit essentiellement des fils de PA6 et
temps, le plus important des polymères textiles à l’échelle mon- PA6-6 destinés notamment aux emplois dans le domaine des bas et
diale. La production mondiale de PET (en cumulant fils continus et collants.
fibres coupées) dépasse les 11 Mt* en 1994 sur un total, toutes
fibres chimiques confondues, de 21 Mt**. Depuis le début des
années 1980, le total des fibres synthétiques a rejoint celui des fibres 3.1.1 Polymères de base
naturelles et croît, depuis, sensiblement au même rythme, en dépit
de très grosses fluctuations pour ce qui concerne le coton, princi-
pale fibre textile naturelle. Le polyamide (PA, essentiellement PA6 et Le PET filé à l’usine Rhône-Poulenc Filtec d’Emmenbrücke pos-
PA6-6), qui est la seconde en importance des fibres synthétiques, sède les caractéristiques macromoléculaires suivantes :
approche les 4 Mt en 1994 (dont 840 000 t environ, pour les emplois — masse moléculaire moyenne en nombre (Mn) 32 000 à 38 000,
dits « techniques ») et est aussi filé à l’état fondu. Le filage en solu- soit un degré de polymérisation moyen (DPn) compris entre 170 et
tion (essentiellement l’acrylique), avec 2,4 Mt en 1994, ne repré- 200, environ ;
sente qu’environ 14 %*** du total de ce qui est filé sur la planète. — indice de polydispersité (Mw /Mn) : 2,20 à 2,25 (avec Mw masse
Bien que la position relative des divers polymères textiles soit sen- moléculaire moyenne en masse) ;
siblement différente quand on se place à l’échelle de l’Europe de — viscosité intrinsèque (VI) : 1,0 dL/g ;
l’Ouest plutôt qu’à l’échelle mondiale (cf. Pour en savoir plus, Doc. — teneur en groupes terminaux : ––COOH : 12 mol/t ;
AM 3 754 figure A), il n’en reste pas moins vrai que partout le filage — température de fusion (Tf ) : 255 °C ;
à l’état fondu représente la grande majorité des tonnages produits. — température de transition vitreuse : environ 80 °C.
* 5 % environ de ce tonnage est utilisé pour les textiles dits techniques. Il convient de noter que le polymère utilisé pour les applications
** Ce chiffre représente grossièrement 20 % du tonnage des « matières plastiques » techniques est obtenu sur place par un procédé dit de post-conden-
produites mondialement.
sation en phase solide (PCS) à partir de granulés de polymère stan-
*** Il existe un certain flou dans les statistiques des tonnages produits : on ne connaît
pas très bien les tonnages concernant le polypropylène, ainsi que ceux relatifs aux fibres
dard (à applications textiles) ayant un Mn plus faible, de 18 000 à
cellulosiques produites par le procédé viscose : selon certaines sources, le polypropylène 20 000 (DPn de 90 à 110), une VI de 0,66 dL/g et un indice de polydis-
correspondrait à 4 Mt ; selon d’autres, les cellulosiques correspondraient à 3 Mt. En admet- persité de 2,03 à 2,06.
tant toutes ces données, on arriverait à 6 Mt pour le filage en solution contre 19 Mt pour le
filage fondu, soit plutôt une proportion de 24 %. Le PA6-6, utilisé par Nylstar, possède les paramètres moléculaires
Pour les deux procédés, l’événement fondamental consiste en la suivant, en règle générale :
« naissance » du filament solide à partir de la phase liquide vis- — Mn = 15 000 à 20 000 (DPn environ 70) ;
queuse. S’il s’agit de l’état fondu, cette naissance implique un refroi- — indice de polydispersité : 2 ;
dissement du jet liquide ; s’il s’agit de la solution, elle implique — teneur en groupes terminaux : ––NH2 : 38 à 45 mol/t ; ––COOH :
l’élimination du solvant ; or cette dernière peut être obtenue de deux 80 à 90 mol/t ;
façons : soit par précipitation dans un bain aqueux (c’est le cas du — Tf = 260 °C.
procédé viscose), soit par évaporation, si le solvant est suffisam- Le PA6, également utilisé par Nylstar, a pour caractéristiques :
ment volatil ; on parle ainsi de voie humide et de voie sèche respec- — Mn = 15 000 à 20 000 (DPn environ 150) ;
tivement. Il existe aussi une voie hybride, dans laquelle le jet de — indice de polydispersité : 2 ;
collodion (nom donné à la solution concentrée de polymère) sort de — teneur en groupes terminaux : ––NH2 : 38 à 45 mol/t ;
la filière à l’état sec, traverse une courte distance (généralement de
— Tf = 215 °C.
l’ordre du centimètre) dans l’air, puis pénètre dans le bain de coagu-
lation au sein duquel il parcourt une longueur variable, souvent de
l’ordre du mètre, dépendant évidemment de la vitesse de filage,
avant d’être bobiné à l’état solide sur une bobine placée générale- 3.1.2 Température de filage
ment hors du bain. C’est selon cette dernière variante que sont filés
les polymères dits lyotropes, dont les solutions concentrées dans
certains solvants adéquats présentent un caractère mésophase ou C’est la température à laquelle est portée la masse de polymère
cristal liquide : le plus ancien de cette famille est le poly(paraphény- fondue en amont de la filière. Cette température est généralement
lène téréphtalamide) qui est la macromolécule de base des fibres et de 25 à 30 °C au-dessus de la température de fusion du polymère,
filaments de Kevlar. soit en pratique autour de 290 °C pour le PET à applications techni-
ques (il s’agit, dans ce cas précis, de la température à la sortie des
boudineuses d’alimentation des filières, la température à la sortie de
la filière pouvant être augmentée, pour une très courte durée, jus-
3. Filage à l’état fondu qu’à 330 °C).
Pour les polyamides de Nylstar, deux exemples très courants de
profils de températures de filage sont présentés tableau 1.
3.1 Filage actuel Pour les trois polymères, le réservoir de polymère fondu en
amont de la filière est maintenu sous une légère surpression d’un
gaz inerte et sec, afin d’éviter toute oxydation et /ou hydrolyse qui
La description qui suit concerne des multifilaments de polyester serait extrêmement préjudiciable à la masse moléculaire moyenne
[poly(éthylènetéréphtalate) ou PET] à emplois techniques, ainsi que au sein des filaments obtenus et donc à leurs propriétés mécani-
des multifilaments de PA6 et PA6-6 à emplois textiles. ques. Les températures de filage utilisées dans chaque cas concret
Les indications chiffrées qui illustrent le texte correspondent sont ajustées pour maintenir un compromis adéquat entre la visco-
généralement aux informations recueillies : sité, la pression de filage et la vitesse d’extrusion.

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a même produit des multifilaments où coexiste des filaments à sec-


Tableau 1 – Profils de températures de filage tion circulaire et d’autres à section trilobée.
pour les polyamides PA6 et PA6-6
Les multifilaments techniques de PET produits à Emmenbrücke
nécessitent des pressions de filage relativement importantes en
Polyamide PA6 PA6-6
comparaison avec les multifilaments textiles fabriqués par Nylstar :
44 dtex, 44 dtex, cela entraîne l’utilisation de plaques filières beaucoup plus épaisses.
Caractéristiques
10 filaments mat 13 filaments mi-mat
Extrudeuse : 3.1.4 Débit d’extrusion
1re zone 290 °C 315 °C
Le procédé représente une véritable micro-extrusion, laquelle
2e zone 285 °C 310 °C implique une pression exercée sur la masse en fusion. Les vitesses
3e zone 280 °C 305 °C d’extrusion usuelles sont comprises entre 10 et 20 m ⋅ min–1, pour le
PET à emplois techniques, et entre 8 et 40 m ⋅ min–1 (soit un débit-
4e zone 275 °C 292 °C
masse par filament de 0,4 à 2,5 g/min), pour les polyamides de
5e zone 270 °C 292 °C Nylstar. Ces débits sont assurés par des pompes volumétriques à
engrenages. Il est évidemment essentiel qu’ils soient aussi unifor-
Tube de transfert
et tête de filage 268 °C 292 °C mes que possible au niveau de chacun des orifices de sortie ; la dis-
position relative de ceux-ci, en relation avec la rhéologie de la
masse en fusion est le paramètre critique permettant le contrôle de
cette uniformité. Le milieu filtrant qui se trouve en aval de la pompe
3.1.3 Profil des trous de filière joue également un rôle très important. Les lits filtrants sont généra-
lement constitués de poudres métalliques ou de sables de granulo-
La figure 2 représente en section droite le cas le plus usuel, celui métrie progressive et bien calibrée : il est en effet indispensable
du trou à orifice circulaire ; on note la présence d’un avant-trou dé- d’éliminer le plus complètement possible les particules non (ou mal)
terminant un canal de diamètre relativement important (de l’ordre fondues qu’on appelle des « gels » et qui se forment en permanence
de 1 mm), et traversant la majeure partie de l’épaisseur de la au sein de la masse de polymère liquide, surtout si les temps de
plaque : ce canal est relié par un convergent, d’angle α, à un capillai- séjour sont longs (d’où la nécessité de maintenir un débit suffisant
re, qui détermine le diamètre 2R du jet liquide en sortie de filière. La d’extrusion) ; ces gels, qui ont une forme généralement isodiamé-
longueur L de ce capillaire joue, avec l’angle α et la valeur de R, un trique et une dimension de 1 à plusieurs micromètres, risquent
rôle fondamental dans le comportement au cours du filage : si α est d’entraîner, sur des filaments, dont le diamètre individuel final ne
trop proche de 180° (cas de l’épaulement), il se crée une zone dite de dépasse guère en moyenne les 25 µm, des défauts rhédibitoires. En
recirculation dès que la vitesse d’extrusion atteint une valeur revanche le milieu filtrant doit laisser passer divers adjuvants pré-
critique ; on cherche à adapter les valeurs de l’angle α aux caracté- sents dans la masse en fusion et notamment les particules d’oxyde
ristiques viscoélastiques des différents polymères fondus à filer. de titane utilisées, dans de nombreux cas, comme agent d’opacifica-
tion (ou de matification) des filaments terminés (ces particules ont
En ce qui concerne la disposition des trous sur la plaque, la une granulométrie individuelle proche de 0,03 µm, mais peuvent
figure 3 indique des exemples de cas usuels. donner lieu à des phénomènes d’agrégation, parfois gênants). Pour
Enfin la figure 4 donne quelques exemples d’orifices non circulai- le filage des multifilaments techniques de PET, on filtre avec un
res utilisés lorsqu’on cherche des propriétés particulières (par empilement de toiles métalliques de porosités décroissantes vers
exemple pour certains comportements en teinture). Récemment, on l’aval.

