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Ann. Kinésithér., 1983, t. 10, n° 1-2, pp.

11-19
© Masson, Paris, 1983
MÉMOIRE

Méthode de rééducation motrice par assistance


proprioceptive vibratoire *
Partie II. - Restauration de la mobilité articulaire
après immobilisation thérapeutique

H. NEIGER (1), J.-C. GILHODES (2), J.-P. ROLL (3)


(1) Moniteur-Cadre en Masso-Kinésithérapie, École de Cadres de Kinésithérapie de Bois-Larris, B.P. 12, F 60260 Lamorlaye.
(2) Assistant à l'Université d'Aix-Marseille 1. (3) Docteur ès Sciences, Maître-Assistant à l'université d'Aix-Marseille 1, Laboratoire
de psychophysiologie, ERA 272, C.N.R.S., rue H.-Poincaré, F 13397 Marseille Cedex 13.

des tendons musculaires sont susceptibles d'in-


Les possibilités d'induire, par vibrations ten- duire, chez l'homme, un message nerveux à
dineuses, des sensations kinesthésiques ainsi dominante proprioceptive musculaire (5, 6, 24),
que les réponses motrices associées, utilisées ce message évoque des sensations de mouvement
initialement à des fins diagnostiques et théra- illusoires (10, 22), accompagnées d'activités
peutiques en clinique neurologique, laissent motrices involontaires cohérentes avec ces sensa-
prévoir de nombreuses applications en rééduca- tions (Réponse Vibratoire Antagoniste ou R VA)
tion. Dans le domaine de la traumatologie, une (21).
des applications possibles, les auteurs nous La possibilité d'induire, par vibration tendi-
proposent lefruit de la mise en commun de leur
neuse, des sensations kinesthésiques ainsi que les
expérience scientifique et kinésithérapique. réponses motrices associées, nous amènent à
De part la qualité et l'intérêt de ces travaux, utiliser cette technique pour une rééducation
nous ne pouvons que les encourager à poursui- fonctionnelle après immobilisation plâtrée d'une
vre cette association. Le développement de tels articulation.
concepts et techniques de rééducation ne peut En effet, l'immobilisation plâtrée, consécutive
que promouvoir la profession en augmentant à un traumatisme ostéo-articulaire, entraîne des
l'éventail des possibilités thérapeutiques. De tels troubles de la mobilisation articulaire qui se
travaux permettent d'affiner le vocable de révèlent après l'ablation du plâtre. Nous avons
«reprogrammation neuromotrice» et nous émis l'hypothèse que la diminution de la mobilité
montre qu'il est possible d'intervenir aux diffé- articulaire n'est pas exclusivement due à des
rents niveaux des systèmes sensori-moteurs. troubles périphériques mais qu'elle pourrait être
également liée, en partie du moins, à la mise au
repos artificielle, durant la phase d'immobilisa-
Introduction tion, d'un complexe sensori-moteur incluant à la
fois les systèmes neuro-sensoriels périphériques
Les travaux de recherche fondamentale et les centres nerveux supérieurs impliqués dans
la programmation et la perception du mouve-
exposés dans l'article précédent montrent que ment (21, 23).
des vibrations mécaniques appliquées au niveau Les facteurs périphériques d'enraidissement
* Ce travail a été soutenu par la DGRST (Génie Biologique articulaire classiquement invoqués sont, à
et Médical). Décision d'Aide nO 79.7.1391, 1979. l'exception d'une éventuelle butée osseuse, la
Tirés à part: H. NEIGER, à l'adresse ci-dessus. détérioration des plans de glissement synoviaux,
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capsulo-ligamentaires, musculaires et cartilagi- déficit de programmation centrale du mouve-


