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sous le numéro 10
3. Trois facteurs essentiels semblent déterminer cette évolution du droit de la concurrence vers
un droit négocié.
4. Ces facteurs ont amené les pouvoirs publics dans la plupart des pays du Nord de la
méditerranée, sous l’impulsion de la Commission européenne, à renouveler leurs politiques de
régulation de la concurrence en y introduisant progressivement des procédures négociées. Le
but recherché étant de doter les autorités de régulation des outils flexibles associant davantage
les acteurs du marché à leur processus décisionnel et de renforcer ainsi leur rôle du régulateur
en dehors des contraintes procédurales de la régulation judiciaire.
5. Le système de régulation de la concurrence au Maroc, tel qu’il est organisé par la loi N° 06-
99, demeure, pour l’instant, un système de droit imposé. Les instruments de mise en œuvre des
règles de la concurrence mis à la disposition des autorités de régulation, notamment du Conseil
de la concurrence, ne leur permettent pas d’engager de véritables négociations avec les acteurs
du marché en vue de lutter efficacement contre les pratiques anticoncurrentielles. Il nous
semble cependant que le Maroc ne peut faire l’économie d’harmoniser son système de
régulation de la concurrence avec les normes européennes et américaines et d’y introduire des
outils plus flexibles et plus efficaces que ceux du droit imposé. Les accords, de partenariat
avancé avec l’Union Européenne, et de libre échange avec les Etats-Unis, orienteront
assurément, mais progressivement, le droit marocain de la concurrence vers cette évolution. La
réforme, « engagée », de la loi N° 06-99 autorise à croire que cette évolution est à l’ordre du jour.
6. La diversité des procédures négociées dont disposent les autorités de régulation dans
l’espace nord de la méditerranée pour faire respecter les normes de la concurrence retiendra
notre attention dans un premier temps(I). Cette présentation nous permettra par la suite de
mesurer la fiabilité de l’introduction de ces procédures dans le système de régulation de la
concurrence au Maroc(II).
7. Le droit est, d’une part l’édiction des normes, et d’autre part, une instrumentation qui
permet de faire respecter ces normes. Il existe plusieurs instruments pour obtenir le respect des
normes de la concurrence dont certains sont plus couteux pour la collectivité que les autres sans
être pour autant plus efficaces. Aussi le problème qui se pose est-il celui de savoir quels sont les
instruments qu’il faut mettre à la disposition des autorités de régulation pour assurer un
meilleur respect des normes de la concurrence tout en minimisant les coûts pour la collectivité.
8. C’est dans le cadre de cette interrogation que les procédures négociées, en droit la
concurrence communautaire et en droits internes européens, ont vu le jour. Ces procédures
peuvent être classées en deux catégories : procédures alternatives aux sanctions pécuniaires,
procédures de détection soutenues par une sanction forte et dissuasive même si elles portent le
nom de clémence. L’aménagement substantiel et processuel de ces procédures comporte des
variations, d’une part, entre le droit communautaire et les droits internes de la concurrence, et
d’autre part, entre ces derniers. Notre objectif est de présenter ces procédures dans leurs
finalités globales sans entrer dans les détails de leur organisation technique au niveau du droit
communautaire et des différents droits internes de la concurrence.
1. Procédure d’engagements
8. Cette procédure permet à une entreprise, suspectée de commettre une entente ou un abus
de position dominante, de proposer des remèdes permettant d’y mettre fin en contrepartie d’un
abandon des poursuites et la clôture de la procédure avant toute constatation de l’infraction.
Elle s’applique, à des situations qui soulèvent des « préoccupations de concurrence » actuelles,
et auxquelles il peut être mis fin rapidement au moyen d’engagements. Elle ne s’applique pas en
principe aux pratiques anticoncurrentielles particulièrement néfastes à l’économie, telles que les
cartels et l’abus de position dominante ayant déjà causé un dommage important.
10. Une « évaluation préliminaire des pratiques en cause » est alors dressée par l’autorité de
concurrence saisie, sur laquelle va s’appuyer l’entreprise concernée pour formaliser et proposer
des engagements. Ni l’établissement d’une évaluation préliminaire, ni la formulation
d’engagements par l’entreprise concernée, ne préjuge de la décision de l’autorité de concurrence
d’enclencher formellement ou non la procédure, cette faculté relevant de son appréciation en
opportunité.
11. Pour être acceptés, les engagements doivent être pertinents, crédibles et vérifiables. Ils
peuvent prendre des formes diverses et variées (modification de clauses contractuelles,
autorisation d’accès à une ressource rare, etc.).Lorsque les engagements proposés répondent
aux préoccupations de concurrence identifiées dans l’évaluation préliminaire, l’autorité de
concurrence adopte une décision qui rend ces engagements obligatoires et qui met fin à la
procédure. L’autorité de concurrence peut, en outre, demander à la partie concernée de lui
remettre ultérieurement un ou plusieurs rapports circonstanciés lui permettant de vérifier que
les engagements sont respectés.
