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DE VUE
INITIATIQUE S
SOMMAIRE
DU NUMERO 32
La voûte étoilée 3
Le Franc-Maçon miraculé.
Notes sur les Caves du Vatican d'André Gide 27
Egalité et identité 47
LA VOUTE ETOILEE
Les ciels des temples maçonniques sont bleus, cloutés d'étoi-
les. Un bleu tendre et clair, le bleu des loges bleues et des cordons
de Maître, un bleu de plein jour, bien différent du bleu-nuit des ciels
étoilés qui voûtent quelques-uns des plus beaux tombeaux égyp-
tiens. Bien différent, car il s'agit d'un symbolisme sans rapport.
Point de nuit au-dessus de nos têtes, mais les étoiles rendues
visibles de midi à minuit par la Lumière de la Loge.
Même ceux qui ne savent presque rien de la Franc-Maçonnerie
rattachent à notre tradition le symbolisme du Temple inachevé, à
ciel ouvert, lis vous diront, avec ou sans ironie, que les Francs-
Maçons prétendent élever une construction déclarée par eux-mêmes
interminable, ce qui permet de ne point juger trop sévèrement
l'apport de chacun. Le langage courant a d'ailleurs adopté, en la
galvaudant, notre expression « apporter sa pierre à l'édifice
Malheureusement, il s'agit bien souvent de saluer par cette for-
mule toute faite la touchante bonne volonté de celui qui n'a pas
abouti faute de temps, de moyens ou d'envergure.
A cette réserve près, l'idée qu'on se fait en dehors de nos
temples de notre symbolisme de la voûte étoilée, sidérale voussure
du Temple inachevé, correspond peu ou prou à la pratique maçon-
nique. Oui, c'est à peu près ça, pourrions-nous dire, du moins
dans une rudimentaire approche de ce symbole apparemment très
simple mais qui, de la même façon que tous les autres, s'enrichit
et se ramifie à mesure que nous avançons dans la connaissance
de nos trois degrés symboliques.
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D'où vient que ce symbole du Temple inachevé soit passé,
presque seul, de nos loges au domaine public sans être trop
réduit, raillé, déformé ? Peut-être parce qu'il est mieux vécu que
d'autres par les Maçons eux-mêmes. Les moins portés d'entre
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nous à briser l'os pour sucer la moelle, comprennent et veulent
que nos temples restent symboliquement sans toit. S'il est un trait
commun à la quasi-totalité des Francs-Maçons de la Grande Loge
de France n'est-ce pas leur commune volonté de rejeter les dog-
matismes ressentis par eux comme chapes, toitures et couvercles ?
Ayant posé le principe fondamental qu'aucune limite ne peut
être mise à leur recherche de la Vérité, les Francs-Maçons ne
veulent donner de la tête dans aucun plafond. Si l'ambition de la
loge était philosophique, scientifique, sociale, ce serait avoir là
beaucoup d'orgueil et de présomption. Mais l'ambition de la loge
est initiatique. Il s'agit, au bout du chemin, de ne point se
retrouver tel qu'on était au départ, sans que la nature des transfor-
mations intérieures de chacun ait été prescrite, voulue ou obtenue
par quiconque. Aucun conditionnement : la diversité des Maçons, de
leurs comportements, de leurs idées, en est la preuve. Donc, point
de toit, car point de dogme. Point de couverture au-dessus des
têtes, mais seulement la voûte céleste avec ses étoiles visibles en
plein jour.
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directement sous les étoites, face à l'infini. Paul Valéry écrivait
dans les années vingt : « Le temps du monde fini commence. »
li entendait par monde fini un monde qui serait bientôt totalement
exploré. A quel monde pensait-il ? Au petit monde de notre petite
planète ? Mais l'autre monde ? Celui de la longue nuit des tom-
beaux égyptiens, celui dans lequel sont projetés nos cosmonautes,
les vrais, celui où nous fléchons nos premières sondes, la voûte
étoilée des temples maçonniques, ce monde-là, tout apprenti maçon
apprend qu'il est sans toit et que le temps de le couvrir n'a certes
pas encore commencé.
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Le compagnon est tout particulièrement appelé au travail. Or,
on ne se met pas au travail de la même façon sur une construc-
tion qui n'est pas commencée, sur une construction en cours, ou
lorsque la toiture est déjà posée. Dans la construction maçonnique,
la toiture n'est pas posée, puisque le temple est à ciel ouvert,
mais le travail est déjà commencé. Le Franc-Maçon appartient à
un Ordre traditionnel. S'il refuse les couvercles, il ne fait pas table
rase. Le symbolisme du deuxième degré enseigne une méthode de
travail pour chantier en cours. C'est là un point fondamental qui
a donné lieu bien souvent de l'extérieur à de graves erreurs d'inter-
prétation sur la méthode maçonnique. On a confondu chantier en
cours et juste milieu, centrisme, radicalisme, en transposant abusi-
vement le plan initiatique sur le plan politique. Cela n'a rien à
voir, mais il est vrai qu'entre les novateurs qui se flattent de tout
pouvoir tirer de rien et les passéistes convaincus que le destin
de l'Homme est scellé depuis toujours, le Franc-Maçon, parce qu'il
travaille à ciel ouvert avec les outils symboliques traditionnels,
conserve sa liberté d'entreprendre et de concevoir sans se laisser
intimider ou écraser par le poids mort des mondes finis mais
échappe à l'angoisse existentielle de ceux qu'une liberté imaginée
par eux absolue condamne à tout tirer d'eux-mêmes s'ils veulent
exister.
Nous voici très loin des tiédeurs du juste milieu, mais la confu-
sion entre chantier en cours et juste milieu est inévitable si le
caractère initiatique de la démarche maçonnique n'est pas compris
et sans cesse réaffirmé. Quand l'édification du Temple prend le
caractère d'une élaboration sociale et contingente, l'absence de
toit est nécessairement ressentie comme un manque de finalité et
le symbole du chantier en cours comme un abandon aux habitudes,
routines et acquis. Dans la pratique de la vie maçonnique, le compa-
gnon en souffre parfois. A cet âge symbolique, mais néanmoins
ingrat, des impatiences, il voudrait que ses efforts soient visible-
ment couronnés de succès. En d'autres termes, il réclame la cou-
ronne d'un toit dogmatique au lieu et place de la Voûte étoilée.
Contradiction, bien sûr, mais qui échappe aux contradictions ?
La lenteur de la construction a de quoi effrayer ou décourager
certains. Si, après tant de millions d'années, nous en sommes
encore aux premières assises d'un Temple dont on nous enseigne
qu'il ne sera jamais achevé, comment ne pas craindre l'absurde
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ou le dérisoire de l'effort individuel, comment ne pas comparer
l'infiniment petit de notre petite pierre à l'infiniment grand de la
Voûte étoilée ? Pascal a répondu à cette question. L'initiation
maçonnique, sans plus réfuter Pascal que quiconque, suggère une
autre forme de réponse et elle ne repose sur aucun pari.
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Au troisième de nos trois degrés symboliques, la Voûte
étoilée, comme tous les symboles des deux premiers degrés, entre
en résonance avec un nouvel ensemble au caractère métaphysique
baucoup plus prononcé.
Le compagnon a été appelé au travail sur un chantier en cours.
Le maître apprendra comment s'y pratique la relève. La Loge,
cellule vivante, en perpétuelle transformation, sera le lieu de
cet enseignement.
Issu d'une tradition de bâtisseurs, le Maître Maçon a une
fonction essentiellement créatrice. Telle est son originalité, ce qui
le distingue fondamentalement du prêtre, du saint, du sage ou du
prophète. En lui, se réincarne la puissance créatrice avec ce qu'elle
doit à la Mort. S'il est un intercesseur, il ne l'est point entre
le Ciel et les Hommes de la Terre, mais seulement entre ceux
qu'il a dû enjamber pour accéder à la maîtrise et ceux qui l'en-
jamberont à leur tour pour que l'édification continue et que se
renouvelle sans cesse la puissance créatrice. Que celle-ci n'ait
ni commencement imaginable ni fin prévisible ne rend ni absurde
ni dérisoire l'effort créateur du maître. Sa pierre, infiniment petite
sous la Voûte étoilée, ne doit être comparée à nulle autre, encore
moins à la profusion des constellations. Le maître s'est inscrit de
par sa propre et libre volonté dans une chaîne. Il vaut ce qu'il vaut.
Il transmet ce qu'il reçoit. Il apporte ce qu'il peut. Aucune totali-
sation, génératrice de dogmes, ne lui est proposée ou demandée.
li appprend à ne point confondre son propre et inévitable achève-
ment avec celui de l'ouvrage auquel il collabore. La Voûte étoilée
se trouve en permanence au ciel du Temple pour le lui rappeler,
sans qu'il s'agisse d'opposer dans l'angoisse l'infiniment petit à
l'infiniment grand, mais pour ramener chaque chose à sa juste
proportion.
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Car toute création se gonfle d'elle-même et, si le chantier sur
lequel nous sommes appelés à travailler n'a ni commencement ni
fin, dans la loge, petit noyau, microcosme, tout fait date et la
cadence du Temps y est rapide. Il est bon, il est naturel, que le
maître, quand sonne l'heure pour lui d'apporter sa pierre, soit saisi
de fierté. Comment pourrait-il créer sans cela ? Il est bon, il est
naturel, qu'il donne de l'importance à ce qu'il fait. Tout créateur,
quand il crée, s'investit de puissance sublime et, pour qu'il rayonne,
il faut que sa foi en lui-même repousse les limites de sa propre per-
sonne, mais le symbole de la Voûte étoilée, dans sa grande simpli-
cité, reste présent au ciel du temple pour rappeler au maître que
l'horloge de son microcosme n'est pas réglée à celle qui détermine
la rotation des étoiles.
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SCIENCE, PHILOSOPHIE, RELIGION
ET
GRAND ARCHITECTE DE L'UNIVERS
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La « Religion de la Science « a vécu pour finalement céder la
place à un « sur-rationalisme » scientifique qui donne à la science
un « espace « plus en rapport avec l'abstraction qui la nourrit.
D'un âge positiviste l'on passe à un nouvel âge scientifique fondé
sur la spéculation intellectuelle, non que la raison y perde ses
droits, bien au contraire, mais ce qui change profondément c'est
la conception de la réalité qui, selon un terme à la mode, se voit
« déchosifiée ». Einstein a dématérialisé la matière selon l'hypo-
thèse astronomique qui soutient que l'espace est consistant et
que sa déformation constituerait justement la matière. Ce qui a
« l'être «, c'est la relation puisque la réalité est différente suivant
le système de relations dont elle peut faire partie. (Exemple du
champ magnétique pour un système de coordonnées qui peut être
en même temps électrique pour un autre système en mouvement
par rappport au premier).