neux, ainsi que la diminution de l'extensibilité ment découlerait du non-usage de l'articulation,
des éléments musculaires (1, 25, 29). On peut imposé par l'immobilisation, avec pour corol-
cependant envisager qu'une partie des troubles laire la mise en « sommeil », la désorganisation
de la mobilité articulaire puissent être attribués fonctionnelle des structures nerveuses supé-
à un déficit des systèmes neuro-moteurs. Ce rieures chargées de l'initiation et de la com-
TABLEAU l - État des pathologies et résultats des différents tests pour chacun des sujets appartenant au groupe « Vibré» (V) et
au groupe «Contrôle» (C).
Flexiond'immobilisation
active
Arrachement
Subluxation
Fracture
Entorse Flexion
ouverte
du
grave
moyenne
des
fermée
Hémarthrose
Ostéotomie au Flexion
tibia
dede
140°
115°
40°
105°
102°
135°
35°
75°
45°35°
45°
120°
110°
30°
65°
37°
125°
123°
112°
50°
125°
60°
100°
120°
90°rotule
50°
80°
130°
95°
140°
40°
115°
87°
85°
70°
65°
55°
du
du la
genou
os active
des
droit
genou
de
2premiergenou
de
Pathologies
de
augenou
(J5)
(JI) du la active
surface
etos
2jour
droit
gauche
la
jambe
genou
valgisation
gauche
cinquième de
jamberétro-
droit
gauche la
tibiale
jour 130
52
43
40
85
53
70
50
278
49
45
75
35
47
56
au 30efinjour
(JF) de traitement
ou en
ménisectomie
droite
(50duccgenou
gauche
jambe
spinale gauche
du tibia
puis droite
60 cc) Temps

r.
.. ~~! .-Ji
..
~~
,t ----
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mande du mouvement.
Cette désorganisation serait liée à la diminu- 5jours 30 jours

tion importante du flux des signaux réafférents,


notamment ceux d'origine propriomusculaire .
Sur cette base, la stimulation vibratoire tendi-
.
III KINESITHERAPIE KINESITHERAPIE
Il
neuse sélective, induisant des sensations de tÏI n = 10
mouvement et des activités musculaires involon- Il VIBRÉS

n=28
taires, nous a semblé constituer un moyen VIBRATIONS
KINESITHERAPIE
+
efficace de rééducation visant à la réactivation VIBRATIONS

