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IMAGERIE DES FORMATIONS

KYSTIQUES CONGENITALES
CERVICALES

Madoz A, Frampas E, Gayet-Delacroix M, Liberge R, Dupas B.


Service central de radiologie et imagerie médicale
CHU de NANTES
Hôtel Dieu, 1 place Alexis Ricordeau – 44093 NANTES Cedex1
Les formations kystiques cervicales
congénitales forment une entité courante
mais méconnue dans la pratique
radiologique quotidienne. Leur
identification s’avère assez aisée sous
réserve d’une bonne connaissance des
grandes lignes de l’embryologie cervicale à
partir de laquelle est fondée leur
classification.
Sommaire

• Rappel embryologique

• kystes cervicaux médians


– kyste (épi)dermoïde
– kyste du tractus thyréo-glosse

• kystes cervicaux latéraux


– kyste du 1er arc branchial
– kyste du 2nd arc branchial
– kyste du 3ème arc branchial
– kyste du 4ème arc branchial
– kyste thymique
Rappel embryologique

L’appareil branchial est à l’origine du développement de la


tête et du cou, plus particulièrement de la région latéro-
cervicale. Les arcs branchiaux apparaissent aux 4ème et
5ème semaines du développement embryonnaire. Ils se
situent latéralement, en arrière et sous le tube neural qui va
s’enrouler, progressant symétriquement de part et d’autre
de l’intestin pharyngien.
Coupe coronale -vue antérieure-
des arcs branchiaux à 5 semaines
• L’appareil branchial est formé de 6 arcs (épaississements
mésodermiques) dont 4 principaux, séparés les uns des
autres par des « sillons » ectobranchiaux en surface (4),
des « poches » entobranchiales sur le versant pharyngien
(5).

• Le 2nd arc va se développer, s’hypertrophier et venir


totalement recouvrir la face externe des 2ème, 3ème et
4ème arcs, délimitant une cavité ectoblastique temporaire
appelée « sinus cervical de His ». Celui-ci va se résorber
pour donner l’aspect extérieur uniforme du segment
cervical.

• Les dérivés des poches entobranchiales vont alors migrer


vers leurs positions finales.
Evolution du sinus cervical
(1,2,3,4: arcs branchiaux; I,II,III,IV: sillons ectobranchiaux;
I,II,III,IV:poches entobranchiales)
Dérivés embryologiques de l ’appareil
branchial

Des structures spécifiques dérivent de chaque arc


(mesoderme) , sillon (ectoderme) et poche (endoderme)
Sillon ectoblastique Conduit auditif externe
Arc : cartilage de Meckel Squelette de la face (enclume, marteau,
1 ARC
er maxillaire, malaire,mandibule…)
BRANCHIAL Muscles masticateurs, ventre ant.
Digastrique, mylo-hyoïdien…
Innervation : V
Poche entoblastique Oreille moyenne, trompe d’eustache

Sillon ectoblastique
Arc: cartilage de Reichert Etrier, apophyse styloïde, petite corne
2nd ARC de l’os hyoïde
BRANCHIAL Muscles de l’arc hyoïdien
Innervation: VII
Poche entoblastique Loge amygdalienne

Sillon ectoblastique

3ème ARC Arc Corps et grande corne de l’os hyoïde


BRANCHIAL Muscle stylo-pharyngien, langue
Innervation : IX
Poche entoblastique Thymus et glande para-thyroïde
inférieure

Sillon ectoblastique

4ème,6ème ARCS Arc Cartilages thyroïde, cricoïde,


BRANCHIAUX aryténoïdes
Innervation : X
Poche entoblastique Glande para-thyroïde supérieure
Cartilage de Meckel

Cartilage de Reichert

Evolution des cartilages des arcs branchiaux


Arcs aortiques
• L’anatomie vasculaire de l’appareil branchial permet de
comprendre et de classer les anomalies des 2nd, 3ème et
4ème arcs. Dans chaque arc branchial, un arc aortique
connecte l’aorte dorsale avec l’aorte ventrale. Sur les 6
arcs (de chaque côté), les 1er, 2ème et 5ème vont involuer.
• Le 3ème arc devient la portion proximale de l’artère
carotide interne (ACI), le 4ème arc devient l’artère sous-
clavière à droite, la crosse de l ’aorte à gauche.
• Un kyste ou fistule du 2nd arc sera donc situé entre ACI et
ACE alors qu’un kyste ou fistule du 3ème arc sera situé
derrière l’ACI ou l’Artère Carotide Commune.
A ORTE DO RS ALE
G AU CH E Arcs branchiaux (1 à 6) A .carotide A .carotide
int. ext. Arcs branchiaux (1 à 6)

