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Scarification Dans Psychose
Scarification Dans Psychose
ABSTRACT
Scarification and (self-) mutilation in psychosis. Contemporary to the raise of French modern psychiatry, the study of body
practical experiences – on its own body or on others – was implemented by Philippe Pinel at the end of the XVIIIth century.
Partly included in his “manie sans délire” category, this clinical fact was afterwards approached by various authors, like JED
Esquirol, Charles Lasègue or Paul Guiraud. However, we have to count on Jacques Lacan’s contribution to be able to exam these
body practices by the light of subject - object’s linking. These connections request to reconsider the phenomenological variety
of body practices, in gathering mutilations, body-parts removing, as well as cuttings (on the own body or on others), to be
distinguishable from social and judicial perspectives. Indeed, in some clinical cases, we highlight the existence of an underlying
logic, referring to object localization – stifling some psychotic subjects – rather than act localization. When acting out, the
subject is missing out the Other, trying to make occurring in the real dimension, the primitively refused castration. Whatever the
practices are executed on its own body or on a fellow one, after all, the act aims at subjectivity preservation.
Key words: act, scarification, (self-)mutilation, psychosis, jouissance
RESUMEN
Escarificación y (auto-) mutilación en la psicosis. Contemporáneo del nacimiento de la psiquiatría moderna francesa, el
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Nous nous proposons d’examiner quelques pratiques fondateur de la psychiatrie en France » [1] (p. 39) que
dont le corps propre du sujet ou celui d’autrui est l’objet. Si comme le fondateur de la Clinique en tant que « démarche
nous pouvons distinguer plusieurs types de pratiques, affé- consciente et systématique » [2] (p. 25) énonçait là sans
rentes à des problématiques subjectives hétérogènes, nous doute la première indication de pratiques de coupures cor-
pouvons rapprocher entre eux certains cas cliniques où se porelles qui devaient constituer deux ans plus tard la manie
retrouve la dimension commune de nécessité et d’império- sans délire. En effet, dans la première édition de son Traité
sité de l’acte. En effet, les variétés phénoménologiques de médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la
ces pratiques regroupent aussi bien les coupures, les muti- manie parue en 1800, Pinel décrit « la manie sans délire »
lations que les prélèvements, tant sur le corps propre du ou « folie raisonnante ». Il en présente plusieurs cas et la
sujet que sur celui d’autrui. définit ainsi : « Elle est continue, ou marquée par des
À l’encontre des partitions criminologiques, judiciaires accès périodiques. Nulle altération sensible dans les
ou encore sociales, nous reconsidérons les pratiques de fonctions de l’entendement, la perception, le jugement,
certains sujets dans une perspective différentielle, en argu- l’imagination, la mémoire, etc., mais perversion dans les
mentant d’une logique sous-jacente, celle de la coupure fonctions affectives, impulsion aveugle à des actes de
avec l’objet petit a – ici comme objet de jouissance encom- violence, ou même d’une fureur sanguinaire, sans qu’on
brant la subjectivation – pour les situer ainsi dans le cadre puisse assigner aucune idée dominante, aucune illusion
structural de la psychose, qu’elle soit déclenchée ou non. Il de l’imagination qui soit la cause déterminante de ces
est à souligner que cette notion de psychose non déclen- funestes penchants [18] (p. 155) » . Il évoque à propos de
chée, native du Champ freudien, désigne une réalité clini- ces maniaques sans lésion de l’entendement découverts à
que qui semble avoir été connue et repérée depuis Pinel : en Bicêtre, l’existence d’« une sorte d’instinct de fureur,
effet, la fureur sans lésion ou manie sans délire venaient comme si les facultés affectives avaient été seulement
ainsi cerner une dimension psychopathologique autrement lésées » [18] (p. 150).
