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Les papillomavirus constituent une vaste famille de plus de 200 petits virus à
ADN non enveloppés, capables d’infecter l’Homme et de nombreux mammifè-
res, avec une spécificité d’espèce étroite. Leur tropisme est strictement épithélial
et on distingue, comme appartenant à des genres différents, papillomavirus
muqueux et papillomavirus cutanés. Ils sont responsables de tumeurs bénignes
et malignes chez l’homme et chez l’animal, et ont été à l’origine du premier
modèle de tumeur liée à un virus à ADN, découvert en 1920 par Shope chez le
lapin. Chez l’Homme, les HPV (Human papillomavirus) sont responsables de
100 % des cas de cancer du col utérin et sont impliqués dans de nombreux
cancers cutanés et muqueux. Tous les types viraux ne sont pas oncogènes et on
distingue les HPV oncogènes dits à haut risque (HPV HR) et les HPV non
oncogènes dits à bas risque (HPV BR). Le pouvoir oncogène des HPV oncogènes
repose essentiellement sur deux oncoprotéines virales possédant des propriétés
transformantes, E6 et E7, capables d’interagir avec les produits des gènes sup-
presseurs de tumeur p53 et pRB. Le mode d’action de E6 et de E7 est en réalité
plus complexe. Capables d’établir la persistance virale, indispensable au
développement d’un cancer, elles interagissent avec de nombreuses protéines
régulant le cycle cellulaire et la stabilité génétique de la cellule. Elles interfèrent
également avec le système immunitaire en diminuant la réponse cytotoxique et
la réponse interféron. Si le type viral est déterminant, le terrain génétique de
l’hôte est également un facteur impliqué dans la persistance virale et la cancé-
rogenèse, et les travaux les plus récents suggèrent l’existence de « barrières
génétiques » contre l’infection par les HPV.
Mots clés : papillomavirus, cancer du col utérin, cancer cutané, cycle viral, oncogenèse
L es papillomavirus représentent
une vaste famille de petits virus
nus à ADN, à tropisme épithélial,
en 1976 et confirmée ultérieurement
par les études épidémiologiques
et fondamentales. Certains modèles
dont une caractéristique essentielle animaux, comme le papillomavirus
est de favoriser la prolifération, de Shope chez le lapin « cotton-
bénigne ou maligne, des cellules tail », le papillomavirus du chien ou
qu’ils infectent. Ces virus ubiquitaires le papillomavirus bovin, ont large-
infectent l’Homme et de nombreuses ment contribué à la compréhension
doi: 10.1684/mtp.2010.0275
impliqué. Les mécanismes régissant le tropisme cutané ou selon le génotype (figure 1) [1]. Ce génome est associé à
muqueux, l’évolution des lésions vers la régression spon- des histones cellulaires pour former un minichromosome.
tanée, la prolifération maligne ou bénigne, sont com- Il est entouré d’une capside constituée de pentons
plexes, impliquant une interaction étroite entre protéines comportant une protéine majeure, L1, associée à une pro-
virales et protéines cellulaires, et constituent un champ de téine mineure plus interne, L2. Ces protéines portent des
recherche très actif du fait de leur implication thérapeu- antigènes de groupe, cibles des anticorps neutralisants.
tique potentielle. L1 possède la capacité de s’assembler spontanément en
pseudo-particules virales, propriété exploitée dans la
fabrication des vaccins [2], mais aussi dans l’étude des
Structure des papillomavirus mécanismes d’entrée et de diffusion cellulaire du virus.
Les papillomavirus sont des virus dépourvus d’enveloppe
Appartenant à la famille des Papillomaviridae, les et la structure de leur capside les rend extrêmement résis-
papillomavirus ont en commun une structure compacte tants, dans le milieu extérieur, à la congélation et à la
(diamètre 55 nm), comportant un génome circulaire de dessication, facilitant leur transmission par contact cutané
petite taille (8 000 paires de bases), codant 8 à 9 protéines ou muqueux, mais aussi leur transmission indirecte, par
A B
L2 ADN génomique
L1
Penton de protéine L1
C1
E6 E7
LCR Protéine Fonction
7904/1 E1 Réplication (hélicase)
L1 E2 Régulation de la transcription
et de la réplication
E1
E4 Interaction avec le cytosquelette
E5 Immortalisation/prolifération
E4 E6/E7 Immortalisation/prolifération,
instabilité génétique
L2 E2 L1, L2 Protéines structurales
E5
C2 Intégration
aire re
lul LC lai
l L1 L2 E6 E7 E1 E2,E4,E5 llu
ce ce
N R N
AD AD
Genus
Alpha-papillomavirus
Bêta-
papillomavirus
HPV muqueux oncogènes (Haut Risque)
Delta- HPV16 et HPV18 les + fréquents
papillomavirus
HPV muqueux non oncogènes (Bas Risque)
HPV6 et HPV11 les + fréquents
Verrues
Pi-papillomavirus
Eta-papillomavirus Omikron-papillomavirus
Mu-papillomavirus Xi-papillomavirus
Theta-papillomavirus Lambda-papillomavirus
Kappa-papillomavirus
Iota-papillomavirus Nu-papillomavirus
Figure 2. Classification des papillomavirus humains et animaux sur la base de la séquence du gène codant la protéine majeure de capside
L1, d’après [7].
