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Explication - Acte IV - Scène 3.
Explication - Acte IV - Scène 3.
Acte IV, scène 3 jusqu’à « … avec les plus grands seigneurs de la terre. »
Introduction
Je vais étudier un extrait du Bourgeois gentilhomme, une pièce de théâtre de Molière créée en
1670. L’extrait se trouve dans la troisième scène du quatrième acte.
LECTURE
directement avant : la scène du dîner de Jourdain avec Dorimène et Dorante, ce dernier le
trompe en lui enseignant une modestie qui sert à Dorante et ses prétentions à lui auprès de la
marquise
thème de la tromperie est repris dans l’acte étudié, sous un autre angle
important pour la scène étudiée : Acte III, Scène 13 où Covielle (valet de Cléonte) annonce
une « mascarade », cad une comédie de masques ; la situation est donc qu’on joue une
comédie dans laquelle le protagoniste croit qu’il s’agit de la réalité, car « avec lui on peut
hasarder toute chose, il n’y faut point chercher tant de façons, et il est homme à y jouer son
rôle à merveille »
comédie constitue réaction au refus de Jourdain que sa fille soit mariée à Cléonte parce qu’il
n’est pas gentilhomme. Cette scène est celle où commence le déguisement à la turque pour
tromper le bourgeois et pour se moquer de lui.
tonalité : satirique
2 mouvements (thématiques selon les deux grandes informations apportées au bourgeois) :
I. du début à Jourdain qui dit « Quel sujet vous amène ? » : le père noble
II. à la fin : la noblesse turque
problématique : dans la perspective de la noblesse française, comment le bourgeois est-il
dévalorisé par la comédie turque ?
puis, le dialogue atteint un nouveau contenu/poids : Jourdain exprime son ignorance suite au
savoir acquis : « Je ne sais donc pas comment le monde est fait. »
Covielle : « Comment ? » sert à prolonger le discours de Jourdain (qui est en train de se
développer à partir de celui de Covielle), alors pour lui donner la parole
lui donner la parole donne lieu à l’expression de son égoïsme
le père semble être inconnu à M. Jourdain, la figure normalement connue est aliénée par le
déguisement ; l’image du père marchand connu est contredite
polyphonie, le personnage et le personnage fictif qui sert comme masque, les paroles sont
mensonges du point de vue du personnage Covielle, mais elles sont vérité pour le personnage
fictif (référence à Acte III Scène 13)
la scène ne peut exister que sous la condition de l’ignorance du bourgeois qui ne connaît pas
son père
dans ce contexte, Covielle ne ment pas totalement mais ne fait qu’abuser le terme de
gentilhomme dans le sens de Jourdain (paraphrase)
interrogation sur le terme du gentilhomme qui est devenu ambiguë : cf. Acte III Scène
12 où le terme est interrogé par Cléonte : « Ce nom ne fait aucun scrupule à prendre,
et l’usage aujourd’hui semble en autoriser le vol » ; Cléonte lui refuse cette pratique :
« je ne veux point me donner un nom où d’autres en ma place croiraient pouvoir
prétendre » (associé à la prétention de Jourdain de devenir gentilhomme)
« Je le soutiendrai devant tout le monde. » - d’assigner un nom à un bourgeois qui rappelle la
noblesse, il n’a donc pas complètement menti ; l’autorité du « Je » peut être mise en question
par le public qui sait qu’il s’agit d’une mise en scène interne, « devant tout le monde » les
gens fictifs (on voit plus tard dans la pièce que tout le monde va jouer la comédie, cette
expression se vérifie donc) et devant le public qui est également mis en scène par le théâtre
dans le théâtre
transition : « Vous m’obligerez. » - Vous me ferez plaisir.
