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Ciences Umaines: Comment Manager Aujourd'hui ?
Ciences Umaines: Comment Manager Aujourd'hui ?
Rousseau
PHILOSOPHIE
Trois penseurs
Hobbes, Locke,
du contrat social
Edgar Morin
aujourd’hui ?
Quête de sens, motivation, souffrance, conflit, télétravail
Comment manager
Mes amis, mes amours, mes idées
SCIENCES HUMAINES
ÉDITION
2019
Accueil par Patrice DECORMEILLE Hervé LE BRAS : Directeur d’études à l’École des Hautes textes ne pouvant laisser indifférent. Un moment
Président du Cercle Condorcet d’Auxerre Études en Sciences Sociales, Chaire « territoires et suspendu au cœur des Entretiens d’Auxerre.
Introduction par : Valentine ZUBER populations » du Collège d’études mondiales.
Camille PASCAL : Haut fonctionnaire, agrégé d’histoire 15 h - 16 h 30 Entretien(s) croisé(s)
Directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études
(PSL). Présidente du comité scientifique des Entretiens et écrivain, Auteur de L’été des quatre rois, Grand prix du « Colères d’enfants »
d’Auxerre. roman de l’Académie française. Modératrice : Martine FOURNIER
Rédactrice en chef adjointe du magazine
16 h 30 - 18 h 30 Entretiens au pluriel pause Sciences Humaines
« Colères politiques » Claire LAPIERRE : Pédopsychiatre.
11 h - 12 h 30 Entretien(s) croisé(s)
Modératrice : Héloïse LHÉRÉTÉ Patrick Ange RAOULT : Maître de conférences habilité à
Rédactrice en chef du magazine Sciences Humaines « Colères homériques » diriger les recherches UGA, Laboratoire CRPPC Lyon 2.
Modérateur : Patrice DECORMEILLE
Marie-Claire CARLOZ TSCHOPP : Ex-professeure
Agrégé de philosophie, pause
titulaire de l’Institut d’Études Politiques Internationales,
Président du Cercle Condorcet d’Auxerre
Université de Lausanne, membre du Collège Interna- 7 h - 18 h 30 Le Grand Entretien
tional de Philosophie. Jean-Vincent HOLEINDRE : Professeur de science poli-
Pascal PERRINEAU : Professeur à Sciences Po Paris. tique à l’Université de Paris 2. « Sainte Colère »
Jean-François SIRINELLI : Professeur émérite d’histoire Olivier RENAUT : Maître de conférences, membre Modératrice : Valentine ZUBER
contemporaine à Sciences Po Paris. junior de l’Institut Universitaire de France, Université Présidente du comité scientifique des Entretiens d’Auxerre
de Paris Nanterre.
Isabelle SAINT MARTIN : Directrice d’études à l’École
18 h 30 - 20 h Le Doc des Entretiens Pratique des Hautes Études (PSL).
pause déjeuner
« 365 jours à Clichy-Montfermeil »
Un film de Ladj LY 18 h 30 - 19 h Conclusions des Entretiens
Anne MUXEL : Directrice de recherche au CEVIPOF Valentine ZUBER
(CNRS/Sciences Po). Présidente du comité scientifique des Entretiens d’Auxerre
DOCUMENTATION
Alexandre Lepême - 03 86 72 17 23
Clément Mahoudeau/IP3/MaxPPP
DIRECTRICE COMMERCIALE ET MARKETING
Nadia Latreche - 03 86 72 07 08 34 L’entreprise, lieu d’utopies
PUBLICITÉ/PROMOTION Patricia Ballon - 03 86 72 17 28 PHILIPPE TROUVE ET JEAN-CLAUDE CASALEGNO
DIFFUSION
• En kiosque : MLP. Contact : À juste titres, 36 Peut-on se passer de chefs ?
Stéphanie TROYARD - 04 88 15 12 48
Titre modifiable sur le portail-diffuseurs : www.direct-editeurs.fr
PASCAL UGHETTO
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• En librairie : Pollen/Dif’pop - 01 43 62 08 07
Au sommaire
52 à 57 R ÉFÉRENCE du prochain numéro
(en kiosques
Trois penseurs du contrat social le 16 novembre)
CONCEPTION GRAPHIQUE ET
56 LIRE Livre du mois, livres, revues Quand
CONCEPTION DE LA COUVERTURE : Isabelle Mouton les émotions
Couverture : Freshidea/Adobe
déraillent
70 A GENDA
Titres et chapôs sont de la rédaction.
Commission paritaire : 0522 D 81596
ISSN : 0996-6994
Dépôt légal à parution
Un encart « La Croix » est posé sur une partie des abonnés France. Un encart d’abonnement est broché sur une partie des magazines Novembre 2019 SCIENCES HUMAINES 3
N° 319
MINISTÈRE DE
L’ÉDUCATION NATIONALE
ET DE LA JEUNESSE
DIRECTION GÉNÉRALE DE L’ENSEIGNEMENT SCOLAIRE
BUREAU DE L’INNOVATION PÉDAGOGIQUE
10e édition
de la Journée nationale de l’innovation
1er avril 2020
à la Gaîté Lyrique
Chaque année des centaines d’actions portées par des enseignants du
premier ou du second degré, des chefs d’établissement, des directeurs
d’école ou encore par des formateurs, concourent pour plusieurs prix
nationaux de l’innovation.
APPEL À PROJETS
THÉMATIQUE GÉNÉRALE
Bonheur d’apprendre
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o r ter
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L’appel à projets 2020 est ouvert jusqu’au 12 novembre 2019 via Innovathèque.
ÉDITORIAL
diminuer les coûts, licencier des salariés, augmenter la « Des méthodes douces ». Dans le même temps,
cadence de travail. J’oubliais : j’ai aussi lancé quelques l’aspiration à l’autonomie au travail, la quête de
projets délirants – ma seule sagesse fut de les arrêter à reconnaissance, l’idéal de coopération et de démocratie,
temps. le souci de bienveillance n’ont jamais été aussi élevés.
D’où cette contradiction : il faudrait se battre avec l’énergie
Bref, s’il est vrai que l’expérience est la somme et l’efficacité d’un commando, mais en respectant les
de ces emmerdements, je crois que j’ai acquis principes des communautés utopiques. La gymnastique
beaucoup d’expérience. Une expérience qui ne me met est périlleuse.
d’ailleurs pas en position de donner des conseils : car les Quand je compare Sciences Humaines à d’autres
erreurs passées ne nous vaccinent malheureusement entreprises du secteur, je n’ai pas à rougir. Aujourd’hui,
pas forcément contre celles à venir. notre petite PME se porte plutôt bien, même si le
Mais comme disait Talleyrand, « quand je m’observe contexte reste difficile. L’ambiance est bonne,
je me désole, quand je me compare je me console ». chacun est très investi, nos lecteurs sont au
Comparons. La presse et l’édition présentent une grande rendez-vous et les projets fourmillent.
diversité de formes : du grand groupe à l’entreprise J’en tire du plaisir, mais pas de leçon.
indépendante, des sociétés anonymes aux coopératives, Ma seule certitude est qu’en matière de
en passant par des modes de gouvernance hybrides. management, il n’existe ni modèle universel ni
Cette diversité permet une comparaison éclairante. recette miracle. ■ JEAN-FRANÇOIS DORTIER
qu’a posteriori. Cordialement. ■ aura le plus de chance de mener une bonne vie ? Aujourd’hui,
CLAUDE NAVARRO généralement, on choisit déjà si on veut des enfants, quand
on les veut, combien on en veut. Quel serait le problème de
décider si on veut un garçon ou une fille ? Qu’y a-t-il de si
choquant là-dedans ? Autre exemple : la couleur des yeux.
Merci pour vos remarques avisées. Les mécanismes de Les parents choisissent le prénom de leur enfant, prénom
l’évolution naturelle des espèces vivantes, en bonne théorie qui les suivra toute leur vie et qu’il sera très difficile de
darwinienne, se passent en effet de toute intentionnalité. changer. Ils choisissent les habits de leurs enfants, les cours
L’apparition des deux muscles du « facteur mignon » chez extrascolaires, l’endroit où ils vont vivre… Tous ces choix que
un loup n’a pu être que le fruit du hasard. L’idée développée les parents font pour leur enfant sont en principe orientés vers
dans cet article est que cette aptitude nouvelle n’est pas le bien de l’enfant : j’essaie de donner à celui-ci le maximum de
étrangère à sa sélection comme compagnon de l’homme. bien-être. Si je peux sélectionner, parmi les embryons, celui qui
S’il y a eu une stratégie dans l’évolution ultérieure du chien, aura de la facilité en maths et une bonne orthographe, devrais-
c’est celle des humains qui, par la suite, se sont employés à je, en tant que futur parent, laisser le hasard faire au lieu de
favoriser les variétés qui leur plaisaient le plus.
En fait, l’originalité de cette recherche est de faire remonter
l’apparition des muscles responsables des « yeux doux » à « Les apprentis sorciers de l’eugénisme »
33 000 ans, suggérant que l’aptitude canine à séduire les (n° 317) a souffert d’un problème de maquette
humains est contemporaine, ou peut-être même antérieure compliquant la compréhension de l’article. Nous
à la domestication du chien. Cette annonce vient à l’appui adressons nos excuses à l’auteur, Jean-François
d’une thèse plus large, aujourd’hui défendue par de Bouvet, ainsi qu’aux lecteurs. Nous proposons ce
texte en accès libre et dans le bon ordre sur notre
nombreux préhistoriens, à savoir que la domestication des
site : www.scienceshumaines.com
espèces sauvages n’a pas été motivée par leur seule utilité
Lumières !
Voici le plus éclairant
des grands récits fondateurs
de l’Occident
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SASE
Éducation, santé, justice, finance… En s’appuyant sur les
données existantes, les algorithmes de prédiction ne Sociologue, université de
San Diego (Californie).
programment que l’extension du passé.
E
n juin 2019, le colloque de la Society être exécuté par ces programmes. paraît juste, mais en fait il est inapproprié au
for the Advancement of Socio-Eco- Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que monde actuel.
nomics (SASE) se tenait à New dans certains domaines, ils influencent
York, dans les locaux de la New School et notre vie de manière importante : allez-vous En quoi les algorithmes
de Columbia University. Comme chaque intégrer tel collège ou telle université ? La loi peuvent-ils devenir des obstacles au
année, il rassemblait un bon millier de doit-elle vous envoyer en prison en fonction changement ?
chercheurs et d’étudiants venus de tous de votre passé ? Ce patient va-t-il être admis Les algorithmes modèlent votre futur et vos
les continents, économistes, sociologues, dans tel hôpital ? Ce client peut-il obtenir un possibilités en se référant aux données de
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politistes, historiens, juristes et psycholo- crédit de sa banque ? Dans de tels cas, cela votre passé. C’est le cas dans les banques,
gues qui s’interrogeaient sur l’avenir de nos ne peut être la machine seule qui décide. pour déterminer si un client a droit à un cré-
sociétés. Akos Rona-Tas, président de cette L’élève, l’accusé, le malade, le client doivent dit et dans quelles conditions. Mais com-
session annuelle, s’est livré à une analyse pouvoir être davantage informés et avoir la ment prédire comment ce client va se com-
critique de l’usage des algorithmes, ces possibilité de plaider leur cas. porter dans le futur ? Il peut avoir un nouveau
programmes informatiques qui régissent job mieux rémunéré, ou faire des économies
nos vies dans un nombre croissant de Quels sont leurs inconvénients ? qu’il n’avait pas faites précédemment… Au
domaines. Prenons par exemple, le cas de la sélection final, les algorithmes fonctionnent comme
des élèves aux États-Unis. Le problème des prophéties autoréalisatrices, dans la
Quelle place les algorithmes de ce système est qu’il s’appuie sur des mesure où leurs prédictions s’appuient sur
occupent-ils aujourd’hui ? savoirs qui peuvent être quantifiés et mesu- les situations passées.
Les algorithmes sont de plus en plus sollici- rés. Les compétences évaluées sont celles Dans cette logique, les pauvres restent
tés dans notre quotidien. Cette explosion de qu’un ordinateur pourrait très bien exécuter : pauvres et les riches deviennent plus riches.
leur usage est issue des progrès technolo- répondre vite, mémoriser des informations, Si un système génère des injustices, les
giques qui permettent d’exploiter des masses appliquer un raisonnement mathématique… algorithmes ne vont faire de perpétrer ces
de données considérables (big data). C’est un non-sens de trier les élèves sur des injustices et les rendre inévitables. En fait, ils
Il ne s’agit pas de dire qu’ils ne doivent pas aptitudes que les ordinateurs exécutent par- ne prédisent que l’extension du passé ! Ce
avoir leur place dans les sociétés actuelles. faitement ! Or les algorithmes ne sont pas style de prophéties conduit inévitablement
Les algorithmes font même du très bon tra- capables de prendre en compte les compé- à des sentiments d’injustice, de frustration
vail, pour organiser la circulation dans les tences dont nous avons besoin aujourd’hui et de contestation sociale. ■
grandes villes, ou générer des recettes de comme savoir travailler avec les autres, PROPOS RECUEILLIS PAR MARTINE FOURNIER
cuisine sur Internet par exemple. Tout ce qui formuler les bonnes questions, faire preuve SASE, colloque « Fathomless futures. Algorithmic and
n’a pas d’impact majeur dans la vie peut de créativité, savoir s’adapter… Ce système imagined », New York, 27-29 juin 2019.
EN V IRON N E M ENT
PSY CHOLOGIE
«D ire que j’ai gâché des lorsqu’une relation se termine, de confirmer un cliché, la vidéos dans lesquelles des individus
années de ma vie (…) les gens attribuent la séparation recherche suggère que les montraient des signes de douleur.
pour une femme qui n’était pas à la personnalité de leur ex-par- schémas relationnels sont plus Après avoir expliqué aux participants
mon genre ! », se désole Swann tenaire et décident de rencon- prévisibles qu’on le pense. De que ces personnes souffraient d’une
après sa rupture avec Odette, trer quelqu’un de très différent, quoi inspirer de nouveaux maladie au remède très pénible, les
dans La Recherche du temps explique la psychologue Yoobin modèles algorithmiques d’appli- chercheurs leur ont demandé
perdu. Pourtant, le dandy finira Park. Nous avons pourtant ten- cations de rencontre ? ■ d’évaluer le degré de douleur de ces
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par l’épouser, à croire qu’elle dance à nous mettre en relation PAULINE PETIT individus et celui qu’ils éprouvaient
était finalement son genre… avec des personnes ayant le eux-mêmes en tant que témoins.
Yoobin Park et Geoff MacDonald. L’expérience a été renouvelée auprès
D’après une étude canadienne, même type de personnalité. »
« Consistency between individuals’ past
nous aurions effectivement des Pour arriver à cette conclusion, des mêmes patients après trois mois
and current romantic partners’ own
types bien définis dans nos la chercheure a utilisé une base reports of their personalities », PNAS,
de prise d’antidépresseurs. Lors des
choix amoureux. « Souvent, de données sur la personnalité 26 juin 2019. séances, leur activité cérébrale a été
surveillée. Résultat : sous
antidépresseurs, les patients ont fait
Pourquoi porte-t-on les bébés à gauche ? preuve d’un niveau d’empathie plus
faible qu’avant le traitement, et les
E n représentant la Vierge à l’enfant nourrisson du cœur, dont les battements zones de leur cerveau associées à
portant Jésus du côté gauche, les apaisent. Mais chez les rares personnes cette faculté se sont révélées moins
peintres de la Renaissance ont été ayant le cœur à droite, le bercement du actives. Les antidépresseurs, qui
protègent la personne dépressive
perspicaces. Des études ont montré bébé n’est pas inversé. Selon une
des émotions négatives, n’ont pas
qu’entre 66 et 72 % des personnes hypothèse plus récente, porter ainsi un
empêché les patients de percevoir la
bercent instinctivement de ce côté. Ce bébé permet de le placer dans notre
douleur, mais ils ont amoindri leur
phénomène a fait couler beaucoup champ visuel gauche, relié à capacité à être pleinement touchés
d’encre. Pour certains chercheurs, cela l’hémisphère droit du cerveau, celui des par cette souffrance. ■ P.P.
permet de libérer la main droite. Or cette émotions. ■ P.P.
habitude concerne aussi les gauchers, Markus Rütgen et al., « Antidepressant
Julian Packheiser et al., « Handedness and sex effects on treatment, not depression, leads to reductions in
ce qui invalide l’hypothèse. D’autres lateral biases in human cradling. Three meta-analyses », behavioral and neural responses to pain
soutiennent que ce geste rapproche le Neuroscience & Biobehavioral Reviews, septembre 2019. empathy », Translational Psychiatry, juin 2019.