12. La décision de l’autorité de concurrence rendant obligatoire les engagements ne met pas,
cependant, la partie concernée à l’abri de toute procédure ultérieure. Ainsi, la procédure
d’engagements pourra être révisée à l’avenir par l’autorité de concurrence lorsqu’il apparaît, que
l’un des faits sur lesquels repose la décision subit un changement important, que les
engagements ne sont pas respectés ou encore que la décision initiale repose sur des
informations incomplètes, inexactes ou dénaturées fournies par la partie à la procédure. La
décision de l’autorité de concurrence pourra également faire l’objet d’un recours en annulation
ou en réformation. Elle n’interdit pas, en outre, à l’une des parties à la procédure d’engager une
action en justice.
14. Cette procédure, à la différence de la précédente, permet à une entreprise déjà poursuivie
devant l’autorité de concurrence pour entente ou abus de position dominante, de ne pas
contester les griefs qui lui ont été notifiés en contrepartie d’une réduction d’amendes. Plus
souple, plus rapide, cette procédure est à l'avantage de toutes les parties. A l’entreprise mise en
cause, elle permet de bénéficier d’une sanction allégée. A la collectivité publique, elle apporte
des garanties de sécurité juridique grâce aux engagements de non-récidive pris par les
entreprises. Elle contribue ainsi à une application plus efficace du droit de la concurrence.
15. Pour bénéficier de la procédure l’entreprise concernée doit donc répondre à deux exigences :
· La non-contestation de griefs qui lui ont été notifiés. Cette non-contestation doit être explicite
et couvrir la réalité des pratiques notifiées ainsi que leur qualification et leur imputabilité.
16. Lorsque ces deux exigences sont accomplies le mécanisme de réduction de la sanction se
déclenche et en principe doit aboutir à une décision de réduction de la sanction encourue en
l’absence de la transaction. Le montant de cette réduction est égal à la moitié du montant
maximal de la sanction, c’est à dire à 5% du chiffre d’affaire mondial de l’entreprise.
17. Il importe de souligner cependant que si la transaction permet de clore la procédure devant
l’autorité de concurrence, elle est susceptible d’en susciter d’autres devant les tribunaux : les
victimes des pratiques anticoncurrentielles de l’entreprise peuvent toujours demander la
réparation du préjudice qu’elles estiment avoir subi de leur fait, et comme l’entreprise ne les a
pas contestées devant l’autorité de concurrence, le tribunal saisi risque d’admettre facilement
l’existence de la faute engageant la responsabilité civile de l’entreprise, à moins d’exclure toute
coopération entre l’autorité de concurrence et les tribunaux dans ce domaine sous le couvert de
la confidentialité des négociations.
Les particularités de la procédure de clémence résident dans ses objectifs et dans son champ
d’application.
19. Cette procédure s’inscrit dans une stratégie économique qui tente d’éradiquer les cartels,
fléau de l’économie du marché, par l’incitation des auteurs de ces cartels à les dénoncer en
contrepartie d’une exonération totale ou partielle des sanctions normalement encourues en
l’absence de cette dénonciation. Elle vise donc à réaliser un triple objectif dont les éléments sont
interactifs :
20. Les objectifs de la procédure de clémence déterminent en quelque sorte son champ
d’application. En effet cette procédure ne concerne que les ententes anticoncurrentielles à
l’exclusion de l’abus de position dominante et des relations verticales.
En définitive la procédure de clémence constitue donc un instrument de régulation mis à la
disposition des autorités de régulation pour détecter et sanctionner les pratiques
anticoncurrentielles les plus graves et les plus dommageables.
21. Pour bénéficier de cette procédure l’entreprise doit répondre aux conditions suivantes :
§ Elle doit être la première à apporter des informations et des preuves relatives à une entente
secrète pouvant établir la réalité de la pratique prohibée, l’identité des auteurs.
§ Elle doit apporter une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure.
§ Elle doit s’engager à mettre fin sans délai à sa participation aux activités présumées illégales.
22. Lorsque ces conditions sont réunies, la procédure de l’immunité se déclenche et se déroule
en plusieurs étapes. A l’issue de ces étapes l’autorité de concurrence peut ou non accorder
l’exonération totale ou partielle de la sanction normalement encourue.
24. On peut estimer que les engagements du Maroc vis avis de l’Union européenne l’obligeront,
peut-être progressivement mais assurément, à intégrer ces procédures négociées dans son
système de régulation de la concurrence. En effets ces engagements postulent, qu’en vu de
l’intégration du Maroc au marché intérieur de l’Union européenne, celui-ci doit harmoniser son
cadre législatif en matière du doit économique, y compris le droit de la concurrence, avec les
acquis de l’UE. Or l’intégration dans un marché suppose aussi la réception des normes de
fonctionnement de ce marché et les instruments d’application de ces normes
25. Force est de reconnaître cependant que fiabilité de l’intégration de ces instruments de mise
en œuvre du droit de la concurrence dépend :
26. Par-delà ces difficultés liées à l’environnement économique et culturel, quelque peu
défavorable, à cours terme, à l’intégration des procédures négociées en droit de la concurrence
marocaine, il nous semble que le Maroc doit anticiper le renouvèlement de son système de
régulation en dotant les autorités de concurrence d’outils souple, moins coûteuse pour la
collectivité et qui permettront enfin de compte de construire ce système avec les acteurs du
marché. Ce renouvèlement doit, nous semble-t-il, porter sur le réaménagement des pouvoirs de
régulation du Conseil de la concurrence et la sécurisation processuelle de l’attractivité des
procédures négociées.
