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ARTICLE

LES DIFFICULTÉS D’INTERPRÉTATION DU DOSAGE DE L’HÉMOGLOBINE A1C

Nathalie Mario, Elisabeth Lasnier

Service de biochimie A
Hôpital Saint- Antoine (AP-HP)
184, rue du Faubourg Saint-Antoine
75571 Paris cedex 12
Correspondance : nathalie.mario@sat.aphp.fr

Article paru dans la Revue Francophone des Laboratoires (RFL, no 382, mai 2006, p. 39-43) et reproduit avec la permission de la
rédactrice en chef, madame Martine Tirouche, et du président du Conseil scientifique de la RFL, professeur Paul Lafargue.

RÉSUMÉ pratiquer tous les 3-4 mois chez les diabétiques de type 2. Les
méthodes disponibles pour le dosage de l’HbA1c sont basées
Les hémoglobines (Hb) glyquées et plus spécifiquement l’HbA1c sur ses propriétés physicochimiques ou sur la reconnaissance
sont utilisées pour l’évaluation rétrospective de l’équilibre par un anticorps spécifique. Malgré des progrès dans la qualité
glycémique au long cours. Les réactifs commercialisés pour le et la standardisation de ces méthodes, des interférences
dosage de l’HbA1c utilisent des méthodes de chromatographie analytiques dues à des mutants de l’hémoglobine (Hb) ou à
d’échange d’ions, d’immunoagglutination ou d’affinité et l’existence d’autres dérivés de l’Hb existent. De plus, l’interpré-
mesurent des dérivés glyqués de l’Hb différents. L’existence tation des seuils de suivi du diabète n’est possible que lorsque
de variants génétiques de l’Hb et de dérivés modifiés post- diverses conditions physiologiques sont respectées. La mécon-
traductionnellement de l’Hb affectent différemment ces métho- naissance de ces facteurs peut conduire à l’interprétation
des. De plus, certaines situations pathologiques diminuant la erronée des dosages d’HbA1c .
durée de vie des globules rouges rendent ininterprétables
les dosages. La connaissance de l’ensemble des facteurs
influençant le dosage de l’HbA1c est essentielle pour une prise Hb GLYQUÉES ET HbA1c
en charge optimale des patients diabétiques.
Les hémoglobines glyquées correspondent à l’ensemble des
SUMMARY molécules d’hémoglobines modifiées par fixation non
enzymatique d’oses sur les fonctions aminées libres de la
Glycohemoglobins and especially hemoglobin (Hb) A1c are used globine. La glycation est un phénomène physiologique lent dont
to assess long-term glycemic control in individuals with diabetes la première étape réversible correspond à la formation d’une
mellitus. Commercially available methods for HbA1c determina- base de Schiff ou Hb glyquée labile. Le nombre de fonctions
tion include ion-exchange chromatography, immunologic and susceptibles de fixer un ose et le fait que d’autres oses que le
affinity assays which measure different amounts of glycohemo- glucose peuvent se fixer génèrent une multitude de formes
globins. Genetic variants and chemically modified derivatives of glyquées de l’Hb. Le site principal de glycation de l’hémoglobine
Hb can affect the accuracy of HbA1c measurement and is majoritaire de l’adulte, l’HbA constituée de 2 chaînes α et 2
method dependent. Moreover, pathologic conditions affecting chaînes ß de globine, se situe sur la valine N-terminale de la
erythrocytes lifespan makes measurements uninterpretable. chaîne ß. Les autres sites de glycation correspondent aux
Knowledge of all these factors influencing HbA1c determination lysines non terminales des chaînes α et ß et à la valine N-
is essential to prevent mismanagement in diabetic patients. terminale de la chaîne α (Tableau 1). La glycation sur l’extrémité
N-terminale modifie significativement les propriétés physico-
chimiques de la molécule et conduit à la formation d’Hb dites
INTRODUCTION rapides dont l’élution est plus précoce en chromatographie
d’échange cationique faible que celle de l’HbA non modifiée ou
Le diabète sucré est défini par une glycémie à jeun supérieure HbA0 . Ces fractions rapides sont appelées HbA1 et ont été
à 7 mmol/L à deux reprises ou par une glycémie, quel que soit désignées, en fonction de leur ordre d’élution, par une lettre
le moment du prélèvement, supérieure à 11 mmol/L (1). La minuscule (HbA1a , A1b et HbA1c ). La molécule fixée par ces Hb
prévalence en France métropolitaine est de 3 % et va est le glucose pour l’HbA1c (4-6 % de l’Hb totale), le pyruvate
augmenter dans les années à venir en raison du vieillissement pour l’HbA1b (0,8 % de l’Hb totale) et le fructose 1-6 diphosphate
de la population et de l’augmentation de l’obésité. Les ou le glucose 6 phosphate pour l’HbA1a (0,5 % de l’Hb totale).
complications du diabète sont graves et responsables de L’HbA1c est elle-même hétérogène et la forme la plus répandue
séquelles lourdes et invalidantes, en particulier les complica- est celle où une seule chaîne ß a fixé du glucose sur son
tions microvasculaires qui sont très liées à la durée d’évolution extrémité N-terminale (17).
du diabète et au contrôle glycémique. Le dosage de l’hémo-
globine A1c chez les patients diabétiques est reconnu comme Il est évident que toutes les formes d’Hb, et pas seulement
marqueur d’évaluation de l’équilibre glycémique au long cours l’HbA, sont glyquées. Les Hb mineures (HbA2 et HbF) ainsi que
et la Haute Autorité de Santé française recommande de le les variants éventuels existent aussi sous forme glyquée.

