Ecumes Des Lettres 2de 2019 PDF

l’écume
l’écume
Livre du
professeur
2
2 de
de
professeur
Français
Livre du
Programme
20 9
Français
5812004
ISBN : 978-2-01-395427-3
9 782013 954273
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L'écume des lettres 2de, édition 2019.
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Français
Programme
20 9
2 de
Livre du professeur
Partie LITTÉRATURE sous la direction de Partie MÉTHODES sous la direction de
Julien Harang Miguel Degoulet
Agrégé de Lettres modernes Agrégé de Lettres modernes
Lycée Évariste Galois, Noisy-le-Grand Académie de Rennes
Nicolas Filliâtre Céline Le Gall

Agrégé de Lettres modernes Agrégée de Lettres classiques
Lycée de la Trinité, Lyon Lycée La Pérouse-Kerichen, Brest
Yoan Fontaine Myriam Lobry
Certifié de Lettres modernes Agrégée de Lettres modernes
Lycée Bellevue, Le Mans (certification Histoire des arts)
Lycée Diderot, Carvin
Audrey Fournier
Agrégée de Lettres modernes (certification Théâtre ; Emilien Malausséna
certification Histoire des Arts) Certifié de Lettres modernes (certification Théâtre)
Lycée Samuel de Champlain, Chennevières-sur-Marne Lycée polyvalent Notre-Dame, Paris
Caroline Fridman-Bardet Élise Perron
Agrégée de Lettres modernes Certifiée de Lettres modernes (certification Théâtre)
Lycée Louise Michel, Champigny-Sur-Marne Lycée Robert Doisneau, Corbeil-Essonnes
Stéphane Jacob Estelle Pianèse
Agrégé de Lettres modernes (certification Théâtre) Agrégée de Lettres modernes
Lycée René-Josué Valin, La Rochelle Lycée Jean Perrin, Lyon
Thierry Kardos Delphine Thiriet
Agrégé de Lettres classiques Agrégée de Lettres modernes
Lycée Robert Schuman, Charenton-le-Pont Académie de Versailles
Stéphanie Lecompte Audrey Zappulla
Agrégée de Lettres modernes Agrégée de Lettres modernes
Lycée Paul-Louis Courier, Tours Lycée Antoine de Saint-Exupéry, Créteil
Couverture : Nicolas Piroux
Mise en page : Alinéa
Édition : Céline Bénard
© HACHETTE LIVRE 2019, 58 rue Jean Bleuzen, CS 70007, 92178 Vanves Cedex
ISBN 978-2-01-395427-3
www.hachette-education.com
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SOMMAIRE
CHAPITRE 1
Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle �� 5
séquence ⁄
Des personnages à la conquête de la société � �� 7
séquence ¤
Des femmes libres ? �� 23
séquence ‹
Étonnants voyageurs �� 40
séquence ›
Se libérer de l’emprise familiale et sociale �� 61
séquence ∞
Des personnages dans la tourmente de l’Histoire �� 98
MÉTHODES
Le roman et le récit du xviiie au xxie siecle �� 123
CHAPITRE 2
Le théâtre du xviie au xxie siècle �� 127
séquence §
Le travestissement au théâtre �� 129
séquence ‡
Représenter la tyrannie au théâtre � �� 150
séquence °
Le théâtre à l’épreuve de la folie �� 180
séquence ·
Héroïnes rebelles au théâtre �� 208
MÉTHODES
Le théâtre du xviie au xxie siècle � �� 228
CHAPITRE 3
La littérature d’idées et la presse du xixe au xxie siècle �� 235
séquence ⁄‚
La fabrique de l’opinion �� 237
séquence ⁄⁄
Le défi écologique �� 252
séquence ⁄¤
La beauté culturelle �� 268
MÉTHODES
La littérature d’idées et la presse du xixe au xxie siècle �� 290
CHAPITRE 4
La poésie du Moyen Âge au xviiie siècle �� 295
séquence ⁄‹
« Vivre en poésie » : rimeur… ou rimailleur ! �� 297
séquence ⁄›
Personnages mythologiques et symboliques en poésie �� 319
séquence ⁄∞
Les temps de la vie �� 335
MÉTHODES
La poésie du Moyen Âge au xviiie siècle �� 350
MÉTHODES
Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle (fiches 1 à 4) �� 123
Le théâtre du xviie au xxie siècle (fiches 5 à 9) �� 228
La littérature d’idées et la presse du xixe au xxie siècle (fiches 10 à 12) �� 290
La poésie du Moyen Âge au xviiie siècle (fiches 13 à 15) �� 350
EN FIN DE MANUEL
Grammaire (fiches 16 à 27) �� 355
La lecture littéraire et l’interprétation (fiches 28 à 36) � �� 367
Le commentaire (fiches 37 à 39) �� 377
La dissertation (fiches 40 à 42) �� 382
La contraction de texte (fiches 43 à 45) �� 387
L’essai (fiches 46 à 48) � �� 389
L’oral (fiches 49 et 50) �� 393
Le roman et le récit
CHAPITRE 1
du xviiie au xxie siècle

Livre de l’élève p. 16 à 133
PRÉSENTATION DU CHAPITRE Livre de l’élève p. 16

Objectifs
Les Instructions officielles proposent un objectif majeur : approfondir l’approche
du roman et du récit, et de leur variété, en proposant des œuvres de la littérature
française et francophone du xviiie au xxie siècle, inscrites dans une perspective
historique et culturelle de l’évolution des formes narratives.
Les Instructions officielles précisent la nature des œuvres à faire lire aux élèves,
l’enseignement devant être construit autour d’œuvres intégrales :
– deux œuvres intégrales de forme et de siècle différents : un roman et, par
ailleurs, un recueil de nouvelles ou un récit de voyage, un récit relevant de l’une
des formes du biographique, un journal, etc. ;
– la lecture cursive d’au moins un roman ou un récit d’une autre période.
Des approches artistiques ou un groupement de textes complémentaires, en
lien avec le contexte d’écriture, l’esthétique ou le sujet des récits choisis en
œuvres intégrales, avec leur adaptation ou leur réécriture, pourront éclairer et
enrichir le corpus.
Conformément aux programmes, chaque séquence du manuel est construite
autour d’une œuvre intégrale, des romans (séquences 1, 4 et 5), mais aussi
des nouvelles (séquences 2 et 3), intégralement reproduites dans le manuel
de l’élève.
Les œuvres choisies vont du xixe siècle (Le Père Goriot de Balzac et Un Mariage
d’amour de Zola) à l’immédiat contemporain (Au revoir là-haut, de Pierre
Lemaitre). Du point de vue générique, les œuvres proposées relèvent du roman
(Le Père Goriot) ou de la nouvelle (Un mariage d’amour et J’ai soif d’innocence)
en passant par le roman autobiographique (Rien ne s’oppose à la nuit) et le
roman historique (Au revoir là-haut).
Chaque œuvre intégrale est accompagnée de prolongements qui permettent
aux élèves d’inscrire le projet des écrivains dans un ensemble plus large sur le
plan artistique. Les groupements de textes complémentaires approfondissent
le contexte littéraire et rendent ainsi les connaissances d’histoire littéraire plus
vives. Des propositions de lectures cursives permettent aux élèves de devenir
peu à peu autonomes.
Quatre fiches de méthode développent les connaissances utiles pour lire et
analyser le récit et le roman.
5
6 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle
séquence ⁄
Des personnages à la conquête de la société
Livre de l’élève p. 20-38
OBJECTIFS ET PRÉSENTATION Outre l’ambition de Rastignac, le parcours d’œuvre

DE LA SÉQUENCE intégrale propose deux autres perspectives d’étude :
l’amour paternel du père Goriot et l’ambition réa-
La séquence 1 propose une étude centrée sur le réa- liste du roman. Chacune de ces thématiques est
lisme, envisagé d’une part en tant que mouvement abordée par le biais d’un ensemble d’extraits à lire, qui
littéraire et culturel du xixe siècle, d’autre part comme trouvent leur prolongement dans un sujet de disserta-
un mode d’écriture qui privilégie une représentation tion, suivant les recommandations du programme et
de personnages ancrés dans la société de leur époque, la logique des nouvelles épreuves de l’EAF qui incitent
du xixe siècle à nos jours. La double page d’histoire à développer la capacité des élèves à disserter sur une
littéraire et artistique permet aux élèves de retenir œuvre intégrale.
l’essentiel à travers différentes activités qui peuvent Les prolongements artistiques et culturels per-
nourrir son dossier personnel. mettent à l’élève d’ancrer l’œuvre intégrale dans son
L’œuvre intégrale, Le Père Goriot d’Honoré de Balzac contexte artistique, esthétique et littéraire, celui du
(1835), constitue un des chefs-d’œuvre de l’écriture Paris du xixe siècle, la ville des ambitieux et la capi-
réaliste. Le parcours d’œuvre intégrale propose aux tale de l’élégance. C’est l’occasion pour les élèves de
élèves de se concentrer sur l’évolution d’Eugène de se familiariser avec deux mouvements artistiques :
Rastignac au sein de la société parisienne, à travers le réalisme à travers la peinture de Jean Béraud et
plusieurs extraits clés du roman qui permettent de l’impressionnisme de Claude Monet.
découvrir le héros et son milieu familial d’origine Le groupement de textes complémentaires s’at-
(extraits 1 et 3), et les deux mondes opposés qu’il tache à mettre en valeur diverses figures d’ambitieux
fréquente à Paris : d’un côté les petites gens de la et ambitieuses, dans la littérature du xixe siècle au
xxie siècle, afin de permettre aux élèves de saisir les
pension Vauquer (extrait 4), de l’autre la haute société
invariants du type de l’ambitieux. Ils pourront égale-
parisienne à laquelle le jeune homme souhaite appar-
ment percevoir la variété des styles, depuis l’écriture
tenir (extraits 2 et 5).
réaliste de Stendhal, qui n’exclut pas une certaine
Cette perspective d’étude de l’œuvre intégrale est
ironie, à celle non moins réaliste, et même pour ainsi
prolongée par un premier sujet de dissertation
dire naturaliste, de Philippe Vasset dont les romans
portant sur l’ambition de Rastignac. Les élèves sont
reposent sur une documentation très précise qui
invités à répondre à la question suivante : « Selon
lui permet de démonter les rouages du capitalisme
vous, le personnage de Rastignac peut-il être un contemporain pour mieux en dénoncer les dérives.
modèle pour le lecteur ? » Cette question appelle une Les figures d’ambitieux et ambitieuses, par leur
réponse nuancée, qui pourra en particulier s’appuyer ancrage social et économique précis, permettent en
sur une lecture attentive des différents extraits de effet le développement d’un point de vue critique sur
l’œuvre intégrale proposés dans les pages 18 à 22. les excès de la société de leur époque, qu’il s’agisse de
Le sujet est traité étape par étape dans la double l’arrivisme du duo d’ambitieux de Bel Ami à la fin du
page finale consacrée au baccalauréat, qui propose xixe siècle ou encore des absurdités du monde de l’en-
également en commentaire le célèbre passage de treprise moderne, dont la structure même de l’écriture
l’excipit de l’œuvre intégrale, lorsque Rastignac, du oulipienne de Perec, qui s’inspire d’un organigramme,
haut du Père-Lachaise, lance son défi à Paris. rend compte avec malice.
SÉQUENCE 1 Des personnages à la conquête de la société |7

