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C U R R I C U LU M Forum Med Suisse No 19 7 mai 2003 447

Cyanose
Serge Elsasser

Introduction réanimation, la cyanose reste encore aujour-


d’hui un paramètre précieux d’oxygénation
Le terme de cyanose décrit une coloration adéquate. Une cyanose localisée peut livrer des
bleuâtre de la peau et/ou des muqueuses [1]. indications diagnostiques importantes (par ex.
Avant que l’on ne dispose de façon généralisée en cas de thrombose veineuse profonde, acro-
de l’analyse des gaz artériels et surtout de la cyanose, état de choc).
pulsoxymétrie, il s’agissait d’un des seuls in-
dices de l’hypoxémie. Mais on savait déjà de-
puis longtemps que la cyanose est un para- Nomenclature de la cyanose
mètre excessivement peu fiable de la désatura-
tion artérielle en oxygène, pour les raisons ex- Le tableau 1 présente les divers types de cya-
posées ci-après [2]. En effet, la mise en évidence nose. Par pseudocyanose, on entend une colo-
d’une cyanose est fortement influencée par la ration bleuâtre de la peau par pigmentation ou
pigmentation naturelle de la peau et l’éclairage; dépôt de substances exogènes dans la peau. Il
par ailleurs, la variabilité entre les observa- s’agit la plupart du temps de liaisons avec l’ar-
teurs est relativement grande. Pour que la cya- gent, l’or, l’arsenic ou le plomb. Des médica-
nose soit présente, il faut que la quantité d’hé- ments tels que la phénothiazine, l’amiodarone
moglobine désoxygénée soit de 5 g/dl, ce qui et la chloroquine peuvent également provoquer
fait que les patients anémiques ne développent une coloration bleuâtre à grisâtre de la peau.
une cyanose qu’en cas d’hypoxémie sévère. Comme raretés, on peut citer le syndrome de
Les autres signes d’hypoxémie tels que tachy- Münchhausen (injection de colorant bleu) ou
cardie, tachypnée, dyspnée et altérations psy- une pénétration de couleur bleue dans la peau
chiques sont également équivoques et peu du fait d’habits qui déteignent. Dans la littéra-
fiables. Si on est à la recherche d’une hypox- ture ancienne, on a décrit quelques syndromes
émie, il est donc nécessaire de recourir à la pratiquement tombés dans l’oubli aujourd’hui.
gazométrie artérielle ou à la pulsoxymétrie. Il s’agit par exemple du syndrome de Stokvis-
L’importance de la cyanose réside donc aujour- Talma (méthémoglobinémie présente avant
d’hui dans la découverte d’hypoxémies non tout chez les petits enfants avec cyanose et diar-
suspectées cliniquement, qui nécessitent une rhée), du syndrome de Cassirer (acrocyanose
investigation ou un traitement immédiats. Dans prédominant aux membres supérieurs,
des situations cliniques particulières comme la troubles de la sensibilité, hyperesthésie,
troubles trophiques) et du syndrome de Curtius
(acrocyanose, cutis marmorata, hyperhydrose,
insuffisance ovarienne, constipation).
Tableau 1. Classification de la cyanose.

Cyanose vraie Quand une cyanose est-elle


cyanose hémoglobinique reconnaissable?
cyanose centrale
pulmonaire Peu après la première description d’une asso-
cardiaque ciation d’hypoxémie et de cyanose dans les
hypoxie hypobare pneumonies en 1919 [3], Lundsgaard et Van
Slyke ont publié une monographie classique [1]
cyanose périphérique
dans laquelle ils indiquaient la valeur de 5 g/dl
cardiaque (débit cardiaque diminué)
d’hémoglobine désoxygénée dans le sang capil-
altérations sanguines (cryoglobulinémie, laire comme limite permettant à la cyanose
polyglobulie)
d’apparaître. Ici, la quantité de sang oxygéné
choc joue un rôle secondaire. Etant donné que le
Correspondance: phénomène de Raynaud sang capillaire ne se prête que difficilement à
Dr Serge Elsasser livedo reticularis une mesure, bon nombre d’auteurs ont essayé
Leitender Arzt de corréler la saturation en oxygène du sang ar-
cyanose hémiglobinique
Medizinische Klinik tériel à l’apparition d’une cyanose. Ces travaux
SRO – Spital Langenthal méthémoglobinémie
avançaient des valeurs s’étendant de 95% à
St. Urbanstrasse 67 sulfhémoglobinémie
CH-4900 Langenthal 72%, en-dessous desquelles une cyanose cen-
Pseudocyanose trale doit être régulièrement reconnaissable. Il
s.elsasser@sro.ch apparaît que plus les valeurs proposées sont
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Figure 1. Apparition de la cyanose en fonction de la concentration d'hémoglobine