NOUVEAUTÉ
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ÉDUCATION
gré la fin du service militaire obli- quais, dont un sur deux est au
gatoire, l’armée continue en la chômage dans cette île aux
matière à jouer un rôle important. nombreuses difficultés socioé-
C’est notamment le cas en conomiques. Le SMA garantit
outre-mer via le service militaire en effet le maintien sur le sol
adapté (SMA). Sa création aux martiniquais durant tout le volon-
Antilles et en Guyane remonte tariat, contrairement par exemple
au début des années 1960. Il est à l’engagement militaire propre-
alors destiné à offrir un débou- ment dit. Les femmes, notam-
Albert Facelly/Sipa
GÉOGR APHIE
HISTOIR E
Désordre au cimetière
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D e l’administration, encore de
l’administration, toujours de
l’administration ! Nos sociétés
montrent le décalage entre la loi et
les pratiques. En 1804, un décret
impérial a réorganisé en profondeur
les anciennes pratiques perdurent
avec notamment une forte densité de
sépultures, des superpositions de
modernes sont, croit-on, entièrement l’organisation des cimetières afin de cadavres ou encore des destructions
contraintes par des règlements répondre aux nouvelles normes de pour installer des caveaux familiaux.
toujours plus nombreux. C’est oublier salubrité et d’hygiène. Les anciens La mise aux normes ne se fera
un peu vite que ceux-ci sont loin cimetières situés dans les enceintes qu’avec la construction du nouveau
d’être toujours suivis, comme le des villes et des bourgs sont fermés, cimetière en 1852. Et même alors, le
montre la fouille du petit cimetière au profit de nouvelles installations pragmatisme l’emporte : dès les
des Crottes, à Marseille. Ouvert en plus vastes situées à l’extérieur des années 1860, face à l’afflux des morts,
1783, il accueille les dépouilles des agglomérations. À l’intérieur du « les gestes et les pratiques mis en
habitants de ce quartier populaire et cimetière, les traditionnelles évidence par la fouille reflètent
industriel, notamment des immigrés superpositions des corps, entassés pleinement une gestion dans l’urgence
italiens. Il ferme ses portes en 1905 et pour gagner de la place, sont et au jour le jour, entrant en
devient alors un dépotoir pour interdites : chaque mort aura contradiction avec le cadre
déchets industriels. Redécouvert lors désormais droit à son emplacement. législatif ». ■ H.F.
des travaux du métro marseillais, il Les fosses elles-mêmes font l’objet
Anne Richier, « Pourquoi fouiller les cimetières du
fait l’objet en 2013-2014 d’une de prescriptions techniques précises. 19e siècle ? L’exemple du site des Crottes à Marseille »,
campagne de fouilles. Celles-ci Pourtant, au cimetière des Crottes, Revue d’histoire du 19e siècle, n° 58, 2019/1.
SA NTÉ
Avez-vous fait vos 10 000 pas ?
D epuis dix ans, les outils de
mesure de l’activité phy-
sique se sont multipliés et
par défaut ce repère. L’étude
montre aussi que les systèmes
de GPS et de stockage de
banalisés. On peut désormais données intégrés aux trackers
compter ses pas à l’aide de actuels incitent les utilisateurs
podomètres numériques, de à réévaluer leur environnement :
bracelets connectés et autres tel trajet permet de marcher
applications sur smartphone. plus que la veille, telle activité
Initialement dédié à la marche équivaut à tant de pas. Du
des soldats ou des randon- bureau à la cafétéria, de l’arrêt
neurs, le podomètre est pré- de bus à la maison, l’un des
Jenner Images/Getty
senté sur le marché comme un enquêtés explique « faire ses
instrument de lutte contre la pas » avec le sentiment d’un
sédentarité. Quel usage réel en « temps rentabilisé ». Pour la
ont ses adeptes ? La socio- plupart des usagers, ce com-
logue Anne-Sylvie Pharabod a pagnon n’est donc ni un coach
interrogé des femmes et des il n’a jamais été une « préconi- l’engouement suscité par l’évé- de performance ni un simple
hommes qui comptent leurs sation médicale officielle » nement sportif pour commer- gadget ludique mais leur pro-
pas depuis plusieurs mois ou (l’OMS recommande plutôt un cialiser un podomètre méca- cure un sentiment rassurant de
années. Son étude révèle que temps d’activité physique, 30 nique : le « manpo-kei », soit la « suivi de soi ». ■ P.P.
la majorité des utilisateurs s’ac- minutes par jour). Il remonte en « jauge des 10 000 pas ». L’outil
corde sur un objectif commun : réalité à l’année 1964 : alors popularise la restitution de la
Anne-Sylvie Pharabod, « “Faire ses
les 10 000 pas journaliers. Ce que le Japon organise pour la marche en nombre de pas plu-
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A RCH ÉOLOGIE
L es premiers Européens ren- longue durée a existé. Lors de Les traces des deux peuples, froide - c’est pourquoi on la
contrés par les Amérindiens l’exploration de la tourbière du les Scandinaves et les Indiens surnomme « oreille du
ont probablement été… les site de L’Anse aux Meadows, au d’Amérique, concordent désor- surfeur ». Des
Vikings. Les Amérindiens sont en nord de l’île de Terre-Neuve, les mais chronologiquement. Il anthropologues, après
effet arrivés sur le continent amé- archéologues Véronique Forbes n’existe pas de preuves for- examen de crânes de 29
ricain il y a environ 40 000 ans. et Paul Ledger ont mis à jour de melles que les deux peuples néandertaliens et de 54
Les Vikings, eux, ont traversé nouveaux éléments démontrant aient interagi, mais l’hypothèse Homo sapiens
l’Atlantique et posé le pied sur le que les Vikings se sont établis qu’ils se soient croisés était déjà préhistoriques, l’ont
sol des côtes de l’actuel Canada plus longtemps que l’on pensait. considérée comme probable rencontré chez 48 % de nos
vers l’an 1000 de notre ère. Les chercheurs ont trouvé des par les historiens. Elle le devient cousins, contre 20 % en
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Jusqu’à présent, ces occupa- traces de présence humaine, d’autant plus avec cette nouvelle moyenne chez les Cro-
tions vikings en Amérique étaient foyers, traces d’ateliers de débi- découverte. ■ Magnons. Voilà qui soulève
considérées comme tempo- tage du bois, ainsi que des pol- CHLOÉ REBILLARD
de nombreuses questions :
raires, n’excédant pas une à deux lens et insectes provenant du Néandertal allait-il souvent
Paul Ledger et al., « New horizons at
années. Or, selon une récente Groenland, la terre viking la plus dans l’eau froide ? Lui qui
L’Anse aux Meadows », PNAS, 30 juillet
étude, une colonie de plus proche des côtes américaines. 2019.
mangeait pourtant peu de
poissons était-il pêcheur
habile ? Ou soucieux de
son hygiène ? Serait-ce
Les dinosaures, de vraies mères poules plutôt dû à une
prédisposition génétique ?
EX POSITION
Politique des
musiques urbaines
L’exposition Paris-Londres Music Migrations
(1962-1989) retrace les destins croisés de
ces deux villes cosmopolites, qui ont vu émerger
des cultures musicales aussi originales que
contestataires.
phies, vidéos, installations artis- une jeunesse qui aspire à plus l’égalité des salaires avec les « musiques du monde ». Paris et
tiques, archives de journaux, de liberté et d’autonomie, et le ouvriers français… – s’exprime là Londres figurent en tête des
affiches de concerts et playlists rock, alors encore perçu comme aussi à travers la musique. Outre villes où émerge ce nouveau
aux sons éclectiques. subversif et dangereux. le rock aux influences afro-amé- genre à la fin des années 1980.
ricaines, le punk, le blues ou la Le raï et les musiques africaines
Un rock aux Une décennie de soul, c’est aussi l’époque de la s’écoutent dans la capitale de
influences afro révolte subversion des hymnes natio- l’Hexagone. En parallèle, le rap
L’histoire débute dans les Dans les années 1970, cette naux – le God Save the Queen prend son essor – avec, parmi
années 1960 : dans le contexte musique devient de plus en plus des Sex Pistols et la Marseillaise ses plus célèbres représentants,
de dislocation des empires fran- contestataire, notamment en aux accents reggae de Serge MC Solaar ou IAM – pendant
çais et britannique, une immigra- réaction aux conditions de vie Gainsbourg… que le style Asian Underground
tion postcoloniale gagne Paris et des populations immigrées. De et le R&B intègrent la bande-son
Londres, majoritairement origi- l’autre côté de la Manche, les Au rythme des des clubs londoniens. ■
naire du Maghreb pour la pre- émeutes et affrontements entre musiques du monde JUSTINE CANONNE
mière et des Caraïbes pour la police et jeunes immigrés Cette mobilisation des banlieues (1) Angéline Escafré-Dublet,
seconde. La répartition de ces atteignent leur paroxysme lors du trouve son apogée au début des « Paris-Londres : chronologie politique
populations dans l’espace carnaval de Notting Hill de 1976. années 1980, symbolisée en d’une histoire des migrations à travers la
musique. Quand musique rime avec
urbain diffère entre les deux La bande-son de la décennie France par la Marche pour l’éga-
politique », Hommes et migrations,
capitales, les minorités cultu- prend ainsi des accents de lutte : lité et contre le racisme de 1983. n° 1325, 2019/2.
relles étant plutôt concentrées c’est la période des grands L’année précédente a eu lieu la
Exposition Paris-Londres Music
dans le centre de Londres, mais concerts de mobilisation antira- dernière édition de Rock Against Migrations (1962-1989), jusqu’au
reléguées en périphérie de ciste, tels Rock Against Racism Police, inspiré des grands 5 janvier 2020, musée de l’Histoire de
Paris, pointe la chercheuse à Victoria Park, en 1978. La concerts antiracistes britan- l’immigration, Paris.
ABONNEZ-VOUS
MOT DU MOIS
Le modèle
social français
Notre système de protection sociale synthétise plusieurs héritages :
celui de notre histoire nationale, mais aussi de modèles empruntés à nos voisins
étrangers. Aujourd’hui, que lui devons-nous ? À quelles critiques fait-il face ?
Fait-il encore le poids face aux enjeux du 21e siècle ?
JULIEN DAMON
Professeur associé à l’IEP de Paris. Il est
notamment l’auteur de Les politiques
familiales, Que sais-je ?, 2018.
fraternité. Rassemblés par une apparte- ouvrier, s’étend. Les accidents de travail de retraite notamment.
nance commune, les hommes sont et la maladie privent de leurs revenus La solidarité, au cœur du modèle fran-
libres, égaux face à la loi, mais aussi unis les salariés qui y sont confrontés. La çais, se conceptualise au tournant des
par des mécanismes de solidarité. Le prise en charge collective de ces aléas 19e et 20e siècles. On la retrouve au fon-
système de protection sociale s’inspire de la vie s’organise selon un principe de dement de la Sécurité sociale, établie
de cette vision : la collectivité assure la mutualisation : chaque adhérent cotise en 1945. La Sécurité sociale développe
solidarité ; elle protège les individus face à un pot commun, et peut prétendre les premières assurances sociales pour
aux risques de l’existence. à des aides et des services quand sa les salariés. Elle a pour ambition de les
La protection sociale repose sur trois situation l’exige. Ce système permet de généraliser. Aujourd’hui, le code de la
dispositifs. Premièrement, l’assistance recevoir une aide fi nancière en cas de Sécurité sociale débute en affirmant
locale, fondée sur la charité, est le pro- maladie, ou encore de s’assurer d’une que celle-ci repose sur le principe de
cédé le plus ancien. Une collectivité retraite minimale pour ses vieux jours. la « solidarité nationale » : les cotisa-
peut décider de porter secours aux plus Cette fois, la solidarité ne s’opère plus en tions sociales, qui prennent la forme de
vulnérables comme les indigents, les fonction de la présence sur un territoire, contributions obligatoires, sont propor-
vieillards ou les enfants en les aidant à mais selon l’appartenance profession- tionnelles aux ressources de chacun,
subvenir à leurs besoins. Les œuvres dis- nelle. À la différence de l’assistance, tandis qu’en retour, chacun bénéficie
pensées se limitent alors à un territoire les assurances sociales procurent des d’allocations en fonction de ses besoins.
restreint : celui de la zone d’influence droits que les personnes peuvent faire Il s’agit d’émanciper les populations de
de la structure qui en a pris l’initiative. valoir. l’assistance qui peut être vécue comme
L’Église et les paroisses matérialisent Enfin, troisième dimension, l’inter- humiliante et aussi de l’assurance com-
historiquement cette assistance et ceci, vention de l’État. Ce dernier a toujours merciale à laquelle ceux qui disposent
dès le Moyen Âge. accompagné les développements de la des revenus les moins élevés ne peuvent
Au 19e siècle, un deuxième type de pro- protection sociale collective. D’ailleurs, pas toujours accéder. ■
Josse/Leemage
Une séance du Congrès ouvrier
dans la salle des Écoles de la rue
d’Arras, à Paris, en 1876.
sociaux : accidents du travail, vieillesse, mande des interventions publiques afin d’abattre
famille mais aussi chômage, pauvreté, « cinq géants » : la maladie, l’ignorance, le besoin,
logement, ou encore dépendance. À l’ori- la misère et l’oisiveté. Beveridge suggère un
gine essentiellement professionnelles et système universel (et donc non professionnel),
limitées aux travailleurs, les protections financé par l’impôt, visant tous les habitants
se sont étendues à tous, sans conditions du pays.
d’activité professionnelle. La protection Le modèle social français s’inspire de ces deux
sociale s’est universalisée, pour pro- traditions. Il veut réaliser les objectifs de Beve-
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William Beveridge.
gressivement englober l’ensemble de la ridge, notamment une couverture générale, avec
population. les instruments de Bismarck (un financement à
Le système finance des prestations partir des revenus professionnels).
monétaires versées directement sur les Ces deux traditions ont influencé la plupart des modèles sociaux européens.
comptes bancaires des particuliers : Les comparaisons internationales (1) permettent de qualifier le régime bis-
prestations familiales, retraites, indem- marckien selon trois « C » :
nités en cas de maladie ou d’invalidité, il est « conservateur » car il vise au maintien des revenus ; « corporatiste »
revenus de remplacement en cas de car il est géré de manière autonome par les corps professionnels ;
chômage, allocations de solidarité en enfin, « continental » car c’est en Europe continentale qu’il s’est implanté
cas de pauvreté, couverture d’une partie (Allemagne, Autriche, France par exemple).
des frais liés à la garde des enfants et Les modèles libéral et social-démocrate font davantage référence au Britan-
au logement, etc. Ce n’est pas tout : son nique Beveridge, et concernent respectivement les Anglo-Saxons et les
budget est utilisé pour le fonctionnement Scandinaves. Le modèle libéral ambitionne de réduire la pauvreté, sans
d’établissements comme les crèches, les s’attaquer aux inégalités ; le modèle social-démocrate, en revanche, projette
maisons de retraite et les hôpitaux. ■ l’égalisation des conditions, autrement dit l’atténuation voire l’éradication des
inégalités. Tous deux sont financés par l’impôt, alors que la base des méca-
nismes bismarckiens est la cotisation sociale. Dans le système bismarckien,
sans cotisation, pas de protection ou, à défaut, le passage par le bon vouloir
des collectivités territoriales ou des œuvres privées. ■
(1) Voir Gosta Esping-Andersen, Les trois mondes de l’État-providence. Essai sur le capitalisme moderne,
Puf, 1999.
(création du revenu minimum d’inser- cause, la présence de l’État s’est renfor- matière. En 2017, elles se sont ainsi
tion – RMI – en 1988 puis du revenu de cée, notamment par la création, en 1996, élevées à 728 milliards d’euros.
Les dépenses de retraite représentent
presque la moitié du total ; celles de
santé, le tiers. Viennent ensuite
la famille, l’emploi, le logement
et la pauvreté. Une répartition qui
est globalement identique dans les
pays développés.
En France, les recettes restent
d’abord assises sur des cotisations,
mais elles reposent de plus en plus
sur la fiscalité et sur la Contribution
sociale généralisée (CSG).
Créé en 1990 pour diversifier les
sources de financement de la Sécurité
Alexis Duclos/Gamma/Rapho/Getty
Attachement et inquiétudes
Le système a des défauts, mais certaines
qualités repérées sur le temps long sont
indéniables. Accompagnant les progrès
de la médecine et l’amélioration des
conditions de vie, le développement
de la protection sociale a contribué à la
formidable progression de l’espérance
de vie : elle a augmenté de vingt ans
depuis 1945. Deuxième apport majeur,
les conditions de vie des personnes
âgées. Grâce aux pensions versées, la
Edgar Morin
Mes amis, mes
amours, mes idées…
À l’occasion de la sortie de son livre régénère pas dégénère (La Vie de la vie, t. II, La
Méthode). » Edgar me confie même qu’il prépare un
Les souvenirs viennent à ma rencontre, nous tour de chant ! Oui, il a prévu de monter sur scène
pour chanter quelques chansons oubliées qui ont
sommes allés rendre visite à Edgar Morin. compté pour lui. Parmi elle, La Varsovienne, un chant
Nous avons évoqué les événements et les révolutionnaire de la fin du 19e siècle. Sans se faire
prier, il se met à la chanter. Je capture l’instant avec
rencontres qui l’ont formé, les idées et com- mon smartphone : la séquence vidéo est disponible
sur le site de Sciences Humaines.
bats auxquels il tient. Mais nous avons aussi
parlé d’avenir et des projets de cet éternel Ce livre – Les souvenirs viennent à ma rencontre –
se présente comme un livre de « souvenirs » et non
jeune homme de 98 ans. de mémoires. Quelle est la différence ?
