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Cyanose
Serge Elsasser
11
10
6
100 95 90 85 80 75 70 65 60 55 50
SaO2
Figure 2.
Cyanose périphérique.
On notera la coloration
différente des lèvres et
de la langue.
élevées, plus les travaux sont anciens; ce qui cée par Lundsgaard et Van Slyke. Bien entendu,
laisse penser qu’au début, en plus d’une obser- la portion d’hémoglobine désoxygénée dépend
vation plus soigneuse des patients, bon nombre de la valeur absolue de l’hémoglobine. Pour une
de ces travaux incluaient de nombreux patients hémoglobine de 18 g/dl, les valeurs de satura-
avec polyglobulie secondaire. Dans deux tra- tion artérielle auxquelles la cyanose est visible
vaux des années 80, on a décrit des valeurs de sont comprises entre 92% (pour une Hb désoxy-
1,5 [4] à 3,48 g/dl [5] d’hémoglobine désoxygé- génée de 1,5 g/dl) et 81% (pour une Hb désoxy-
née comme limite à l’apparition clinique de la génée de 3,48 g/dl). La figure 1 montre la dé-
cyanose. Ici, la valeur de 3,48 g/dl d’hémoglo- pendance de l’apparition de la cyanose à la
bine artérielle désoxygénée est en bonne cor- quantité d’hémoglobine présente.
rélation avec la valeur capillaire de 5 g/dl avan-
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Figure 3.
Cyanose centrale. La langue
et les lèvres ont la même
coloration.
Figure 4.
Acrocyanose chez une patiente
atteinte d’un syndrome de
SHARP.
cyanose
oui
non
fréquente de la cyanose périphérique est certai- sente les causes les plus importantes du syn-
nement une vasoconstriction due à un air froid drome de Raynaud (secondaire).
ou de l’eau froide. Il s’agit là d’une réaction phy- Le livedo reticularis se présente comme une
siologique. discoloration réticulaire bleuâtre indolore des
Une diminution du flux sanguin veineux peut extrémités sur fond blanchâtre; le tronc peut
aussi entraîner une cyanose localisée. Clinique- rarement aussi être atteint. Le froid ou les
ment, il s’agit souvent d’une dilatation vei- stress psychiques constituent les facteurs dé-
neuse. Un débit cardiaque fortement diminué clenchant. Cliniquement, le phénomène ne se
(choc cardiogène, choc obstructif, choc sep- manifeste parfois qu’en position debout. Chez
tique tardif) entraîne une vasoconstriction cu- les patients alités, il faut distinguer la cutis mar-
tanée avec une redistribution de la circulation morata du livedo réticulaire: en élevant l’extré-
sanguine de la peau vers les organes internes. mité atteinte, le livedo réticulaire disparaît en
Dans une telle situation, une cyanose périphé- peu de temps, tandis que pour faire disparaître
rique avec une peau marbrée est un signe la cutis marmorata, il faut envelopper le
d’alarme. membre dans des linges chauds. Pour le livedo
Le phénomène de Raynaud [15] se distingue réticulaire, on distingue aussi une forme idio-
par un changement de coloration de blanc (is- pathique et une forme secondaire, cette der-
chémie) à bleuâtre (cyanose) et à rouge (hyper- nière étant associée à des maladies vaso-spas-
émie), où au moins un changement de colora- tiques telles que la migraine. Les causes du
tion doit être observé. Il est important de dis- livedo secondaire sont essentiellement les
tinguer ici entre phénomène de Raynaud pri- mêmes maladies que celles associées au phé-
maire et phénomène de Raynaud secondaire, nomène de Raynaud secondaire (tableau 3).
ce dernier étant associé à une maladie sous-ja- L’embolie de cholestérol («blue toe syndrom»)
cente; dans les pays anglo-saxons, on appelle le constitue cliniquement une cause importante
phénomène de Raynaud secondaire syndrome de cyanose périphérique [16, 17]. Une embolie
de Raynaud. Les caractéristiques du phéno- de cholestérol peut se manifester comme une
mène de Raynaud primaire sont une apparition maladie systémique après manipulation de
remontant à plus de deux ans sans autre mani- vaisseaux athéromateux (par ex. coronarogra-
festation ni autre symptôme. Le tableau 3 pré- phie, chirurgie vasculaire, traumatisme) ou
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sous anticoagulation. Les symptômes en sont Une cyanose généralisée bleu sombre avec une
un livedo réticulaire (dans 50% des cas), une pression partielle d’oxygène normale ou même
gangrène (35%), une acrocyanose (28%), un ul- supra-normale sous administration d’oxygène
cère (17%), un purpura (9%), de la fièvre, une doit absolument faire penser à une méthémo-
éosinophilie (70–80%). Selon la localisation de globinémie [18]. Dans l’hémoglobine normale,
l’embolie, celle-ci peut provoquer une insuffi- le fer se trouve à l’état bivalent (HbFe++) et seule
sance rénale, une ischémie mésentérique, une cette forme peut lier l’oxygène. Après avoir subi
pancréatite, un accident ischémique cérébral une oxydation chimique, le fer se trouve à l’état
transitoire (AIT), un ictus cérébral, une insuffi- trivalent (HbFe+++) et est alors incapable de lier
sance surrénalienne et elle peut aussi affecter l’oxygène; on appelle cette forme d’hémoglo-
les poumons. Un diagnostic correct est essen- bine la méthémoglobine. Les substances pro-
tiel, car dans cette situation une anticoagulation duisant de la méthémoglobine le font soit par
ou une lyse peuvent s’avérer délétères; par oxydation directe du fer, soit sont des subs-
contre, il y a des indices qu’un traitement aux tances fortement réductrices qui réduisent
statines pourrait améliorer le pronostic. l’oxygène en O2– ou l’eau en H2O2, lesquels ré-
Un aperçu extensif peut être téléchargé sur In- duisent ensuite le fer. En clinique, la méthémo-
ternet globine est le plus fréquemment produite par
(http://www.emedicine.com/DERM/topic628.h des médicaments (surtout nitrates et dapsone).