27. Le Conseil de concurrence, tel qu’il est organisé actuellement, constitue un organe
consultatif sans aucun pouvoir de décision ni au sens administratif ni au sens judiciaire. Il ne
dispose pas de personnalité morale propre. Il ne dispose pas d’autonomie financière. La seule
indépendance dont il semble jouir résulte du fait qu’il échappe à la hiérarchie et à la discipline
administrative classique et que le premier ministre, avec lequel il collabore, ne soit ni son
président ni son membre. Dans ces conditions il serait inconcevable d’introduire des procédures
négociées de la mise en œuvre du droit la concurrence si ce droit ne comporte pas une véritable
autorité de régulation ayant le pouvoir et le devoir conduire les négociations avec les acteurs du
marché.
29. Les procédures négociées reposent sur un paradoxe qui heurte la logique juridique
traditionnelle, puisque elles ont pour objet la négociation des sanctions qui devraient
normalement être appliquées à la suite d’une infraction déjà caractérisés et même avouée ou en
cours de caractérisation. Du fait la mise en œuvre de ces procédures soulève des difficultés,
notamment quant au respect des droits de la défense et du droit au juge. Elle comportent le
risque d’être utilisées, le cas échéant, par les autorités de concurrence comme des instruments
pour forcer des engagements et des transactions et de développer ainsi une politique parallèle
de concurrence qui échappe entièrement au contrôle du juge et aux garanties minimales d’un
Etat de droit.
Pour contrebalancer ces risques, il est nécessaire, d’une part, d’encadrer ces procédures
négociées par des « garde-fous » procéduraux à même de garantir les droits fondamentaux des
parties et des tiers, et d’autre part, de sécuriser leur attractivité auprès des opérateurs
économiques.
30. Les garde-fous procéduraux doivent être articulés autour du principe du contradictoire, entre
les parties, et le droit au juge, pour les tiers :
§ Concernant le droit au juge pour les tiers, il nous semble ici que les « décisions d’engagement
» à la suite d’une transaction ou d’une demande de clémence, n’ont de force obligatoire qu’à
l’égard des parties, et par conséquent les tiers victimes, concurrents ou consommateurs,
demeurent libres de recourir à la justice pour faire valoir leurs droits auxquels les pratiques
anticoncurrentielles traités par les procédures négociées ont porté atteinte.
31. La sécurisation de l’attractivité des procédures négociées auprès des operateurs économique
doit s’articuler atour des éléments suivants :
o Le montant de la réduction d’amende que l’entreprise peut espérer. Pour qu’un un système
de transaction soit admissible, il est indispensable au minimum que les entreprises connaissent
non seulement les « amendes éventuelles » qui leur seront appliquées en cas de transaction,
mais aussi celles qui leur seraient appliquées à défaut. Seule la prévisibilité des amendes
permettrait aux entreprises de mettre en balance « le pour et le contre » avant de s'engager
dans une telle procédure et d'éviter ainsi les dérives du système.
32. Ce sont là quelques difficultés que pose la mise en ouvre des procédures négociées et
auxquels le droit marocain de la concurrence et le conseil de la concurrence, le jour où il
deviendra une véritable autorité de concurrence, ayant une mission régulatrice impliquant entre
autre la régulation par la négociation, auront à répondre. Comme le prouve les expériences
d’autres systèmes juridiques, le droit de la concurrence et le droit de la régulation sont, par
essence, des droits en perpétuel mouvement et comme disait un philosophe : « On prouve le
mouvement en marchant », et j’ajouterais, pour conclure, qu’on ne marche pas sans trébucher.
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE :
o CLAM Jean, MARTIN Gille, « Les transformations de la régulation juridique », LGDJ, 1998.
o GERARD Philippe, OST François, KERCHOVE Michel Van de, « Droit négocié, droit imposé ».
o BOURETZ Pierre (direction), « La force du droit. Panorama des débats contemporains, Paris,
Ed. Esprit, 1991.
o BAILLIEZ Perrine, « La contractualisation du droit de la concurrence - Etude comparative sur
la mise en œuvre des règles applicables aux entreprises dans l’Union européenne » thèse,
Université Lille 2, 2008.
o M.A. FRISON ROCHE et M.S.PAYET, Le droit de la concurrence, Précis Dalloz 1re édition2006.