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L après une fermeture temporaire imposée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à
l’opérateur de cette centrale, EDF, pour des contrôles supplémentaires sur les géné-
rateurs de vapeur. La date est hautement symbolique, car la fermeture définitive de la centrale
alsacienne avait été promise « pour la fin de l’année 2016 » par le président de la République,
François Hollande1, pendant la campagne électorale pour l’élection présidentielle de 20122.
Ce hasard de calendrier résume particulièrement bien la « saga Fessenheim », ou la trajectoire
d’une promesse électorale atypique, depuis sa formulation jusqu’à sa mise en œuvre. Sa
spécificité tient pour partie aux caractéristiques du secteur de l’énergie, sur lequel les acteurs
politiques ont historiquement exercé une influence limitée en France, déléguant le plus sou-
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1. Si aucun délai n'est indiqué dans le document des soixante engagements, F. Hollande a eu l'occasion de pré-
ciser, lors de la première conférence environnementale, que cette fermeture interviendrait avant la fin de
l'année 2016.
2. L'engagement 41 recouvre plusieurs promesses relatives aux politiques énergétiques : « Je préserverai l'indé-
pendance de la France tout en diversifiant nos sources d'énergie. J'engagerai la réduction de la part du nucléaire
dans la production d'électricité de 75 % à 50 % à l'horizon 2025, en garantissant la sûreté maximale des
installations et en poursuivant la modernisation de notre industrie nucléaire. Je favoriserai la montée en puis-
sance des énergies renouvelables en soutenant la création et le développement de filières industrielles dans
ce secteur. La France respectera ses engagements internationaux pour la réduction des émissions de gaz à
effet de serre. Dans ce contexte, je fermerai la centrale de Fessenheim et je poursuivrai l'achèvement du
chantier de Flamanville (EPR) » (60 engagements, p. 28). On constate que la fermeture de Fessenheim apparaît
dans la même phrase que l'ouverture de l'EPR de Flamanville, même si aucun principe de contrepartie n'apparaît
alors entre ces deux promesses.
3. Philippe Simonnot, Les nucléocrates, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1978 ; Gabrielle Hecht, The
Radiance of France. Nuclear Power and National Identity after World War II, Cambridge, MIT Press, 1998 ; Yan-
nick Barthe, Le pouvoir d'indécision. La mise en politique des déchets nucléaires, Paris, Economica, 2006 ; Sezin
Topçu, La France nucléaire. L'art de gouverner une technologie contestée, Paris, Seuil, 2013.
4. Colin Hay, Why We Hate Politics, Cambridge, Polity Press, 2007.
5. Dorothy Nelkin, Michael Pollack, The Atom Besieged. Extraparliamentary Dissent in France and Germany,
Cambridge, MIT Press, 1981 ; Herbert Kitschelt, « Political Opportunity Structures and Political Protest : Anti-
progressive des débats sur la question énergétique, y compris nucléaire1. Son analyse permet
donc d’évaluer la réalité d’une reprise en mains, même partielle, de ces enjeux par les acteurs
politiques.
La (non-)mise en œuvre de la fermeture de Fessenheim est toutefois analysée principalement
en vue de tester l’hypothèse générale de ce numéro spécial, à savoir que « le sort d’un
engagement électoral dépend à la fois de la capacité (technique, institutionnelle, politique)
des dirigeants à s’y conformer, et de leurs incitations (politiques, idéologiques, électorales)
à utiliser leurs ressources pour le faire »2. Il s’agit d’expliquer comment et pourquoi une
promesse aussi symbolique, visible et précise3, a pu donner lieu à un processus particuliè-
rement ambigu qui a abouti à ce que, lors de la passation de pouvoir entre François Hollande
et Emmanuel Macron, la centrale de Fessenheim soit toujours en activité. L’article développe
pour cela deux arguments principaux.
Premièrement, la nature de la promesse, ainsi que les conditions de sa formulation sont
déterminantes pour cerner les logiques de sa réalisation. À ce titre, les motivations de
F. Hollande à tenir cette promesse reflètent moins la place de l’enjeu nucléaire dans le projet
politique et le corpus idéologique du candidat, que les considérations stratégiques dévelop-
pées dans le contexte de la séquence électorale de 2012. En effet, F. Hollande ne bénéficiait
pas d’une crédibilité sectorielle (issue ownership)4 particulière sur les questions énergétiques
et environnementales, lesquelles n’ont d’ailleurs jamais constitué un enjeu programmatique
prioritaire pour le Parti socialiste5. La formulation de cette promesse s’explique donc prin-
cipalement par le souci du candidat de conclure un accord avec le parti écologiste, Europe
Écologie – Les Verts (EELV), qui devait faciliter la victoire électorale. La promesse de fermer
la centrale de Fessenheim est ainsi le fruit d’un candidat intéressé par le pouvoir et la maxi-
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Nuclear Movements in Four Democracies », British Journal of Political Science, 16 (1), 1986, p. 57-85 ; Dieter
Rucht, « The Anti-Nuclear Power Movement and the State in France », dans Helena Flam (ed.), States and
Anti-Nuclear Movements, Édimbourg, Edinburgh University Press, 1994, p. 129-162 ; Sylvain Brouard, Isabelle
Guinaudeau, « Policy beyond Politics ? Public Opinion, Party Politics and the French Pro-Nuclear Energy Policy »,
Journal of Public Policy, 35 (1), 2015, p. 137-170.
1. Y. Barthe, Le pouvoir d'indécision..., op. cit. ; Markku Lehtonen, « Deliberative Decision-Making on Radioactive
Waste Management in Finland, France and the UK : Influence of Mixed Forms of Deliberation in the Macro
Discursive Context », Journal of Integrative Environmental Sciences, 7 (3), 2010, p. 175-196 ; Aurélien Evrard,
Contre vents et marées. Politiques des énergies renouvelables en Europe, Paris, Presses de Sciences Po, 2013.
2. Isabelle Guinaudeau, « Toward a Conditional Model of Partisanship in Policymaking », French Politics, 12 (3),
2014, p. 265-281. L'introduction de ce numéro spécial présente plus en détails la littérature théorique sur laquelle
repose la formulation de cette hypothèse.