C'est ainsi que nous voyons la science évoluer vers des
conceptions spéculatives et non plus s'en tenir uniquement à « ce
qui est » : le réel est réalisation, l'expérience est relative, le
complexe est premier et non le simple, etc. Dans une certaine
mesure la science retourne à ses origines, la philosophie.
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Etre philosophe, ce n'est pas posséder une sagesse, sorte
de remède-miracle qui permette de traverser dans une superbe
indifférence les épreuves de la vie, réfugié dans la tour d'ivoire de
Dame Philosophie. C'est essentiellement une attitude que l'on
essaie de réaliser, un esprit que l'on s'efforce de vivre. Ce n'est
ni l'optimisme béat, ni la neurasthénie ou la misanthropie, ni la
médiocrité bourgeoise du « juste milieu ». C'est une recherche,
paradoxale parfois, d'une voie qui conduit à la connaissance du
monde et de l'homme, une tentative d'organisation systématique
des données de l'expérience humaine. Il ne s'agit donc pas essen-
tiellement d'une connaissance livresque mais d'une attitude de
fond, une conquête de soi-même qui mène à la réalisation de la
conscience et fait passer de la vie à l'existence.
Le philosophe, nouveau démiurge, ne se contente pas d'imiter
mais d'inventer, de rechercher, d'organiser. Sa réflexion s'appli-
que aussi bien aux lois de la pensée qu'aux principes de la conduite
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morale ou sociale pour en saisir le mouvement profond, en scruter
la signification et la valeur.
Tout homme est amené un jour ou l'autre à se poser les trois
questions classiques : « D'où venons-nous ? Qui sommes-nous ?
Où allons-nous ? » C'est alors qu'il philosophe car selon le dilemme
célèbre d'Aristote : « Vous dites qu'il faut philosopher ? Alors
il faut en effet philosopher. Vous dites qu'il ne faut pas philoso-
pher ? Alors il faut encore philosopher pour le démontrer. De toute
manière il est nécessaire de philosopher ».
La philosophie peut se définir comme « l'étude rationnelle de
la pensée humaine » étude menée du double point de vue de la
connaissance et de l'action. Elle s'intéresse aux causes dernières
ou au sens ultime, c'est-à-dire à ce qui est à la limite ou en dehors
des moyens d'investigation scientifique proprement dits. C'est
aussi une réflexion sur la science, tout aussi bien que sur la
religion mais elle ne peut s'identifier ni à l'une ni à l'autre car
son point de vue est différent. La philosophie consiste à opérer
une réflexion totale (au contraire de la science qui fragmente à
l'infini) et d'amener à une expression d'idées claires et distinctes
(ce en quoi elle est incompatible avec la religion et son « mystère «).
André Matraux définit fort bien la philosophie lorsqu'il lui assigne
comme but de « transformer en conscience une expérience aussi
vaste que possible ». Il n'y a donc de philosophie que rationnelle
et logique, même la phîlosophe de l'Absurde.
Pour le philosophe, l'on peut dire que « tout est clair »
point de mystère mais avec la restriction d'Alain « Toute vérité
devient fausse au moment où l'on s'en contente ». La philosophie
rejette donc tout dogmatisme rien n'est jamais définitif, ce qui
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que la science et la philosophie sont incapables de donner non
qu'il s'agisse de nier la possibilité d'un athéisme logique, éclairé,
rationaliste mais plutôt d'affirmer vigoureusement que l'homme est
un être à part, différent, unique, car autrement sur quoi pourrait-
on fonder la dignité de la personne humaine et le respect de l'indi-
vidu ?
Si l'homme n'est que le résultat du hasard d'une longue
évolution de combinaisons physico-chimiques, « un miracle sans
intérêt ' selon la formule de Jean Rostand, pourquoi ne pas ins-
taurer l'eugénisme planifié, la lobotomie systématique pour assurer
l'harmonie sociale, l'euthanasie institutionnelle pour éliminer les
non-producteurs, etc. ?
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Chacun d'entre nous doit choisir, en son for intérieur, sa
voie pour vivre, pour assumer, sa « divinité » il y a plusieurs
demeures dans la maison du Père, ce qui revient à affirmer que
nul ne possède la Vérité, qu'il soit savant, philosophe ou croyant.
Si personne ne la possède et que chacun la recherche, la pluralité
des opinions est inévitable et par conséquent, légitime, avec pour
corollaire obligé la tolérance, qui est respect de l'autre en tant
qu'autre, différent.
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Dans un petit livre de grande diffusion dans les écoles, « La
découverte du cosmos par l'astronomie, l'astrophysique et l'astro-
nautique » de Philippe de la Cotardière on lit ceci dans la préface
de Jean-Claude Pecker, président de la société astronomique de
France : « La cosmologie est, de tous les aspects de l'Astronomie,
celui qui touche de plus près à la philosophie, voire à la métaphy-
siqùe. Le « premier quart d'heure » de l'expansion, après le « Grand
Boum » ? ou, au contraire, l'univers stationnaire infini et éter-
nel ?... Que d'implications qui énervent les esprits confus I... Je
suis personnellement séduit plutôt par un autre type d'univers.
L'idée de « création du désordre « ne me satisfait guère, non plus
que les acrobaties sur la notion de temps. Un Univers éternel,
illimité (relativiste), statistiquement stable, mais localement fluc-
tuant, ne semblerait plus acceptable... » (p. 3 et 4). Ce n'était que
la préface.
Quant à l'auteur lui-même, vice-président de la société astrono-
mique de France, voici ce qu'il écrit dans le chapitre « Origine
et évolution de l'Univers » : « Admettre que l'Univers eut un
commencement pose le problème de son origine. D'où provenait
l'atome primitif 7 Etait-il l'oeuvre d'un Créateur 7 S'était-il formé
par la contraction d'un Univers ayant existé auparavant ? Ce
sont là des questions auxquelles ne peut répondre la science.
Ce qui ne l'empêche nullement de conclure le chapitre p. 80, en
écrivant à propos de la théorie de Pecker, Roberts et Vigier
« L'hypothèse du big-bang est éliminée au profit d'un modèle
quasi-statique d'Univers, c'est-à-dire invariable dans son ensemble
et sans origine ni tin dans le temps. »
Donc certains savants, et non des moindres, et aussi certains
philosophes, s'imaginent qu'en soutenant la théorie d'un univers
éternel, ou d'un recommencement éternel et cyclique de l'univers,
ils échappent ainsi à la doctrine hébraïque de la création et répon-
dent au problème posé par l'existence même de l'univers.
C'est là une illusion et une faute de raisonnement car l'on
voit mal comment l'on pourrait établir positivement, scientifique-
ment, l'éternité de l'univers car la notion même d'éternité est anti-
scientifique quoique accessible au niveau du concept théorique.
Constatons qu'en affirmant que l'univers est éternel l'on ne répond
absolument pas au problème posé par son existence même.
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En effet, dans l'hypothèse d'un univers éternel, il faut rendre
compte d'une éternité d'être, ontologique. Le problème est donc
augmenté à l'infini. Même si l'on admettait l'hypothèse préférée
par certains savants selon laquelle le modèle cosmique compor-
terait des cycles d'expansion et de contraction, de dégradation et
de restauration, le problème posé par l'existence de cette série
infinie d'univers qui se succèdent, ne serait pas pour autant résolu,
ni même abordé : il serait simplement multiplié I Notons que la
démonstration scientifique de la vérité d'un modèle d'univers
limité temporellement et spatialement pourra peut-être se faire
un jour tandis que l'on voit mal comment la science positive
pourrait établir l'éternité et l'infinité de l'univers, infinité spatiale
et temporelle. Les deux hypothèses sur univers créé ou univers
éternel ne sont donc pas symétriques au départ, c'est-à-dire de
même valeur du strict point de vue de la philosophie des sciences.
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l'on veut à tout prix maintenir l'éternité de ce processus cosmique,
qu'il est, soit inépuisable, soit qu'il se reconstitue lorsqu'il est
épuisé, en quelque sorte, qu'il revient sur lui-même quand il a
fini sa course. Il faudra imaginer que cette évolution de la matière
que nous voyons commencer par des atomes relativement simples,
pour s'orienter vers l'édification d'atomes plus complexes, a connu,
auparavant, et de toute éternité, une évolution antérieure, qui nous
conduirait vers des structures de plus en plus simples. C'est une
probabilité logique si nous suivons la courbe d'évolution de la
matière telle que nous la connaissons scientifiquement et en
l'extrapolant dans le passé.
Mais cette tendance à des structures de plus en plus simples
que nous devons reconnaître si nous suivons l'évolution de la
matière en remontant le cours du temps, n'aura pas de fin si nous
soutenons l'éternité de la matière. Cette matière qui se simplifie
de plus en plus du point de vue structural au fur et à mesure
que nous remontons le cours du temps, ne peut être, du point
de vue de l'hypothèse d'un univers éternel, que l'Etre absolu,
celui qui ne dépend d'aucun autre. Il nous faut donc faire appel
à une autogenèse, à une autocréation, qui est impensable, puisque,
c'est évident, pour se créer, il faut déjà être...
Suivons maintenant l'évolution de l'univers et de la matière
dans l'autre sens, celui de l'avenir. Nous constatons qu'au cours
du temps la matière s'oriente vers des structures de plus en plus
complexes mais aussi comme en conviennent la plupart des savants,
cette matière vieillit, s'use, se dégrade, se consume. li faut donc
imaginer pour que la matière soit éternelle dans l'avenir et que
l'univers n'ait pas de fin, soit que la matière trouve le moyen de se
regrader, de se régénérer, ou bien, qu'il y a création continuée
de matière nouvelle (théorie de l'expansion illimitée de l'univers).
Ce sont là des hypothèses gratuites : du point de vue scientifique,
nous sommes en pleine utopie.
