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Parole et silence – La Communication

N ous suggérons ici quelques pistes de réflexion (personnelle et communautaire) à partir des
expériences de communication que chacune a pu faire. C’est un essai, mais il nous a paru
intéressant de le proposer pour atteindre plus profondément notre vie de relation à Dieu et
aux autres. Si chacune veut bien reprendre et améliorer ces notes, ce sera peut-être une nouvelle
manière de découvrir que le second commandement est semblable au premier, en assumant plus
consciemment les rapports fraternels qui tissent noter vie de communauté.

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Toute la vie (physiologique, affective, intellectuelle, spirituelle) est basée sur l’échange et la
communication.

L’homme est un être qui parle et qui entre par là en communication avec les autres. Les rapports
humains s’appuient sur le langage ; la parole n’intervient pas pour les « faciliter », elle les constitue.
(Penser aux sourds-muets non rééduqués ; ils sont emmurés…) C’est ce phénomène de
communication que nous allons tenter d’analyser.

Dans cette optique la parole inclut le silence. Le silence, en lui-même n’est rien. Il ne devient un
silence positif, « plein », qu’en tant que moyen de communication, comme la parole. Parole et
silence sont les 2 temps de la même expression. Il s’agit toujours de l’expression d’un être reçue par
un autre.

Une opposition entre parole et silence serait donc superficielle. Elle révèle, par ailleurs, une
influence de la philosophie grecque qui voyait dans le silence quelque chose d’inférieur à la
pensée : un certain silence, dégagé en quelque sorte de la matérialité du corps réclamée par la
parole, apparaissait une réalité plus riche.

Pour un homme de la Bible, au contraire, la parole est un des éléments majeurs de la vitalité
humaine ; elle n’est pas considérée comme un simple instrument au service de la pensée. Liée à
celle-ci elle l’est autant, sinon plus à l’action.

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On parle actuellement beaucoup de « phénomène de communication. » Essayons de l’éclairer.

1° - La Communication au plan humain.

A – Pour qu’il y ait « communication » il faut :

a) au moins 2 partenaires :
- un émetteur : celui qui parle, qui émet le message. Ce message l’engage plus ou
moins. Il peut aller d’une simple information (changement d’horaire), à une réflexion
personnelle sur un sujet (thème d’échange communautaire), à une révélation de soi-
même.
Plus il s’engage, plus l’émetteur s’ouvre de son plein gré à l’autre, se « révèle. »
« Quand on livre à un autre sa pensée, surtout quand on lui révèle son secret, son
mystère, c’est quelque chose de soi-même qu’on lui donne librement et
volontairement. » (A. Feuillet. Le prologue du 4ème évangile.)
- un récepteur : « l’autre » auquel l’émetteur s’adresse, celui qui reçoit le message,
qui accueille cette « révélation », lui fait confiance.

b) Et entre eux : un canal qui est la communication.


- Celui-ci suppose :
 un support : l’événement ou la pensée à transmettre qui est comme le
« noyau » de la communication.
 Un langage : paroles, signes, gestes, éventuellement silence, qui transmet
l’événement ou la pensée, en fait percevoir la signification au « récepteur. »
Bref, c’est tout le comportement qui est langage. (Cf. certains actes des
prophètes.)

- on pourrait schématiser ainsi les 3 fonctions de la Communication :

 un appel : l’émetteur attire l’attention du récepteur. Il cherche à produire,


en quelque sorte, dans l’autre une certaine capacité de réception.
 Une expression : l’émetteur exprime son message.
 Une symbolique… mais il l’exprime, il le traduit en un langage qui le
signifie, qui puisse le rendre compréhensible au récepteur.

(prenons un exemple concret : le petit enfant qui voudrait dire : « maman, je t’aime » pourra
l’exprimer par ces mots, par un câlin, par le cadeau d’un de ses trésors, par un regard, un
sourire…)

Car il ne suffit pas de parler. Il faut arriver à se comprendre, il faut que les partenaire de la
communication perçoivent le mieux possible le sens, la portée de ce qui est signifié.

B – Les exigences de la communication.

a) Le « code »

Nous avons toutes fait cette double expérience :


- la joie profonde d’une compréhension mutuelle,
- le heurt douloureux de l’incompréhension, voire d’un durcissement, en dépit de la
meilleure volonté.

Pourquoi ces échecs ? Parce que, souvent, le désir, l’intention, le projet de l’un n’est perçu
qu’imparfaitement par l’autre : chacun de nous, en effet, parle en utilisant un certain
« code » personnel.

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Pour comprendre l’autre, nous avons en quelque sorte à « déchiffrer », à « décoder » les
expressions entendues et à nous assurer de l’exactitude de la transposition, ou traduction
ainsi opérée.