tm). Le tableau 4 présente un choix de producteurs
connus de méthémoglobine. Le diagnostic est
posé à l’aide d’un cooximètre. Il s’agit d’un
spectrophotomètre simplifié avec au moins
quatre sources lumineuses. Le pulsoxymètre
n’utilise que deux sources lumineuses et ne
Quintessence peut donc pas identifier la méthémoglobine; en
effet, en cas de méthémoglobinémie, la valeur
Face aux technologies modernes, la cyanose a certainement perdu de donnée par cet appareil tend vers 85% indépen-
l’importance pour l’évaluation des maladies cardio-pulmonaires, mais elle damment de la saturation réelle. Les valeurs de
reste un signe d’alarme d’une menace de décompensation qui doit être saturation données par la gazométrie artérielle
pris au sérieux. Une cyanose périphérique, bien que la plupart du temps usuelle ne reflètent pas non plus la valeur réelle
de nature bénigne, peut cependant constituer un des premiers signes en cas de méthémoglobinémie et celle-ci doit
d’une pathologie grave (maladie auto-immune, vasculite, embolie de être calculée. Une orientation grossière est ce-
cholestérol, méthémoglobinémie). pendant possible au lit du malade: on recueille
une à deux gouttes de sang sur un papier-filtre.
Une cyanose centrale se manifeste lorsque la valeur de l’hémoglobine
En cas de méthémoglobinémie, le papier prend
désoxygénée est de 5 g/dl dans le lit capillaire. Sauf en cas de polyglobulie
une coloration brun sombre (comme du choco-
sévère, cette situation est régulièrement liée à une hypoxémie et à une
lat), tandis que le sang désoxygéné colore le pa-
désaturation artérielle. Une cyanose périphérique survient en raison d’une
pier en bleu sombre à violet. L’adjonction pru-
diminution locale de la perfusion sanguine.
dente d’oxygène rend le sang désoxygéné plus
Les causes les plus importantes pour une cyanose centrale sont une hypo- clair, tandis que la couleur de la méthémoglo-
ventilation alvéolaire comme une maladie pulmonaire obstructive chro- bine ne change pas. La réponse au traitement
nique sévère ou une pneumonie, une déséquilibre ventilation-perfusion d’urgence par le bleu de méthylène et oxygène
comme un choc cardigène, un shunt droite-gauche et des troubles de la dif- renforce encore le diagnostic. Devant un ta-
fusion comme une fibrose pulmonaire et l’œdème pulmonaire interstitiel. bleau clinique de méthémoglobinémie avec une
méthémoglobine normale, il faut rechercher
Les causes les plus importantes pour une cyanose périphérique sont une
une sulfhémoglobinémie, qui est plus rare [19].
vasoconstriction due au froid – sans valeur morbide. Dans une situation
Ce qui a été exposé ci-dessus peut être schéma-
de choc cardiogène ou choc obstructif, une cyanose périphérique avec une
tiquement représenté dans le tableau 5 qui es-
peau marbrée est un signe d’alarme. Aussi un phénomène de Raynaud, un
quisse un arbre diagnostique décisionnel. Il
livedo reticularis ou une embolie de cholestérol constituent cliniquement
faut ici remarquer que la carboxyhémoglobine
une cause importante de cyanose périphérique.
n’est pas saisie au moyen de la pulsoxymétrie,
Une cyanose généralisée bleu sombre avec une pression partielle d’oxy- tandis qu’en cas de méthémoglobinémie, la puls-
gène normale ou même supra-normale sous administration d’oxygène doit oxymétrie donne une valeur proche de 85%.
absolument faire penser à une méthémoglobinémie. Celle-ci est le plus En cas de doute, il faut donc toujours procéder
fréquemment produite par des médicaments (surtout nitrates et dapsone). à une gazométrie artérielle et la méthémoglo-
bine doit être directement mesurée.
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