I I
II
II
II I II I
IV
IV aorte
V V

VI VI
A .s ous- clavière A .pu lmon aire
A ORTE DO RS ALE
D ROI TE

5ème semaine de développement Système artériel définitif

Schéma des arcs aortiques et de leurs rapports


avec les arcs branchiaux
Embryopathogénie

• La résorption incomplète de l’appareil branchial


(notamment le recouvrement incomplet des 3ème et 4ème
arcs par le second) pendant l’embryogénèse avec
persistance d’un canal, fistule ou kyste est la théorie la plus
communément admise.

• La persistance d’inclusion ecto ou endodermique au sein


du mésoderme peut être également à l’origine d’une
anomalie.
• 3 types d’anomalies potentielles à chaque niveau

– fistule (fait communiquer la filière aéro-digestive avec


l’extérieur)

– sinus (« poche » ouverte à l’extérieur)

– kyste (sans communication avec l’extérieur comme


avec l’intérieur)
Le Tractus thyréo-glosse

• A la 3ème semaine de développement, le corps thyroïde


apparaît au niveau du foramen caecum puis s’enfonce dans
le mésoblaste et migre en avant de l’intestin pharyngien, de
l’os hyoïde, du larynx tout en restant en connexion par la
canal thyréo-glosse avec le foramen caecum.

• Les kystes du tractus thyréoglosse siègent sur la ligne


médiane, en tout point du trajet de migration du corps
thyroïde
Kystes du tractus thyréo-glosse
Kystes et fistules médians
1) Kyste dermoïde,
kyste épidermoïde
• Inclusion ectodermique dans le mésenchyme résultant d’un
trouble de coalescence des structures branchiales (1er et
2nd arcs) sur la ligne médiane (« dysraphie cervico-
faciale »)
• localisation la plus fréquente: plancher de la cavité
buccale, sur la ligne médiane
• clinique: tuméfaction médiane molle, souvent indolore,
comblant le plancher buccal chez un homme de 30 ans (5-
50 ans)
• lésion bénigne, restant silencieuse pendant plusieurs
années
• traitement: résection chirurgicale
Diagnostic radiologique

• Plancher de la cavité buccale +++ (ou ligne médiane


depuis la racine du nez jusqu ’à la fourchette sternale)
• lésion kystique, parois fines
• CT: densité liquidienne, parfois composante graisseuse ou
calcifications, sans composante tissulaire
• IRM:
– dermoïde: Hyper T1 (focal ou diffus), hyper T2
– epidermoïde: hypo T1 (hyper T1 si riche en protides),
hyper T2
Kyste dermoïde sus-sternal
Diagnostic différentiel

• Kyste du tractus thyréo-glosse: ligne médiane entre f.


caecum et os hyoïde, sans graisse ni calcification

• lymphangiome: multiloculaire

• ranula: lateralisé
2) Kystes du tractus thyréo-glosse (TTG)
• Kyste congénital cervical le plus fréquent (90%) - 7% de la
population a un kyste du TTG (autopsies)-
• Trajet médian depuis le foramen caecum jusqu’à la
pyramide de Lalouette
• l’involution incomplète du canal est à l’origine de kyste sur
son trajet
• le canal passe en avant de l’os hyoïde mais peut le
contourner en dessous et remonter en arrière de lui
• clinique:
– découverte au décours d ’un épisode infectieux ou d ’une
fistulisation
– nodule médian, ferme, mobile
– 50% au niveau de l ’os hyoïde, 25% supra-hyoïdien, 25% infra-
hyoïdien
– 90% avant 10 ans
Diagnostic radiologique

• Formation nodulaire (para-)médiane située le long du


TTG, enchâssée dans les muscles para ou infra-hyoïdiens

• TDM: formation kystique

• IRM: hypo T1, hyper T2

S’assurer de l’existence d’une thyroïde eutopique


Kyste du tractus thyréo-glosse
Kyste du tractus thyréo-glosse surinfecté
Diagnostic différentiel