3. La pression à tenir cet engagement a pu également être renforcée par le fait qu'elle porte sur un output
(fermer une centrale) avec un horizon temporel relativement court (la durée d'un mandat) – des caractéristiques
qui lui ont donné une visibilité et une lisibilité importantes, et pouvaient contribuer à limiter, à première vue,
les marges d'interprétation (ou de réinterprétation).
4. John R. Petrocik, « Issue Ownership in Presidential Elections, with a 1980 Case Study », American Journal of
Political Science, 40 (3), 1996, p. 825-850.
5. Guillaume Sainteny, « Le Parti socialiste face à l'écologisme : de l'exclusion d'un enjeu aux tentatives de subor-
dination d'un intrus », Revue francaise de science politique, 44 (3), juin 1994, p. 424-461 ; Simon Persico, « Un
clivage, des enjeux : une étude comparée de la réaction des grands partis de gouvernement face à l'écologie »,
thèse de doctorat en science politique sous la direction de Florence Haegel, Sciences Po Paris, 2014.
6. Wolfgang C. Müller, Kaare Strøm, Policy, Office, or Votes ? How Political Parties in Western Europe Make Hard
Decisions, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.
1. Sylvain Brouard, Florent Gougou, Isabelle Guinaudeau, Simon Persico, « Un effet de campagne : le déclin de
l'opposition des Français au nucléaire en 2011-2012 », Revue française de science politique, 63 (6), décembre
2013, p. 1051-1079.
2. Le corpus d'articles de presse utilisé dans cet article a été constitué de manière similaire aux autres corpus
utilisés dans ce numéro spécial, à partir d'une recherche par mots clés (« nucléaire + Fessenheim ») dans le
moteur de recherche Factiva, dans les quotidiens français nationaux ou régionaux (vingt-trois quotidiens en ce
qui concerne cette requête).
éléments explicatifs des difficultés ultérieures de mise en œuvre. La seconde partie précise
les contraintes institutionnelles et juridiques qui émanent du secteur énergétique nucléaire,
notamment par la logique de délégation sur laquelle repose le processus de fermeture d’une
centrale. Nous analysons enfin la manière dont l’arène parlementaire, notamment l’adoption
de la Loi sur la transition énergétique et la croissance verte (LTCEV ou loi TE) semble de
prime abord permettre aux acteurs étatiques de reprendre la main sur le dossier spécifique
de Fessenheim (troisième partie), tout en participant à la dilution de la décision et facilitant
ainsi la tâche d’EDF dans la course de lenteur qu’elle a démarrée dès le début du processus
(quatrième partie).
1. Les propositions étaient les suivantes : renforcement du contrôle des centrales nucléaires, limitation du pro-
gramme nucléaire aux centrales en construction en attendant que le pays se prononce par référendum, et
loi-cadre garantissant le contrôle citoyen, notamment pour les questions de sécurité touchant au nucléaire. Cf.
Parti socialiste, « 110 propositions pour la France », dans Manifeste du Parti socialiste, Paris, 1981.
2. Timothée Duverger, Le Parti socialiste et l'écologie, 1968-2011, Paris, Fondation Jean Jaurès, 2011.
3. Parti socialiste, Changeons d'avenir. Nos engagements pour la France, Paris, 1997, programme du Parti socia-
liste pour les élections de 1997.
4. S. Brouard, I. Guinaudeau, « Policy beyond Politics ?... », art. cité.
2007 : le nucléaire y est présenté comme une « filière de qualité », indispensable dans le cadre
de la lutte contre le réchauffement climatique. Mais le parti promet également de « réduire
la part du nucléaire en faisant passer à 20 % d’ici 2020 et à 50 % à plus long terme la part
des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie »1. La candidate désignée
par l’élection primaire de 2007, Ségolène Royal, est même allée un peu plus loin en se
déclarant, à plusieurs reprises au cours de la campagne, favorable à la fermeture des plus
vieilles centrales nucléaires2, dont celle de Fessenheim3. Ces prises de positions ont suscité
de fortes réactions au sein du PS, notamment de la part de responsables connus pour leurs
positions favorables au nucléaire, comme Christian Bataille ou Bernard Cazeneuve4. Le projet
présidentiel de S. Royal ne fixe donc ni d’objectif chiffré ni de calendrier concernant la
diminution de la part du nucléaire dans le mix énergétique5. Cette position intermédiaire a
perduré. Ainsi, début 2010, se tient une convention nationale « pour un nouveau modèle
de développement économique, social et écologique ». Dans le texte de synthèse qui en est
issu, le nucléaire est considéré comme « inévitable aujourd’hui », même si le parti souhaite
que sa part soit « progressivement réduite grâce à l’accroissement des énergies renouvelables
et de l’efficacité énergétique ». Les socialistes affichent ainsi de nouveau leur volonté de
réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique, mais toujours sans préciser de modalités
spécifiques6.
La catastrophe de Fukushima contribue à changer la donne, en ravivant les débats à l’intérieur
du PS. Cet « événement focalisant » (focusing event)7 conduit la première secrétaire du parti,
Martine Aubry, à revoir radicalement sa position : dix jours après la catastrophe, celle qui
laisse planer la possibilité de sa candidature à la primaire pour la présidentielle de 2012
déclare, sur le plateau du Grand Journal de Canal + : « Je crois qu’il faut sortir du nucléaire » ;
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1. Parti socialiste, Programme du Parti socialiste pour les élections législatives des 10 et 17 juin 2007, Paris, 2007.
2. Gaëlle Dupont, Isabelle Mandraud, « Mme Royal propose “l'extinction des centrales nucléaires anciennes” »,
Le Monde, 24 janvier 2007.
3. Dans une lettre à la présidente du collectif militant Stop-Fessenheim, la candidate déclare « possible et sou-
haitable de procéder, au plus vite, à l'arrêt définitif des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim » (<http://
discours.vie-publique.fr/notices/073000261.html>, consulté le 12 janvier 2017).