0,9
1,25
0,3
0,9
b forme typique dans le cas du filage
de filaments à usages textiles
α 5

0,3

a forme typique dans le cas du filage


des filaments à usages techniques

c modélisation de l’écoulement du polymère


fondu au voisinage d’une épaule :
Cotes en millimètres a = 0 échelle arbitraire Figure 2 – Profil de trou
de filière

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Granulés (ou chips)

Extrudeuse Trémie de chargement


de l’extrudeuse

Soufflerie d’air transversalement


a plaque permettant le filage b plaque permettant le filage Bloc-filière, avec actionneur
simultané de 6 fils simultané de 2 fils de 29

au chemin de filage
de la pompe volumétrique
(ou multifilaments) de 30 filaments individuels chacun
filaments individuels Ballon, dû à la déviation de l’ensemble
chacun (chaque point noir des filaments par la soufflerie
représente l’orifice relatif
à un filament individuel)

Figure 3 – Exemples de groupements de trous sur une plaque-filière


vue de dessus

a circulaire b trilobée symétrique

Vers le bobinage du multifilament

c trilobée dissymétrique d tétralobée Figure 5 – Vue schématique de profil d’une position de filage,
avec l’aspect du ballon formé par le faisceau de filaments
sous l’action du soufflage d’air de refroidissement
Figure 4 – Exemples de formes de sections d’orifices de filage

3.1.5 Refroidissement sous filière aval est débarrassé de cet ensimage soit spontanément, soit volon-
tairement. Cet ensimage est dit « de filage » ou primaire, pour le dis-
La solidification des filaments individuels est obtenue par une tinguer des autres opérations portant le même nom et intervenant
véritable trempe thermique, qui doit assurer une chute rapide de la plus en aval dans l’élaboration textile, (on le désigne par oiling en
température des filaments d’une amplitude de 200 °C environ, entre anglais, la composition appliquée étant nommée spin finish) ; il con-
le point de sortie de l’orifice de la filière (280 °C environ, voire beau- siste en un dépôt d’une composition chimique liquide huileuse fort
coup plus sur le PET filé à Emmenbrücke) et 80 °C (transition complexe, mais dont les principaux effets sont la lubrification (glis-
vitreuse TG ) sur une longueur de l’ordre du mètre, avant le sement facilité du fil sur les organes métalliques intervenant dans le
« point » de convergence des filaments individuels en un fil qui sera bobinage) et rôle antistatique nécessaire pour supprimer la répul-
bobiné en contrebas (le chemin de filage est généralement vertical). sion interfilaments qui ne manquerait pas de se produire du fait des
Ce refroidissement est assuré par une puissante soufflerie qui dirige charges électriques développées en surface par les divers
un courant d’air à une température d’environ 20 °C selon une direc- frottements ; cette répulsion conduirait à des dysfonctionnements
tion transversale par rapport au chemin de filage (c’est-à-dire hori- graves du processus d’enroulement du fil. Cet ensimage intervient
zontale). La figure 5 montre schématiquement l’aspect du « ballon » juste au niveau du point de convergence évoqué ci-dessus ; il est
qui résulte de cette soufflerie sur le chemin de filage, lorsque le cou- réalisé par transfert à partir d’un disque ou des galets ensimeurs.
rant d’air est unidirectionnel. * Sauf, éventuellement, en cas de stockage à l’état non (ou partiellement) étiré. C’est
d’ailleurs cet inconvénient qui a été historiquement une puissante incitation à l’intégration
des procédés (voir bobinage).
3.1.6 Ensimage
Cette opération, absolument indispensable pour une production 3.1.7 Bobinage
continue à l’échelle industrielle, est souvent omise dans la descrip-
tion des procédés et en particulier leur modélisation : elle ne con- Le fil ensimé est appelé en contrebas (distance de quelques
cerne en effet que les propriétés superficielles des filaments et n’af- mètres entre le point d’ensimage ou de convergence et le point d’en-
fecte en rien, en principe*, la microstructure ainsi que les caractéris- trée sur la bobine réceptrice) par le mécanisme même d’enroule-
tiques mécaniques ; de plus, c’est une opération purement ment. Celui-ci est commandé par un moteur asservi, pour maintenir
transitoire destinée à faciliter le procédé : le fil, lors des opérations une tension constante du fil et une vitesse linéaire constante au fur

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et à mesure du remplissage de la bobine. Dans les procédés anciens,


qui ont eu cours jusqu’au début des années 1970, on considérait que
le filage (dit alors souvent primaire) était terminé à ce stade. Les bo- Extrudeuse
bines « brutes de filage » étaient alors retirées de la machine (ou de
la position) de filage et transférées (après un stockage plus ou moins
long) sur une autre machine dite « étireuse », le fil subissait un dévi- Polymère
dage, un étirage (à une température de l’ordre de 90 à 110 °C) et un fondu
renvidage qui lui conférait ses caractéristiques microstructurales Ci-dessous : dérivations successives de polymère
(cristallisation et orientation) et consécutivement mécaniques permettant de réaliser sur le même métier de filage 2n
finales : module d’Young et résistance à la rupture en traction adé- bobines simultanément (par exemple)
quats aux emplois visés. Aujourd’hui, on peut dire que l’opération
d’étirage est en voie d’intégration complète au filage, après être pas- Métier de filage
sé par des stades d’intégration seulement partielle ; on parle alors
de fils partiellement orientés (en anglais, Partially oriented yarn :
POY). Position de filage
Pompe volumétrique à engrenages
En fait, le débat entre intégration complète ou maintien des POY,
éventuellement postétirés sous filière, reste d’actualité, en particu-
lier pour les fils textiles en polyamide, notamment PA6-6, en relation Milieu filtrant
avec les exigences contradictoires de la production moderne (zéro (poudre métallique ou, de préférence,
casse, flexibilité, automatisation toujours plus poussée, etc.). Dans pour filaments à emplois
le créneau des bas et collants à haute élasticité, en effet, le rempla- techniques, toiles métalliques)
Plaque filière (par exemple :
cement de plus en plus massif des fils texturés (élasticité de type 30 trous de 0,33 mm de ø)
ressort), qui nécessitent une opération complémentaire sur une
machine spéciale dite « métier à texturer », par des fils plats guipés Air
sur des fils en polymères élastomères (élasticité vraie : exemple le Faisceau de 30 filaments
Lycra, marque déposée de Du Pont) conduit à un important dévelop- (par exemple)
refroidis par de l’air à 25 °C
pement des fils plats POY filés à 4 200 m/min, postétirés sous filière
d’un facteur 1,4 à 1,6 ; ces fils plats semblent destinés à entrer en Dépôt d’ensimage
concurrence, à terme, avec des fils « en une seule étape » filés vers
6 500 m/min.
Exemple : dans les procédés modernes dits de filage et étirage inté-
Multifilament (ou fil )
grés à grande vitesse, le fil de PET terminé (dit aussi « en une seule
étape ») est bobiné à une vitesse linéaire proche de 6 000 m/min. Sup-
posons, pour fixer les idées, que l’extrusion d’un filament ait lieu au tra-
vers d’un orifice parfaitement circulaire, de 0,3 mm de diamètre, avec
une vitesse de sortie de 30 m/min du polymère en fusion. Si l’on
néglige, en toute première et grossière approximation, la variation de Bobinoir
masse volumique entre le liquide de sortie et le filament solide ter-
miné, la conservation de la masse entraîne celle du volume, d’où
l’équation suivante :
( d0 ) 2 v0 = ( de ) 2 vb
Figure 6 – Schéma d’un système de production de fils textiles
où d est le diamètre respectivement, à l’extrusion et à la réception et v à haute vitesse (d’après document Rhône-Poulenc)
la vitesse correspondante.
Avec v0 = 30 m/min et vb = 6 000 m/min, ainsi que d0 = 0,3 mm, on
obtient : de = 21,2 µm, ce qui correspond à un diamètre tout à fait clas-
sique, pour un filament.
3.2 Phénomènes de structuration
Par ailleurs, on peut facilement calculer le débit d’extrusion, de la
manière suivante : Les phénomènes de structuration interviennent le long du chemin
— pour un trou, ce débit s’écrit : de filage et/ou mis en évidence lors de stades situés en aval : stoc-
81 kage (rôle des paramètres hygrothermiques, post-traitement ther-
[ ( π × 9 × 10 Ð4 ) ⁄ 4 ] × 60 × ( 3 × 10 3 ) cm 3 ⁄ h = ------π cm 3 ⁄ h ; miques, etc.).
2
— pour 100 filaments individuels : débit d’une « position » :
4 050 π cm3/h, soit en continu 24 h/24, environ 0,33 m3/j.
3.2.1 Observations sur la ligne de filage
Sur la base d’une masse volumique de 1 000 kg/m3, cela correspond
à 300 kg/j.
Le développement de structures et/ou de texture a été suivi en
En supposant une production en continu de 300 j/an, on trouve une
continu sur différents cas, essentiellement de filage à l’état fondu.
production de 90 t/an.
On peut rappeler les plus importants :
Il est connu qu’une usine fonctionnant pour amortir les investisse-
— le cas des multifilaments de PA6-6 et de PA6 ;
ments dans des conditions convenables doit assurer une production de
l’ordre de 20 000 t/an ; un tel objectif est en principe réalisable, si cette — le cas des multifilaments de polyester [poly(téréphtalate
usine dispose de 20 000/90 = 222 positions de filage. Ce qui corres- d’éthylène glycol)] ;
pond approximativement à 10 machines, dites aussi « métiers de — le cas des multifilaments de polypropylène.
filage », pourvus, chacune, de 22 positions. Les méthodes d’investigation les plus importantes mises en
La figure 6 est une vue schématique d’un métier de filage alimenté œuvre sont les suivantes :
par une extrudeuse (celle-ci peut alimenter plusieurs métiers) et d’une — la diffractométrie des rayons X aux grands angles, essentielle-
position de filage, telle qu’elle se présente, par exemple, chez Rhône- ment par photographie de diffraction en chambre de Laue à diffé-
Poulenc Filtec. rentes distances de la filière. Dans le cas du polyester, tout