PAGE 21
ŒUVRE INTÉGRALE
Honoré de Balzac, ¤
▶▶
Le bal chez madame
de Beauséant
Objectifs
Le Père Goriot, 1835 ■■ Découvrir une scène typique du roman réaliste :
le bal.
PAGE 20 ■■ Étudier le comportement du personnage principal
dans la haute société.

⁄
▶▶
Le portrait de Rastignac
Objectifs
1. Cet extrait montre les débuts du jeune ambitieux
dans la haute société parisienne. Le jeune homme
■■ Entrer dans l’œuvre intégrale. prend tout d’abord conscience du statut dont il
■■ Étudier un portrait physique
jouit grâce à sa parenté avec madame de Beauséant
■■ Découvrir l’ancrage social d’un personnage
(l. 9-10), puis il expérimente ses talents de séducteur,
qui lui vaudront « la conquête de madame la baronne
1. Les deux jeunes gens partagent uniquement la
de Nucingen » (l. 11), dont il va devenir l’amant.
couleur de leurs yeux. Leurs portraits respectifs
Il se révèle également sujet à la « fatuité » (l. 13), lors
révèlent qu’ils ne sont pas au même stade de leur
de cette soirée qui a « pour lui les charmes d’un brillant
évolution sociale.
début » (l. 31). Le narrateur épingle ironiquement la
En effet, le portrait de Rastignac, qui se situe dans
vanité de son héros qu’il compare à une « jeune fille »
les premières pages du roman, a pour fonction de
qui « se souvient du bal où elle a eu des triomphes ».
situer le personnage dans son milieu de départ : « sa
tournure, sa manière, sa pose habituelles » dénotent 2. Grammaire
« le fils d’une famille noble », qui a reçu une éduca- Dans la phrase des lignes 5-6, « Pour qui sait deviner
tion faite de « traditions de bon goût ». Il s’agit d’un les émotions d’une femme, ce moment est plein de
portrait liminaire. délices », le présent a une valeur de vérité générale.
En revanche, la posture de Jordan, tout comme son Le narrateur se place ici en analyste des comporte-
expression faite d’un mélange de détermination et de ments humains, suivant le projet énoncé par Balzac
défi, voire une certaine agressivité, indique au spec- dans l’avant-propos de la Comédie humaine. Son juge-
tateur que ce personnage a déjà conquis une posi- ment envers Delphine de Nucingen mêle une forme
tion dominante dans la société, et qu’il a déjà réalisé de condescendance pour la coquette calculatrice à
ses ambitions de golden boy. C’est ce que suggère le une certaine tendresse pour la femme incapable de
décor du lac Léman, en Suisse qu’il domine depuis un dissimuler ses émotions (l. 3-5).
gratte-ciel de verre, et auquel il tourne le dos, confor-
tablement installé dans un canapé en cuir. Ce photo- HISTOIRE DES ARTS
gramme dénote la réussite financière du personnage. Tout comme le texte de Balzac, le tableau de Jean
2. Le narrateur insiste sur la description des vêtements Béraud met en scène une soirée dans la haute société
de Rastignac, car ceux-ci ancrent le personnage dans parisienne, mais environ un demi-siècle sépare le
son milieu social. En effet, sa mise ordinaire est celle texte du tableau. Les comportements semblent
d’un étudiant peu fortuné. Les connotations péjora- différer entre le tableau et le texte. En effet, tandis
tives des adjectifs de la dernière phrase indiquent sa que Balzac insiste essentiellement sur les relations
gène financière : « Ordinairement, il portait une vieille de séduction qui se nouent entre les protagonistes,
redingote, un mauvais gilet, la méchante cravate noire, celles-ci semblent moins centrales dans le tableau de
flétrie, mal nouée de l’étudiant, un pantalon à l’ave- Béraud. Cet artiste, devenu un des principaux peintres
nant et des bottes ressemelées. » L’ensemble de son de la vie parisienne de la Belle Époque, a réalisé une
accoutrement ordinaire révèle sa pauvreté. Toutefois, multitude de scènes de genre représentant tous
lorsqu’il se rend dans la haute société, à laquelle il peut les milieux sociaux. Le tableau, intitulé Une soirée,
accéder du fait de sa naissance aristocratique, il peut dépeint la pratique mondaine des soirées parisiennes.
alors se vêtir avec élégance : « il pouvait sortir quel- C’est surtout l’élégance des toilettes féminines qui
quefois mis comme l’est un jeune homme élégant ». retient l’attention du spectateur, à travers les robes à

ample traîne, serrées à la taille et relativement décol- la misère lui paraît repoussante (l. 1-4 et l. 8-10),
letées, qui laissent voir les épaules des jeunes filles. de l’autre la haute société parisienne que le jeune
Toutes présentent des coiffures particulièrement homme idéalise (l. 6-8).
raffinées. Les cheveux sont attachés et ornés d’une 2. Grammaire
coiffe fleurie. Elles portent des gants et ont toutes à La vision manichéenne de Rastignac se perçoit notam-
la main un accessoire à la fois esthétique et pratique : ment dans les connotations des adjectifs choisis par
l’éventail. La couleur des tenues varie, mais les tons Balzac pour décrire chaque univers : d’un côté, la
blancs et roses dominent. L’élégance masculine se pension Vauquer présente une salle à manger « nau-
révèle plus uniforme. Les hommes sont tous vêtus séabonde » (l. 2), offrant un spectacle et un aspect
d’un identique costume noir, d’une chemise blanche « horribles » (l. 4), de « sinistres » (l. 8) tableaux ; de
ornée d’un nœud papillon, et ils portent tous des gants l’autre côté, la haute société se caractérise par des
blancs. Seul détail original, certains rehaussent leur images « fraîches et charmantes » (l. 6), une nature
costume par une pochette blanche. « élégante » (l. 7), des figures « jeunes, vives » (l. 7),
des têtes « passionnées » (l. 8).
PAGE 22
Dossier personnel
‹
▶▶
Rastignac et sa famille
Objectifs
On pourra orienter les élèves vers des scènes de genre
peintes par des artistes du xixe siècle tel Marc Louis
■■ Étudier l’influence du milieu familial du personnage Benjamin Vautier (1829-1898), et on insistera sur la
principal. nécessité d’adopter le point de vue de Rastignac, qui
■■ Déceler les marques du jugement du narrateur. a été étudié par le biais de la question précédente.
1. Le « désir de parvenir » de Rastignac se justifie par
des raisons économiques. En effet, sa famille désar- PAGE 23
gentée se trouve dans une situation de « constante
détresse » (l. 5) que ses parents tentent de dissimu-
ler, mais dont le jeune homme a bien conscience.
« L’avenir incertain de cette nombreuse famille »
∞
▶▶
Le discours de madame
de Beauséant
Objectifs
attise son ambition. ■■ Étudier le jugement désabusé que porte madame
2. Grammaire de Beauséant sur sa propre classe sociale.
■■ Analyser les valeurs de l’impératif dans un discours.
La juxtaposition employée dans la longue phrase des
lignes 5 à 11 permet l’énumération de circonstances 1. Grammaire
pénibles. Elles ont pour effet de souligner le poids Le mode impératif initie et conclut le discours de
de la détresse économique qui pèse sur la famille de madame de Beauséant : « traitez ce monde comme
Rastignac. il mérite de l’être » (l. 1-2), « rendez-le-moi blanc »
3. Le narrateur porte un jugement sévère sur son per- (l. 36). Celle-ci se présente comme l’initiatrice de son
sonnage qu’il accuse d’indécision. Conformément aux jeune cousin provincial, à qui elle décide de révéler les
préjugés de l’époque, il attribue cette faiblesse à ses secrets de la réussite dans la haute société parisienne
origines méridionales. dont elle est une des plus fines connaisseuses. D’autre
part, l’indicatif futur est également très employé par
›
▶▶
Retour à la pension Vauquer
Objectifs
madame de Beauséant, qui prédit à son cousin sa
future ascension sociale : « vous sonderez combien
est profonde la corruption féminine » (l. 3-4) ; « vous
■■ Distinguer les connotations mélioratives et péjora- saurez alors ce qu’est le monde » (l. 33).
tives des adjectifs. 2. Madame de Beauséant porte un regard cynique et
■■ Étudier l’écartèlement du personnage principal entre
sans concession sur son milieu social. Elle condamne
deux mondes opposés. les femmes pour leur « corruption », les hommes pour
1. Rastignac évolue dans deux mondes opposés : d’un leur « vanité » (l. 4-6), et considère le monde comme
côté celui des petites gens de la pension Vauquer dont « une réunion de dupes et de fripons » (l. 33-34).
SÉQUENCE 1 Des personnages à la conquête de la société |9

