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Commentaire d’arrêt > Cass. 2ème civ.

30 juin 2011

Cet arrêt de rejet rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date
du 30 juin 2011 est relatif à la responsabilité imputée à un casino en cas d’un
manquement à une obligation d’agir.

A compter du 8 mai 2001, Mme X… a été interdite de jeux par l’autorité administrative
pour une durée de 5 ans. Cette interdiction avait été formulée à sa demande. Néanmoins,
pendant les 3 années qui ont suivi, cette dernière a tout de même continué à fréquenter
les salles de jeux d’un casino en y accumulant les pertes. La joueuse a alors assigné le
Casino en réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle.

Dans un arrêt rendu le 12 mai 2010, la cour d’appel de Rennes a reçu la requête de la
joueuse et a ainsi condamné la société au paiement de dommages-intérêts. Dès lors, la
société gérante a formé un pourvoi en cassation pour faire valoir sa cause. Afin de
soutenir son pourvoi, le Casino invoque le moyen selon lequel une victime ne peut obtenir
la réparation de la perte de ses rémunérations si celles-ci sont illicites. En indemnisant le
dommage subi par Mme X…, alors que la cour d’appel considérait que le contrat de jeu
liant le casino à la victime était entaché de nullité car il reposait sur une cause illicite,
cette dernière aurait alors violé les dispositions de l’article 1382 du code civil. De plus, la
société considère qu’elle n’a commis aucune faute en ce qu’aucune prescription légale ou
réglementaire n’imposait la vérification d’identité des joueurs dans les pièces où sont
mises à dispositions des machines à sous. En retenant sa responsabilité délictuelle, la
cour d’appel aurait violé une nouvelle fois l’article 1382 du Code civil, l’article 14 du
décret du 22 décembre 1959 dans sa rédaction antérieure au décret du 13 décembre
2006 et l’article 22 de l’arrêté du 23 décembre 1959. En effet, la cour d’appel retient la
faute du Casino car celui-ci n’aurait pas instauré de pratiques interdisant l’accès de ses
salles aux personnes figurant sur la liste nationale des personnes exclues des salles de
jeux.

Ainsi, un interdit de jeu peut-il invoquer la responsabilité du Casino pour ses pertes alors
que celui ci était inscrit sur la liste nationale des personnes exclues des salles de jeux ?

Dans un arrêt du 30 juin 2011, la Cour de cassation a rendu un arrêt affirmant la décision
rendue précédemment par les juges du fond. Pour rejeter le pourvoi formé par le casino,
cette dernière considère que tant que Mme X… ne demande pas le paiement des sommes
gagnées au jeu, et que la société n’avait pris aucune dispositions tendant à faire
respecter la mesure d’exclusion, la victime était légitime à agir en réparation. En effet, le
Casino avait bien commis une faute d’abstention fautive en ce que cette dernière n’a pas
assurer l’efficacité de la mesure d’exclusion, tendant à évincer Mme X… des salles de
jeux en raison de son addiction au jeu. Ainsi, même si le contrat liant les deux parties au
litige était illicite, l’action de Mme X… est recevable tant que cette dernière ne sollicite
pas le règlement de ses gains.

Nous verrons dans un premier temps que la joueuse dispose d’un intérêt à agir en
réparation en ce que cette dernière sollicite le règlement de ses pertes (I). En effet,
l’indemnisation de la victime est justifiée même si le contrat était privé de licéité car
cette dernière ne demande pas le paiement des sommes gagnées au jeu. Puis nous
verrons dans un second temps que la faute de la société est caractérisée bien qu’elle
représente en réalité l’application rétroactive du décret (II).
I. Un intérêt légitime à agir donnant droit à réparation

La Cour de cassation, en rendant son arrêt, se prononce en faveur du caractère


réparable du préjudice allégué à Mme X. Pour accéder à la demande de cette dernière, la
Haute Juridiction s’inspire de la jurisprudence antérieure concernant des cas similaires
(A). C’est ainsi qu’elle considère qu’en l’espèce, une indemnisation est possible car le
préjudice résulte de pertes de jeux (B).

A. Une décision découlant de la jurisprudence antérieure

En considérant que la joueuse avait un intérêt légitime à agir en réparation, il est clair
que la Cour s’inspire ici de la jurisprudence antérieure afin de rendre sa décision. En effet,
cette dernière prend exemple de l’arrêt du 22 février 2007. Dans cet arrêt, la Cour de
cassation censurait la décision de la cour d’appel qui avait condamné un casino à
indemniser une personne, également interdite de jeu. Cette personne avait gagné une
somme d’argent que le casino refusait de lui payer. Lors de cette affaire, le joueur
demandait réparation au titre d’une perte de ses gains.

