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Rabbia poetica
Note sur Pier Paolo Pasolini
1. Ce texte fait suite à une analyse plus extensive du film La Rabbia, intitulé « Film, essai, poème. Note sur La Rabbia
de Pier Paolo Pasolini », prononcée au Théâtre de Genève le 9 mars 2013 (à paraître).
2. P. P. Pasolini, « La rabbia » (1962-1963), Tutte le opere. Per il cinema, I, éd. W. Siti et F. Zibagli, Milan, Arnoldo
Mondadori Editore, 2001, p. 401.
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Mais pourquoi fallait-il que Pasolini composât, en vers poétiques, ce chant funèbre
qui évoque tant le passé – avec ses urli tout droit venus de l’Antiquité païenne et ses
pianti consacrés par toute la tradition chrétienne – qu’il semble presque mettre au
second plan l’analyse historique et la prise de position politique ? En quoi le dernier
mot donné à la fatalità del morire pourrait-elle nous servir d’arme polémique et d’outil
émancipateur pour le présent ? Voilà pourtant, en dépit de toutes les méfiances voire
détestations alentour – qu’elles aient été l’œuvre de « traditionalistes » offusqués que
l’on pût écrire, comme Pasolini l’a explicitement tenté, des « poèmes marxistes »2, ou
bien d’« avant-gardistes » consternés de son recours aux formes les plus anciennes
de l’écriture poétique –, voilà pourtant bien ce que Pasolini voulut assumer de front
dans cette expérience d’écriture politico-poétique. N’y a-t-il pas, dans les « poèmes
marxistes » de 1964-1965, un petit recueil d’épigrammes (cette forme antique de poésie
funéraire que Bertolt Brecht avait déjà reprise à son compte dans l’ABC de la guerre)
ainsi qu’un long texte intitulé « Poésie en forme de polémique3 » ? L’un des plus beaux
poèmes jamais écrits, peut-être, par Pasolini n’aura-t-il pas eu pour argument une mani-
festation politique4 ?
Lorsque, en 1968, Pasolini voulut résumer pour l’historien Jon Halliday sa tenta-
tive inhérente au film La Rabbia, il n’hésita pas devant le paradoxe consistant, dit-il,
à écrire « en vers » (in versi) sa « dénonciation marxiste de la société de l’époque »
(denuncia marxista della società del tempo) : « J’ai écrit ces textes poétiques expressé-
ment [pour le film], et je les ai fait lire par Giorgio Bassani – qui par ailleurs doublait
la voix d’Orson Welles dans La Ricotta – et par le peintre Renato Guttuso5 ». Deux ans
plus tôt et dans un contexte spécifiquement italien – un entretien avec Giorgio Bocca
publié dans le quotidien milanais Il Giorno du 19 juillet 1966 –, Pasolini avait été mis
en demeure de s’expliquer avec les « avant-gardistes » de gauche qui lui reprochaient sa
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1. Ibid., p. 401 : « E la classe degli scialli neri di lana, / dei grembiuli neri da poche lire, / dei fazzoletti che avvolgono
/ le facce bianche delle sorelle, / la classe degli urli antichi, / delle attese cristiane, / dei silenzi fratelli del fango / e del
grigiore dei giorni di pianto, / la classe che dà supremo valore / alle sue povere mille lire, / e, su questo, fonda una vita /
appena capace di illuminare / la fatalità del morire. »
2. Id., « Poesie marxiste » (1964-1965), Tutte le opere. Tutte le poesie, II, éd. W. Siti, Milan, Arnoldo Mondadori Editore,
2003 (éd. 2009), p. 889-994.
3. Ibid., p. 960-962 et 975-977.
4. Id., « Comizio » (1954), Tutte le opere. Tutte le poesie, I, éd. W. Siti, Milan, Arnoldo Mondadori Editore, 2003 (éd.
2009), p. 795-799 (trad. N. Castagné et D. Fernandez, « Meeting », Poèmes de jeunesse et quelques autres, Paris, Gallimard,
1995, p. 159-167).
5. Id., Pasolini su Pasolini. Conversazioni con Jon Halliday (1968-1971), trad. C. Salmaggi, Tutte le opere. Saggi sulla
politica e sulla società, éd. W. Siti et S. De Laude, Milan, Arnoldo Mondadori Editore, 1999, p. 1327 (version amplifiée par
rapport à l’édition originale, Pasolini on Pasolini, éd. O. Stack [pseudonyme de J. Hollyday], Londres-New York, Thames
and Hudson, 1969).
6. Id., « L’arrabbiato sono io » (1996), Tutte le opere. Saggi sulla politica e sulla società, op. cit., p. 1591.
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1. Ibid., p. 1592.