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Une autre méthode également classique, mais qui n’a pas encore
fait l’objet, à notre connaissance, de mesures en ligne, est la spec-
trométrie infra rouge, et notamment avec une lumière polarisée. En
lumière normale, cette technique donne accès à des données analo-
gues à celles que fournit la diffraction des rayons X aux grands
angles, mais avec des précisions supplémentaires, telles que par
exemple le taux de replis moléculaires (notamment, dans le cas du
3 2 1 PET). L’utilisation de lumière IR polarisée fournit des « rapports
dichroïques » qui donnent accès à des fonctions d’orientations rela-
a vitesse de filage < 4200 m/min b vitesse de filage > 6000 m/min tives non seulement aux zones cristallines, mais aussi aux zones
amorphes, et même (notamment, dans le cas de fibres de PET) à des
Figure 7 – Aspect très schématique de la diffraction des rayons X,
zones « mésomorphes » [1].
observée en continu à environ 1 m en aval de l’orifice de filière L’étude plus particulière de l’orientation amorphe des fibres de
PET semble également possible, y compris en ligne, par une tech-
nique dite de « fluorescence intrinsèque en lumière polarisée » ; il
particulièrement, on a pu voir l’influence très importante de la s’agit de travaux très récents [2].
vitesse de renvidage sur la cristallisation : pour une vitesse infé-
rieure ou égale à 4 000 m/min, cette cristallisation sur ligne de filage
est quasi négligeable (taux estimés de cristallinité inférieurs ou 3.3 Modélisation du filage à l’état fondu
égaux à 5 %). Cette cristallisation démarre vers 4 200 m/min pour
atteindre une valeur asymptotique (de l’ordre de 40 %) quand la
vitesse atteint ou dépasse 6 000 m/min. La nécessité de mieux comprendre les phénomènes intervenant
dans le procédé de filage textile est apparue de façon de plus en plus
On se reportera à la figure 7 qui illustre très schématiquement le importante dès la fin des années 1960, en liaison, notamment, avec
changement du diagramme de diffraction relevé sur la ligne de l’accroissement des vitesses de production et, plus récemment, avec
filage : passage d’un cliché avec halo amorphe, pour 4 200 m/min, à l’automatisation croissante des procédés et l’exigence de « qualité
une cliché avec trois anneaux cristallins principaux, notés 1, 2 et 3 totale » ou du « zéro défaut » ce qui signifie pratiquement, dans le
par ordre décroissant d’équidistances, pour 6 000 m/min. cas du filage textile « zéro casse ». Classiquement, cette meilleure
Une autre méthode usuelle est la mesure de biréfringence en exa- compréhension du procédé passe par sa mise en équation, puis sa
minant le fil à la défilée entre polariseur et analyseur croisés, et modélisation. Nous traitons ci-après sommairement cette question,
éclairé de préférence avec une lumière aussi monochromatique que et seulement dans le cas du filage à l’état fondu car, à notre connais-
possible. La encore, la structuration apparaît à une certaine distance sance, c’est le seul cas qui ait donné lieu à des travaux de recherche
de la filière (et pour une vitesse de filage suffisante, dans le cas du conséquents.
PET). Cet exposé est essentiellement un résumé d’un cours donné
Dans le cas du PA6-6, la cinétique de cristallisation est suffisam- depuis quelques années dans le cadre de l’École nationale supé-
ment rapide pour que la contrainte de filage (qui croît avec la vitesse rieure des industries textiles de mulhouse par M. le Professeur
de renvidage) n’ait qu’un effet quasi négligeable, les fils de PA6-6 Patrick Bourgin, de l’Institut de mécanique des fluides de l’université
étant cristallins dès l’état « brut de filage » quelle que soit la vitesse Louis Pasteur de Strasbourg. Ce cours est lui-même assez large-
de production (entre 2 000 et 6 000 m/min. ), ce qui représente une ment appuyé sur les travaux menés dès 1976 au Centre de mise en
différence considérable avec le cas du PET. forme des matériaux (Cemef) de l’École des mines de Paris, à
Sophia-Antipolis (MM. J-F Agassant, Y. Demay et J-M. Haudin, et
leurs collaborateurs [3]).
3.2.2 Observations hors ligne de filage Le filage textile apparaît clairement comme un procédé au carre-
four de :
Une méthode très intéressante est l’analyse enthalpique différen- — la chimie organique macromoléculaire ;
tielle (AED ou DSC : differential scanning calorimetry) : dans le cas — le génie des procédés avec notamment la production, le condi-
des fils de PET, prélevés à l’état brut de filage et pour des vitesses de tionnement et le transport, à l’échelle industrielle, d’un (ou plu-
filage évoluant entre 1 500 et 7 000 m/min, on observe une évolution sieurs) polymères et de divers « adjuvants » ;
de la position et de la forme du pic exothermique de postcristallisa- — la physique du solide, qui implique notamment la description,
tion, en fonction de la vitesse de filage (à condition, bien entendu, de à différentes échelles (macro, micro, voire nanoscopique) des phé-
maintenir toujours identique la vitesse de montée en température nomènes et des structures induites par divers types de sollici-
au cours de l’essai d’ AED). Pour des vitesses de filage comprises en- tations ;
tre 2 000 et 4 000 m/min, la forme et l’intensité du pic exothermique — la mécanique : rhéologie de fluides souvent non newtoniens,
évolue fort peu ; en revanche la position de son maximum se déplace et dans des géométries relativement complexes (microextrusion au
vers des températures de plus en plus basses, au fur et à mesure que travers d’une filière, figure 1) ;
la vitesse augmente. Au-delà d’une vitesse de 4 200 m/min, c’est — la thermique, avec, en particulier, les problèmes spécifiques
l’intensité du pic de cristallisation qui diminue progressivement, liés à la très mauvaise conductivité des polymères et à leur relative-
confirmant que la matière a déjà cristallisé partiellement sur le che- ment forte viscosité (viscosité du polyester du polyamide 66, quel-
min de filage, alors que la position de ce pic exothermique de cris- ques dizaines de degrés au-dessus de leur température de fusion,
tallisation ne varie plus guère. Ces phénomènes ont été expliqués de l’ordre de 103 Pa ⋅ s, soit environ 106 fois la viscosité de l’eau et
par le principe classique de « superposition temps-température ». 108 fois celle de l’air) ;
L’analyse par diffractométrie des rayons X confirme et précise les — l’automatisation rendue nécessaire par la production de forts
résultats obtenus sur ligne de filage. D’une façon générale, tout trai- tonnages, et qui implique des régulations et l’emploi poussé de cap-
tement thermique à une température nettement supérieure à la tem- teurs.
pérature de transition vitreuse produit une évolution de l’organi- Avant même de passer à l’énoncé des équations qui régissent le
sation. Selon les outils d’analyse mis en œuvre, cette évolution peut procédé de filage fondu, on peut essayer de prédire de manière
être interprétée en termes d’augmentation du taux de cristallinité et/ intuitive l’influence que va avoir la caractéristique la plus importante
ou en terme d’accroissement de la dimension des cristallites (ou des polymères textiles, à savoir leur caractère de longues chaînes
zones cristallines), et/ou en terme de « perfection cristalline ». macromoléculaires dites « linéaires » capables à la fois de donner :

