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UE GEO 422 : Dynam ique des versants et hydrosystèm es fluviaux

Partie Hydrosystèm es fluviaux


Cours dispensé par Pr Jean Guy DZAN A

1. Des concepts fondamentaux aux approches applicables aux


hydrosystèmes fluviaux

1.1. Du concept de système fluvial à celui d’hydrosystème

Le concept d’hydrosystème dérive de celui de système fluvial et apparaît au final comme


son prolongement. Ce dernier, faut-il le préciser, a été formalisé et explicité dans toutes ses
composantes pour la première fois par Stanley A. Schumm dans un ouvrage fondateur (The
Fluvial System), paru en 1977. Il a été proposé à la suite des travaux pionniers de A.N.
Strahler (1950), qui introduisit la théorie des systèmes et les principes de la
thermodynamique dans l’analyse des bassins versants, et de R.J. Chorley (1962), qui
suggéra, quant à lui, que toute réflexion ou toute démarche analytique sur les cours d’eau
puisse reposer sur le concept d’équilibre dynamique (dynamic steady state). Il peut, en fin
de compte, être vu comme le résultat de la formalisation d’un principe intégrateur issu de la
démarche empirique de terrain et des principes de la systémique.

Schumm (1977) considère le système fluvial comme l’arrangement significatif d’entités


morphologiques que sont les versants, les plaines d’inondation et les chenaux. Comme tout
système ouvert (open system), il se caractérise par des limites, qui sont celles données par
le bassin versant, par des talwegs généralisés, qui sont les éléments du réseau
hydrographique, ainsi que par les flux entrants et sortants, qui sont l’eau et les sédiments,
voire des solutés et la matière organique, si l’on souhaite élargir le système fluvial au
fonctionnement de l’écosystème.

Les chenaux et le lit majeur accommodent les flux liquides et solides en transit mais
présentent la particularité d’être auto-ajustables. En d’autres termes, la géométrie en long
(la pente) et en travers (la largeur et la profondeur) ainsi que le style fluvial (exprimé par le
tracé en plan) peuvent se transformer à partir d’un état initial, si les flux en transit
connaissent des modifications modérées mais durables ou s’ils subissent des épisodes de
crise exceptionnels. Il s’agit donc d’un système à processus-réponse (process-response
system).

Cette conception rejoint celle des degrés de liberté (degrees of freedom) d’une rivière
(Hey, 1988) formés par la pente, la largeur, la profondeur et la rugosité liée à la nature des
matériaux du fond. La variation (augmentation/diminution) du débit liquide et du débit solide
(variables externes ou indépendantes, ou encore variables de contrôle) se traduit par un
ajustement des variables internes (également qualifiées de variables dépendantes, de
variables géométriques, ou encore de variables de réponse).

Cet ajustement peut correspondre, lorsqu’il s’agit de modifications mineures à l’échelle


des formes du lit, à des oscillations de faible ampleur et de courte durée autour de
conditions moyennes. Cette réponse oscillante amortie est qualifiée d’équilibre dynamique ou
de quasi-équilibre (quasi-equilibrium). Si les facteurs de contrôle externes viennent à
changer substantiellement et durablement, il s’ensuit des modifications importantes des
propriétés morphologiques internes du cours d’eau (tracé en plan ou style fluvial, pente) qui
rendent compte de l’ajustement du lit fluvial au nouvel équilibre imposé. On parle dans ce
cas de métamorphose fluviale (fluvial metamorphosis).

Une façon de considérer le cours d’eau à l’échelle de l’aire de drainage a été proposée par
Schumm (1977) qui divise le système bassin versant en trois parties distinctes, échelonnées

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selon un gradient longitudinal et représentant différents types de systèmes à processus-


réponse (Figure 1).

Figure 1. Le système fluvial illustré schématiquement par la zonation de Schumm


(1977). A noter la prédominance des transferts longitudinaux.

1°) La zone 1 (ou zone de production ou encore zone d’alimentation) correspond à la


partie amont du bassin (ou tête de bassin) dans laquelle la genèse de l’écoulement et
de la charge sédimentaire est déterminée par des processus de versant. Cette zone
se distingue par de fortes connexions latérales entre le versant et le chenal.

2°) La zone 2 ou zone de transfert. Il s’agit de la partie intermédiaire du réseau


hydrographique par laquelle l’eau et les sédiments transitent en direction des plaines
alluviales.

3°) la zone 3 ou zone de stockage, constituée par les larges plaines alluviales des
cours d’eau principaux où se déposent une grande partie des matériaux transportés.

Toutes ces conceptions ont été reprises et enrichies dans le cadre de recherches
entreprises au courant des années 1980 sur le Rhône (un cours d’eau français). La démarche
interdisciplinaire et intégrée de l’analyse qui les sous-tendait a contribué à l’émergence du
concept d’hydrosystème fluvial. Ce concept conduit à considérer les environnements fluviaux
comme la résultante de processus physiques mais aussi chimiques et biologiques, agissant à
l’échelle du bassin versant et à des échelles temporelles comprises entre 1 an et une dizaine
de millénaires.