Les mémoires se présentent généralement comme une
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J
biographie ou l’auteur suit un ordre chronologique ;
e dois l’avouer : depuis quelque temps, à chaque elles supposent aussi un travail de documentation sur
fois que je vais voir Edgar Morin, je me dis : sa propre histoire pour recomposer sa trajectoire de
« C’est peut-être la dernière. » Comme il ne vie, même si cette reconstitution est en partie factice.
manque pas d’humour et de malice, il m’a Ce livre, je l’ai écrit dans l’élan où me sont venus les
répondu un jour : « C’est normal, je suis en souvenirs. Ils ne sont pas exposés de façon chrono-
période préposthume. » Mais les dernières fois, je res- logique. Ces souvenirs sont « venus à ma rencontre »
sors de chez lui avec une leçon de vitalité. À 98 ans, si comme l’annonce le titre. J’ai redonné ensuite un cer-
on s’appelle Edgar Morin, on peut continuer à mener tain ordre pour la publication, mais j’ai voulu garder
une vie riche et créative. Fin août 2019, je l’ai rencon- cet élan initial et focaliser mon attention sur les per-
tré dans sa belle maison de Montpellier. Il revenait sonnes, les rencontres, les événements qui ont été les
d’une tournée de conférences au Brésil tout en ayant plus marquants pour moi. Et qui m’ont forgé.
fait un crochet par Rome où il a rencontré le pape
François (« On a un projet ensemble ! »). Il m’avait alors L’ordre thématique prime en effet sur l’ordre
parlé de ses mémoires qui allaient bientôt sortir. Ren- chronologique. Ainsi, la confrontation avec
dez-vous fut donc pris avec l’intellectuel Mathusa- la mort, qu’on pourrait attendre dans un
lem. Quelques semaines plus tard, je l’ai revu, sou- chapitre final, est présente dès le début : avec
riant et serein. On a parlé de littérature, de cinéma, l’histoire d’un petit garçon qui, très tôt, a été
d’humanologie (un projet que l’on concocte ensemble confronté à sa mort imminente.
et dont on reparlera bientôt dans Sciences Humaines). Effectivement, j’ai croisé la mort très tôt. Dès le stade
En arrivant chez lui, j’avais craint de voir un mort fœtal. Ma mère souffrait d’une maladie cardiaque
vivant, j’ai trouvé le bon vivant qui m’avait formulé et on craignait que son cœur ne puisse résister à un
naguère cette belle leçon de vitalité : « Tout ce qui ne se accouchement. Quand elle s’est retrouvée enceinte,
Éric Fougère/Corbis/Getty
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elle a pris des médica- La mort est d’ailleurs le thème de l’un de tes
ments pour m’avorter. premiers livres L’Homme et la Mort (1951). L’une
Mais cela n’a pas mar- de ses thèses est que dans toutes les civilisations,
ché : je suis donc passé les humains ont forgé un imaginaire de l’au-delà.
à côté de la mort une Ils nient la mort à travers les mythes de
première fois. Ma nais- l’immortalité de l’âme.
sance fut une seconde Oui, l’imaginaire m’avait déjà aidé à survivre après la
confrontation à la mort, car je suis né étranglé par le mort de ma mère. Je m’étais plongé dans les romans
cordon ombilical. Il a fallu plusieurs minutes pour me et le cinéma qui m’aidaient à fuir un réel insuppor-
ranimer. Ce ne fut qu’in extremis, comme mon père le table. Puis j’ai découvert, à l’occasion de la rédaction
raconta bien plus tard, que le médecin m’a ramené à de L’Homme et la Mort, le rôle fondamental de l’ima-
la vie. Cette présence de la mort ne m’a laissé aucune ginaire dans l’histoire humaine. J’ai alors pris mes
trace de souvenirs consciente bien sûr ; par contre, distances avec la vision marxiste qui fait des idées une
la mort de ma mère quand j’avais 10 ans fut un cata- « superstructure » s’élevant au-dessus d’une infras-
clysme fondateur : une perte de l’absolu qui m’a forcé à tructure matérielle. L’imaginaire est consubstantiel à
vivre sans absolu. Par la suite, j’ai encore frôlé la mort l’existence humaine. De plusieurs façons : tout d’abord,
lorsque j’avais 20-25 ans durant la Résistance. Voilà l’imaginaire enchante et poétise la vie ; il est ensuite
pourquoi cette histoire commence avec la mort. Elle intimement lié à la vie par le biais de la rêverie, les anti-
m’a hanté très tôt. Très tôt, j’ai compris que vie et mort cipations, les espérances, les projets, les utopies ; enfin
étaient indissolubles. et paradoxalement, l’imagination est aussi une voie
d’accès à la connaissance. Le roman et le cinéma sont littéraires ou des penseurs, d’autres sont des person-
des fictions, mais certaines fictions ont ce pouvoir de nages d’exception. C’est le cas Michel Cailliau, Pierre
nous faire découvrir des réalités que l’on a du mal à Le Moign, ce « héros au sourire si doux », ou Wilebaldo
percevoir au contact direct du réel. Solano, qui furent des compagnons de Résistance.
Ces gens sont pour moi des êtres d’exception qui se
Un des chapitres des Souvenirs est d’ailleurs sont rendus dignes de l’humanité. C’est aussi durant
consacré aux livres qui ont marqué ta jeunesse la Résistance que j’ai fait la connaissance de François
et qui ont « changé ta vie ». Mitterrand : il était alors le chef du réseau auquel je
Oui, la lecture de certains romans a été un moyen de participais.
découvrir mes propres vérités. C’est à travers Anatole La création du Comité des intellectuels contre la
France et Montaigne que j’ai découvert mon propre guerre d’Algérie, auquel j’ai participé, m’a donné l’oc-
scepticisme. Les œuvres qui vous touchent sont casion de rencontrer André Breton, rencontre qui m’a
celles qui vous révèlent des choses que l’on a en soi beaucoup marqué. Dans les années 1980, j’ai proposé
sans savoir encore les formuler. Mon besoin de foi et à F. Mitterrand de créer un « palais du surréalisme »,
d’effusion, je l’ai trouvé chez Tolstoï ou Dostoïevski. projet qui n’a malheureusement pas vu le jour (le
Il y a peu, j’ai d’ailleurs relu une nouvelle fois Guerre projet est déjà en annexe des Souvenirs).
et Paix, un chef-d’œuvre absolu, et j’y ai retrouvé les
mêmes émotions que lors de mes premières lectures. On trouve aussi dans ce livre le portrait de gens
(
d’exception comme Jeanne Blum, la femme de
Léon Blum.
L’aventure des idées est aussi Jeanne Blum, que j’ai rencontrée dans les années 1950,
m’avait pris en affection. Par son intermédiaire, j’ai
une histoire de lieux pu recueillir des témoignages émouvants et intimes
sur Léon Blum lui-même. Jeanne était une personne
et bouillons de culture. qui m’a impressionné par sa noblesse, sa sincérité et
sa générosité. Il est des gens qui comptent car ils vous
donnent un visage de la dignité humaine. Jeanne
était pleine d’humanité. Un jour elle m’a téléphoné
Ces souvenirs sont ceux également des pour me dire au revoir : elle m’informait qu’elle allait
nombreux engagements politiques menés au fil partir « pour la Suisse ». Je n’ai pas compris le message
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des ans : la Résistance, puis le communisme, la sous-entendu. Elle allait en Suisse pour mettre fin à
guerre d’Algérie, Mai 68, la gauche, l’écologie et ses jours ; elle estimait qu’elle avait vécu et ne voulait
le combat pour la « politique de civilisation ». pas être une charge pour les siens. J. Blum fait partie
Je n’aime pas trop le mot « engagement ». Il a une de ces gens anonymes restés dans l’ombre auxquels
connotation partisane et même militaire ; on « s’en- j’ai voulu rendre hommage.
gage » dans un parti comme on s’engage dans l’armée.
Or je n’ai été encarté au Parti communiste que Toutes ces rencontres sont associées à des lieux
quelques années. J’ai fait le récit de cet engagement et des moments très particuliers.
et de ma sortie du PC dans Autocritique. En revanche, On retrouve le jeune Edgar Morin en 1946, à
tout au long de ma vie, j’ai été immergé dans des Berlin, dans une ville dévastée où va bientôt se
événements historiques dans lesquels je me suis sou- jouer une nouvelle histoire ; puis dans le Paris
vent impliqué. Je me sens embarqué dans l’aventure intellectuel des années 1950 où bouillonnent
humaine. de nouvelles idées, dans la Californie des
années 1960, creuset de la contre-culture.
Ces combats ont conduit à faire de nombreuses On voyage aussi en Espagne, en Italie, en
rencontres, avec des intellectuels et des Amérique latine, etc.
personnalités. Ce livre de souvenirs peut se lire Les idées que l’on se forge sur le monde sont aussi tribu-
comme une galerie de portraits de gens connus taires des lieux où l’on a vécu. Des chapitres sont consa-
ou inconnus : on y croise tes anciens professeurs, crés à ces lieux de vie qui sont aussi des lieux de savoirs,
des résistants, des intellectuels et des auteurs des lieux où se forgent des communautés, des amitiés,
qui ont une empreinte sur ta vie où se forgent des façons de percevoir et de ressentir le
Ma première intention était d’écrire une livre sur monde d’une façon particulière. L’aventure des idées est
« mes amis et mes héros ». Certains sont des héros aussi une histoire de lieux et bouillons de culture.
Au fil des décennies, le climat intellectuel a la suite, le phénomène ne s’est pas démenti. L’anar-
beaucoup changé : après-guerre, chiste Daniel Guérin a vu dans la Révolution des
l’existentialisme est roi. Puis le marxisme, la phénomènes d’insurrection spontanée. Puis dans
psychanalyse, le structuralisme avant que les les années 1970, François Furet, qui avait quitté le
théories du sujet aient le vent en poupe. Tu n’as PC et dénoncé le stalinisme a proposé une lecture
jamais épousé complètement ces doctrines qui postmarxiste de la Révolution. Il est illusoire de
étaient pourtant très puissantes à leur époque. croire que l’on peut s’émanciper de sa propre sub-
Je me suis nourri de plusieurs influences, mais quelque jectivité pour atteindre l’objectivité totale dans la
chose en moi m’a toujours empêché de me laisser connaissance de l’humain. Souvent l’objectivité affi-
absorber par elles. Certains textes de Jean-Paul Sartre chée ne fait que dissimiler ses propres a priori. Voilà
comme son livre sur l’imagination ont influencé mon pourquoi je me suis au contraire employé à dévoiler
livre sur le cinéma et l’homme imaginaire. Mais je n’ai une partie ma vie dans mes journaux (comme dans
jamais été existentialiste. De même, j’ai apprécié Tristes mon Journal de Californie ou Le Vif du sujet) où je
tropiques de Claude Lévi Strauss et certains écrits de raconte mes lectures, mes rencontres, où je fais part
Roland Barthes, que j’ai bien connu, mais sans être de mes doutes, mes troubles, mes interrogations. Si
structuraliste. Le structuralisme propose une vision cette subjectivité peut passer pour du narcissisme
très réductrice de l’être humain. J’ai été influencé par – encore que parler de soi le plus honnêtement pos-
l’hégélio-marxisme de sa jeunesse, mais plutôt par la sible consiste aussi à dévoiler ses failles –, c’est aussi
vision dialectique de l’aventure humaine que par le un impératif épistémologique. L’observateur doit
marxisme matérialiste qui envisage l’histoire humaine s’observer lui-même pour mettre à jour ses propres
comme le seul produit de forces économiques et de présupposés, ses influences, ses partis pris. Le sujet
la lutte des classes. Mon marxisme fut un marxisme doit se prendre aussi pour objet d’étude. C’est un
ouvert, qui m’a conduit à un métamarxisme, puis à aspect capital de ma méthode complexe : je reven-
un dépassement. Ce fut le cas pour d’autres anciens dique cette part de subjectivité.
marxistes comme Cornelius Castoriadis, Claude N’oublions pas, comme le dit Montaigne, que « tout
Lefort, Kostas Alexos, François Furet et bien d’autres homme porte en soi l’humaine condition ». En révé-
que j’ai beaucoup fréquentés. La revue Arguments que lant une part intime de soi, on peut aussi commu-
nous avions créée en 1957 a été un moment clé dans niquer avec beaucoup de ceux qui éprouvent et res-
ma sortie du marxisme (le sommaire de la revue est sentent les mêmes choses. C’est André Gide, je crois
en annexe du livre). Mon étendard a ensuite été celui qui l’a dit à sa manière : « Plus on est singulier, plus on
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Cette capacité à traverser les époques et les Comment voit-on l’avenir quand on a 98 ans ?
modes intellectuelles sans céder à aucune d’elles Tout d’abord je m’intéresse à l’avenir de l’humanité ;
est un signe d’indépendance, mais peut être vue le monde et son évolution prochaine me préoc-
aussi comme une forme d’égocentrisme, pour ne cupent, même si je n’en verrai pas grand-chose. Mon
pas dire de narcissisme. Plusieurs de tes livres absence d’avenir personnel ou, plutôt, mon horizon
mêlent ta vie avec celle des idées et des temporel très court ne m’empêche pas de penser à
événements que tu analyses. l’avenir de l’humanité dont je suis une composante.
C’est vrai mais ce lien entre ma vie et les idées fut L’avenir est donc très présent en moi
pour moi inévitable dans les temps tourmentés que À titre personnel, comment je vois mon avenir ?
j’ai vécus. De plus, on projette toujours en partie Quand j’ai eu 80 ans, j’ai pris conscience que j’allais
ses propres conceptions sur le monde. C’est une bientôt mourir : peut-être d’un arrêt cardiaque ou
idée capitale que j’ai apprise très tôt avec Georges d’un AVC… Dans les années 1960, une voyante
Lefebvre, le grand historien de la Révolution fran- m’avait prédit que je mourrais debout, d’un seul coup.
çaise qui fut mon professeur à la Sorbonne. Dans Dans mes années d’octogénaire, je me suis donc habi-
son cours, il montrait que toutes les lectures de la tué à l’idée de mort prochaine. Puis j’ai eu 90 ans, puis
Révolution qui se sont succédé furent conditionnées 91, 92, et maintenant 98. La mort ne venant toujours
par les préoccupations de leur époque. Jean Jaurès pas, je me suis habitué à rester en vie ! ■
a proposé une lecture socialiste de la Révolution PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-FRANÇOIS DORTIER
axée sur les mouvements populaires et les forces
économiques. Albert Mathiez qui était communiste Pour aller plus loin
a fait l’apologie de Robespierre et de la Terreur. Par • Retrouvez nos vidéos d’Edgar Morin sur notre site.
L
e monde du travail est à la croisée d’au moins
deux évolutions majeures : l’essor d’un
libéralisme économique et culturel, et celui
de nouvelles technologies de l’information
et de la communication. Les managers se
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Le management,
entre technique
et humanisme
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C
ontrairement à une idée reçue, exemple. On en retrouve d’ailleurs doivent se plier à une organisation plus
le « management » n’est pas né aujourd’hui la trace dans le mot français stricte et codifiée. L’enjeu est surtout de
dans le monde de l’entreprise, « ménagerie »… Les premières méthodes lutter contre les aléas et d’obtenir un ren-
mais dans la sphère domes- préconisées restent très générales et dement plus stable, d’améliorer les tech-
tique. Selon le sociologue Thibault Le valorisent la bienveillance au détriment niques et les outils, les « managers » se
Texier (1), le verbe anglais « to manage », de la discipline. Au 19e siècle, les indus- soucia nt a lors peu des quest ions
utilisé depuis le 16 e siècle au moins, triels s’approprient le terme pour évo- d’encadrement.
désigne à l’origine le fait de prendre soin quer la maintenance dans les usines et y Entre 1880 et 1920, cependant, des indus-
de personnes dépendantes – enfants, ajoutent une notion de contrôle. Les tra- triels et ingénieurs – aux premiers rangs
écoliers, personnes âgées… –, mais aussi vailleurs, désormais employés et ne desquels Frederick W. Taylor – imaginent
d’animaux de ferme et d’élevage par possédant plus les outils de production, un « management scientifique », dédié à
Process et développement
personnel
Selon le sociologue Daniel Mercure (2),
ce modèle taylorien puis fordiste domine
jusqu’aux années 1970-1980. Le travail-
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profonde du bonheur, de l’homme ou la bienveillance ou encore de l’entre- une antienne du coaching d’entreprise.
encore du travail, ouvrent la voie à une prise libérée est né précisément de cette Cette conception très individualiste est
dictature des process, à bien des égards contradiction. C’est ce qu’illustre par renforcée par un marché de l’emploi plus
déshumanisante, et à une prolifération exemple l’irruption de chief happiness éclaté qu’autrefois : l’explosion du nombre
de systèmes d’évaluation quantitative officers, théoriquement chargés de veiller de travailleurs indépendants, la quasi-
ou chiffrée, se substituant à une connais- à leur bien-être mais dont le rôle, selon disparition du CDI pour les jeunes géné-
sance plus concrète des métiers sur le D. Linhart, consiste surtout à aider les rations, l’essor du management par projet
terrain. Les cadres de proximité – middle salariés à supporter ces ambivalences et du nomadisme professionnel, etc., se
management – en feraient les frais, se – tout en donnant une bonne image de traduisent par une difficulté à fidéliser des
retrouvant pris en étau entre les instruc- leur entreprise. employés, à créer une culture commune
tions d’une direction coupée de la réalité et à obtenir de l’engagement sur le long
et une aspiration à plus de reconnais- Compétition et coopération terme.
sance du côté des travailleurs. Ces critiques sévères ne valent certes Cet éparpillement tend aussi à favoriser
Selon la sociologue Danièle Linhart (4), pas pour toutes les organisations. Néan- la compétition au détriment de la coo-
ce qui est parfois présenté comme une moins, les chercheurs en sciences pération, y compris au sein d’une même
« révolution humaniste » – par contraste humaines comme de gestion se rejoignent entreprise. Selon le psychologue du tra-
avec le système taylorien – masque ainsi sur un même constat : les travailleurs vail Jacques Lecomte (5), c’est pourtant
des injonctions contradictoires. Si les sont aujourd’hui surresponsabilisés une erreur de croire que la compétition
managers entendent d’un côté donner tout en étant soumis à de nombreuses est fructueuse ou créatrice de valeurs.
plus d’autonomie, de liberté, voire la pos- contraintes organisationnelles. Les chan- Des compétences relationnelles telles
sibilité de se réaliser à travers le travail, gements, améliorations et innovations que la coopération sont au contraire
la prolifération de procédures rigides et sont ainsi supposés venir des employés un facteur clé d’excellence profession-
de protocoles stricts n’a pas cessé. Les ou des managers de proximité, mais il nel et de reconnaissance. Celle-ci est
tensions qui en découlent rendent le est impensable qu’ils remettent en cause systématiquement corrélée à une plus
travail difficile à supporter : les employés la structure d’une entreprise, son mode grande satisfaction des membres d’une
sont appelés à devenir autonomes mais de fonctionnement ou encore sa finalité. équipe qui, du même coup, s’impliquent
subissent toujours plus de contrôles, on L’idée qu’il suffit de vouloir pour pouvoir, davantage dans leur travail. Le constat
leur demande d’innover tout en respec- ou qu’il faut incarner la transformation est inverse dans les organisations où pré-
tant de multiples étapes de validation, que l’on souhaite pour le monde, mais que dominent la compétition et l’individua-
etc. Pour D. Linhart, l’engouement récent l’on devrait se garder de vouloir changer lisation. Raviver une certaine solidarité
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pour le thème du bonheur au travail, de ce qui ne dépend pas de soi, est d’ailleurs dans les entreprises est d’ailleurs une
préoccupation constante de nombreux
cadres et dirigeants. Pour autant, selon
les professeurs en sciences de gestion
Philippe Eynaud et Genauto Carvalho de
França Filho (6), celle-ci reste largement
négligée dans l’enseignement du mana-
gement, la pédagogie restant centrée sur
le modèle de l’entreprise marchande.