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— à l’état solide et selon la régularité de leur conformation, des

,,,,
,,,,
« cristaux », plus ou moins « enrobés » dans une matrice non cris-
talline, dite « amorphe » (on parle de polymères semi-cristallins) ; Filière
— à l’état fondu, des enchevêtrements qui concourent aux
valeurs élevées de leur viscosité. Cette forte viscosité entraîne des
nombres de Reynolds généralement faibles dans les écoulements Gonflement en A0
(termes d’inertie négligeables devant ceux de viscosité). Elle sortie de filière
W0
entraîne également des phénomènes dits d’autoéchauffement dus à
la puissance considérable dissipée par cisaillement (ce cisaillement A(z)
étant essentiellement localisé dans le passage à travers le capillaire W(z)
du trou de filière, évoqué dans la description, figure 2). Cette puis- L
sance est typiquement égale, en cisaillement simple, au produit de
la viscosité par le carré du taux de cisaillement.
Point de cristallisation
Une complication supplémentaire résulte du fait que les poly-
mères fondus ont un comportement souvent non newtonien. Une C
modélisation plus adéquate de ce comportement est, par exemple,
Ae
la loi viscoplastique qui se traduit par une fonction puissance du
taux de cisaillement γú : Z
η = k γú n Ð 1
avec k une constante, n < 1.
Le cas n = 1 correspondant bien sûr, au modèle newtonien. La We
diminution de viscosité avec l’accroissement du taux de cisaille-
ment est interprétée comme due au désenchevêtrement des chaî-
nes moléculaires.
Un autre type de comportement non newtonien est approximé
par le modèle viscoélastique qui entraîne notamment le phéno-
mène de gonflement en sortie de filière (die swell, en anglais). Cela Figure 8 – Schéma de principe pour la modélisation du filage
conduit à introduire un nouveau nombre adimensionnel, le nombre d’un filament unique en fondu
de Deborah (symbolisé par De) qui est le rapport entre deux temps
caractéristiques :
De = (temps de relaxation du polymère fondu)/ (durée de la sollicitation). tance h de ce dernier et à une vitesse constante u, les deux faces en
regard limitant une lame d’épaisseur h, constituée du fluide étudié.
Lorsque De est grand, le comportement est « plutôt élastique ». Le maintient de ce déplacement nécessite l’application d’une force
Dans le cas contraire, le comportement est « plutôt visqueux ». notée F. On définit alors la cission (ou contrainte de cisaillement)
L’utilité de ce nombre De a été récemment illustré par des travaux τ = F/S, d’une part, et le « taux de cisaillement » γú ( = d γ ⁄ d t ) = u ⁄ h .
menés dans les laboratoires de la société Wellman Inc. (Société qui La viscosité en cisaillement est alors :
est récemment devenue le plus gros producteur des États-Unis et
η = τ ⁄ γú
probablement mondial de filaments polymères synthétiques filés à
l’état fondu) : ces travaux ont pu démontrer une très bonne corréla- L’expérience de Trouton consiste, cette fois, à solliciter un cylindre
tion linéaire positive entre l’inverse de De et l’inverse d’un indice de de fluide de longueur L et de section S par une force toujours notée
casse au filage. Toutefois l’auteur a insisté dans son exposé [4] sur F, c’est-à-dire une contrainte σ = F/S, afin de lui conférer un taux
le fait que la modélisation actuelle du procédé ne suffit pas pour pré- d’élongation constant :
dire les meilleures conditions de marche pour chaque nouveau lot
αú = ( 1 ⁄ L ) ( d L ⁄ d t ) .
de PET destiné au filage : il faut en pratique « consommer » de
l’ordre de 250 t de polymère en essais, avant d’optimiser ces condi- La viscosité élongationnelle (ηL) est alors donnée par :
tions de marche.
η L = σ ⁄ αú .
Comme l’a montré expérimentalement Trouton en 1906, on peut
3.3.1 Schéma de principe simplifié du procédé démontrer, par le calcul, cette fois, que le modèle newtonien conduit
de filage textile à la relation :
ηL = 3 η .
Ce schéma est rappelé dans la figure 8 qui montre, à une échelle
très agrandie, le cas d’un filament unique, seul pris en compte dans On notera que la mesure expérimentale de ηL est difficile, car elle
ce qui suit. implique la mise en œuvre d’un dynamomètre à vitesse d’élonga-
Pour simplifier, la partie aval et l’orifice du trou de filière sont tion constante, c’est-à-dire avec un déplacement exponentiel de la
aussi représentés pour un seul filament, la forme du jet de sortie traverse. Les recherches de ces vingt dernières années, au moyen
tient compte du phénomène de gonflement (dont on rappelle qu’il de ce type de dispositifs, ont montré que le comportement élonga-
traduit le caractère non newtonien du comportement du polymère tionnel réel s’éloigne fortement du modèle troutonnien : la
fondu, même si, par la suite, on admet l’approximation newto- « filabilité » est assurée, grâce à la croissance de ηL avec αú , alors
nienne). que η (γú ) est une fonction toujours décroissante.

3.3.2 Notion de viscosité élongationnelle 3.3.3 Bilan des inconnues et des équations
du filage textile à l’état fondu
La viscosité la plus courante est une viscosité « en cisaillement »,
définie classiquement à partir de l’expérience de principe de Les inconnues (qui sont en réalité des fonctions de coordonnées
Newton ; celle-ci consiste à déplacer un « plan d’épreuve » de sur- de chaque point de l’écoulement et, éventuellement, du temps) sont
face S parallèlement à un plan (horizontal) de référence, à une dis- au nombre de 12 ; il s’agit :