Cette classification illustre la très grande variété des papillomavirus humains et animaux et montre la distance phylogénétique entre les
groupes HPV α et β ou γ, ainsi qu’entre les papillomavirus humains et animaux. Les virus impliqués dans les principales pathologies humai-
nes sont repérés par les cercles. On remarque la proximité phylogénique entre HPV 16 et HPV31, HPV 18 et entre HPV 45 et HPV6 et
HPV11.
BPV : bovine papillomavirus ; CRPV : Cotton tail Rabbit papillomavirus ; ROPV : rodent papillomavirus, COPV : canine papillomavirus,
EEPV : Equine papillomavirus; DPV : Deer (cervidés) papillomavirus.
Tableau 1. Pathologies associées aux papillomavirus humains, des papillomavirus. Celui-ci dépend essentiellement du
lien avec le génotype, d’après [7, 9, 11, 15, 55] type. Dans la sphère muqueuse, parmi plus de 40 types
décrits au sein du genre α, 18 types oncogènes sont
Lésions Génotypes HPV associés retrouvés au sein de lésions de haut grade ou de cancers
Verrues palmoplantaires 1 et sont dits à haut risque oncogène (12 types) ou poten-
Verrues vulgaires 2 (26, 27, 65, 78)
tiellement à haut risque (6 types) [10] ; d’autres types, non
oncogènes dits à bas risque sont associés à des lésions de
Verrues planes 3, 10 (27, 28, 49) bas grade ou à des condylomes, et une infection à HPV
Verrue des bouchers 7 peut associer des HPV à haut risque et des HPV à bas
risque. Au sein des papillomavirus muqueux à haut
Condylomes acuminés 6, 11 (70, 83) risque, HPV 16 est le plus prévalent dans les cancers du
Papulomatose Bowenoïde 16 canal anal, les dysplasies vulvaires de haut grade et les
cancers de l’oropharynx liés aux HPV [11-13] (tableau 2).
Néoplasies cervicales 16 et 18 ; mais aussi 31, 33, 35, 39,
intraépithéliales, cancers du col, 45, 51, 52, 58, 66, 69, (30, 34, 40,
HPV 16 et HPV 18 sont, à eux seuls, responsables de
cancers anogénitaux 42-44, 53-57, 59, 61, 62, 64, 67, 70 % des cancers du col utérin et de plus de 60 % des
68, 71-74, 82) néoplasies intraépithéliales cervicales (CIN) de grade 3.
Les types 16, 18, 31, 33 et 45 sont à l’origine de plus de
Papillomatose orale 6,11
80 % des cancers du col (92 % en France), des cancers
Hyperplasie épithéliale focale orale 13, 32 épidermoïdes, mais aussi des adénocarcinomes, et de
Papillomatose laryngée récurrente 6, 11
plus de 80 % des cancers anogénitaux [14-17]. Ces HPV
à haut risque se répartissent dans les espèces 5, 6, 7, 9 et
Carcinome cutané à cellules 41, 48 (29) 11. HPV 16 et HPV 18 appartiennent aux espèces 9 et 7 ;
squameuses
HPV 31 et HPV 45 sont respectivement proches de
Carcinome laryngé 16, 18 HPV 16 et de HPV 18. À l’opposé, parmi les HPV à bas
risque, HPV 6 et HPV 11, qui représentent plus de 85 %
Carcinome verruqueux 16, 6, 11
des HPV impliqués dans les condylomes anogénitaux
Épidermodysplasie verruciforme 3, 5, 8, 9, 10, 12, 14, 15, 17, 19, 20, [18] et qui sont les agents de la papillomatose laryngée
(EV) 21, 22, 23, 24, 25, 36, 46, 47, 50 juvénile transmise lors de l’accouchement, sont proches
(37, 38)
et se trouvent tous deux dans l’espèce 10. Dans les lésions
Cancers associés à 5, 8 de dysplasie génitale de bas grade, parmi les HPV respon-
l’épidermodysplasie verruciforme sables, on retrouve soit les types à haut risque 16 et 51
Verrues vulgaires chez les patients Types de l’EV et 75, 76, 77 (espèces 9 et 5) soit les types bas risque 66 et 53 (espèce 6)
immunodéprimés 60 [7]. L’appartenance à une espèce n’est donc pas un critère
Kystes épidermiques strict de pathogénicité, mais reflète plutôt une proximité
Verrue de Myrmecia 63
phylogénique et certaines caractéristiques moléculaires
communes. Le caractère pathogène, et en particulier
oncogène, est lié aux caractéristiques du type, voire à
« spécialisation » de certaines espèces virales en termes
de tropisme et de pathogénicité. Les papillomavirus