Le cœur et la raison
Repenser un projet économique à l’aune
d’une économie solidaire pourrait en ce
sens constituer une remise en question
suffisamment profonde des structures
Clément Mahoudeau/IP3/MaxPPP
tels que les associations, les coopéra- critiques transversales : condamnation (1) Thibault Le Texier, Le Maniement des hommes.
tives, ou encore l’économie sociale et de l’égoïsme, de la marchandisation, Essai sur la rationalité managériale, La Découverte,
solidaire. Plutôt que d’encourager le du productivisme, du court-termisme, 2016.
transfert des modèles de gestion clas- remise en cause d’un primat de la ratio- (2) Daniel Mercure et Mircea Vultur (dir.), Dix
concepts pour comprendre le nouveau monde du
siques dans ces enclaves, estiment-ils, nalité… Ce rejet s’accompagne d’une
travail, Hermann/Presses de l’université Laval, 2019, et
les entreprises gagneraient à s’inspirer de recherche renouvelée de qualité et de Daniel Mercure et Marie-Pierre Bourdages-Sylvain
ces dernières pour encourager le travail simplicité, prenant davantage en compte (dir.), Travail et subjectivité, Hermann/université de
désintéressé, passionné, et l’ambition la singularité des tâches et des per- Laval, 2017.
de contribuer à l’intérêt général sans for- sonnes, et restaurant une certaine bien- (3) François Dupuy, Lost in Management, 2 t., Seuil,
2011 et 2015.
cément en obtenir un bénéfice direct. Il veillance dans les relations humaines.
(4) Danièle Linhart, La comédie humaine au travail. De
serait cependant tout aussi nécessaire de Ce discours trouve un large écho dans la déshumanisation taylorienne à la surhumanisation
lutter contre la précarisation et l’éparpil- les entreprises (8). Et il est somme toute managériale, Érès, 2015.
lement des travailleurs, en revalorisant fascinant de constater qu’une opposi- (5) Jacques Lecomte, Les Entreprises humanistes,
une certaine stabilité dans les carrières tion séculaire semble perdurer tout au Les Arènes, 2016.
(6) Philippe Eynaud et Genauto Carvalho de França
professionnelles. long de l’histoire du management : d’un
Filho, Solidarité et organisation : penser une autre
Ces propositions restent sans doute diffi- côté, une conception fondée sur le soin gestion, Érès, 2019.
ciles à mettre en œuvre, mais s’inscrivent d’êtres dépendants, prenant en compte (7) Mireille Diestchy, « Enquête sur une éthique du
dans une tendance au slow management leurs spécificités et leurs besoins, et de rythme : analyse sociologique et pragmatiste de la
de plus en plus populaire. Comme l’ex- l’autre une approche plus instrumen- diffusion du slow », Paris Tech, 2016.
(8) Voir notamment Dominique Steiler, John
pose la sociologue Mireille Diestchy dans tale, rationnelle et avide d’indicateurs
Sadowsky et Loïck Roche, Le Slow Management.
sa thèse de doctorat (7), le mouvement dit quantitatifs. Manager revient peut-être, Éloge du bien-être au travail, PUG, 2010, et Claudio
« slow » agrège depuis plusieurs années au fond, à trouver un équilibre entre ces Vitari et al., Slow Management. Entreprendre la
divers collectifs autour d’un ensemble de injonctions du cœur et de la raison. ■ transition, Pearson, 2013.
L’entreprise,
lieu d’utopies
L’ambition de révolutionner le travail ne date pas d’hier. Des entrepreneurs
ambitieux ont tenté très tôt de créer d’autres modèles pour le management.
Certains inspirent encore les coachs et consultants d’aujourd’hui.
PHILIPPE TROUVÉ ET JEAN-CLAUDE CASALEGNO
L’
aspiration utopique est une Enseignants-chercheurs en management importantes et des conditions de travail
au groupe ESC-Clermont,
constante anthropologique. très en avance sur son époque. Il réduit
cofondateurs avec Diego Landivar,
Les hommes ont toujours rêvé Sophie Marmorat et Brigitte Nivet du groupe le temps de travail et l’âge minimum
et imaginé des sociétés de de recherche People. des ouvriers, et crée plusieurs écoles où
rechange, que cet esprit d’utopie soit chaque enfant peut bénéficier de soins
resté à l’état onirique, cantonné dans de taires, solidaristes et coopératifs, elles vigilants et d’une attention bienveil-
volumineux pavés écrits, ou qu’il se soit sont dirigées vers la lutte contre les iné- lante ; écoles qu’il transforme, le soir,
concrètement réalisé, notamment dans galités et l’émancipation éducative des en centres de formation, de dialogue
l’ordre politique ou économique. Les plus déshérités. Robert Owen (1771-1858) et de loisirs pour adultes. On pourrait
utopies d’entreprises ou les entreprises en est la figure emblématique. Fils d’un également évoquer Jean-Baptiste André
utopiques sont de cette dernière nature. quincaillier, il rachète en 1707 à son Godin (1817-1888). Sensible aux idées
Telle la « vieille taupe » de Karl Marx, elles beau-père l’une des plus grandes fila- du philosophe Charles Fourier qu’il a
ressurgissent régulièrement des sous- tures de la région de Glasgow dans le but découvert en 1842, il décide de mettre sa
sols de l’histoire, notamment dans la de transformer radicalement son orga- fortune au service du bien commun en
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retombée des grandes révolutions, des créant, autour de son usine de Guise, un
crises sociales radicales ou des périodes espace social alternatif à la société bour-
d’anomie où les sociétés se mettent à geoise capitaliste : le familistère. Outre
douter de leurs principes organisateurs. Les utopies modernes des logements de fonction, des lavoirs
D’où leur faculté organique de résistance et des magasins d’approvisionnement
et de contestation de l’ordre dominant, ont perdu réservés aux ouvriers de ses fabriques, il
mais aussi la grande diversité de leurs
formes à travers l’histoire. S’agissant des
de leur puissance crée une école obligatoire et gratuite, un
théâtre, une piscine et une bibliothèque.
utopies de l’organisation productive, contestataire. La construction du familistère de Guise
seules seront évoquées ici celles portées s’étend de 1859 à 1884. Au cours de cette
par des entrepreneurs ou des patrons période, l’activité de la manufacture
socialisants, en laissant de côté tout un se développe considérablement pour
pan de l’histoire pas moins abondant des nisation. Il est convaincu avant l’heure employer jusqu’à 1 500 personnes.
utopies émancipatrices réalisées par les que c’est la communauté qui détermine
travailleurs eux-mêmes. Dans ce foison- le comportement des individus plutôt 2. Les utopies industrialistes
nement des utopies patronales modernes que leur soi-disant personnalité. Si on Au 20 e siècle, les avancées utopiques
qu’on devrait aussi appeler les « utopies veut bénéficier de leur engagement, il de certains entrepreneurs consistent à
par le haut », on peut distinguer trois faut donc mettre en place des conditions combiner l’excellence économique et la
grands foyers emblématiques. de vie décentes, respectueuses et plus « capacité sociale ». Leur but : humaniser le
équitables. C’est ce qu’il fait sur le site taylorisme. Leur figure la plus accomplie
1. Les utopies socialisantes industriel de New Lanark qu’il trans- serait celle d’Adriano Olivetti (1901-1960).
Portées par les grandes utopies sociales forme en village coopératif en offrant à Il entre en 1926 dans l’entreprise de son
du 19e siècle, des mouvements socié- ses employé(e)s des rémunérations plus père qui a créé la première société de
● Il est nécessaire de responsabiliser les de chaque atelier une entreprise dans groupe du même nom, défendra dès
travailleurs en leur donnant un pouvoir l’entreprise, un système de redistribution les années 1990, en France, la néces-
de décision dans les ateliers mais aussi des résultats, un système d’autodisci- sité d’organiser le partage du pouvoir à
dans le gouvernement de l’entreprise. pline et de contrôle collectif. Pour lui, le travers ce qu’il appelle aujourd’hui une
Cela passe par l’instauration d’espaces chef n’est pas là pour imposer de façon démocratie concertative – favorisant les
de délibération dans les organisations autoritaire son point de vue mais pour prises de décision par la confrontation de
comme dans les territoires. faire participer les salariés à la résolution points de vue avec les pairs et non avec le
● La communauté est une dimension des problèmes. manager.
dont les individus ont besoin pour actua- Veenet Nayar, plus récemment, diri-
liser leur potentialité. C’est par la vie 3. Les hétérotopies geant en Inde d’une entreprise de ser-
communautaire que l’individu se révèle. néomanagériales vices informatiques de 70 000 salariés,
● Il faut diffuser massivement la culture Dans la seconde moitié du 20e siècle, ces propose de renverser la pyramide en
scientifique et humaniste, sans diffé- nouvelles utopies qui se sont présentées considérant que les premiers clients de
renciation de classes, et encourager la au départ sous le terme « d’entreprises l’entreprise sont ses salariés.
collaboration interdisciplinaire entre les libérées » prennent généralement des Si ces premières utopies sont en rupture
experts. formes très diverses. Cinq points, cepen- radicale avec l’économie dominante,
● Le travailleur doit être productif pour dant, permettent de les repérer assez les utopies modernes ont perdu de leur
que l’entreprise soit compétitive, mais la nettement : puissance contestataire. Elles sont tota-
contrepartie est de réinvestir les profits lement au service de l’idéologie néolibé-
dans l’innovation et le progrès social de 1. Le développement de l’autonomie rale et se soucient peu « de l’émancipation
l’entreprise. d’action des personnes et de leur capa- des classes les plus nombreuses et des
On peut citer aussi Thomas Bata (1876- cité à décider au nom du principe de plus pauvres » (Saint-Simon). C’est leur
1932). Issu d’une famille de cordonniers subsidiarité ; ambiguïté… ■
Peut-on se passer
de chefs ?
Moins d’autorité, plus d’horizontalité :
le modèle séduit mais reste difficile à mettre en œuvre.
PASCAL UGHETTO
F
Professeur à l’université Paris-Est, chercheur
aut-il à tout prix des chefs ? au laboratoire Techniques, territoires et hiérarchiques ou les « silos » créés par les
Depuis six ou sept ans, des diri- sociétés (Latts), notamment auteur d’Organiser divisions internes de l’entreprise.
geants se penchent sérieuse- l’autonomie au travail (Fyp, 2018). De telles organisations du travail, fon-
ment sur cette question, y com- dées sur le recul du contrôle hiérar-
pris dans de grands groupes réputés pour acteurs ultrapuissants du numérique chique et la promotion de l’autonomie,
leur hiérarchie. D’Orange à la SNCF, des (les fameux GAFA), ou de plus petites s’inscrivent à rebours de l’effort inlas-
banques à des sociétés de conseil infor- start-up et leur capacité d’innovation sable des directions, lors des dernières
matique, ces directions s’inquiètent de réputée disruptive. Le modèle de gestion décennies, pour renforcer des outils
savoir si les modes de management qui, des ressources humaines prêté à tort ou à de gestion très homogénéisants et la
depuis un quart de siècle, ont donné le raison à ces dernières exerce son attrait : prescription. Le revirement est brutal et,
pouvoir aux processus de gestion – cou- des rapports relativement égalitaires, curieusement, ne s’accompagne guère
ramment nommés les process –, n’ont pas une facilité à proposer et à innover, et d’une justification des directions par
atteint leurs limites. Les membres des une rapidité dans la prise de décision, rapport à leurs choix passés. Elles veulent
d i rec t ions et les agences qu i les en contraste avec les grandes structures voir les salariés pratiquer l’autonomie,
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conseillent surestiment éventuellement aux habitudes plus compassées, aux mais sans les renseigner sur la manière
la nouveauté de leur réflexion. Mais leur disciplines incorporées et aux processus dont elles les imaginent composer avec
attrait pour des modèles moins hiérar- gestionnaires rigides. Un autre argument des process qui ne disparaîtront pourtant
chisés et plus égalitaires ne manque pas est la désaffection prêtée aux jeunes pas totalement.
d’intérêt – à condition toutefois d’exami- générations envers les lourdeurs des Toutefois, c’est sans doute pour la ligne
ner si les directions parviennent à échap- grands groupes, comme envers un tra- managériale que le virage est particu-
per au regard biaisé qu’elles portent vail dominé par le reporting (les comptes lièrement difficile à négocier, du point
habituellement sur le travail des mana- à rendre formellement) et manquant de vue des identités professionnelles et
gers intermédiaires. Que les équipes se cruellement de sens. des pratiques de tous les jours. Classi-
voient dorénavant confier des responsa- quement, les cadres doivent incarner les
bilités et une hauteur de vue jusqu’alors New ways of working logiques d’organisation et la nécessité
réservées à la ligne hiérarchique, tant Il est ainsi parfois question de new ways d’outils homogènes… tout en encadrant
mieux ! Mais comment les entreprises of working – vocabulaire issu de l’archi- des équipes qui sont au contact de situa-
perçoivent-elles la contribution qui était tecture – : dans des espaces supposés tions éminemment plus complexes et
classiquement celle des cadres ? Com- s’adapter de façon dynamique à l’acti- variées. Quotidiennement, un manager
ment comptent-elles redistribuer celle-ci vité de travail, les salariés pourraient est supposé faire un va-et-vient entre
à des équipes devenues plus autonomes ? s’autoriser à suggérer même les idées les deux, dans une activité organisa-
Et anticipent-elles réellement l’activité les plus surprenantes, à poser des ques- trice. Qu’en sera-t-il dans les nouvelles
qui serait à déployer par les managers tions sans disposer immédiatement de organisations ?
dans leur nouveau rôle ? réponses, à interagir avec leurs managers
Les entreprises sont tentées d’expéri- de façon moins convenue. On attend Désarroi des cadres
menter un surcroît d’autonomie parce d’eux de collaborer avec autrui, par-delà Un premier modèle de ce que sont sup-
qu’elles se sentent menacées par des les différences de métier, les niveaux posés devenir les cadres est le manager
sant, donnant la vision et le sens et désarroi des cadres, acculés à se conver- dant de la suppression des cadres sans
suscitant les initiatives et les envies de tir ou à démissionner. Les dirigeants avoir pris la mesure de ce que produisait
faire, favorisant l’émergence de projets, libérateurs prétendent souvent que cela le travail de ces derniers. L’entreprise
invitant les collaborateurs à se faire exprime la résistance de modes de pen- libérée présume parfois que le cadre
confiance et à proposer, les aidant à sée profondément incorporés chez leurs intermédiaire est improductif, sans
réunir les conditions pour déployer analyser positivement sa contribution et
ces projets. Curieux retournement, on sans réfléchir aux conditions dans les-
n’est pas loin de l’avenir promis aux quelles on pourrait réaffecter ses tâches
encadrants lorsqu’étaient envisagés, On attend des salariés de auprès d’exécutants.
dans les années 1980, la rupture avec le
taylorisme et l’empowerment des exécu- collaborer avec autrui, Manager l’autonomie
tants… mais que le pilotage par indica- par-delà les différences Transformation digitale, entreprise libé-
teurs et le management par processus rée, mode agile, new ways of working…
avaient empêchés. Deuxième modèle, de métier. Quelle que soit l’inspiration, au fond,
le manager de l’entreprise libérée. Celui- le travail consistant à manager l’auto-
ci est voué à une quasi-disparition ou, nomie est une question que les entre-
dans le meilleur des cas, remplacé par prises ont sous-estimée jusqu’à récem-
un rôle de facilitateur. Il est dépossédé managers. Ces derniers n’auraient pas ment. Au-delà d’une posture à tenir,
d’un pouvoir de prescription et se trouve compris le changement attendu d’eux. rares sont celles qui se sont préoccupées
converti à l’écoute. Non seulement il En réalité, cela pourrait tout aussi bien de dire quelles tâches cela recouvrait
ne peut plus décider seul, mais il doit attester d’un investissement insuffisant exactement et quelle activité il fallait
simplement suggérer et animer la dis- dans l’accompagnement de leur recon- déployer. Aider un membre de l’équipe à
cussion collective par les questions les version. Peut-être aussi manquent-ils de se faire confiance et à « s’autoriser », par
pragmatique et fréquent aux besoins répriment. Dans les organisations sur les nouvelles organisations du
des utilisateurs. Attirés une fois de plus hiérarchiques, les chefs n’exerceraient travail reproduit des lacunes dans la
par les start-up, les dirigeants au fond leur rôle qu’en vertu de la façon dont les directions des entre-
souhaitent aujourd’hui en importer les réticence des directions à laisser les prises conçoivent les membres de la
méthodes et l’« agilité ». Autre signe des membres de leurs équipes développer ligne managériale. Elles les réduisent
temps : les directeurs de ressources leurs initiatives, leur compréhension des volontiers à des « maillons » assurant
humaines s’interrogent beaucoup sur enjeux et des façons possibles de faire. la déclinaison des logiques et règles
les lourdes campagnes annuelles et Libérer l’entreprise équivaut ainsi, avant d’organisation jusqu’au niveau des exé-
centralisées d’évaluation et changent tout, à libérer le travail de ces limitations. cutants. À l’ère de l’autonomie, elles
leur fusil d’épaule, en regardant Il convient pour cela de se passer de ne théorisent guère mieux le travail
notamment vers les sociétés de managers, ou de les faire évoluer de la d’encadrement, ce qu’il a de coûteux et
services et d’ingénierie informatique. prescription et de la surveillance à l’éveil tous les appuis qu’il exige. Et, par ail-
Dans celles-ci, l’évaluation verticale et des intelligences et à l’animation des leurs, la montée en autonomie de larges
solennelle par le hiérarchique tend à capacités de proposition. ■ P.U. parties de la population active ne se fera
pas sans une réflexion plus élaborée
sur le pouvoir devant être conféré aux
exemple : quelle activité d’écoute et de leurs effets, et quels conseils lui donner managers pour créer de l’organisation
dialogue cela recouvre-t-il ? Quelle ana- sur la poursuite de ses initiatives ? S’est- sur leur périmètre. En défi nitive, pour
lyse de la personnalité de chaque colla- on aussi demandé quel travail concret réussir le pari de conférer de l’autono-
borateur, de sa construction identitaire, cela recouvrait d’animer des collectifs mie à chaque salarié, les entreprises
de son action et de ses interactions dans et le temps que cela prenait ? On ima- doivent à tout prix se préoccuper du
le travail ? Comment pilote-t-on ses gine qu’il faut s’employer à octroyer des travail de leurs managers. Le paradoxe
premières tentatives ? Comment évaluer marges de manœuvre, à construire les n’est qu’apparent. ■
Le « mode start-up » :
un mythe managérial
Les start-up seraient plus souples, plus dynamiques, parfois violentes…
Mais beaucoup restent à bien des égards des entreprises comme les autres.