4. « Nucléaire : les propos de Ségolène Royal froissent Jean-Pierre Chevènement et Jean-Marie Bockel », Le
Figaro, 20 janvier 2007.
5. Ségolène Royal, Le pacte présidentiel, Paris, 2007.
6. S. Royal, ibid., supra, p. 13.
7. Thomas A. Birkland, After Disaster. Agenda Setting, Public Policy, and Focusing Events, Washington D.C., Geor-
getown University Press, 1997.
8. Christophe Caresche, Jean-Paul Chanteguet, Aurélie Filippetti, Géraud Guibert, « Sortons du nucléaire », Le
Monde, 8 avril 2011.
9. Parti socialiste, Le changement. Projet socialiste 2012, Paris, 2012.
10. « Comment Hollande, Aubry, Royal et Montebourg se positionnent sur le nucléaire », Le Monde, 1er juin 2011.
lors de cette primaire semble donc augurer le maintien du statu quo en la matière, et ren-
forcer, sur ce point comme sur d’autres, le hiatus existant entre le programme du parti et
celui du candidat1. Toutefois, ce statu quo va évoluer à l’issue des négociations avec les
écologistes.
1. Rafael Cos, « Le projet socialiste (dé)saisi par les primaires : procédures “rénovatrices” et production program-
matique », dans Rémi Lefebvre, Éric Treille (dir.), Les primaires ouvertes en France, Rennes, Presses Universi-
taires de Rennes, 2016, p. 163-180.
2. Entretien avec David Cormand, responsable des élections à EELV en 2011 et en charge des négociations
électorales avec le PS, Paris, novembre 2016. Les fonctions mentionnées sont celles occupées pendant les faits
relatés.
3. Entretien avec Sandrine Rousseau, membre du bureau exécutif d'EELV et en charge des négociations pro-
grammatiques avec le PS, par visioconférence, novembre 2016.
4. « Pourquoi la centrale de Fessenheim est-elle ciblée ? », Le Monde, 18 mars 2014 ; Greenpeace, « Fiche Fes-
senheim », <http://www.greenpeace.org/france/PageFiles/266521/Fiche_Fessenheim.pdf>, consulté le 27 février
2017.
5. S. Brouard et al., « Un effet de campagne... », art. cité.
« C'était une promesse politique. C'était uniquement politique, pour faire plaisir aux écolos. Mais
du coup, on n'était pas très inquiets. Ni nous, les politiques, ni les syndicats, ni les salariés de la
centrale. »9
1. Entre 4,5 et 7 % des intentions de vote selon les dix sondages réalisés entre octobre et novembre 2011.
2. Entretien avec Cécile Duflot, secrétaire nationale d'EELV, Paris, décembre 2016.
3. W. C. Müller, K. Strøm, Policy, Office or Votes ?, op. cit.
4. Sona Nadenichek Golder, « Pre-Electoral Coalitions in Comparative Perspectives. A Test of Existing Hypo-
theses », Electoral Studies, 24 (4), 2005, p. 643-663 ; Sona Nadenichek Golder, « Pre-Electoral Coalition Forma-
tion in Parliamentary Democracies », British Journal of Political Science, 36 (2), 2006, p. 193-212.
5. Le paragraphe concernant le nucléaire est le suivant : « Nous réduirons la part du nucléaire dans la production
électrique de 75 % aujourd'hui à 50 % en 2025 et engagerons : – Un plan d'évolution du parc nucléaire existant
prévoyant la réduction d'un tiers de la puissance nucléaire installée par la fermeture progressive de vingt-quatre
réacteurs, en commençant par l'arrêt immédiat de Fessenheim et ensuite des installations les plus vulnérables,
par leur situation en zone sismique ou d'inondation, leur ancienneté et le coût des travaux nécessaires pour
assurer la sécurité maximale. » Cf. Europe Écologie – Les Verts et Parti socialiste, « 2012-2017 : socialistes et
écologistes ensemble pour combattre la crise et bâtir un autre modèle de vivre-ensemble », novembre 2011.
6. European Pressurized Reactor, puis Evolutionary Power Reactor.
7. « Le PS et EELV trouvent un accord a minima pour les législatives », Le Monde, 15 novembre 2011.
8. « La curieuse disparition du “MOX” de l'accord Verts-PS », Le Monde, 16 novembre 2011. On se souviendra
aussi de la partie de poker-menteur jouée entre F. Hollande et C. Duflot, par journaux télévisés interposés, à
l'issue de laquelle F. Hollande acceptera de réintégrer le paragraphe sur le MOX.
9. Entretien avec Éric Straumann, président du conseil départemental du Haut-Rhin, par visioconférence,
novembre 2016.
Les premières déclarations de F. Hollande après les négociations lui donnent d’ailleurs raison.
Dès la fin du mois de novembre, quand on lui demande s’il appliquera toutes les mesures
contenues dans cet accord, il ne peut être plus clair :
« Je ne suis pas pour la sortie du nucléaire. [...] Nous avons des centrales, nous avons là une
industrie, elle doit continuer à produire. »1
Cette distance prise à l’égard de l’accord EELV-PS sera affichée de nouveau au cours du
débat face à Nicolas Sarkozy entre les deux tours de la présidentielle, lors duquel il confirmera
pourtant la promesse de fermer Fessenheim :
« Une seule centrale fermera, Fessenheim [...]. C'est la plus vieille de France et elle se trouve sur
une zone sismique, à côté du canal d'Alsace. Je comprends la position des travailleurs qui veulent
conserver la centrale, mais tous les emplois seront conservés [...]. Par ailleurs je ne suis pas lié
avec les Verts sur cette question, puisque sur cette partie du nucléaire, dans l'accord qui avait été
passé, je ne l'ai pas reconnue. »
Cette promesse a ainsi connu une visibilité importante au cours de la campagne2. Symbo-
lique, précise et donc facilement identifiable et vérifiable, elle paraissait assez « simple » à
réaliser, car elle impliquait des contraintes budgétaires limitées et ne représentait pas une
rupture radicale avec la politique énergétique existante. Pour autant, celle-ci est aussi large-
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1. « Nucléaire : Hollande prend ses distances avec l'accord PS-EELV », Libération, 28 novembre 2011.