Apparition de cyanose en fonc-
18
tion de la concentration actuelle dHb 3,5
d’hémoglobine. Les trois courbes 17
montrent l’apparition de cyanose dHb 2,4
pour une hémoglobine désoxy- 16
génée de respectivement 1,5 g/dl, dHb 1,5
15
2,4 g/dl et 3,5 g/dl. Pour une hé-
moglobine de 12 g/dl, la cyanose 14
apparaît donc pour des valeurs
de saturation artérielle comprises 13
entre 88 et 71%.
12

11

10

6
100 95 90 85 80 75 70 65 60 55 50
SaO2

Figure 2.
Cyanose périphérique.
On notera la coloration
différente des lèvres et
de la langue.

élevées, plus les travaux sont anciens; ce qui cée par Lundsgaard et Van Slyke. Bien entendu,
laisse penser qu’au début, en plus d’une obser- la portion d’hémoglobine désoxygénée dépend
vation plus soigneuse des patients, bon nombre de la valeur absolue de l’hémoglobine. Pour une
de ces travaux incluaient de nombreux patients hémoglobine de 18 g/dl, les valeurs de satura-
avec polyglobulie secondaire. Dans deux tra- tion artérielle auxquelles la cyanose est visible
vaux des années 80, on a décrit des valeurs de sont comprises entre 92% (pour une Hb désoxy-
1,5 [4] à 3,48 g/dl [5] d’hémoglobine désoxygé- génée de 1,5 g/dl) et 81% (pour une Hb désoxy-
née comme limite à l’apparition clinique de la génée de 3,48 g/dl). La figure 1 montre la dé-
cyanose. Ici, la valeur de 3,48 g/dl d’hémoglo- pendance de l’apparition de la cyanose à la
bine artérielle désoxygénée est en bonne cor- quantité d’hémoglobine présente.
rélation avec la valeur capillaire de 5 g/dl avan-
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Figure 3.
Cyanose centrale. La langue
et les lèvres ont la même
coloration.

Figure 4.
Acrocyanose chez une patiente
atteinte d’un syndrome de
SHARP.

Diagnostic différentiel très bien observée en comparant la coloration


de la cyanose des lèvres avec celle de la langue: si la langue
et les lèvres présentent la même coloration
Il s’agit d’abord de différencier la cyanose cen- bleuâtre, il s’agit d’une cyanose centrale; si la
trale de la cyanose périphérique. Une cyanose langue n’est pas cyanosée alors que les lèvres
se limitant aux extrémités ou à une région cir- le sont, il s’agit d’une cyanose périphérique.
conscrite est toujours périphérique. La cyanose Une autre méthode consiste à réchauffer les
périphérique s’explique par une augmentation lobes de l’oreille jusqu’à la perception d’un
de l’extraction périphérique d’oxygène d’un pouls capillaire (c’est-à-dire que le sang soit ar-
sang normalement saturé. Dans le tableau 1, on térialisé). Si la cyanose persiste, il s’agit d’une
présente les raisons les plus importantes de la cyanose centrale et si elle disparaît, il s’agit
cyanose. En cas de cyanose centrale, non seu- d’une cyanose périphérique.
lement la peau mais aussi les muqueuses sont En faveur d’une cyanose centrale parlent aussi
de coloration bleutée. La différence peut être d’autres signes d’hypoxémie aiguë ou chro-
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nique tels que tachycardie et tachypnée (ceux-