Lorsque je dis « A » à mon interlocuteur, je ne suis pas sûre qu’il perçoive cet « A » avec
toute l’intensité, la charge intellectuelle et affective, le « sens » que je donne à cet A. En
effet, mon interlocuteur ne reçoit pas A comme un théorème ; il le reçoit avec son passé, sa
culture, son intelligence, la mémoire qu’il garde de nos relations antérieures, son affectivité,
et ceci à un moment particulier de son histoire personnelle. D’où une possibilité assez large
d’interprétations, d’erreurs, de déformations pas nécessairement voulues ni perçues. (On
pourrait chercher ici des exemples montrant comment ces différents éléments interviennent
dans un dialogue…)

Pour qu’il y ait communication la plus honnête possible, il nous faut donc opérer une
vérification mutuelle de notre langage, portant sur l’objet de la communication, comme sur
le « code » dans lequel elle s’exprime ; ceci dans un climat de sérénité.

- « Je dis A et voici ce que cela signifie pour moi. »

Et l’autre de répondre :

- « Tu dis A et voici ce que je comprends. »

Vérification non pas pointilleuse mais simplement honnête, 1ère condition d’un échange qui
soit autre chose qu’un « dialogue » de sourds » !

c) Une vraie communication suppose encore la reconnaissance réciproque des « rôles. »

- On ne communique pas en « se mettant à la place » de l’autre, ou en faisant


abstraction de soi. Croire cela possible ou souhaitable est une illusion et surtout une
erreur qui fausse et bloque la communication en empêchant les partenaires d’être
reconnus pour ce qu’ils sont dans leur mystère irréductible. C’est l’authenticité des
personnes qui est à désirer.

Chacun de nous est une personne, unique dans sa relation à Dieu et aux autres,
unique dans son histoire. Il n’y a pas deux personnes identiques, chacune est
différente.

Unique donc, et irremplaçable sera la relation de chacune aux autres, son apport dans
la vie du groupe, son rôle : selon son mystère personnel, le point de son histoire où
elle est parvenue, sa place dans le groupe (qu’elle soit prieure ou novice.)
L’important est de se situer en vérité.

Il y a là une responsabilité que nous n’avons pas le droit de refuser.

- On pourrait craindre que cette « reconnaissance » ne soit recherche égoïste,


narcissisme ; en fait elle est simple honnête humaine.

 De plus, reconnaître son rôle, c’est reconnaître aussi celui des autres ; c’est
une école d’accueil et de respect mutuel profondément évangélique.

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 Tout don reçu (et toute notre personne est don reçu de Dieu par pure grâce
cf. I Corinthiens 4,7) est appel à un service, à une mise à la disposition du
groupe qui est en droit d’attendre quelque chose de chacun de ses membres
(cf. I Pierre 4, 10-11 ; Romains 12,6-8), à condition que cette exigence soit
juste.

Ainsi la communication passe, non par la négation ou la confusion des rôles, mais au
contraire par leur reconnaissance réciproque.

- Ici nous sentons tout de suite que les principaux obstacles seront :

 les préjugés : jugements hâtifs portés sur les personnes, les événements. Si
nous écoutons l’autre avec un jugement à priori à son égard, nous
accrochons sur lui une « étiquette. »

 les stéréotypes : lorsque nous communiquons avec d’autres nous sommes


tentés de jouer « un personnage », même à notre insu. C’est ce personnage
qui parle, non pas notre être profond qui s’exprime. De même, nous
sommes tentés de projeter sur les autres l’image de ce que nous
souhaiterions qu’ils soient, de ce que nous pensons qu’ils devraient être. Au
lieu de considérer la personne vraie, nous en faisons une « image-type » (la
religieuse-type, la Prieure-type, etc. )

Derrière ce personnage et ces idées toutes faites nous abritons notre paresse, notre peur, pour
ne pas rencontrer la personne, pour ne pas chercher la vérité. Ces obstacles à la
communication révèlent notre égoïsme qui accapare tout et, au lieu d’accueillir la parole de
l’autre dans sa différence, la lui renvoie déformée à notre image.

- En sens inverse la condition fondamentale sera un climat de liberté intérieure et


de confiance.

 qui brise notre égoïsme, nous ouvre à l’autre,


 qui permet le don mutuel dans le respect de l’être de chacun et crée
véritablement en nous quelque chose de nouveau : pas seulement échange
de ce que chacun avait déjà, mais vraiment interaction qui transforme. Nous
ne devrions pas ressortir d’un dialogue comme nous y sommes entrés.

En même temps que « condition fondamentale », cette reconnaissance sera pédagogie de


liberté.

En conclusion de cette analyse de la communication nous pouvons dire que celle-ci suppose une
relation vraie aux autres :

a) au niveau du langage : des mots et du contenu


b) plus profondément au niveau des personnes.