2. S. Brouard et al., « Un effet de campagne... », art. cité.
3. Lanny W. Martin, Georg Vanberg, « Coalition Policymaking and Legislative Review », American Political Science
Review, 99 (1), 2001, p. 93-106 ; Kai Oppermann, Klaus Brummer, « Patterns of Junior Partner Influence on the
Foreign Policy of Coalition Governments », The British Journal of Politics and International Relations, 16 (4),
2014, p. 555-571.
4. Michael Laver, Norman Schofield, Multiparty Government. The Politics of Coalition in Europe, Ann Arbor,
University of Michigan Press, 1998 ; Wolfgang C. Müller, Kaare Strøm (eds), Coalition Governments in Western
Europe, Oxford, Oxford University Press, 2003.
1. « Je pense qu'au fond, on n'était pas tout à fait prêts à agir tout de suite [...] il y avait peut-être des calculs,
des projections, qui n'étaient pas totalement fondés », entretien avec Michel Sapin, ministre de l'Économie et
des Finances, Paris, janvier 2017.
2. Conseiller du pouvoir exécutif, cité dans Le Figaro, 14 septembre 2016.
3. Arnaud Gossement, « Le président de la République a-t-il le droit de fermer la centrale de Fessenheim ? »,
10 octobre 2012, <http://www.arnaudgossement.com/archive/2012/10/08/francois-hollande-a-t-il-le-droit-de-
fermer-la-centrale-de-f.html>, consulté le 18 décembre 2016.
4. Mark A. Pollack, « Delegation, Agency, and Agenda Setting in the European Community », International Orga-
nization, 51 (1), 1997, p. 99-134 ; The Engines of European Integration. Delegation, Agency, and Agenda Setting
in the EU, Oxford, Oxford University Press, 2003 ; Robert Elgie, « The Politics of the European Central Bank :
Principal-Agent Theory and the Democratic Deficit », Journal of European Public Policy, 9 (2), 2002, p. 186-200.
5. Sébastien Guigner, « Pour un usage heuristique du néo-institutionnalisme : application à la “directive temps
de travail” », Gouvernement et action publique, 3 (3), 2012, p. 7-29.
6. Porte-parolat du gouvernement, « Le point sur la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim », 30 jan-
vier 2013.
« Suspension de Arrêté « Risques graves pour les Ministre chargé Sauf cas d’urgence,
fonctionnement pendant le délai intérêts mentionnés à de la sûreté avis préalable de l’ASN
nécessaire à la mise en œuvre l’article L.593-1 » nucléaire recueilli
des mesures propres à faire
disparaître ces risques graves »
(art. L.593-21)
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Mise à l’arrêt définitif et Décret en Conseil Risques graves pour les Non spécifié dans Observations de
démantèlement (art. L.593-23) d’État intérêts mentionnés à l’article ; ministère l’exploitant, du préfet
l’article L.593-1 « que les concerné, ministres et de la commission
mesures prévues par le chargés de la sûreté locale d’information
présent chapitre et le nucléaire (art. 35, (art. 35, décret
chapitre 6 ne sont pas de décret 2007-1557) 2007-1557) puis avis de
nature à prévenir ou à l’ASN dans un délai de
limiter de manière 2 mois (art. 35, décret
suffisante » 2007-1557)
1. Elle était auparavant confiée à la direction générale de la Sûreté nucléaire et de la Radioprotection, sous la
triple tutelle des ministres de l'Environnement, de l'Industrie et de la Santé (ce qui différait déjà du régime des
autres industries, contrôlées par la direction de la Prévention des risques). Entretien avec Bernard Laponche,
consultant en énergie, Association Global Chance, Paris, 14 novembre 2016.
2. Entretien avec Pierre Cunéo, directeur de cabinet de Delphine Batho, ministère de l'Écologie, du Développe-
ment durable et de l'Énergie, par téléphone, 9 décembre 2016 : « Politiquement et sécuritairement, je ne vois
pas la ministre ou moi prendre le risque de dire “on s'écarte de la recommandation de l'ASN”, d'autant plus
que son autorité tient largement au fait que son avis, ses recommandations, sont suivis. »
Toutefois, cette répartition des rôles donne lieu à des interprétations divergentes selon les
acteurs, et ouvre la voie à des stratégies de « blame avoidance »1. Interrogée sur le devenir
de la centrale alsacienne, l’ancienne ministre de l’Écologie Nathalie Kosciusko-Morizet
indiquait « attendre les résultats de l’audit de Fukushima pour pouvoir tirer des conclu-
sions sur Fessenheim »2, assumant ainsi un rôle décisionnaire final. À l’inverse, à l’automne
2014, la nouvelle ministre de l’Écologie, S. Royal, envisage la fermeture d’autres sites que
celui de Fessenheim ; devant la controverse suscitée par la remise en cause de la promesse
de F. Hollande, elle s’en remet à l’ASN pour déterminer les réacteurs à fermer, alors que
l’Autorité venait d’autoriser la poursuite d’exploitation de toutes les centrales françaises,
conditionnée à la réalisation de travaux de sûreté, à la suite de l’audit post-Fukushima3.
Cette lecture est contestée par de nombreux acteurs favorables à la fermeture de la centrale,
pour deux raisons : premièrement, les enjeux de sûreté et de sécurité seraient, selon eux,
beaucoup plus problématiques que ce qui a été reconnu par l’ASN : « C’est bien pour [le]
risque que nous nous battons et non pas pour les raisons qui ont été évoquées par la suite
par les pouvoirs publics pour fermer cette centrale. »4 Deuxièmement, sur le plan juridique,
ils considèrent que le gouvernement reste le principal acteur décisionnaire sur ces enjeux
de sûreté5.