Donc cet univers éternel existe seul, il est incréé, il ne dépend
d'aucun autre et s'il évolue, il le fait par ses ressources propres
il est, comme l'affirme Marx, en régime d'auto-évolution, d'auto-
genèse. Traduisons il est l'Etre absolu, se suffisant à lui-même
:
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Ainsi nous voilà revenus aux doctrines des premiers philoso-
phes grecs, Anaximandre de Muet, Anaximène et Héraclite d'Ephèse,
entre autres, qui imaginaient une substance matérielle éternelle,
originelle, toujours jeune, qui façonnait les mondes. Ces philosophes
semblent avoir poussé jusqu'au bout les conséquences qui résul-
taient de leur point de départ commun à tous, d'un univers divin,
modèle repris plus tard par les Stoïciens. « Il en est de Dieu et de
la Matière comme du miel qui passe à travers les rayons » enseigne
Zénon de Cittium.
Si l'on trouve quelque difficulté à admettre que cet univers
divin soit en devenir ce qui est contraire au caractère de la
divinité qui est immuable l'on sera tenté de considérer ce
devenir comme une apparence et l'on retournera à la métaphy-
sique de l'Un à la suite de Xénophane de Colophon qui « prome-
nant son regard sur l'ensemble de l'univers matériel assure que
l'Un est Dieu «.
Cependant, un élément nouveau entre en jeu dans notre ana-
lyse : la connaissance que nous avons effectivement de l'univers
et de son évolution. Ce devenir évolutif manifeste une orientation
irréversible dirigée dans un certain sens : de la matière relative-
ment simple à la matière vivante, puis à la matière pensante avec
l'avènement d'un animal capable de penser l'univers, l'homme.
La question est de savoir si, malgré cette connaissance de l'univers,
en adoptant le principe, le point de départ des philosophes grecs,
les esprits positivistes partisans de l'éternité de la matière, peu-
vent échapper aux conclusions qui furent celles de leurs devan-
ciers grecs : le panthéisme et l'animisme cosmique, c'est-à-dire
Dieu est dans tout, tout est Dieu ou bien une « âme » cause pre-
mière en tout. Partant d'un même point il paraît normal qu'on
aboutisse à des conséquences analogues.
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L'univers a une histoire, tout le monde est d'accord sur ce
point, il est un processus temporel irréversible, il est évolution.
La matière a une histoire naturelle : la formation des noyaux lourds
est relativement récente la matière organisée est encore plus
récente : trois milliards d'années environ, Il y a quelques milliards
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d'années, dans notre système solaire et vraisemblablement dans
notre galaxie et dans les autres galaxies dans la mesure où elles
nous sont connues, il n'y avait pas encore de matière vivante, ani-
mée. L'apparition des êtres pensants est toute récente si l'on tient
compte de l'échelle du temps. Or, dans la perspective étudiée, non
seulement l'univers existe seul et par lui-même, mais, de plus, il
produit constamment les éléments qui le constituent afin de se
maintenir dans une éternelle jeunesse. Mais ce n'est pas tout.
Il y a trois milliards d'années environ, la matière, sur les obscu-
res planètes au moins, s'est mise à s'organiser en molécules de plus
en plus complexes. Plus tard, les premiers organismes vivants
monocellulaires sont apparus. Cela encore c'est l'oeuvre de l'uni-
vers, puisqu'il est seul. C'est lui qui a organisé la matière qui le
constitue pour produire les êtres vivants, qui a inventé les espèces
vivantes, toujours dans le même sens, du plus simple au plus
complexe, vers des organisations de plus en plus perfectionnées,
vers des systèmes nerveux de plus en plus riches en connexions,
de plus en plus céphalisés. C'est lui, l'univers, qui a inventé les
organes qui font l'admiration des anatomistes et des physiologistes,
qui a mis au point les fonctions biologiques, qui a adapté le vivant
au milieu. Qui serait-ce d'autre puisqu'il est seul ?
Tout ce que nous voyons apparaître en lui historiquement, c'est
l'univers qui l'a fait de lui-même. Il s'ensuit nécessairement que
s'il a su par ses propres forces produire les êtres vivants et pen-
sants avec la merveilleuse organisation que nous avons décrite,
c'est donc qu'il avait en lui de quoi les produire, c'est qu'il avait
en lui, de toute éternité, la vie et la pensée. Car, s'il ne les avait
pas eues, comment aurait-il pu les produire ? Nul ne peut donner
ce qu'il n'a pas ; nul ne peut produire, par ses ressources propres,
plus que ce qu'il a en lui-même. C'est bien connu : la plus belle
fille du monde ne peut donner que ce qu'elle a et c'est déjà beau-
coup...
Si l'univers a su produire en lui-même la vie et la pensée c'est
que, manifestement, il avait déjà de tout temps, de toute éternité
puisqu'il est supposé éternel - la vie et la pensée. Nous ne
nous en doutions pas : l'hydrogène et l'hélium qui constituent la
majeure partie de l'univers étaient pourvus d'un génie créateur
insoupçonné. Nous avons été bien injustes à leur égard.
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Les bons matérialistes du siècle dernier estimaient que, pour
penser, un cerveau était nécessaire et que pour vivre, il faut être
un corps organisé. Ils se trompaient. Il faut reconnaître que l'hydro-
gène et l'hélium, en nuages diffus, contenaient déjà, au moins à
l'état « potentiel », la vie et la pensée et tout le génie créateur
que l'on verra s'exprimer dans les oeuvres de l'homme.
Mais diront nos philosophes marxistes, l'univers n'avait certes
pas la vie et la conscience comme nous les voyons aujourd'hui.
L'univers physique avait en lui la vie et la pensée d'une manière
« potentielle », « virtuelle », « en puissance » seulement. Ainsi
ils pensent échapper à ce qu'avait d'un peu gros la conclusion
qui s'était imposée à nous par la force des choses. Mais en quel
sens faut-il entendre ces expressions et que contiennent-elles ?
Si je dis qu'une graine contient « en puissance » l'arbre qui va
se développer à partir d'elle, j'entends par là que l'arbre n'était
pas contenu réellement en elle comme le pensaient les préforma-
tionnistes mais que la graine a cependant en elle « de quoi » rendre
compte du développement de l'arbre. Elle est « capable » de le
produire. Les généticiens nous diront qu'elle a reçu « l'information
génétique » nécessaire pour reconstituer un arbre, ou, plus généra-
lement, un organisme semblable à l'organisme qui a donné la
semence.
Passons donc de la puissance à l'acte pour reprendre Aristote
et constatons que cela n'est possible que parce qu'il y avait aupa-
ravant un être en acte, c'est-à-dire un organisme adulte qui avait
donné l'information nécessaire à la semence chargée de reproduire
l'organisme paternel.
Est-ce en ce sens que l'univers avait en lui la vie et la pensée
« en puissance » et d'une manière» virtuelle » ? Si c'est en ce sens
germinal, il faut immédiatement se demander d'où notre univers
a reçu cette « puissance », cette « information génétique « qui lui
permettra de reproduire la vie et la pensée. La tiendrait-il d'un
univers antérieur ? Mais il resterait à expliquer cette série d'univers
antérieurs ayant en eux l'information nécessaire pour produire la
vie et la pensée et la transmettre à leurs fils... Et si l'on refuse
de rechercher ailleurs qu'en lui-même l'origine de cette « puis-
sance » de produire la vie et la pensée, qui se trouvait dans notre
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univers, nous revenons à notre point de départ : ce « germe »,
cette « virtualité », était son oeuvre s'il est seul, éternel, incréé.
Il est bien le père de tout ce qui est issu de lui, la vie et la pensée.
Cela ne se voyait pas il y a dix milliards d'années mais, d'une
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et l'avouer, le professer : l'univers incréé, éternel, ne devant rien
à personne, est l'Etre, le Vivant, le Pensant, génial créateur des
êtres vivants et pensants, qui a en lui par nature et par lui-même
tout ce qui est nécessaire pour expliquer tout ce qui naît en lui
et se développe en lui la vie et la pensée.
Ainsi l'on passe du matérialisme athée à l'animisme cosmique
et au panthéisme, sous une forme stable ou sous une forme théo-
gonique (c'est-à-dire de représentation du monde), pour peu que
l'on réfléchisse sur ce qu'est le monde, sur ce qu'il contient, sur
ce qu'il devient au cours du temps.
*
**
Mais dira-t-on, comment se fait-il qu'aujourd'hui tant de gens
se disent athées dans des milieux cultivés notamment de formation
scientifique et qui répugneraient manifestement à admettre de
telles conclusions sur l'univers ?
La réponse est simple. D'abord, peu de gens vont jusqu'au
bout des conséquences impliquées par leurs propres principes,
comme nous avons essayé de le faire en mettant cruellement en
lumière les conséquences cachées, impliquées, tapies. Le plus
souvent on laisse ces conséquences dans une ombre propice à leur
perpétuation. Comme les bactéries anaérobies, certaines consé-
quences impliquées et cachées gagnent à ne pas prendre l'air
cela les tuerait.
Le panthéisme secret de toute philosophie matérialiste consé-
quente ne peut pas aujourd'hui se présenter à visage découvert
la lumière lui serait fatale à cause du développement des sciences
positives. Paradoxe : les matérialistes ne sont-ils pas les premiers
à faire la guerre à l'animisme qu'ils prétendent sous-jacent à toute
religion 7 Ce qui est absolument faux en ce qui concerne la théo-
logie juive et chrétienne qui s'est justement constituée contre
l'animisme.
De plus, peu de philosophes contemporains réfléchissent sur
l'univers. Le travail, qui relève de ce qu'Aristote appelait la « philo-
sophie première » est considéré communément comme impossible.
La philosophie de la nature est mal famée et l'on renonce à
23
constituer une cosmologie. Les philosophes préfèrent méditer sur
le cogito celui de Descartes, de Kant ou de Husserl. Ils sont
presque exclusivement tournés, si l'on excepte Bergson et Blondel
pour la génération passée, vers une réflexion sur le sujet connais-
sant humain. Aussi ont-ils écarté de leur champ la réflexion sur
le monde, la nature, la vie, la conscience qui précède l'homme, ce
que Blondel a appelé « la pensée cosmique
25
Souvenons-nous de ce qui nous a été dit : « Vous n'accepterez
aucune idée que vous ne compreniez et ne jugiez vraie. Ne profa-
nez pas le mot de Vérité en l'accordant aux conceptions humaines.
La Vérité absolue est inaccessible à l'esprit humain ; il s'en
approche sans cesse mais ne l'atteint jamais.
Nous nous sommes voués à la recherche de la Vérité culti-
vons sans relâche son jardin secret, construisons ce temple inté-
rieur, espace sacré qui débouche sur L'éternel.