Nathalie Chauvac, de
l’enquête Les Start-up, des experts techniques comme des ingénieurs, importance » pour ces entreprises ?
des entreprises comme mais leurs projets sont différents : beaucoup Dans cette enquête, nous voulions notamment
les autres ? Une enquête cherchent à exploiter de nouveaux usages plus analyser le recours aux relations interperson-
sociologique en France qu’à inventer des dispositifs techniques à propre- nelles dans le processus de construction et de
(Presses université
Paris-Sorbonne, 2018).
ment parler. En réalité, les start-up n’ont guère de développement des start-up. Dans presque
spécificité, si ce n’est que leurs fondateurs sont tous les secteurs, en effet, on recrute quelqu’un
souvent fortement diplômés et qu’elles bénéfi- qu’on connaît ou qui est recommandé par une
cient de soutiens publics importants. connaissance. Cela représenterait 25 à 40 % des
embauches en France. Or cette tendance est
Les créateurs de start-up ont-ils des modes encore plus marquée dans les entreprises inno-
de management spécifiques ? vantes, où cela monte par exemple jusqu’à 64 %
Pour les personnes que nous avons interrogées, la première année. Sur le terrain, le fait que les
le management est une préoccupation pratique collaborateurs se connaissent déjà renforce sans
évidente, mais pas un élément central de leur doute le caractère informel et parfois improvisé
projet – celui-ci est avant tout guidé par des de la division des tâches. Certains fondateurs
considérations techniques. Ils apprennent pro- souhaitent d’ailleurs limiter la taille de leur
gressivement à gérer du personnel, mais ils n’ont entreprise pour éviter les inconvénients des
pas de « projet social » prédéfini. L’« aventure » hiérarchies qu’ils ont pu connaître en tant que
qu’ils revendiquent souvent lorsqu’ils parlent de salariés… Pour autant, ces tendances peuvent se
leur projet fait peu référence à une nouvelle forme retrouver dans d’autres entreprises réputées plus
de management, mais plutôt aux incertitudes classiques. ■
auxquelles ils sont confrontés, au fait de devoir PROPOS RECUEILLIS PAR PAULINE PETIT
L
es activités de décision et de ges- LÉO TOUZET Toutefois, dès 1800, le négociant français
tion, qui font le quotidien des Sociologue au sein du Certop (CNRS),il est Vital Roux (1766-1846) critique ces deux
d i r i g e a n t s d ’e n t r e p r i s e , l’auteur de la thèse « Jouer à faire des affaires. approches. S’inspirant de ce qui existe
Une sociologie des business games » (2016),
demeurent considérées comme déjà dans certains établissements sco-
relevant principalement d’une science de laires de Flandres, il préconise de créer
l’action, dont l’objectif prioritaire est de des écoles de commerce en France et
conduire à des conclusions opératoires et raître opposées furent apportées à cette d’y enseigner les affaires avec des « opé-
à des solutions pratiques. Or, comment question : la formation « sur le tas » au sein rations de commerce simulées » (1). Ces
enseigner et transmettre ce qui s’acquiert des maisons de commerce et l’étude des dernières consistent en une simulation
essentiellement à travers l’expérience de la ouvrages élémentaires en la matière, tel Le devant se dérouler sur trois périodes suc-
pratique elle-même ? Pendant longtemps, Parfait Négociant, publié en 1675 par cessives, d’une durée de six mois chacune,
deux principales réponses pouvant appa- Jacques Savary (1622-1690). se voulant aussi réalistes que possible
et dont la difficulté va croissant. Dans
ce cadre, chaque élève est appelé à faire
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Jeux d’entreprise et
« méthode des cas »
Plus tard, au début des années 1900, le
développement et la professionnalisation
des métiers de la gestion, liés à l’expansion
de la taille des marchés et des entreprises,
renouvellent et renforcent le besoin de
méthodes spécialement conçues en vue
Rick Friedman/Corbis/Getty
l’historienne Marie-Emmanuelle Chessel, résultats obtenus, chacune se concerte des systèmes de score à points, etc., autant
la méthode traverse l’Atlantique et se dif- et prend une nouvelle série de décisions, d’éléments censés accroître le plaisir du
fuse en France dès les années 1930, grâce à nouveau saisies dans le logiciel afin de joueur et, in fine, son engagement dans
à Georges Doriot, un enseignant français produire de nouveaux résultats, et ainsi l’activité d’apprentissage. Dans un monde à
de la HBS convaincu de son efficacité. de suite. Les sessions de jeux d’entreprise la fois de plus en plus numérique et mobile,
Elle sera notamment reprise et dévelop- se concluent toujours par un « retour sur les serious games seront peut-être bientôt
pée jusque dans les années 1960 par les expérience » sous forme de debriefing, de aussi répandus que les études de cas et les
milieux catholiques, dont M.-E. Chessel séance de critique ou d’examen des résul- jeux d’entreprise. ■
a également souligné le rôle important tats, au cours duquel des graphiques et des
dans la diffusion des modes (et des moda- tableaux comparatifs sont présentés aux
(1) Vital Roux, De l’influence du gouvernement sur la
lités) de formation des dirigeants (3). participants. prospérité du commerce, Fayolle, 1800.
En outre, entre l’invention de la case (2) Voir Patrick Fridenson, « La formation continue des
L’informatique, nouveau method et celle des business games, à dirigeants d’entreprise en France depuis 1944 », in
terrain de simulation partir de 1926 précisément et jusqu’aux Jean-Paul Barrière et al. (dir), Les Trames de l’histoire.
Entreprises, territoires, consommations, institutions,
Les jeux d’entreprise informatisés, quant à années 1980, un important réseau
Presses Universitaires de Franche-Comté, 2017.
eux, apparaissent dans la seconde moitié européen de « maisons de commerce (3) Marie-Emmanuelle Chessel et al., L’Entreprise et
des années 1950, à la fois en Europe et aux fictives » (4) est développé dans le cadre l’Évangile. Une histoire des patrons chrétiens, Presses
États-Unis. Inspirés des jeux de guerre de la Société suisse des commerçants, de Sciences Po, 2018.
utilisés de longue date pour former les association fédérale « centrale » faite d’un (4) Voir Émile Losey, « La maison de commerce fictive
dans l’enseignement commercial », rapport présenté le
commandants d’armées sans prendre les regroupement volontaire d’associations
25 septembre 1938 à l’assemblée générale de
risques (mortels !) inhérents à la pratique (dites « sections ») locales et cantonales l’Association suisse pour l’enseignement commercial à
du combat, ils permettent aux (apprentis) de commerçants. Leur principe rappelle Neuchâtel, et Adolf Galliker, « Make believe business »,
managers de s’exercer à la prise de déci- immanquablement la formule décrite par The Rotarian, octobre 1946.
Les vertus
des conflits
Fuir les affrontements est un réflexe spontané.
Pourtant, les managers auraient intérêt à l’accepter – sans toutefois le laisser
s’envenimer – comme le symptôme d’un problème à régler.
CHRISTIAN THUDEROZ
L
a question est séculaire, le Directeur du programme NégoLab, le fragile équilibre qu’est une organisa-
débat, toujours d’actualité. Car Essec-Irené. Il a publié, entre autres, tion de travail ?
Sociologie du conflit en entreprise
l’expérience est à chaque fois (Presses universitaires de Rennes, 2014),
Ces deux dilemmes sont articulés ; les
douloureuse : le conflit épuise Décider à plusieurs (Puf, 2017) distinguer ici permet de dissocier deux
ses combattants, qui en perdent souvent et L’Âge de la négociation collective séquences : le déclenchement du conflit
le contrôle. Son coût semble exorbitant, (Puf, 2019). (et ses motifs), et le traitement du conflit
son utilité faible. Il illustre la part (et ses modalités).
sombre de notre humanité, quand la Le premier dilemme a, de fait, été tran-
pulsion d’hostilité n’est plus freinée par collective – ce qui permet de les dépas- ché en sciences de gestion par Paul
la raison et le calcul d’intérêts. La plu- ser) mais non prépondérante (car le Lawrence et Jay Lorsh (1) dès la fin des
part d’entre nous le redoutent, quand conflit n’est que l’expression de ces dif- années 1960 : au lieu de chercher à l’élu-
d’autres semblent le cultiver – et l’am- ficultés, non leur remède). der, les managers doivent le « liquider »
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rassemble les contradictions dans une affective et intellectuelle ; le manager d’objectifs, de comportements, d’orien-
union ». Il y a cependant des cas limites, préfère donc minorer le problème, voire tations cognitives et affectives, etc.
où rien ne vient pondérer la pulsion l’ignorer délibérément ; ou s’imaginer Les éluder ne sert à rien, affirment-ils ;
formelle d’hostilité ; celle-ci renforce le qu’il se réglera par lui-même, le temps mieux vaut miser sur ce qu’ils nom-
conflit, « comme une pédale forte ». devenant son meilleur allié (croit-il) ; ment l’intégration – c’est-à-dire l’usage
ou encore trancher dans le vif, seul et de modes efficaces de traitement des
Minorer ou trancher dans « droit dans ses bottes ». désaccords surgissant de ces diffé-
le vif : deux erreurs P. Lawrence et J. Lorsch critiquent rences. Parmi ces « déterminants de
Tout manager pris une première fois ces attitudes patronales. Ils estiment l’efficacité dans la résolution des conflits » :
dans la tourmente d’un conflit social est qu’elles expriment une trop grande la présence de coordinateurs se situant
cependant tenté, les fois suivantes, de confiance accordée aux capacités de à équidistance des chefs de service ;
l’esquiver, quitte à écorner son prestige l’organisation à s’autoréguler ; une ou un poids prépondérant octroyé à
ou son autorité. Échaudé, il se refuse à méconnaissance des rapports tendus ces coordinateurs, pour qu’ils puissent
le laisser perturber l’organisation qu’il entre chefs de service, du fait de l’asy- « peser » et imposer leurs arbitrages aux
dirige, et renonce à organiser ce que métrie des pouvoirs ; ou encore un défi- dirigeants récalcitrants.
P. Lawrence et J. Lorsch ont nommé cit de coordination directe entre ces Aujourd’hui, ces recommandations ont
« une confrontation » – soit le fait de chefs, entraînant la production d’infor- été oubliées et ne sont probablement
reconnaître l’existence d’un problème mations peu fiables et incomplètes. présentes que dans les vieux manuels
dans l’organisation ; discuter avec ses Que devraient faire ces managers ? de management – et à coup sûr absentes
collègues ou subordonnés des diffé- D’abord, accepter l’idée que « les conflits des amphis universitaires. Peu importe
rentes façons de le résoudre ; recueillir répétés sont inévitables », puisque l’en- si elles ont ou non fonctionné ; l’essen-
des avis argumentés et dresser la liste treprise est, par définition, une orga- tiel réside dans la façon de poser le
des scénarios, avec leurs conséquences. nisation différenciée, et qu’y régneront problème. Le conflit, disent en subs-
tance P. Lawrence et J. Lorsch, naît nence du conf lit dans l’entreprise parole, sollicitation d’universaux (la
dans l’organisation car celles et ceux – entre individus au travail, entre ceux- justice, le droit à, la liberté de…), etc. Il
qui la composent ne peuvent avoir les ci et leurs managers, entre managers, faut donc mener de front deux tâches :
mêmes objectifs, les mêmes intérêts, les entre services, etc. : en effet, aucun dieu déconstruire cet univers conflictuel,
mêmes points de vue. Or, il faut que des ou aucune évidence ne vient trancher à et rechercher d’autres modalités de
décisions soient prises (c’est-à-dire que la place de ces individus ni leur souffler traitement de ces « incompatibilités
des scénarios d’action soient adoptés, et à l’oreille l’action qui convient. Il faut systémiques » – en les nommant et les
d’autres rejetés). Les expressions « réso- donc qu’il y ait explicitement cette explicitant, et en recourant aux tech-
lution des conflits » et « prise de déci- confrontation (d’idées, d’arguments, niques de délibération collective et de
sion » désignent ainsi des réalités iden- de propositions d’action...) pour que négociation collective.
tiques : « Ces deux termes se réfèrent à des ces volontés antagoniques puissent se La tâche de déconstruction n’est pas
étapes différentes d’un même processus. » réguler et que reprenne un cours d’ac- facile tant les protagonistes, pour
La conclusion coule de source : « Un sys- tion collective acceptable par toutes imposer à l’adversaire leur volonté,
tème de résolution des conflits efficace est et tous. ont durci les oppositions et radica-
réellement la même chose qu’un système A lors, faire la pai x rapidement ou lisé les postures. L’aide d’un tiers
de prise de décision efficace. » laisser le conf lit faire son travail de – un médiateur, interne ou externe
reconfiguration ? Autrement dit, trai- à l’entreprise ; un inspecteur du tra-
Un blocage du processus ter le conf lit, ou traiter la situation vail ; un chargé de mission de l’Anact ;
de prise de décision sociale dont le conflit est l’expression ? ou encore un consultant en relations
Car le conflit dans l’organisation n’est Dans le premier cas, on éteint l’incen- sociales – est ici importante pour aider
rien d’autre qu’un blocage du proces- die sans s’interroger sur les causes les parties à renouer le dialogue, réta-
sus usuel de prise de décision. Cette de l’inflammation, ou en imputant la blir la confiance, réapprendre à décider
définition est celle d’Herbert Simon responsabilité du conflit aux personnes ensemble.
et de James March (4), proposée dans (leur ambition, leur personnalité, leur Techniques de résolut ion de pro-
manque de diplomatie, etc.), sans dis- blèmes, d’i nvent ion de solut ions
cerner derrière elles des motifs struc- appropriées via des séquences de
turels ou des impératifs systémiques. remue-méninges et de créativité, et
Dans le second cas, ces impératifs sont usage des méthodes de négociation
La confrontation est recherchés, identifiés et, si possible, dite « raisonnée » (ou « intégrative »,
traités. c’est-à-dire comme le disent les Qué-
nécessaire pour que
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étude, nous recensons plusieurs groupes sociaux aller plus loin en changeant les pratiques des
qui en sont victimes : les femmes, les seniors, les employeurs, en leur faisant prendre conscience
personnes LGBT, les minorités ethniques et reli- qu’ils peuvent avoir des biais, même s’ils sont très
gieuses. Mais il y a aussi de la discrimination sur bien intentionnés – à cet égard, les tests d’asso-
STÉPHANE l’apparence physique, par rapport au poids ou la ciations implicites disponibles en ligne sont très
CARCILLO taille, particulièrement chez les hommes. À com- utiles. Plus concrètement, des approches mana-
Professeur au pétence égale, il est plus facile pour les hommes gériales de recrutement et de RH (ressources
département d’économie grands d’obtenir de hauts postes managériaux. humaines) permettent d’éviter la reproduction
de l’IEP-Paris et directeur
de ces biais : la sélection numérique des CV, poser
de la division « Emploi et
revenus » de l’Organisation Quels en sont les principaux ressorts ? les mêmes questions dans un ordre défini lors des
de coopération et de Il y a d’abord ce que la théorie de l’économie entretiens pour avoir une grille de comparaison
développement appelle la « discrimination par goût » : l’employeur juste des candidats, etc. Cependant, le marché du
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économique (OCDE). Il a exprime une préférence ou une aversion pour travail ne peut pas tout régler ! Il faut également
publié, avec l’économiste
certains groupes sociaux. Cela ne se justifie pas des réformes de société. La question de l’allonge-
Marie-Anne Valfort, Les
Discriminations au travail. d’un point de vue moral ou économique, mais ment légal du congé paternité, par exemple, peut
Femmes, ethnicité, cela peut conduire à discriminer des femmes, avoir une incidence sur les discriminations en
religion, âge, apparence, des gays ou des personnes issues de l’immigra- entreprise à l’égard des femmes.