De son côté, en tant qu’autorité administrative indépendante, l’ASN est particulièrement
attentive à montrer son indépendance vis-à-vis des nouvelles orientations politiques. Après
l’élection de F. Hollande, elle s’est d’abord limitée à rappeler les enjeux de temporalité,
signalant au gouvernement, dès le mois de février 2013, que la procédure de mise à l’arrêt
d’un réacteur nécessite cinq ans d’instruction de dossier6 ; puis elle a interagi avec le pouvoir
exécutif lors de l’élaboration de la loi TE concernant les procédures de démantèlement7. Elle
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1. Kent R. Weaver, « The Politics of Blame Avoidance », Journal of Public Policy, 6 (4), 1986, p. 371-398 ; Christo-
pher Hood, « The Risk Game and the Blame Game », Government and Opposition, 37 (1), 2002, p. 15-37.
2. « Fermeture de Fessenheim “pas exclue, mais pas annoncée à ce stade” », Libération, 15 décembre 2012.
3. « Nouveau cafouillage autour de la fermeture de Fessenheim », Les Échos, 17 octobre 2014.
4. Entretien avec André Hatz, Association Stop-Fessenheim, par téléphone, 17 novembre 2016.
5. Un avis du Conseil d'État du 22 février 2016 tend d'ailleurs à confirmer que les prescriptions techniques fixées
par l'ASN (concernant la visite décennale d'un réacteur de la centrale nucléaire du Bugey) ne constituent pas
« une décision implicite d'autoriser l'exploitation [...] pour dix années supplémentaires ».
6. « Centrale de Fessenheim : pas de fermeture possible avant cinq ans, selon l'ASN », Le Parisien, 15 janvier
2013.
7. Entretien avec Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN, Montrouge, 21 novembre 2016.
8. Entretien avec Philippe Jamet, commissaire de l'ASN, Paris, 21 novembre 2016.
9. Entretien avec Yves Marignac, consultant en énergie, Wise-Paris, Paris, 14 novembre 2016. La décision de
l'ASN considère que « cette situation est de nature à remettre en cause la protection des intérêts mentionnés
à l'article L. 593-1 du Code de l'environnement », décision no CODEP-CLG-2016-02945 du 18 juillet 2016, ASN.
Cf. aussi : « Fessenheim : le document qu'EDF préférerait oublier », Mediapart, 30 janvier 2017.
timidité, les autres « un changement d’état d’esprit » avec des « déclarations alarmistes »,
alors qu’elle devrait se contenter d’être « super technique »1.
Si l’ASN réaffirme invariablement la primauté finale des décisions gouvernementales, le pou-
voir exécutif semble donc avoir renoncé au pouvoir juridique de fermer une installation
nucléaire pour « dangers graves », faute de pouvoir justifier leur existence sans entrer en
conflit avec l’autorité à laquelle il a délégué toute sa capacité d’expertise.
1. Entretien avec Michel Habig, président de la commission locale d'information (CLI) de Fessenheim, Paris,
28 novembre 2016.
2. Francis Rol-Tanguy est un haut-fonctionnaire, davantage spécialiste des transports que du secteur de l'énergie.
Ingénieur de l'École nationale des ponts et chaussées, il a travaillé comme conseiller technique dans de nom-
breux cabinets ministériel, avant de diriger celui de Jean-Claude Gayssot, alors ministre des Transports
(1997-1999). Il fut également directeur général délégué fret à la SNCF (2000-2003) et directeur de l'Atelier
parisien d'urbanisme (2008-2012).
réseaux particuliers dans le monde de l’énergie. Alors que l’accueil du président d’EDF et
des cadres d’EELV est plutôt positif, la stratégie d’apaisement à l’égard de la CGT échoue,
celle-ci sentant « un jeu politicien »1.
De son côté, si EDF développe une stratégie discursive « légaliste » (l’affichage d’un respect
des lois et procédures), elle reste fermement opposée à la fermeture de Fessenheim. Cette
préférence est largement partagée au sein de l’entreprise, pourtant divisée sur d’autres dos-
siers2, y compris par les syndicats. Et les marges de manœuvre d’EDF sont très importantes :
par sa monopolisation de l’expertise technico-économique légitime, l’opérateur a longtemps
exercé une influence considérable sur la politique nucléaire française, notamment par des
échanges et négociations directes entre son P.-D.G. et le chef de l’État3. En outre, Henri
Proglio (P.-D.G. d’EDF jusqu’en novembre 2014) avait réussi à convaincre l’ensemble du
comité exécutif de l’entreprise de s’opposer à cette fermeture4 ; il avait même demandé à
son personnel de rompre tout contact avec le délégué interministériel à la fermeture de
Fessenheim, F. Rol-Tanguy. Cette situation a perduré pendant trois mois, avant
qu’Emmanuel Macron, alors secrétaire général de l’Élysée, ne soit chargé de régler la situation
avec H. Proglio5.
La stratégie de l’entreprise consiste ensuite à mettre en avant plusieurs éléments techniques,
économiques et sociaux pour obtenir une indemnisation la plus élevée possible, en cas de
victoire du pouvoir exécutif dans le bras de fer qui s’engage. Le dossier revêt une composante
sociale qui s’impose au délégué interministériel et focalise l’attention médiatique au début
du mandat présidentiel. Une coalition d’acteurs se constitue rapidement, autour d’élus locaux
alsaciens, de représentants syndicaux et de la direction d’EDF, dont l’objectif est de « montrer
que fermer un réacteur [...] crée un conflit social »6. Le comité central d’entreprise (CCE)
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1. Entretiens avec Francis Rol-Tanguy, délégué interministériel à la fermeture de Fessenheim, Paris, 4 janvier
2017 ; par téléphone, 26 septembre 2017.
2. Entretien avec P. Cunéo, cité.
3. Frédérique de Gravelaine, Sylvie O'Dy, L'État EDF, Paris, A. Moreau, 1978 ; Michel Wieviorka, Sylvie Trinh, Le
modèle EDF. Essai de sociologie des organisations, Paris, La Découverte, 1989.
4. Entretien avec P. Cunéo, cité.
5. Entretien avec F. Rol-Tanguy, cité.
6. Entretien avec Gérard Magnin, administrateur représentant de l'État au sein du conseil d'administration d'EDF,
par téléphone, 29 novembre 2016.