des boucles sensori-motrices mises artificielle-


ment au repos. Ces considérations générales sont
à l'origine d'un travail expérimental visant à
établir l'efficacité thérapeutique des stimulations
tendineuses vibratoires dans les cas d'ankylose FIG. 1. - 2 groupes de malades ayant eu un genou immobilisé
articulaire. au moins 6 semaines bénéficient, à l'ablation du plâtre, d'une
prescription de 15 séances de rééducation, pour une durée de 30
jours.
Tous les sujets sont soumis à des bilans identiques à J.1, J. 5
et J.30.
Méthode et matériel
appartenant au groupe « Vibré » se fait en deux périodes:
Notre étude porte sur 19 patients suivis dans le Service du premier au 5e jour (Ji-J5, période 1) et du 5e au
de Traumatologie * du CHRU de Grenoble. Ces patients 30e jour, ou avant si le sujet est totalement guéri (J5-JF,
présentent tous une pathologie qui a nécessité une période 2) (fig. 1).
immobilisation plâtrée du genou. Cette population est a) Période 1: Les 5 premières séances se font chaque
divisée en deux groupes (tableau 1) : jour dès l'ablation du plâtre. Ces séances durent 20 minu-
a) le groupe «Contrôle» (C) comprend 10 sujets tes et comportent exclusivement des stimulations tendi-
répartis en six hommes et quatre femmes dont l'âge varie neuses vibratoires. Chaque patient est installé confortable-
entre 15 et 47 ans. Cinq patients ont une entorse du genou ment dans un fauteuil, en état de relâchement musculaire,
de gravité moyenne, quatre une fracture de la jambe et les yeux fermés. ;Legenou est maintenu, sujet passif, dans
un, une subluxation de la rotule. Ces patients sont la position où il se trouvait dans le plâtre. Les STV sont
rééduqués par un masseur kinésithérapeute proche de leur appliquées au niveau du tendon rotulien et induisent des
domicile, selon les techniques classiques de rééducation; sensations de flexion du genou. On demande au sujet de
b) le groupe «Vibré» (V) regroupe neuf sujets décrire oralement les sensations kinesthésiques ressenties
comprenant cinq hommes et quatre femmes, l'âge varie pendant tout le temps de l'application qui dure en
de 15 à 36 ans. Six de ces sujets ont une entorse du genou moyenne 20 secondes. L'application est interrompue dès
de gravité moyenne et trois une fracture de jambe. Ces que cesse la sensation kinesthésique. Puis, rapidement, afin
patients sont proches du centre hospitalier où ils suivent d'augmenter les effets décrits, nous mobilisons passive-
leur traitement de rééducation qui comporte des Stimula- ment le genou en flexion, à très faible vitesse, pendant
tions Tendineuses Vibratoires (STV). l'application de la vibration sur le tendon rotulien. Dès
Chaque patient quel que soit le groupe auquel il que cesse la perception de flexion, nous appliquons les
appartient a une prescription médicale de quinze séances vibrations sur les tendons ischio-jambiers en mobilisant
de rééducation, réparties sur trente jours à partir de la passivement le genou en extension.
date d'ablation du plâtre, notée Ji. Ces séquences sont répétées alternativement plusieurs
Les vibrations sont délivrées à l'aide d'un vibrateur fois en cherchant à obtenir des flexions-extensions
électromagnétique (Ling Dynamic System, type 201) maximales du genou sans jamais atteindre le seuil
équipé d'une tête de percussion en téflon. Le vibrateur douloureux.
est commandé par un générateur de signaux sinusoïdaux. b) Période 2: Pendant les séances restantes, les
La fréquence utilisée est de 70 Hz et l'amplitude des séquences d'applications de vibrations tendineuses sont
vibrations est comprise entre 0,2 mm et 0,5 mm. complétées par des techniques classiques de rééducation
Le vibrateur est appliqué manuellement par le physio- adaptées à chaque sujet. Chaque séance est répétée deux
thérapeute sur le tendon, perpendiculairement à celui-ci. à trois fois par semaine pendant une durée de vingt-cinq
La force d'application est modérée (500 à 780 g). minutes et comporte, outre la technique des STV
L'organisation des séances de rééducation des patients précédemment décrite, deux autres modes d'application:
Reproduction sans vibration d'un mouvement mono-
* Service d'Orthopédie-Traumatologie (Pr Butel J.), Les Sa- articulaire appris avec vibrations. Le patient apprend un
blons, école de Kinésithérapie de Grenoble (F. Plas). mouvement actif de flexion du genou d'une amplitude
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définie, avec vibration du tendon rotulien. Le mouvement désagréments liés à diverses manœuvres de
est effectué à vitesse lente et sans contrôle visuel. La rééducation traditionnelle.
reproduction du mouvement s'effectue ensuite sans
vibration et entraîne, sans intervention extérieure, une
majoration d'amplitude active du mouvement réalisé par MOBILITÉ ARTICULAIRE
le sujet (23).
Percussions vibratoires appliquées après contraction
musculaire maximale statique. Le sujet réalise des La figure 2 compare les gains moyens de
contractions statiques maximales des fléchisseurs puis des flexion du genou obtenus chez les 9 sujets
extenseurs du genou pendant 20 secondes. Immédiatement rééduqués par vibration (V) et chez les 10 sujets
après la fin de chaque contraction, on applique sur le rééduqués de manière conventionnelle (C). Dès
tendon distal du muscle antagoniste, des vibrations
pendant 20 à 30 secondes qui majorent les effets moteurs
le Se jour d'application des STV, on note une
de la post-contraction tétanique (15). amélioration importante du gain moyen d'ampli-
Chacune de ces deux séquences dure une à deux minutes tude angulaire (500) dans le groupe des patients
et se répète plusieurs fois au cours de la séance de traités par vibration. Dans le groupe contrôle,
traitement. cette augmentation est moins importante
Les différents paramètres cliniques mesurés sont: (moyenne 300). La différence des gains arti-
- l'amplitude de flexion active du genou mesurée en culaires moyens entre les deux groupes (200) est
degrés à l'aide d'un goniomètre; statistiquement significative (limite de confiance
- la qualité de marche de chaque patient en appui total des moyennes calculées à .05); cette différence
et sans aide, mesurée suivant le barème ci-dessous (20) : se retrouve lors du dernier bilan (JF) où le gain
0: marche impossible sans aide,
1 : boiterie à la limite de la chute,
d'amplitude de la mobilité articulaire est en
2 : boiterie nettement visible, perturbant la marche qui moyenne de 90° pour le groupe « Vibré» et
reste stable, seulement de 70° pour le groupe « Contrôle ».
3: boiterie minime appréciable par un spécialiste Gains de flexion
seulement, (Degrés)
4: marche normale;
- le nombre de séances de rééducation effectuées (S) et
le temps de traitement (T) pour chaque sujet;
- les impressions subjectives des patients, suscitées par VIBRE
la rééducation.
La mesure de ces différents paramètres est effectuée par
un seul et même rééducateur: f CONTROLE
- immédiatement après l'ablation du plâtre.(n); 60
- au cinquième jour après l'ablation du plâtre (J5) ;
- au trentième jour après l'ablation du plâtre ou avant
si le sujet est guéri (IF).

