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Le motet au XIIIe siècle (ou motet de l’Ars antiqua)

Le motet est un genre qui apparaît dans le 1er tiers du XIIIe siècle. La première génération de
motets est directement liée à l’organum car le motet à ce moment-là est le trope d’une
clausule d’organum.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Le sens du motet :

Reprenez l’organum Alleluia Nativitas (dans le manuscrit Montpellier H196 qui est plus lisible) :

- allez dans le verset, sur la clausule Ex semine (fascicule du cours 7, page 26, folio 11r du
manuscrit : la clausule commence aux trois voix sur le mot « ex » et s’achève au verso du folio, au
premier système, sur le troisième Sol de la teneur (juste avant le « A » de « Abrahe »).

- comme on l’a vu plus haut, la clausule est cette partie de l’organum (dans le verset) dans laquelle
le rythme de la teneur est mesuré et plus rapide, se rapprochant du rythme des voix de double et
de triple.

- cette clausule a été tropée. Nous avons vu dans le cours 7 ce qu’est un trope :

- c’est l’ajout d’un texte à une mélodie parfois préexistante, à raison d’une syllabe par note
 un chant mélismatique, lorsqu’il est tropé il devient syllabique

- au plan poétique, c’est une glose, un commentaire du texte sur lequel il s’appuie

- un motet, c’est donc :

- l’ajout d’un texte poétique à la voix de double

- l’ajout d’un autre texte poétique à la voix de triple

- le motet est donc obligatoirement pluri-textuel : au XIIIe siècle, le motet a autant de


textes différents que de voix dans la polyphonie (2, 3 ou 4)

- ces deux textes sont adaptés aux mélodies de manière syllabique

- ces deux textes sont chacun un commentaire du texte porté par le teneur, ici : « ex
semine », c’est-à-dire « sans semence » qui a un double sens : le premier est relatif au fait que la
Vierge a enfanté le Christ « sans semence » (sans intervention d’un homme), le second a le sens
de « lignée » (la Vierge est issue de la lignée d’Abraham). Dans le motet, vous remarquerez que les
deux textes commencent par « Ex semine » et finit par « semine » : il s’agit donc de deux
véritables tropes  entre les deux occurrences du mot originel (au début et à la fin), on crée tout
un commentaire, une glose qui développe, explique, précise, interprète. Plus largement les textes

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du double et du triple glosent la pièce liturgique dans son entier, Alleluia Nativitas, dédié à la fête
de la Nativité de la Vierge.

autrement dit :

- contrairement à ce que les musicologues « anciens » (comme Yvonne Rokseth  voir citation
page 1 sur 5) ont écrit pendant longtemps : au point de vue sémantique, tous les textes d’un
motet sont en lien. Ils développent un seul et même discours. Les textes des parties de double,
de triple et de quadruple lorsqu’il y en a un, sont toujours des commentaires du texte et de la
pièce de la teneur.

- pour comprendre le sens « global » d’un motet, il faut reconnaître la teneur (savoir de quelle
pièce liturgique la teneur est extraite).

En somme, et c’est l’aspect le plus passionnant du motet (jusqu’à la fin du Moyen Âge) :

- chaque texte du motet porte son sens

- mais chaque texte se lit et s’entend à plusieurs niveaux de sens : ceci est la caractéristique de la
poésie médiévale (comme de l’exégèse biblique) : un texte a au moins deux niveaux de sens : le
sens littéral et le sens allégorique. Il peut avoir jusqu’à quatre niveaux de sens : sens littéral,
allégorique, moral, anagogique. Le plaisir de celui qui entend la poésie, est de chercher et
découvrir (ou se créer) les différents niveaux de sens  voir citation d’Umberto Eco page 3 sur 5
et celle d’Alain de Libéra page 2 sur 5.

- chaque texte fait sens par rapport à celui de la teneur

- le motet a un sens global, développé par l’ensemble des textes et de leurs sens.

Les langues du motet :

Ce motet, appartenant à la première génération des motets issus d’une clausule d’organum, est
entièrement en latin. Toutefois, rapidement, la langue française (la langue d’Oïl) sera utilisée pour
les voix de double et de triple, notamment pour les texte d’amour courtois, au-dessus d’une
teneur latine.

Il arrive même que des motets superposent à une teneur latine, un double latin et un triple
français.

 autrement-dit, le motet en plus d’être pluri-textuel, peut être pluri-linguiste.

Quelques motets sont composés non pas sur une teneur liturgique, mais sur une chanson profane
(rondeau). Quelques exemples sont attribués à Adam de la Halle (trouvère arrageois de la fin du
XIIIe siècle). Dans ce cas, la teneur est bien sûr en langue d’Oïl (ancien français).

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Le rythme du motet :

Chacune des voix du motet est notée dans un des 6 modes rythmiques.

- Il arrive que les voix soient toutes notées dans le même mode  cela se trouve plus
fréquemment dans les motets les plus anciens

- le plus souvent, chaque voix est notée dans un mode rythmique différent  le motet est de la
polymélodie il faut entendre « polyphonie » dans le sens de « polymélodie »  on ne construit
pas des accords pour les enchaîner comme vous apprenez en harmonie, ici (durant tout le Moyen
Âge) on superpose des mélodies. Chaque voix (teneur, double, triple, voire quadruple) est
chantable individuellement (contrairement à la polyphonie de la Renaissance, dans laquelle les
voix intermédiaires ne sont pas mélodies, elles n’ont aucun intérêt mélodique, elles sont un
« remplissage » harmonique).

- généralement, une voix est notée dans un seul mode rythmique. Il arrive qu’une voix change de
mode rythmique, mais c’est rare. Il faut dire qu’un motet au XIIIe siècle est une pièce très brève,
qui ne dure qu’une à deux minutes.