Tableau 2. Causes fréquentes de cyanose centrale. ci pouvant d’ailleurs aussi être présents en cas
de cyanose périphérique induite par le froid),
Pulmonaire pneumonie les maladies cardiopulmonaires sévères aiguës
insuffisance respiratoire aiguë et chronique ou chroniques, ainsi que les doigts en baguette
syndrome de détresse respiratoire de l’adulte (SDRA)
de tambour et les ongles en verre de montre,
qu’on observe plus rarement.
BPCO, asthme bronchique
Evidemment, la cyanose peut être à la fois pé-
obstruction des voies respiratoires (apnées du sommeil,
riphérique et centrale, comme par exemple en
syndrome de Pickwick)
cas d’œdème pulmonaire ou de choc cardio-
embolie pulmonaire
gène. Les figures 2 à 4 montrent une cyanose
Cardiaque œdème pulmonaire périphérique, une cyanose centrale ainsi
choc cardiogène qu’une acrocyanose.
vices cardiaques congénitaux avec shunt droite-gauche On pense cliniquement à une pseudocyanose
Fistules artério-veineuses télangiectasies héréditaires lorsque la discoloration ne s’accompagne pas
pulmonaires de symptôme cardiopulmonaire et qu’à la pres-
Méthémoglobinémie exposition aux nitrates (nitroprussiate, sulfonamides, dapsone) sion la peau ne pâlit pas. Pour exclure une vraie
cyanose, il faudrait toujours pratiquer une
héréditaire (NADH, manque de méthémoglobine-réductase)
pulsoxymétrie ou une gazométrie artérielle, et
en cas de suspicion correspondante, doser la
méthémoglobine et la sulfhémoglobine.

Tableau 3. Causes du phénomène de Raynaud secondaire.


Cyanose centrale
Maladies auto-immunes sclérodermie
lupus érythémateux disséminé Une cyanose centrale se manifeste lorsque la
overlap-syndrom valeur de l’hémoglobine désoxygénée est de
5 g/dl dans le lit capillaire. Sauf en cas de poly-
dermatomyosite et polymyosite
globulie sévère, cette situation est régulière-
arthrite rhumatoïde
ment liée à une hypoxémie et à une désatura-
syndrome de Sjögren tion artérielle. En cas d’hypoxémie hypobare,
hypertension artérielle pulmonaire primaire c’est la diminution de la pression partielle
Infections hépatite B et C (souvent avec cryoglobulines) d’oxygène de l’air atmosphérique qui entraîne
mycoplasmes (avec agglutinines froides) l’hypoxémie. A 5000 mètres d’altitude, la pres-
Néoplasies lymphome
sion partielle d’oxygène atmosphérique est
d’encore 85 mm Hg et la pression partielle
myélome multiple
d’oxygène artériel de 50 mm Hg. Pour une
maladie de Waldenström
courbe de dissociation de l’hémoglobine nor-
polycythémie vraie male, ceci correspond à une saturation arté-
adénocarcinome du poumon rielle en oxygène d’environ 77%, ce qui exprime
Influences de l’environnement traumatisme vibratoire que 23% de l’hémoglobine reste désoxygénée.
chlorure de vinyle Pour une valeur de l’hémoglobine à 15 g/dl,
cette situation entraîne déjà une cyanose cen-
engelures
trale cliniquement manifeste.
exposition au plomb, à l’arsenic
En plaine et pour autant qu’il n’existe pas de
Métaboliques et acromégalie polyglobulie, une cyanose centrale n’apparaît
endocriniennes myxœdème qu’en cas d’hypoxémie. Physiopathologique-
diabète sucré ment, une hypoxémie normobare s’explique
phéochromocytome par quatre mécanismes [6, 7]:
Hématologique hémoglobinurie paroxystique nocturne – Hypoventilation alvéolaire [8]: ici, l’hyper-
capnie (PaCO2 >45 mm Hg ou 6,0 kPa) est
Médicamenteuses anticonceptionnels oraux
diagnostique. A côté d’une ventilation géné-
alcaloïdes de l’ergot de seigle
ralement réduite, un trouble très sévère de
bromocriptine la distribution peut aussi entraîner une hy-
b-bloquants poventilation alvéolaire. Une maladie pul-
cytostatiques monaire obstructive chronique sévère est la
cyclosporine cause la plus fréquente d’hypoventilation al-
interféron alpha
véolaire, et elle s’accompagne assez fré-
quemment d’une polyglobulie qui accentue
alors la cyanose. Les atteintes de la muscu-
lature respiratoire par intoxication ou mala-
die neuromusculaire (par ex. myasthénie
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nose, dont le plus fréquent est la tétralogie