« Quel sujet vous amène ? » - cette première information n’était qu’une sorte d’introduction
(exposition) de la comédie turque qui commence véritablement après
1. la fascination de l’autre
on a l’impression que le bourgeois considère tout ce qui lui est inconnu comme noble ;
puisqu’il ne sait pas grand-chose, il est facilement à fasciner
Acte I, Scène 2 : Jourdain : « Pourquoi toujours des bergers ? On ne voit que cela partout. »
allusion à la pastorale et inclination pour l’exotique, le nouveau -> les manières nobles sont
ennuyeuses (au sens moderne du terme) pour Jourdain – possible de l’impressionner avec la
fiction turque
nouveauté : le voyage « par tout le monde » (dans le monde entier)
l’ignorance ridicule de Jourdain : « en ce pays-là. » (le monde entier considéré comme pays
lointain ; exprime le petit esprit du bourgeois qui ne sait pas beaucoup – cf. a besoin de
maîtres)
« Je pense » - il dit vraiment ce qu’il pense (naïveté), c’est ridicule parce que ce qu’il pense
est ridicule ; la naïveté n’est pourtant pas valorisée mais constitue au contraire le preuve de
son ignorance des manières nobles
Cov : « Vous savez » allusion à l’ignorance du bourgeois, l’esprit étroit, car il ne sait rien
(« Moi ? Non. ») du fils du Grand Turc
description du turc (référence probable à la visite de l’ambassadeur turc chez Louis XIV) : « il
a un train tout à fait magnifique » (gloire, beauté, richesse ; très général) « tout le monde le va
voir » (connu, célèbre, populaire ? ou simplement la curiosité pour l’exotique ; en plus, « tout
le monde » par rapport aux nobles – la maxime de Jourdain est de faire tout ce que les nobles
font, c’est donc la provocation de l’intérêt) « il a été reçu en ce pays comme un seigneur
d’importance » (comme ! il n’est pas d’importance, pas relevant pour le pays, et même pas de
seigneur, pas noble dans le sens de la noblesse occidentale)
« Par ma foi ! » exclamation, surprise, « je ne savais pas cela » - dans le registre (leitmotiv ?)
de l’ignorance
répétition de « Par ma foi ! » par rapport à la langue turque, rapprochement de la surprise de
la langue avec celle l’existence même du turc – l’exotique ; Jourdain n’arrive pas à être
souverain face à l’autre ; fascination totale pour l’inconnu (quasiment tout le monde, car il est
tellement ignorant)
« Voilà une langue admirable que ce turc ! » : ce qui est inconnu est admirable parce qu’il est
inconnu – l’attitude générale de Jourdain
« Voilà qui est merveilleux ! » encore dans la fascination
mais il s’interroge après « Dirait-on jamais cela ? » (« ma chère âme », pense la première fois
au contenu au lieu de la forme, l’aspect pratique de la langue : renvoie à la bourgeoisie vs. la
noblesse a une intuition de ce qu’il faut dire et comment) – « Voilà qui me confond. » c’était
probablement le but de confondre le bourgeois afin de le faire croire tout
vu cette fascination pour n’importe quoi, le choix de l’orient comme objet d’apprentissage de
la noblesse renforce la caricature de l’ambition bourgeoise
comme c’est le cas du père dans la première partie, la tromperie du bourgeois repose sur son
ignorance qui est doublée par l’inconnu général, l’orient, le turc
l’anoblissement français fictif est accompli : Covielle l’appelle « honnête gentilhomme » ->
appuyé encore une fois par « comme je vous ai dit »
« Depuis avoir connu » = Après avoir connu
importance de Jourdain : Covielle revenu depuis peu de temps (4 jours) – une des premières
actions c’est de parler à Jourdain (bien que quasiment inconnu)
« l’intérêt que je prends à tout ce qui vous touche (concerne) » : Covielle se met lui-même en
position de bienfaiteur qui semble avoir organisé le mariage de Lucile avec le turc (en fait, il
est le bienfaiteur du jeune couple)
« je viens vous annoncer la meilleure nouvelle du monde » : superlatif renforcé par
l’expérience prétendue du voyageur
question très brève « Quelle ? » pour faire continuer le récit qui promet d’être avantageux
il dit « Moi ? Non. », cad il se place encore une fois en premier lieu, il est en posture
de gentilhomme égoïste (ce qui est une contradiction à l’idéal de l’honnête gentilhomme)
effet d’ignorance renforcé par le « Comment ? » de Covielle qui présuppose que la gloire de
ce prince doit être très connu
Covielle connaît très bien l’égoïsme de Jourdain et commence donc sa phrase par : « Ce qu’il
y a d’avantageux pour vous »
« c’est qu’il est amoureux de votre fille. » la suite de la phrase, mise dans la perspective de
Jourdain qui peut en tirer du profit – aurait certainement inspiré de la peur chez les nobles
français de l’époque (car le turc est étranger, religion diverse, mœurs étranges ; l’allusion à la
réception de l’ambassadeur turc montre clairement que la liaison d’une noble française avec
un turc ne serait pas de bon goût)
« et il veut être votre gendre » (beau-fils)
répétition/écho : « Mon gendre, le fils du Grand Turc ! » comme si c’était un honneur