Dossier personnel
proies. Le jeune Rastignac, ambitieux néophyte aux
prises avec cette société cruelle, peut être associé à
On pourra suggérer aux élèves de se référer aux l’une d’elles.
extraits 4 et 5 du groupement de textes complémen- 2. Une stratégie pour conquérir le monde
taires (p. 32-33). La vicomtesse débute sa démonstration par un argu-
VERS LE BAC. Commentaire ment d’expérience et d’autorité en soulignant sa
En rédigeant Le Père Goriot, Balzac eut ce qu’il appela connaissance de « ce livre du monde » qu’elle connaît
lui-même « une idée de génie » : faire circuler ses bien désormais : « Maintenant je sais tout ». Cela l’au-
personnages d’une œuvre à l’autre. Ainsi, Eugène de torise à donner des conseils brutaux pour attaquer
Rastignac réapparaîtra dans pas moins de vingt-six cette société comme elle le mérite : « Frappez sans
romans. Dans Le Père Goriot, on le découvre jeune pitié, vous serez craint ». Les hommes et les femmes
étudiant d’origine noble, mais désargenté, vivant à la ne sont que « des chevaux de poste que vous laisserez
pension Vauquer à Paris et rêvant d’ascension sociale. crever à chaque relais ». Elle conçoit la société comme
Sa cousine, madame de Beauséant, se fera son mentor un univers de violence où chacun ne peut qu’endos-
grâce à son nom et à ses relations. On verra en quoi ce ser le rôle de « bourreau » ou de « victime », termes
discours d’une femme du monde blessée constitue à qu’elle emploie plus loin. Le verbe « crever » dénote
la fois une initiation aux arcanes d’une société cruelle son profond mépris pour l’humanité qu’elle fréquente
et un véritable mode d’emploi pour « arriver » dans et qu’elle assimile à des animaux.
cette société de la Restauration qu’elle connaît si bien. La clé de la réussite, selon elle, pour un jeune homme
1. Une initiation à une société cruelle désargenté, c’est une femme d’influence : « Il vous
Madame de Beauséant est une femme blessée et la faut jeune, riche, élégante ». Il ne peut être ques-
malheureuse en amour. Bien qu’étant une lectrice tion d’amour : « Si jamais vous aimiez, gardez bien
attentive de « ce livre du monde », elle avoue dès les votre secret ! » Le cynisme et la dissimulation sont les
premières lignes s’être fait berner sur la société et sur meilleurs gages de réussite. Elle lui indique la marche
les sentiments : « il y avait des pages qui cependant à suivre pour conquérir Delphine de Nucingen, afin
m’étaient inconnues ». qu’elle devienne son faire-valoir : « La belle madame
Elle dresse un tableau sans appel des turpitudes de sa de Nucingen sera pour vous une enseigne ». En
société, en affirmant par exemple de qu’il faut consi- premier lieu, Rastignac connaît le père Goriot : ce
dérer ses contemporains « comme des chevaux de dernier lui permettra d’entrer en relation avec sa fille.
poste » qu’il faut laisser « crever à chaque relais ». Les Rastignac permettra à Mme de Nucingen d’accéder
êtres sont traités ici comme des animaux domestiques au salon de la vicomtesse de Beauséant, mais d’une
(d’où le verbe très cru « crever »), que l’on utilise sans manière impersonnelle, anonyme, car la vicomtesse
aucun état d’âme. L’image du relais de poste montre de Beauséant ne veut pas compromettre son nom.
aussi qu’aucune relation durable ne semble possible Enfin, Delphine de Nucingen, pour prix de ce service,
entre deux êtres : chacun utilise l’autre en fonction de deviendra la maîtresse de Rastignac, ce qui confè-
son utilité du moment, « à chaque relais ». Enfin, cette rera au jeune homme le « succès » recherché : « Soyez
image fait de l’ascension sociale une course rapide l’homme qu’elle distingue, les femmes raffoleront de
et sans pitié, qui doit aller d’étape en étape, sans se vous. Ses rivales, ses amies, ses meilleures amies, vou-
soucier de ceux que l’on rencontre sur son passage. dront vous enlever à elle ».
Enfin, la vicomtesse clôt son discours par une formule Madame de Beauséant offre à son jeune cousin
frappante : « Je vous donne mon nom comme un fil ambitieux le mode d’emploi de la réussite sociale et
d’Ariane pour entrer dans ce labyrinthe ». Cette image le moyen particulier de se faire admettre et d’être
mythologique peut rejoindre celle de la « poste » en remarqué et admiré : il devra se servir des femmes,
faisant de l’ascension de Rastignac un parcours diffi- comme le fera plus tard G. Duroy dans Bel-Ami (1885)
cile, semé d’embûches et de fausses routes, comme de Maupassant. Sous la dénonciation des turpitudes
il a pu le constater avec son échec chez les Restaud. du grand monde, on ressent le dépit amoureux de
Elle met en valeur Mme de Beauséant dans son rôle de la vicomtesse, et son désir de revanche à travers
guide et d’initiatrice, au sein d’une société aussi dan- Rastignac, dont elle fait son instrument. On retrouve
gereuse que le labyrinthe renfermant le Minotaure, chez elle des traits de la marquise de Merteuil dans
monstre sanguinaire prêt à dévorer ses innocentes Les Liaisons dangereuses de Ch. de Laclos (1782).
traite même de « bête brute ». Il insiste surtout sur
HISTOIRE DES ARTS
la passion qui le gouverne comme d’autres sont pris
Bien que le sujet du portrait, « Madame F. » ne soit de passion pour le jeu, les collections, etc. Les élèves
pas identifiable, on peut aisément se rendre compte pourront discuter ce jugement et défendre l’amour
qu’elle appartient à une classe sociale élevée, proba- paternel sincère de Goriot pour ses filles.
blement la grande bourgeoisie parisienne. La richesse b. La situation financière de Goriot se dégrade pro-
et la beauté de son vêtement en attestent. Elle porte gressivement, car il sacrifie tout ce qu’il possède
en effet une superbe robe rose d’un tissu brillant, pour ses filles et restreint ses propres besoins. Cela
rehaussée d’une dentelle d’une finesse remarquable. se traduit par son changement de statut au sein de
En outre, la jeune femme porte une bague et un bra- la pension Vauquer. Le troisième texte proposé dans
celet composé de perles fines. Enfin, l’intérieur qui sert le parcours montre le dévouement absolu de Goriot :
de décor est lui aussi marqué par une certaine aisance pour payer les dettes de Delphine, il vend ses rentes
financière. On distingue la bordure dorée et riche- perpétuelles et ne conserve pour vivre que « quarante
ment ornée d’un tableau (ou d’un miroir), posé sur sous par jour », ce qui est une somme dérisoire.
une console en marbre qui accueille un vase bleu et c. Seul Rastignac s’occupe du père Goriot pendant son
blanc à anses dorées, et une lourde étoffe de pourpre agonie, ses filles ne se déplacent pas pour le voir, car
vient rehausser l’ensemble. elles craignent le déshonneur qui pourrait rejaillir sur
elles et cherchent à effacer leur origine sociale. Cette
PAGE 24 ingratitude est cruelle pour leur père qui les attend
et se rend compte qu’il a été leur dupe : il les accuse
de le tuer « c’est un parricide ! »
PARCOURS D’ŒUVRE INTÉGRALE
d. La mort du père Goriot est très pathétique, car
même s’il se rend compte de l’ingratitude de ses filles,
PISTE DE LECTURE 1
il continue d’espérer et d’attendre leur venue, puis il
L’ambition de Rastignac ordonne d’aller les chercher (« mais allez donc […]
Le père Goriot retrace la découverte de la haute criez comme moi : «Hé, Nasie ! Hé, Delphine ! venez
société parisienne par Rastignac. Issu d’une famille à votre père» »). Il rappelle ce qu’il aurait été prêt à
noble de province sans fortune (extrait 3), Rastignac faire pour elles : « Elles auraient demandé à me crever
arrive à Paris pour y poursuivre ses études (extrait 1). les yeux, je leur aurais dit : “Crevez-les !” ». À la fin, le
Il loge à la pension Vauquer (extrait 4) où il fait la père Goriot sombre dans la folie : il demande la garde
rencontre de Vautrin, un ancien forçat qui deviendra et ne se souvient plus de les avoir maudites, il veut
son mentor, et du père Goriot, qui sacrifie sa fortune retourner « à Odessa, y faire des pâtes » pour refaire
pour assurer à ses deux filles, Anastasie et Delphine, leurs fortunes. Cette folie l’apparente à un héros tra-
une position sociale élevée grâce à leurs mariages gique, comme Oreste dans Andromaque.
respectifs avec des hommes influents. Rastignac est e. Le père Goriot est un personnage-type parce que,
introduit dans la haute société grâce à sa cousine comme le révèle la description de Vautrin, il est réduit
madame de Beauséant (extrait 2), qui lui indique la à un seul caractère, la tendresse paternelle, et ce sen-
voie de la réussite par la séduction des femmes, et lui timent est exagéré et grandi à l’excès. Pour aider les
conseille de devenir l’amant de Delphine de Nucingen, élèves, on pourra leur proposer ce court extrait de la
une des filles du père Goriot (extrait 5). préface d’un des volumes de la Comédie humaine inti-
tulé Une ténébreuse affaire (1841) : « Un type, dans le
VERS LA DISSERTATION
sens qu’on doit attacher à ce mot, est un personnage
Voir le sujet développé p. 39.
qui résume en lui-même les traits caractéristiques de
PISTE DE LECTURE 2 tous ceux qui lui ressemblent plus ou moins, il est le
modèle du genre. Aussi trouvera-t-on des points de
L’amour paternel du père Goriot contact entre ce type et beaucoup de personnages du
a. Le jugement de Vautrin sur le père Goriot est temps présent ; mais qu’il soit un de ces personnages,
extrêmement dur : il le qualifie de « pauvre bon- ce serait alors la condamnation de l’auteur, car son
homme » parce qu’il se fait exploiter par sa fille et le acteur ne serait plus une invention. »
SÉQUENCE 1 Des personnages à la conquête de la société | 11