• Adénite (ganglion délphien), abcès de l’espace sub-lingual


(prise de contraste pariétale marquée), lésion non
enchâssée mais refoulant les muscles

• kyste (epi)dermoïde

• thyroïde linguale (prise de contraste)

• laryngocèle
Kystes cervicaux latéraux
1) Kyste du 1er arc branchial
Embryopathogénie
– <10% des anomalies branchiales
– le 1er arc se différencie en conduit auditif externe,
marteau et enclume, squelette du massif facial, trompe
d’eustache. Ce processus s’achève vers la 7ème
semaine et les éventuels vestiges branchiaux sont déjà
présents.
– La glande parotide finit de se former vers la 8ème
semaine (d’où la potentielle localisation
intraparotidienne d’un vestige branchial)
– histologie: différenciation à type d’annexes cutanées et
dérivés cartilagineux
• Les kystes se développent dans la parotide et sont
radiologiquement aspécifiques en l’absence de fistule

• l’orifice externe des fistules est situé dans le triangle de


Poncet (CAE, bord basilaire de la mandibule et os hyoïde)

• l’orifice interne est situé sur le plancher du CAE

• le trajet de la fistule est parallèle au CAE, en dehors des


vaisseaux carotidiens
Clinique

• Découvert avant 10 ans le plus souvent

• infection révélatrice: masse pré-auriculaire, molle,


compressible, parfois douloureuse
Diagnostic radiologique

• Kyste ovale ou rond dans la parotide, la loge parotidienne


ou l’espace parapharyngé

• trajet fistuleux parallèle au CAE


– type 1: périauriculaire
– type 2: loge parotidienne, espace parapharyngé
Kyste du 1er arc branchial
de localisation intra-parotidienne
(IRM; pondération T2)
Fistule du 1er arc branchial
(IRM; pondération T2).
Les flèches rouges montrent le trajet fistuleux (hypersignal T2)
Diagnostic différentiel
• Tumeur parotidienne kystique

• adénopathie maligne nécrotique

• lymphangiome

• kyste lymphoépithélial (HIV)

• kyste préauriculaire (défaut de coalescence des ébauches


de l ’oreille externe)
2) Kyste du 2nd arc branchial
Embryopathogénie

• échec de fermeture du sinus cervical de His


• 90% des dysembryoplasie d’origine branchiale
• kyste ou fistule sur le trajet du tractus du sinus cervical, de
la loge amygdalienne à la région cervicale
supraclaviculaire, en passant entre l’artère carotide externe
(ACE) et l’artère carotide interne (ACI)
• L’ouverture de la fistule (ou du sinus) se fait toujours le
long du bord antérieur du muscle sterno-cleïdo-mastoïdien
• dans 2% des cas, kystes bilatéraux
Classification de Bailey
• Type I
– kyste superficiel, sous l’aponévrose cervicale
supeficielle
• type II
– kyste sous l’aponévrose cervicale moyenne, en région
prévasculaire (le plus fréquent)
• type III
– kyste intervasculaire, dans la fourche entre ACI et ACE
• type IV
– kyste intravasculaire, entre paroi pharyngée et axe
carotidien
Clinique

• Age: 2 pics de fréquence


– <5 ans
– 2nde et 3ème décades

• tuméfaction cervicale latérale, en avant et en dehors du


muscle SCM, rénitente, mobile, indolore en dehors des
épisodes infectieux
Diagnostic radiologique

Formation kystique (de densité et de signal liquidiens) ronde


ou ovale avec effet de masse, de localisation
caractéristique:
– muscle SCM refoulé en arrière et en dehors
– carotide(s) et jugulaire refoulées en dedans
– glande sous mandibulaire refoulée en avant
Kyste du 2nd arc
branchial
Kyste du 2nd arc
branchial
Kyste surinfecté du 2nd arc
branchial
Diagnostic différentiel
• Lymphangiome (multiloculaire)

• kyste thymique (de localisation inférieure)

• adénophlégmon

• adénopathie maligne nécrosante

• schwannome kystique du X

• phlegmon amygdalien
Adénophlégmons rétro
et para-pharyngés
Lymphangiome
sous-mandibulaire
Malformation vasculaire
veineuse de la face
3) Kyste du 3ème arc
Embryopathogénie