Tableau 2. Fréquence des cancers attribuables aux
humains et animaux se trouvent ainsi dans des genres dis-
papillomavirus et à certains génotypes d’après [15]
tincts pour la plupart. Chez l’Homme, la très grande majo-
rité des HPV infectant les muqueuses (HPV muqueux Cancers Sexe Association Place
génitaux ou non) et quelques HPV cutanés (HPV 2, 3, aux HPV (%) HPV 16+18 (%)
10) appartiennent au genre α. À l‘opposé, les HPV α 4 et Col de l’utérus F 100 70
ceux des genres β, γ, μ, et ν n’infectent pas la sphère géni-
tale. Les HPV cutanés responsables d’épidermodysplasie Anal H, F 90 92
verruciforme, laquelle correspond à une susceptibilité Vulvo-vaginal* F 40 80
génétique aux HPV à tropisme non génital conduisant
Pénis H 40 63
à des cancers cutanés, appartiennent tous au genre β
[1, 3, 5]. Toutefois, certains HPV, qui se comportent Bouche H, F 3 95
comme des virus commensaux isolés des phanères ou Oropharynx H, F 12 89
de la peau en l’absence de lésion, appartiennent égale-
ment au genre β. L’appartenance à un genre ou à une Tous cancers H, F 5 72
espèce ne permet pas de préjuger du caractère oncogène *Vulvaire (VIN) 16-18 (6-11) ; vaginaux (VaIN) 16-18.
A
16 46.1
16+18 63.9 Afrique
16+18+45 77.7 Subsaharienne
16+18+45+58 80.9
16+18+45+58+56 83.4
16+18+45+58+56+35 85.7
16+18+45+58+56+35+51 88.0
16+18+45+58+56+35+51+33 89.9
0 20 40 60 80 100 %
16 65.4
16+18 71.5 Europe
16+18+33 77.7 Amérique du Nord
16+18+33+31 81.2
16+18+33+31+45 84.1
16+18+33+31+45+56 85.6
16+18+33+31+45+56+35 86.8
16+18+33+31+45+56+35+52 87.8
0 20 40 60 80 100 %
50
40
30
20
10
0
Prévalence globale des HPV
Au s ie
Au sie
N pe
N e
Au ie
es
ue Eu s
N e
s
d
d
d
tre
tre
du rop
du rop
As
or
r
or
or
du ro
A
A
Prévalence d'HPV 16
Eu
ue E u
ue
iq
iq
iq
ér
ér
ér
Am
Am
Am
Figure 3. Répartition géographique des HPV dans les différents types de cancers montrant la prédominance d’HPV 16.
A : cancer du col utérin ; B : cancers ORL ; A) cancer du col d’après [15] ; B) cancers ORL d’après [11].
virale, et notamment le rôle des protéines E1 et E2, l’origine d’une papillomatose laryngée juvénile respon-
jusqu’à ce que des modèles d’HPV, en particulier 16, sable de détresse respiratoire ou de papillomatose
18, 31 et 11, soient disponibles. C’est chez le lapin et récurrente. D’autres HPV, dont certains HPV à haut
chez le chien que la réponse immune a été étudiée. potentiel oncogène comme HPV 16, peuvent également
Enfin, le papillomavirus du singe rhésus, proche des être transmis. L’infection est en général transitoire, mais
HPV muqueux génitaux, a été utilisé comme modèle de peut persister jusqu’à deux ans chez l’enfant [24]. Elle
transmission sexuelle des HPV. L’évolution des techni- est parfois associée à la survenue d’un cancer oropha-
ques de biologie moléculaire et de culture cellulaire, le ryngé. En cas de lésion orale ou génitale chez des enfants
clonage et le séquençage du génome de nombreux papil- plus âgés, la distinction entre transmission périnatale et
lomavirus ont ouvert de nouvelles possibilités d’étude. inoculation secondaire par contamination indirecte
Actuellement, la réplication virale et les interactions manuportée ou oropharyngée, familiale ou au contact
entre le virus et la cellule infectée sont analysées dans d’autres enfants, voire sexuelle, est difficile. Plusieurs étu-
des cultures de kératinocytes en radeau ou dans des des démontrent en effet un portage oropharyngé d’HPV à
modèles organotypiques, biopsies en culture ou greffes haut risque chez les enfants de moins de 11 ans, avec une
de tissu épithélial sous la capsule rénale de souris immu- prévalence pouvant aller jusqu’à 60 % selon les métho-
notolérantes. L’utilisation de pseudo-particules virales de des, ainsi que la présence de co-infections, qui suggère
protéine L1 dans ces modèles permet d’étudier l’entrée et des modes de contamination multiples [25, 26].