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— des 3 composantes (u, v, w) du vecteur vitesse ; avec Dr taux d’étirage, rapport entre vitesse d’appel au
— des 6 composantes du tenseur symétrique (σ ) des contraintes ; renvidage et vitesse en sortie de filière,
— de la température T ; L distance entre la sortie de filière et le « point de
— de la masse volumique ρ ; solidification » du filament.
— du taux de cristallinité χ.
Exemple : une petite application numérique sur ces 2 dernières
On obtient en principe effectivement 12 équations qui expriment
équation permet de fixer des ordres de grandeurs raisonnables et,
successivement ;
mieux encore, d’évaluer a posteriori le bien fondé des dernières hypo-
— la conservation de la masse (équation dite « de conti- thèses simplificatrices introduites dans cette modélisation du filage
nuité ») ..........................................................................1 équation ; isotherme.
— la conservation de la quantité de mouvement (3 composantes
Les données numériques proposées dans le cours du Pr. Bourgin [3]
du vecteur contrainte normale) ....................................... 3 équations ;
sont les suivantes :
— la loi de comportement rhéologique (entre tenseurs de contrain-
tes et déformations) .......................................................... 6 équations ; Dr = 130
—la loi de conservation de l’énergie (bilan thermique).............. L=1m
...................................................................................... 1 équation ;
— la loi de cristallisation................................................. 1 équation. ρ = 1 300 kg ⋅ m– 3
À ces équations sont adjointes des conditions aux limites et η = 16 500 Pa ⋅ s
initiales propres à chaque configuration étudiée. Q = 1,3 × 10–6 kg ⋅ s–1.
La méthode classique pour résoudre un tel système consiste à Ces données conduisent aux valeurs :
envisager d’abord un certain nombre d’hypothèses simplificatrices,
dont la plus importante est celle consistant à négliger le refroidisse- F = 0, 24 × ( 10 Ð3 ) N
ment par convection forcée que nous avons évoqué (§ 3.1) dans la
description du procédé industriel. Cette situation dite filage iso- u z ⁄ W 0 = exp ( 4, 86 z ) avec z en m
therme consiste à négliger l’équation du bilan thermique. À partir de ce calcul, il est facile de trouver un ordre de grandeur des
termes qui ont été négligés. On montre ainsi que :
— la contrainte maximale de cisaillement (sur le bord de l’écoule-
3.3.4 Filage isotherme ment) est égale à 2, 4 × 10 Ð4 fois la contrainte d’étirage σz , donc est
effectivement négligeable ;
C’est plus ou moins le cas du filage des monofilaments, fils à un — en revanche, les forces de masses et d’inertie ne sont pas négli-
seul filament de gros diamètre, généralement de 70 µm à quelques geables (la première est trouvée égale à 2, 8 × 10 Ð4 N, soit le 1/3 de la
centaines de micromètres, qui, en sortie de filière, traversent quel- valeur obtenue pour F ; la seconde fournit une composante axiale de
ques centimètres d’air, puis plongent dans un bain de refroidisse- l’accélération de 16 m ⋅ s–2, soit de l’ordre de l’accélération de la pesan-
ment thermostaté à une température proche de la température teur g.
ambiante. Il s’agit d’une variante portant sur des tonnages qui
représentent quelques pour-cent de la production globale des mul-
tifilaments de polyester ou de polyamide, par exemple.
3.3.5 Filage non isotherme
Même dans ce cas très simplifié, on a recours à d’autres hypo-
thèses simplificatrices dont les principales sont les suivantes :
Le fort refroidissement par convection forcée qui intervient dans
— la rhéologie à l’état fondu est newtonienne (cette hypothèse le processus industriel réel (§ 3.1) a comme principale conséquence
n’est toutefois pas indispensable, car on sait très bien résoudre le une forte augmentation de la viscosité le long du chemin de filage.
système d’équations dans le cas viscoélastique, avec, bien entendu, Pour traiter ce cas, on commence par effectuer un bilan des échan-
des résultats sensiblement différents de ceux exposés ci-après) ; ges de chaleur pour une portion de filament comprise entre les
— la cinématique de l’écoulement est axisymétrique (ce qui con- cotes z et z + dz. Ce bilan comporte des flux de conduction entrant et
duit à se placer en coordonnées cylindriques, r, θ, z) et laminaire : le sortant, un flux de convection et un flux de rayonnement. On évalue
vecteur vitesse n’a pas de composante selon θ, sa composante ces différents flux dont la somme algébrique représente la quantité
selon z ne dépend que de z et sa composante selon r ne dépend pas de chaleur perdue par l’élément de longueur de filament, dont le
de θ ; rayon est noté R dans les formules qui suivent. Le seul paramètre
— le polymère est incompressible ; qu’il y ait lieu d’estimer est le coefficient de transfert h par convec-
— l’écoulement est purement élongationnel (on néglige les effets tion. Pour cela, on utilise des relations plus ou moins empiriques
de cisaillement, au sein de l’écoulement lui-même, mais, bien sûr, entre 2 nombres sans dimension classiques, celui de Reynolds, (Re),
pas du tout dans la zone du « capillaire-filière !) ». associé à l’écoulement d’air longitudinal :
Si, de plus, on néglige les forces d’intertie, de masse et de frotte-
ment sur l’air, on peut, finalement, calculer : Re = ( 2 WRρ air ) ⁄ µ air
— d’une part la composante uz(z) de la vitesse de filage en tout
(µ et ρ étant respectivement les viscosités et masse volumique de
point de chemin de filage, sous la forme :
l’air)
u z ( z ) = W 0 exp [ ( ρF ⁄ 3 η 0 Q ) z ] et celui de Nusselt (Nu) de ce même écoulement d’air longitudinal :

avec W0 et Q sont respectivement la vitesse initiale et le débit- Nu = 2 hR ⁄ k air


masse imposés en sortie de filière,
où figure, au dénominateur, la conductivité thermique de l’air.
η0 la viscosité dynamique (le facteur 3 provenant,
bien entendu, de la loi de Trouton), Si l’on adopte la relation empirique suivante :
ρ la masse volumique. Nu = 0, 42 ( Re ) 1 ⁄ 3
La force d’étirage F est elle-même donnée par : alors h est donné par la relation :

F = ( 3 η 0 Q ⁄ ρL ) ln D r h = 0, 21 ( Re ) 1 ⁄ 3 ( k air ⁄ R )

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Parmi les nombreuses expressions empiriques essayant de pren- — d’une part, les multifilaments à base de polyacrylonitrile, poly-
dre en compte également l’effet de la composante transversale de mère dont le motif de base a pour formule développée :
la convection d’air (soufflage avec une vitesse moyenne Vair), citons  CH 2  CH  ( C 

 N ) (fibres dites acryliques) ;
celle de Matsuo et Kase qui conduit à la loi empirique : — d’autre part, les multifilaments de cellulose régénérée dont
l’archétype est la rayonne (ou rayonne-viscose), encore utilisée,
h = 0, 21 ( Re ) 1 ⁄ 3 ( k air ⁄ R ) [ 1 + 8 ( V air ⁄ W ) 2 ] 1 ⁄ 6 bien que de moins en moins, notamment en habillement ;
— enfin, un certain nombre de multifilaments, dont la production
Une application numérique , avec Vair = 2 m ⋅ s–1, conduit à remar- en tonnage est relativement faible, ont une importance plus ou
quer que h croît d’environ 40 à 840 W ⋅ m–2 ⋅ K–1, entre la sortie de moins stratégique : nous citerons l’alcool polyvinylique (PVA en
filière et la poulie d’appel. anglais) filé par la société japonaise Kuraray et le poly(chlorure de
Un autre calcul portant sur le terme de rayonnement conduit à vinyle) PVC produit par la société française Rhovyl.
montrer que ce mode d’échange de chaleur (qui fait intervenir la loi Nous illustrerons les deux voies mentionnées au début de cet arti-
de Stefan, en T 4) devient rapidement négligeable devant la convec- cle, pour ce filage en solution : la voie humide, avec les fibres acryli-
tion forcée. Il est intéressant de noter, en revanche, que cette parti- ques ; la voie sèche avec les fibres de PVC.
cularité est spécifique au cas des polymères organiques et pas du
tout au cas du verre, pour lequel le rayonnement est prépondérant
devant la convection, en raison d’une température de filage de
l’ordre de 1 000 °C. 4.1 Filage des fibres acryliques
Finalement, en introduisant la température moyenne T ( z ) l’équa-
tion du bilan thermique se réduit à :
La production de fibres acryliques dans les pays de la CEE a été
Ð ( 2 h ⁄ R ) (T Ð T amb ) = ρ C V u z ( dT ⁄ d z ) fortement réduite et régroupée durant ces 10 ou 15 dernières
années, en sorte qu’il n’existe plus, aujourd’hui, que trois ou quatre
avec h donné par l’équation de Kase et Matsuo, indiquée précé-
groupes producteurs de ces fibres :
demment.
— un groupe résultant d’un joint venture entre les sociétés alle-
La dernière étape de l’analyse consiste à résoudre le problème mande Hoechst et britannique Courtaulds ;
couplé de la mécanique et de la thermique : cela est fait par l’inter- — Orlandi en Italie ;
médiaire de la viscosité dont la diminution rapide selon la tempéra-
— Bayer en Allemagne ;
ture est modélisée par une loi d’Arrhenius. On dispose de différents
— Fisipe au Portugal.
algorithmes de résolution numérique. Dans l’ouvrage de Agassant
et al. [3], deux conséquences majeures du passage d’un « souf- L’usine de Grimsby (Royaume-Uni), d’où proviennent les informa-
flage » à vitesse nulle à un soufflage à 2 m ⋅ s–1 (valeur typique) sont tions présentées ci-après appartient au premier de ces groupes.
illustrées par des courbes en fonction de la distance à la filière : Le synoptique (figure 9), extrait d’une documentation relative à la
— en ce qui concerne les profils de vitesse, ils sont très différents fibre Courtelle (nom commercial déjà ancien de la fibre acrylique
de ceux obtenus dans le cas isotherme, le soufflage a pour effet de filée à Grimsby), peut servir d’exemple très représentatif du filage
faire démarrer l’étirage plus près de la filière ; des fibres acryliques en collodion par la voie humide tel qu’il s’in-
— de même en ce qui concerne les profils de température adi- tègre dans son environnement global de production.
mensionnels, le soufflage fait « remonter » vers la filière le point de
Les matières premières sont essentiellement le monomère prin-
solidification.
cipal (acrylonitrile) et le comonomère (ici l’acrylate de méthyle, uti-
Notons, pour finir, que les recherches actuelles sur la modélisa- lisé à raison de 5 à 6 %).
tion visent à prendre en compte d’une part des lois de comporte-
ment rhéologique de plus en plus réalistes, y compris avec l’étude Le polymère standard, de masse moléculaire 100 000, comporte
des phénomènes d’instabilité [5], et, d’autre part, le cas réel du 92,8 % en masse de polyacrylonitrile (PAN), 6 % de poly(acrylate de
filage d’un ensemble de plusieurs centaines de filaments au lieu méthyle) et 1,2 % d’un composé augmentant l’affinité tinctoriale.
d’un seul. Le solvant classique du collodion est le thiocyanate de sodium :
ce collodion comprend essentiellement, en plus du solvant (concen-
tration pondérale de 44,5 %), de l’eau (39,1 % en masse) ; le poly-
mère représentant seulement 13 % et les impuretés 3,4 %, cela
3.4 Quelques conséquences pratiques conduit à une viscosité du collodion de 40 Pa ⋅ s à 25 °C.
La pigmentation consiste à incorporer une certaine proportion
Elles ne concernent que le filage des microfilaments. Il s’agit de d’oxyde de titane, comme cela se pratique pour les fibres filées à
filaments, apparus sur le marché depuis moins de 10 ans et dont le l’état fondu.
diamètre est environ deux fois plus faible que celui des filaments
classiques. En pratique, le procédé est beaucoup plus délicat : La filtration ayant eu lieu en amont du filage proprement dit, le
bloc filière est de conception plus simple, en principe, que dans le
— d’une part, le point de solidification remonte particulièrement cas du filage en fondu.
haut, au voisinage immédiat de l’orifice de la filière ;
— d’autre part, il en résulte que la régulation du débit de souf- Le stade dit « Néochrome » est plus ou moins spécifique de
flage de l’air de refroidissement devient particulièrement critique. l’usine de Grimsby : il s’agit d’une teinture en ligne permettant de
produire jusqu’à plus de 200 coloris différents par semaine ; cette
possibilité est offerte par le filage en solvant voie humide (elle est
totalement exclue non seulement en filage à l’état fondu mais aussi
4. Filage à partir de solutions en voie sèche). Courtaulds en est un des spécialistes mondiaux et
répond ainsi aux exigences très actuelles de flexibilité, de petites
concentrées de polymères séries de « juste à temps » et de « flux tendus ».
Les balles de rubans (appelés aussi câblés), de teneur en humidité
comprise entre 1 et 2 % et de masse très proche de 400 kg (très fai-
Ce type de procédé, également dénommé filage en collodions ou ble dispersion), sont expédiées aux industries transformatrices qui
en dope (en anglais), concerne essentiellement, comme on l’a déjà les convertissent en fibres discontinues par « coupe » ou par
vu : « craquage ».