Le père Goriot est transformé par Balzac en « Christ humaine « vint d’une comparaison entre l’Humanité
de la paternité » : comme le Christ, il sacrifie tout à et l’Animalité », il affirme qu’« il existera donc de
l’amour de ses filles, et souffre à cause d’elles une tout temps des Espèces sociales comme il y a des
longue passion (sa lente déchéance qui se termine Espèces zoologiques » et veut se faire le Buffon de
par son agonie, seul). la littérature.
VERS LA DISSERTATION d. Ce discours de Vautrin complète l’initiation de
On pourra proposer le plan suivant Mme de Beauséant (extrait 5 p. 23), mais le point
1. L’amour paternel de Goriot : un personnage sublime de vue de Vautrin révèle les dessous de la société.
et pathétique Selon Balzac « Il y a deux histoires : l’histoire offi-
2. L’ingratitude des filles : une vision réaliste et sordide cielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les
3. L’analyse d’une passion destructrice véritables causes des événements. » (Les Illusions
perdues) Vautrin révèle à Rastignac les ressorts cachés
PISTE DE LECTURE 3 dans la société et les enjeux de pouvoir : les trafics, la
corruption (« je n’en finirais pas s’il fallait vous expli-
Le roman réaliste et la société
quer les trafics qui se font pour des amants, pour des
a. Rastignac s’installe à la pension Vauquer parce qu’il chiffons… ») et multiplie les exemples.
n’a pas beaucoup d’argent : il croise dans cette pension
e. Comme Vautrin en avertit Rastignac, ce n’est pas
des petits retraités : M. Poiret est un ancien employé
par le travail et le mérite qu’on réussit dans la société
de ministère, le père Goriot a été vermicellier, Vautrin
(« le travail, compris comme vous le comprenez en
est un malfrat. Mais il fréquente aussi les salons les
ce moment, donne, dans les vieux jours, un apparte-
plus mondains du faubourg Saint-Germain à Paris,
ment chez maman Vauquer, à des gars de la force de
celui de Mme de Beauséant, et croise avec Delphine
Poiret. »). En effet, la fin du père Goriot, qui agonise
de Nucingen les milieux financiers. Balzac joue de la
seul alors qu’il a donné toute sa vie pour ses filles, est
juxtaposition à Paris de ces différents milieux pour
une fin triste et pathétique. L’ascension sociale est
décupler l’ambition de Rastignac.
comparée par Vautrin à un combat (« il faut entrer
b. Le roman commence par une longue description dans cette masse d’hommes comme un boulet de
de la pension Vauquer qui dure jusqu’à la page 49 canon » ; les hommes sont également comparés à
(édition Bibliolycée). Balzac cherche à développer des araignées dans un pot qui se mangent entre elles)
l’ancrage spatio-temporel de son roman. Il s’adresse ou à de la cuisine sale (« ça n’est pas plus beau que la
ainsi au lecteur « Ah ! sachez-le : ce drame n’est ni cuisine, ça pue tout autant, et il faut se salir les mains
une fiction, ni un roman. All is true ; il est si véritable, si l’on veut fricoter »).
que chacun peut en reconnaître les éléments chez soi,
dans son cœur peut-être » (p. 10). Il s’attache donc VERS LE BAC. Dissertation
à décrire minutieusement la pension afin de créer On pourra adopter le plan suivant :
l’impression de la réalité et aussi d’expliquer en quoi 1. L’observation scientifique, historique et sociologique
chaque détail est révélateur. La pension offre « en 2. Un réalisme visionnaire : de l’amplification vers le
petit les éléments d’une société complète » : c’est un mythe
microcosme que Balzac étudie, et il veut voir quelles 3. Le goût des êtres exceptionnels : des héros de
réactions vont se produire dans cet environnement. l’énergie et de la passion
c. Mme Vauquer est comparée à « un rat d’église »
(p. 27), Mlle Michonneau à une « vieille chauve-sou- PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS
ris » (p. 65), Goriot à un « colimaçon, un mollusque
anthropomorphe » (p. 47). Ils sont ainsi rapprochés
de types humains dans la lignée des études de phy- PAGE 26
siognomonie. Balzac s’intéressait en effet aux travaux
de Saint-Hilaire et au système de Gall qui classait les
Rastignac ou l’élégance parisienne
individus selon le relief de leur crâne. Bianchon par 1. La beauté et l’élégance de Maxime humilient
exemple trouve à Mlle Michonneau des « bosses de Rastignac. Sa beauté tient surtout à ses cheveux,
Judas » (p. 65). Dans l’avant-propos de la Comédie « blonds et bien frisés ». Quant à son élégance, elle
humaine, Balzac explique que l’idée de la Comédie apparaît principalement dans deux éléments de sa

tenue vestimentaire : ses bottes « fines et propres », le président de séance demande au secrétaire de relire
et sa redingote qui lui serre « élégamment la taille ». les idées clés annotées. Ces traces écrites permettront
Rastignac ne soutient pas la comparaison avec « la de rédiger une synthèse individuelle ou collective.
mise de ce dandy », qui lui révèle, en miroir sa propre
infériorité. PAGE 27
2. Les critères vestimentaires de l’élégance masculine
au xixe siècle sont les suivants : la redingote, les pan- Paris, ville des ambitieux
talons bien coupés, la cravate et le col, les gants, les 1. Cet extrait présente une vision picturale, poétique
escarpins, souliers et bottes. Les critères physiques et onirique de la capitale. Celle-ci s’achève dans un
sont la finesse des mains et des pieds. flamboiement courant chez Zola, qui ici vient conno-
3. Ce tableau est également connu sous le titre Sortie ter la richesse que Saccard semble voir se matériali-
des ouvrières de la maison Paquin, rue de la Paix. Les ser sous la forme d’une pluie d’or. Ce qui frappe tout
corsages montent très haut sur le cou, la finesse de d’abord, c’est la taille de cette grande métropole. La
la taille met les hanches en valeur, l’arrière de la jupe métaphore filée de l’océan traduit l’immensité, le
s’allonge d’une courte traîne. Chapeau et sac à main mouvement, le bruit, la vie. La métaphore de la « mer
sont les accessoires caractéristiques de ces femmes vivante et pullulante » montre l’agitation de la ville,
à la mode, dignes de la prestigieuse maison pour au loin. À cette métaphore de la mer succède celle du
laquelle elles travaillent. lac, ce qui confère à la description un effet de zoom,
mimant le regard de l’observateur qui se concentre
ORAL
progressivement sur un espace plus restreint.
Le professeur pourra proposer aux élèves impliqués
Le regard de Saccard, relayé par celui du narrateur,
dans le débat oral de se répartir les rôles suivants :
est celui d’un peintre impressionniste. On trouve
– les débatteurs, qui prennent successivement la
dans cet extrait de nombreuses notations de couleurs
parole. Ils ont préalablement préparé des arguments
(« verdures sombres », « poussière d’or », « émeraude,
et des exemples en vue de prouver la validité de leur
saphir, rubis ») et de lumières (taches sombres des
thèse, qui peut soit soutenir soit infirmer l’idée qu’il
arbres, « resplendissants », « briller », « flamber »).
est nécessaire de se conformer à la mode pour réussir ;
L’atmosphère brumeuse de l’automne, trouée de
– le président (ou régulateur) de séance, qui donne la
jeux de lumière, donne une impression de nuances.
parole en veillant à ce que chaque volontaire puisse
Le moment choisi pour cette description est celui du
intervenir, et qui veille à la bonne progression du
soleil couchant, dont l’éclairage métamorphose le
débat ;
paysage durant quelques minutes, les couleurs s’es-
– le synthétiseur, qui rappelle régulièrement ce qui
tompent, la « brume légère » contraste avec le soleil
vient d’être dit ;
rouge et les jeux de lumières intenses qui font étin-
– le secrétaire, qui note les idées-clés dans un cahier
celer le paysage. Saccard voit cette métamorphose
spécifique.
et croit voir de l’or tomber sur Paris.
Afin d’assurer le bon déroulement du débat, le profes-
seur peut proposer un guidage précis. Les participants
HISTOIRE DES ARTS
s’expriment à tour de rôle quand ils ont la parole.
Ainsi, il est important de rappeler certaines règles : Le Boulevard des Capucines est l’œuvre présentée à
on ne répète pas ce qui vient d’être dit, on apporte la « Première exposition des peintres impression-
de nouveaux arguments qui prolongent les propos ou nistes » du 15 avril au 15 mai 1874 au 35 boulevard
les contredisent... des Capucines dans les studios du célèbre écrivain
Le synthétiseur reprend les propos évoqués très et photographe Nadar. Monet a peint la vue qu’il
régulièrement. avait depuis le balcon de cet atelier. Il a voulu rendre
Le président relance régulièrement la discussion. Il l’animation du boulevard des Capucines, avec des
veille à ce que la question posée soit bien débat- personnages qu’il interprète comme de minces
tue. Il demande des précisions aux débatteurs. Il est notations graphiques. En peignant les gens par une
aussi chargé de veiller au bon déroulement du débat composition de taches et de flous colorés plutôt que
(respect de la parole, attitude des élèves...). comme des individus nettement définis, Monet a
À la fin du temps imparti (une vingtaine de minutes), divisé la critique. Louis Leroy, qui avait raillé le célèbre