le trafic du virus dans les cellules ainsi que l’interaction Concernant l’infection des voies sexuelles par les HPV
virus-cellules. génitaux, le pic d’infection est observé au moment des
premiers rapports, soulignant la transmission sexuelle de
l’infection. À 20 ans, près de 40 % des jeunes femmes ont
Modes d’acquisition de l’infection été infectées par un HPV. La prévalence de l’infection
diminue ensuite du fait de la clairance spontanée pour
Les papillomavirus sont essentiellement transmis par atteindre 10 % à partir de 30 ans [27]. Un deuxième pic
contact direct de peau à peau ou de muqueuse à d’infection, moins important, est souvent observé chez les
muqueuse [3]. La transmission par les mains, le linge ou femmes ménopausées (figure 4). Chez l’homme, la préva-
les surfaces contaminées est également possible. La trans- lence de l’infection varie de 20 % à 80 % selon les études.
mission sexuelle des HPV est favorisée par la forte charge Elle est globalement plus faible que chez la femme [22].
virale présente au niveau des voies anogénitales à la phase
productive de l’infection, ce qui fait de l’infection par les
HPV muqueux génitaux la plus fréquente des infections Cycle viral
sexuellement transmises. Les hommes sont également
infectés au niveau pénien ou anal et sont donc des vec- Les papillomavirus présentent une spécificité d’espèce
teurs majeurs des papillomavirus génitaux [21, 22]. stricte et ne se répliquent que dans les cellules des épithé-
Les HPV génitaux sont également retrouvés dans les liums stratifiés. La coévolution entre les papillomavirus
poils pubiens et les sécrétions génitales. Les infections et leurs hôtes a pour conséquence un lien étroit entre
externes pouvant migrer secondairement au niveau du chaque génotype et la différenciation de ses cellules-
col, l’infection est possible même en l’absence d’acte cibles (épiderme plantaire, peau extragénitale, anogéni-
sexuel et de pénétration, et une lésion au niveau du col tale, ou muqueuse anogénitale et oropharyngée). Les virus
doit faire rechercher une autre localisation au niveau de pénètrent dans l’épithélium à la faveur d’une microlésion
l’ensemble du périnée. Ceci explique également les et infectent les cellules de la couche basale, qui sont les
données controversées concernant la protection conférée seules capables de proliférer. Les cellules cibles sont
par l’usage de préservatifs, en particulier chez la femme directement accessibles au virus au niveau de la zone
[22, 23]. Du fait de leur mécanisme de transmission de jonction entre épithélium mapighien de l’exocol et
identique, plusieurs espèces d’HPV peuvent être simulta- l’épithélium glandulaire de l’endocol ou du canal anal,
nément ou successivement transmises, et les co-infections expliquant la localisation préférentielle des lésions. Chez
sont fréquentes (20 à 30 %) dans la population générale les jeunes adolescentes, l’extension de la zone de jonc-
féminine [19]. Les hommes peuvent également être infec- tion endocol-exocol pourrait également expliquer la
tés par plusieurs types d’HPV (51 % de co-infections) et susceptibilité de cette tranche d’âge à l’infection lors des
peuvent donc transmettre plusieurs types, simultanément premiers rapports sexuels. L’existence d’une zone simi-
ou successivement [22]. laire au niveau des amygdales pourrait expliquer la forte
La transmission verticale, au moment de l’accouche- prévalence des HPV dans les cancers du tissu amygdalien
ment, d’un HPV 6 ou 11, à partir de lésions génitales ou (51 % versus 25 % pour l’ensemble des cancers oropha-
de condylomes maternels à forte charge virale, peut être à ryngés) [11]. Au contraire, les cancers vulvaires ou
25 25
20 20
15 15
10 10
5
5
0
0
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90
Cancer du col de I'utérus en France : Incidence Mortalité
(Sources INVS 2003)
Figure 4. Épidémiologie de l’infection par les HPV génitaux chez la femme en fonction de l’âge.