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Tableau 1 Parallèlement, des travaux de standardisation avec une
Sites de glycation de l’HbA méthode de dosage plus spécifique de l’HbA1c ont été réalisés
par l’International Federation of Clinical Chemistry (IFCC). Une
Sites de glycation % de glycation méthode de référence en CLHP couplée à la spectrométrie de
masse ou l’électrophorèse capillaire après protéolyse enzyma-
Val ß N-terminale (ßVal 146) 60 tique de l’hémoglobine, calibrée avec de HbA1c purifiée a été
décrite (9). Cependant, cette méthode fournit des valeurs
d’HbA1c de 1 à 2 % plus basses que celles obtenues avec la
Lys non terminale standardisation NGSP. Ceci est essentiellement dû au fait que le
(αLys 16, ßLys 66, ßLys 17, ßLys 7 et 34 pic chromatographique obtenu avec la méthode de référence
ßLys 120) NGSP n’est pas pur à 100 % (15). Un groupe d’experts
internationaux a travaillé sur la reproductibilité et la transféra-
Val α N-terminale (αVal 141) bilité de cette méthode. Une fois ses qualités analytiques
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établies, il convenait en effet de faire le lien entre les deux
programmes de standardisation, NGSP/DCCT et IFCC. Après
plusieurs échanges au sein des laboratoires du groupe d’experts
de l’IFCC et du NGSP, la relation entre les deux méthodes a été
DOSAGE DE L’HbA1c récemment décrite (7). La relation entre les deux méthodes
est : NGSP = (0,915 x IFCC) + 2,15. Une équation existe donc
 Principes des méthodes de dosage entre les deux types de standardisation, et les membres des
deux groupes ont mis en place une organisation permettant de
Les techniques permettant le dosage spécifique de l’HbA1c surveiller l’absence de dérive ultérieure entre les résultats. De
exploitent soit les caractéristiques physico-chimiques (chroma- plus, des études de cohortes à grande échelle sont nécessaires
tographie d’échange ionique, électrophorèse), soit immuno- pour fixer de nouveaux seuils décisionnels si la standardisation
logiques de la molécule. Les techniques de chromatographie IFFC devient la nouvelle référence (12-14).
d’échange cationique faible sont les techniques « historiques »
d’étude de l’HbA1c , ayant permis son isolement et sa caractéri-  Techniques utilisées en France
sation. Elles sont basées sur la plus grande électronégativité
des Hb glyquées sur l’extrémité N-terminale des chaînes ß. Le L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé
terme générique chromatographie d’échange ionique recouvre (AFSSAPS) a réalisé en 2002 une réévaluation des réactifs de
des techniques très différentes allant des colonnes de chroma- dosage de l’HbA1c destinés au suivi biologique du diabète par
tographie basse pression (CLBP) aux automates de chromato- l’étude des notices d’utilisation des 36 réactifs alors disponibles
graphie haute performance (CLHP) très résolutifs. Leurs pro- en France. Les items retenus concernaient l’intitulé (HbA1c par
dosage direct ou algorithme à partir de l’Hb glyquée), l’intérêt
priétés analytiques varient et le pic « HbA1c » ne contient pas
clinique (suivi du diabète), l’imprécision (répétabilité < 3 % et
toujours les mêmes constituants. Les techniques électrophoré-
reproductibilité < 5 %), les interférences spécifiques (variants
tiques, réalisées le plus souvent en gel d’agarose, mettent en jeu