2. Ibid., p. 1592-1593.
3. Ibid., p. 1595.
4. Ibid., p. 1594.
5. Ibid., p. 1595.
6. Id., « Pasolini l’enragé [entretiens avec J.-A. Fieschi] » (1966), Cahiers du cinéma, hors-série n° 9, 1981, p. 43-53
(j’ai commenté cette notion d’abgioia dans Peuples exposés, peuples figurants. L’œil de l’histoire, 4, Paris, Les Éditions
de Minuit, 2012, p. 180-195).
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Alors le poète, avec ses mots, son corps, sa pensée, son œil-phrase, s’approche un
peu plus. Vue de près, la rose est encore plus modeste, effacée (dimessa), telle une
« pauvre chose nue et sans défense » (una povera cosa indifesa e nuda). « Je m’ap-
proche encore, écrit Pasolini, et je sens l’odeur »… qui fait, immédiatement, lever cette
plainte : « Ah, crier c’est peu, et c’est peu que se taire » (Ah, gridare è poco ed è poco
tacere). Et cependant Pasolini, respirant ce parfum de l’unique rose, sait bien qu’« en
ce seul instant misérable » tient toute « l’odeur de [sa] vie » (in un solo misero istante,
/ l’odore della mia vita3). C’est alors que surgit, comme le parfum dans les narines, la
question dans l’âme – ou la bouche, ou la langue – du poète :
1. Ibid., p. 1051.
2. Ibid., p. 1051-1052 : « Una rosa. Pende umile, / sul ramo adolescente, come a una feritoia, / timido avanzo d’un
paradiso in frantumi… »
3. Ibid., p. 1052.
4. Ibid., p. 1052 : « Perché non reagisco, perché non tremo, / di gioia, o godo di qualche pura angoscia ? / Perché non
so riconoscere / questo antico nodo della mia esistenza ? / Lo so : perché in me è ormai chiuso il demone / della rabbia ».
5. Ibid., p. 1052.
6. Ibid., p. 1053.
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1. Id., « Una disperata vitalità » (1964), Tutte le opere. Tutte le poesie, I, op.cit., p. 1182-1202 (trad. partielle J. Guidi,
Poésies, 1953-1964, op. cit., p. 231-235)
2. Id., « La poésie est dans la vie (entretien avec Achille Millo) » (1967), trad. J.-B. Para, Europe, n° 947, 2008, p. 110-
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3. Id., « La lingua scritta della realtà » (1966), Tutte le opere. Saggi sulla letteratura e sull’arte, I, éd. W. Siti et S.
De Laude, Milan, Arnoldo Mondadori Editore, 1999 (éd. 2004), p. 1503-1540 (trad. A. Rocchi Pullberg, « La langue écrite
de la réalité », L’Expérience hérétique. Langue et cinéma, Paris, Payot, 1976, p. 167-196).
4. Id., « Al lettore nuovo » (1970), Tutte le opere. Saggi sulla letteratura e sull’arte, II, éd. W. Siti et S. De Laude, Milan,
Arnoldo Mondadori Editore, 1999 (éd. 2004), p. 2511 (trad. J. Guidi, Poésies, 1953-1964, op. cit., p. 289 [trad. légèrement
modifiée]).
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1. Id., « Il “cinema di poesia” » (1965), Tutte le opere. Saggi sulla letteratura e sull’arte, I, op. cit., p. 1461-1488 (trad.
A. Rocchi Pullberg, « Le cinéma de poésie », L’Expérience hérétique, op. cit., p. 135-155).
2. Ibid., p. 1463 (trad. cit., p. 136).
3. Ibid., p. 1464 (trad. cit., p. 137).
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1. Id., « Osservazioni sul piano-sequenza » (1967), ibid., p. 1559-1561 (trad. A. Rocchi Pullberg, « Observations sur le
plan-séquence », L’Expérience hérétique, op. cit., p. 211-212).
2. S. M. Eisenstein, Teoria generale del montaggio (1935-1937), trad. dirigée par P. Montani, Venise, Marsilio, 1985,
p. 169-171 et 226-231 (il n’existe pas, à ma connaissance, de traduction française de ces textes).
3. P. P. Pasolini, « La paura del naturalismo » (1967), Tutte le opere. Saggi sulla letteratura e sull’arte, I, op. cit., p. 1572
(trad. A. Rocchi Pullberg, « La peur du naturalisme », L’Expérience hérétique, op. cit., p. 222).
4. Id., « I segni viventi e i poeti morti » (1967), Tutte le opere. Saggi sulla letteratura e sull’arte, I, op. cit., p. 1577 (trad.
A. Rocchi Pullberg, « Signes vivants et poètes morts », L’Expérience hérétique, op. cit., p. 226).
5. Ibid., p. 1579-1581 trad. cit., p. 228-229).
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