péniens sont plus rares. Les récepteurs du virus et le mais la réplication virale est très faible et l’infection virale
mécanisme d’entrée font l’objet de nombreuses recher- abortive stimule la prolifération cellulaire via E6 et E7.
ches. Ils diffèrent selon les types. Les intégrines de type Le nombre de cellules produisant des virions est faible,
α6 et l’héparan sulfate sont impliqués dans la fixation du les ARN messagers E6 et E7 sont abondants, et les cellules
virus à la basale et dans l’accès au récepteurs. L’entrée se transformées par HPV sont majoritaires. Une forte charge
fait par endocytose, médiée par la voie des clathrines virale ADN HPV, en particulier une augmentation de
pour HPV16 ou 58 ou par la voie des cavéoles pour la charge virale E6 et une diminution de la charge virale
HPV31 [28]. Le cycle viral suit la différentiation de l’épi- E2 témoignant de l’intégration virale, et la présence
thélium (figure 5). La réplication du génome viral a lieu d’ARN messagers E6 et E7, sont ainsi des facteurs pronos-
dans les cellules basales. Après décapsidation et migra- tiques d’évolution vers une lésion de haut grade ou un
tion de l’ADN viral vers le noyau, la réplication du cancer, que ce soit au niveau des muqueuses génitales
génome viral par les enzymes cellulaires, puis le maintien ou des muqueuses oropharyngées [29, 30].
de 50 à 100 copies de génome dans les cellules basales et
suprabasales, sont contrôlés par les protéines E1 et E2.
Le maintien des cellules basales et suprabasales en Persistance ou clairance de l’infection :
phase de synthèse d’ADN (phase S), indispensable au facteurs viraux - facteurs de l’hôte
cycle viral, est assuré par les protéines E6 et E7, exprimées
à faible taux. Dans la basale et dans la zone suprabasale Tous les HPV sont à l’origine de lésions ou proliféra-
sont exprimées les protéines régulatrices précoces E1, E2, tions de bas grade. Au contraire, les lésions de haut grade
E5, E6 et E7. Les protéines de structure L1 et L2, permet- et les cancers invasifs sont majoritairement associés à la
tant l’assemblage des particules virales et l’encapsidation présence d’HPV à haut risque oncogène. Au niveau des
de l’ADN viral, sont exprimées dans les zones différen- muqueuses, la survenue d’une lésion de haut grade ou
ciées plus ou moins kératinisées selon l’épithélium. d’un cancer est en général précédée de l’apparition
La protéine E4, responsable des modifications du cyto- d’une lésion de bas grade, que ce soit au niveau des
squelette associées au trafic intracellulaire des constituants muqueuses génitales ou des muqueuses oropharyngées
viraux, est exprimée tout au long de la différenciation cel- [26, 31]. Si la persistance de l’infection par un HPV est
lulaire. Les cellules chargées de virions desquament et se un facteur indispensable de l’évolution vers un cancer,
lysent à la surface de l’épithélium, permettant la diffusion l’infection par un HPV à haut risque et l’existence de
du virus. Elles sont reconnaissables à la présence d’inclu- cofacteurs liés au terrain est un phénomène fondamental
sions virales. Ce sont les koïlocytes, visibles sur le frottis dans la genèse des cancers liés à ces virus. Les détermi-
cervico-utérin, pathognomoniques de l’infection par un nants de la persistance sont à la fois viraux – type ou
HPV. L’infection productive aboutit à la production d’un variant, charge virale, intégration de l’ADN et caractéris-
très grand nombre de particules virales, favorisant la dis- tiques des protéines E6 et E7 – et liés au terrain – réponse
sémination de l’infection. Lorsque l’infection productive immune, génétique, cocarcinogènes. Au niveau du col
évolue vers la persistance virale, les protéines E6 et utérin, la grande majorité des HPV est éliminée spontané-
E7 permettant le maintien de la prolifération cellulaire, ment en un à deux ans. Les études de cohortes montent
sont préférentiellement exprimées. Dans les lésions pré- que 10 % seulement des infections par un HPV muqueux
cancéreuses, les phases du cycle viral sont maintenues, génital progressent vers une lésion de haut grade et un
INF
CMH Intégrine
classe I/II α6
Synthèse d’anticorps TCR CMH classe I
(exsudation ou
transsudation) TNFα
Synthèse
s ADN Protéines
structurales
Koïlocytes + +++
Couche basale + -
Membrane basale
Vaisseaux sanguins
Organes lymphoïdes sous-épithéliaux
Lymphocyte T
s IgA-sécrétoire
INF Interféron
Figure 5. Physiopathologie de l’infection et réponse immune naturelle au cours de l’infection par un HPV.