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Contrairement aux approches classiques des cours d’eau et des systèmes fluviaux basées
sur l’unidirectionnalité des flux, le concept d’hydrosystème se fonde sur la prise en
considération des flux bidirectionnels de matières, d’énergie et d’organismes au sein des
plaines alluviales.

En pratique, l’hydrosystème fluvial est considéré comme un système complexe constitué


de milieux ou d’écosystèmes (pour parler comme les écologues) interactifs se caractérisant
par 3 dimensions spatiales : longitudinale, transversale et verticale (Figure 2).

Figure 2. Modèle schématique de l'hydrosystème dans ses trois dimensions spatiales

La dimension longitudinale se réfère à tous les phénomènes résultant des flux


unidirectionnels le long du gradient amont-aval. La dimension transversale considère tous les
éléments disposés à la surface des plaines alluviales et leurs interactions qui se manifestent
par des flux bidirectionnels horizontaux. La dimension verticale concerne la superposition des
écosystèmes superficiels et souterrains et leurs échanges aussi bien à proximité de l’axe
fluvial (sous-écoulement fluvial) que sur les marges de la plaine (aquifère alluvial et nappes
phréatiques des versants).

A ces dimensions spatiales, s’ajoute la dimension temporelle qui apparaît particulièrement


importante dans le concept d’hydrosystème fluvial et qui doit être appréhendée à des
échelles emboîtées. En effet, des événements brefs et aléatoires, telles certaines crues,
agissent comme des "perturbations" qui influencent aussi bien la structure physique de
l’hydrosystème que l’organisation de certains de ses peuplements. En outre, à l’échelle d’un
cycle hydrologique annuel, l’alternance d’épisodes de crues et d’étiages joue un rôle majeur
dans les flux bidirectionnels. A une échelle intermédiaire (10-100 ans), les processus
physiques régissant la dynamique fluviale (érosion, alluvionnement, changements de
tracé,…) modifient les biotopes et interfèrent avec les processus des successions écologiques
(développement et changement de peuplements et accumulations de biomasse) dans la
genèse et la dynamique de la mosaïque fluviale. Des boucles de rétroaction apparaissent
aussi à cette échelle temporelle et peuvent soit accélérer certains processus (rétroactions

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positives), soit au contraire les réduire (rétroactions négatives), maintenant dans ce cas le
système ou le sous-système concerné dans un état de quasi-équilibre. Des processus
géomorphologiques plus globaux et des changements climatiques majeurs se déroulant à
plus long terme (103-104 ans et plus) affectent aussi l’organisation et le fonctionnement des
hydrosystèmes fluviaux.

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Figure 3. Relations et hiérarchie entre variables d'un hydrosystème fluvial
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Au total, les concepts de système fluvial et, surtout, d’hydrosystème conduisent à


considérer les cours d’eau comme une association d’entités fluviales hiérarchisées et
emboîtées où les dynamiques s’exerçant aux niveaux supérieurs influencent ou contrôlent
celles qui se réalisent aux niveaux inférieurs (Figure 3). Les différents niveaux successifs sont
contrôlés par des processus et des facteurs se réalisant à différents pas de temps. Il s’agit
d’un système hiérarchisé avec asymétries de contrôle.

1.2. Les approches m éthodologiques applicables aux hydrosystèm es fluviaux

Les deux concepts intégrateurs que sont le système fluvial et l’hydrosystème reposent sur
un corpus d’idées et de principes théoriques qui ont servi de cadre référentiel à des
approches méthodologiques dont la mise au point a été facilitée par les perspectives qu’ils
offrent, en hydromorphologie fluviale, en termes d’analyse et d’organisation de la recherche,
qu’elle soit fondamentale ou appliquée.

Deux principales approches, pouvant être mises en œuvre indépendamment ou de


manière combinée, apparaissent ainsi comme une émanation directe ou indirecte de ces
deux concepts. Il s’agit :

- L’approche synchronique ;
- L’approche diachronique.

1.2.1. L’approche synchronique (synchronous approach)

Celle-ci permet d’obtenir une image du cours d’eau dans son contexte géographique et
historique, autrement dit de dresser l’état du système à un temps donné et à un endroit
précis. Elle s’articule autour de l’analyse des similitudes (similarity analysis) d’une part, de
l’analyse des connectivités (connectivity analysis) d’autre part.

L’étude des similitudes est habituellement focalisée sur des unités ou des entités spatiales
d’échelle comparable : séries de tronçons fluviaux appartenant à un bassin versant donné ou
à plusieurs bassins versants, bancs alluviaux ou profils en travers localisés dans un ou
plusieurs tronçons, etc.

