N°4

Novembre 2022
Tchicaya Utam’si Journal Hebdomadaire de reflexion philosophique,
theologique et litteraire
Production de Rationalité Bantoue
Editorial
es tragédies écologiques dont le monde
est de plus en plus l’objet donnent le mi-
sérable spectacle d’un futur alarmant. Parce
que le voyoutisme écologique auquel se livre
l’homme véhicule des charges de vandalisme
et de déstructuration de l’environnement, les
sommets sur l’écologie dont la COP 27 est la
métaphore d’illustration ne cessent de se multi-
plier pour prendre en charge les questions rela-
tives au changement climatique.
Le fait que le monde soit de plus en plus en
Ram’s Djague demande des corrections écologiques, parce
Philosophie, Canisius que ses habitants, au nom d’un anthropocen-
trisme coagulant, font un usage hypertrophié
de la nature, explique pourquoi sa dynamique
est régie par la tyrannie de la crise environne-
mentale. L’écologie d’aujourd’hui est esthéti-
quement déficitaire, parce qu’il manque aux
hommes cette sensibilité envers la nature dont
le spectre de gémissement adopte un mode de
2………..Editorial vie pan-cosmique et pan-acoustique. Un tel
spectre de gémissement de notre environne-
3……….Le monde ment est pertinemment pris en charge par le
s’écroule. poème « Le monde s’écroule ».
A travers un titre dont la particularité de la si-
4……….De Laudato si gnature acoustique contracte des dettes tacites dans la prise en charge de la fraternité dans
à Fratelli Tutti: l’hori- avec le titre du roman Le monde s’effondre de
zontalité et la verticali- Chinua Achebe, Mr KOUKOUIKILA Guelor
té de la fraternité. Crisvel, avec l’habilité d’un trousseur des vers
satiriques, mobilise son capital intellectuel
pour élever à la dignité du concept « la misère
des chaumières de la terre ». Dans une versifi-
cation qui appartient au genre élégiaque, ce
poème aux accents fort mélancoliques ne nous
rappelle pas moins le « Spleen » (IV) de Les
fleurs du mal de Baudelaire lorsque ce poète
2
N° 04
Novembre 2022
français affiche son désespoir en vertu de son
« Espoir vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce,
despotique ». Cependant, à la différence de
Baudelaire qui s’émancipe du pessimisme fata-
lisant par son « Ideal », Mr Koukouikila affecte
un coefficient de crédibilité à son désespoir,
compte tenu de la réalité actuelle, lorsqu’il ter-
mine son poème par « l’espoir d’un avenir sain
et certain se perd dans le présent d’un lende-
main incertain ».
Cette intelligibilisation de la crise écologique
trouve un terreau fertile dans la double ap-
proche de Mr N’GOMA Miston dans son ar-
ticle : « De Laudato Si à Fratelli Tutti : l’hori-
zontalité et la verticalité de la fraternité ».
Après avoir dégagé les fondements scriptu-
raires de l’écologie dans la Bible, Mr N’goma
initie un procès d’invalidation des approxima-
tions théoriques d’une pareille approche dans
un monde, dominé qu’il est par la sécularisa-
tion, à travers « l’indécence théologique » de
Jean-Marie Gauthier. A l’indécence théolo-
gique, il oppose « l’herméneutique vivi-
fiante ». Une telle herméneutique vivante
trouve son mode d’expression de prédilection
l’encyclique Fratelli Tutti. Puise que le frère
est un sacrément, parce qu’il est le « signe »
visible de l’Invisible, Miston nous invite à
nous affranchir des ghettos des « ombres d’un
monde fermé » et du complexe de monade
leibnizienne pour construire une civilisation du
bonheur partagé et du vivre-ensemble juste et
pacifique.
Ramadane Djague, Sj,
Université Loyola du Congo.
 3

Le monde s’écroule

Il pleut, il pleut des cordes sur la terre !

Depuis que l’homme s’est fait créateur,
L’or brille, mais, l’univers va de travers :
Clopine et pleure des larmes de douleur.

Le globe tremble et saigne aux membres,

Crisvel Guelor KouKouikila SSS.
Dans ses parcelles, douleur sans nombre : Etudiant en 3e année théo UCC
Montagnes et collines crachent du sang ardent,
Faune et flore se défont progressivement.