Koïlocytes
L1, L2
ADN épisomal
ADN épisomal
E6, E7
puis
E4
ADN intégré
Suprabasale Modifications
Basale épigénétiques
Cellule transformée
Figure 6. Cycle viral normal et évolution vers une prolifération maligne au cours d’une infection par un HPV muqueux génital. (D’après
[54] et [4]).
Le cancer du col ne survient qu’en présence d’une infection persistante par un papillomavirus. Parmi les femmes infectées par un HPV à
haut risque, l’infection régresse spontanément dans 90 % des cas. Une infection persistante se développe dans 3 à 10 % des cas qui évo-
lue vers une lésion de haut grade sous l’influence du type viral (oncogène), mais aussi de l’âge, du terrain immunologique. Une infection
sexuellement transmise associée, l’imprégnation œstrogénique ou un déficit immunitaire sont des facteurs favorisant la persistance de
l’infection. Le tabac joue à la fois un rôle immunosuppresseur et cocarcinogène. L’évolution se fait en général lentement, en 7 à 30 ans.
Dans certains cas, l’infection peut évoluer très rapidement en deux à trois ans vers une lésion précancéreuse (CIN II ou III), puis poursuivre
son évolution vers un cancer.
A) Évolution des lésions au niveau de l’épithélium ; B) modifications du cycle viral au cours de la progression vers un cancer : à gauche le
cycle viral est productif, les lésions sont bénignes et spontanément régressives ; à droite , au cours de la persistance virale le cycle viral est
abortif, avec maintien du virus dans les cellules basales et risque d’intégration.
* Certaines lésions peuvent évoluer en deux à trois ans vers une lésion de haut grade précurseur de cancer.
CIN I ou LSIL (Low Grade Squamous Intra Epithelial Lesion ; lésion de bas grade) : à ce stade on observe une prolifération virale, avec koï-
locytose, dysplasie modérée, et une extension des lésions ne dépassant pas le tiers de l’épithélium, l’ADN viral est sous forme épisomale,
les protéines E6 et E7 favorisent la prolifération.
CIN II-III ou HSIL (High grade Squamous Intra Epithelial Llesion ; lésion de haut grade): dysplasie sévère à modérée, avec extension à la
totalité de l’épithélium, et instabilité génomique sous l’influence de E6 et E7. L’ADN viral est présent sous forme intégrée. La réplication
virale est réduite. La régression des lésions est moins fréquente. Le nombre de copies de génome HPV est corrélé avec le potentiel évolutif
des lésions.
Cancer : les cellules transformées, du fait de la prolifération et de l’instabilité génétique constamment entretenue par la synthèse dérépri-
mée des protéines E6 et E7, ont acquis les propriétés nécessaires au développement de la tumeur, telles que la perte d’inhibition de
contact et la capacité d’envahissement de la basale permettant le passage dans le tissu conjonctif puis l’atteinte ganglionnaire et la dissémi-
nation de métastases.
soit la région du globe, HPV 16, 18, 31, 33, 35, 45, 52, et immune est essentiellement spécifique de type, reflétant
58 sont les plus présents dans les lésions précancéreuses et la nature spécifique de type des épitopes B et T. L’exis-
les cancers du col [17, 19]. L’infection par un HPV 16, 18, tence d’une protection croisée, observée cliniquement
31 ou 33 est un facteur de risque d’évolution d’une lésion lors des essais vaccinaux, pourrait correspondre à la pré-
de bas grade vers une lésion de haut grade, la présence sence d’épitopes communs à des types d’HPV phylogéné-
d’HPV 16 étant un facteur majeur d’évolution défavorable tiquement proches (HPV 16 et HPV 31).
dans les études prospectives [34]. La fréquence de détec- D’une façon générale, la réponse immune contre les
tion d’HPV 16, et, à un moindre degré, celle d’HPV 18 et HPV au niveau des épithéliums est peu efficace. Les kéra-
d’HPV 45 augmentent avec le degré de dysplasie pour être tinocytes sont de mauvaises cellules présentatrices d’anti-
maximales dans les cancers, alors que la fréquence rela- gènes et les cellules dendritiques sont peu nombreuses.