de l’hémoglobine et HbA1c labile) et l’intervalle de référence
les mêmes propriétés de l’HbA1c . Les anticorps utilisés dans les
conforme à la standardisation (NGSP ou IFCC). Les réactifs
méthodes immunologiques reconnaissent le peptide N-terminal dosant l’HbA1 ou l’Hb glyquée totale sans fournir de calcul
des chaînes ß modifiées par la fixation de glucose. Il s’agit d’un validé du pourcentage d’HbA1c ont été exclus. Au final, 16
court peptide, de longueur variable selon les fabricants. réactifs répondaient aux items du cahier des charges et 5 y
répondaient partiellement ; l’AFSSAPS avait proposé aux
Les techniques dosant l’Hb glyquée totale reposent sur l’affinité fabricants de ces derniers de revoir leurs notices en
des Hb glyquées pour les dérivés des acides boronique et conséquence. Les listes de réactifs sont disponibles sur le site
phénylboronique, qui forment des complexes avec les groupe- Internet de l’AFSSAPS (8). Le Tableau 2 présente la plupart de
ments 1-2-cis diol engendrés par la fixation des molécules ces réactifs, classés par méthode d’analyse, et leurs
d’hexoses sur l’Hb. Un calcul de corrélation par rapport à une caractéristiques colligées à partir des notices d’utilisation.
méthode de référence permet une conversion des valeurs en
HbA1c. Les enquêtes nationales menées sur l’utilisation des différentes
méthodes de dosage de l’HbA1c , au cours d’opérations de
 Standardisation des méthodes contrôle de qualité, ont permis de mettre en évidence une
évolution dans l’utilisation des techniques au sein des
À l’origine de ces discussions, se trouvent les études épidémio- laboratoires français entre 1999 et 2003. L’utilisation des
logiques à grande échelle du Diabetes Control and Complication techniques de chromatographie d’échange d’ions est en forte
progression (28 % en 1999 vs 44 % en 2003). En particulier,
Trial (DCCT) et de l’United Kingdom Prospective Diabetes Study,
l’utilisation des techniques de CLHP a plus que doublé en raison
qui ont établi de façon certaine une relation entre l’équilibre
d’une automatisation complète et de la grande précision des
glycémique objectivé par l’HbA1c et les complications dégénéra-
nouveaux systèmes (14 % en 1999 vs 31 % en 2003). À
tives du diabète, de type micro et macroangiopathiques. Des
l’inverse, l’utilisation des microcolonnes longues et délicates à
valeurs thérapeutiques décisionnelles ont alors été fixées : 7 % mettre en oeuvre est en forte décroissance (7 % en 1999 vs 1 %
pour le diabète de type 1 et 6,5 % pour le diabète de type 2. Ces en 2003). Les techniques d’électrophorèse sont marginales
seuils ont été définis après mesure de l’HbA1c par la seule (2 % en 1999 vs 1 % en 2003). Les techniques par chroma-
technique de standardisation disponible au moment des études, tographie d’affinité sont de moins en moins utilisées en raison
soit celle du programme américain National Glycohemoglobin du retrait de nombreuses trousses de réactifs basées sur ce
Standardization Program (NGSP). Le dosage par CLHP sur le principe (12 % en 1999 vs 5 % en 2003). Les techniques
system BioRex 70 avec calibration sur un hémolysat avait été immunologiques restent majoritaires car elles sont utilisables sur
choisi comme méthode de référence (5). la plupart des automates de biochimie et ne nécessitent donc