L’Unique Visage du Ciel voit et pleure

La misère des chaumières de la terre.
Est-ce mal être résultant de l’indifférence
Des Cranes prétentieux de notre espèce ? « Depuis que
l’homme s’est
fait créateur,
Folie des grandeurs des certitudes sans sagesse L’or brille,
Qui ternissent le blason blanc de l’existence. mais, l’univers
va de travers :
Ils sont des artisanats de beauté artificielle
Clopine et
Au détriment de celle purement naturelle
pleure des
larmes de dou-
Perdue dans le brouillard d’un univers carbonisé,
leur »
La belle colombe ne sait plus où se poser.
Et l’espoir d’un avenir sain, serein et certain
Se perd dans le présent d’un lendemain incertain.

De Laudato Si à Fratelli Tutti : l’horizon-
talité et la verticalité de la fraternité
De l’interdisciplinarité qui y prévaut dans
L’encyclique Laudato Si , nous aurons princi-
palement à nous étendre sur quelques textes
scripturaires convoqués par le pape François
pour développer sa réflexion sur le problème
environnemental dans ladite encyclique, aussi
et surtout de savoir quelle est la portée et le
crédit à accorder aux textes scripturaires par
rapport à un tel sujet. Pour répondre à une pa-
reille préoccupation, nous ferons appel aux
fragments du livre de Jean-Marie Gau-
thier intitulé : Quand le texte fondateur de-
vient fondement meurtrier, pour une herméneu-
tique vivifiante. En sus nous chuterons dans
l’encyclique Fratelli Tutti pour nous présenter
la finalité à la quelle vise et suppose toute
conversion écologique : l’amour du prochain
et l’amour de la nature. Cela dit, au crépuscule
de notre marche heuristique, nous essayerons
de décrypter à la lumière de cette trilogie en
quoi consisterait pour nous « l’horizontalité et
la verticalité de la fraternité ».
I. Laudato Si
1. l’écologie dans l’ancien testament
Dans sa réflexion, le pape s’appuie princi-
palement sur le récit de la création du livre de
la Genèse, pour présenter la Bonne Nouvelle
sur l’environnement. De ses analyses, nous
retenons ce fragment qui présente substantiel-
lement l’idée maitresse : « Les récits de la
création dans le livre de la Genèse contien-
nent, dans leur langage symbolique et narra-
tif, de profonds enseignements sur l’existence
humaine et sur sa réalité historique. Ces ré-
cits suggèrent que l’existence humaine repose
sur trois relations fondamentales intimement
liées : la relation avec Dieu, avec le prochain,
et avec la terre... L’harmonie entre le Créa-
teur, l’humanité et l’ensemble de la création a
été détruite par le fait d’avoir prétendu pren-
dre la place de Dieu, en refusant de nous re-
connaître comme des créatures limitées. Ce
fait a dénaturé aussi la mission de « sou-
mettre » la terre (cf. Gn1, 28), de « la cultiver
4
et la garder » (Gn2, 15) ».
Par bien d’autres textes de l’Ancien Testa-
ment, le pape exhorte toutes les personnes
de bonne volonté à travailler pour une vie
harmonieuse avec Dieu, le prochain et la
terre. Toute créature est en effet, l’œuvre
du Seigneur et doit chanter sa gloire : «
Louez-le Soleil et Lune, louez-le, tous les « Grandes et mer-
astres de lumière ; louez-le, cieux des
cieux, et les eaux par-dessus les cieux ! veilleuses sont tes
Qu’ils louent le nom du Seigneur : lui com-
œuvres, Seigneur
manda et ils furent créés » (Ps148, 3-5).
Car, en définitive, « au Seigneur la terre Dieu, Maître-de-
» (Ps24, 1), à lui appartiennent « la terre et
tout ce qui s’y trouve » (Dt10, 14). tout »
2. L’écologie dans le Nouveau Testa-
ment
Nous présentons ici juste quelques-unes
qui retiennent notre attention. Le premier
texte qui, pour nous, revêt une impor-
tance fondamentale, c’est le Prologue
de l’Évangile de Jean (1, 1-18) qui, selon
le saint Père « montre l’activité créatrice du
Christ comme Parole divine (le Logos) ». Ce
fameux prologue qui regorge en son sein une
thématique trilogique : le christ se révélant
comme Verbe de Dieu, lumière et médiateur
de la grâce divine. Cette bonne nouvelle éco-
logique nous plonge dans le mystère environ-
nemental qui parle de Dieu, qui dit Dieu et Le
célèbre. Le second texte qui nous interpelle,