plus précisément que des notions contemporaines comme Reconduite dans la seconde édition de la Nosographie
les états-limites (les borderline cases), ou encore les psy- philosophique de 1803, la manie sans délire disparaît en
chopathies. tant qu’espèce dans la seconde édition de son Traité [17]
parue en 1809. Pinel ne la supprime pas pour autant
puisqu’il la regroupe avec la manie avec délire dans une
Quelques éléments historiques nouvelle espèce générique intitulée manie ou délire géné-
de la manie sans délire ral. Cette modification nosographique n’a en réalité que
peu d’importance pour la survie de la manie sans délire
Il n’est pas inconsidéré de penser que l’étude des passa- puisque Pinel la transmet en quelque sorte à son élève
ges à l’acte auto et hétéro-agressifs occupe une place privi- Esquirol. En effet, on la retrouve chez ce dernier non pas
légiée dans la naissance et l’évolution de la psychiatrie reconduite telle quelle mais sous la catégorie de la mono-
moderne française. Parmi les auteurs dont les propositions manie homicide ou plus précisément dans la seconde
sur ce sujet ont retenu notre attention, citons Philippe Pinel, espèce de cette monomanie « dans laquelle on ne peut
Jean-Étienne Dominique Esquirol et à leur suite les évolu- observer aucun désordre intellectuel ou moral ; le meur-
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des docteurs Bergeron, Blanche et Lasègue. Ils y présentent eu ponctuellement l’idée de s’émasculer. On peut donc
et discutent l’affaire Thouviot, du nom du jeune homme qui rapporter les pratiques de Cyril à la nécessité itérative d’un
a poignardé une jeune femme, Mlle Marie Cotard. Ce jeune vidage de jouissance débordante, dans la mesure où le
homme qui était en proie depuis des années à l’idée de tuer soulagement consécutif à une « séance » était ponctuel et
une femme a commis « un crime sans motifs, sans expli- temporaire.
cation » [3] (p. 22) selon les auteurs. Pour eux, ce passage à À une époque tardive de l’évolution de son « obses-
l’acte est l’œuvre d’un homme aliéné dont le délire consiste sion » de meurtre, Cyril éprouvait une certaine jouissance à
justement dans la présence de cette idée et dans sa réalisa- préparer dans ses pensées un scénario de plus en plus
tion par le passage à l’acte hétéro-agressif. Lasègue et ses élaboré. Voici ce qu’il en écrivit plusieurs années plus tard :
cosignataires réactualisent le débat de la manie sans délire « Mon désir de vivre NUE en forêt se dirigea dans un
par l’intermédiaire du crime sans motif. Ainsi l’on conçoit délire apparemment Maniaque Sexuel. L’envie de cons-
aisément que la future notion de meurtre immotivé de Paul truire une cité sous forme d’une petite maison cachant en
Guiraud dérive directement de la manie sans délire de son sous-sol une salle de TORTURE réservée aux femmes.
Pinel ou du troisième degré de la monomanie homicide Je pensais à un système de séquestration amenant à la
d’Esquirol ou bien encore plus tardivement du délire par fois la détention de jolie FEMMES jusqu’à la torture
accès avec impulsion homicide de Lasègue et ses cosigna- suivie de la mort incontournable. Tout ceci en vivant nue
taires. avec cette jouissance de la pénétration MASO. Il faut
Ce rappel historique permet de souligner la permanence expliquer que cette maison se situait au fond d’une
dans l’évolution de la psychiatrie, du repérage des prati- forêt. » En fait, son passage à l’acte s’est produit dans la
ques sur le corps comme réalité psychopathologique, sous hâte, à la mesure d’une vague de jouissance envahissante.
des formes et des dénominations différentes issues de la La veille du meurtre, lors d’une de ses « séances de
matricielle manie sans délire, ce que l’approche psychana- masochisme », il s’introduit une cartouche d’encre dans
lytique est venue ensuite éclairer d’un jour nouveau. l’urètre qu’il ne peut retirer le soir venu. À ce moment-là, il
sait, dit-il, qu’il va réaliser son « obsession », qui pour lui
Le cas de Cyril est univoque et ne peut s’écrire et signifier que « tuer une
femme, une jolie femme à belle poitrine ». En effet, devant
Cyril dit avoir ressenti très tôt, vers 13-14 ans, son cette situation, Cyril éprouve le sentiment qu’il lui est
« obsession », c’est-à-dire « l’envie de tuer une femme, impossible de révéler à ses parents et au médecin ses
une jolie femme à belle poitrine ». À cette époque, il revoit pratiques ainsi que son « obsession ». Le lendemain, en
une cousine éloignée et plus âgée que lui de quelques voyant une de ses voisines, il sait qu’elle sera sa victime.