Assumer soi et l’autre, s’accepter, s’accueillir dans une humble et honnête recherche commune,
prendre en charge les exigences qui en découlent : la clé de cette attitude c’est la « pauvreté en
esprit. »

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A Titre de suggestions…

Mes dialogues (mes paroles et mes silences) sont-ils prises en charge de moi et de l’autre ?

a) me prendre en charge davantage

Réaliser que ma parole, c’est moi, qu’elle exprime la totalité de mon être. Nous nous
détachons très facilement de nos paroles : « paroles dites en l’air. »
Souvent nous nous croyons obligées de dire une chose parce qu’elle nous paraît vraie :
« moi, je dis ce que je pense » et pour dire ce que nous pensons nous disons n’importe quoi,
oubliant que la sincérité c’est l’accord avec notre moi profond et non pas avec ce que nous
ressentons à tel moment.

Etre consciente qu’une parole réellement assumée exige la vérité de la personne qui pale,
qui se donne en parlant.

Etre vraie, d’une vérité profonde. Suis-je totalement cohérente avec la parole que je
profère ? Ma parole est-elle cohérente avec ma vie, mon amour ?

b) prendre en charge l’autre

Nous n’avons pas seulement la responsabilité de ce que nous disons, nous devons penser à
ce que cela produira chez l’autre.

Il faudrait que ma parole aide l’autre, le provoque, à la recevoir en vérité.

Faire appel à son expérience pour comprendre que les êtres sont transformés en bien ou en
mal par leurs rencontres (cf. le Petit Prince.)

Il est facile de manquer de respect aux personnes en disant : « ce qu’on pense » aux gens et
des gens…

c) prendre en charge mon silence comme ma parole.

Il y a des silences qui manquent profondément à la charité. On n’a pas osé parler à temps et
à qui il aurait fallu parler.

Vis à vis des autres, un silence total est-il possible ? N’avons-nous pas, dans notre silence, à
être perpétuellement écoutante, accueillante, au lieu de nous réfugier dans un silence passif ?
Chercher différentes sortes de silence.

Qu’est-ce qu’un silence responsable, écoutant, accueillant ? Noter qu’il émane d’un être
unifié, paisible (dans le calme, l’apaisement, nos facultés sont dans les meilleures
conditions pour agir), d’un être « présent » (éveil plein d’attention, le silence est lié à
l’instant présent.)

Attitude d’ouverture, d’écoute des autres et des êtres, le silence demande une attitude
fondamentale de pauvreté.

d) Créer un climat qui favorise la communication.

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La confiance donnée et reçue et vit :

- dans un climat détendu qui permet d’être davantage présent à ce qu’on fait.

- dans un climat de simplicité et de vérité qui permet de mieux connaître soi et


l’autre. De même que les paraboles de l’évangile sont éclairées par la connaissance
du milieu dans lequel elles furent prononcées, de même faut-il se connaître et
connaître les autres pour apprendre à interpréter ce qui est dit ou n’est pas dit.

On remarquera combien la parole nous révèle à nous-même : celle que nous


prononçons, celle que nous enregistrons, celle que nous interprétons.

Chercher des exemples.

Nous sommes plus près de la vérité quand nous adoptons une attitude bienveillante,
sachant reconnaître ce qu’il y a de positif dans tout autre. Croire à l’existence du bon
grain même si l’ivraie paraît plus importante.

- dans un climat de mutuelle liberté.

Il faut se sentir libre pour être vraie. Nous avons parfois peur d’être jugés par l’autre.
Souvent nous disons des choses les uns sur les autres parce que nous ne nous sentons
pas libres de les dire en face.

Par suite de notre manque de liberté intérieure nous avons du mal à communiquer en
profondeur.

Nous aurons certes toujours à améliorer la qualité de nos dialogues. Mais en sachant qu’ici-bas la
communication intégrale n’existera jamais. Nous connaîtrons des rencontres très profondes peut-
être, mais jusqu’à ce que nous arrivions au mystère de notre propre personne qui ne peut parvenir à
s’ouvrir au point d’être parfaitement comprise, et au mystère de l’autre. Nous marchons vers cette
communication que nous ne réaliserons en vérité, totalement que dans une autre vie.

***
2° - La Communication dans notre relation à Dieu.

« Le Père n’a dit qu’une parole, à savoir son Fils, et, dans un silence éternel, il la dit toujours :
l’âme aussi doit l’entendre en silence. »
Saint Jean de la Croix dans cette maxime (147) nous laisse entrevoir le mystère de la vie trinitaire
comme un dialogue éternel, une parfaite communication où parole et silence prennent toute leur
densité et se rejoignent harmonieusement.