• Rare, <3% des kystes branchiaux

• une fistule du 3ème arc a une ouverture cutanée identique à


celle du 2nd arc mais son trajet interne (ou celui du kyste)
est, contrairement à celui du 2nd arc, postérieur aux ACI et
ACE pour s’ouvrir dans le sinus piriforme.
Clinique

• Masse cervicale postérolatérale, souvent découverte à


l’occasion d’une poussée inflammatoire ou infectieuse,
responsable de modification de la voix ou de troubles
respiratoires
Diagnostic radiologique

• Masse kystique (densité et signal liquidiens) dont la paroi


peut prendre le contraste dans un contexte de surinfection

• les kystes bas situés sont difficilement différenciés des


kystes de la seconde fente (le kyste du 3ème arc est le seul
dont le diagnostic radiologique reste difficile).

• les kystes haut situés ont une localisation paralaryngée


Diagnostic différentiel

• Kyste du 2nd arc (situé en dehors du paquet vasculaire -et


non pas en arrière-, an avant du muscle SCM)
• kyste du 4ème arc, souvent accolé à la thyroïde (avec
aspect de thyroïdite contiguë)
• lymphangiome multiloculaire
• kyste du TTG, enchâssé dans les muscles, au contact de
l’os hyoïde
• adénopathie nécrosante, tumorale ou infectieuse
• laryngocèle
4) Kyste du 4ème arc
Embryopathogénie

• Exceptionnel, 1 à 2% des anomalies branchiales

• reliquat du canal ultimobranchial reliant la région


pharyngée à la parathyroïde supérieure

• la fistule correspondante s’ouvre dans le fond du sinus


piriforme, passant au travers de la membrane thyro-
hyoïdienne
Clinique

• Kyste se manifestant principalement chez la population


pédiatrique sous la forme d’un abcès ou d’une masse
récurrente basi-cervicale gauche
Diagnostique radiologique

• Masse liquidienne (hypo T1, hyper T2, prise de contraste


pariétale variable) le plus souvent accolée au lobe
thyroïdien

• remaniement inflammatoire des tissus adjacents, en


particulier du lobe thyroïde

• prédomine à gauche
Kyste du 4ème arc fistulisé
dans le sinus piriforme homolatéral
Kyste du 4ème arc fistulisé
dans le sinus piriforme homolatéral
Kyste du 4ème arc surinfecté
Diagnostic différentiel
• Thyroïdite suppurée à répétition

• laryngocèle

• kyste du TTG (antérieur à la glande thyroïde)

• kyste thymique: souvent hyperT1 (hyperprotidique),


composante médiastinale fréquente

• kyste du 3ème arc: triangle cervical postérieur


laryngocèles
5) Kyste thymique
Embryopathogénie
• le thymus vient de la différenciation et de la migration de
la 3ème poche entobranchiale (entre les 6 et 8èmes
semaines de développement)
• A la 9ème semaine de gestation, les deux ébauches
thymiques se rejoignent dans le médiastin supérieur et le
canal pharyngo-thymique se referme
• les anomalies embryologiques thymiques viennent de:
– la migration thymique incomplète dans le thorax
– la résorption incomplète du canal pharyngo-thymique
– la séquestration de tissu thymique le long de la voie de
migration
• la majorité des kystes thymiques est latéralisée à gauche
Clinique

• Le plus souvent asymptomatique

• masse molle avec effet de masse modéré

• découverte fortuite avant 15 ans dans 2/3 des cas


Diagnostic radiologique

• Structure kystique, le plus souvent latéralisée à gauche,


dans la région infra-hyoïdienne ou thoracique supérieure

• uni ou multiloculaire

• hypo, iso ou hyper T1, hyper T2, Prise de contraste


variable en fonction de la composition
Diagnostic différentiel

• Kyste du 2nd arc

• kyste du 4ème arc (souvent associé à une thyroïdite)

• lymphangiome

• kyste parathyroïdien

• kyste thyroïdien
Kyste thyroïdien
Conclusion

La connaissance du substrat embryologique des formations


kystiques congénitales cervicales doit permettre au
radiologue de les identifier, d’écarter les diagnostics
différentiels et de guider la prise en charge thérapeutique
qui reste le plus souvent chirurgicale
Bibliographie
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