c’est celui de l’Apocalypse qui chante la gran-
deur des œuvres façonnées par le Seigneur : «
Grandes et merveilleuses sont tes œuvres, Sei-
gneur Dieu, Maître-de-tout » (Ap15, 3).
Jésus lui-même reconnait le grand soin et
l’important prix que Dieu le père accorde à la
création. Il entretient la vie du créé parce que
chacune de ses œuvres a du prix à ses yeux : «
Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni
ne moissonnent ni ne recueillent en des gre-
niers, et votre Père céleste les nourrit » (Mt6,
26). Nous voyons dans cette attitude de Jésus
une belle interpellation pour les hommes de
notre temps. Nous devons, à l’image de Dieu,
protéger les espèces animales et végétales.
 L’homme doit pouvoir marquer son huma-
nité, en donnant vie à son environnement. Se-
lon le Pape François, Jésus lui-même, pendant
son séjour terrestre, vivait en pleine harmonie
avec la création, et des personnes s’en émer-
veillaient : « Quel est donc celui-ci pour que
même la mer et les vents lui obéissent ?
» (Mt8, 27).
Au regard de ce bref parcours, nous aper-
cevons que plusieurs références de l’Ancien et
du Nouveau Testament ont illuminé le Pape
François dans son développement écologique
présenté dans Laudato Si. Toutefois, à la lec-
ture de l’ouvrage de Jean-Marie Gautier, la
question qui se pose est effectivement de sa-
voir le crédit que les non-croyants accorde-
raient à un tel enseignement. D’où justement
la problématique de l’indécence théologique.
3. Que dire alors de l’indécence théolo-
gique et de l’herméneutique vivifiante?
Entendons par indécence théologique, les
avis contradictoires, des interprétations ou
même les jugements indécents que certains
hommes de science voire certains théologiens
présentent dans leur emploi des textes scriptu-
raires. Cette expression que nous tenons de
Jean-Marie Gauthier amène tout simplement à
pouvoir être plus attentif à l’usage mitigé que
peut connaitre les écrits scripturaires. En effet,
l’usage qu’on en fait, dépend forcément du
crédit ou de la foi qu’on accorde à ce texte que
l’auteur appelle « fondateurs ». L’indécence se
profile justement à partir du moment où les
textes fondateurs ne requièrent pas véritable-
ment la même autorité dans divers milieux.
Entendons par herméneutique vivifiante,
les voies d’interprétation des textes fondamen-
taux pouvant nous épargner du venin mortifère
capable de nous inculquer certaines interpréta-
tions vicieuses de ces textes. Jean-Marie Gau-
thier nous propose à cet effet trois principales
voies à savoir :
L’option pour la vie : Si l'annonce de la
Bonne Nouvelle n'est pas vivifiante, il faut
résister à cette annonce ou simplement y re-
noncer car il y a fausse représentation ». Selon
l’auteur, il est question, face à tout texte, de lui
donner une interprétation qui offre non point
la mort, mais la vie.
Prendre parti pour les victimes : « En
somme, prendre parti pour les victimes, c'est
oser briser le cercle de l'herméneutique inter-
minable ou de celle qui se termine par la mort
des accusés; c'est adopter franchement la 5
perspective de ceux et celles que l'interpréta-
tion tue de toutes sortes de façons. Il s'agit
donc d'interpréter autrement et de découvrir
la vérité des victimes ». Il est question ici de
donner à la Bonne nouvelle sa puissance libé-
ratrice et non condamnatrice.
Résister à l'indécence théologique :
« Résister à l'indécence théologique découle
de ce qui précède. Est indécent tout discours
sur Dieu qui l'enroule dans la vengeance, le
sacralise dans la violence ou l'utilise pour l'ac-
cusation sous toutes ses formes ».
Loin de vouloir ressasser toute la spiritualité
écologique et les moyens de conversion écolo-
gique proposés par le pape, encore moins de
vouloir nous entrainer sur un chemin de con-
torsion théologique, je nous invite à nous arrê-
ter à l’essentiel, c’est-à-dire, ce qui constitue
pour tout homme « l’essence du ciel », le car-
burant de ce moteur à réaction qui nous permet
de nous hisser vers le divin, « assumer ce que
nous sommes », les protecteurs de l’œuvre de
Dieu. « La société plus
mondialisée nous