30
Résultats

L'application de stimulations vibratoires pen- Jours


dant les cinq premiers jours qui suivent l'abla- 10 20 30
tion du plâtre entraîne une augmentation signifi- FIG. 2. - Comparaison des gains de flexion active du genou entre
cative de l'amplitude maximale de flexion active les patients des groupes « Vibré» et « Contrôle ».
du genou. Cette amélioration se maintient En ordonnées: Gain de l'amplitude angulaire active de
pendant le traitement et en diminue la durée. l'articulation du genou, en degrés.
En abscisses: Temps en jour, la date zéro est celle de l'ablation
La récupération de la fonction de marche est du plâtre.
également améliorée. Les appréciations subjec- Groupe « Contrôle»: Résultats moyens obtenus pour 10
tives des patients à propos de cette méthode de patients.
Groupe « Vibré» : Résultats moyens obtenus pour 9 patients.
rééducation soulignent,. pour l'essentiel, le Les traits verticaux représentent les limites de confiance des
confort de la méthode contrastant avec certains moyennes calculées à .05.
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QUALITÉ DE MARCHE 8
7Î VIC
L'amélioration de la qualité de marche est de
6
décours différent pour les deux groupes de
patients. Lafigure 3 exprime l'évolution de cette 4 9
fonction par rapport au temps de traitement, à 384
partir de l'ablation du plâtre. D'une manière 2 6 2
générale, l'amélioration de la marche et de la 1 5 7 1 3
mobilité articulaire active évoluent parallèle- J1 2 3 4 0 1 2 3 4
ment en fonction du temps. 9

«
Dès le 5e jour de rééducation apparaît une
nette différence entre les groupes « Vibré » et
Contrôle », en ce qui concerne les gains de
la fonction locomotrice. Cette différence existe
encore lors des derniers tests (JF). Ceux-ci sont
effectués en moyenne à 27 jours pour le groupe
J5 ld7
0
5821
1 2
3

3 4

-,

8
6

1
0
8
74
1
5

63
2
2

3 4

expérimental et à 30 jours pour le groupe 7


témoin.
6
Les histogrammes de la figure 4 décrivent 4 9
pour le groupe « Vibré » (V) et pour le groupe
;3 6 8
« Contrôle» (C) cette même évolution de la
qualité de marche, les sujets étant testés à 11, 2 5 7 3

J5 et JF. On note pour les sujets vibrés un 5 1 4 2


déplacement continu de la moyenne vers les JF 0 1 2 3 4 0 1 2 3 4
valeurs élevées de la fonction de marche et une
faible dispersion. Pour les sujets du groupe FIG. 4. - Évolution de la qualité de la marche en fonction du
temps de rééducation (JI, J5, JF).
V. Groupe de patients ayant été traités' par l'application de
stimulations tendineuses vibratoires (STV).
Qualité de marche C. Groupe de patients « Contrôle» ayant eu une rééducation
(Unités arbitraires) conventionnelle.
JI : jour de l'ablation du plâtre
J5 : 5e jour de rééducation
2 VIBRE
JF : jour de la fin du traitement de masso-kinésithérapie.
Les chiffres spécifient les différents patients de chaque groupe
CONTROLE (Cf. tableau 1).
En abscisses: Quotation de la fonction de marche (0 à 4).

contrôle, on constate une amélioration moins


rapide et moins complète de la qualité de
marche.

NOMBRE DE SÉANCES DE RÉÉDUCATION


Jours ET DURÉE DU TRAITEMENT
5 20 30
La durée du traitement et le nombre total de
FIG. 3. - Comparaison de l'amélioration de la qualité de la séances de rééducation sont inférieurs pour les
marche en fonction du temps de rééducation. sujets appartenant au groupe «Vibré» par
Groupe « Vibré»: Groupe de patients ayant été traités par
application de stimulations tendineuses vibratoires (STV).
rapport à ceux du groupe « Contrôle », consé-
Groupe « Contrôle» : Groupe de patients « Contrôle » ayant quence immédiate des améliorations décrites
bénéficié d'une rééducation conventionnelle. ci-dessus.