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Tableau 2
Principaux réactifs disponibles pour le dosage de l’HbA1c en France

Méthode Fabricant (gamme) Certification Mode de calcul Interférences décrites dans les notices

Chromatographie
d’échange d’ions

Bio-Rad (Varian, D10) Séparation et donc pas d’interférence avec


HbA1c / HbA1c labile, HbF, variants de l’Hb de charges
CLHP Tosoh Bioscience (G7) NGSP
ensemble HbA différentes de l’HbA0 et de l’HbA1c (dont Hb S,
Ménarini (HA) C, D et E).

Protocole d’hémolyse adapté pour éviter


l’interférence de l’HbA1c labile (comigration).
Bio-Rad (Diastat) NGSP
Mauvaise séparation de l’HbF. Séparation des
CLBP Hb S et C.

Bayer Diagnostics
Notice non communiquée par le fabricant.
(Glycomat)

Microcolonne Bio-Rad

Electrophorèse Sebia Non précisée HbA1/ Hb totale Comigration HbA1c et HbF.

Hb glyquées/
Chromatographie Progen (Nycocard) Non précisée Hb non glyquées Pas de description des interférences.
d’affinité calcul HbA1c

ABX Pentra NGSP Augmentation de la valeur d’HbA1c en


présence d’Hb S et C. Résultat d’HbA1c <
Roche Diagnostics résultat attendu en présence d’HbF > 10 %.
(Tina-Quant, Integra) IFCC Pas d’interférence de l’HbA1c labile.
Formule pour
NGSP
Beckman Coulter HbA1c/ Hb totale Pas d’effet de l’Hb glyquée labile,
Méthode
(Synchron) de l’HbF < 10 %, des Hb S et C.
immunologique :
inhibition
d’agglutination Reconnaissance par l’anticorps de nombreuses
Dade Behring
NGSP Hb anormales glyquées (S, C, E, G, H).
(Dimension)
Résultat inexact si taux élevé d’Hb F.

Résultat d’HbA1c < résultat attendu en


Bayer Diagnostics présence d’Hb S ou C (diminution durée de vie
NGSP
(DCA 200) des hématies) ou d’HbF > 10 %.

pas d’investissement spécifique (40 % en 1999 vs 49 % en Prélèvement


2003). Au cours de cette période, l’utilisation de techniques
certifiées NGSP/DCCT a également fortement augmenté pour Le sang peut être prélevé indifféremment au pli du coude sur
atteindre 97,3 % des laboratoires en 2003 (6). héparine, fluorure, EDTA ou ACD. Un prélèvement de sang
capillaire est également possible. Le stockage du sang total à
+ 4°C pendant 2 jours ne semble pas modifier les résultats
obtenus par les différentes techniques.
PRÉCAUTIONS D’INTERPRÉTATION ET CAS
PARTICULIERS
Variations physiopathologiques
Les résultats de dosages d’HbA1c doivent être examinés à la
lueur des données cliniques et biologiques et ne peuvent jamais Les valeurs d’HbA1c sont indépendantes du régime alimentaire
être considérés de façon isolée, en faisant abstraction des et de l’exercice physique, ainsi que de l’état de jeûne. Les
autres paramètres d’évaluation de l’équilibre glycémique. Si le variations physiologiques interindividuelles de l’HbA1c sont
résultat est concordant, l’interprétation est aisée. S’il existe une faibles (16). La valeur sémiologique de l’HbA 1c comme
discordance, il faut en analyser les causes après avoir éliminé marqueur rétrospectif et cumulatif de l’équilibre glycémique au
un problème d’ordre méthodologique. cours des 6 à 8 semaines précédant le prélèvement chez les