7. « Fessenheim : le début de la fin », Les Échos, 28 novembre 2012 ; « Fermer Fessenheim affecterait
2 000 emplois », Le Figaro, 1er juillet 2014.
« Il n'était pas question de discuter avec lui car on ne reconnaissait pas sa fonction. [...] Quand
[Jean-Michel] Malerba [le troisième délégué interministériel] est arrivé, il a cherché à avoir des
contacts avec nous. Pour autant on a décliné, toujours pour la même raison : concrètement et
rationnellement, qu'est-ce qui fait qu'on va fermer Fessenheim ? On n'a jamais eu de réponse,
donc on ne va pas discuter. »1
« La reconversion, naturellement c'était un débat, surtout en local. Mais moi mon premier souci,
c'est que si l'indemnisation était de 4 ou 5 milliards, ça ne fermerait jamais. C'est impossible dans
une période de disette budgétaire de dire “on va mettre 5 milliards pour fermer Fessenheim”. »3
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1. Entretien avec Laurent Raynault, délégué CGT à la centrale de Fessenheim, par téléphone, 16 novembre 2016.
2. Matthieu Pechberty, « Cinq à huit milliards pour fermer Fessenheim », Le Journal du dimanche, 5 mai 2013.
3. Entretien avec F. Rol-Tanguy, cité.
4. Entretien avec Pierre-Marie Abadie, directeur de l'Énergie à la direction générale de l'Énergie et du Climat et
commissaire du gouvernement au sein du conseil d'administration d'EDF, par téléphone, 21 décembre 2016.
« Jusqu'ici, une fermeture ne peut être décidée que par l'ASN pour des motifs de sécurité ou par
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1. Nous empruntons ici l'expression à Vincent Dubois, « Politique au guichet, politiques du guichet », dans Olivier
Borraz, Virginie Guiraudon (dir.), Politiques publiques 2. Des politiques pour changer la société, Paris, Presses
de Sciences Po, 2010.
2. « Ayrault : la fermeture de Fessenheim dans le projet de loi transition énergétique », Agence France-Presse,
30 mai 2013.
3. « Je souhaite désormais que l'État puisse être le garant de la mise en œuvre de la stratégie énergétique de
notre pays. Il ne s'agit pas de se substituer à l'opérateur, mais de maîtriser la diversification de notre production
d'électricité selon les objectifs que la nation, souverainement, aura choisis. »
4. « Le délégué à la fermeture de Fessenheim invoque un nouveau motif pour arrêter la centrale », Le Monde,
21 janvier 2014.
5. « Une deuxième règle était envisagée : elle concernait la prolongation au-delà de quarante ans pour certains
réacteurs mais avec des règles ; on appelait cela le 40+20. À la conférence environnementale de 2013, elle
n'apparaît pas. La discussion a repris au printemps 2014, mais, finalement, ces règles n'ont pas figuré dans le
projet de loi. » Entretien avec F. Rol-Tanguy, cité.
Si cette troisième voie ne se retrouve pas en tant que telle dans la LTE, sa logique est bien
présente dans plusieurs articles. Le premier d’abord, qui inscrit l’objectif de « réduire la part
du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025 », mais aussi l’article 55,
qui modifie l’article L.311-5-5 du Code de l’énergie en indiquant que l’autorisation d’exploi-
tation d’une centrale ne peut être délivrée lorsqu’elle aurait pour effet de porter la capacité
totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire au-delà de 63,2 gigawatts
(GW). Ce chiffre, correspondant au niveau actuel de la production d’énergie nucléaire,
permet d’introduire un plafonnement en valeur (et non plus seulement en pourcentages) de
cette capacité de production.
Toutefois, la LTE ne précise pas les modalités par lesquelles le gouvernement compte atteindre
ces objectifs. Celles-ci doivent être présentées dans la programmation pluriannuelle de
l’énergie (PPE), document stratégique institué par l’article 176 de la loi, devant établir « les
priorités d’action pour la gestion de l’ensemble des formes d’énergie sur le territoire métro-
politain continental, afin d’atteindre les objectifs nationaux fixés par la loi ». Or, la rédaction
de ce document programmatique prend plus de temps que prévu. Face à cette lenteur à
préciser le contenu concret des politiques énergétiques, de nombreux acteurs anticipent
l’abandon de la promesse. C. Duflot explique ainsi :
« Pendant le débat sur la LTE, j'ai compris que la promesse de fermer Fessenheim ne sera pas
tenue quand, lors de la dernière lecture, un amendement du gouvernement à propos de la PPE
remplace “adoptée avant le 31 décembre 2015”, par “débattue”. Je vote quand même la LTE, parce
qu'il y a d'autres trucs, parce que ça a été engagé, parce que Baupin a obtenu beaucoup de choses...
Mais en mon for intérieur, j'ai compris que Fessenheim, c'était mort. »1
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pourrait en réalité choisir de fermer les réacteurs de son choix. La ministre de l’Énergie
S. Royal annonce certes que « quand Flamanville ouvrira, Fessenheim devra fermer »1, mais
l’opérateur ne se prive pas de s’engouffrer dans le flou de cette disposition en avançant
l’hypothèse d’une décision différente. En parallèle, garder le nom de Fessenheim, en dehors
de toute considération économique, permet à EDF de se décharger de cette responsabilité
vis-à-vis des acteurs locaux et des salariés2.