Impression, soleil levant, affirme que la moitié infé- mesure (« il voyait à ses pieds vingt lieues de pays »,
rieure de la toile semble « léchée en noir ». D’autres l. 46). On relève en outre les nombreuses expansions
louent au contraire l’imprécision des personnages, du nom qui servent à rendre pittoresque la descrip-
dans laquelle ils perçoivent une manière très habile tion du paysage : des adjectifs évaluatifs (« énormes »,
de suggérer « l’instantané dans le mouvant... capté l. 26 ; « grands », l. 27 ; « immense », l. 32), des pro-
dans son cours indicible ». Monet a su choisir son positions subordonnées relatives (l. 26, l. 28-29), des
emplacement : cette vue fixée depuis l’atelier de son groupes prépositionnels comme « embrasé par un
ami Nadar saisit parfaitement le rythme trépidant du soleil d’août » (l. 44). Enfin, même si Julien se trouve
Paris du xixe siècle. dans un cadre qui peut sembler idyllique, l’auteur
n’omet pas de rappeler des détails concrets et précis
ORAL
On pourra guider les élèves en leur expliquant que qui relèvent du quotidien : la somme exacte de son
les peintres impressionnistes sont nombreux à avoir salaire par exemple (l. 7, l. 21, l. 41), ou l’énumération
peint la ville de Paris. Manet immortalise les serveuses des possessions du riche M. de Rênal (l. 39).
de café de Pigalle, ses ambiances, ses loisirs, et ses 2. M. de Rênal accorde à Julien une augmentation
bouleversements, car la capitale du Second Empire parce qu’il croit que son rival dans la ville veut le
et de la Troisième République est remodelée par de débaucher. Le lecteur connaît les calculs de M. de
grands travaux, orchestrés notamment par le célèbre Rênal grâce au point de vue omniscient du narra-
baron Haussmann. Felix Buhot peint le percement teur qui nous dévoile ses pensées (l. 4), mais Julien
de l’avenue de l’Opéra, Camille Pissarro réalise une ne sait pas pourquoi il a obtenu cette augmentation
série de toiles sur la même avenue, vue depuis une (l. 42-43).
chambre du Grand Hôtel du Louvre. Quelques années 3. Les paroles de Julien avec M. de Rênal sont rap-
plus tard, Luigi Loir montre la construction du métro portées au discours direct (l. 3) : ce dialogue anime le
rue de Rivoli. Ces peintres se font en quelque sorte les récit. Son monologue intérieur est ensuite retranscrit
reporters d’un Paris en pleine mutation. C’est le même tantôt au discours direct (l. 18-19, l. 21-22, l. 40-43),
intérêt pour la modernité que trouvent Caillebotte tantôt au discours indirect libre (l. 51). Dans la seconde
dans les perspectives haussmanniennes et Monet partie du texte, les marques du discours direct sont
dans la gare Saint-Lazare. effacées afin de privilégier la fluidité de la lecture et
de diminuer la coupure entre le récit du narrateur et
les pensées du personnage. La focalisation interne sur
GROUPEMENT DE TEXTES COMPLÉMENTAIRES
Julien à partir de la ligne 15 nous permet de connaître
les pensées d’un ambitieux qui se projette déjà à
Ambitieuses et ambitieux l’étape suivante.
4. Synthèse
PAGE 28 Stendhal nous montre un jeune homme dont le
modèle est Napoléon, encore pauvre, mais qui désire
⁄
▶▶
Stendhal,
Le Rouge et le Noir, 1830
Objectifs
s’élever à tout prix dans la société. Il nous révèle son
esprit calculateur : s’il est exalté par ses « victoires »,
il reste lucide et prévoit déjà la prochaine étape. Cette
■■ Découvrir le réalisme de Stendhal.
ambition est symbolisée par sa position physique,
■■ Étudier les effets de sens induits par la focalisation.
puisque le jeune homme, en se retirant dans la mon-
■■ Identifier et analyser la variété des discours
tagne, s’élève matériellement et peut ainsi rêver à
rapportés.
dominer son destin.
■■ Rédiger un écrit d’appropriation.
PARCOURS 1. Compétences de lecture ŒUVRE INTÉGRALE
1. Stendhal utilise des noms propres (Verrières, Vergy, Comme Julien, Rastignac est pauvre quoique noble :
Napoléon) afin de créer un effet de réel et d’ancrer l’argent revêt donc une importance singulière. Cette
l’extrait dans un univers géographique et historique. pauvreté nourrit aussi son désir de réussite, exacerbé
Le paysage est décrit à l’aide de repères qui ont une par la fréquentation de milieux plus riches. Enfin,
valeur absolue, comme par exemple des unités de Rastignac est caractérisé avant tout comme un ambi-

tieux, au point que ce trait de caractère le détermine
HISTOIRE DES ARTS
exclusivement (l. 10-11, extrait 3). On pourra aussi
comparer cet extrait au dénouement du Père Goriot Le paysage du tableau rappelle celui de la montagne
(p. 38). Tous deux se situent dans un lieu élevé qui leur gravie par Julien : on retrouve le sentiment de sublime
permet de prendre de la hauteur par rapport aux aléas caractéristique du romantisme avec les « énormes
de leur existence, et tous deux adoptent la même atti- rochers ». La solitude du personnage peint de dos et
tude de défi vis-à-vis de la société : Julien savoure sa le sentiment de fusion avec le paysage qui reflète un
première victoire, Eugène s’apprête à conquérir Paris. état d’âme sont également présents dans le texte.
PARCOURS 2. Compétences d’écriture Caspar David Friedrich est un peintre allemand né
Il s’agit de faire écrire la page du journal intime de à Greifswald en 1774 et mort à Dresde en 1840. Il
Julien concernant les événements relatés dans cet étudie à l’Académie des beaux-arts de Copenhague
extrait. Pour ce faire, on pourra montrer aux élèves de 1794 à 1798, puis s’installe à Dresde, en Saxe.
des exemples de journaux intimes, à commencer par Après quelques portraits, Friedrich s’oriente vers la
des extraits du journal intime de Stendhal, dans lequel carrière de paysagiste, et travaille sur des paysages
il fait état de sa carrière politique, de sa passion pour de la Baltique, notamment l’île de Rügen. Il sera un
le théâtre, de ses goûts littéraires, de ses amours, de des chefs de file du mouvement du romantisme en
son intérêt pour les faits divers. peinture et sa peinture se caractérise par des paysages
Les élèves seront amenés à déterminer les caracté- emplis d’intériorité et d’étrangeté, d’où s’échappe un
ristiques d’écriture propres à ce genre. Ils devront en fort sentiment de solitude, de doute du croyant dans
particulier saisir qu’il s’agit d’un texte rédigé de façon un monde qui semble abandonné de Dieu.
régulière ou intermittente, et dont les entrées sont La composition de la toile met en scène trois plans
habituellement datées. bien distincts. Au premier plan, on peut voir un
D’autre part, ils pourront remarquer que le récit des homme, de dos, qui s’appuie à l’aide d’une canne
faits s’entremêle avec les réflexions et les sentiments sur un rocher occupant un tiers du tableau. Ce per-
de l’auteur, car il s’agit d’une forme d’écriture autobio- sonnage se tient au centre de la peinture. Au second
graphique, dont le diariste est le premier destinataire, plan, on distingue un paysage brumeux composé
surtout si le journal intime est destiné à être gardé de montagnes et de roches qui disparaissent dans
secret, ce qui est généralement le cas. d’épais nuages. Enfin, l’arrière-plan est occupé par
1. Les élèves doivent reprendre les noms des person- le ciel. Le tableau est composé couleurs peu nom-
nages, la question du salaire, les éléments du paysage, breuses. Quelques bleus et gris, du crème et du blanc.
le surgissement de l’aigle. La gamme chromatique reste froide. La lumière, quant
2. Grammaire à elle, vient de face, elle se reflète du ciel sur la mer
Pour écrire le journal intime, il faudra utiliser la pre- de nuages et accentue cette tonalité froide de la toile.
mière personne du singulier, les temps du passé L’homme semble dominer le paysage, car il est au-
composé, du présent et du futur. dessus de lui, et celui-ci semble si grandiose que l’on
3. On peut supposer que ces « pénibles recherches » peut y déceler une représentation de l’au-delà. Cette
doivent permettre au jeune homme de décou- véritable « mer de nuages », comme le suggère ce titre
vrir les raisons pour lesquelles M. de Rênal a cédé, métaphorique, est le symbole de l’infini. Là, l’homme
et lui a accordé l’augmentation qu’il réclamait. Le prend conscience de sa véritable place dans l’Univers,
terme « pénibles » peut s’entendre de deux façons. et peut-être de sa finitude.
Premièrement, l’enquête à laquelle Julien va se livrer
risque d’être semée d’embûches. Deuxièmement, PAGE 30
la vérité qu’il découvrira risque en elle-même de se
révéler pénible, et d’atteindre ce jeune Napoléon en
herbe dans son amour-propre. En effet, il prendra ¤ Maupassant,
Bel-Ami, 1885
Objectifs
conscience que son mérite personnel n’a aucune part ▶▶
dans son triomphe, entièrement dû à l’orgueil de M. ■■ Découvrir un duo d’ambitieux en action.

de Rênal qui ne veut pas que Julien aille travailler pour ■■ Comprendre comment l’écrivain réaliste représente
son rival, M. Valenod. un milieu social et professionnel précis.