*
Notes sur
la tradtion celtique
Comme le disait notre Frère Charles F. dans sa planche du
mois dernier sur les Traditions méditerranéennes et le Christia-
nisme : « à côté des courants helléniques et hébraïques, le ce!-
tisme est indispensable à la compréhension de la civilisation
médiévale ».
Cette affirmation aura peut-être surpris certains d'entre nous
et voici un an, j'aurais été de ceux-là. Car bien que l'école primaire
nous parle de nos ancêtres les Gaulois, nous savons que nous
avons été conquis et « civilisés » par les envahisseurs romains
et ce, durablement : c'est le latin qu'on apprend dans les lycées
aujourd'hui encore et non pas le vieux celtique.
Et pourtant, comme nous l'allons voir, il nous reste beaucoup
des Celtes, à nous Francs-Maçons du Rite Ecossais.
Mais parler du celtisme est une entreprise malaisée, spécia-
lement pour moi d'éducation méditerranéenne qui en ignorait
naguère tout.
***
14
I. LE DOMAINE CELTE
GEOGRAPHIQUEMENT
HISTORIQUEMENT
15
CULTURELLEMENT
16
Car si la notion d'état semble avoir fait cruellement défaut
aux Celtes au point qu'ils ne formèrent jamais un empire unifié
mais qu'ils furent conquis successivement par des peuples étran-
gers, la culture qu'ils développèrent, la tradition qu'ils assumèrent
et qu'ils transmirent fût une.
LA MORT
17
breton rle meli benniguet, massue de granit dont on frappe le
front des vieillards pour leur donner « la bonne mort »).
Ce Dieu Dis Ater est couvert d'une peau de loup, animal
symbolisant la mort (à rapprocher du folklore lorrain actuel où après
le repas gras de Carnaval l'os de l'épaule du porc est jeté ' pour
le loup « afin qu'il ait sa part).
La figure du folklore breton de la mort l'Ankou « est mas-
culine ce n'est pas un squelette mais un homme très maigre
c'est le premier mort, fils d'Adam, qui montre le chemin à toute
l'humanité.
18
à l'Ouest (Soleil Couchant), dans une île au milieu de l'Océan
appelée Tir-na-nOg (terre des jeunes) Ynis Afallach (= île des
pommiers - pomme : fruit de sagesse dont la légende
arthurienne a fait l'île d'Avallon) une répétition heureuse et
hors du temps de cette vie présente (selon d'Arbois de Jubain-
ville et Plutarque « les Celtes disent qu'à l'Ouest, au milieu
:
LE CALENDRIER CELTIQUE
Les fêtes
lI y en a quatre principales dans l'année qui, curieusement,
sont placées non pas aux solstices et aux équinoxes comme pour
nous (les deux Saint-Jean, etc.) mais au milieu des saisons.
19
Les traditionnalistes celtes, en particulier la revue Ogam »
à qui cette planche doit beaucoup, expliquent cet état de choses
par la fixation de ces fêtes à des dates très anciennes et le
résultat de la précession des équinoxes. A titre personnel, cette
explication ne me satisfait pas mais je ne suis pas capable
d'en proposer une autre plus satisfaisante.
BELTENE au 1 mai
Ce serait, selon la revue Ogam » déjà citée, l'ancien solstice
d'été décalé. Beltène serait le feu de Bel » ou Belenos, Dieu
solaire gaulois (Bélisama, déjà citée, signifiant semblable à
:
Bel).
La veille de cette fête de Beltène, tous les feux du pays étaient
éteints et, le jour de la fête, le Roi, au centre du pays d'irlande,
dans la ville sainte de Tara, sur la colline d'Uisnech, rallumait
le feu d'où étaient ensuite pris tous les autres feux du pays. C'est
20
un nouveau départ de la lumière, fête très importante nous nous
en doutons.
Outre cet aspect solaire, la fête avait aussi un aspect polaire
comme en témoigne l'if, arbre des Morts, au sommet de la colline
centrale, axe assurant la communication des trois mondes. A
Beitène, les sides, séjours souterrains des morts, s'ouvraient éga-
lement.
Cet arbre centrai survit encore dans l'arbre de mai de nos
campagnes autour duquel la jeunesse tourne et danse le 1er mai.
Cette glorification du travail provient d'un renouveau cosmique
du feu et de la force qu'il donne.
LUGNASAD au 1 août
On fêtait alors le mariage de Lug, Dieu solaire (nasad
noces) avec Tailtiu, la terre nourricière. C'était donc une fête
de l'abondance et de la fertilité.
Au Pays de Galles, un gigantesque pique-nique réunissait
naguère encore tout un chacun qui mettait ses provisions dans
un chaudron commun celui-ci devenait ainsi quasi inépuisable
:
EPONA
21
Reine (on pense à Alise-Sainte-Reine) qui a permis dans la période
chrétienne son assimilation à la Vierge Marie par le folklore
armoricain (voir le conte « Trente de Paris où l'on voit une
grande jument blanche aider le héros à traverser victorieusement
toutes les épreuves qui lui sont imposées et qui se révèle à la
fin être Notre-Dame ; ce conte confirme le rôle psychopompe
d'Epona, clairement indiqué par ailleurs dans l'épopée irlandaise.
Notons en passant que l'importance de cette déesse amenait
un interdit quant à la consommation de la viande de cheval, interdit
qui s'est poursuivi fort longtemps ce n'est que le 9 juin 1866
:
LE CHAUDRON DE DAGDA
22
(principe aqueux, yin en chinois, dourel en breton) de la lance
(principe igné, yang en chinois, tanel en breton).
Nous retrouverons cette complémentarité dans une des prin-
cipales survivances celtiques, j'ai nommé la légende du Graal, où
la Sainte Coupe n'est pas sans la lance qui saigne.
Mais voyons plus avant cette symbolique du centre.
LE CENTRE
23
Tacite, Annales XIV, 29, 30) qu'à l'époque chrétienne où les monas-
tères s'installaient souvent dans des îles (Iona par exemple).
Notons d'ailleurs qu'en France, la seule sainte nationale qui
porte un nom gaulois : Sainte Geneviève, est par hasard » sortie
d'une ville sacrée : Nemetodurum, aujourd'hui Nanterre.
L'oursin fossile dans le même ordre d'idée sur le centre, nous
citerons Pline le Naturaliste (XXIX, 53) et ce qu'il appelle l'oeuf
de serpent « le qualifiant de « talisman des druides cc.
Il s'agit en fait d'un oursin fossile (genre micraster), à symé-
trie bilatérale, c'est-à-dire en forme de coeur, sur lequel les zones
ambulacraires dessinent une étoile à cinq branches ou, si l'on
veut, en termes héraldiques, une quintefeuille. Ce peritagramme au
centre du coeur, voici l'homme réintégré au centre de l'Etre.
Ce terme d'oeuf de serpent exprimant toutes les virtualités
cosmiques est donc parfaitement choisi pour cette figure symbo-
lique que les Gaulois tenaient en très haute estime.
LES DRUIDES
24
tale, de l'autorité royale. Une maxime de la société traditionnelle
irlandaise nous y aidera « nul ne peut parler avant le roi ; mais
:
25
LE SYMBOLISME DE LA PIERRE
26
la Matière de Bretagne, c'est cette pierre creusée, ce vase de
pierre précieuse, cette escarboucle tombée du front de Lucifer
lors de son exil du Ciel, miraculeusement transmise de généra-
tions en générations, objet de la quête la plus sublime des plus
purs parmi les plus purs, j'ai nommé le Saint Graal, vase qui
servit à la célébration de la Cène du Jeudi Saint et qui recueillit
le précieux sang des plaies du Crucifié le Vendredi Saint.
27
Les mutilations rituelles des Fomoïrés, êtres chtoniens, pre-
miers occupants de l'irlande, garants de sa fécondité, détenteurs
de pouvoirs magiques du fait même de leur contact avec le sol,
portent sur le pied droit et sur le bras gauche, membres que nous
nous contentons de dénuder lors de l'initiation au ier degré.
Ces mutilations assuraient à ces Fomoïrés un meilleur contact
avec la terre et par suite des pouvoirs magiques.
Ajoutons que ces Fomoïrés passaient aussi pour être borgnes.
Y a-t-il, dans quelque rite de la Franc-Maçonnerie le fait de ne
bander qu'un seuil oeil ? Je ne sais si nous avons conservé cet
aspect de la tradition.
Les voyages immrama » à but initiatique sont fréquemment
racontés au sujet des héros de la mythologie celtique.
Avant qu'ils ne passent au Moyen Age dans la Matière de
Bretagne, spécialement dans la Quête du Graal, où le chevalier
ne devient parfait et n'atteint son but qu'après de nombreux
voyages générateurs d'épreuves à surmonter, il faut au moins
mentionner ce caractère particulier des premières chrétientés
celtiques si originales où les pélerins » voulant vivre pleine-
ment leur foi s'exilaient, non vers un but de pélerinage précis
mais « pour l'amour de Dieu » pour s'abandonner à sa volonté et
mieux renoncer à eux-mêmes, pour là encore renaître à une vie
nouvelle à travers les séries d'épreuves que leurs réservaient ces
voyages voyages le plus souvent maritimes dont le type est le
voyage de saint Brendan de Clonfert.
Les lettres dans le bûcher des morts.
Lors des funérailles, les Gaulois confiaient aux flammes des
lettres à destination des morts.
De même, le néophyte, symboliquement mort à la vie profane,
voit disparaître dans les flammes avec son testament une vie
nouvelle il est donc normal, puisque le vieil homme est mort,
qu'une lettre contenant ses pensées soit brûlée pour aller le
rejoindre.
La remise du tablier jusqu'à ces dernières décades, le tablier
que nous portons était, paraît-il, non pas en peau d'agneau (qui
évoque le Feu du Bélier, signe de commencement, de renouveau)
mais en peau de porc, animal d'ailleurs impur pour la tradition
judéo-chrétienne,
28
Dans un texte épique irlandais, les fils d'un héros partent
à la conquête d'une peau de porc qui guérit toutes les blessures
lorsqu'on s'en enveloppe le corps.
Rappelons que pour les Celtes, le sanglier, porc sauvage, est
une figure de l'initié, du druide détenteur de la sagesse. Merlin
le druide dit à ses jeunes disciples « venez auprès de moi petits
marcassins ».
Le secret différé dans la légende du Graal, l'oncle maternel
de Perceval, l'ermite Trévizent, instruisant, initiant son neveu, le
mettant sur le chemin, lui révèle certaines choses que Perceval
ne comprendra que plus tard.