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Matières premières 750 mm

Polymérisation

Solubilisation/Stockage 0,55 mm

Pigmentation

Filtration Aspect très schématique de la plaque filière hémicylindrique en alliage de


tantale (épaisseur très exagérée par rapport à l’échelle de la longueur) ; indi-
cation, également très schématique, de 7 rangées des quelques 200 000 à
Filage proprement dit 300 000 capillaires de microextrusion.

Figure 10 – Plaque filière

Étirage
Exemple : si on se livre au même calcul ultra simplifié que celui
présenté au paragraphe 3.1.7 à propos du filage à l’état fondu (conser-
Lavage vation du volume de polymère au cours de l’étirage), on peut montrer
(compte tenu d’une densité de 1,17 pour le polyacrylonitrile) qu’un dia-
mètre de trou de 54 µm correspond à un titre final de filament de
Néochrome 3,3 dtex ou 0,33 g ⋅ km–1 (un des titres les plus courants), pour un taux
d’étirage de 8.
Toujours selon ce même type de calcul très simple que celui conduit
Dépôt d’adoucissant pour le filage en fondu des multifilaments continus, et concernant,
cette fois, la capacité de production de l’usine de Grimsby, on peut rai-
sonner sur la base d’une capacité de 1t/h par ligne de production. Une
Séchage ligne comporte 6 machines, chacune produisant un ruban de
200 000 filaments de 3,3 dtex chacun, soit 66 ktex. La vitesse de pro-
duction à la sortie est typiquement de 42 m/min. On trouve, alors une
Frisage capacité de production de :
6 × 66 × 0, 042 = 16, 632 kg/min = 998 kg/h.
Balle de ruban Par ailleurs la vitesse d’extrusion peut être estimée (compte tenu du
facteur 8, dû à l’étirage, et du facteur 0,7, dû au retrait pendant le
séchage) à :
42/5,6 = 7,5 m/min.
Figure 9 – Synoptique du filage des fibres acryliques en collodion L’usine de Grimsby comprend en tout 12 lignes opérationnelles, sa
par la voie humide capacité de production de Courtelle s’établit à 12 t/h, soit, sur une base
de 5 000 h/an, à 60 000 t/an. On constate donc que le nombre considé-
rable de trous par plaque filière permet une productivité du même
ordre de grandeur (et plutôt supérieure) au filage en fondu, bien que ce
■ Étude plus particulière du filage proprement dit dernier fasse intervenir des vitesses de production par filament
100 fois supérieures à celles du filage en collodion (ce facteur 100
La plaque filière (figure 10) est de plus en plus souvent un
étant surtout dû aux taux d’étirage beaucoup plus considérables en
feuillard en tantale d’environ 0,55 mm d’épaisseur, incurvée en un
filage en fondu).
demi-cylindre de longueur typique de 75 cm et de demi-circonféren-
ce typique de 12,5 cm. Les trous, sont percés normalement à la sur-
face par un procédé de double poinçonnement (ce qui donne un
profil en trou capillaire et avant-trou, conique ou hyperbolique, tout 4.2 Phénomènes morphostructuraux
à fait distinct de ce qui existe en filage au fondu). Le nombre de trous
par plaque est considérable : il est généralement compris entre intervenant sur la ligne de fabrication
100 000 et 400 000. Les diamètres des capillaires sont généralement
compris entre 54 et 85 µm ; en première approximation, le nombre
de trous varie grosso modo en raison inverse de leur diamètre. On Bien que les études de ce type, et, par conséquent, les études de
obtient donc, en sortie de filière ce qu’il n’est pas possible d’appeler, modélisation, soient beaucoup moins nombreuses ou développées
selon la terminologie du filage en fondu ou celle du filage « voie que dans le cas du filage au fondu, le filage collodion voie humide
sèche », multifilament continu (ou fil, ou, parfois aussi « mèche », des acryliques a tout de même donné lieu à des études assez impor-
comme dans les fibres de carbone), mais qu’on appelle câblé (tow tantes : des observations ont été conduites à différentes phases du
en anglais). procédé par prélèvement sur la ligne de production. Elles ont per-
mis d’étudier l’évolution de la structure microporeuse des filaments
Le bain de coagulation (figure 1) est ici une solution aqueuse aux stades coagulation, puis étirage, puis séchage, et ce par diver-
diluée de thiocyanate thermostatée aux environs de 5 °C. Le taux ses méthodes telles que la microscopie électronique (transmission
d’étirage (cf. stade suivant immédiatement le filage proprement dit, sur coupes et balayage sur vues en perspective cavalière), la spec-
figure 9) est typiquement de 8. trométrie IR, etc., [6]. Il a été ainsi possible de mettre en évidence

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l’influence des conditions de coagulation (température et composi- Pour cela, on prépare la solution de filage qui est constituée d’un
tion du bain), du taux et des conditions d’étirage (en phase vapeur mélange de 16 % (en masse) de pâte de bois, de 18 % d’acide formi-
ou en phase sèche) sur les caractéristiques aux divers stades. La que (HCOOH) liquide et de 66 % d’acide orthophosphorique (ce der-
structure cristalline des fibres acryliques, bien que les taux de cris- nier réactif constituant le solvant). On file donc des concentrations
tallinité ne soient nullement négligeables, est toutefois beaucoup de 16 à 22 % en masse de polymère. La machine comporte deux
plus « imparfaite » que celle des fibres filées à l’état fondu (polyes- filières de 500 filaments chacune : les 500 trous sont répartis sur une
ter et PA6 ou PA6-6) : elle est plutôt de type nématique*, les chaînes plaque de 1,2 mm d’épaisseur, avec des avant-trous de 2 mm
hélicoïdales de polyacrylonitrile tendant à s’organiser suivant un d’ouverture et des capillaires d’extrusion de 0,065 mm.
réseau pseudo-hexagonal, sans ordre apparent selon l’axe du fila- Le fort cisaillement qui est occasionné par la finesse de ce capil-
ment. Comme on doit s’y attendre, la présence des comonomères laire entraîne une transition cholestérique-nématique (alignement
(bien qu’en faible proportion, le plus souvent nettement inférieure à des chaînes de formiate de cellulose) ; le filament est extrudé dans
10 % par rapport au monomère acrylonitrile) accroît encore cette l’air à l’état encore liquide (intervalle de 4 à 5 cm) avant de pénétrer
imperfection cristalline. dans le bain de coagulation constitué d’acétone à la température de
* On désigne ainsi certains « cristaux liquides » présentant un ordre dans une ou – 30 °C (une coagulation dans l’eau, à une température proche de
deux dimensions de l’espace, à la manière de bâtonnets s’arrangeant en strates paral-
lèles [A 3 042]. l’ambiante, entraînerait un processus beaucoup plus lent de précipi-
tation, comme dans le procédé viscose traditionnel, et des fibres
moins performantes). La vitesse de filage est d’environ 200 m/min,
et l’on obtient un multifilament de formiate de cellulose de 2 dtex/
4.3 Les nouvelles fibres cellulosiques filament (diamètre d’environ 13 µm). On peut ainsi estimer la vitesse
d’extrusion à environ 1/25 de la vitesse de filage, soit 8 m/min. On
peut aussi estimer la production d’une filière de 500 trous à environ
Dès les années 1970, il est apparu que le procédé viscose tradi-
15 kg/h.
tionnel était condamné à disparaître, dans les pays les plus dévelop-
pés tout au moins, et qu’il semblait devoir être remplacé, à plus ou Les stades ultérieurs comportent le lavage, la saponification, pour
moins brève échéance, par d’autres procédés moins polluants à régénérer la cellulose, et le séchage.
base de véritables solvants (directs et non plus indirects, et au terme Notons qu’il s’agit, pour le moment, d’une phase de mise au point
d’un processus compliqué et polluant comme dans le procédé tradi- de cette production.
tionnel) de la cellulose naturelle et notamment de sa source la plus
importante, la pâte de bois pour l’industrie papetière. Après plus de
25 ans de R & D, au moins deux producteurs de fibres de viscose tra-
ditionnelles ont « franchi le pas » et commencent à commercialiser 4.5 Filage des fibres
les fibres Tencel (habillement) et Courtaulds Lyocel (applications
techniques) pour la société Courtaulds, cependant que Lenzing pro-
à base de poly(chlorure de vinyle)
pose la fibre Lenzing Lyocell, ces redondances nominales ne man-
quant d’ailleurs pas d’entraîner des imbroglios juridiques.
Il s’agit d’une quasi exclusivité de la société Rhovyl (ancienne
Le solvant vrai retenu est un hydrate du composé connu sous division de Rhône-Poulenc, et récemment devenue indépendante).
le nom d’oxyde de N-méthylmorpholine (en anglais NMMO : N- Trois polymères différents sont filés dans cette société, par un pro-
methylmorpholine oxide), qui est pratiquement récupéré et recyclé cédé en solvant type « voie sèche » ; le tableau 2 indique les sol-
à un degré quasi parfait (supérieur à 99 %) en fin d’opération. Mal- vants utilisés et le type de phase liquide qui subit l’extrusion.
heureusement, le procédé est encore très confidentiel.