LGBT (Presses de tion. Il y a aussi la « discrimination statistique ».
Sciences Po, 2018).
Les employeurs estiment qu’un individu issu de La discrimination positive est-elle une
tel groupe sera moins productif ou s’intégrera solution ?
moins bien, parce que les horaires de travail ne La discrimination positive, qui consiste à réser-
lui conviendront pas ou parce qu’il aura des dif- ver des places dans certaines entreprises, écoles
férends avec les clients… Par exemple, un mana- ou institutions politiques à certains groupes
ger considérera qu’une jeune femme va tomber (notamment les femmes ou les personnes issues
enceinte et sera moins disponible ; un autre reca- de l’immigration), peut avoir des effets positifs à
lera un homme de confession musulmane parce court terme sur la perception de ces groupes. Mais
qu’il pensera que ses rapports avec les femmes elle a également des effets pervers ou décevants.
seront compliqués, qu’un jeune issu de l’immi- Respecter un quota de femmes dans les conseils
gration a forcément été moins bon à l’école… Le d’administration a peut-être fait changer les per-
plus redoutable, c’est que les employeurs n’ont ceptions mais n’a pas aidé à ce que les femmes
alors pas forcément conscience de leurs préjugés. accèdent à des postes à plus haute responsabilité
à une large échelle. La discrimination positive est
Quelles méthodes managériales peut-on donc utile, mais certainement insuffisante. ■
adopter pour lutter contre les PROPOS RECUEILLIS PAR PAULINE PETIT
discriminations à l’embauche ?
Manifestation après
les suicides à France
Telecom en 2008.
Risques psychosociaux,
les managers impuissants ?
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O
n identifie aujourd’hui quatre Maître de conférences à l’université vidus en souffrance pour essayer tant
familles de risques psycho- de Poitiers. bien que mal de réparer les dégâts sur la
sociaux : le stress, les vio- santé des salariés avec la mise à disposi-
lences internes (comme le de l’accumulation des connaissances tion de services psychologiques (droits à
harcèlement), les violences externes sur les RPS, les managers se trouvent la consultation, hotline…). Avec le déve-
(comme les relations clients) et l’épuise- toujours démunis face à la souffrance. loppement plus récent des démarches
ment psychologique (pouvant conduire Comment expliquer qu’on progresse liées à la qualité de vie au travail (QVT),
au burnout). Les conséquences des RPS si peu en la matière ? Trois pistes on a ensuite cherché à mettre en place
sur la santé peuvent être d’ordre physio- d’explications. des dispositifs pour réduire l’apparition
logique, psychologique, somatique… et des risques. Des programmes de bien-
avoir des niveaux de gravité allant de la Des facteurs ignorés être au travail se sont développés, dotés
fatigue passagère au décès. Les entre- Comme chacun réagit différemment d’un panel d’actions très large et partant
prises s’en trouvent par conséquent à un même stimulus (par exemple une de l’idée que l’on peut modérer ou com-
affectées négativement – du simple arrêt agression verbale ou une charge de penser la souffrance psychologique :
de travail à une désorganisation durable travail excessive), des démarches de coaching à la gestion du stress et de
et à une dégradation du climat social. prévention sont apparues assez rapide- son temps de travail, offres de services
En dépit d’une prise de consciense et ment, visant d’abord à identifier les indi- comme les salles de sport, de sieste, de
l’amélioration des conditions de travail problèmes de couple » peut-on entendre du management des RPS est profond.
(Anact) recommande d’agir simulta- comme explication rapide). C’est peut-être la logique même de
nément au niveau des individus en La manifestation des RPS, c’est un peu l’entreprise moderne, centrée sur la
souffrance (pour réparer), et à celui des comme la goutte d’eau qui fait déborder performance financière, qui empêche
risques (pour les atténuer) et des fac- le vase, sauf que nous n’avons pas tous le management de prendre en compte
teurs de risques (pour les éviter). la même taille de vase, que pour cer- sérieusement les « externalités néga-
tains les gouttes tombent à côté et pour tives » de l’amélioration continue des
Des instruments de mesure d’autres il se remplit plus vite qu’il ne se performances. Le management à même
inadaptés… vide. Si l’on veut agir avant que le vase de gérer efficacement les RPS reste donc
Une deuxième explication de l’échec du déborde et pour tous ceux qui sont en en partie à inventer. Il bousculera sans
management à gérer la santé mentale trop-plein, le management doit trouver nul doute les pratiques usuelles, car il
au travail peut résider dans l’inadé- les outils pour à la fois rendre compte acceptera la mise en débat de l’organi-
quation de l’outillage du manager et les des différentes situations et les prendre sation du travail pour chercher à éviter
spécificités des RPS. La caisse à outils en compte dans son organisation du les risques, il s’appuiera sur des outils
« classique » de la gestion des risques travail. moins mécaniques (statistiques) pour
ou de la santé et de la sécurité au travail rompre avec l’invisibilité actuelle des
(SST) s’est remplie de longue date autour … et des résultats situations à risque. Il nécessitera enfin
des autres familles de risques au travail : instrumentalisés d’accepter en toute humilité d’afficher
les risques physiques, chimiques et bio- En plus d’approches trop centrées sur le chemin qui reste à parcourir vers une
logiques. C’est en cherchant statistique- l’individu et d’un outillage inadapté, situation psychosociale parfaite, même
ment les liens de causalité entre expo- une dernière explication de l’échec si elle restera inaccessible la plupart du
sition et conséquences, leur fréquence à gérer les RPS peut se trouver dans temps. Le management peut ainsi sortir
d’apparition et leur niveau de dangero- l’instrumentalisation qui en est faite. grandi de cet enjeu. ■
Encadrer et impliquer
les télétravailleurs
Travailler à distance bouleverse les relations de travail
traditionnelles. Pour le travailleur, il s’agit de s’inventer un nouveau cadre.
Pour le manager, une nouvelle façon de valider le travail réalisé.
FRÉDÉRIQUE LETOURNEUX
L
e télétravail est présenté comme au moins huit heures par mois en 2012 (1). travail au sens large (collègues, espaces
la solution à tous les maux. Objet Plus récemment, une enquête de Mala- communs, échanges informels et formels,
de toutes les attentions, fan- koff Médéric, conduite en janvier 2018, etc.) (5). » Elle résume bien ce qu’introduit
tasme des transformations à conclut à un taux de 25 % de télétravail- la distance physique en termes de mana-
venir, cette forme d’organisation suppose leurs, mais seulement 6 % de manière gement : la perte du contrôle physique
que le travailleur exerce son activité à contractuelle (2). Il faut rappeler que, ces visuel sur lequel est fondée la relation
distance du collectif et communique via dernières années, le cadre législatif a hiérarchique en entreprise. En effet, le
l’utilisation des outils numériques. Elle assoupli la mise en œuvre du télétravail télétravail remet en cause l’unité de lieu et
permettrait de diminuer l’impact écolo- dans les organisations : il est entré dans de temps dans lequel est inscrit le travail
gique des déplacements pendulaires, de le Code du travail en 2012 avec un allège- salarié en coprésence. Avec en ligne de
réduire les coûts immobiliers pour les ment des contraintes pour l’employeur, et mire un risque de diminution de l’impli-
entreprises, d’offrir au travailleur une la loi du 29 mars 2018 a encore davantage cation et de la loyauté du salarié, et la mise
meilleure articulation entre vie person- simplifié les procédures. Depuis cette en péril du collectif de travail.
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nelle et vie professionnelle, et même de date, un simple accord entre l’employeur Du côté du télétravailleur, les effets de la
(re)trouver de la motivation au travail ! et le salarié permet de mettre en place déspatialisation se traduisent aussi très
C’est du moins en ces termes qu’a été pré- le télétravail, à condition toutefois que concrètement par la difficulté à définir
sentée l’équation gagnante du télétravail les deux parties soient volontaires. Cet un « chez-soi de travail », d’un point de
dès le début des années 1980, quand sont assouplissement va-t-il contribuer à dif- vue spatial comme temporel. Certes, le
apparues les prémices de la télématique. fuser cette forme d’organisation dans fait de pouvoir mieux gérer son temps est
La promesse de changement est de fait les entreprises ? L’envie paraît forte du présenté comme particulièrement posi-
colossale : les outils informatiques per- côté des salariés : d’après un sondage tif, tant du point de vue de la gestion des
mettent de se détacher de toute contrainte récent, 64 % des personnes interrogées contraintes familiales que du temps de
physique, et potentiellement de travailler souhaiteraient télétravailler (3). Mais plu- travail lui-même, le fait d’être à distance
partout et n’importe quand. Pourtant le sieurs études expliquent la lenteur de son permettant de rester plus concentré.
télétravail reste peu développé en France. développement par une culture managé- Ainsi, une autre enquête menée par l’Ob-
Même si, en la matière, les chiffres riale « à la française » réputée frileuse au servatoire du télétravail et de l’ergostres-
divergent selon que l’on s’attache à une changement (4). sie (Obergo), en 2018, souligne que 86 %
définition restrictive ou extensive du télé- des sondés constatent une augmentation
travail. En effet, faut-il ne retenir que ceux Les effets de de la productivité (77 % en 2012), et 84 %
qui travaillent un ou plusieurs jours par la déspatialisation une augmentation de la qualité du travail
semaine depuis leur domicile, ou faut-il La notion de « déspatialisation » a été produit (70 % en 2012) (6). Pour autant, de
comptabiliser ceux – surtout parmi les définie par le professeur de management nombreuses enquêtes insistent aussi sur
cadres – qui apportent régulièrement du Laurent Taskin comme « la distance non la difficulté éprouvée par les télétravail-
travail chez eux le soir ou le week-end ? seulement physique, mais aussi et surtout leurs à gérer l’imbrication du travail dans
En 2016, une étude assure que 16,7 % des psychosociologique, liée à l’éloignement leur vie privée et réciproquement. Ainsi,
salariés français déclarent télétravailler du travailleur de son environnement de la même étude insiste sur le fait que 57 %
ponibilité. Sur ce point, le « droit à la au point, après l’avoir rendue invisible. » de travail, l’enjeu est de réussir à inventer
déconnexion » a fait son entrée dans le un nouveau modèle de relations. ■
Code du travail avec la réforme de 2016. Un autre modèle managérial
Celui-ci prévoit une négociation annuelle à inventer (1) LBMG, « Le télétravail en France », 2012.
(2) Étude Malakoff Médéric, « Télétravail. Regards
obligatoire sur l’articulation vie person- Le télétravail n’est donc pas qu’une moda-
croisés salariés et dirigeants », 19 février 2019.
nelle-vie professionnelle des salariés, afin lité de travail, il transforme en profondeur (3) Étude Randstad Awards 2016 réalisée sur la base
de mettre en place dans l’entreprise des les relations managériales traditionnelles de questionnaires administrés en ligne par l’institut
dispositifs de régulation de l’utilisation qui définissent les modalités de contrôle d’études indépendant ICMA-Group sur un échantillon
des outils numériques. et d’évaluation du travail. Ainsi, alors de 1 148 Français, actifs ou potentiellement actifs,
âgés de 18 à 65 ans.
Le décentrage du contrôle hiérarchique qu’habituellement, le contrôle s’effectue
(4) Rapport Mettling, « Transformation numérique et
du temps de travail sur l’entourage du par des indicateurs de résultats, un repor- vie au travail », 2015.
télétravailleur ou sur l’individu lui-même ting régulier et une supervision directe (5) Laurent Taskin, « Télétravail : les enjeux de la
pose la question cruciale du rôle et de la (horaires, comportement, présence), quel déspatialisation pour le management humain »,
responsabilité de l’entreprise. Comme lien hiérarchique faut-il mettre en œuvre Interventions économiques (en ligne), n° 34, 2006.
(6) Enquête Obergo.
le souligne Jean-Luc Metzger (7), « tout pour superviser le travail à distance ?
(7) Jean-Luc Metzger, « Focus - Les cadres
se passe comme si la charge d’encadrer Certains chercheurs pointent le risque télétravaillent pour… mieux travailler », Informations
le travail était partagée par le télétravail- de l’usage renforcé des technologies de sociales, n° 153, 2009/3.
leur et sa famille : cette dernière constitue contrôle (géolocalisation, vidéosurveil- (8) Emmanuelle Frank et Patrick Gilbert, « Manager
même le principal garde-fou contre le lance). D’autres commencent à évoquer le travail à distance : l’expérience du télétravail dans une
grande entreprise industrielle », Marché et
surtravail, activité qui fait partie de ce de nouvelles formes d’animation mana-
organisations, n° 4, 2007/2.
que H. Schwarz appelle le “coût caché gériales à distance : « Au bureau, la pré- (9) Ibid.
du travail virtuel” ». Le contrôle social sence peut témoigner de l’implication, alors (10) Emmanuel Baudouin et al., Transformation
traditionnellement dévolu à l’entreprise qu’à la maison, c’est l’atteinte des objectifs digitale de la fonction RH, Dunod, 2019.
Est-elle liée à l’usage des nouveaux outils de long terme. Par ailleurs, l’impératif d’être réactif dans
numériques, comme le mail ? un environnement instable et changeant pousse à prendre
Les mails, les outils collaboratifs en ligne ou encore les rapidement des décisions, alors qu’on ne dispose pas forcé-
smartphones amplifient sans doute le phénomène. Ils ment du niveau de responsabilité adéquat ou d’informations
démultiplient les interruptions et les situations de commu- pourtant déterminantes. On observe de ce fait une hantise
nication au cours d’une journée de travail. Mais la disper- du « mauvais choix », qui pèse encore sur la charge psychique
sion est d’abord une question de métier ou de situation. Un et le stress des travailleurs.
professeur des écoles doit à la fois faire cours et maintenir
la discipline dans sa classe ; il n’a pas besoin du numérique Comment répondre à ce problème ?
pour se disperser. On peut toujours mettre en place des tactiques, qu’on soit
D’autres transformations du travail tendent à amplifier le salarié ou manager, comme le fait de se ménager des phases
phénomène. Nous passons d’un modèle très planifié ou à l’abri de toute sollicitation en coupant son mail, en fer-
taylorisé à un système privilégiant une organisation par mant la porte de son bureau… Parfois des secrétaires ou
projets multiples, sur le court terme et dans des environne- assistants allument une simple loupiote sur leur poste de
ments plus instables ou changeants. De plus, l’explosion ces travail pour signaler qu’ils veulent se concentrer sur une
dernières années de la part communicationnelle du travail tâche et ne pas être dérangés. De leur côté, certains mana-
– à l’image du reporting permanent – et celle de la relation gers s’efforcent de protéger leurs équipes de la surcharge
client ont encore favorisé les situations de dispersion. informationnelle en décourageant l’utilisation du mail à
Cette évolution est aujourd’hui largement répandue. Seuls tout propos, en filtrant les communications pour mieux
quelques îlots très taylorisés comme les centres d’appels ou les hiérarchiser et les répartir suivant le cœur d’activité
les opérateurs dans les centres de logistique y échappent de leurs subordonnés, etc. Un problème que l’on observe
pour l’instant. fréquemment, cependant, tient au fait que chacun bricole
L
e 9 juillet 2018, devant les parle- vant l’acte inaugural grâce auquel les vaille conceptuelle qui n’a rien d'un effet
mentaires français réunis en volontés individuelles vont s’assembler, de manche rhétorique : en consacrant les
Congrès à Versailles, Emmanuel les penseurs contractualistes tentent individus comme clé de voûte de la puis-
Macron déclare solennellement avant tout d’expliquer ce qui fonde l’obéis- sance de l’État, l’idée de contrat social fait
vouloir « redonner corps à une République sance des citoyens envers l’autorité poli- vaciller l’approche paternaliste du pouvoir
contractuelle (…). Celle qui permettra de tique et législative. Leur entreprise phi- souverain à laquelle toutes les monarchies
jeter les bases d'un nouveau contrat social ». losophique ne cherche pas à décrire une de droit divin sont adossées. Elle permet, à
Ce jour-là, le président de la République quelconque réalité historique. Ils ambi- partir du 16e siècle, de rendre compte des
tirait sur une ficelle bien connue, maintes tionnent plutôt de déconstruire métho- liens qui obligent le souverain envers ses
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fois utilisée par ses prédécesseurs qui, diquement les ressorts de l’État moderne, sujets, et inversement. Parce qu’elle pose
avant lui, mirent à l’agenda des « Gre- cet étrange artifice qui bénéficie toujours l’individu en sujet doté de droits, bénéfi-
nelles » (de l’environnement, de l’inser- aujourd’hui de notre assentiment : « Cette ciaire autant qu’acteur légitime de l’action
tion), planifièrent des « pactes » (de stabi- étrangeté est encore la nôtre, avertit Jean politique, une telle doctrine fut sujette aux
lité, de responsabilité) et convoquèrent Terrel, philosophe spécialiste de Hobbes, scandales et aux accusations d’hérésie
des « états généraux » (de l’alimentation, c’est par fiction, à travers nos représentants, (encadré p. 54).
de la bioéthique). Ces mobilisations collé- que nous sommes législateurs (1). »
giales, ces « conventions » et ces « contrats » Issu du droit privé, le contrat est un accord Hobbes : le Galilée de
desquels sont censés jaillir la concorde et juridique grâce auquel deux ou plusieurs la science politique
l’apaisement traduisent, à chaque fois, parties s’obligent les unes envers les Thomas Hobbes est reconnu comme le
une même volonté : celle de recréer, par la autres, dans le cadre, par exemple, d’un premier auteur à faire coïncider dans un
médiation, des instants fondateurs. échange commercial. Une telle conven- même système l’état de nature, le droit
Le « contrat social » est-il une banale tion se noue entre des particuliers libres naturel, le contrat social et la souveraineté,
potion de jouvence politique ? Ses trois et pleinement conscients de ce qui les notions sur lesquelles se fonde le contrac-
plus éminents théoriciens que sont Tho- engage : la tromperie et la contrainte tualisme moderne (encadré p. 57). En 1651,
mas Hobbes (1588-1679), John Locke constituent des cas de nullité contrac- il livre Léviathan, ouvrage qui sera élevé
(1632-1704) et Jean-Jacques Rousseau tuelle. Transposé à la chose publique, cet au rang de chef-d’œuvre de la philosophie
(1712-1778) l’avaient conçu très diffé- accord devient alors l’acte primitif grâce politique anglaise. Le contexte britan-
remment, comme une fiction anthro- auquel des volontés indépendantes et nique est alors marqué par dix ans de
pologique. En rembobinant le fil jusqu’à autonomes vont non seulement mettre guerre civile. La fameuse « Grande Rébel-
imaginer ce que serait l'état de nature en ordre les relations sociales, mais aussi lion » a, deux ans plus tôt, débouché sur
– cet embryon de société humaine encore définir les conditions d’acquisition et l’exécution du roi Charles Ier et l’abolition
dépourvue de souverain – puis en décri- d'exercice de la souveraineté. Une trou- de la monarchie. L’Angleterre est à l’orée
Thomas Hobbes.