Par la foi nous savons que nous sommes invités à partager ce dialogue. Si entre Dieu et l’homme
une « communication » s’établit aussi, il convient de souligner au départ le changement radical de
perspective : la transcendance de l’amour divin fait irruption dans notre vie et par une « admirable
condescendance » (D.V.13) Dieu veut parler aux hommes comme un ami parle à son ami. Il semble
que Dieu tienne à ce que ses relations avec l’homme soient celles de deux personnes qui se

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connaissent pour avoir parlé ensemble, pour être entrées en communication. Par là nous apprenons
l’inexprimable bonté de Dieu et qu’elle immense adaptation de langage il a employée, prenant un
soin très attentif de notre nature. Les paroles de Dieu, en effet, exprimées en des langues humaines
se sont faites semblables au langage humain. » (D.V. 13)

A – L’idée de rencontre de Dieu contient donc une référence à notre expérience humaine de
communication. Or dans toute rencontre humaine nous avons noté un aspect de révélation et de
confiance.

a) Dieu qui est la source absolue de son secret intime, qui est le Tout-Autre, ne peut être
approché dans le mystère de sa vie personnelle que s’il se laisse connaître, s’il se révèle
librement (cf. T1). IL a toute l’initiative de cette rencontre absolument gratuite.

b) Si Dieu veut s’adresser à l’homme, attirer son attention, lui parler, il doit éveiller en lui la
capacité de réception nécessaire pour accueillir le mystère de Dieu. Ce mystère est
tellement immense qu’il demande une réceptivité, une capacité d’accueil qui dépasse les
moyens humains. Dieu voulant nous parler, crée en nous cette capacité d’accueil : la foi (cf.
T2).

c) Le canal de cette communication, en raison de la nature « charnelle » qui caractérise


l’homme, revêt un aspect « charnel » : Dieu utilise des moyens perceptibles aux hommes :
paroles, signes, gestes… Par là, en se révélant Dieu est entré dans notre histoire humaine (cf.
B1… T1, L1).

A – Les Exigences de la communication.

Nous avons remarqué à quel point la communication supposait une relation vraie à l’autre. Nous
pouvons ouvrir les perspectives, entrevues plus haut, sur l’infini de Dieu :
a) au niveau du langage.

« La parole éternelle dans laquelle se prononce et s’exprime adéquatement l’infinie vérité
de Dieu, le Verbe, fait chair. Il a parlé notre langue, il a transposé dans nos mots terrestres
les mystères de la vie divine et nos mots terrestres ne sont pas évanouis, ils se sont ouverts
sur des profondeurs jusque là insoupçonnées. »
(Monseigneur Journet, « le message révélé »)

b) au niveau de la personne.

Parler entraîne une exigence de cohérence entre la personne et ses paroles. Parler implique
donc une sorte d’idéal impossible à atteindre, « la parole devrait se confondre avec
l’exigence entière de celui qui parle. Dieu est le seul à pouvoir s’exprimer en plénitude… et
cette coïncidence parfaite de la parole et de l’action, c’est le Christ, Parole faite chair, se
donnant aux hommes par toute sa vie humaine. »
(Père Le Guillou – « Le visage du Ressuscité » cf. B 7)
(Cf. aussi, S. De Beaurecueil : « Prêtre des non-chrétiens » page 35-
36)

A Titre de suggestions…

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- Les conditions pour une réelle communication entre personnes nous font pressentir
l’interaction qui existe entre noter attention aux autres et notre attention à Dieu.

- La vie spirituelle a pu être définie comme une vie de relation avec Dieu, relation
vivante avec le Dieu vivant, personnel : « l’oraison… un commerce d’amitié… »
(Sainte Thérèse)

- Toute l’initiative de notre rencontre avec Dieu vient de lui. La vie spirituelle est donc
entière polarisée par Dieu et son mystère. Elle consistera essentiellement pour nous à
laisser Dieu nous envahir. Attitude qui demande de notre part suprême attention,
suprême présence : le recueillement. Apprécier Dieu tellement qu’on en devient
silencieux, c’est-à-dire perpétuellement accueillant à la présence divine. Notre désir
de Dieu devient la source intérieure de notre silence extérieur.

- Dans notre relation avec Dieu nous mettrons donc l’accent sur le silence (silence
plein qui, nous l’avons dit, est moyen de communication) ; ce silence sera oubli de
nous-mêmes, pauvreté devant le mystère de Dieu, dans la lumière de cette béatitude
de la pauvreté spirituelle qui semble tellement l’appel du Seigneur à notre monde, à
nos personnes.

- Quand, du cœur de notre silence, nous rejoignons la Parole de Dieu dans son silence,
nous savons d’expérience ce qu’est la communication.

« Mon Dieu, qui a goûté ton silence, il n’a plus besoin d’explication. » (Claudel)

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