L'initiation que nous avons reçue n'est-elle pas analogue et
n'est-ce pas plus tard, bien plus tard que nous aurons saisi tout
le sens ?
Après ces survivances dans l'initiation, nous chercherons à
en retrouver dans le rituel de nos tenues.
L'orientation dans la tradition celtique, l'Est est devant, le
Nord à gauche, etc. Dans la langue bretonne actuelle, c'est encore
le même mot qui paraît-il désigne le Sud et la droite.
La latéralisation dans toute la tradition celtique, la droite
a un sens favorable, la gauche un sens défavorable. Présenter la
gauche à quelqu'un est signe de malheur, d'hostilité, de bravade
ou d'incorrection.
C'est donc, paradoxalement, le rite français qui semble avoir
hérité de cette tradition - alors que nous qui travaillons au rite
écossais présentons, dès notre entrée dans le Temple le flanc
gauche à nos Frères. Il est vrai que nous présentons alors notre
côté droit, lors de nos circumambulations dans le Temple au centre
de celui-ci qui contient le tableau de loge et le Trait.
Le maillet est l'attribut du Dieu Sucellus, que nous avons déjà
étudié ( 211), Dieu de la mort et de la vie ; nous avons déjà
souligné le caractère ambivalent de ce maillet.
Les trois cris de lumière d'après le bardas, texte traditionnel
celtique, la Divinité s'est manifestée en créant le monde par trois
cris fou trois rais) de lumière que l'on vocalise, non pas par la
répétition du même terme trois fois, mais par trois lettres : O, I, W,
29
dont la somme exprime l'Etre des êtres. II y aurait, bien sûr des rap-
prochements à faire avec d'autres traditions qui vocalisent le Nom.
De même, la batterie de deuil triple acclamation avec batte-
ments de mains, se trouve déjà chez les héros de l'épopée irlan-
daise.
L'accolade fraternelle est déjà triple chez les héros celtes.
L'épée et la baguette. Nous retrouvons encore ici une paire
de complémentaires. Dans les opérations de magie celtique, la
baguette, normalement en bois de frêne, joue le rôle de conden-
sateur des énergies errantes (pensons à la baguette magique
de nos fées).
L'épée aura pour rôle de disperser ces énergies qui pourraient
nuire à l'expression spirituelle du groupe en ce lieu et à ce moment-
là (dans le folklore irlandais, le port d'une épée protège contre
les fantômes).
De même, au début d'une tenue, une baguette et une épée
croisée purifient-elles le Temple et favorisent-elles l'expression de
l'égrégore.
Nous comprenons mieux maintenant le sens apotropéique de
la voûte d'acier dressée au-dessus d'un visiteur éminent ou, dans
le monde profane, au-dessus des jeunes mariés à la sortie de
l'église où ils viennent de s'unir.
L'Universel Artisan Lug, Dieu solaire qui vit encore parmi nous
grâce aux villes françaises qui portent toujours son nom (Lugdu-
num = la ville de Lug, qui a donné Lyon et Loudun), se présentant
à Tara, centre sacré, milieu » de l'irlande, au palais du roi Nuada,
est tuilé » à l'entrée par le portier, nous dirions par le « cou-
vreur »', par le gardien du seuil.
Il s'y déclare charpentier, forgeron, champion, harpiste,
guerrier, magicien, médecin, chaudronnier ». En quelque sorte,
il est poly-technicien il-danach « (= qui possède des techniques
nombreuses). C'est 'Universel Artisan et l'on ne peut pas ne
pas penser aux Pythagoriciens (Pythagore aurait été, dit-on, initié
aussi chez les Celtes) et au Théos Technitès «, le Dieu arrangeant
avec art, qui fut plus tard appelé par la tradition pythagoricienne
le G.A.D.L.U.
Notons en passant la qualification première de charpentier
prise par Lug à rapprocher de l'Evangile selon saint Marc Vi,
30
3 où Jésus est ainsi qualifié « n'est-ce pas le charpentier ? (et
non pas e fils du charpentier Joseph).
Les repas rituels aux grandes fêtes (Samain, etc.), c'est dans
une salle rectangulaire ou L = 4 I, orientée, appelée salle du
Milieu » (chambre ?) qu'a lieu le banquet rituel de « Fes Temrach
donné par le roi.
La place de chacun y est assignée suivant son rang ; au centre
sont le feu et l'eau, symboles du binaire fondamental.
Les mets servis ont une valeur rituelle oeuf d'oie (com-
:
La chaîne d'union
Cuchulainn, le principal héros épique irlandais, à résonance
solaire, Fer Diad et d'autres disciples du druide Scathach, après
le rite de mélange des sangs qui ne semble pas avoir subsisté
chez nous se prennent par les mains circulairement et jurent
de se considérer comme frères et de donner leur vie les uns pour
les autres.
Les nombres
Le temps nous manque pour étudier les valeurs des nombres
impairs supérieurs à trois, très significatifs dans la tradition cel-
tique.
Mais nous ne voulons pas quitter le symbolisme de la Loge
sans mentionner que dans la mythologie irlandaise nous trouvons
parmi les peuples de la Déesse Dana (Thuatha Dé Dannén).
- Dagda, le druide, représentant la sagesse (pensons à son
chaudron),
Nuada, le roi r' la main d'argent 'r, qui représente la
Force,
31
Ogma, le champion, inventeur de l'écriture ogamique, Dieu
de l'éloquence, qui représente la Beauté.
CONCLUSIONS
32
"LE FRANCMAÇON MIRACULÉ"
NOTE SUR LES CAVES DU VATICAN
DANDRÉ GIDE
27
la petite main de la Vierge, Il se couche, s'endort près de sa femme
Véronique. Et voilà qu'on frappe à la porte, qui s'ouvre lentement
c'est la Vierge qui s'avance et interpelle l'irrascible mécréant
Crois-tu donc, toi qui m'a blessée, que j'ai besoin rie ta main
pour guérir ? »
Anthime sent une douleur au côté c'est la petite main qui
:
28
politique des journaux, ou bien d'une « nouvelle victoire de l'Eglise »,
ou bien d'un imbécile de plus «.
André Gide a tiré de son roman une pièce de théâtre. Pour
reprendre ses propres expressions, il a tiré de sa « sotie » une
« farce «. Les personnages y sont davantage encore poussés à la
caricature.
Dans la présentation qui en fut faite au Théâtre Français en
1950, on montrait le franc-maçon physiologiste entouré d'une demi-
douzaine de cages à rats. Son infirmité physique apparaissait de
suite au spectateur, car la scène mettait en évidence deux cannes
orthopédiques.
André Gide n'avait pas cru pouvoir reprendre au Théâtre l'appa-
rition de la Vierge surprenant le franc-maçon dans son sommeil.
C'est après une discussion avec sa femme - qui nourrissait les
petits rats à son insu, alors qu'il aurait voulu les faire maigrir
qu'Anthime se sentait seul brusquement. li se prenait la tête dans
les niains. Subite obscurité sur la scène et coup de tonnerre,
suivi de la Marche Turque de Mozart, jouée par deux hautbois et
un xylophone. C'est au fond de la scène qu'apparaissait la statue de
la Vierge, encadrée de deux cierges que Véronique allumait pour
le salut de son mari et c'est une voix sortant de la coulisse qui
faisait à Anthime l'annonce de sa guérison : « Grâce aux cierges
de Véronique, tu seras guéri malgré tout
On voyait alors Anthime se redresser, d'abord avec hésitation,
puis avec assurance, faire jouer ses muscles, ramasser sa béquille
et se mettre à gambader. C'est alors qu'il prononçait la phrase
bien faite pour accompagner la tombée du rideau « Désormais :
29
Voilà fidèlement résumée, je crois, la première des histoires de
Gide où sont mêlés des francs-maçons. L'autre histoire, qui donne
son titre à l'ouvrage, est celle de l'enlèvement du pape Léon XIII
et de sa détention dans les cachots du Vatican grâce à la com-
plicité de Cardinaux membres des Loges.
Les sources de cette seconde histoire sont bien connues. Ii
s'agit d'une mystification qui, en 1893, fut suivie d'une véritable
escroquerie, des aventuriers ayant imaginé, pendant la pseudo-
détention du Pape de faire croire à une libération possible ce
qui leur permit de soutirer d'importantes sommes d'argent à des
dévots trop crédules.
Lors de la parution de son ouvrage en 1914, Gide fut accusé
par la critique d'avoir démarqué, pour raconter cette mystification,
un livre d'un autre écrivain, Jean de Pauly, plus connu pour ses
travaux d'érudition hébraïqLle et qui avait dénoncé les escrocs
sous ce titre vengeur LE FAUX PAPE OU LES EFFRONTES FIN
:
30
En revanche, il est intéressant de reprendre les explications
de Gide sur son franc-maçon miraculeusement guéri. Voici ce qu'il
écrivait à Frédéric Lefèvre
J'ai mêlé cette histoire d'enlèvement à une autre histoire
dont il ne serait sans doute pas malaisé de retrouver le fondement
réel et qui m'a été racontée par e regretté Haguenin (4), Profes-
seur de littérature française à Berlin, celle de la conversion d'un
franc-maçon, cousin d'Ernile Zola, qui fit quelque bruit dans le
temps. Je n'ai, pour ce qui est de lui, à peu près rien inventé.
Lorsque cette lettre fut publiée, en 1931, il y eut très peu
de maçons pour accorder foi aux affirmations d'André Gide. Je me
souviens d'Albert Lantoine me disant que le nom de Zola n'était
mêlé à cette histoire que pour la corser de façon équivoque. Or, le
personnage que met en scène André Gide n'est pas entièrement
imaginaire, car il est vrai qu'un franc-maçon de haut grade, se
croyant miraculeusement soulagé de ses douleurs, avait renié la
maçonnerie. Il est vrai encore que ce miraculé avait des intérêts
en Egypte.
31
Hiérophante du Rite de Memphis et en 1876, Souverain Grand
Commandeur du Rite Ecossais Ancien et Accepté, dignité qu'il
conserva jusqu'en 1885.
Il écrivit vers cette époque une plaquette sur l'histoire de
la Franc-Maçonnerie Egyptienne, où il revendiquait, pour le rite
de Memphis, l'initiation de Napoléon et de Kléber (5).
Enfin ii sera Lieutenant Grand Commandeur du même Rite
Ecossais jusqu'en 1895, l'année où, très affaibli par la maladie,
il déclara avoir été miraculeusement guéri par une intervention de
la Vierge.