Tableau 4. de Fallot. En cas de vice cardiaque avec
Producteurs de méthémoglobine. shunt gauche-droit persistant depuis long-
temps, une élévation de la résistance vascu-
Acétanilide laire pulmonaire peut entraîner un renver-
Aniline sement du shunt avec développement d’une
Arsenic
cyanose (syndrome d’Eisenmenger). Les fis-
tules artério-veineuses pulmonaires, congé-
Dérivés du benzol
nitales ou acquises, survenant ou disparais-
Chlorates
sant dans le cadre de télangiectasies hérédi-
Chloroquine taires, peuvent également entraîner un
Dapsone shunt droite-gauche. Dans les shunts fonc-
Dinitrophénol tionnels, il existe une forme extrême de
Lidocaïne déséquilibre entre ventilation et perfusion
Métoclopramide
où une partie du poumon est perfusée mais
non ventilée. Les maladies les plus fré-
Bleu de méthylène (!)
quentes entraînant une telle situation sont la
Nitrates et nitrites (y compris nitroglycérine) pneumonie [11], l’œdème pulmonaire et les
Nitrofuranes atélectasies. En cas d’hépatopathie sévère,
Nitroprussiate une hypoxémie peut également être causée
Paraquat par un shunt droit-gauche [12, 13]. Clinique-
Phénacétine ment, l’hypoxémie ne peut ici pratiquement
pas être corrigée par l’administration d’oxy-
Phénol
gène. En effet, la fonction pulmonaire n’est
Phénytoïne
pas améliorée par cette mesure et la venti-
Prilocaïne lation à l’oxygène pur ne permet d’obtenir
Primaquine une pression partielle d’oxygène qu’infé-
Inhalation de fumée rieure à 500 mm Hg (<66 kPa).
Sulfonamides – Trouble de la diffusion: une altération de la
Trinitrotoluol
diffusion à travers la membrane alvéolo-
capillaire entraîne une hypoxémie sans hy-
percapnie, en raison de la mauvaise solubi-
lité de l’oxygène par rapport à celle du CO2.
grave, sclérose latérale amyotrophique) sont Cliniquement, cette hypoxémie est souvent
plus rares. Le syndrome de Pickwick, en tant facilement corrigible par l’administration
que forme extrême du syndrome d’apnées d’oxygène en faible quantité. L’hypoxémie
du sommeil, entraîne également une hypo- dite de surcharge [14] est typique d’une ta-
ventilation alvéolaire. chycardie entraînant une diminution du
– Déséquilibre ventilation-perfusion [9]: le temps de contact au niveau de la membrane
rapport entre ventilation alvéolaire et perfu- alvéolo-capillaire. En clinique, on rencontre
sion capillaire est normalement de 0,8 (ven- les troubles de la diffusion lors de fibrose
tilation alvéolaire de 4 l/min pour débit car- pulmonaire, d’œdème pulmonaire intersti-
diaque de 5 l/min). Physiologiquement, il tiel, de pneumonie virale, de syndrome de
existe des variations basales et apicales, détresse respiratoire de l’adulte (SDRA), de
mais si les déséquilibres de ventilation-per- vasculite, de pneumoconiose, d’alvéolite al-
fusion régionaux dépassent un certain seuil, lergique et de complications du SIDA (pneu-
il en résulte une hypoxémie [10]. Le diagnos- monie à Pneumocystis carinii, pneumonie
tic différentiel étiologique comporte un lymphocytaire). Il va sans dire que ces
grand nombre de maladies cardiaques et quatre mécanismes physiopathologiques
pulmonaires. Les maladies vasculaires pul- peuvent se combiner.
monaires telles que l’embolie pulmonaire, la
vasculite pulmonaire ou l’hypertension ar- Le tableau 2 montre le sommaire des causes cli-
térielle pulmonaire primaire entraînent éga- niques les plus importantes de cyanose cen-
lement un déséquilibre ventilation-perfu- trale.
sion.
– Shunt droite-gauche: un shunt droite-
gauche peut être de nature anatomique ou Cyanose périphérique
fonctionnelle. Les shunts anatomiques n’en-
traînent de shunt droite-gauche que si la Une cyanose périphérique survient en raison
pression artérielle pulmonaire est supé- d’une diminution locale de la perfusion san-
rieure à la pression systémique. C’est bien guine. Celle-ci peut avoir pour origine une
le cas dans les vices congénitaux avec cya- cause locale ou systémique. La raison la plus
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Tableau 5. Arbre diagnostique décisionnel en cas de cyanose.