tive des autres types diminue, témoignant de la capacité Le déroulement intraépithélial du cycle viral, peu lytique
oncogène d’HPV 16 [19]. En cas d’immunodépression, avec une faible production des protéines virales et un
chez les personnes infectées par le VIH ou chez les trans- relargage des virions uniquement en surface de l’épithé-
plantés, et on observe une diminution apparente de la pré- lium, ainsi que l’absence de virémie, exposent peu le
valence du type 16 au profit d’autres types, dont le pouvoir virus au système immunitaire, en particulier aux cellules
oncogène est favorisé par l’immunodépression [35]. de Langerhans et aux cellules dendritiques. La production
Les types à haut risque oncogène diffèrent des types de cytokines pro-inflammatoires est donc peu ou pas sti-
non oncogènes par leur capacité de persistance, du fait mulée, ce qui favorise un état de tolérance immunitaire.
de différences génétiques, conférant des propriétés trans- Enfin, les protéines E6 et E7, notamment pour HPV 16,
formantes accrues aux protéines E6 et E7. En outre, cer- diminuent l’expression des récepteurs de surface de type
tains variants oncogènes possèdent des mutations TLR 9 (Toll Like Receptor 9), reconnaissant les ADN
d’échappement aux défenses immunitaires et aux barriè- viraux ou bactériens. S’y associent l’inhibition du système
res naturelles contre l’infection. Par ailleurs, l’étude com- interféron par les protéines E6 et E7, la diminution par la
parée des HPV génitaux et des HPV cutanés montre que protéine E5 de la présentation des antigènes par les molé-
les mécanismes de progression vers un cancer diffèrent cules HLA de classe II, qui favorisent l’échappement
entre les HPV α et les HPV β – ces caractéristiques seront immunologique [1, 37-40]. La réponse immune est donc
développées plus bas. Au cours du cycle viral normal, la modérée et retardée, ce qui favorise l’installation et la
protéine E5, pour les HPV muqueux génitaux, et la pro- persistance de l’infection.
téine E1 favorisent la persistance virale. E5 stimule la pro- Plusieurs observations illustrent l’importance des
duction de E6 et E7, et E1 permet la persistance de l’ADN réponses cellulaires : ainsi l’élimination d’une verrue
épisomal dans les cellules basales [36]. conduit à l’élimination des autres verrues, probablement
par stimulation de l’immunité par les virions relargués.
Le maintien d’une infection latente par certains types
Les traitements stimulant la réponse immunitaire T locale
viraux après clairance de l’infection productive pourrait
tels que l’imiquimod ont montré une efficacité dans le
expliquer la réapparition de l’infection avec le même
traitement des lésions cutanées et muqueuses [41]. L’alté-
virus, observée dans les cohortes de femmes suivies plus
ration des défenses immunitaires cellulaires, physiolo-
de 10 ans. La sénescence de l’immunité cellulaire et
gique (grossesse, ménopause) ou acquise (infection par
l’immunodépression pourraient participer à ces réacti-
le VIH, tranplantation) augmente la persistance et la fré-
vations, expliquant le pic d’infection observé chez les
quence, non seulement des infections HPV à haut risque
femmes ménopausées (figure 4) ou la réapparition de
oncogène, mais aussi des infections bénignes, condylo-
l’infection chez les sujets infectés par le VIH. Chez les
mes ou lésions cutanées [3, 42, 43]. Dans les modèles
HPV génitaux oncogènes, une protéine virale issue d’un
animaux comme chez l’Homme, les réponses cytotoxi-
ARN transcrit codant une protéine de fusion ente E8 et
ques sont faibles ou indétectables dans les lésions cancé-
E2 pourrait inhiber la réplication du génome viral et
reuses. Au contraire, la régression des lésions est associée
favoriser le maintien de la latence.
à une réponse cytotoxique et T helper intense, dirigée
contre les protéines E1, E2, E6, E7 et L2 [1, 40]. La déré-
Réponse immune gulation de la réponse cellulaire spécifique par les HPV
L’échappement viral à la réponse immune favorise la associe l’inhibition des réponses Th1 et Th2, l’inhibition
persistance virale. L’étude des modèles animaux et l’ana- par E7 de l’expression du transporteur TAP1 qui permet le
lyse des réponses immunes dans la genèse des cancers du chargement des peptides antigéniques sur les molécules
col ont montré le rôle majeur de l’immunité cellulaire HLA de classe I avant leur transfert vers la surface cellu-
dans la régression de l’infection et la prévention des réin- laire, diminuant la présentation des antigènes et la
fections avec un même type viral. La réponse humorale réponse cytotoxique, l’induction de cellules T CD4 régula-
par la présence d’anticorps neutralisants, prévient l’infec- trices (Treg), favorisant la tolérance de l’infection et sa per-
tion de nouveaux sites et les réinfections. La réponse sistance [40].