Tableau 2 – Conditions de filage des trois polymères


4.4 Filages de solutions mésomorphes de la société Rhovyl
de dérivés cellulosiques Solvant État physique
Polymère à filer
(T en °C) du liquide
Dans la même période où l’on a recherché un solvant plus écono- acétone/CS2 solution à 30 %
mique pour ces nouveaux filages de la cellulose (1970 à 1990) on PVC (*) ......................
(130 °C, puis 75 °C) en PVC
s’est également intéressé, pour la cellulose, mais aussi pour un
grand nombre d’autres polymères naturels et/ou synthétiques, à PVC + PVC-C(**) acétone/CS2 (30 °C) gel à 28 %
une large classe de solvants capables de donner des mésophases : en polymère
il s’agit de solutions présentant un ordre partiel (en quelque sorte VC/VAC(***) Acétone pure
intermédiaire entre le désordre « parfait » ou isotropie et l’ordre cris-
(*) Pour le filage du PVC pur, la solution est portée à 130 °C, afin de dissou-
tallin à 3 dimensions des solides), dans l’espoir que le filage de telles dre complètement le polymère. Le filage a lieu à 75 °C après refroidissement
solutions pourrait conduire à des fibres de module d’Young et de té- de cette solution vraie dans un état métastable « surdissout ».
nacité très élevées. Ce type de recherche n’est pas arrêté, mais il n’a (**) PVC-C : poly(chlorure de vinyle) chloré.
plus la nouveauté qu’il avait pendant les deux dernières décennies. (***) VC/VAC : copolymère poly(chlorure de vinyle/acétate de vinyle).
Pour ce qui concerne la cellulose et tout particulièrement certains de
ses dérivés, on peut obtenir de telles mésophases lorsque l’on dis-
sout le polymère en concentration suffisante dans un solvant
adéquat : on dit aussi que la solution anisotrope est à caractère de Le PVC-C [poly(chlorure de vinyle)chloré] est un polymère sur-
type « cristal liquide » (on distingue des cristaux liquides de types chloré, dont la teneur moyenne en chlore est à peu près intermédi-
nématiques, smectiques et cholestériques) et que de telles phases aire entre celle du PVC pur et celle du PVDC [poly(chlorure de viny-
sont lyotropes, pour rappeler que c’est la concentration qui est le pa- lidène)], polymère dont le motif a pour formule brute C2H2Cl2 (au
ramètre gouvernant la transition du liquide isotrope au liquide ani- lieu de C2H3Cl, pour celui du PVC). Le PVC et le PVC-C n’étant pas
sotrope ou « cristal liquide ». miscibles, on obtient, en faisant varier la proportion du polymère
Au cours de la visite effectuée à la société Rhovyl, nous avons pu sur-chloré, dans le mélange PVC/PVC-C, des fibres avec différentes
voir un pilote, acheté, avec le brevet correspondant, auprès de la morphologies de type « matrice-fibrilles » (ou « îles et mer », selon
société Michelin, et qui permet de filer des solutions cholestériques la terminologie japonaise).
de formiate de cellulose. Le copolymère comporte 11 % de motifs acétate de vinyle.

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■ Caractéristiques du filage et produits obtenus


Les multifilaments de PVC pur sont renvidés à des vitesses variant
entre 160 m/min pour les titres les plus gros (3,5 dtex/filament après Arrivée
l’étirage postfilage, qui est généralement d’un facteur environ 4,5) et collodion
550 m/min, pour les titres les plus fins (1,7 dtex/filament, après éti-
rage postfilage). Les titres intermédiaires produits étant de 2,4 et Pompe
3 dtex/filament (toujours en titre final, après postétirage). Le nom- Tête tête de
métier
bre de filaments individuels par multifilament est généralement
de 1 100, la production d’une position de filage est, dans de telles
conditions, de 17 kg/h, environ.
La cellule (figure 11) est subdivisée en un corps de cellule avant Écrou
et un corps de cellule arrière : porte-filière
Cage
— dans le corps de cellule avant, chauffé par une jaquette d’eau Filaments
chaude circulant à contre-courant (du bas vers le haut), le multifila- extrudés
ment progresse de haut en bas en entraînant le mélange solvant à
Manchette
l’état vapeur, la vaporisation ayant eu lieu dès la sortie de la filière ; double
— dans le corps de cellule arrière, l’excès de vapeur de solvants
qui ne s’est pas condensé en partie basse (condenseur refroidi à la
saumure et culotte) remonte du bas vers le haut, il est réchauffé
dans la zone haute, avant d’être réinjecté, par l’intermédiaire de la
« cage » au niveau de la filière : l’excès de vapeur de solvants tourne
donc en permanence à l’intérieur de la cellule, pratiquement étan- Retour
che, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, c’est-à-dire eau
l’inverse du sens qu’il suivrait en l’absence d’effet d’entraînement Arrivée chaude
par le multifilament. eau
chaude
Le multifilament produit sort de la cellule par l’intermédiaire d’un
joint étanche, au bas du corps de cellule avant, juste au-dessus du
Arrivée
condenseur, pour être renvidé sur un diabolo à l’extérieur de la cel- saumure
lule. La porte de sortie ne sert qu’à relancer la production, après tout
arrêt occasionné par un incident ou une intervention pour nettoyage
de l’installation.

Corps
5. Filage par procédés de cellule
avant
spéciaux Corps
de cellule
arrière
5.1 Filage de mésophases lyotropes
Retour
Nous aurions dû, en principe, classer dans cette rubrique le filage saumure
du formiate de cellulose, mais, étant donnée son importance encore Diabolo
marginale sur le plan économique, nous avons préféré le classer Porte
sous la rubrique « cellulose et dérivés » (§ 4). La plus importante en de
tonnages produits, (et la plus anciennement fabriquée), des fibres à sortie
Réfrigérant double

base de mésophase lyotrope est celle de poly(paraphénylène


téréphtalamide) ou de poly(parabenzamide) connue sous les mar-
ques commerciales Kevlar (Du Pont de Nemours) et Twaron (Akzo).
Le filage de ce type de fibres se rapproche du filage en solvant voie
humide mais il en diffère par un détail fondamental : le multifilament Multifilament
(mèche)
n’est pas extrudé directement à l’intérieur du bain de coagulation, brut de
comme dans le procédé viscose traditionnel, mais traverse un cer- filage
tain intervalle (gap) d’air avant de pénétrer dans ce bain. Cela signifie
que l’état de solution est maintenu sur une certaine longueur (en gé- Délivreur
néral de quelques centimètres) sur laquelle d’importantes restructu-
rations peuvent avoir lieu, en relation avec la force de tirage qui Culotte
appelle le fil vers l’aval. Nous ne donnerons pas d’autres détails sur le
procédé sinon que les solvants utilisés sont assez particuliers,
notamment l’acide sulfurique concentré pour ce qui concerne le Ke-
Lanterne de décantation
vlar.