cyanose

oui

maladie concomitante? investigation dirigées selon


la maladie concomitante

non

gazométrie artérielle (évt pulsoxymétrie)

hypoxémie pas d’hypoxémie

cardiaque? bon état général


– thorax, échocardiographie – contrôle clinique
pulmonaire? état général réduit
– fonction pulmonaire, y.c. capacité de diffusion – maladie systémique?
embolie pulmonaire? mét-Hb, sulf-Hb?
– CT thorax

fréquente de la cyanose périphérique est certai- sente les causes les plus importantes du syn-
nement une vasoconstriction due à un air froid drome de Raynaud (secondaire).
ou de l’eau froide. Il s’agit là d’une réaction phy- Le livedo reticularis se présente comme une
siologique. discoloration réticulaire bleuâtre indolore des
Une diminution du flux sanguin veineux peut extrémités sur fond blanchâtre; le tronc peut
aussi entraîner une cyanose localisée. Clinique- rarement aussi être atteint. Le froid ou les
ment, il s’agit souvent d’une dilatation vei- stress psychiques constituent les facteurs dé-
neuse. Un débit cardiaque fortement diminué clenchant. Cliniquement, le phénomène ne se
(choc cardiogène, choc obstructif, choc sep- manifeste parfois qu’en position debout. Chez
tique tardif) entraîne une vasoconstriction cu- les patients alités, il faut distinguer la cutis mar-
tanée avec une redistribution de la circulation morata du livedo réticulaire: en élevant l’extré-
sanguine de la peau vers les organes internes. mité atteinte, le livedo réticulaire disparaît en
Dans une telle situation, une cyanose périphé- peu de temps, tandis que pour faire disparaître
rique avec une peau marbrée est un signe la cutis marmorata, il faut envelopper le
d’alarme. membre dans des linges chauds. Pour le livedo
Le phénomène de Raynaud [15] se distingue réticulaire, on distingue aussi une forme idio-
par un changement de coloration de blanc (is- pathique et une forme secondaire, cette der-
chémie) à bleuâtre (cyanose) et à rouge (hyper- nière étant associée à des maladies vaso-spas-
émie), où au moins un changement de colora- tiques telles que la migraine. Les causes du
tion doit être observé. Il est important de dis- livedo secondaire sont essentiellement les
tinguer ici entre phénomène de Raynaud pri- mêmes maladies que celles associées au phé-
maire et phénomène de Raynaud secondaire, nomène de Raynaud secondaire (tableau 3).
ce dernier étant associé à une maladie sous-ja- L’embolie de cholestérol («blue toe syndrom»)
cente; dans les pays anglo-saxons, on appelle le constitue cliniquement une cause importante
phénomène de Raynaud secondaire syndrome de cyanose périphérique [16, 17]. Une embolie
de Raynaud. Les caractéristiques du phéno- de cholestérol peut se manifester comme une
mène de Raynaud primaire sont une apparition maladie systémique après manipulation de
remontant à plus de deux ans sans autre mani- vaisseaux athéromateux (par ex. coronarogra-
festation ni autre symptôme. Le tableau 3 pré- phie, chirurgie vasculaire, traumatisme) ou
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sous anticoagulation. Les symptômes en sont Une cyanose généralisée bleu sombre avec une
un livedo réticulaire (dans 50% des cas), une pression partielle d’oxygène normale ou même
gangrène (35%), une acrocyanose (28%), un ul- supra-normale sous administration d’oxygène
cère (17%), un purpura (9%), de la fièvre, une doit absolument faire penser à une méthémo-
éosinophilie (70–80%). Selon la localisation de globinémie [18]. Dans l’hémoglobine normale,
l’embolie, celle-ci peut provoquer une insuffi- le fer se trouve à l’état bivalent (HbFe++) et seule
sance rénale, une ischémie mésentérique, une cette forme peut lier l’oxygène. Après avoir subi
pancréatite, un accident ischémique cérébral une oxydation chimique, le fer se trouve à l’état
transitoire (AIT), un ictus cérébral, une insuffi- trivalent (HbFe+++) et est alors incapable de lier
sance surrénalienne et elle peut aussi affecter l’oxygène; on appelle cette forme d’hémoglo-
les poumons. Un diagnostic correct est essen- bine la méthémoglobine. Les substances pro-
tiel, car dans cette situation une anticoagulation duisant de la méthémoglobine le font soit par