La seconde incertitude concerne le calendrier. Le chantier de la construction de l’EPR à
Flamanville a pris énormément de retard (dont le gouvernement avait déjà connaissance en
20133) et sa mise en service ne devrait pas intervenir avant l’année 2018. Le couplage de la
fermeture de Fessenheim au dossier de l’EPR contraint donc le pouvoir exécutif à écrire un
nouveau récit de la promesse électorale : il ne s’agit alors plus de fermer la centrale avant le
terme du mandat, mais d’engager une procédure dite irréversible, qui conduirait à cesser la
production d’électricité en 2018 dans la centrale alsacienne. Ce nouveau récit, relativement
consensuel au sein du pouvoir exécutif, est porté par S. Royal :
« À partir du moment où deux nouveaux réacteurs vont ouvrir, deux vieux réacteurs devront fermer
à l'échéance butoir de 2018, ce qui veut bien dire qu'il faudra dès l'année prochaine [2016] engager
ce processus en respect des personnes, en respect des territoires [...]. Ce sera irréversible d'ici la
fin du quinquennat, bien évidemment. »4
Il est également assumé directement par le président de la République, lorsque celui-ci est
interrogé sur l’échéance de 2016 :
« En 2016, non, car la construction de l'EPR de Flamanville (Manche) a pris beaucoup de retard (sa
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« [D]ans le cadre des réflexions en vue du projet de loi de programmation sur la transition éner-
gétique, l'ASN a saisi le ministre Philippe Martin de modifications de procédure de mise à l'arrêt
définitif et de démantèlement, afin de garantir l'engagement de démantèlement “au plus tôt” de
façon générique. Ces modifications seront prises en compte. Ainsi remaniées, ces procédures per-
mettront de respecter le calendrier prévu pour l'arrêt définitif de la centrale de Fessenheim à la
fin de 2016 et l'engagement de son démantèlement en 2018-2019. »4
Cette initiative est présentée comme une réponse à une demande plus générale de l’ASN de
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longation du délai de mise en service de l’EPR. Accordé par un nouveau décret gouverne-
« L'interaction entre EDF et le gouvernement n'a vraiment commencé qu'avec la lettre de Royal
annonçant un dédommagement de 80 à 100 millions d'euros. [...] Le CA a décidé à ce moment-là
de mettre en place un groupe ad hoc d'administrateurs pour s'entourer de conseillers éventuels
pour être une instance qui définirait le montant qu'EDF considérerait son préjudice. [...] La lettre
visait à contraindre EDF à faire enfin des propositions concernant la fermeture de Fessenheim. »2
1. Marc Goua, Hervé Mariton, Rapport d'information sur le coût de la fermeture anticipée de réacteurs nucléaires :
l'exemple de Fessenheim, Assemblée nationale, no 2233, 30 septembre 2014.
2. Entretien avec G. Magnin, cité.
3. Entretien avec L. Raynault, cité.
EDF fait ici un usage stratégique des différents délais et procédures, de façon à repousser la
demande d’abrogation de fonctionnement de Fessenheim après les élections de 2017. Le
dossier a été mis à l’ordre du jour du CCE de juin 2016 : « tout était calé pour que la décision
soit prise en décembre » (vote du conseil d’administration)1. Mais lors du CCE du 14 sep-
tembre 2016, les élus votent pour la réalisation d’une expertise externe sur le projet de
fermeture de Fessenheim ; alors que les délais sont fixés jusqu’au 29 octobre, ces élus intro-
duisent aussi, le 5 octobre, un recours en référé pour prolonger le délai de consultation.
Le 14 octobre, la direction d’EDF transmet des documents complémentaires au CCE et fait
obstacle à la consultation du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail
(CHSCT). Le 10 novembre, le tribunal traite le recours et décide de repousser de deux mois
la clôture de la consultation. Le conseil d’administration ne pourra donc pas prendre de
décision sur Fessenheim avant janvier 2017, en pleine campagne présidentielle. L’un des
acteurs impliqués dans ce dossier résume ainsi la situation :
« J.-B. Levy, de concert plus ou moins tacite avec les organisations syndicales, a fait en sorte de
prolonger le plus tard possible pour qu'aucune décision ne puisse être prise avant les prochaines
élections. »2
13 janvier 2015 Gouvernement r EDF Lettre de mission : « Vous proposerez au CA les modalités
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15 octobre 2015 Gouvernement r EDF Lettre : la demande d’AAE doit être déposée fin juin 2016
22 février 2016 Gouvernement r EDF Lettre : la demande d’AAE doit être déposée fin juin 2016
2 mars 2016 EDF r Gouvernement Dépôt d’AAE conditionné à une décision du CA, précédée
d’une consultation
du CCE
4 mai 2016 Gouvernement r EDF Lettre : demande de saisine du CCE + détails du montant
des indemnités
Fessenheim) ; six représentants de l’État nommés par décret (qui ne voteront vraisembla-
blement pas la question de l’indemnisation pour la fermeture de Fessenheim, pour cause de
conflit d’intérêt)1 ; six administrateurs indépendants, élus par l’assemblée générale des action-
naires sur proposition de l’État. Le vote de ces derniers est variable : ces administrateurs ont
certes été proposés par l’État et entretiennent une certaine proximité avec les cabinets minis-
tériels, mais ils suivent des logiques industrielles propres à leurs secteurs respectifs et sont
garants de l’intérêt économique de l’entreprise. Laurence Parisot, ancienne présidente du
Medef (Mouvement des entreprises de France), s’est ainsi prononcée contre le projet de
réacteur à Hinkley Point en Angleterre lors du conseil d’administration de juillet 2016,
rejoignant par là les représentants du personnel, contre la volonté de l’État.
En outre, le P.-D.G. semble jouer un rôle déterminant dans le vote des administrateurs
indépendants. Selon un administrateur du conseil d’administration d’EDF :
« Si J.-B. Levy a été en situation de négociation avec l'État, ce qu'il a été, et qu'il est arrivé à un
modus vivendi, [...] [le reste] va dépendre de l'utilisation qu'il veut faire de sa capacité de persua-
sion auprès des autres administrateurs indépendants pour qu'ils votent pour ou contre. »2
Or il faut noter ici une grande proximité entre les représentants du conseil d’administration,
l’administration de l’État et l’industrie nucléaire, au-delà d’EDF, ce qui peut renforcer l’inertie
de la fermeture d’un réacteur. En 2016, faisaient ainsi partie du conseil d’administration
d’EDF, en tant qu’administrateurs indépendants : le président du directoire de Vallourec,
entreprise propriétaire à 100 % de Vallinox, leader de la fabrication de certains composants
des réacteurs nucléaires ; Philippe Varin (jusqu’en mai 2016), président du conseil d’admi-
nistration d’Areva ; Colette Lewiner, ayant travaillé douze ans pour EDF. Cette proximité
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directeur de l'APE, nommé par décret) et onze administrateurs nommés par l'assemblée générale des action-
naires. Néanmoins, l'État peut proposer la nomination de plusieurs de ces onze membres, qui représentent alors
« les intérêts de l'État en sa qualité d'actionnaire ». Dans les faits, le mode de liaison entre l'État et le conseil
d'administration d'EDF n'a donc pas été modifié.