Il démissionna de la Maçonnerie et se présenta à Rome, en
avril 1896, devant Monseigneur Sallua, Commissaire du Saint-
Office, pour rentrer dans le sein de l'Eglise romaine.
lIne semble pas que cette abjuration » ait été accueillie
avec enthousiasme par tous les milieux catholiques. C'est Salutore
Zola lui-même qui s'en plaint dans une lettre adressée à un prêtre
et publiée dans la France militante (6), revue hebdomadaire du
Mouvement Antimaçonnique. Le nom du prêtre n'est pas donné
dans la revue, ni l'endroit d'où la lettre est partie.
La voici cependant
S1 Sunto storico sut Grande Oriente Nazionale d'Âgtto, 6 avril 1883, par
S.A. Zola, cité par Franz Svoboda, du Caire, Quator Coronati (p. 138).
(6) N° 3, 16 janvier 1897.
32
Vous me demandez si j'ai pu éclairer quelques égarés.
Je vous répondrai que je suis absolument sûr que beaucoup de
francs-maçons auraient suivi mon exemple, si les catholiques se
montraient animés de sentiments plus tolérants et plus empreints
de solidarité. Vous n'ignorez pas que, loin de m'accueillir comme
je me croyais en droit d'être accueilli, loin d'être défendu comme
j'espérais l'être, on m'a laissé en proie aux insultes des Maçons
La Germania de Berlin, à la date du 29 décembre dernier, m'a
traîné dans la boue, et personne ne m'a défendu... l'Osservatore,
Cattolico de Milan a fait de même et c'est chez les catholiques
que je rencontre le plus d'adversaires.
Le Comité institué à Rome pour l'affaire Diana Vaughan (7)
ne m'a pas interrogé, je n'ai pas eu à fournir de renseignements.
Recevez, Monsieur l'Abbé, mes respectueuses civilités et
l'assurance que je reste votre dévoué.
Signé : S.A. ZOLA.
On va voir qu'en ce qui concerne l'indifférence de l'église
à l'égard du pauvre miraculé le récit d'André Gide est assez près
de la réalité. Dans ce récit, Anthime Armand Dubois souffre aussi
de son abandon et s'il semble faire preuve de résignation, il
est bien près de la révolte. Son beau-frère, pourtant catholique
fervent, s'indigne, tout eu donnant une explication de l'attitude de
la hiérarchie ecclésiastique. Et c'est ici que se rejoignent les
deux histoires auxquelles Gide a cru pouvoir mêler des francs-
maçons. Si Anthirne ne reçoit pas l'aide qu'il était en droit d'atten-
dre et qui lui avait été promise, c'est que le siège du Souverain
Pontife est occupé par un faux pape, le vrai réduit à l'impuis-
sance dans sa geôle, attendant d'être libéré.
Cette explication n'apparaît pas comme très convaincante au
pauvre Anthime. Sa foi qui avait été si ardente aussitôt après le
miracle, commence à vaciller. Il en vient à se demander si Dieu
lui-même, comme le Pape, n'aurait pas un sosie. Il décide finale-
ment d'écrire au Grand Maître de l'Ordre pour redevenir Franc-
Maçon.
33
Je ne sais pas si, dans la réalité, Zola, l'ancien Grand Maître
Egyptien, revint effectivement à la franc-maçonnerie. La chose n'est
pas impossible. Mais en ce qui concerne e miracu'é présenté
par André Gide, il reçut, au théâtre comme dans le roman, la
juste punition que méritait son retour à la secte parmi les
repoussés. On le voyait, en effet, quitter la scène du Théâtre
Français en boitant il était bien obligé d'avouer à son beau-
:
34
DES HERETIQUES CORSES DE SAINT JEAN
ou DES "CA THA RES" CORSES :
LES GIOVANNALLI
La Corse a eu, elle aussi, ses martyrs de l'Inquisition. Sur son
sol au XlVe siècle, une croisade, bien proche en vérité de la cr01-
sade anti-albigeoise a fait couler des ruisseaux de sang. L'hérésie a
été extirpée par le fer et le feu, si bien en vérité que six siècles
plus tard il est quasiment impossible d'en retrouver la trace ou
simplement la relation détaillée.
Or cette hérésie, voilà bien précisément ce qui nous inté-
resse se réclamait de saint Jean, le saint patron de la Franc-
Maçonnerie traditionnelle.
Tout a commencé à Carbini, une petite bourgade de la Corse
méridionale, encaissée dans un cirque sauvage non sans grandeur
mais dont aujourd'hui, dans sa très banale apparence, par un seul
habitant n'a conservé le souvenir, fut-il réduit à un nom, de l'étrange
secte qui avait pratiquement conquis il y a 600 ans l'île entière.
Dans cette Corse méridionale qui de tout temps a connu les
batailles sanglantes entre grandes familles telles les de La
Rocca et les d'Attala les guerres fréquentes entre l'occupant
gênois et les Pisans qui s'étaient installés dans l'au-delà » des
monts, dans cette Corse où la misère du peuple avait atteint les
dimensions d'une tragédie par la grande peste de 1348 épidé-
mie qui fit d'ailleurs s'enfuir à toutes rames vers Gênes le « coura-
geux » maréchal Zaraglia, le protecteur génois de l'île dans
cette Corse écrasée, affamée donc, la révolte populaire prit, comme
souvent à l'époque, l'allure d'une révolte religieuse.
Le mouvement eut de suite un nom ses sectateurs furent
:
33
Tout ce que l'on sait de lui et l'on sait vraiment très peu
vient d'un chroniqueur contemporain, nommé Giovanni, qui
écrivit d'ailleurs bien après l'écrasement de l'hérésie et se montra
à son égard farouchement hostile. Cette secte, affirmait-il repré-
sentait « un danger social et religieux ». Danger social ? Certes,
les Giovannalli » se montraient fort aventureux pour l'époque
ils prêchaient et réalisaient l'égalité intégrale entre les
hommes et les femmes. Mais ils allaient beaucoup plus loin ils :
34
tre des premiers chrétiens : sodomie, homosexualité. Ainsi salit-
on toujours les défenseurs de la libre pensée, les libres cher-
cheurs, les zélateurs d'un ordre plus juste et plus vrai.
Ils voulaient, écrit perfidement le chroniqueur, faire revivre
l'âge d'or du temps de Saturne et s'imposaient certaines pénitences
à leur manière. »
A quoi, rétorque Ambrosi, si le mouvement n'avait été
qu'une scandaleuse débauche, les deux frères d'Attala ne se
seraient pas fourvoyés au milieu d'une bande de misérables, sans
programme, sans forces, condamnés évidemment à périr sous le
bras séculier et laïc.
Non En réalité, les Giovannalli furent des contestataires et
des précurseurs. Mais ne s'inscrivent-ils pas en même temps dans
une longue tradition ?
Et c'est là qu'il faut étudier de près leur référence à saint
Jean. L'Evangile johannite, le seul qui comptait aux yeux de Luther
qui y voyait à juste titre la plus haute synthèse de l'enseignement
christique, demeure le refuge de tous ceux qui « veulent satisfaire,
selon l'expression de Paul Naudon, à la fois leur intelligence et
leur sensibilité »... Tout au long des siècles, il fut le consolateur
et le signe d'espérance pour tous ceux qui cherchaient, néophytes
purs et désintéressés, la voie secrète de la Lumière, de l'Amour et
de la Beauté : saint Bernard de Clairvaux mais saint Paul déjà,
saint François d'Assise, l'homme qui adressait un cantique au soleil
et adorait toute créature, Dante le grand initié ne furent-ils pas tous
à leur manière johannites ?...
L'Evangile de Jean satisfait à la fois le coeur et la raison car
il proscrit l'enfer et le châtiment éternel, il présente le Christ non
comme un homme, mais comme un pur Esprit, un esprit de Lumière
et de bonté... C'est ce que nous dit la Gnose à travers Basilide
et même saint Clément, en fait tous ceux qui, au long de l'histoire,
se réclament du Logos...
Une église johannite aurait existé en Palestine, dès les débuts
du christianisme, vénérant à travers les deux saint Jean le Christ
cosmique annoncé de toute éternité. Nous savons aussi qu'en l'an
160 saint Pothin et saint Irénée avaient créé à Lyon une Eglise
dédiée à saint Jean.
Saint Jean et non saint Pierre, le chef de l'Eglise de Rome.
Saint Jean des cathares qui ne reconnaissaient que son Evangile,
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saint Jean des Templiers qui furent peut-être aussi en relation
avec ce mythique et mystérieux « prêtre Jean » (dont l'existence
fut signalée la première fois en 1145 par l'évêque de Gabula en
Arménie et qui écrivit une bien curieuse lettre au pape Alexandre III
en 1177). Saint Jean des Esséniens dont l'enseignement reste de
tout temps celui des initiés, et qui symbolise aujourd'hui encore
ta voie ésotérique, parallèle à la voie exotérique de Pierre, ouverte
seule aux masses des fidèles.
Donc les « Giovannalli »' représentaient une nouvelle menace
pour l'Eglise de Home. Ils étaient la nouvelle tête de l'hydre
gnostique «, toujours à l'affût dans l'ombre... Cette tête devait
être, elle aussi, coupée.
Elle le fut. Avec férocité. Une férocité d'autant plus grande
que la secte s'était étendue avec une rapidité prodigieuse, non
seulement dans « l'au-delà » mais dans « 'en-deça « des monts,
semant, selon Giovanni, « l'effroi dans la société féodale, laïque
ou ecclésiastique
Le pape qui régnait alors en Avignon réitéra la croisade anti-
cathare. Celle-ci fut dirigée par un frère franciscain (hélas !...)
nommé Georges, assisté de soldats du continent, de Corses que
la révolution giovannalliste »' menaçait dans leurs fortunes.
La rencontre armée décisive eut lieu à Alesani Polo et son
:
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La Grande Loge de France vous parle..
ACTUALITE DE JEAN
PERENNITE DE JEAN
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Jean oppose ainsi à la Lumière, personnifiée pour lui par le
Christ, le monde extérieur personnifié par Judas : nécessaire
dualité du monde des choses temporelles et transitoires, néces-
saire combat des oppositions fécondes... Mais toujours ce combat
s'achèvera sur le triomphe de la Lumière, sur l'entrée de la Lumière
au coeur du monde des ténèbres.
Dans ce combat la Franc-Maçonnerie tient un rôle privilégié.