ou une lyse peuvent s’avérer délétères; par oxydation directe du fer, soit sont des subs-
contre, il y a des indices qu’un traitement aux tances fortement réductrices qui réduisent
statines pourrait améliorer le pronostic. l’oxygène en O2– ou l’eau en H2O2, lesquels ré-
Un aperçu extensif peut être téléchargé sur In- duisent ensuite le fer. En clinique, la méthémo-
ternet globine est le plus fréquemment produite par
(http://www.emedicine.com/DERM/topic628.h des médicaments (surtout nitrates et dapsone).
tm). Le tableau 4 présente un choix de producteurs
connus de méthémoglobine. Le diagnostic est
posé à l’aide d’un cooximètre. Il s’agit d’un
spectrophotomètre simplifié avec au moins
quatre sources lumineuses. Le pulsoxymètre
n’utilise que deux sources lumineuses et ne
Quintessence peut donc pas identifier la méthémoglobine; en
effet, en cas de méthémoglobinémie, la valeur
 Face aux technologies modernes, la cyanose a certainement perdu de donnée par cet appareil tend vers 85% indépen-
l’importance pour l’évaluation des maladies cardio-pulmonaires, mais elle damment de la saturation réelle. Les valeurs de
reste un signe d’alarme d’une menace de décompensation qui doit être saturation données par la gazométrie artérielle
pris au sérieux. Une cyanose périphérique, bien que la plupart du temps usuelle ne reflètent pas non plus la valeur réelle
de nature bénigne, peut cependant constituer un des premiers signes en cas de méthémoglobinémie et celle-ci doit
d’une pathologie grave (maladie auto-immune, vasculite, embolie de être calculée. Une orientation grossière est ce-
cholestérol, méthémoglobinémie). pendant possible au lit du malade: on recueille
une à deux gouttes de sang sur un papier-filtre.
 Une cyanose centrale se manifeste lorsque la valeur de l’hémoglobine
En cas de méthémoglobinémie, le papier prend
désoxygénée est de 5 g/dl dans le lit capillaire. Sauf en cas de polyglobulie
une coloration brun sombre (comme du choco-
sévère, cette situation est régulièrement liée à une hypoxémie et à une
lat), tandis que le sang désoxygéné colore le pa-
désaturation artérielle. Une cyanose périphérique survient en raison d’une
pier en bleu sombre à violet. L’adjonction pru-
diminution locale de la perfusion sanguine.
dente d’oxygène rend le sang désoxygéné plus
 Les causes les plus importantes pour une cyanose centrale sont une hypo- clair, tandis que la couleur de la méthémoglo-
ventilation alvéolaire comme une maladie pulmonaire obstructive chro- bine ne change pas. La réponse au traitement
nique sévère ou une pneumonie, une déséquilibre ventilation-perfusion d’urgence par le bleu de méthylène et oxygène
comme un choc cardigène, un shunt droite-gauche et des troubles de la dif- renforce encore le diagnostic. Devant un ta-
fusion comme une fibrose pulmonaire et l’œdème pulmonaire interstitiel. bleau clinique de méthémoglobinémie avec une
méthémoglobine normale, il faut rechercher
 Les causes les plus importantes pour une cyanose périphérique sont une
une sulfhémoglobinémie, qui est plus rare [19].
vasoconstriction due au froid – sans valeur morbide. Dans une situation
Ce qui a été exposé ci-dessus peut être schéma-
de choc cardiogène ou choc obstructif, une cyanose périphérique avec une
tiquement représenté dans le tableau 5 qui es-
peau marbrée est un signe d’alarme. Aussi un phénomène de Raynaud, un
quisse un arbre diagnostique décisionnel. Il
livedo reticularis ou une embolie de cholestérol constituent cliniquement
faut ici remarquer que la carboxyhémoglobine
une cause importante de cyanose périphérique.
n’est pas saisie au moyen de la pulsoxymétrie,
 Une cyanose généralisée bleu sombre avec une pression partielle d’oxy- tandis qu’en cas de méthémoglobinémie, la puls-
gène normale ou même supra-normale sous administration d’oxygène doit oxymétrie donne une valeur proche de 85%.
absolument faire penser à une méthémoglobinémie. Celle-ci est le plus En cas de doute, il faut donc toujours procéder
fréquemment produite par des médicaments (surtout nitrates et dapsone). à une gazométrie artérielle et la méthémoglo-
bine doit être directement mesurée.
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Références
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