Dans le premier arrêt, le préjudice n’avait donc pas été indemnisé car il reposait sur le
gain au jeu alors que dans le second, le préjudice est considéré comme réparable car il ne
correspond pas aux sommes gagnées. Ainsi, pour retenir l’intérêt à agir de la victime, la
Cour de cassation s’est ici appuyée sur le fait que la victime ne demandait pas le
règlement des sommes gagnées au jeu. En effet, elle explique cela dans son dispositif en
ce que « l’arrêt retient que Mme X… ne demande pas le règlement de sommes gagnées
au jeu (…) la cour d’appel a déduit à bon droit que Mme X… n’était pas privée d’un
intérêt légitime à agir ». Il est donc clair que la Cour fait ici référence à l’arrêt de 2007 car
elle justifie sa décision en la comparant avec les faits de cet arrêt. Par conséquent, cette
décision découle bien de la jurisprudence de 2007.

De plus, on remarque que cette décision s’inspire aussi d’un autre arrêt rendu par la Cour
de cassation en date du 24 janvier 2002. Cet arrêt énonçait qu’ « une victime ne peut
obtenir réparation de la perte de ses rémunérations que si celles-ci sont licites ». Ainsi, en
contestant le caractère licite du préjudice, le pourvoi du casino fait ici référence à cet
arrêt car ce dispositif est repris pour soutenir son pourvoi. En effet, en indemnisant le
préjudice résultant de pertes de jeux, tout en constatant que le contrat de jeu était nul
pour cause illicite, le casino conteste l’allégation de dommages-intérêts à l’interdit de jeu.

Ainsi, il est constant que cette décision découle de la jurisprudence antérieure en ce


qu’elle motive sa décision en se référant à d’autres arrêts. En effet, la Cour considère que
tant que la victime n’invoque pas la réparation de ses gains, alors la demande est
recevable. Cette décision s’inscrit sur la lignée de l’arrêt du 22 février 2007. De plus, elle
suit l’arrêt de 2002 qui pose le principe selon lequel la réparation de ces rémunérations
n’a lieu qu’à condition que celles-ci soient licites. En se fondant sur la jurisprudence, la
Cour de cassation admet que ce préjudice est réparable en ce qu’il porte sur le règlement
des sommes perdues.

B. Une indemnisation possible du fait d’un préjudice réparable

Dans cet arrêt, la Cour de cassation approuve la décision de la cour d’appel en ce qu’elle
octroie à la joueuse la réparation de ses pertes dès lors que celle-ci n’inclut pas le
règlement des sommes gagnées au jeu. Le pourvoi énonçait ici que la victime ne pouvait
obtenir d’indemnisation parce que le contrat la liant avec le Casino reposait sur une
cause illicite. La Cour, se fondant alors sur l’arrêt de 2007, considère que la joueuse « ne
demande pas le règlement de sommes gagnées au jeu » et accueille alors la demande
d’indemnisation. Ici, le préjudice repose sur les propres pertes de la victime. Tant que
cette dernière n’invoque pas le règlement de ses gains, alors la Cour de cassation est
légitime à accéder à sa demande en réparation. Le préjudice est donc réparable en ce
qu’il ne repose pas sur l’indemnisation de ses gains.

De plus, le préjudice est réparable car ce ne sont pas les rémunérations qui sont illicites
ici mais le contrat de jeu. C’est pourquoi la victime a invoqué la responsabilité délictuelle.
La cause est illicite car la victime était frappée d’une interdiction de fréquenter les salles
de jeux au moment où le préjudice a eu lieu. Ainsi, selon la Cour de cassation, le
préjudice causé à la suite d’une situation illicite dans laquelle s’est placée la victime est
réparable. Cette décision montre une certaine limite en ce qu’un joueur pourrait être
indemnisé alors même qu’il était dans une situation irrégulière. Un interdit de jeu aurait
donc quand même un intérêt légitime à agir contre le casino qui le laisse jouer et perdre.

Dans cette décision, la Haute juridiction retient alors que le préjudice illicite en lui-même
n’est pas réparable mais que le préjudice causé à la suite d’une situation illicite dans
laquelle s’est placée la victime est réparable. La distinction entre ces situations paraît
très floue ce qui permet de s’interroger si le raisonnement de la Cour de cassation est
justifié.

Bien que le caractère réparable du préjudice peut paraître confus, la faute imputée à la
société est elle bien caractérisée.

II. L’engagement de la responsabilité délictuelle du Casino : une faute


d’abstention

Dans cet arrêt commenté, la Cour de cassation considère que la société du Casino
de La Baule a commis une faute d’abstention fautive. Pour soutenir sa décision, cette
dernière retient que le Casino aurait dû mettre en œuvre des dispositions afin d’assurer
l’efficacité de la mesure d’exclusion des salles de jeux. Nous verrons alors que si cette
abstention est légalement justifiée par les juges du droit (A), elle résulte néanmoins d’une
application rétroactive du décret de 2006 (B).