1. ENTRER DANS LE TEXTE si Duroy ajoute parfois « quelques lignes » (l. 32). Le
Les élèves pourront discuter et débattre. Dans cet fait qu’elle fume (l. 12) est un signe de cette indépen-
extrait, Madeleine apparaît clairement comme le dance d’esprit par rapport aux stéréotypes féminins
mentor de Georges, ou du moins comme une sorte de l’époque, car fumer est l’apanage des hommes au
de muse qui aide son compagnon en panne d’ins- xixe siècle.
piration en s’appliquant « à lui souffler ses phrases 6. Synthèse
tout bas, dans l’oreille ». Elle sait que les ambitions Le texte décrit un couple bien assorti : Madeleine
politiques du couple ne seront satisfaites qu’à condi- et Georges ont les mêmes objectifs, ils ont chacun
tion de peser sur le débat public, et d’utiliser à leur des qualités intellectuelles égales et se complètent
profit le pouvoir d’influence de la presse sur l’opinion parfaitement. Ils coopèrent pour atteindre leur but.
publique : « On m’a apporté des nouvelles graves, On pourra proposer en ouverture la suite du roman,
tantôt, des nouvelles du Maroc. C’est Laroche- quand les époux se séparent (leur alliance est de
Mathieu le député, le futur ministre, qui me les a circonstance) ou la lecture de la séquence 2 « Des
données. Il faut que nous fassions un grand article, femmes libres ? »
un article à sensation. »
Il s’agit d’un véritable duo d’ambitieux, dans lequel VERS LE BAC. Dissertation
chacun joue son rôle. Si l’idée générale et l’inspira- On pourra proposer le plan suivant :
tion reviennent à Madeleine, Georges, lui, sait se 1. Un personnage de roman peut constituer un
saisir des idées de sa compagne pour les transformer modèle, support d’identification et de rêverie
en une redoutable machine de guerre médiatique. 2. Mais les réalistes privilégient des héros ordinaires
« Il l’écoutait avec attention, tout en griffonnant des
ŒUVRE INTÉGRALE
notes, et quand il eut fini il souleva des objections,
reprit la question, l’agrandit, développa à son tour Comme Rastignac, Duroy utilise les femmes pour
non plus un plan d’article, mais un plan de campagne parvenir à ses fins. Séduites, celles-ci aident les
contre le ministère actuel. Cette attaque serait le jeunes ambitieux à faire leurs premiers pas : Mme de
début. » Beauséant délivre des conseils à Rastignac et lui donne
2. Langue son nom comme premier passeport pour entrer dans
Les qualités intellectuelles des personnages sont la société, Madeleine aide Duroy à écrire ses articles.
soulignées par des énumérations (de verbes d’action,
l. 12-13, l. 15), par des adverbes qui expriment l’in- PAGE 31
tensité (« c’est très bon… c’est très fort ») ou par les
comparatifs « plus profonde et plus puissante » (l. 32).
3. Grammaire ‹ Maupassant,
préface de Pierre et Jean, 1888
Objectifs
Dans le texte alternent les pronoms personnels « elle » ▶▶
et « il » : Madeleine commence (l. 12-13), Georges ■■ Connaître un texte théorique majeur.

■■ Approfondir la définition du réalisme en littérature
poursuit (l. 14-18), l’un prend le relais de l’autre. Ils
fusionnent dans le pronom de première personne du et en peinture.
pluriel employé par Madeleine (« nous avons à travail- 1. ENTRER DANS LE TEXTE
ler », l. 1 ; « maintenant écrivons », l. 22). L’adjectif « vraisemblable » est composé à partir du
4. Les détails rappellent la mort de Forestier, qui radical « vrai ». Ce qui est vrai ne le semble pas tou-
était l’ami de Duroy et le mari de Madeleine. Duroy jours, la vérité est parfois cocasse, illogique, due au
s’approprie sans aucun scrupule les objets du défunt, hasard, inexplicable (l. 15-16).
dont il a épousé la veuve. Ces détails révèlent donc 2. Maupassant ne pense pas qu’il soit possible de
un homme cynique prêt à tout pour réussir et qui ne copier strictement la réalité. Il distingue les « artistes »
s’encombre pas de la morale. qui cherchent « non pas à nous montrer une photo-
5. Madeleine ne se contente pas d’être une femme graphie banale de la vie, mais à nous en donner une
au foyer : c’est elle qui prend l’initiative et elle qui a vision plus complète, plus saisissante, plus probante
glané les informations auprès du ministre (l. 4), c’est que la réalité même ». L’adverbe « servilement »
elle aussi qui écrit en grande partie l’article, même (l. 22) révèle son mépris pour ce type d’artistes.

3. Grammaire PAGE 32
Le texte commence par le connecteur logique d’op-
position « mais » qui introduit une nuance dans la
présentation du réalisme. Avec les conjonctions de
coordination « car » (l. 6, l. 11), Maupassant présente
› erec, L’Art et la manière d’aborder
P
son chef de service pour lui demander
une augmentation, 1968
ses arguments : « le vrai n’est pas toujours vraisem- ▶▶ Objectifs
blable », et « raconter tout serait impossible ». Il en ■■ Découvrir un texte relevant de l’écriture à contrainte
tire une première conclusion : « un choix s’impose oulipienne.
donc » (l. 13). S’ajoute ensuite un nouvel argument ■■ Étudier les effets produits par l’absence de ponc-
introduit par le connecteur « en outre » – la réalité tuation.

est très disparate –, dont découle la conséquence 1. ENTRER DANS LE TEXTE
« voilà pourquoi » (l. 18-20). Le dernier paragraphe Le texte peut paraître surprenant du fait de l’absence
est une conclusion, marquée par le connecteur totale de ponctuation. Le fait que le narrateur s’ex-
« donc ». prime à la deuxième personne du pluriel (« vous vous
4. Selon Maupassant, il est impossible de copier stric- décidez à aller trouver votre chef de service »), comme
tement la réalité, car ce serait trop long, et ininté- dans La Modification, est également inhabituel. Enfin,
ressant. Les artistes qui se disent réalistes cherchent le nom des personnages « mr x » et « melle y » renvoie
donc à donner l’impression de la réalité plutôt qu’à plutôt à l’univers mathématique.
la copier fidèlement. Ce sont des « illusionnistes » au
2. Le point de vue est intérieur : le lecteur se trouve
sens où ils présentent ce qu’ils écrivent, qui résulte
placé dans le « flux de conscience » du personnage. Il
d’un choix, comme si c’était la réalité, alors que ce
suit les méandres de son raisonnement et partage sa
n’est qu’une « illusion ».
panique avec cette succession sans fin d’hypothèses.
5. SYNTHÈSE
3. Grammaire
Le texte propose de nuancer la devise de certains
La suppression de la ponctuation rend compte
réalistes « rien que la vérité et toute la vérité » et
du désordre des pensées du personnage et de son
distingue les réalistes des photographes. Le réalisme
angoisse : il est tellement anxieux à l’idée de deman-
est surtout défini comme une illusion, puisque copier
der une augmentation qu’il ne cesse de penser à ce
exactement la réalité est impossible. Néanmoins,
qu’il va faire et qu’il doit « prendre son courage à deux
Maupassant souligne l’intérêt de cette démarche, car
mains ». L’absence de respiration dans le texte traduit
le réalisme propose selon lui une « vision plus com-
cette anxiété.
plète, plus saisissante, plus probante que la réalité
même ». 4. On relève dans le texte plusieurs formules qui
distinguent tous les cas possibles selon une sorte
HISTOIRE DES ARTS de calcul de probabilité : « ou bien… ou bien » (l. 5,
l. 16-17). Les propositions introduites par « si »
Jean-François Millet (4 octobre 1814-20 janvier 1875)
permettent d’examiner les différentes hypothèses
est un peintre, graveur et dessinateur de l’école de
possibles « si mr x était dans son bureau » (l. 6) ou
Barbizon et du mouvement réaliste. Influencé par
« supposons » (l. 8). Le personnage emploie enfin des
Courbet, il est essentiellement connu pour ses scènes
termes mathématiques « solution », « sèche démons-
de la vie paysanne.
tration » ou réduction des noms de personnages à
Le tableau est réaliste par le choix du sujet : il repré-
des membres d’une équation « mr x » et « mlle y ».
sente le quotidien et met en scène une catégorie
sociale pauvre. Les glaneuses ne sont pas idéalisées, 5. L’impression comique du texte découle de la répé-
comme le montrent la couleur de leur peau, tannée tition de ce procédé et du décalage entre la subtilité
par le soleil, ou leurs vêtements. de ces disjonctions de cas et l’inaction du personnage.
Millet présente également leurs conditions de travail 6. SYNTHÈSE
pénibles, courbées vers la terre, en symbole de leur Fidèle aux jeux d’écriture à contraintes caracté-
condition sociale. Il semble avoir décomposé le mou- ristiques de l’OuLiPo, Perec se donne pour objectif
vement avec les trois personnages, comme une sorte littéraire de retranscrire les informations contenues
de photographie. dans un organigramme de décision, nouvelle forme