Elle est celle qui permet d'entrouvrir la porte du monde de la
Lumière sur le monde des ténèbres, elle est celle qui permet la
synthèse dans "esprit de l'initié et lui fait percevoir la réalité
profonde, inaltérable de l'Un.
En fait, l'Evangile de Jean contient des vérités enseignées de
tout temps par la Tradition initiatique. Evangile du feu, il nous
rappelle l'importance que le Soleil - « Monseigneur frère Soleil
qu'il allume le jour pour nous » chantait François d'Assise dans
son admirable cantique - avait dans le culte de ses frères Essé-
niens : Dès que le soleil paraît, écrit Flavius Josèphe, ils lui
adressent leur voeux comme à un père en le conjurant d'éclairer
leurs âmes de sa lumière. » Et c'est par l'aigle, oiseau de feu,
oiseau de soleil que Jean est figuré, l'aigle, oiseau de Zeus, oiseau
du dieu suprême de la Triade celtique, l'aigle qui selon la Kabbale
figure l'Orient et qui est l'image d'Uriel, l'ange du feu purificateur.
L'aigle, est-il dit dans la Légende dorée, est celui de tous les
oiseaux qui vole le plus haut et qui contemple le plus fixement le
soleil ; et cependant, par infirmité de nature, il faut qu'il redes-
cende. Ainsi le courage humain quand il s'est accordé quelque
délassement peut revenir avec un renouvellement de force et plus
d'ardeur à la méditation des choses célestes.
De même la doctrine du Verbe et celle de la Lumière figuraient
déjà dans les livres attribués à Hermès Trismégiste « Le Dieu
:
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est fondé, lui aussi, sur la Lumière et la résurrection. Le feu unit
l'initié, dans ce culte, à Mithra et au soleil.
De tout temps, dans toute initiation, le feu transforma les honi-
mes en dieux. C'est le mythe de Démèter à Eleusis cjui mettait en
cachette la nuit dans un brasier le dernier-né de la reine Métanéire,
Démophon, afin de le rendre immortel. Durant la célébration des
mystères éleusiens le hiérophante proclamait que la déesse de la
mort avait engendré un fils dans le feu. Dionysos est né du bûcher
de sa mère Koronis. Jésus lui-même n'est-il pas présenté comme
le maître du feu dans de nombreux contes de portée initia-
tique ?...
L'Evangile de Jean est ainsi comme l'athanor de l'alchimie
chrétienne où sont venues se fondre toutes les données initiatiques
des diverses traditions.
Et tout l'Evangife de Jean ou presque pourrait être repris verset
par verset, et son enseignement comparé à celui de la Franc-
Maçonnerie. Pour recevoir l'eau du Baptiste il faut un respect absolu
de la morale : pour entrer en Maçonnerie il faut être libre et de
bonnes moeurs.
Lorsque Jésus se sépare de sa mère : Femme qu'y a-t-il entre
toi et moi ? cette phrase qui a si souvent intrigué, scandalisé, n'est
pour l'initié que le simple rappel de la nécessité de se détacher
de l'étroite cellule familiale pour entrer dans la famille universefle.
Lorsque Jésus chasse les marchands du Temple il nous rappelle
à nous maçons que nous devons laisser nos métaux à la porte du
temple.
Lorsque Jésus dit à Nicodème : En vérité je te le dis : si un
homme ne naît de nouveau il ne peut voir le royaume de Dieu «,
il évoque pour nous l'initiation qui nous fait dépouiller le vieil
homme et renaître homme nouveau, car ce qui est né de la chair
est chair mais ce qui est né de l'esprit est esprit et il faut que
l'initié naisse d'eau et d'esprit...
Lorsque Jésus rencontre la Samaritaine femme de cette
race haïe et méprisée des Juifs orthodoxes et que, à elle qui
s'étonne « Comment, toi qui es JLIif, tu me demandes à boire
:
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vaillent pour opposer les hommes les uns aux autres, mais que
nous sommes vraiment le creuset de ces races, de ces classes,
de ces religions et le centre de l'union...
Lorsque Jésus refuse de condamner la femme adultère il
montre, d'une façon lapidaire et exemplaire, l'irremplaçable vertu
qu'est pour la Franc-Maçonnerie la tolérance. Lorsqu'il guérit un
paralytique à qui il dit : Lève-toi, prends ton lit et marche « il
nous rappelle qu'on ne vous initie pas mais qu'on s'initie en
vérité soi-même.
Et lorsqu'il annonce un seul troupeau et un seul berger, ne
va-t-il pas dans la même voie que notre Ordre porteur du mes-
sage de la fraternité universelle et fondé sur les trois vertus de
la foi, de l'espérance et de la charité ?...
C'est par les quatre éléments encore que le grain de blé enfoui
en terre ressuscite et porte de nombreux fruits, de même que
c'est par les quatre éléments que l'initié se métamorphose et
devient un homme porteur de fruits.
Il est encore dans l'Evangile de Jean une scène fondamentale
qui demeure à la lettre difficile à comprendre mais qui s'éclaire
merveilleusement au symbolisme initiatique celle de la résur-
:
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« Qu'il inspire notre conduite dans le monde profane. Qu'il guide
notre vie. Qu'il soit la Lumière sur notre chemin »...
Le Verbe abreuve l'homme d'une eau vive qui devient une
source jaillissante en vie éternelle.
Il faut, a dit Jean, quitter les ténèbres du monde et de la
chair pour devenir un fils de lumière «. Mais la lumière vit dans
dans les ténèbres et l'homme de lumière doit projeter au dehors
cette lumière dont il est le réceptacle et le miroir.
Sans l'amour des aLitres, de tous les autres, l'initié n'est
rien qu'un arbre sec, un figuier stérile.
N 'est-ce ç'as eacore Jean qu( a J'iie
S/ q'ue/q'u 'û''7 a''.'
Dieu et a de la haine pour son frère c'est un menteur car il ne
peut aimer Dieu qu'il ne voit pas s'il n'aime pas son frère qu'il
voit «....
DECEMBRE 1978
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La Grande Loge de France vous parle..
Voici venu le temps des voeux de ces voeux que chacun, oubliant
;
Voici venu l'An nouveau, qui s'ouvre à nous, tout vierge encore et
paré du charme indéfinissable de l'inconnu, tout illuminé de la vertu
de la féconde espérance.
Au calendrier des hommes, une page est tournée, que les événe-
ments de tous les jours, heureux ou malheureux ont éclairée de joies,
ou assombrie de peines.
L'année qui s'en va ne fut pas une année sereine, mais de tous
côtés endeuillée par les souffrances de l'Humanité. En certains points
du globe, l'ombre menaçante et lourde de la guerre n'a cessé de planer
sur elle ; en d'autres lieux hélas, on s'est déchiré, on se déchire encore,
même sur des terres qui furent jadis des havres de paix, d'opulence et
de fraternité. Les fanatismes se sont déchaînés au service de causes
qui, pour aussi respectables qu'elles puissent être, n'en deviennent pas
moins haïssables dès l'instant que, pour triompher, elles versent le
sang d'un innocent. Ailleurs encore là même où nous avions pu espérer
que le calvaire allait cesser, les armes maudites ont recommencé de
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semer la désolation et la mort. Comme si des leçons cruellement endu-
rées hier, ne servaient jamais aux vainqueurs du lendemain ; comme
si l'agresseur brusquement amnésique, oubliait les souffrances vécues
en sa chair et en son esprit ; comme s'il était devenu sourd au pitoyable
cri de l'enfant qu'il aurait dû pourtant reconnaître, tant il est semblable
à celui qui, hier encore, jaillissait du corps torturé de son propre enfant
comme si la colombe au rameau d'olivier était toujours destinée à
devenir faucon entre les mains cruelles de certains maîtres.
Oui, 1978 fut une année de jours sombres, avec son cortège de
misères de toutes sortes, physiques et morales, son cauchemar d'incer-
titudes angoissées du lendemain, ses peurs paniques justifiées ou
déraisonnables, ses désarrois, ses colères et ses mépris.
Et voici qu'avec 1979 s'ouvre devant nous une nouvelle page, toute
blanche. Une page et trop souvent nous l'oublions ou voulons l'oublier
pour nous enfermer dans notre égoïsme, soucieux seulement de préser-
ver ce que nous avons pu acquérir -- une page disais-je, qu'il appartient
à nous, et à nous seuls de remplir. Pour laquelle nous ne devons attendre
d'autre inspiration que celle de notre Amour.
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C'est le voeu le plus fervent que je forme, pour vous, qui que vous
soyez, en quelque lieu que vous vous trouviez : que pour écrire cette
nouvelle page d'Humanité, chacun prenne sa plume pour ne tracer que
des mots de paix et de fraternité. Que chacun sache refuser de se
laisser emporter par la violence ou ses rancoeurs ; que chacun sache
résister à la colère et s'insurger contre le sang versé. Que chacun
chasse de son coeur toute soif de vengeance pour n'y laisser place qu'à
la charité.
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chemin, c'est que nous n'avons pas su lui dire le mot qu'il fallait
c'est que nous n'avons pas su faire le geste nécessaire pour l'aider à
porter son fardeau ;et nous sommes coupables, responsables de sa
mort, quelles que soient les arguties que notre casuistique personnelle
pourrait nous suggérer.
de nous, qu'il appartient de montrer que ce n'est pas une chimère mais
une réalité en puissance, même si les signes n'en sont pas toujours
manifestes. Ne laissons à personne le soin de nous préparer d'autres
lendemains ; n'abdiquons entre les mains de personne nos responsa.
bilités car rien sans nous ne se fera, et tout grâce à nous peut se faire.
C'est là aussi l'imprescriptible devoir que l'idéal maçonnique impose à
tous les Francs-Maçons. Et si parfois, le découragement vous prend
devant l'immensité de l'oeuvre à accomplir, sachez vous rappeler que
dans le titanesque combat, vous n'êtes pas seuls.
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Au coeur du Franc-Maçon que nous sommes, du Franc-Maçon que
vous êtes peut-être déjà en puissance et sans le savoir encore, du
Franc-Maçon que nous vous souhaitons de devenir, ii y a cette volonté
de construire un monde différent, libéré de tous les préjugés qui abêtis-
sent, de tous les fanatismes qui asservissent.
JANVIER 1979
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La Grande Loge de France vous parle..
EGALITE ET IDENTITE
C'est la Franc-Maçonnerie française qui a inspiré à la République sa
devise « Liberté, Egaité, Fraternité ».