années. Il ne l’a pas vue depuis longtemps et ressent à son Entretenant des relations amicales avec celle-ci, il aura peu
contact ses premiers émois sexuels. Il se souvient avoir été de peine à la faire venir chez ses parents, chez lesquels il
attiré par ses seins plutôt volumineux, désignés par lui dans loge. Son passage à l’acte ne réalisera pas tel quel le
son « obsession » comme belle poitrine. Mais rapidement scénario construit à partir de son obsession : « Celle-ci
l’envie de la tuer apparaît. Son émergence semble donc être était trop forte », dit-il. Par peur, il s’abstiendra de s’émas-
corrélée à sa rencontre avec l’autre sexe. Les premiers culer avec une corde, comme il l’avait envisagé. Laissant
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l’obsession. Grâce au soulagement ponctuel procuré par taire [17] (p. 148). » Esquirol, Lasègue et, à leur suite, Paul
ces séances, le sujet réussissait à se soustraire à son envie Guiraud ont repris chacun à leur manière cette clinique.
impérieuse de meurtre jusqu’à son prochain retour toujours
plus accentuée. À l’évidence, l’acte n’y était pas résolutoire
et donc le retour de la jouissance toujours assuré. Néan- Actes paradoxaux et meurtres
moins, la coupure du corps propre a une importance clini- immotivés
que indéniable pour ce sujet. Il s’agit essentiellement
d’appréhender la coupure dans sa fonction de barrage fait à Les passages à l’acte auto et hétéro-mutilateurs nous
la jouissance, à concevoir comme tentative d’inscription de font donc apercevoir l’acte dans un débordement désubjec-
limites devant l’intrusion de jouissance. tivant, dans une mise en demeure du sujet, alors même que
Si l’on aborde cette clinique à partir de la pratique de la la notion d’acte prend communément toute sa valeur dans
coupure, on constate qu’elle y est doublement présente. la dimension de l’implication subjective.
D’une part, quand Cyril se coupe lui-même, elle est alors Les cas de meurtres immotivés – sans motif aurait dit
associée à d’autres gestes mis en place pour faire barrage à Esquirol –, permettent de considérer cette dimension para-
la réalisation meurtrière et d’autre part quand Cyril va doxale de l’acte. Ces types de passage à l’acte se retrouvent
tenter de découper, de prélever la poitrine de sa victime. non seulement dans la psychose mais aussi dans l’épilep-
Les faits permettent d’appréhender ces séances et son pas- sie. D’ailleurs, la notion d’épileptoïdie, comme raptus
sage à l’acte comme deux situations en miroir où la relation impulsif, « décharge pulsionnelle massive, un “orgasme
imaginaire prédomine. Nous pouvons faire l’hypothèse criminel” par lequel le sujet exprimerait un court-circuit
qu’une seule et même logique régit ces deux pratiques, sexuel et agressif » [5] (p. 344), donne alors une descrip-
c’est-à-dire que son passage à l’acte sur l’objet sein réel le tion intéressante concernant le meurtre immotivé.
visait lui comme sujet de la jouissance. La question de Pour Guiraud et Cailleux, relatant un cas où la violence
l’objet, de son statut, de sa localisation est tout à fait du meurtre se rapporte à une conduite antisociale, « la
cruciale. En effet, la coupure survient comme tentative de réaction violente apparaît ainsi à la fois comme dernier
castration, non pas dans le symbolique mais dans le réel : sursaut d’énergie d’un organisme qui sombre dans l’indif-
son acte devait avoir comme portée ce qu’on pourrait com- férence et l’inaction et comme le résultat d’un transfert du
parer à une opération transsexuelle, un « transfert » désir “guérir la maladie” sur celui de “supprimer le mal
d’organe sexuel au sens littéral, dans la mesure où il devait social”. (Par un paralogisme verbal et symbolique fré-
sectionner les seins de sa victime et lui s’émasculer. En quent chez les hébéphréniques : tuer le mal = tuer la
faisant l’impasse de l’Autre, l’acte de Cyril fait passage à maladie) » [6] (p. 358). Pour les auteurs, le meurtre immo-
l’acte à double titre : d’une part il permet de se soustraire tivé n’est pas « une réaction sans cause, mais un effort de
« aux équivoques de la parole comme à toute dialectique libération contre la maladie transposée pathologiquement
de la reconnaissance » [15] (p. 53). Dans cette mesure, dans le monde extérieur » [6] (p. 359). Notons que cette
Cyril se soustrait à l’équivoque signifiante « tu es une explication permet à M. Mallet, lors de la discussion du
femme ». D’autre part, l’acte survient après la rencontre cas, de rapprocher de manière très pertinente la causalité
d’un impossible à dire : ne pouvant informer quiconque de entre réaction immotivée et auto-mutilation [6] (p. 360). Le
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travaux de Guiraud, auteur pourtant référé au mécanicisme, instruments de ces rites atroces, se purifient elles-mêmes,
dans la mesure où le kakon – jajόm, le « mal », le malheur, et se couchent dans le même lit. “En voilà du propre !”