Ce type d’analyse conduit à rechercher et à mettre en lumière des ressemblances entre


unités géomorphologiques de même type et, partant, leurs différences. Cela implique de
procéder à des mesures à plusieurs endroits ou sur plusieurs sites et d’analyser d’un point de
vue statistique les données utilisées en entrée.

L’analyse des connectivités repose, elle, sur l’idée qu’un tronçon fluvial, par exemple, est
le résultat de l’effet cumulé ou de l’interaction des facteurs de contrôle agissant en amont de
celui-ci, mais aussi de la cascade hydrologique et sédimentaire qui a lieu dans différents
compartiments du BV auxquels il est connecté.

Elle est ainsi focalisée sur les liens existant entre les composantes emboîtées du système.
De la sorte, la sensibilité d’une composante aval peut être évaluée, le postulat étant ici que
celle-ci est déterminée par les changements auxquels sont soumises les composantes amont.
Il ne s’agit donc pas d’une analyse comparative d’attributs caractérisant des composantes
d’échelle donnée, mais d’une analyse des changements affectant une série de composantes

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de même extension spatiale et à partir des desquels des causes (agents, chronologie)
peuvent être déterminées.

L’analyse des connectivités est également qualifiée d’analyse intégrée lorsqu’il s’agit
d’établir des liens entre un bassin versant et, par exemple, un tronçon fluvial donné ou entre
une rivière et sa plaine alluviale logée dans un bassin versant précis.

1.2.2. L’approche diachronique ou rétrospective (diachronous or retrospective approach)

Elle s’articule autour de volets différents : (i) l’étude de l’évolution des lits fluviaux à
l’échelle historique et contemporaine, (ii) les reconstitutions paléohydrologiques et
paléohydrauliques et (iii) l’étude des l’archivage sédimentaire des fonds de vallée.

L’étude de l’évolution des lits fluviaux à l’échelle historique et contemporaine (101 à 102
ans) est essentiellement tributaire de l’existence de documents iconographiques (cartes
anciennes et actuelles, plans, imagerie aérienne et spatiale), de données topographiques
(profils en longs et en travers), voire de textes se rapportant au cours d’eau que l’on veut
étudier. Elle consiste généralement en la comparaison, par superposition, des tracés en plan
extraits des documents iconographiques indiqués précédemment, voire des profils en long
et/ou en travers, lorsque ceux-ci sont disponibles. L’objectif visé ici est d’apprécier, de suivre
et de comprendre l’évolution généralement d’une composante du cours d’eau. Suivant
l’intensité, l’extension spatiale et le rythme des changements ou des modifications
enregistrées, on s’attache par la suite à déterminer et à évaluer les causes de l’évolution de
la composante étudiée (changements des modes d’affectation du sol ou d’autres variables
indépendantes du système), leur importance respective, pour in fine en déduire les effets
actuels et futurs sur le système.

Les reconstitutions paléohydrologiques et paléohydrauliques permettent d’apprécier, sur


des temporalités bien plus longues, la variabilité de la dynamique fluviale appréhendée via
les capacités d’érosion et de transport des paléoécoulements estimées à différentes périodes
de temps. Elles s’appuient sur des séries de sections en travers reconstituées sur l’actuel ou
déduites des remblaiements alluviaux colmatant les paléochenaux. Il s’agit d’acquérir une
géométrie hydraulique suffisamment précise pour que l’on puisse extraire des paramètres
clés (si possible à pleins bords, pour permettre des comparaisons à conditions égales), tels
que la profondeur moyenne et la largeur du chenal, sa section mouillée et son périmètre
mouillé qui permettent de définir le rayon hydraulique.
A ceci s’ajoute la mesure de la pente du lit ou de la ligne d’eau et l’évaluation de la
rugosité. Toutes ces indications sont par la suite utilisées dans des équations semi-
empiriques spécialement mises au point pour reconstituer les conditions hydrauliques
passées d’un cours d’eau.

L’étude de l’archivage sédimentaire des fonds de vallée vise à appréhender la géométrie


et la disposition des nappes alluviales et à les caractériser d’un point de vue textural pour, in
fine, déterminer les processus fluviaux responsables de leur mise en place et déterminer les
dynamiques paléoenvironnementales dont elles sont la manifestation.

Elle s’appuie principalement des données stratigraphiques obtenues à partir de coupes, de


tranchées et de puits ou en reconstituant la géométrie et l’ordre de succession des
différentes nappes alluviales à l’aide de sondages ponctuels. Elle fait également appel à des
méthodes de traitement granulométrique permettant de distinguer les faciès sédimentaires

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caractéristiques et de déduire les processus de transport/dépôt à l’origine de leur mise en


place.

Plusieurs autres indications fournies par les datations (principalement radiocarbone) ainsi
que celles issues de plusieurs autres types d’analyses (palynologiques, micromorphologie des
sols, pédologie) viennent généralement compléter le tableau, permettant de caler
chronologiquement la mise en place des dépôts alluviaux et d’affiner les schémas d’évolution
morphosédimentaire des fonds de vallée.

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