Cette formule ésotérique définit et résume à elle seule l'ascèse
individuelle de l'initié dans le cadre collectif de la Loge.
Elle s'est trouvée projetée dans le monde extérieur où, sous la
lumière crue de la rue, elle a pris peu à peu un sens et une portée radi-
calement opposés à son contenu initiatique.
L'initié sait en effet que la liberté n'est pas un état absolu, objectif
et définitif. C'est une situation relative, subjective et fugitive.
On n'est pas libre ou esclave. On est plus ou moins libre et plus
ou moins assujetti aux contingences héréditaires, éducatives, sociales,
économiques.
La liberté ne s'acquiert pas d'un seul coup comme on achète une
paire de chaussettes ou une barre de nougat.
C'est une conquête de tous les jours, un effort opiniâtre de réflexion,
de remise en cause, de retour sur soi-même, de vérification et de
contrôle.
Par liberté, nous entendons la libération de l'hcmme qui, par un
travail incessant, se débarrasse de tous les préjugés qui obnubilaient
sa conscience et entravaient son action, afin de n'admettre pour valables
que les contraintes naturelles de sa condition humaine.
La liberté du Franc-Maçon, c'est le refus des conditionnements
arbitraires nés de la lente et insidieuse emprise de la Société sur
l'individu.
En contrepartie de cette liberté individuelle qui puise sa source
dans le refus et cherche son aboutissement dans la connaissance, l'initié,
qui se sait et se veut homme, s'efforce de dégager, d'éclairer et de pro-
mouvoir les lois véritables qui régissent la vie en Société.
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I
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Ce respect passe d'abord par te comportement de chacun à l'égard
de chacun.
La vigueur physique ou la vivacité intellectuelle qui sont des dons
de la nature ne confèrent à personne le droit de piétiner celui qui est
moins bien loti.
C'est ainsi, en tout cas, que devraient raisonner les humains qui se
veulent des hommes. Ce sont les animaux sauvages qui s'entre-dévorent
dans le désert et les vaches qui se bousculent à l'abreuvoir.
Les moeurs du monde des affaires et e comportement des usagers
des transports en commun ne donnent guère hélas une idée très élevée
du niveau de civilisation auquel l'humanité a réussi à se hisser en ce
dernier quart du XXe siècle
Or, c'est par là que devrait commencer à se répandre cette idée
d'égalité sur laquelle les Sociétés profanes ne cessent de battre le
tambour depuis que les Francs-Maçons du XVIIIe siècle la leur ont
généreusement et peut-être imprudemment livrée.
C'est aussi à l'Etat qu'il appartient d'assurer et de faire assurer la
balance égale des droits et des devoirs, et surtout des égards qui sont
dus à chacun par les dépositaires de l'autorité publique.
Là aussi, il y beaucoup à faire pour que l'arrogance et la suffisance
fassent place à la courtoisie et à la compréhension.
C'est toute l'atmosphère sociale qui serait transformée si, au niveau
des individus et des institutions, les humains se décidaient à traiter
leurs semblables avec humanité.
FEVRIER 1979
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LA TRAbITION, SCIENCE bE LA VIE
Il est deux sciences de l'univers; l'une est moderne, l'autre est traditionnelle.
En effet, toutes les traditions initiatiques de l'humanité décrivent les lois de ,la
vie à travers heurs symboles et ,leurs rites.
Elle nous relie donc au Principe, dont on ne peut parler, que l'on ne peut nommer,
qui en est l'origine et le devenir ; car il nous faut comprendre que, le principe est
dans ,le même temps commencement et terme, que cet ordre du monde est
POTENTIEL, qu'il nous appartient de ,le réaliser en chacun de nous et qu'il ne
sera réel qu'au temps où l'humanité globalement transmutée par l'amour
retrouvera une perfection ultime.
Il importe donc qu'il y ait des rites ; outils de REALISATION, les rites ne sont
pas des cérémonials, des jeux abstraits, des constructions intellectuelles n'ayant
aucune prise sur ,la réalité: ils sont OPERATIFS ; ils donnent la vie ; ils réalisent
en nous l'ordre cosmique et ainsi ils nous créent.
La tradition nous dit 'l'ordre du monde et les lois de, la vie; elle est par là même
une science, au même titre que, la science contemporaine. Mais son esprit et ses
buts en sont différents elle est un autre regard sur l'homme et le monde.
Elle ne cherche pas tout d'abord à faire l'analyse et l'inventaire de l'univers ; elle
veut définir des, lois générales ; elle veut comprendre les principes qui gouvernent,
le fonctionnement du cosmos. Elle ne vise pas à analyser et disséquer
d'innombrables phénomènes et à les mettre ensuite sur ordinateur pour les
comparer et rassembler ; elle nous dit le cadre de la vie, les ,lois globales qui nous
régissent, dont ,la connaissance permet de situer et comprendre l'infinité des
manifestations. Une image peut nous aider à saisir ce regard la science
;
La tradition établit ensuite qu'il n'est pas d'unité durable dans le cosmos, que la
vie est dualité, inéluctablement ; l'unité ne peut être vécue que le temps d'un
éclair, d'un instant, par une fusion qui fait que deux êtres ne forment qu'un, pour
l'instant d'après, redevenir ou engendrer deux. Ainsi nous vivons dans un monde
de dualité, de multiplicité. Ainsi il n'est pas de structure ultime de la matière
tout élément est obligatoirement constitué de deux ensembles complémentaires.
Ainsi il n'est pas de système clos tout phénomène est inexorablement en rapport
avec un autre phénomène qui lui est complémentaire. Ainsi il n'est pas loisible
d'envisager un être vivant, un système, un ensemble, une fonction, un élément
naturel, un symbole, isolément il ne peut être compris qu'à l'intérieur du couple
qu'il constitue, ou plutôt des couples qu'il forme, car il établit en fait une infinité
de couples à des plans différents. Ainsi rien n'est absolu ; la vie est relativité et
la tradition décrit par exemple depuis des milliers d'années, à travers ses
symboles, l'interdépendance de l'espace et du temps. Il est important de se
pénétrer de ce principe de dualité, apparemment banal, facile à comprendre
intellectuellement mais difficile à vivre au niveau du quotidien; Il n'est qu'à
regarder pour s'en convaincre le nombre d'hommes qui meurent chaque jour parce
qu'un dirigeant ou un militant n'accepte pas l'inexorable dualité où nous sommes.
La science traditionnelle établit encore que la vie est mouvement, qu'elle est par là
même une succession de mutations et de transformations incessantes, à des plans
différents. Ces mouvements 'se déroulent conjointement dans "espace et le
temps, dans un temps qui, simultanément cyclique et linéaire, est nécessairement
spirale ; le temps est en effet cyclique car la vie est soumise à des cycles
invariables comme celui des quatre saisons; mais il est aussi linéaire car, comme
chaque être, chaque moment est unique, car nous nous inscrivons nécessairement
dans une durée qui n'est peut-être que l'expression suprême de notre liberté, en
ce qu'elle induit l'irréversibilité de nos choix. La vie est mouvement en même
temps que dualité on comprend que le premier rythme soit un inspir-expir, que la
respiration soit l'acte qui définit chaque naissance, de l'homme comme de
l'univers; celui-ci n'est pas en expansion permanente ; la tradition dit qu'il est
nécessairement à une autre échelle de temps, un inspir-expir.
Cette science établit enfin que la vie est une totalité et qu'il ne nous appartient
pas d'en nier aucun plan, matériel, psychologique ou spirituel. Physique et
métaphysique ne sont que deux aspects d'une même réalité. La vie se déroule
simultanément à différents niveaux ; à tous les niveaux, les lois sont les mêmes
seules les formes diffèrent ; les principes qui régissent notre vie organique sont
les mêmes que ceux qui règlent notre vie spirituelle. Le monde est un dans sa
multiplicité et il ne nous appartient pas de refuser un de ses plans de
manifestation parce que nous ne l'appréhendons pas ou pas encore. Il nous faut
accepter la dimension transcendante de l'homme et de l'univers car la vie est un
dialogue incessant entre le un et le multiple, car l'histoire de l'homme n'est peut-
être qu'une longue marche du un vers ,le tout à travers le multiple.
Ainsi, la Tradition est une science; autre regard sur l'Univers, qui s'attache à
l'essence et non aux apparences, elle nous dit par ses symboles les lois qui
président à la vie ; elle nous dit que chaque être vivant, chaque élément naturel est
nécessairement l'incarnation de ces lois dans une forme donnée, forme variable
selon le temps et le lieu où elle apparaît et selon son projet, c'est-à-dire selon la
place qu'elle occupe dans la mosdique cosmique.
Elle nous dit aussi qu'en vertu du principe de dualité, la vie est simultanément
ordre et désordre, que l'ordre du monde, dialectique du chaos, est dans le même
temps origine et devenir, qu'il peut être dans le même temps origine et devenir,
car c'est à l'homme, debout, joignant le ciel et la terre, qu'il appartient de mener
cette manifestation à son terme, c'est à dire de la conduire à sa perfection. Sa
Liberté ne réside donc pas dans la possibilité de modifier l'ordre du monde, mais
dans le choix qu'il lui appartient de faire, singulièrement et collectivement, entre
rendre cet ordre réel ou le refuser. La Franc-Maçonnerie, ordre initiatique, est
une des émergences contemporaines de la tradition. Elle nous dit donc par ses
symboles, ses mythes et ses rites, les lois du cosmos. Ces lois sont les mêmes dans
toutes, les traditions ; seuls varient les symboles qui, les expriment, en fonction
du temps et du lieu où elles apparaissent.
Il nous appartient donc, hommes du XX siècle, de décrypter ces symboles, de
rechercher à travers les cosmogonies et médecines traditionnelles les lois de la
vie qui y sont décrites, de percevoir pour nous Francs-Maçons à travers notre
symbolisme et nos, rites les principes fondamentaux, ,Ies lois globales qui
régissent le cosmos.
La science traditionnelle implique certes que l'on utilise sa raison mais elle
;
La tradition n'est pas un usage ou une coutume ; la tradition n'est pas figée et
immuable ; la tradition n'est pas un attachement inconditionnel au passé ; la
tradition n'est pas un jeu intellectuel, abstrait et sécurisant. La tradition est
vivante en nous et par là même elle est devenir.
La tradition est vivante en nous et par là même elle est devenir. La tradition est
révolution, parce que mouvement permanent, relativité constante, négation de l'égo
et amour. La tradition est lumière. La tradition peut être, si nous le voulons,
science de demain et source de vie.