Vous êtes sur la page 1sur 2

Le Soleil, Actualités, lundi 27 août 2007, p.

Pont de Québec: des témoins gênants de la catastrophe


Lemieux, Louis-Guy

Le 29 août 1907, à 17h37 précises, la structure sud du pont de Québec en construction s'écroule
dans les eaux du fleuve entraînant dans sa chute une centaine d'ouvriers. Soixante-seize d'entre
eux connaissent une mort affreuse, écrasés sous de monstrueuses pièces d'acier. La plus jeune
victime a 14 ans.
Il s'agit de l'une des pires tragédies de l'histoire du Canada en temps de paix. La commission
royale d'enquête chargée d'étudier les causes de l'effondrement tiendra l'ingénieur en chef,
Theodore Cooper, responsable de la tragédie. Elle établira en outre que la catastrophe était
prévisible. Elle aurait pu être évitée si la communication avait été meilleure entre les ingénieurs
responsables et si on avait mieux écouté les ouvriers. Neuf années plus tard, une seconde
catastrophe frappera le pont, toujours en construction. Cette fois, c'est la travée centrale qui se
tord et se perd dans les eaux du fleuve alors qu'on tente de l'accrocher aux bras d'ancrage du pont.
Bilan : 13 morts et 14 blessés.
Le 20 septembre 1917, la ville de Québec, la région et tout le pays sont en fête. La construction du
plus long pont cantilever au monde est enfin terminée. La malédiction du pont de Québec aura
duré 10 longues années.

Mauvaises communications
Michel L'Hébreux, l'historien du pont de Québec, explique bien les causes du désastre de 1907 à
la lumière des conclusions de la commission d'enquête. Et il met les principaux acteurs du drame
en place.
"Après la construction des quatre piliers par la compagnie Davis de Québec, dit+il en entrevue au
Soleil, les travaux d'érection de la superstructure du pont commencent à l'été de 1903, du côté
sud du fleuve.
"La Phoenix Bridge Co. est responsable de ces travaux. L'ingénieur consultant embauché par la
Québec Bridge Co., Theodore Cooper, a modifié en 1900 le plan proposé par la compagnie
Phoenix, en allongeant de 1600 à 1800 pieds l'espace libre entre les piliers principaux. "Cooper
voulait laisser son nom comme l'ingénieur ayant réalisé le plus long pont cantilever au monde.
Il avait signé plusieurs ponts du genre aux États-Unis. À quelques mois de sa retraite, il voulait
réaliser l'oeuvre de sa vie. Ce sera son échec le plus retentissant", précise M. L'Hébreux.
Durant l'été 1907, les ouvriers constatent que certaines membrures se courbent et qu'ils ont de
la difficulté à enligner les pièces de métal. Les jours où le vent souffle fort, ils craignent pour
leur vie. Les ingénieurs responsables ne tiennent pas compte de leurs plaintes. Cooper dirige les
travaux de son bureau de New York. Il a engagé un jeune ingénieur, Norman McLure, pour
surveiller le chantier à Québec. Ce dernier lui envoie un rapport accablant : la structure s'affaisse
graduellement. Sur la base de ce rapport, Cooper envoie le télégramme suivant au siège
social de la compagnie à Phoenix : "Ne mettez pas de charge additionnelle sur le pont pour le
moment..." McLure part pour New York afin d'alerter son patron. Dans sa hâte, il oublie de prévenir
Québec que les travaux sont arrêtés sine die. Cooper est persuadé que les travaux sont
suspendus. Il se trouvera en plein drame quelques heures plus tard.
Lors de l'appel des noms, le lendemain de la catastrophe, on compte 76 ouvriers manquants:
33 Amérindiens de Caughnawaga (Kanawake), 26 Québécois et 17 Américains, la plupart
occupant des fonctions importantes au sein de la Phoenix Bridge Co.

Une hantise
Encore aujourd'hui, on peut voir, à marée basse, du
côté sud du pont, d'impressionnants bouts de métal
tordus. À l'époque, la compagnie Charles Koenig, de
Québec, avait obtenu le contrat d'enlever toute la
ferraille visible à marée basse. Le problème, c'est
que, durant toutes ces années, le niveau de l'eau a
baissé.
C'est ainsi que les horribles témoins de la tragédie
d'il y a 100 ans reviennent nous hanter.

LA PETITE HISTOIRE DU VIEUX PONT


Après les tragédies du début, le "vieux pont" de
Québec vit sa vie. Il écrit sa petite histoire.
(...)
Le 23 mai 1987, le pont de Québec est désigné
Monument historique international du génie civil par
la Société canadienne de génie civil et par l'American
Society of Civil Engineers. Notons que pareil honneur
n'avait alors été décerné qu'à quatre oeuvres de
génie civil dans le monde. Même la tour Eiffel ne
mérite pas ce titre de noblesse.
Le 24 janvier 1996, le pont de Québec est reconnu
par le gouvernement canadien comme lieu historique
national.

Mais pour Thomas Daibo, un Mohawk dont l’arrière-grand-père est décédé dans la catastrophe,
les temps ont bien changé. « Il y a beaucoup plus de mesures de sécurité aujourd’hui qu’à
l’époque », note cet homme qui, comme son ancêtre, travaille sur des chantiers métalliques
vetigineux. « La preuve, c’est que nous sommes toujours ici! »

Vous aimerez peut-être aussi