1. ---;a-_ ----~-=-..==--=.::.....:-=~--
=-
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35- ApPRÉCIATIONS SUBJECTIVES DES PATIENTS


c
A L'application de stimulations tendineuses vi-
30 -
bratoires est ressentie d'emblée par les sujets
comme un mode thérapeutique agréable et
~ 25- totalement indolore, même lorsque la percussion
g
C
ID
tendineuse se fait à proximité du foyer lésionnel.
E
.'!! 20- De nombreux sujets signalent spontanément
~
ID les effets antalgiques de ces vibrations.
U
W
D Sujets guéris Certains patients remarquent que les résultats
f-~ 15-
fonctionnels obtenus suivent les perceptions
D Sujets non guéris
kinesthésiques ressenties lors des séances d'ap-
247836159 1 4 9 2 6 7 8 10 3 5 Sujets
plication vibratoire précédentes.

Discussion et perspectives
18-

v c Nos résultats montrent, pour l'essentiel, que


B l'application de vibrations dès l'ablation du
15-
plâtre:
- accroît l'amplitude maximale possible de
flexion active du genou,
- améliore parallèlement la qualité de la
"'" marche,
~
~10- - réduit la durée totale et le nombre de séances
u" de rééducation, enfin que ce mode d'intervention
Q)
.c
E
o est spontanément reconnu par les patients
z comme étant totalement indolore, voire
agréable.
5 Ces résultats semblent confirmer la participa-
247836159 1 4 9 2 6 7 8 10 3 5 Sujets tion des structures nerveuses centrales impli-
quées dans la perception et la programmation
FIG. 5. - Durée du traitement (A) et nombre -de séances de
rééducation (B) pour les deux groupes de patients.
du mouvement dans la genèse des déficits de la
V. Groupe « Vibré» mobilité articulaire consécutive à l'immobilisa-
C. Groupe « Contrôle ». tion thérapeutique. En effet, l'immobilisation
Les chiffres portés en abscisses des histogrammes spécifient thérapeutique, en supprimant le mouvement,
les différents sujets.
supprime ou altère profondément en même
temps l'ensemble des informations sensorielles
Les histogrammes de la figure 5B font réafférentes (principalement musculaires et arti-
apparaître que 4 des sujets vibrés guéris ont eu culaires) qui résultent normalement de son
seulement 12 séances de rééducation ou moins. exécution.
On peut remarquer par ailleurs que 2 des sujets Comme il a été vu dans l'article précédent,
vibrés, non guéris à JF, ont eu peu de séances le stimulus vibratoire, activateur des afférences
de rééducation, l'un s'estimant guéri au 1gejour, musculaires d'origine fusoriale (la) permet d'ac-
l'autre s'étant absenté une semaine. Au céder expérimentalement aux structures ner-
contraire, le seul sujet guéri du groupe contrôle veuses supérieures impliquées dans la perception
a eu 15 séances de rééducation en 30 jours, les consciente du mouvement d'une part, et celles
autres patients non guéris de ce même groupe impliquées dans la commande de celui-ci d'autre
ont bénéficié pour 7 d'entre eux de 15 séances part. Ce stimulus utilisé dans des conditions
de rééducation ou plus. méthodologiques définies évoque en effet des
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activités perceptives (illusions de mouvement) mouvement constatées lors d'allongements du