Christie's/Bridgeman/Leemage
Né en 1588 à Westport, en
Angleterre, Thomas Hobbes étudie à
Oxford avant de devenir le
précepteur du fils de William
Cavendish, aristocrate et homme
politique. Soutien du camp royaliste
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d’une nouvelle ère qui voit la puissance Peur sur l’État duelle au profit d’une violence légale, celle
ecclésiastique décliner au profit de la En plus de ses passions, l’homme a un de l’État. Ils vont abandonner leur droit à
puissance civile. Ce nouveau monde « n’est penchant naturel pour le désir. « Un désir se préserver par leurs propres moyens.
plus le monde divin, immobile et plat, c’est inquiet », complète Hobbes, disposition Une personne artificielle – un individu, ou
le monde profane de l’action historique, qui l'incite, pour accaparer richesses, hon- une collection d’assemblées – va jaillir de
le monde de la volonté et du calcul, c’est neurs et puissances, à « tuer, soumettre, ce pacte et être chargée de les représenter
le monde des forces et de la force. C’est un supplanter ou éliminer » ses concurrents. et d’accomplir tout ce qui lui semblera
monde qui n’est pas exactement sans dieu, Cet « état de guerre de tous contre tous », adéquat pour assurer leur sécurité. La
mais où dieu est un mot. Autrement dit, il selon la fameuse formule du Léviathan, multitude devient, par cet acte, un peuple,
suffit de se mettre d’accord sur les défini- traduit l’état de nature. Ce dernier n’est et se dote d’un « dieu mortel » : le Lévia-
tions de ce mot – et de quelques autres. », pas exempt de règles. Dans la lignée d’un than, ce monstre biblique utilisé comme
éclaire le philosophe Gérard Mairet en Grotius (encadré p. 57), Hobbes envisage métaphore de l’État souverain. Délivrés de
préface du Léviathan. Car Hobbes aborde une série de lois prépolitiques dont la la peur de leurs semblables, les hommes
la science politique en géomètre : il veut connaissance est donnée par la raison sont en retour placés sous le joug d’une
définir des objets, des corps politiques, seule : l’équité, l’humilité, la bienveillance, autorité inquiétante. Composée de l’union
leurs implications et leurs interactions etc. Seulement, faute de puissance coer- des volontés de tous, elle demeure incon-
de la même façon qu’un Galilée – dont il testable. « Celui qui se plaint d’injustice de
se revendique – s’est appliqué à le faire la part de son souverain se plaint de cela
pour les corps célestes. Les premiers cha- même dont il l’auteur, proclame Hobbes,
pitres du Léviathan se réclament d’un et donc, il ne doit accuser d’injustice nul
projet d’ordre sémantique aussi minutieux Chez Locke, autre que lui-même. » La première théorie
qu’ambitieux : celui de fixer une définition du contrat social consacre donc l’État
à l’animal humain et à ce qui le meut. La l’état de nature est un état comme une puissance quasi surnaturelle
réponse du philosophe anglais tient en de liberté et qui impose sur ceux qui l’ont fait naître sa
quatre points : les hommes sont animés puissance arbitraire.
par les passions (amour, colère, appétit, d’égalité mais, surtout,
courage, etc.) ; ces passions – et les pensées Locke : l’état de nature est un
qui s’y rapportent – sont identiques chez déjà un état social. état social
tous ; elles ont une origine physiologique, Un demi-siècle plus tard, un autre philo-
les « sensations du corps » ; enfin, la défi- sophe anglais, John Locke, propose une
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plutôt un état de guerres sporadiques ainsi sa confiance dans le corps public, il est dans les fers », proclame la célèbre
contre tous ceux qui dérogent aux lois de lequel se voit confier la tâche de légiférer sentence inaugurale de son ouvrage.
la nature. pour le bonheur commun. L’humain, chez Rousseau, est marqué
Locke admet qu’une situation où chaque Si Locke est connu pour sa farouche du sceau de l’innocence heureuse, de
humain peut être juge et partie des opposition à la monarchie absolue (il l’égalité naturelle. Mais il est aussi per-
affaires qui le concernent, et amené à est très proche de certains membres du fectible. Tout comme chez Locke, quitter
exécuter lui-même les sentences qu’il parti whig anglais), il ne se fait pourtant l’état de nature lui est indispensable pour
proclame, est un ordre boiteux, voué à à aucun moment dans ses écrits le héraut qu’il s’accomplisse pleinement. Mais ce
terme au chaos. D’où la constitution de de la démocratie. Ses propos ne visent départ est aussi la cause d’un étrange
puissances souveraines, édifiées pour d’ailleurs pas à formuler une théorie du paradoxe. En même temps que la société
transcender les intérêts particuliers. Pour meilleur gouvernement. Ce qui compte dans laquelle l’homme naturel atterrit lui
le philosophe anglais, deux formes de pour lui, c’est que les lois s’élaborent permet de se réaliser, elle est aussi celle
liberté doivent être distinguées ; la pre- suivant la règle majoritaire, et que le qui lui enseigne le vice. Vision fataliste de
mière, celle de l’état de nature, revient à corps politique soit institué en un contrat Rousseau, qu’il déploie vigoureusement
n’être assujetti à aucun pouvoir souverain unique. Corps politique qui n’inclut – le contre les républiques de son temps, aux-
et à obéir aux seules lois de nature ; la contraire eut étonné pour l’époque – quelles il voue une franche détestation :
seconde, celle de la société civile, « consiste ni les femmes, ni les plus pauvres. La elles sont illégitimes, décadentes, per-
à n’être soumis à aucun pouvoir (…) qu’à pensée politique de Locke est à l’image verties par les intérêts privés – hormis
celui qui a été établi par le consentement des angoisses de la gentry anglaise dont la Corse, qui trouve encore grâce à ses
de la communauté ». Seule cette dernière, il est issu, aussi méfiante vis-à-vis du yeux et pour laquelle il écrira un projet de
la liberté de l’État constitué confère selon peuple qu'occupée à préserver ses inté- constitution.
Locke à l’homme sa pleine dignité et lui rêts face aux soubresauts despotiques de L’enjeu pour Rousseau est donc de conce-
permet de s’accomplir. la monarchie. voir un modèle contractuel qui ne porte
pas en lui les germes de la corruption. Il vertus civiques. Le républicanisme à la en maquillant leurs intérêts privés en
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faut, pour cela, mettre en place les condi- française porte directement l’empreinte intérêt collectif.
tions nécessaires pour que les individus du programme rousseauiste. Les théories du contrat social ont beau
abandonnent la poursuite de leur seul L’ouvrage fut d’ailleurs élevé au rang de émaner d’une même tradition philo-
bien-être au profit de l’intérêt général. bréviaire des révolutionnaires. Avec Mon- sophique et jongler avec les mêmes
Délaisser cette liberté privée n’a rien tesquieu, Rousseau sera l’une des prin- concepts, elles débouchent toutes sur des
d’aliénant : la seule chose qui abaisse cipales références philosophiques de la modèles antagonistes. Puissance arbi-
l’homme, pour l’auteur du Contrat social, Révolution française. Succès qui peut traire née de la multitude chez Hobbes,
c’est d’obéir à un de ses semblables par aussi s’expliquer par une fibre sociale protection des libertés individuelles et de
la contrainte ; en revanche, abdiquer revendiquée, absente chez Hobbes la propriété privée chez Locke, institution
sa liberté entre les mains de la société comme chez Locke, et dont la Conven- d’une volonté générale souveraine chez
n’est pas une atteinte à sa dignité. Au tion montagnarde se fera pleinement Rousseau : autant de visions du civisme
contraire. Ainsi s’institue le peuple légi- le relais à partir de 1793. L’idée est qu'il qui continuent, encore aujourd’hui,
time et souverain, où « chaque citoyen n’est ne peut y avoir de vraie république si les d’éclairer nos débats politiques. Grâce à
rien, ne peut rien que par tous les autres ». inégalités prospèrent en son sein. « Que ces auteurs, l’État moderne – cette idée
Tout le Contrat social est imprégné par ce nul citoyen ne soit assez opulent pour en abstraite que l’accoutumance nous empê-
dogme républicain, où l’homme singulier acheter un autre, et nul assez pauvre pour cherait presque d’interroger – se rappelle
devient un homme pluriel, passé sous être contraint de se vendre », formule avec à nous par sa fonction première : celle
la « suprême direction de la volonté géné- énergie Rousseau. Là où Locke trahissait de garantir à ses citoyens paix civile et
rale ». Une opération qui ne peut s’opérer, une certaine méfiance envers le peuple, prospérité. ■
selon Rousseau, que si l’on assume de son successeur prend le contre-pied : ce
vouloir « changer pour ainsi dire la nature sont les richesses qui entraînent la convoi- (1) Jean Terrel, Les Théories du pacte social. Droit
humaine » pour que naisse dans l’esprit tise et dissolvent les vertus civiques ; ce naturel, souveraineté et contrat de Bodin à Rousseau,
des citoyens un attachement profond aux sont les riches qui corrompent la société Seuil, 2001.
LA SCIENCE SOCIALE L’anthropologue Wiktor Stocz- a tendance à augmenter. En relève de la cosmologie, ajoute
COMME kowski pose la question et réalité, objecte W. Stocz- W. Stoczkowski : elle présente
VISION DU MONDE
mène une enquête approfondie kowski, son raisonnement est une certaine vision du monde,
Émile Durkheim et sérieusement argumentée biaisé. S’inspirant des ana- empreinte des croyances de
et le mirage du salut
pour retrouver les origines de la lyses antérieures de l’italien l’époque.
Wiktor Stoczkowski
pensée durkheimienne. Agostino Morselli, Durkheim
Gallimard, 2019, 640 p., 26 €.
Durkheim se donne un objectif n’en reprend que les cas illus-
clair : identifier des problèmes
sociaux pour y apporter des
solutions. « Nos recherches ne
trant la thèse d’une hausse du
suicide. De plus, il ne donne
comme explication que des
L a volonté de soigner les
maux sociaux par la morale
serait, selon l’anthropologue,
méritent pas une heure de causes psychologiques une résurgence de la doctrine
peine si elles ne devaient avoir conséquentes à l’industrialisa- catholique. Certes, il s’agit
qu'un intérêt spéculatif », pro- tion de la société au 19e siècle. sous la plume de Durkheim
clame-t-il dans la préface du d’une morale laïque, sans réfé-
livre De la Division du travail rence religieuse. Cependant,
social (1893). Or, explique
W. Stoczkowski, ce principe,
qui lui inspire la création des
C elle-ci génère de l’anomie,
une per te de repères
quant aux normes sociales à
observe W. Stoczkowski, les
caractéristiques que prête
Durkheim à la vie sociale sont
sciences sociales, est antino- suivre par chacun. Durkheim très proches de la relation
mique. On ne peut décrire n’explore pas d’autres pistes qu’entretient l’individu avec
objectivement la réalité si l’on explicatives, souligne W. Sto- Dieu. Ainsi, selon Durkheim,
se donne pour but de la modi- czkowski : il ne se demande l’individu, par nature égoïste,
fier. Essayer de modifier le réel, jamais, par exemple, si la crois- doit chercher à se transcen-
Durkheim explique que les quelles les liens interindivi- et Herbert Spencer : ils ne
rites n’honorent pas vraiment duels se créent par les seraient pas assez empiristes,
une divinité, mais servent sur- similitudes entre les individus, dit-il. Le sociologue essaie de
tout à ressouder la collectivité aux sociétés organiques dans se frayer son propre chemin,
face à l’adversité. lesquelles la solidarité apparaît à partir du triptyque réflexif
Pourquoi Durkheim cherche-t- en raison de l’interdépendance normalien thèse-antithèse-
il une autre explication aux des individus. À chaque fois, synthèse : spiritualisme-empi-
WIKTOR STOCZKOWSKI actes que celle qu’en donnent
Chercheur au laboratoire les principaux concernés ?
d’anthropologie sociale du Selon W. Stoczkowski, il est Le cas de Durkheim montre bien
aveuglé par son objectif de
Collège de France, il
enseigne à l’École des fonder une science de la la manière dont des croyances
hautes études en sciences société où la morale collective indémontrables peuvent biaiser un projet
sociales. Né en 1959, il tiendrait un rôle central dans le
s’intéresse aux savoirs lien social. L’anthropologue scientifique.
occidentaux. souligne l’analogie entre cette
Wiktor Stoczkowski montre morale sociale laïque et la
que les savoirs scientifiques morale religieuse. D’ailleurs, Durkheim utilise un système risme-méthode durkheimienne
occidentaux, malgré leur Durkheim ne cache pas sa d’oppositions binaires qu’il conciliant les deux.
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volonté d’objectivité, haute estime du catholicisme. essaie de dépasser en propo- Le cas de Durkheim montre
reposent sur des croyances Dans ses écrits sur l’évolution sant une troisième voie. bien la manière dont des
non vérifiées. Ils ne diffèrent des sociétés, il affirme que le L’apothéose de son art se croyances indémontrables
pas, selon lui, des savoirs Moyen Âge, qui a connu l’avè- trou ve d a ns s a thè s e. À peuvent biaiser un projet de
exotiques qu’étudient les nement de cette religion, a été l’époque, deux grands cou- connaissance, conclut W. Sto-
anthropologues. Il ne s’agit la période la plus faste de l’his- rants de pensée s’opposent : le czkowski. Les sciences
pas pour autant de les toire. Et il ne conçoit la suite matérialisme et le spiritua- sociales d’aujourd’hui, forte-
déconsidérer, mais de que comme une lente chute. lisme. Durkheim ne l’ignore ment influencées par le socio-
montrer que nos savoirs pas. Tout son travail consiste à logue, peineraient encore à
transmettent un peu plus légitimer la réflexion matéria- s’ancrer dans des faits. La
C
que des connaissances e ne sont pas les seules liste, à montrer qu’elle peut théorie et la spéculation reste-
objectives. convictions qui alimentent fonder une science nouvelle, raient trop valorisées, critique
Ce regard critique s’est la pensée de Durkheim. Il sans exclure le spiritualisme, l’anthropologue, ce qui contri-
d’abord porté sur adhère aux cadres de réflexion car la plupart des philosophes b u e r a i t à p e r p é tu e r d e s
l’anthropologue Claude philosophique de son époque, de l’époque défendent ce cou- croyances qui entravent le
Lévi-Strauss en particulier aux règles de la rant. Et il a besoin de ces der- développement de savoirs
(Anthropologies disser tation en vigueur à niers pour obtenir son diplôme. objectifs. ■
rédemptrices. Le Monde
l’École normale où il a été Le génie de Durkheim consiste
selon Lévi-Strauss,
fo r m é . L’a r t d e l’é p o q u e à donner un contenu matériel
Hermann, 2008) avant de se
consistait à raisonner sur des aux notions chères aux spiri-
tourner en 2019 vers le
questions abstraites à partir tualistes, comme la morale :
fondateur de la sociologie
du triptyque thèse-antithèse- celle-ci aurait un fondement
française, Émile Durkheim.
synthèse. Dans ses études, social. Lors de sa soutenance
T oute société connaît des iné- s’est à nouveau trouvée progres- des arguments légitimant ses
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galités. Le propos de Tho- sivement dans les mains de choix inégalitaires. La défense
mas Piketty n’est pas de juger, quelques-uns. La Belle Époque d’une idéologie néopropriéta-
mais de comprendre de quelle (1880-1914) est le moment de la riste aujourd’hui et l’éloge de
manière elles sont justifiées. Il se plus grande concentration de la milliardaires, ayant réussi grâce
penche donc sur les discours et propriété, avant que la Première à leurs idées géniales, parti-
les systèmes d’idées qui les légi- Guerre mondiale, la crise de cipent du concept selon lequel
timent. Pour ce faire, tout comme 1929, puis la Seconde Guerre le mérite pur permet de se hisser
dans Le Capital au 21e siècle, il mondiale entraînent une réparti- dans la société. Les biens et
s’appuie sur un impos ant tion plus large de la richesse. investissements publics ayant
ensemble de données à la fois Mais celle-ci n’est que provi- permis à ces mêmes enrichis de
historiquement et géographi- soire, puisque nous assistons pouvoir innover sont en revanche
CAPITAL quement diversifiées qui lui per- depuis à une nouvelle phase de passés sous silence.