A. La caractérisation de la faute du Casino : une abstention fautive

Le 27 février 1951, la Cour de cassation a rendu l’arrêt Branly définissant alors la faute
d’abstention en ce que « la faute prévue par les article 1382 et 1383 peut consister aussi
bien dans une abstention que dans un acte positif. L’abstention, même non dictée par la
malice et l’intention de nuire, engage la responsabilité de son auteur lorsque le fait omis
devait être accompli soit en vertu d’une obligation légale, règlementaire ou
conventionnelle, soit aussi, dans l’ordre professionnel ». Ainsi, la faute d’abstention serait
une omission qui s’insèrerait dans l’action préalable du dommage. La personne qui omet
de faire quelque chose peut donc engager sa responsabilité civile.

En l’espèce, la Cour de cassation constate la faute du Casino qui n’aurait pas vérifié
l’identité de ses joueurs pour accéder dans ses salles de jeux, ce qui aurait alors permis
d’éviter le dommage. En effet, elle considère que « la société n’a pris aucune disposition
pour assurer l’efficacité de la mesure d’exclusion des salles de jeux concernant la
joueuse en raison de son addiction au jeu ». Le casino aurait pu prévenir le dommage en
prenant des mesures de contrôle propres à empêcher l’accès aux salles de jeux aux
personnes interdites par l’administration. De nombreux auteurs plaident en faveur de la
reconnaissance d’une faute du casino. Par exemple, C. Golhen précisait qu’ « un simple
contrôle systématique d’identité à l’entrée suffisait pour s’assurer que les personnes ne
sont pas inscrites sur la liste des interdits ».

Ainsi, la faute d’abstention est ici bien constituée car la société n’a pris aucune
disposition visant l’efficacité de cette mesure. De plus, l’obligation préexistante (condition
nécessaire pour établir la faute d’abstention) réside ici dans l’article 14 du décret du 22
décembre 1959 en ce que « toute personnes désirant accéder aux salles de jeux est
tenue de justifier son identité » et en ce que « l’accès aux salles de jeux est interdit aux
personnes dont le ministère de l’intérieur a requis l’exclusion ». Planiol rappelle
l’exigence d’une obligation préexistante, car il affirme que la faute consiste dans « la
méconnaissance d’un droit ou d’une obligation imposée par l’ordre juridique. » Par
conséquent, la faute serait ici qualifiée car la Casino aurait manqué à son obligation
posée dans le décret de 1959. Néanmoins, on peut se demander si la Cour de cassation a
réellement caractérisé cette faute d’abstention ? Comment déduire de ce texte une
obligation de vérifier l’identité des joueurs ? En effet, il semble que l’article de ce décret
s’adresse aux visiteurs du casino plutôt qu’à ses gérants.

Pour retenir l’abstention du casino, il est alors clair que la Cour de cassation n’applique
pas le décret de 1959 mais plutôt celui qui l’a repris, c’est-à-dire celui de 2006.

B. … Selon une application rétroactive du décret de 2006

L’ancien article du décret de 1959 visait les visiteurs des salles de jeux plutôt que les
gérants de ces salles. Ainsi, l’article 14 du décret a été modifié. Dorénavant, cet article
prévoit que « l’accès aux salles de jeux est interdit aux mineurs, même émancipés, et
aux personnes dont le ministre de l’intérieur a requis l’exclusion. Toute personne désirant
accéder aux salles de jeux est tenue de justifier de son identité. A cette fin, chaque
établissement met en place un dispositif de contrôle systématique à l’entrée des salles
de jeux ».

Cet article demeure désormais clair : les sociétés gérantes de Casino doivent mettre en
place un dispositif de contrôle à l’entrée des salles de jeux. L’ancien article, lui, imposait
seulement aux joueurs de présenter leur identité avant d’entrer dans ces salles.
Néanmoins, on peut constater que les faits s’étant déroulés en 2004, le décret de 2006
ne devrait pas être applicable en ce que le dommage a bien eu lieu deux ans avant son
entrée en vigueur.

Dès lors, la Cour de cassation s’appuie ici sur un décret datant de 2006 pour justifier une
décision alors que les faits sont antérieurs. La solution aboutit donc à une application
rétroactive d’une disposition inapplicable à l’époque des faits. En droit français, le
principe de non rétroactivité est admis comme un principe constitutionnel en ce que les
justiciables doivent connaître l’étendue de leurs actes avant même de les accomplir.
Ainsi, en appliquant ce décret permettant à la Cour de cassation de caractériser la faute
du Casino, cette dernière montre une certaine volonté répressive. En effet, si elle n’avait
pas motivé sa décision par ce décret, la faute d’abstention n’aurait peut être pas été
admise car aucune obligation n’imposait aux gérants d’un casino de contrôler l’accès aux
salles de jeux.

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