et des activités motrices associées (RVA). La muscle vibré, par déplacements passifs de
réactivation de cette boucle sensori-motrice par l'articulation proximale, semblent donc essen-
l'application de vibrations tendineuses permet tiellement liées à une augmentation de l'efficacité
d'expliquer les gains observés en rééducation, et du stimulus vibratoire à exciter les terminaisons
laisse penser que les troubles d'origine périphéri- fusoriales primaires. Ainsi la manœuvre de
que n'interviennent pas de façon exclusive dans mobilisation passive concomitante de l'applica-
l'apparition de l'ankylose articulaire. tion des vibrations accroît la capacité de celles-ci
Il faut noter de ce point de vue que l'essentiel à générer un message proprioceptif d'origine
des améliorations est obtenu dans la période des musculaire fusoriale.
cinq premiers jours qui suivent l'ablation du Dans la même perspective, l'épreuve de
plâtre et que durant cette période les patients Kohnstamm comporte une activité motrice
du groupe «Vibré» n'ont bénéficié d'aucune volontaire faisant intervenir les systèmes cen-
technique de rééducation classique. Le paral- traux de programmation du mouvement; on
lélisme observé entre les 2 populations de sujets connaît leur importance pour la mise en place
durant la 2e période (comprise entre les 2e et et l'entretien d'un rapport cohérent entre percep-
3e tests), pendant laquelle les sujets vibrés ont tion et mouvement d'une part, et d'autre part
bénéficié de l'association STV/rééducation clas- comme générateur d'une décharge corollaire,
sique, semble montrer que l'intérêt porté aux source possible d'une «sensation d'innerva-
facteurs mécaniques d'ordre périphérique ne tion » (11, 12, 27).
doit pas être négligé.
La méthodologie thérapeutique utilisée a Il convient par ailleurs d'insister sur l'aspect
consisté à adjoindre aux vibrations tendineuses « non douloureux» voire antalgique des STV.
un mouvement passif très lent de l'articulation Bien qu'il soit difficile de l'interpréter en terme
qui était immobilisée. Cette mobilisation passive neurophysiologique, il nous paraît constituer un
lente a pour conséquence d'étirer progressive- facteur important dans l'efficacité de la méthode.
ment le muscle vibré et d'accroître considérable- On peut évoquer à ce sujet les phénomènes
ment la vitesse et donc l'amplitude du mouve- périphériques de masquagede l'information
ment perçu par le patient (21). afférente par l'activation à haute fréquence des
Ce résultat semble pouvoir être discuté soit récepteurs tactiles superficiels et profonds (26,
en termes d'intervention des afférences arti- 14, 13, 28) ou la théorie classique du «gate
culaires activées lors de la mobilisation passive, control» central (18, 19). Cette propriété crée
en plus des afférences fusoriales évoqùées par des conditions très favorables de progression et
la vibration, soit en termes d'accroissement du de confort de la rééducation; ceci plaide en
message afférent fusoriallors de la surimposition faveur du maintien de l'utilisation des STV
d'un déplacement passif de l'articulation. Divers durant la 2e période de traitement (J5 à JF).
arguments nous incitent à retenir la deuxième
interprétation, et en particulier: Par ailleurs, ces résultats amènent à envisager
1) le fait que l'activité des terminaisons d'intervenir précocemment pendant la période
primaires des fuseaux neuromusculaires, induite d'immobilisation thérapeutique, c'est-à-dire pen-
dant la phase post-traumatique précoce. Il est
par une vibration, soit relevée lorsque l'on
impose un étirement lent au muscle vibré chez en effet possible de formuler l'hypothèse selon
l'homme (5, 9); laquelle l'application de STV, très tôt après le
traumatisme, maintiendrait au moins partiel-
2) la possibilité d'induire des sensations illu- lement, l'activité des structures sensori-motrices
soires de mouvement, et d'en accroître la vitesse périphériques et centrales pendant la période
par le déplacement lent de l'articulation concer- d'immobilisation plâtrée. Par l'application de
née, chez des sujets qui ont subi un remplace- vibrations grâce à des fenêtres aménagées dans
ment complet (prothèse) d'une articulation (23). le plâtre par les chirurgiens, on peut espérer
Les modifications de la vitesse des sensations de maintenir:
18 Ann. Kinésithér., 1983, t. la, n° 1-2