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Figure 1 Présence d’une hémoglobinopathie
Représentation schématique des chromatogrammes pour la
mesure de l’HbA1c  Conséquences physiologiques

L’hémolyse liée à l’hémoglobinopathie est souvent difficile à


évaluer et peut fausser le résultat d’HbA1c . De plus, sur le plan
métabolique, il n’existe pas de preuve expérimentale permettant
d’affirmer que la cinétique de glycation de tous les variants soit
identique à celle de l’HbA. Les conclusions établies à propos de
l’HbA1c ne sont probablement pas transposables aux formes
glyquées des variants, et l’on sait peu de choses d’une possible
compétition entre les différentes formes d’Hb pour la glycation.

 Interférences analytiques des variants de l’Hb

La présence d’une Hb anormale ne peut être évoquée que


lorsque la technique de dosage de l’HbA1c met en évidence
l’anomalie qualitative (chromatographie d’échange ionique haute
performance). Avec les autres méthodes de dosage, la
présence d’un variant passe inaperçue alors que l’interférence
analytique est très variable selon le type d’anomalie de l’Hb et la
méthode utilisée. Idéalement, il faudrait d’abord détecter la
présence de l’Hb anormale pour décider s’il est légitime
d’interpréter ou non les résultats.

Les résultats d’HbA1c mesurée par chromatographie seront


inexacts lorsque le variant de l’Hb ou son dérivé glyqué ne pour-
ront être séparés de l’HbA ou de HbA1c (2). La Figure 1
présente les situations observables en CLHP et leurs
conséquences sur le dosage d’HbA1c . Parmi les variants de l’Hb
les plus fréquemment rencontrés en France, les Hb S, C, E et la
plupart des Hb du groupe D sont dans le cas représentés sur
la Figure 1B et le dosage de l’HbA1c est exact chez les
hétérozygotes. L’interprétation du résultat reste posée car il
existe une hémolyse chronique générée par l’anomalie. Si on
considère que l’hémolyse est constante, que la présence du
variant ne modifie pas la cinétique de glycation de l’HbA0 , et que
sa propre glycation est comparable, alors les résultats d’HbA1c
toujours obtenus avec la même méthode de dosage peuvent
être comparés d’une fois sur l’autre pour un patient donné.
Cependant, le chiffre d’HbA 1c ne reflète plus la période
habituellement explorée mais une période plus courte spécifique
à chaque patient. Les chiffres habituellement considérés comme
critères d’interprétation de l’équilibre glycémique ne peuvent
plus être retenus (18). Les résultats d’HbA1c obtenus dans les
patients diabétiques est conditionnée par une durée de vie cas représentés sur la Figure 1C, 1D et 1E ne doivent pas être
normale des hématies (120 jours) et une synthèse normale de rendus car ils sont ininterprétables. L’Hb Hope dont la
l’Hb avec 97 à 99 % d’HbA (4). Si l’un de ces deux paramètres prévalence est relativement importante dans certaines
est modifié, l’interprétation du dosage d’HbA1c devient délicate, populations africaines est dans le cas 1C et conduit à des taux
voire impossible. La glycation de l’Hb se produit dès les stades d’HbA1c supérieurs à 30 %. En pratique, des valeurs d’HbA1c
érythropoïétiques, puis tout au long de la présence des globules supérieures à 15 % conduisent à la recherche plus approfondie
rouges dans le courant circulatoire. Le processus est cumulatif d’un variant de l’Hb. Des taux particulièrement bas d’HbA1c
et le taux d’HbA1c augmente avec l’âge des globules rouges. (inférieurs à 3,5 %) conduisent également à la recherche d’un
La mesure effectuée sur un échantillon tient compte du variant de l’Hb en raison du risque de se trouver dans la situa-
renouvellement équilibré des globules rouges. Toute tion 1E. De la même façon, des taux d’HbA1c situés dans
modification de la durée de vie des hématies entraîne donc une l’intervalle de l’objectif thérapeutique mais en désaccord avec le
perturbation de cet équilibre, et la destruction prématurée des cahier d’autocontrôle ou le fichier extrait du lecteur de glycémie
érythrocytes les plus âgés diminue les valeurs d’HbA1c . Les capillaire d’un patient doit faire suspecter un variant de l’Hb.
hémolyses, quelle que soit leur origine, les hémorragies ou Cette dernière situation ne peut être mise en évidence que si le
spoliations sanguines importantes et les traitements stimulant dialogue clinico-biologique est satisfaisant.
l’érythropoïèse (érythropoïétine) entraînent un rajeunissement
global de la population érythrocytaire en quelques jours et Les méthodes immunologiques ne permettent pas de détecter la
rendent ininterprétable les dosages d’HbA1c . De la même façon, présence d’un variant de l’Hb. Elles mesurent l’HbA1c à l’aide
les antécédents transfusionnels récents altèrent les taux d’un anticorps reconnaissant un peptide de 4 à 10 acides
d’HbA1c . Ces situations sont fréquentes en milieu hospitalier et aminés dans la région N-terminale de la chaîne ß de l’Hb. Tous
leurs conséquences sur les dosages d’HbA1c sont souvent les variants pour lesquels la mutation se trouve sur la chaîne α
méconnues des cliniciens. ou en amont de cette zone sur la chaîne ß seront, sous forme