de document de management d’entreprise apparu à menter le passage suivant, qui aborde la disparition
son époque. À chaque boucle effectuée dans l’orga- d’une espèce animale, pour laquelle la « prédatrice »
nigramme décisionnel, Georges Perec introduit une n’a que peu de considération au regard des profits
légère variante. Le texte prend petit à petit de l’am- considérables que peut susciter la fonte des glaces :
pleur, de la densité et nous entraîne dans un délire kaf- « L’ours blanc n’a plus que quelques années à vivre, et
kaïen et absurde, qui nous donne l’impression d’entrer c’est très triste. Mais cette débâcle ouvre également
dans la conscience tourmentée de son personnage les mers polaires au trafic maritime : cargos et tankers
par l’usage du point de vue interne. La suppression pourront bientôt relier la côte est des États-Unis à
de la ponctuation et la déroute de ses capacités de la Chine en empruntant le passage du Nord-Ouest,
raisonnement traduisent sa panique et son angoisse gagnant près de 7 500 kilomètres sur l’itinéraire
irrationnelle. actuel. » Ainsi, la façon dont elle tente de convaincre
ses investisseurs de contribuer à un fonds d’inves-
HISTOIRE DES ARTS tissement spéculant sur le réchauffement climatique
Cette image provient de l’adaptation de ce texte au fait de cette femme un personnage cynique, amoral,
théâtre, mise en scène par Anne-Laure Liégeois au ambitieux et déterminé.
théâtre du Rond-Point en 2011. Le décor est constitué 2. Le personnage féminin projette un diaporama. Elle
de quelques objets caractéristiques d’un bureau : des fait allusion aux conditions dans lesquelles sont reçus
fauteuils séparés par une machine, une table de verre. les actionnaires : « la glace qui flotte dans vos verres »,
Ces objets donnent une impression de froideur (lignes « refroidir vos cocktails ».
droites, moquette grise). Les personnages sont vêtus 3. Les données chiffrées créent un effet de réel : le
de costumes aux couleurs ternes, qui sont comme des texte produit l’illusion du vrai en donnant l’impression
uniformes. Ils se tiennent de manière raide, parallèles d’une grande précision. L’utilisation de noms propres
l’un à l’autre. Ils ne se regardent pas et ne se parlent (Arabie Saoudite, Arctique) et du champ lexical
pas. La mise en scène donne donc une vision d’un du commerce et de l’exploitation minière (« trafic
monde professionnel très froid. maritime », « cargos et tankers », ressource »…) sont
d’autres effets de réel.
ŒUVRE INTÉGRALE
4. Grammaire
La position du narrateur balzacien est celle d’un nar- La conjonction de coordination « et » ajoute un
rateur extérieur à ses personnages, mais qui sait tout commentaire, une conséquence du fait énoncé dans
sur eux. Il donne l’impression d’objectivité et explique la première phase. Le connecteur logique « mais »
tout, comme un historien. introduit une opposition et une rupture de ton : on
Le narrateur balzacien est donc très différent de celui passe du pathétique (très réduit) « c’est très triste » à
de Perec, qui ne prend pas de recul par rapport au une vision rationnelle qui envisage les nouvelles pos-
personnage. sibilités commerciales crées par la fonte de la ban-
quise (l’ours blanc disparaît au profit des « cargos et
PAGE 33 tankers »). La ponctuation avec les deux points permet
d’expliciter la première phrase.
∞
▶▶
Philippe Vasset, Journal intime
d’une prédatrice, 2010
Objectifs
5. Les commentaires entre parenthèses du collabora-
teur de la « prédatrice » permettent de comprendre les
techniques de persuasion qu’elle utilise : les pauses lui
■■ Découvrir une fiction romanesque fondée sur une permettent de « juger l’effet produit » ou « d’installer
enquête documentaire rigoureuse. une tension dramatique ». La composition des images
■■ Comprendre que le romancier contemporain peut
faites de « formes géométriques », de « coupe » ou
faire œuvre d’engagement. de « masses » donne une coloration scientifique
1. ENTRER DANS LE TEXTE au discours afin de renforcer l’autorité de l’oratrice
Ce personnage constitue le type contemporain de la pour mieux convaincre par des preuves rationnelles.
femme d’affaires sans scrupules, prête à tout pour Elle joue enfin de la séduction en ne négligeant pas
accroître la puissance financière de son entreprise. l’aspect esthétique du diaporama : « masses diver-
On peut par exemple suggérer aux élèves de com- sement bleutées », « lettres géantes ». Elle cherche

donc aussi à persuader son auditoire en veillant à lui EXERCICE 5. Réécriture
être agréable et en l’impliquant directement dans sa Le texte proposé est inspiré des portraits-charges que
démonstration (l. 1-3). l’on peut lire par exemple sous la plume de La Bruyère
6. Synthèse dans ses célèbres Caractères. Dans ce genre de texte,
L’auteur dénonce le cynisme des milieux capitalistes le registre satirique opère au service de l’argumen-
qui ne pensent qu’au profit et à la manière dont ils tation épidictique du blâme. On pourra conseiller
peuvent exploiter les ressources naturelles, sans se aux élèves de recourir à des procédés d’amplifica-
soucier de l’avenir de la planète ou des conséquences tion comme l’hyperbole, les accumulations et les
négatives qu’ils entraînent. anaphores.
PAGE 35
PAGE 34
LECTURES CURSIVES
LEXIQUE ET ÉCRIT D’APPROPRIATION
Dossier personnel
EXERCICE 1. Préfixes négatifs
1. inassouvie – inavouable – indéterminée – infinie
L’objectif est d’amener les élèves à relire les textes
– effrénée – désintéressée – injustifiée – illégitime
étudiés dans la séquence, sous des formes variées
– illimitée – démesurée – immodérée – insatiable
qu’on peut leur laisser choisir.
– insatisfaite
4. L’ambition de Rastignac est illimitée, insatiable, ACTIVITÉ 1
démesurée, effrénée. Ses désirs sont inassouvis. Il L’interview fictive constitue une forme originale de
emploie parfois des moyens inavouables, injustifiés, restitution des connaissances acquises sur un écri-
illégitimes. vain. Elle a pour but de présenter les éléments bio-
graphiques saillants, puis de présenter et d’expliquer
EXERCICE 2. Dérivation ses principales œuvres. Les élèves doivent mentionner
1. Verbe : arriver des éléments de l’intrigue, les personnages, le cadre
Noms communs : carrière, ego et centre, individu, spatio-temporel, et la lecture d’un extrait peut être
matière bienvenue. Les questions posées porteront sur les
Adjectifs : cynique, opportun, réel, snob, pragmatique éléments ayant retenu l’attention des élèves. Elles
Nom propre : Machiavel peuvent porter sur les thèmes développés, les enjeux
2. arriviste, carriériste, cynique, égocentrique, égoïste, de l’œuvre, le message qu’a voulu transmettre l’écri-
individualiste, machiavélique, matérialiste, opportu- vain, le style, les choix d’écriture. Les élèves pourront
niste, pragmatique, réaliste, snob choisir d’imiter le langage oral, à travers divers pro-
EXERCICE 3. Connotations cédés comme le recours à des expressions du langage
1. image négative : calculateur, fourbe, manipulateur, parlé, voire des tournures familières, et l’usage privi-
manœuvrier, matois, perfide, retors, roublard, roué, légié de phrases courtes. On pourra leur conseiller
simulateur, sournois, tortueux, trompeur quelques techniques pour faire avancer le dialogue,
Image positive : habile, ingénieux, intelligent, lucide, comme les questions ouvertes, les reprises, les recen-
malin, pénétrant, rusé, subtil, stratège trages, et les rebonds possible à partir d’un mot, d’une
2. Julien Sorel est lucide. Georges Duroy est intelli- idée, qui donneront à leur production la vivacité et le
gent. Le personnage de Perec est calculateur. La pré- naturel d’un véritable échange oral.
datrice est manipulatrice. ACTIVITÉ 2. Une anthologie de citations
EXERCICE 4. Polysémie L’anthologie de chaque élève pourra être exploitée en
classe, sous la forme d’un florilège collectif regroupé
1. La faim et l’appétit : désir de manger, envie ou désir
par thèmes dans un abécédaire.
La soif : besoin de boire, plus largement envie ou désir
Rapace : oiseau prédateur, plus largement cupide ACTIVITÉ 3. Coup de cœur et coup de poing
2. La soif de Duroy est symbolique, car il convoite la Le professeur rappellera aux élèves que le genre de
richesse des autres consommateurs. l’éloge recourt à tous les procédés du registre lau-

datif : un vocabulaire mélioratif ; des figures par travail – s’opposent aux artistes épris d’idéalisme. Ils
amplification (hyperbole) ou par opposition, des seront amenés à préciser que le réalisme est à son
répétitions (anaphore, accumulation, énumération) ; apogée avec l’école de Barbizon, représentée par
des métaphores et des comparaisons valorisantes ; Millet et Courbet, avant d’évoluer sous l’appellation
un rythme et une syntaxe qui donnent souvent une de naturalisme dans les années 1880.
allure emphatique au discours. 5. Les productions individuelles oulipiennes pour-
Inversement, les procédés les plus couramment uti- ront faire l’objet d’une anthologie publiée sur le site
lisés pour blâmer sont : un vocabulaire péjoratif ; les Internet de l’établissement.
mêmes figures par amplification que ci-dessus qui
accentuent la réprobation, exagèrent la critique ; des
PAGE 38
métaphores et des comparaisons dépréciatives ; une
ponctuation expressive, des phrases de type excla- BAC Commentaire
matif ou interrogatif qui traduisent, par exemple, la Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835
colère et l’indignation du locuteur. Les élèves sont invités à commenter le célèbre excipit
ACTIVITÉ 4. L’Histoire d’une ambitieuse du roman, qui présente un double achèvement : d’une
On pourra conseiller aux élèves de s’inspirer de la part celui de la vie de dévouement du père Goriot,
scène de bal du Père Goriot (extrait 2, page 21) et du d’autre part celui de l’éducation de Rastignac. Ils pour-
tableau de Jean Béraud pour développer le contexte ront, par exemple, construire un plan proposant les
de leur nouvelle. deux parties suivantes :
1. Un enterrement pathétique
PAGES 36-37 2. La fin de la formation de Rastignac
COUPS DE POUCE
– Le champ lexical de l’argent est très présent dans
HISTOIRE LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE
cet excipit. Il constitue un des motifs récurrents du
1. La période du réalisme et du naturalisme peut se roman réaliste. L’argent est présenté comme une
caractériser par les mots-clés suivants : représenta- nécessité qui fait cruellement défaut, y compris dans
tion, milieux sociaux, vie quotidienne, sciences expé- ce moment pathétique et solennel qu’est l’enterre-
rimentales, comportements humains. ment du père Goriot. À l’église, les prières se mon-
naient, et les personnages obtiennent « tout ce qu’on
2. La présentation orale des élèves gagnera à être illus-
peut avoir pour soixante-dix francs dans une époque
trée d’œuvres de l’époque, en particulier de tableaux
où la religion n’est pas assez riche pour payer gratis »
impressionnistes de Monet, Manet, Buhot, Pissarro.
(l. 2-3). Au cimetière, le clergé mesure son temps sur
On pourra conseiller aux élèves de consulter le site
« l’argent de l’étudiant » (l. 14). Dans la fosse même,
du musée d’Orsay.
« l’un des fossoyeurs lui demanda un pourboire »
3. L’attitude du personnage rappelle celle de Rastignac (l. 15), ce qui contraint Rastignac à « emprunter vingt
lançant un défi à Paris qu’il contemple depuis les hau- sous à Christophe ». L’impératif économique contri-
teurs du Père-Lachaise. Les élèves pourront choisir de bue à désacraliser le cérémonial de l’enterrement,
donner à leur texte les caractéristiques du monologue assimilé à une simple prestation de service.
intérieur romanesque : des phrases nominales, des – Le narrateur omniscient est en empathie avec
énumérations, une logique peu visible (idées juxtapo- Rastignac. Il souligne le pathétique de la scène, qui
sées, association d’idées, parataxe, ellipses), une ponc- constitue pour son héros une épreuve fondatrice de
tuation inhabituelle. S’ils le souhaitent, ils pourront son apprentissage des vicissitudes de la société. Les
également lui donner une forme plus construite, ins- « deux voitures armoriées, mais vides » sont celles
pirée des méditations de Julien Sorel dans l’extrait de des deux filles du défunt. Elles ne sont pas présentes à
Stendhal, dont le monologue intérieur est retranscrit l’enterrement de leur père qui a pourtant tout sacrifié
tantôt au discours direct, tantôt au discours indirect pour elles. Cette mention souligne leur ingratitude.
libre (voir question 3 page 29). – Par deux fois, le père Goriot est désigné comme un
4. Les élèves pourront montrer que les peintres atta- simple « corps » (l. 9, l. 11), ce qui achève de désacra-
chés à la réalité quotidienne – notamment celle du liser ce moment solennel.