ET IDÉOLOGIE mettent de dégager des ten- concentration qui, sans atteindre En contrepoint, T. Picketty en
Thomas Piketty dances sur la longue durée. le niveau du début du 20e siècle, appelle aux pratiques instaurées
Seuil, 2019, 1232 p., Pour ce qui concerne la France, s’en rapproche tout de même. La en Inde en faveur des classes
25 €.
par exemple, la conclusion est tendance s’accentue d’autant les plus discriminées, ou encore
nette. La Révolution et l’abolition plus que les politiques fiscales celles mises en place en Alle-
des privilèges devaient per- mises en place favorisent nette- magne pour la cogestion des
mettre de sortir d’une société ment les gros revenus et font entreprises. Ce sont autant de
d’ordres dans laquelle la pro- porter l’effort sur les classes leviers pour lutter contre le creu-
priété était concentrée dans les moyennes. sement des inégalités et la
rangs privilégiés, clergé et Ainsi, il apparaît que chaque concentration du capital. ■
noblesse. Or cette richesse époque, chaque régime élabore THIERRY JOBARD
SOCIOLOGIE
Éditions
UNESCO
Organisation
des Nations Unies
pour l’éducation,
la science et la culture
ISBN : 978-2-36106-558-4
160 pages - 10,20 €
HISTOIR E
PHILOSOPHIE
SCIENCES DU L A NG AGE
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ÉTHIQU E
F aut-il légaliser l’euthanasie ? selon laquelle les jugements fait moral à la fois objectif et sus-
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Comme pour toute question moraux sont toujours faux dans ceptible d’être étudié empirique-
éthique, on peut avancer des la mesure où ils présuppose- ment. On peut ainsi juger que
arguments pour ou contre. Mais raient à tort l’existence de vérités l’euthanasie est moralement
peut-on avoir raison ou tort dans morales. À l’encontre de ce nihi- bonne parce que l’on croit
ce genre de débat ? À la diffé- lisme moral, ils opposent quatre qu’elle minimise la douleur. Enfin,
rence de la première question tentatives de sauver la morale. selon le non-naturalisme, le
qui est d’ordre éthique, la Selon l’expressivisme, le juge- jugement moral est une croyance
seconde relève de la métaé- ment moral est juste l’expression se référant à un fait moral objec-
thique. Ces deux domaines de d’un sentiment. Juger que l’eu- tif et non naturel. Il y aurait ainsi
réflexion ne sont pas indépen- thanasie est immorale revient une réponse correcte à la ques-
dants. Par exemple, si la métaé- ainsi à exprimer sa désapproba- tion de la moralité de l’euthana-
thique en arrivait à la conclusion tion à son sujet. Ce jugement ne sie sans que celle-ci appelle une
QUI PEUT SAUVER que l’éthique était une affaire de saurait donc être faux. Selon le vérification empirique. Malheu-
LA MORALE ? subjectivité, l’euthanasie serait subjectivisme, le jugement moral reusement, aucune de ces ten-
Essai de morale pour certains et immorale est une croyance qui porte sur tatives n’est encore arrivée à
métaéthique pour d’autres, sans discussion des sentiments. Juger que l’eu- sauver la morale de façon cer-
François Jaquet et possible. Aussi, pour éviter des thanasie est moralement bonne taine. Mais les deux auteurs
Hichem Naar
débats éventuellement stériles, revient alors à croire, à tort ou à laissent quand même entrevoir
Ithaque, 2019, 224 p.,
16 €. est-il important de s’intéresser à raison, qu’elle est approuvée, que la dernière en est proche.
la métaéthique, comme le font par exemple, par la communauté Ouf ! ■
les deux auteurs de ce livre. Leur dans laquelle on vit. Selon le THOMAS LEPELTIER
angle d’attaque consiste à se naturalisme, le jugement moral
confronter à une thèse courante est une croyance à propos d’un
ÉDUCATION
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A NTH ROPOLOGIE
GENRE
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L a masculinité oppressive a
bel et bien vacillé sous l’effet
des déferlantes #MeToo et
une justice de genre.
Libératoire pour les femmes,
mais tout autant pour les
couples les plus éclairés. La
généralisation ou l’extension du
congé paternité changerait bien
#Balancetonporc. Elle est loin hommes, cette longue marche des mentalités. Individuelle, la
d’avoir désarmé, si l’on en juge vers l’égalité passe par un refondation de la masculinité
par le nombre toujours aussi aggiornamento de la masculi- n’ira pas sans une commune
alarmant de faits de violence nité. Cette dernière n’est « en volonté politique. Atteindre l’ob-
conjugale et de féminicides, crise » que pour ces hommes jectif suppose en particulier
jusque dans les pays où les otages de la représentation d’arracher aux stéréotypes de
droits des femmes ont le plus qu’ils en ont, convaincus de genre les fonctions occupées
progressé. Elle perdure égale- devoir en donner perpétuelle- dans l’espace public. La promo-
ment dans le renouveau mascu- ment la preuve dans l’oppres- tion des femmes à des minis-
DES HOMMES liniste, brandi par certains sion des femmes ou des tères régaliens ou à de hautes
JUSTES réseaux nord-américains et hommes jugés efféminés. La responsabilités d’entreprise
Du patriarcat européens, et attaché à mainte- naissance d’hommes justes doit n’est pas seulement affaire de
aux nouvelles nir un ordre sexué aussi ancien se traduire par une révision des répartition de postes. Elle exige,
masculinités qu’inégalitaire. Les droits for- comportements et pratiques, en amont, un important travail de
Ivan Jablonka mels et les efforts paritaires ne tant publics que privés. Le par- sensibilisation et d’éducation.
Seuil, 2019, 448 p., 22 €. suffisent à défaire le patriarcat. tage des tâches domestiques en C’est à ce prix qu’une génération
Ivan Jablonka appelle à s’en est un exemple. Le déséquilibre d’hommes justes prendra la
affranchir par une révolution des responsabilités au détriment relève d’une poignée de « mecs
morale et politique instaurant des femmes affecte aussi les bien ». ■ B.H.-L.
ÉTHOLOGIE
Comprendre l’humain et la société
INTER NATIONA L
Il y aurait ainsi une hiérarchie des espèces Certes, les différences entre deux humains
selon leurs valeurs morales. pourraient être vues comme négligeables
Pour défendre sa thèse, S. Kagan part de comparées aux différences entre un humain
l’idée que les humains ont davantage de et, par exemple, une mouche. La conclusion
capacités cognitives et émotionnelles que d’inégalité morale entre humains n’en
les animaux (et que parmi ces derniers, resterait pas moins troublante.
certains en ont aussi plus que d’autres). Mais S. Kagan estime qu’elle est quand
Il soutient alors que cette différence implique même moins problématique que les
que les intérêts (en particulier ceux à ne pas conséquences de la thèse de l’égalité de la
souffrir et à ne pas mourir) des premiers ont valeur morale des animaux et des humains.
plus de valeur que ceux des seconds. En somme, pour éviter d’attribuer la même
S. Kagan en prend pour preuve que valeur morale aux humains et aux animaux,
personne ne considère que la mort d’une S. Kagan est obligé de concevoir des
souris est aussi grave que celle d’un humain différences de valeurs entre humains.
ni que nous devrions autant aider une souris La question est donc de savoir si la thèse
qu’un humain quand tous deux sont égalitariste qui échappe à ce problème en
confrontés aux mêmes maux. Si c’était le attribuant la même valeur morale aux
cas, il faudrait diligenter autant d’attention humains et aux animaux n’est pas davantage
aux souris de ce monde qu’aux humains. justifiée. Le mérite de S. Kagan est d’avoir
Mais personne n’envisage une telle relancé le débat en défendant
démarche. Les spécialistes d’éthique minutieusement la conception hiérarchique
animale se méprendraient donc sur leur de la valeur morale. ■ T.L.
propre position égalitariste.
LA REVUE DU MOIS
Q u’est-ce qu’un couple aujourd’hui ? Pour certains, deux per- l’OCDE, présentent le numérique comme un outil intrinsèquement
sonnes sont en couple à partir du moment où elles entre- propice à la transformation des méthodes didactiques. Or, les études
tiennent une relation amoureuse. Pour d’autres, l’union n’est légi- montrent qu’il est difficile d’attester des effets positifs des seuls
time que lorsqu’elle est scellée par une forme d’engagement, que moyens numériques sur l’acquisition des savoirs. S’appuyant sur des
ce soient la cohabitation ou le mariage. Après s’être penchée sur études de cas, les auteurs observent comment l’« e-learning » peut
le choix du conjoint à la fin des années 1950, puis la composition nourrir une approche gestionnaire de la formation, aux dépens d’une
des couples dans les années 1980, l’« Étude des parcours indi- véritable réflexion sur les finalités du projet éducatif. ■ P.P.
viduels et conjugaux » s’intéresse aux nouvelles normes du couple.
À partir de cette enquête, la revue Population analyse la diversi- « THÉORIES POLITIQUES
fication des formes d’union (couples qui vivent séparément, union DU TRANSHUMANISME » - Raisons politiques -
hors mariage…) en lien avec la discontinuité des parcours conju- N° 74, Presses de Sciences Po, mai 2019, 138 p., 20 €
gaux : les ruptures, comme les remises en couple, sont plus fré-
quentes. Partant de ce constat, Arnaud Régnier-Loilier étudie la
propension des individus à emménager avec leur nouveau par-
L e transhumanisme est au cœur des débats de bioéthique depuis
environ cinq ans. Mais ce mouvement technophile, prônant une
amélioration voire un dépassement de la condition humaine, a
tenaire. Ceux qui ont déjà été mariés sont plus réticents à reten- aussi une histoire politique complexe. Contrairement à une idée
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ter l’aventure sous le même toit. La proportion des couples non reçue, il n’est pas réductible à une nouvelle forme de libertarianisme
cohabitants est aussi plus forte chez les individus très diplômés : américain ; le politologue Sébastien Caré montre même que ces
indépendants financièrement, les couples de classes sociales écoles de pensée se contredisent à de nombreux égards. Le trans-
élevées résistent plus facilement aux normes conjugales tradi- humanisme est plus précisément en proie à un débat interne entre
tionnelles. Concernant le mariage, les évolutions sont contras- une tendance sociale et démocratique, appelant de ses vœux une
tées, observe Florence Maillochon. Depuis 1960, le mariage dans régulation et une redistribution équitable des progrès technolo-
sa conception traditionnelle – à savoir une cérémonie religieuse giques, et d’autre part un mouvement plus libertaire, prônant un
qui initie la cohabitation – décline face à l’union libre, désormais désengagement de l’État sur ces questions. Des transhumanistes
reconnue comme un véritable mode de vie conjugale. Le pacs comme James Hugues tentent d’ailleurs d’opérer une synthèse ori-
s’est aussi fortement démocratisé : en 2017, il unissait 194 000 ginale, ainsi que l’expose le philosophe Stanislas Deprez. Si ces
couples en France, soit 4 pacs pour 5 mariages. Pourtant, le faste débats restent encore mal connus, c’est peut-être que le transhu-
matrimonial n’a pas disparu. Les nouveaux mariés, soumis à manisme est parfois lui-même aveugle à ses propres présupposés
l’injonction de faire de ce jour « le plus beau de leur vie », entre- et implications – encourageant inconsciemment une « élusion du
tiennent les rituels cérémoniaux : on organise des enterrements politique » selon l’expression du sociologue Nicolas le Dévédec. ■
de vie de célibataire, les préparatifs sont plus longs et les invités FABIEN TRÉCOURT
plus nombreux. Il n’est plus rare que le mariage suive la cohabi-
tation ou la fondation de la famille. De fait, la cérémonie est plutôt
ET AUSSI…
124 ❑ Société du risque 206 ❑ Repenser le développement 278 ❑ Les lois de la réputation
125 ❑ Organisations 207 ❑ La nouvelle science des rêves 279 ❑ Violence 15 questions pour comprendre
126 ❑ Les premiers hommes 208S ❑ L’enfant violent. 280 ❑ Passions quand la passion nous embarque
127 ❑ Le monde des jeunes 209 ❑ L’art de convaincre. 281S ❑ Nature culture la fin des frontières ?
128 ❑ Les représentations mentales 210 ❑ Le travail en quête de sens. 282 ❑ Apprendre à coopérer
129 ❑ La fabrique de l’information 211S ❑ Le clash des idées : 1989 à 2009 283 ❑ Les nouvelles psychothérapies
130 ❑ La sexualité aujourd’hui 212 ❑ De l’enfant sauvage à l’autisme. 284 ❑ Le sexe en 69 questions
132 ❑ Le souci du corps 213 ❑ L’énigme de la soumission 285S ❑ Qu’est-ce qu’une bonne école ?
133 ❑ Les métamorphoses de l’état 214 ❑ L’ère du post-féminisme 286 ❑ Comment allons-nous travailler demain ?
134 ❑ La littérature, une science humaine ? 215 ❑ L’analogie moteur de la pensée 287 ❑ La manipulation
136 ❑ Les nouveaux visages des inégalités 216S ❑ Les épreuves de la vie 288S ❑ Et si on changeait tout ?
137 ❑ Les savoirs invisibles 217 ❑ Les secrets de la séduction 289 ❑ Les nouveaux visages de la précarité
138 ❑ Les troubles du moi 218 ❑ La littérature : fenêtre sur le monde. 290 ❑ La mondialisation en questions
139 ❑ Les mondes professionnels 219S ❑ À quoi pensent les enfants ? 291S ❑ Les troubles de l’enfant
140 ❑ Les nouvelles frontières de la vie privée 220 ❑ L’autonomie, nouvelle utopie ? 292 ❑ Qu’est-ce que le racisme ?
141 ❑ La force des passions 222S ❑ 20 ans d’idées, le basculement 293 ❑ L’empathie
142 ❑ L’éducation, un objet de recherches 223 ❑ Le retour de la solidarité 294 ❑ Nos vies intérieures
143 ❑ Cultures et civilisations 224 ❑ La course à la distinction 295 ❑ Les grands mythes de l’histoire de France
144 ❑ Les mouvements sociaux 225 ❑ Sommes-nous rationnels ? 296S ❑ Comment apprend-on ?
145 ❑ Voyages, migration, mobilité 226S ❑ Le monde des ados 297 ❑ La société française
146 ❑ Hommes, femmes. Quelles différences ? 227 ❑ Conflits au travail 298 ❑ Psychologie de l’attention
147 ❑ Où en est la psychiatrie ? 228 ❑ L’état, une entreprise comme une autre ? 299 ❑ Les livres de l’année
148 ❑ Contes et récits 229S ❑ Nos vies numériques
1 ❑ L’origine des cultures 17 ❑ Villes mondiales 31 ❑ Histoire des psychothérapies 44 ❑ Les métamorphoses de la
2 ❑ La moralisation du monde 18 ❑ France 2010 32 ❑ L’amour un besoin vital société française
3 ❑ Les nouvelles psychologies 19 ❑ Les pensées vertes 33 ❑ Vers un nouveau monde 45 ❑ Les grands penseurs de
4 ❑ France 2006 21 ❑ Freud, droit d’inventaire 34 ❑ L’art de penser l’éducation
5 ❑ L’origine des religions 22 ❑ Consommer 35 ❑ Le bonheur 46 ❑ Les grands penseurs du
6 ❑ Peut-on changer la société ? 23 ❑ Apprendre à vivre 36 ❑ Changer le travail langage
7 ❑ Psychologie 24 ❑ L’histoire des autres mondes 37 ❑ Les grands mythes 47 ❑ Les âges de la vie
9 ❑ L’origine des sociétés 25 ❑ Affaires criminelles 38 ❑ Innovation et créativité 48 ❑ Eurêka ! L‘histoire des grandes
11 ❑ Entre image et écriture 26 ❑ Guide des cultures pop 39 ❑ Élever ses enfants découvertes
13 ❑ Paroles d’historiens 27 ❑ Transmettre 40 ❑ Villes durables 49 ❑ Ces pionnières qui ont fait
14 ❑ Idéologies 28 ❑ L’histoire des troubles 41 ❑ De la formation au projet l’histoire
15 ❑ Les psychothérapies mentaux de vie 50 ❑ La psychologie en débats
16 ❑ Les ressorts invisibles 29 ❑ Un siècle de philosophie 42 ❑ La psychologie aujourd’hui
de l’économie 30 ❑ Les penseurs de la société 43 ❑ La philosophie, un art de vivre
12 ❑ Une autre histoire des religions 8,50 € 4,50 € 20 ❑ Les grands penseurs des sciences
13 ❑ À quoi pensent les philosophes ? 8,50 € 4,50 € humaines 8,50 € 4,50 €
14 ❑ À la découverte du cerveau 8,50 € 4,50 € 21 ❑ Les grandes idées politiques 8,50 € 4,50 €
15 ❑ L’œuvre de Pierre Bourdieu 8,50 € 4,50 € 22 ❑ Quelle éthique pour notre temps ? 8,50 € 4,50 €
16 ❑ La philosophie en quatre questions 9,80 € 4,50 € 23 ❑ Comprendre le Moyen-Orient 8,90 € 4,50 €
17 ❑ De la pensée en Amérique 8,50 € 4,50 € 24 ❑ Où va la France ? Enjeux de notre temps 8,90 € 4,50 €
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ÉDUCATION ET FORMATION
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496 pages - 18 €
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