5.2 Filage de gel


Ce procédé est utilisé pour l’obtention de fibres à hautes caracté-
ristiques mécaniques à partir de polymères à chaînes moléculaires Figure 11 – Schéma d’une cellule de filage à sortie verticale
flexibles, tels que le polyéthylène à très haute masse moléculaire. pour multifilament de Rhovyl
Pendant de nombreuses années, le filage de mésophases lyotropes (d’après un document fourni par la société Rhovyl)

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sommairement rappelé ci-dessus a conduit aux meilleures fibres On arrive aujourd’hui à obtenir des filaments de PE finals ayant
organiques (caractérisées, notamment, par des masses volumiques une ténacité de 4 N/tex, ce qui représente le meilleur rapport téna-
très inférieures à 2 g/cm3) en termes de performances mécaniques cité sur masse disponible sur le marché, et on espère obtenir assez
(modules d’Young de plusieurs dizaines, voire la centaine de GPa et prochainement une performance encore supérieure.
contraintes de rupture de 2 à 3 GPa). Ces performances étaient Au dernier symposium Techtextil de Francfort (mai 1997), la firme
expliquées sur la base du comportement type « cristal liquide » de japonaise Kuraray a annoncé une application du filage de gel (sous
ces solutions de filage : orientation parallèle des molécules dès le nom de « filage en gel humide refroidi ») à sa fibre de PVA (§ 4) ;
l’état liquide (et qui se perfectionne lors de la solidification) ; ces mo- cette nouvelle variante du procédé conduit à une fibre, dite
lécules, en outre, établissent des liaisons transversales au niveau de Kuralon II, sans morphologie de type « cœur-peau », contrairement
leurs groupes amides (interactions H) et de leurs noyaux aromati- au procédé classique de filage en collodion, qui conduit à cette mor-
ques. C’est seulement au début des années 1980 qu’on s’est aperçu phologie.
que des performances aussi bonnes, voire meilleures, pouvaient
être obtenues en filant des fibres de polyéthylène (le plus simple des
polymères organiques synthétiques) à très hautes masses molécu-
laires, à condition de forcer les chaînes à conserver une conforma-
tion hautement dépliée (dépelotonnée) au sein de la fibre ; c’est ce
que permet de réaliser le « filage de gel », procédé inventé par la so-
6. Conclusion et perspectives
ciété hollandaise DSM, qui a donné lieu depuis déjà une dizaine
d’années à 2 fibres commerciales développées en partenariat avec
des producteurs internationaux, la fibre Spectra (Produite par Allied Malgré son ancienneté, le procédé de filage textile continue à évo-
Signal) et la fibre Dyneema. Récemment DSM a encore perfectionné luer dans le sens de la production de fibres de plus en plus perfor-
le procédé [7]. mantes et répondant à des besoins spécifiques.
Ce procédé utilise toujours, pour l’essentiel, un polyéthylène Nous n’avons pas mentionné les fibres de carbone dans cet
ayant une masse moléculaire de l’ordre de 1 million, voire supérieure. exposé, mais il est bien connu qu’elles sont réalisées, pour l’essen-
Celui-ci est dissout en très faible concentration (quelques pour-cent tiel, à partir de multifilaments continus précurseurs en PAN (par un
en masse, ce qui est donc très différent du cas du filage de collodion procédé modifié, mais toujours de type « collodion voie humide »,
classique) dans un solvant dit « θ », c’est-à-dire qu’il dissout les très par rapport à celui décrit pour l’usine Courtaulds de Grimsby) ; ce
longues chaînes de polyéthylène (PE) seulement au-dessus d’une principe de transformation d’une fibre organique en fibre minérale à
certaine température θ (θ valant ici, par exemple, 80 °C). La solution hautes performances mécaniques et thermiques existe aussi dans le
est extrudée en continu et envoyée sur la position de filage domaine des fibres céramiques ; il est permis de penser que
(figure 12) ; là, classiquement, une pompe volumétrique la dirige d’autres exemples de ce type verront le jour dans un avenir plus ou
vers le bloc filière. C’est à ce stade que s’introduit, comme on le voit moins proche.
schématiquement sur la figure 12, la principale innovation par rap- Le fait qui nous semble, néanmoins, le plus intéressant à consta-
port au filage classique (à l’état fondu ou en solution). En effet, l’es- ter est le suivant : par rapport au procédé viscose, vieux de plus d’un
sentiel du solvant est éliminé dès la sortie de la pompe et non pas siècle, et après l’innovation considérable qu’avait représenté en son
après traversée de la filière, ce qui explique le nom donné au pro- temps l’introduction du filage à l’état fondu, dans les années 1940,
cédé, la phase qui subit le filage n’est ni une solution de polymère, les nouvelles innovations de ces dernières décennies ont consisté à
ni un polymère fondu, mais bien un gel. C’est cet état de gel très par- revenir à l’emploi de solutions de polymères, mais en intervenant
ticulier qui va permettre d’appliquer, après le filage proprement dit, au niveau de l’acte primaire de la mise en forme fibreuse. Dans un
des taux de postétirage considérables, sans commune mesure avec premier temps (filage de mésophases lyotropes, mais aussi des
ceux qui sont atteints dans les procédés décrits précédemment (filage « nouvelles celluloses » mésophasiques ou non) on a émergé l’ori-
en fondu et/ou filage en collodion). En effet, on arrive à appliquer fice de la filière du milieu de « régénération » (bain de coagulation
des rapports d’étirage compris entre 50 et 100 fois, qui se superpo- ou enceinte d’évaporation du solvant) ce qui a conduit au filage
sent à l’étirage primaire déjà très important (on parle d’ultra-étirage) avec intervalle d’air (air-gap) ; dans un second temps, on est parti
en jouant simplement sur la concentration de la solution avant géli- –conceptuellement– en sens inverse, en introduisant le milieu de
fication et la masse moléculaire du PE : la température de cet ultra- régénération à l’intérieur même du bloc filière, et c’est en particulier
étirage s’avère également un paramètre essentiel. le cas du filage de gel.

,,,,,,
Extrusion continue de la solution
Pompe volumétrique

,,,,,,
Élimination du solvant
Solution de PE à
Bloc-filière
très haute masse moléculaire

,,
Figure 12 – Le filage de gel [7]
,,,, Étuve Bobinage final
du multifilament

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P
O
U
Filage textile R

E
par Raoul HAGÈGE
N
Docteur-Ingénieur
Ancien Directeur du Laboratoire de l’Institut textile de France (ITF)-Paris

S
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(J.P.), VERGNES (B.) et VINCENT (M.). – La
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versité de Nice, 1983.
95 Postfach 150210 D-60062. Frankfurt am
Main, mai 1995. R

Données statistiques P
Quelques données statistiques récentes sur la production mondiale des ments continus, opération qui a lieu très en aval du filage, généralement chez les transfor-
multifilaments continus et fibres synthétiques. mateurs.

Les courbes de la figure A indiquent la croissance de la production des


L
Nota : Bien que le terme de fibre soit le terme générique normalisé, on distingue tou-
jours, dans la pratique industrielle, le filament (sous-entendu continu) résultant directe-
ment du filage en fondu ou par voie sèche et la fibre résultant de la coupe (ou du
fibres synthétiques et cellulosiques à l’échelle mondiale, pendant tout le
XXe siècle (jusqu’en 1994), par rapport à l’ensemble des fibres (naturelles et
synthétiques). Elle est tracée à partir des données fournies par le CIRFS
U
« craquage ») de câblés (ou rubans) comportant plusieurs centaines de milliers de fila- (Comité International de la Rayonne et des fibres synthétiques).
S
45
Production (Mt)

coton
40 laine
synthétique (sauf CEE)
35 cellulosiques
total fibres chimiques
30 total général

25

20

15

10

0
1900 1940 1960 1966 1970 1974 1978 1982 1986 1990 1994 Figure A – Statistiques de production
Années mondiale des fibres synthétiques
et cellulosiques depuis 1900

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O
U À l’échelle mondiale, jusqu’en 1994 (et même 1996), il n’y a toujours que les et à celle de la CEE*). Il convient de souligner que la situation est contrastée

R mêmes « trois grands » (PET, PA et PAN). À l’échelle européenne, en revanche,


qui représente grosso modo 10 % de la production mondiale pour ces « trois
grands », est apparu un 4e grand, depuis le milieu des années 1970 : il s’agit
entre l’Europe de l’Est, l’Asie et les États-Unis. La Chine devient un producteur
très important de fibres synthétiques (3,1 Mt en 1996, chiffre proche de celui
de la production européenne, alors que la production à chuté de 18 %, globa-
du polypropylène (PP), filé en fondu, qui est aujourd’hui aussi important que lement en Europe de l’Est.
chacun des trois autres à l’échelle de la CEE.
* Ces données proviennent de la firme néerlandaise Akzo.

E Les histogrammes (figures B et C) représentent la production de 1995 et


1996 (dernières années dont les données sont disponibles à l’échelle mondiale
Néanmoins, l’ensemble de la conjoncture laisse supposer une nette aug-
mentation de la production mondiale de fibres synthétiques en 1997.

N
Acrylique fibres Acrylique fibres
Polyester fibres Polyester fibres
Polyester filaments Polyester filaments
S Polyamide fibres
Polyamide tapis filaments
Polyamide fibres
Polyamide tapis filaments

A Polyamide habillement filaments


Acétocellulosiques filaments
1996
Polyamide habillement filaments
Acétocellulosiques filaments
1996

V Viscose fibres
Viscose filaments
1995 Viscose fibres
Viscose filaments
1995

O 1 2 3 4 5 6
Production (Mt)
100 200 300 400 500 600
Production (kt)

I Figure B – Production mondiale, pour usages autres que techniques, Figure C – Production en Europe occidentale, pour usages autres que

R des fibres cellulosiques et synthétiques techniques, des fibres cellulosiques et synthétiques

P
L
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