1. Entretien avec P.-M. Abadie, cité. Cf. également : Bertille Bayart, « Fessenheim, un dossier politiquement
radioactif », Le Figaro, 13 septembre 2016.
2. Entretien avec G. Magnin, cité.
3. Entretien avec P. Cunéo, cité.
l’État au sein d’EDF, celui-ci n’est pas davantage en capacité d’imposer ses préférences et
son calendrier à l’entreprise : « L’État n’est pas dans le management. Ce n’est pas l’État qui
va écrire les dossiers, on n’a même pas les plans. C’est EDF qui a tout, c’est à elle de faire
le dossier. »1 Cette incapacité n’est toutefois pas seulement le résultat de la stratégie d’EDF,
elle résulte également d’une certaine fragilité de la position de l’État, dont les préférences
sont moins fermes et homogènes que celles de l’entreprise.
1. Ibid.
2. Entretien avec F. Rol-Tanguy, cité.
3. E. Macron confiant en privé son scepticisme à l'égard de cette promesse, notamment face aux salariés de la
filière nucléaire : « Ils savent ce que j'en pense. Ça n'a pas de sens, aucune cohérence industrielle. » (Le Figaro,
14 septembre 2016.)
4. André Delion, « De l'État tuteur à l'État actionnaire », Revue française d'administration publique, numéro thé-
matique « L'État actionnaire », 124, 2007, p. 537-572.
5. Entretien avec G. Magnin, cité.
chèque soit trop gros ; et celui qui va le recevoir sous forme de dividende, tout en s’assurant
qu’EDF ne soit pas sur la paille »1. Cette dualité se retrouve dans les déclarations de S. Royal :
tout en devant assurer l’objectif légal de baisse du nucléaire à 50 %, la ministre approuve
l’amortissement comptable des centrales sur cinquante ans pour ne pas fournir à EDF de
motif de réclamation de dédommagements, à la suite de la fermeture des centrales. De son
côté, l’énergéticien est pleinement conscient de ces tensions : dans un contexte de baisse des
prix de l’électricité et d’incidents de sûreté, EDF pourrait avoir intérêt à la fermeture de
certains réacteurs mais tente d’en faire porter la charge financière à l’État, en s’abritant
derrière la dimension « politique » de cette décision2.
L’entente trouvée entre le ministère de l’Écologie et l’APE/Bercy autour du mécanisme de
plafonnement de capacité3, ainsi que l’accord finalement conclu en août 2016 entre EDF et
le gouvernement semblent permettre aux acteurs politiques d’actionner un nouveau levier
de « blame avoidance », tel qu’identifié par Kent R. Weaver, celui de la « patate chaude »
(« pass the buck ») consistant à repousser la décision et donc à déléguer les coûts (politiques
ou économiques) afférents à son successeur4. Le protocole d’indemnisation, négocié à hau-
teur de 446 millions d’euros, prévoit ainsi que l’État verse à EDF une première tranche de
100 millions d’euros à l’arrêt de l’installation, en 2019, tandis que la seconde (environ
300 millions d’euros) serait débloquée l’année suivante5.
Malgré tout, l’accord ne permet au gouvernement ni de clore le dossier ni de tenir la pro-
messe, même réécrite, car il se heurte toujours à une résistance de la part d’EDF. Certes, le
conseil d’administration de l’entreprise a finalement entériné ce protocole, le 24 janvier 2017,
et cela malgré un avis consultatif négatif voté au préalable par le CCE. Il a alors permis à
S. Royal de se féliciter d’une décision « équilibrée et juste », « dans le calendrier prévu, avec
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n’est pas de même nature qu’une promesse issue du noyau programmatique d’un parti et
de son candidat. Tenir compte de cette différence d’origine des promesses semble une voie
prometteuse pour de futures recherches.
Par ailleurs, cette étude permet de rappeler que la capacité institutionnelle à tenir promesse
est bien une « variable » et d’apporter d’autres compléments à la littérature sur le respect
des promesses. Cette capacité fluctue tout d’abord en fonction des secteurs de politiques
publiques, empêchant de considérer qu’une large majorité suffit à conférer une forte capacité
institutionnelle. La capacité fluctue également en fonction des stratégies des responsables
politiques, qui peuvent accroître ou restreindre leurs propres marges de manœuvre, y com-
pris juridiques et institutionnelles. Ce résultat invite à porter une attention toute particulière
à la réalité de ces contraintes institutionnelles et à opérer une distinction entre ce qui relève
effectivement d’une contrainte sectorielle et les stratégies d’évitement du blâme mises en
œuvre par les responsables politiques1.
Eva Deront est doctorante au laboratoire Pacte, Grenoble, et chercheuse invitée au Cevipol/Institut d’études
européennes, Bruxelles. Ses recherches actuelles portent sur l’évolution de la politique nucléaire européenne,
sur la mise en œuvre de la sortie du nucléaire en Allemagne et sur la précarité énergétique en Belgique.
(Université Grenoble Alpes, CNRS, Sciences Po Grenoble, Pacte, 38000 Grenoble, <eva.deront@umrpacte.fr>.)
Aurélien Evrard est maître de conférences en science politique à l’Université de Nantes et chercheur
au Laboratoire DCS (droit et changement social). Ses travaux portent sur les transformations de l’action
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1. Notre enquête n'aurait pas pu être réalisée sans le soutien de l'Agence nationale de la recherche au projet
Partipol (financement ANR Jeune Chercheur, projet ANR-13-JSH1-0002-01, sous la direction d'Isabelle Guinau-
deau). Les auteurs tiennent également à remercier vivement les évaluateurs anonymes de la revue pour leurs
remarques et conseils.