le danger – laisse entendre la dimension inconsciente de Telle est la formule qu’elles échangent et qui semble
l’acte pourtant immotivé : on reconnaît alors dans le meur- donner le ton du dégrisement, vidé de toute émotion, qui
tre immotivé « que ce n’est rien d’autre que le kakon de succède chez elles à l’orgie sanglante [11] (p. 390). » Ce
son propre être, que l’aliéné cherche à atteindre dans passage à l’acte des sœurs Papin permet de dévoiler l’objet
l’objet qu’il frappe » [12] (p. 175). de jouissance. En effet, en premier lieu, il s’agit de faire
Les travaux de J.-C. Maleval développent encore plus chuter un objet au regard trop encombrant, en arrachant
explicitement cette dernière articulation, en situant les avec fureur son support et référent corporel.
« trois nominations successives du réel que constituent le Si l’on se souvient de la pertinente remarque de M. Mal-
kakon de Guiraud, le ça freudien et l’objet a lacanien » : let en réponse à la communication de P. Guiraud, on peut
dans la réaction meurtrière immotivée, « l’imaginaire supposer que l’auto-mutilation psychotique a cette fonc-
défaille, puisque plus rien ne se reflète » et « le signifiant tion d’inscription topologique essentielle, celle de faire
trouve sa limite, puisque la pensée s’évide » [14] (p. 40), le advenir sur le corps propre une coupure, la castration non
kakon touche donc au réel qui surgit pour le sujet, et c’est intégrée dans le symbolique. Par cet acte, le sujet tente de
un réel encombrant et insupportable. Nous pouvons avan- cadrer, voire de vider une jouissance débordante du corps
cer qu’il s’agit ici d’une tentative de réalisation subjective propre. Il nous semble que cette fonction topologique peut
dans un rapport à l’acte – au passage à l’acte –, pas seule- se retrouver pour certains sujets dans des pratiques de
ment sous la forme motrice, mais acte par rapport au champ coupures sur le corps propre désignées dans la littérature
du réel, comme réponse du sujet devant son incidence. Les anglo-saxonne comme cutting.
réalisations du sujet sont toujours en rapport étroit à la
réalisation objectale du petit a [10], dans la mise en forme
du petit a en tant qu’objet cessible.
Trois cas de cutting
Le sujet, encombré, écrasé, voire identifié à son être de Le phénomène du cutting – terme désignant l’envie
déchet – l’objet a, vient à se confronter sans médiation à la irrésistible de se couper – est une pratique impérieuse et
jouissance de l’Autre. Le signifiant se déchaîne, et il n’y a répétitive, ne recouvrant pas pour autant des problémati-
pas ici de recours possible à un fantasme opérant, protec- ques homogènes, et ne possédant avant toute analyse du cas
teur de l’Autre jouisseur, car l’objet a est ici « cette chose aucune valeur pathognomonique. Pourtant, nous pouvons
innommable qui surgit de manière classique sur la scène entrevoir chez certains sujets une fonction autant singulière
du monde à l’occasion du meurtre paradoxal » [13] que spécifique dans l’économie de la jouissance.
(p. 65). Le meurtre immotivé, en tant que réaction libéra- Carla, 35 ans, est présentée par M. Strong comme une
trice, est une tentative de soustraction de l’objet a, tentative « cutter extraordinairement compulsive » [19] (p. 175),
qui est également celle de faire advenir la castration sym- pouvant se couper deux à trois fois par jour, où qu’elle soit.
bolique. Elle entretient fréquemment ses blessures en luttant contre
L’acte paradoxal tente de réaliser une séparation tout à la cicatrisation et en essayant d’infecter les plaies. Elle peut
fait spécifique avec la jouissance de l’Autre. Cette réalisa- confier que la pratique du cutting, c’est « comme ton
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boire, c’est mieux que n’importe quelle drogue que j’ai pu psychotique. Alors que dans la structure des névroses
prendre, c’est mieux que le sexe » [19] (p. 10). Même si l’objet a se discerne comme fondamentalement manquant,
cette pratique est inaugurée par l’expérience d’un couteau permettant ainsi de causer le désir, dans la structure des
de cuisine plongé profondément dans le mollet (pour « voir psychoses, aucune séparation n’est advenue. Cette non-
ce que ça faisait », dit-il), suivi régulièrement de coupures extraction de l’objet est à concevoir comme encombrement
profondes, ayant pu atteindre des artères, et nécessitant de jouissance, auquel le sujet peut répondre par la modalité
alors des transfusions sanguines aux urgences, Lukas pré- de l’acte lorsque l’encombrement devient intolérable. Par
cise que le cutting ne relève pas de l’acte suicidaire ou cet acte, le sujet tente de faire coupure dans le réel du corps,
d’auto-destruction. Il souligne : « Je coupe secondaire- à défaut d’un tempérament de jouissance par l’appareil
ment pour la douleur, mais essentiellement pour le sang. » symbolique, à défaut de ce qui est désigné dans les névro-
Regarder le sang jaillir le soulage, le « lave » : « Ça me ses sous le terme de castration symbolique.