Covielle répète pour affirmer ; structure de la phrase : « Comme je le fus voire et que
j’entends (comprends) parfaitement sa langue, il s’entretint avec moi » d’abord expliquer,
puis raconter le fait sinon peu vraisemblable
conversation dans une langue inventée, inconnue au bourgeois qui croit tout (ignorance et
naïveté)
Covielle cite une phrase en turc fantaisiste pour paraître plus vraisemblable, traduction :
« N’as-tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de monsieur Jourdain,
gentilhomme parisien ? » - tutoiement peut être un signe de la barbarie du turc qui ne connaît
pas les règles de la bienséance française ; mouvement de la pensée du turc : « jeune belle
personne » apparence de la fille, « la fille du monsieur Jourdain » rapport au personnage du
bourgeois, « gentilhomme parisien » désignation noble -> en premier lieu, le turc s’intéresse à
la personne aimée qui est, par hasard, la fille du bourgeois qu’il désigne comme gentilhomme
réception de la phrase par Jourdain pourtant : « Le fils du Grand Turc dit cela de moi ? »
égoïsme ; le désir amoureux (peut-être érotique) du turc pour sa fille ne l’intéresse pas, mais
le nom qu’il lui a donné à Jourdain
« Comme je lui eus répondu que je vous connaissais particulièrement » : d’une part c’est un
mensonge, car le personnage que joue Covielle, ne connaît Jourdain que comme petit enfant,
d’autre part c’est vrai, car Covielle sait très bien comment flatter le bourgeois pour atteindre
son but
« et que j’avais vu votre fille » ce qui est la véritable réponse à la question du turc
Covielle : « pour achever mon ambassade » il est un messager, dernière information,
nouveauté
« pour avoir un beau-père qui soit digne de lui » le fils du Grand Turc est encore au dessus du
noble Jourdain (presque un roi)
« il veut vous faire Mamamouchi » ironie : nom rappelle (selon Littré) un propre-à-rien, mais
ce nom est présenté comme un des plus grands titres du monde de la noblesse ; c’est donc
l’ignorance de la noblesse qui rend indigne pour la noblesse dans ce cas
« qui est une certaine grande dignité de son pays » dans l’étranger, pas en France, en
acceptant le titre étranger il se sépare de sa patrie et de la noblesse qu’il envisage (la grande
dignité de l’autre constitue l’épreuve de la dignité de noblesse des siens)
Covielle traduit le titre par « paladin » : le paladin est le nom d’un chevalier à la suite d’un
grand roi, il subit beaucoup d’aventures (dans chansons de gestes, chez Arioste et le Tasse)
une tentative d’expliquer interrompue : « Paladin, ce sont de ces anciens… Paladin enfin. » ce
n’est pas l’explication qui a effet sur Jourdain mais le son noble des paroles : « Il n’y a rien de
plus noble que cela dans le monde » superlatif, exagération de la noblesse, le plus haut point
qu’on peut atteindre – parallèle de la première partie : attitrer une noblesse à des personnes
pas nobles
va dans le même sens : « vous irez de pair » vous aurez le même statut social que
« avec les plus grands seigneurs de la terre » superlatif
puisqu’il s’agit apparemment d’une scène de malentendu, il existe aussi des éléments
absurdes ou comiques.
structure répétée plusieurs fois : nouvelle information – écho – réponse affirmative (ex : « j’ai
voyagé par tout le monde. » - « Par tout le monde ! » - « Oui. »)
« Assurément. » même aux paroles les plus insensées, Covielle affirme (par rapport à la
compréhension du monde entier comme un pays lointain)
répétition de la nouvelle information : « le fils du Grand Turc » (bourgeois)
répétition de « Oui. » (Covielle)
le turc dit qu’il est amoureux de la fille ce qui ne semble pas du tout intéresser le bourgeois
qui répond par un intérêt linguistique (comparable à son apprentissage chez les maîtres) qui
lui semble être utile pour devenir noble
ignorance : « pour moi je n’aurais jamais cru que marababa sahem eût voulu dire : « Ah ! que
je suis amoureux d’elle ! » » - comme s’il serait possible de savoir logiquement comment une
langue exprime une idée : cf. Saussure et le signifiant arbitraire ; l’utilisation arbitraire des
mots peut renvoyer à l’utilisation du mot « gentilhomme » (l’anoblissement turc abolit
l’anoblissement occidental ?)
malentendus, ambiguïtés linguistiques exagérés par le turc, mais reflètent ceux de la
langue française (noble, gentilhomme)
schéma dialogique de réassurance répété pour un autre mot (cacaracamouchen) (question de
savoir, négation, explication, répétition, affirmation)
absurdité du schéma de réassurance, gradation du schéma vers le ridicule (père gentilhomme,
voyage dans le monde entier, la proposition de mariage du Grand Turc, le mot
« cacaracamouchen ») -> effet comique
ne montre plus seulement l’ignorance du bourgeois mais la confusion générale de comment
une langue peut représenter la vérité – l’absurdité dénonce l’utilisation arbitraire des titres de
noblesse
Conclusion