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Le malade imaginaire

Scène 1, acte 1
« Plus, du vingt-huitième, une prise de petit lait clarifié et dulcoré

pour adoucir, lénifier, tempérer et rafraîchirle sang de monsieur,

vingt sols. » Bon, dix sols. « Plus, une potion cordiale et préservative,

composée avec douze grains de bézoar, sirop de limon et grenades,

et autres, suivant l’ordonnance, cinq livres. » Ah ! monsieur Fleurant,

tout doux, s’il vous plaît ; si vous en usez comme cela, on ne voudra

plus être malade : contentez-vous de quatre francs, vingt et

quarante sols. Trois et deux font cinq et cinq font dix, et dix font

vingt. Soixante et trois livres quatre sols six deniers. Si bien donc

que, de ce mois, j’ai pris une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept et

huit médecines ; et un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf,

dix, onze et douze lavements ; et, l’autre mois, il y avoit douze

médecines et vingt lavements. Je ne m’étonne pas si je ne me porte

pas si bien ce mois-ci que l’autre. Je le dirai à monsieur Purgon, afin

qu’il mette ordre à cela. Allons, qu’on m’ôte tout ceci. (Voyant que

personne ne vient, et qu’il n’y a aucun de ses gens dans sa chambre.)


Il n’y a personne. J’ai beau dire : on me laisse toujours seul ; il n’y a

pas moyen de les arrêter ici. (Après avoir sonné une sonnette qui est

sur la table.) Ils n’entendent point, et ma sonnette ne fait pas assez

de bruit. Drelin, drelin, drelin. Point d’affaire. Drelin, drelin, drelin.

Ils sont sourds… Toinette. Drelin, drelin, drelin. Tout comme si je ne

sonnois point. Chienne ! coquine ! Drelin, drelin, drelin. J’enrage. (Il ne

sonne plus, mais il crie.) Drelin, drelin, drelin. Carogne, à tous les

diables ! Est-il possible qu’on laisse comme cela un pauvre malade

tout seul ? Drelin drelin, drelin. Voilà qui est pitoyable ! Drelin,

drelin, drelin ! Ah ! mon Dieu ! Ils me laisseront ici mourir. Drelin,

drelin, drelin
Molière est l’un des plus grands dramaturges français, célèbre

pour ses comédies de caractère, qui dénoncent des défauts humains

à travers des personnages excessifs : L’Avare, Le Misanthrope, Les

précieuses ridicules…

Dans un XVIIème siècle marqué par l’idéal classique de l’honnête

homme, Molière dénonce les excès des passions qui créent le chaos

social et familial.

Le Malade Imaginaire, dernière pièce de Molière jouée en


1673, est une comédie-ballet en trois actes séparés par des

intermèdes.

Elle met en scène Argan, un père de famille hypocondriaque qui veut

marier sa fille Angélique avec un jeune médecin pédant, Thomas

Diafoirus. (voir la fiche de lecture pour le bac de français du Malade

imaginaire)
ANALYSE DE L'EXTRAIT

Molière inscrit d’emblée le comique au cœur de sa pièce, en

présentant un personnage caricatural lors de cette exposition. La

place des procédés comiques est d’ailleurs importante, de sorte que

si la scène annonce la tonalité de la pièce, elle fait en partie l’impasse

sur l’intrigue. On sait néanmoins qu’Argan se soigne de manière

compulsive et qu’il entretient des relations suivies avec son

apothicaire, qui lui facture des remèdes.

En quoi la satire de la médecine dans cet extrait met-elle en lumière

les excès et les dérives des pratiques médicales de l'époque, tout en

soulignant l'absurdité et l'ironie de la profession médicale ?

La première thématique à laquelle le spectateur peut s’attendre est

donc celle de la médecine. Cette dernière est immédiatement placée

dans une perspective critique, qui la ridiculise. Les spectateurs

retrouvent ainsi dans Le Malade imaginaire un thème cher à l’auteur,

qui l’a traité dans d’autres pièces, comme Le Médecin volant ou dans

Dom Juan. Le terme « imaginaire » présent dans le titre de la pièce

annonce les intentions du dramaturge. De plus, Argan fait montre

dans la première scène d’une énergie peu compatible avec la


maladie, ce qui nous fournit une première justification théâtrale de

ce titre.