La notation du motet :

Globalement, on peut dire que le motet au XIIIe siècle est noté selon la notation franconienne.
Toutefois :

- les motets les plus anciens sont dits en notation « pré-franconienne ». Certaines précisions de la
notation franconienne n’existent pas encore, et les teneurs sont en notation modale.

- les motets les plus récents (début XIVe s.) sont dits en notation pétronienne, du nom du
musicien et théoricien Pierre de la Croix. Dans ses motets, la voix de triple n’est plus en notation
franconienne. Nous verrons cela sans doute en L3.

Vous devez donc vous référer au tableau où j’ai présenté la notation franconienne – que je
redonne dans ce fascicule – et au traité de Francon de Cologne que je joins au dossier. Voyez
aussi l’ouvrage de Willi Appel (dans le dossier Polyphonie du Cours 7).

Le motet est un genre – qui revêt sans doute plusieurs fonctions possibles (voir ci-dessous) –
mais n’est pas une forme : il est polymorphe par nature, chaque motet adapte sa forme à ses
textes  voir citation d’Olivier Cullin page 1 sur 5.

Fonction(s) du motet :

Les motets portant des textes latins ou français, développant des thématiques religieuses,
courtoises ou satiriques, ses fonctions sont sans doute multiples, mais toujours liées au milieu
clérical. Seuls les clercs pratiquent la liturgie, la poésie religieuse, la poésie courtoise (ils sont les

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auteurs des traités d’amour courtois), la poésie satirique (qui fustige les dysfonctionnement de la
société) : les motets sont écrits et composés par des clercs, pour les divertissements de ces mêmes
clercs  c’est que qu’écrit clairement Johannes de Grocheio (Jean de Grouchy), théoricien de
la musique parisien de la fin du XIIIe siècle  voir citation page 1 sur 5

Certains motets ont pu être chantés à l’église, puisque l’évêque Guillaume Durand de Mende
au début du XIVe siècle demandera de ne plus chanter à l’église des motets aux paroles
inappropriées » : c’est donc qu’on le faisait  voir citation page 1 sur 5

Le motet apparaît comme un jeu. Un jeu sur les registres poétiques, sur le sens, sur les niveaux de
sens. Un jeu, mais un jeu savant. Les clercs semblent s’amuser de leurs savoir et de leur virtuosité
poétique et musicale  voir à ce sujet l’article publié par Isabelle Fabre et moi-même, déposé
dans le dossier.

Les sources du motet du XIIIe siècle :

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Exemple 1 : le motet Ex semine rosa/Ex semine Abrahe/Ex semine

pour nommer un motet, on donne l’incipit de chacune des voix en partant de la plus aiguë
jusqu’à la teneur, et en mettant un slash entre chaque incipit. Cela permet de savoir d’un seul
coup d’œil :

- le nombre de voix,
- la ou les langues du motet,
- voire la ou les thématiques poétiques développées.

Vous trouverez ci-dessous :

- le motet Ex semine rosa/Ex semine Abrahe/Ex semine tel qu’il est conservé dans le manuscrit de
Montpellier BIU Médecine, H 196, f. 100v-101r

- la transcription diplomatique que j’en ai faite : j’ai conservé la même notation en superposant les
voix et en résolvant les ligatures.

- la transcription (vieillotte) produite par Yvonne Rokseth, première éditrice du manuscrit dans
les années 1940.

Voici les textes du motet :


Triple :
Ex semine Abrahe, De la semence d’Abraham,
Divino moderamine, Sous la conduite divine,
Igne pio numine, Par le feu de ta sainte volonté,
Producis Domine Tu produis, Seigneur,
Hominis salutem, Le salut de l’homme,
Paupertate nuda, Dans la pauvreté pure et simple,
Virginis nativitatem La nativité de la Vierge,
De tribu Juda ; Issue de la tribu de Juda ;
Iam propinas ovum Voici que tu présentes l’œuf
Per natale novum ; Par une naissance nouvelle ;
Piscem panem dabis Tu donneras poisson et pain
Partu sine semine. Par un enfantement sans semence.

Double :
Ex semine De la semence
Rosa prodit spine ; De l’épine la rose paraît ;
Fructus olee Le fruit de l’olive
Oleastro legitur ; Est cueilli du sauvage olivier ;
Virgo propagine La Vierge naît,
Nascitur Iudee ; Rejeton de la Judée ;
Stella matutine De l’étoile du matin
Radius exoritur Un rayon jaillit,
Nubis caligine Dans l’épaisseur de la nuée,
Radio sol stelle Le soleil du rayon de l’étoile ;
Petra fluit melle La pierre ruisselle de miel ;
Parit flos puelle La fleur de la jeune-fille enfante
Verbum sine semine. Le Verbe sans semence.

Teneur : Ex semine Sans semence.

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Comment se lisent ces folios ?

Les lettrines enluminées indiquent le début de chaque voix d’un nouveau motet.

Folio 100v :
- Voix de triple Ex semine rosa… (ce qui précède est la fin du motet précédent)
- Portée du bas : la teneur débute au niveau de la lettrine sur le « E » de Ex semine (ce qui précède
est la fin de la teneur du motet précédent)

Folio 101r :
- Voix de double Ex semine Abrahe…
- Portée du bas : suite et fin de la teneur.

Les motets ne sont jamais « mis en partition », c’est-à-dire en superposant les voix comme pour
l’organum. Les motets sont toujours copiés en parties séparées : les voix les unes à côté des
autres.

Modes rythmiques :

- Triple : 1er mode rythmique


- Double : 1er mode rythmique
- Teneur : 1er mode rythmique

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