purifie. C’est presque religieux, dans un sens. C’est Des premières descriptions de la manie sans délire au
comme si quelque chose de mauvais et de sale partait cas de Cyril, de l’acte dit immotivé comme réaction libéra-
avec le sang. Alors, plus il y a de sang qui se répand, trice aux cas de cutting, la dimension de nécessité et
mieux c’est [19] (p. 11). » d’impériosité traverse ces problématiques et signe un rap-
Simon, que l’un de nous a rencontré dans un service de port spécifique du sujet soumis, assujetti à un phénomène
psychiatrie, recourt très fréquemment aux pratiques de imposé. Face à ce phénomène très souvent vécu comme
coupure du corps propre. Les premières fois, Simon s’est insupportable, l’acte semble être pour le sujet le dernier
coupé le buste « pour voir si ça saignait beaucoup », salut pour tenter de se préserver. Aussi, il y faut appréhen-
« c’était expérimental », ajoute-t-il. Puis il se coupe pour der la nécessaire et souvent littérale coupure comme sépa-
faire baisser en lui la violence ascendante, « je me coupe, ration topologique essentielle non advenue jusqu’alors
ça me détend », dit-il, tout en montrant son bras droit pour se supporter en tant que sujet dans la trame du monde.
littéralement recouvert de cicatrices allant du poignet
jusqu’à l’épaule.
Le cutting produit chez certains sujets, comme Carla, Références
Lukas et Simon, un apaisement singulier dans leurs rap-
ports avec le corps propre mais apparaît également comme 1. ALLEN DF, MOUSNIER-LOMPRÉ A, POSTEL J. Le mythe
une réponse afin de combattre l’angoisse, la perte de la revisité : Philippe Pinel à Bicêtre de 1793 à 1795. In : GAR-
réalité et la violence. Nous constatons alors que la pratique RABÉ J, ed. Philippe Pinel. Paris : Les empêcheurs de penser
du cutting peut relever d’une tentative d’inscrire une sépa- en rond, 1994 ; (dir).
ration non advenue dans le symbolique, tout en opérant un 2. BERCHERIE P. Les Fondements de la clinique. Paris : Nava-
vidage de la jouissance. Le cutting semble être une moda- rin Éditeur, 1980.
lité possible pour certains sujets de se stabiliser activement 3. BERGERON, BLANCHE, LASÈGUE C, Du délire par accès, avec
hors déclenchement clinique. impulsion homicide (affaire Thouviot). Archives générales
de médecine 1875 ; 6 : 5-22.
4. ESQUIROL JED. Des maladies mentales considérées sous les
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12. LACAN J. Propos sur la causalité psychique. In : LACAN J, 16. PINEL P. In : Nosographie philosophique ou Méthode de
ed. Écrits. Paris : Seuil, 1966. l’analyse appliquée à la médecine (2 tomes). Paris : Librai-
rie Maradan, 1798.
13. MALEVAL JC. Les meurtres immotivés ne sont pas sans cau-
ses. Synapse 1986 ; 28 : 62-70. 17. PINEL P. Traité médico-philosophique de l’aliénation men-
tale. (2e éd). Paris : JA. Brosson, 1809.
14. MALEVAL JC. Meurtre immotivé et fonction du passage à 18. PINEL P. Traité médico-philosophique sur l’aliénation men-
l’acte chez un sujet psychotique. Quarto 2000 ; 71 : 39-45. tale ou la manie. Paris : Richard, Caille, Ravier, 1800.
15. MILLER JA. Jacques Lacan : remarques sur son concept de 19. STRONG M. A bright red scream. Self-mutilation and the
passage à l’acte. Actual Psychiatr 1988 ; 1 : 50-5. language of pain. London : Virago, 2005., Alexandre Lévy
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