niveau des zones de jonction entre épithélium malpighien des anomalies de ségrégation des chromosomes, avec
et épithélium glandulaire. L’évolution d’une infection par duplication des centrosomes, et divers phénomènes épi-
un HPV oncogène vers un cancer nécessite la coopéra- génétiques entraînant une instabilité génétique et une
tion de plusieurs protéines virales interférant avec le aneuploïdie, sous l’influence des protéines E6 et E7, déré-
cycle cellulaire normal. Deux oncoprotéines, E6 et E7, gulant l’expression des protéines oncogènes virales. Cet
dont les propriétés transformantes ont été démontrées in événement est associé à une augmentation de la dyspla-
vitro et in vivo, sont essentiellement impliquées. E5 pos- sie, et précède l’intégration. L’intégration du génome viral
sède également des propriétés transformantes, mais son dans le génome cellulaire constitue un événement
mécanisme d’action est moins connu. Selon le type majeur, qui intervient dans les premières phases d’évolu-
viral, cutané ou muqueux, les mécanismes moléculaires tion vers un cancer. C’est un événement terminal qui
impliqués sont différents [4, 5, 53]. interrompt la réplication virale. Au cours de l’intégration,
le génome viral est clivé au sein de séquences codant
HPV génitaux muqueux E1 ou E2, préservant les séquences codant E6 et E7.
Cela affranchit la synthèse de E6 et E7 du contrôle exercé
L’infection par un HPV est une condition nécessaire par E2 au cours du cycle viral normal et contribue à aug-
au développement d’un cancer du col utérin, comme en menter la dérégulation du cycle cellulaire. L’intégration
témoigne la présence du génome viral, retrouvée dans du génome viral est constamment observée dans les can-
99,9 % des cancers du col et dans plus de 80 % des cers liés à HPV 18 alors qu’elle n’est pas systématique
lésions de haut grade. L’évolution d’une lésion de bas dans les cancers liés à HPV 16 (figure 6).
grade vers une lésion de haut grade puis un cancer néces- Les HPV muqueux oncogènes se caractérisent essen-
site la persistance de l’infection virale et nécessite en tiellement par les propriétés particulières de leurs onco-
général sur plusieurs années. Au niveau cellulaire, l’évo- protéines E6 et E7 qui coopèrent pour assurer le maintien
lution d’une dysplasie de bas grade vers une lésion de de la réplication virale dans les cellules différenciées
haut grade est associée à phase initiale de prolifération (figure 7). E6 favorise la dégradation de la protéine p53,
cellulaire, avec production persistante des oncoprotéines qui active notamment l’apoptose en cas de lésions de
E6 et E7 et diminution de la réplication virale et de l’ADN cellulaire, mais aussi celle d’autres protéines régu-
l’expression des autres protéines virales. Puis surviennent lant le cycle cellulaire. E6 se lie à p53 en favorisant son
Augmentation Anomalies
de la duplication Aneuploïdie génétiques
des centrosomes Immortalisation
cellulaire
Dégradation
Inhibition de la
de pRB/E2F restriction G1/S
Prolifération
aberrante
E7 Immortalisation
Dégradation des Inhibition de la
PDZ protéines restriction G1/S
Suppression Facilitation
E5 Dégradation de la prolifération
Activation E6 de P53 des réponses
de la transcription sentinelles
E6AP
E6
Dégradation
de NFX1
E6
C-myc
Suppression Anomalies
hTERT de l’érosion
Activée génétiques
des télomères
Formation de ponts Immortalisation
anaphasiques cellulaire
Figure 7. Coopération des protéines E6, E7 et E5 des HPV muqueux génitaux dans la persistance virale et l’oncogénèse virale.
Les protéines E5, E6 et E7 coopèrent non seulement pour favoriser l’échappement du virus à la réponse immune mais aussi pour transfor-
mer les cellules basales et suprabasales. L’activation de la prolifération cellulaire par inactivation des répresseurs de l’entrée en phase S,
la dérégulation de la ségrégation des chromosomes et l’augmentation de l’activité télomérase contribuent à augmenter la fréquence des
mutations dans les cellules en phase de croissance. L’inhibition des facteurs cellulaires suppresseur de tumeur p53 et pRB empêche la des-
truction des cellules transformées.
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