La seconde thématique porte sur l’argent, avec l’addition des sommes

qu’Argan doit à son apothicaire.Argan souhaite prendre soin de sa

santé, mais il est aussi avare. On devine donc un bourgeois aisé,

attaché à ses biens. Enfin, la fin du monologue suggère les conflits du

maître de maison avec les autres membres du foyer, et plus

particulièrement la domestique, Toinette, qualifiée de « carogne ».

Molière fait ici allusion à la dynamique maître / valet qu’il développe

dans nombre de ses pièces.


I- un dialogue fictif pour une critique de la médecine

Les monologues, nous l’avons dit, conviennent bien aux tragédies, où

ils permettent de plonger dans l’intériorité du héros. Ici, le

dramaturge s’en sert certes pour une première analyse de la

psychologie d’Argan, mais il parvient aussi à inscrire dans son

exposition la dimension comique de la pièce. Pour briser le carcan du

monologue, il a recours à un artifice : le théâtre dans le théâtre.

Un faux dialogue de théâtre

Pour éviter la dimension volontiers monumentale et statique d’un

monologue aussi long, Molière construit la tirade d’Argan sous forme

d’un dialogue imaginaire avec l’apothicaire. On notera également

qu’à la fin du passage, le monologue cède la place au dialogue au sens

courant du terme, puisqu’Argan s’adresse aux membres de sa famille,

qu’il ne nomme pas, et à sa domestique, Toinette. Certes, ces

personnages ne sont pas réceptifs à ses appels, mais la scène s’anime

grâce aux cris du personnage et aux jeux de scène, impliquant la

sonnette.

La conclusion de la tirade fait appel au comique de geste,

lorsqu’Argan agite la sonnette de manière obsessive, crie pour

appeler ses domestiques, ou imite le son de sa sonnette, avec la

répétition de « drelin, drelin ».


On notera que d’autres personnages sont évoqués : l’apothicaire

Fleurant, Purgon le médecin, et Toinette, la domestique.

La tirade supposée de Monsieur Fleurant : « “Plus une potion cordiale

et préservative, composée avec douze grains de bézoar, sirop de

limon et grenades, et autres” » évoque d’ailleurs des fruits exotiques

et met en place un imaginaire utopique où la parole médicale semble

être dotée de pouvoirs magiques. Mais cette illusion est ramenée à la

réalité par le comique de mots de la réplique d’Argan : « “si vous en

usez comme cela, on ne voudra plus être malade” ». Argan fait surgir

ici un paradoxe. En effet, le verbe « vouloir » dans la réplique « “on

ne voudra plus être malade” » suppose que la maladie est un choix, ce

qui transforme la thérapie en loisir ou même en plaisir. Le champ

lexical du nombre sature la suite du texte (“« quatre francs, vingt et

quarantesols », « une, deux , trois… », « douze médecines », « vingt

lavements »”). Il montre que la médecine n’est pas envisagée à

travers la qualité de ses traitements mais à travers leur quantité. La

périphrase « tout ceci » dans « “Allons qu’on m’ôte tout ceci” »

résonne d’ailleurs comme un aveu : le médicament n’est qu’une masse

informe, inutile. Argan décide ensuite d’appeler sa servante. Mais le

bruit de la sonnette, signalé dans la didascalie, est insuffisant pour

Argan. Il va donc mimer la sonnette par la répétition du son “ drelin”

. Il en devient un personnage farcesque.


Le champ lexical de l’argent, omniprésent tout au long de la scène,

fait la satire de la médecine qui est tout – poésie, illusion, commerce

– sauf de la science.

La gradation des interjections « “Chienne ! coquine ! (…) Carogne” »

avec les effets d’allitération en [k] créent des effets sonores

chaotique qui relèvent de la comédie et de la farce.

Par ailleurs, le contraste entre la gravité des termes médicaux et la

légèreté de la sonnerie "Drelin" crée un effet d'ironie qui met en

lumière l'absurdité des pratiques médicales de l'époque. Ce

contraste souligne également le caractère caricatural des

personnages et de la situation, renforçant ainsi la dimension

satirique de la pièce.

Conclusion

L’acte I scène 1 du Malade imaginaire est bien une scène

d’exposition. Si elle n’expose pas le nœud de l’intrigue, elle pose le

climat, le genre et le type principal de la pièce. Molière campe son

personnage de comédie et dresse déjà la satire de la médecine. Les

mésaventures d’Argan vont faire rire le spectateur mais aussi


susciter l’interrogation philosophique, rassemblant ainsi les vertus

d’une pièce classique : plaire et instruire.

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