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glyquée, reconnus par l’anticorps et comptabilisés dans l’HbA1c . un agent d’hémolyse qui permet d’éliminer la fraction labile. Les
Tous les variants précités pour les techniques chromatogra- durées d’incubation préconisées avant analyse doivent être
phiques sont dans ce cas. Le taux d’HbA1c rendu correspond en strictement respectées pour s’affranchir de l’interférence. Les
fait à un taux de « HbA1c + HbX1c » rapporté en pourcentage à méthodes de dosage immunologique ou par affinité ne sont pas
l’Hb totale. En se référant au Tableau 2, il est étonnant sensibles à l’Hb glyquée labile (17).
d’observer que l’interprétation de cet état de fait dans les notices
des fabricants est très variable et souvent inexacte. La plupart  Hb carbamylée et insuffisance rénale
des variants de l’Hb interfèrent bel et bien dans les dosages
d’HbA1c par méthode immunologique. L’interprétation de ce taux L’urée se dissocie spontanément in vivo en ammoniaque et
de « HbA1c + HbX1c » comme s’il s’agissait d’un taux d’HbA1c cyanate. Le cyanate se protone pour former de l’acide
présuppose que les glycations du variant et de l’HbA sont iden- isocyanique qui se fixe sur les groupements aminés des
tiques et se font sans compétition. De plus, l’hémolyse induite protéines par carbamylation. La valine N-terminale des chaînes
par le variant diminue la demi-vie des globules rouges avec les ß de l’Hb est particulièrement réactive avec l’acide isocyanique,
conséquences précédemment décrites sur les taux d’HbA1c . conduisant à la formation d’Hb carbamylée. In vivo, 1 mmol/L
L’utilisation des taux de « HbA1c + HbX1c » pour le suivi d’un d’urée est associée à la formation de 0,063 % d’Hb carbamylée
patient toujours avec la même technique immunologique, en (19). Les patients atteints d’insuffisance rénale sévère peuvent
appliquant les précautions décrites pour les méthodes chroma- avoir des taux d’Hb carbamylée de l’ordre de 3 %. Le point
tographiques, ne peut être proposée que si l’hémoglobinopathie isoélectrique de l’HbA carbamylée est identique à celui de
a été détectée. La recherche d’une hémoglobinopathie chez l’HbA1c et peut potentiellement interférer dans les méthodes
tout patient avant dosage d’HbA1c par méthode immunologique basées sur la différence de charge. La carbamylation in vitro de
constitue donc une précaution utile en particulier pour les sujets l’Hb augmente artificiellement, dans des proportions variables
issus de populations où la prévalence des hémoglobinopathies selon les études (+0,02 % à +1 %), les taux d’HbA1c mesurés
est élevée. par CLHP tandis que les méthodes immunologiques ne sont pas
affectées (2,3).
Les méthodes d’affinité mesurent l’ensemble des hémoglobines
glyquées et l’interprétation des résultats présuppose que l’ano- De plus, chez les insuffisants rénaux sévères, l’interprétation
malie soit connue pour appliquer les restrictions précédemment des dosages d’HbA1c est rendu délicate par l’existence d’une
décrites. anémie et d’une diminution de la durée de vie des globules
rouges en cas d’hémodialyse. Cependant, chez des patients
 Interférences analytiques des anomalies quantitatives diabétiques hémodialysés, il semblerait que des taux d’HbA1c