rapproche, mais
II. Fratelli Tutti
ne nous rends pas
Dans le premier chapitre de son encyclique
Frattelli Tutti intitulé « les ombres d’un monde frère tel est le
fermé », le pape, nous présente une mondiali- constat amer qui
sation esquintée, qui pourrait être qualifier de maugrée le cœur
faux voisinage, vue sous un angle de promis-
du pape François
cuité, car nous nous côtoyons sans nous con-
naitre, sans nous aimer, sans aucun morphème dans Frattelli Tut-
d'humanité parce que forgés dans une société ti »
où prime l’individualisme, l’égoïsme, l’autolâ-
trie, le culte du moi, au détriment de l’al-
truisme, de la symbiose humaine, le bien
d’un plus grand nombre importe peu ; les
intérêts individuels prévalent sur, et ou affai-
blissent la dimension communautaire de
l’existence. Toutes ces faits sont ceux qui
constituent en quelque sorte l’épicentre du
problème écologique, car la prépondérance
économique, l’orgueil de l’homme, et ses ap-
pétits désordonnés lui poussent sans retenue à
saboter le biotope et la biocénose. « La société
plus mondialisée nous rapproche, mais ne
nous rends pas frère » tel est le constat amer
qui maugrée le cœur du pape François dans
Frattelli Tutti, et l’exemple le plus tonitruant
qui soit pour étayer le propos du pape est ce-
lui ,« des rapports nord-sud », aujourd’hui
l’Occident, la France en l’occurrence, pour ne
 point parler à la cantonade, vient en aide aux C’est bel et bien ce dont nous faisons l’expé-
pays africains dits francophones non par cha- rience à travers la contemplation A d 6
rité, plutôt par désir sadique de vouloir tou- amorem dans les Exercices Spirituels de saint
jours maintenir ces derniers, sous une autre Ignace, et qui donne sens à sa célèbre
forme d’esclave par le biais des chaines mo- Maxime qui porte la spiritualité ignatienne
nétaires appelées dettes économiques, en ou- «voir Dieu en toute chose».
bliant par-dessus tout la dette écologique que
ses pays dits du Nord ont envers les pays
pauvres moins consommateurs, n’en déplaise Miston N’GOMA
à ceux qui accordent à leur égoïsme dans le Ancien étudiant de Bayardelle, so-
monde, un vernis de légitimité et/ou de légali- ciologie.
té. D’où la vraie conversion écologique, c’est-
à-dire, celle qui prend racine dans l’être de « l’élévation vers le
nos manières pour façonner nos manières Divin, celui que les
d’être, doit nous conduire vers ce que le pape
dans son introduction dans Frattelli Tutti ap- traditions religieuses
pelle ‘le désir universel d’humanité’. Qu’est- désignent sous le nom
ce à dire? Ce désir qui n’est autre qu’écologie, de Dieu, nous rap-
c’est-à-dire, l’expression des rapports sains
d’homme à hommes et d’hommes à notre éco- proche davantage de
système. C’est en cela que consiste l’horizon- notre semblable et
talité et la verticalité de la fraternité car la nous fait voir dans la
vraie fraternité doit nous amener à être frère et
« poesis », dans l’être
chanter ensemble avec saint François son
hymne à la création. L’amour du divin doit de toute créature
nous amener à cela ou tout au moins doit pré- l’image de Dieu. »
supposer cette double dimension. Comment
parvenir à chanter comme saint François
d’Assise « sœur lune, frère soleil, etceteri et-
cetera » tandis que nous sommes incapables
d’appeler notre semblable frère ou sœur, à
l’instant où nous vilipendons notre prétendu
frère. En d’autres termes, comme nous le dit
saint Jean (1 Jean 4, 20-21), « Si quelqu’un dit :
J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un men-
teur ; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, com-
ment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? Et nous
avons de lui ce commandement : que celui qui aime
Dieu aime aussi son frère. » A cela s’accompagne
l’amour de toute la création.
Comme nous l’enseigne la théologie natu-
relle, l’élévation vers le Divin, celui que les
traditions religieuses désignent sous le nom de
Dieu, nous rapproche davantage de notre sem-
blable et nous fait voir dans la « poesis »,
dans l’être de toute créature l’image de Dieu.

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