- les flux sensoriels réafférents d'origine mus- impose. C'est ainsi que la méthode de rééduca-
culaire ; tion par Vibrations Tendineuses Vibratoires, que
- l'activité des structures nerveuses centrales nous développons, parce qu'elle entretien artifi-
impliquées dans la perception et la programma- ciellement les activités sensori-motrices en l'ab-
tion du mouvement; sence du mouvement, nous semble constituer un
- l'activation des appareils neuromusculaires moyen nouveau et efficace de rééducation.
périphériques d'exécution. REMERCIEMENTS. - Les auteurs remercient le Professeur M.
Un tel entretien des activités neuromotrices Hugon pour son intérêt constant tout au long de ce travail et
par STV devrait conduire à une réduction pour la lecture critique du manuscrit.
importante des séquelles articulaires liées au
non-usage. Les résultats cliniques préliminaires
obtenus sont très encourageants et l'expérimen-
tation se poursuit actuellement.
Au-delà du cas particulier de la rééducation Références
après immobilisation plâtrée, les Stimulations
Tendineuses Vibratoires, par leurs capacités à
activer des structures nerveuses dont elles 1. BARDOT A. - Rééducation en traumatologie, physiopatholo-
gie générale et principes de thérapeutique. ln : Médecine de
simulent l'activité naturelle, doivent trouver rééducation, Grossiord, A. et Held, J.P. (Eds), Flammarion,
d'autres terrains d'application, notamment face Paris, 1981.
aux affections neurologiques d'origine centrale 2. BISHOP B. - Vibratory stimulation, Part 1 : Neurophysiology
of motor responses evoqued by vibratory stimulation.
et! ou périphérique (3). Physical Therapy, 1974, 54, 1273-1282.
3. BISHOP B. - Vibratory stimulation, Part II, Vibratory
Pour terminer, nous soulignerons l'impor- stimulation as an evaluation tool. Physical Therapy, 1975,
tance démontrée ces dernières années de la 55, 28-34.
4. BISHOP B. - Vibratory stimulation, Part III: Possible
proprioception musculaire dans l'élaboration applications of vibration in treatment of motordysfunctions.
chez l'Homme du sens du mouvement et de la Physical Therapy, 1975, 55, 139-143.
position, et, au-delà, dans les processus de 5. BURKE D., HAGBARTH K.E., LOFSTEDT L., W ALUN G.
représentation que nous avons de notre corps - The responses of human muscle spindle endings to
vibration during isometric contraction. J. Physiol., 1976,
immobile ou en mouvement (notion de schéma 261,695-711.
corporel, d'image du corps ...) (10, 16, 17, 23). 6. BURKE D., HAGBARTH K.E., LOFSTEDT L. W ALUN G.
En ce sens, l'immobilisation thérapeutique, en - The responses of human muscle spin die endings to
vibration of non contracting muscles. J. Physiol., 1976,261,
supprimant temporairement le mouvement, sup- 673-695.
prime en même temps l'ensemble des informa- 7. CHANG EUX J.P., COURREGE P., DANCHIN A. - A theory
tions sensorielles réafférentes qui résultent nor- of the epigenesis of neural networks by selective stabilization
of synapses. Proc. Natl. Acad. Sci. (USA), 1973, 70,
malement de son exécution; dans une telle 2974-2978.
perspective, cette immobilisation constitue une 8. CHANGEUX J.P. - The Selective stabilization of synapses:
véritable «déafférentation fonctionnelle » sus- a plausible mechanism for the epigenesis of neuronal
ceptible de désorganiser les systèmes sensori- networks. C. R. Hommage à H. Hecaen, E.H.E.S.S.,
Marseille, 1982.
moteurs d'un point de vue fonctionnel d'une 9. EMONET-DENAND F., LAPORTE Y., TRISTANT A. - Effects
part, mais peut-être aussi d'un point de vue of slow muscle stretch on the responses of primary and
neurobiologique (régressions synaptiques, «ré- secondary endings to small amplitude periodic stretches in
de-efferented soleus muscle spin dies. Brain Res., 1980, 191,
innervation fonctionnelle», restabilisations 551-554.
synaptiques) (7, 8). 10. GOODWIN G.M., Mc CLOSKEY D.l., MATTHEWS P.B.C.
Dans le cadre de cette hypothèse, il est - The contribution of muscle afferents to kinaestesia shown
by vibration induced illusions of movement and by the effects
possible d'envisager que l'immobilisation théra- of paralysing joint afferents. Brain, 1972, 95, 705-748.
peutique, par ses effets structuraux au niveau Il. HELMHOLTZ H. - Helmholtz's treatise on physiological optics
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à l'origine de troubles de type trophiques liés 12. HOLST E., (von), MITTELSTAEDT H. - Das Reafferenzprin-
à l'appauvrissement de l'activité nerveuse des zip (Wechselwirkungen zwischen Zentralnervensystem und
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