de l’Hb compris entre 6 et 7 % reflètent le contrôle glycémique de la
même façon que chez les sujets non insuffisants rénaux tandis
Les méthodes chromatographiques modernes détectent que des taux supérieurs à 7,5 % surestiment l’hyperglycémie
aisément les élévations d’HbF. En cas de persistance hérédi- chronique (10).
taire de l’HbF, la durée de vie des globules rouges n’est pas
affectée et les taux d’HbA1c obtenus par chromatographie sont  Hb acétylée
interprétables. Les anticorps utilisés dans les méthodes
immunologiques ne reconnaissent pas les chaînes γ de l’HbF et In vitro, l’incubation d’Hb normale avec de l’aspirine conduit à la
mesurent strictement l’HbA1c mais rapporté à l’Hb totale. Les formation d’Hb acétylée dont le point isoélectrique est proche de
valeurs d’HbA1c mesurées par méthode immunologique sont celui de l’HbA1c . L’Hb acétylée est séparée de l’HbA1c par les
ainsi sous-estimées et ininterprétables. techniques modernes de chromatographie et n’interfère pas
avec les techniques immunologiques. De plus, chez des patients
Les ß-thalassémies sont caractérisées par une augmentation consommant chroniquement jusqu’à 1 g d’aspirine par jour, l’Hb
des taux d’HbF et d’HbA2 circulantes et par une hémolyse acétylée reste indétectable (19). L’interférence de l’Hb acétylée,
chronique qui croît avec la gravité de la maladie. La mesure de quelle que soit la méthode de dosage, semble donc peu
l’HbA2 n’est en général pas possible par les méthodes chro- probable.
matographiques de dosage de l’HbA1c . La recherche d’une ß-
thalassémie chez un patient issu d’une population à risque peut
s’avérer utile pour interpréter correctement ses taux d’HbA1c . CONCLUSION
Lors de l’association d’une HbS avec une ß-thalassémie, la
durée de vie des globules rouges est très diminuée et les taux Le dosage d’HbA1c pour le suivi du diabète est largement
d’HbA1c très sous-évalués par rapport à l‘équilibre glycémique répandu dans les laboratoires français et les résultats doivent
(11). être interprétés avec prudence en fonction de la méthode
utilisée et du contexte clinico-biologique. Les réactifs actuelle-
ment commercialisés en France sont tous standardisés, ce qui
Modifications post-traductionnelles de l’Hb réduit la variabilité interlaboratoires mais les interférences
analytiques propres à chaque méthode sont souvent sous-
 Hb glyquée labile estimées. De plus, les variations physiologiques induites par les
hémoglobinopathies, fréquentes dans certaines populations, et
L’Hb glyquée labile ou pré-A1c est la base de Schiff formée dans l’insuffisance rénale, aujourd’hui fréquente chez les diabétiques,
la première étape réversible de la glycation de l’Hb dont la imposent de nombreuses restrictions dans l’interprétation des
quantité est fonction de la glycémie récente et non le reflet d’une résultats d’HbA1c .
glycation cumulative. En raison d’un point isoélectrique proche
de celui de l’HbA1c , elle n’est pas séparée de cette dernière par
les méthodes peu résolutives basées sur la différence de
charge (électrophorèse, CLBP, certaines CLHP). Les coffrets
réactifs sensibles à cette interférence sont commercialisés avec

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RÉFÉRENCES ABRÉVIATIONS

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