– Le cadre spatio-temporel présente une forte dimen- leur argumentation à l’aide des différents extraits
sion symbolique du parcours de formation du héros. étudiés aux pages 20 à 23. Ils pourront également
Le fait que Rastignac se trouve dans un cimetière, à tirer profit du texte proposé à la page 38 pour le com-
la nuit tombante, symbolise la perte de ses dernières mentaire. Enfin, on pourra les inviter à se reporter au
illusions, de ses idéaux. En même temps que le père célèbre discours que Vautrin adresse au jeune homme
Goriot, Rastignac enterre son innocence dans cette dont il trace le destin (p. 125-127).
tombe où il « ensevelit sa dernière larme de jeune
DISSERTATION RÉDIGÉE
homme » (l. 20).
Le Père Goriot peut se lire comme le roman de for-
Par ailleurs, la localisation du cimetière est émi-
mation d’Eugène de Rastignac. À travers différentes
nemment symbolique : celui-ci domine Paris, ce qui
épreuves, tentations et rencontres, le personnage
permet à Rastignac de lancer un défi à la capitale qu’il
principal s’initie au fonctionnement de la société ou
surplombe et voit comme « ruche bourdonnante »
de l’être humain, en même temps qu’il forge sa propre
dont il s’apprête à « pomper le miel » (l. 25-30).
individualité. Peut-on considérer que le personnage de
– La contemplation des nuages par Rastignac est une
Rastignac constitue un modèle pour le lecteur ? Dans
posture éminemment romantique, qui peut être rap-
un premier temps, nous constaterons que Rastignac
prochée de celle du célèbre Voyageur contemplant
est avant tout le type de l’ambitieux, auquel le lecteur
une mer de nuages, peint par Caspar David Friedrich
ne semble pas pouvoir s’identifier dans la mesure
en 1818 (p. 29). Cette attitude peut être interprétée
où sa réussite et certains traits de sa personnalité
comme le signe d’une méditation, et la phrase précé-
semblent assez critiquables. Dans un second temps,
dente semble laisser penser que celle-ci est de nature
on sera amené à comprendre que Rastignac est un
religieuse, voire métaphysique, puisque la larme du
être ambivalent qui, malgré son ambition, fait preuve
jeune homme est due à ses « saintes émotions » et
d’humanité, et que c’est la société qui le contraint
rejaillit « jusque dans les cieux ».
au cynisme.
– Paris est décrite comme une sorte de monstre indus-
trieux. On remarque notamment l’expression méta- 1. Rastignac n’est pas un modèle à suivre, car il
phorique « tortueusement couché » qui en suggère incarne le type de l’ambitieux vaniteux attiré par
l’animalité, voire la monstruosité. Ensuite, le narrateur le luxe de la haute société (extraits 2 et 4).
emploie la métaphore de la « ruche bourdonnante », Si le roman retrace l’itinéraire du jeune homme
qui souligne l’activité incessante et la production à la conquête de la haute société, celui-ci ne doit
d’une richesse convoitée par le personnage. Pour finir, son ascension sociale qu’à ses talents de séducteur,
les éléments architecturaux soulignent la beauté et la suivant en cela le conseil identique de deux initiateurs
majesté de cette capitale, tout comme les lumières très différents : une femme du grand monde et un
dont elle se pare au crépuscule. ancien bagnard mystérieux.
– La volonté exacerbée de la conquête s’énonce de C’est tout d’abord sa cousine madame de Beauséant
façon concentrée dans la fameuse apostrophe à la qui, par dépit amoureux, dévoile à Rastignac les
capitale : « À nous deux maintenant ! » Le jeune ambi- arcanes de la haute société qu’elle connaît bien pour
tieux, parvenu au terme de son initiation, affirme sa en être elle-même une des figures les plus en vue. Ses
volonté de prendre possession de tout ce qui s’offre et succès féminins seront la clé de sa réussite sociale, et
se déploie sous son regard. Par ces « mots grandioses » sa cousine lui indique la marche à suivre pour conqué-
de conquérant, dans une déclamation quelque peu rir Delphine de Nucingen, afin qu’elle devienne son
théâtrale et emphatique en harmonie avec sa posture faire-valoir : « La belle madame de Nucingen sera pour
physique, il marque l’assurance de la jeunesse, sa vous une enseigne. Soyez l’homme qu’elle distingue,
détermination, sa présomption aussi. les femmes raffoleront de vous. Ses rivales, ses amies,
ses meilleures amies, voudront vous enlever à elle. »
PAGE 39 L’énigmatique Vautrin lui-même corrobore ces
conseils et encourage Rastignac dans son entreprise,
BAC Dissertation sur une œuvre intégrale sur un ton plus familier et non moins cynique, en
Le sujet invite les élèves à porter un regard nuancé sur soulignant le goût du jeune homme pour le faste de
le personnage principal du roman. Comme le suggère la haute société : « Voilà le carrefour de la vie, jeune
le « coup de pouce » de l’étape 2, ils peuvent nourrir homme, choisissez. Vous avez déjà choisi : vous êtes

allé chez notre cousine de Beauséant, et vous y avez serez craint. N’acceptez les hommes et les femmes
flairé le luxe. » que comme des chevaux de poste que vous laisserez
La scène du bal chez madame de Beauséant est crever à chaque relais, vous arriverez ainsi au faîte
particulièrement révélatrice du comportement de de vos désirs. » La violence inattendue du terme
notre jeune ambitieux. Ayant mis en pratique les « crever », dans la bouche de cette femme de haute
conseils de sa cousine, Rastignac paraît auréolé de lignée, révèle son profond mépris pour la corruption
son succès, envié par tous ses rivaux pour ses talents de son monde, « une réunion de dupes et de fripons ».
de séducteur : « La conquête de madame la baronne Une telle vision pessimiste trouve un écho dans le
de Nucingen, qu’on lui donnait déjà, le mettait si discours de Vautrin, qui recourt lui aussi à une com-
bien en relief, que tous les jeunes gens lui jetaient paraison animale frappante pour définir la situation de
des regards d’envie. » Rastignac : « Une rapide fortune est le problème que
Le narrateur dépeint les « premiers plaisirs de la se proposent de résoudre en ce moment cinquante
fatuité » qu’éprouve alors le jeune homme, et conclut mille jeunes gens qui se trouvent tous dans votre posi-
la scène par une remarque ironique : « cette soirée tion. Vous êtes une unité de ce nombre-là. Jugez des
eut donc pour lui les charmes d’un brillant début, et efforts que vous avez à faire et de l’acharnement du
il devait s’en souvenir jusque dans ses vieux jours, combat. Il faut vous manger les uns les autres comme
comme une jeune fille se souvient du bal où elle a eu des araignées dans un pot, attendu qu’il n’y a pas cin-
des triomphes. » La comparaison du héros à une jeune quante mille bonnes places. » Qu’il s’agisse de traiter
fille, qui suscite le sourire du lecteur, laisse transpa- les autres comme des « chevaux de poste » qu’il n’y
raître un certain mépris pour ce jeune homme, dont a qu’à laisser « crever », ou de se « manger les uns les
les seuls exploits sont des conquêtes féminines. autres comme des araignées dans un pot », la société
vue par les personnages de Balzac s’apparente à une
2. Toutefois, c’est un être ambivalent qui, malgré
jungle dangereuse dans laquelle chacun se doit de
son ambition, fait preuve d’humanité (extrait 3), tout faire pour rester en vie.
et c’est la société qui le contraint au cynisme Enfin, l’excipit du roman, qui constitue la conclusion
(extrait 5). de l’itinéraire de formation de Rastignac, est l’occa-
En premier lieu, on peut remarquer que le « désir sion pour le narrateur de porter sur son personnage
de parvenir » de Rastignac se justifie par des raisons un regard relativement bienveillant et assez nuancé.
économiques. En effet, sa famille désargentée se Son désir de parvenir ne le définit pas entièrement,
trouve dans une situation de « constante détresse » puisqu’il se révèle capable d’agir par pure générosité,
que ses parents tentent de dissimuler, mais dont le notamment envers le père Goriot qu’il accompagne
jeune homme a bien conscience. « L’avenir incertain comme un fils jusqu’à son dernier souffle, alors que ses
de cette nombreuse famille » attise son ambition, qui propres filles l’ont abandonné. Le narrateur confère
trouve une justification altruiste. D’ailleurs, dès les d’ailleurs à son personnage une certaine noblesse
premières pages du roman, le narrateur avait souligné d’âme : « il regarda la tombe et y ensevelit sa dernière
la pureté originelle de son héros : « comme il arrive larme de jeune homme, cette larme arrachée par les
aux âmes grandes, il voulut ne rien devoir qu’à son saintes émotions d’un cœur pur, une de ces larmes
mérite. » qui, de la terre où elles tombent, rejaillissent jusque
De plus, si Rastignac n’a pas d’autre solution que les dans les cieux. »
conquêtes féminines pour réussir, force est de consta- En conclusion, on constate que Rastignac n’est ni
ter que c’est la corruption de la société elle-même qui un modèle ni un anti-héros. Balzac semble avoir
le contraint à agir ainsi. On le perçoit dès le discours mis beaucoup de lui-même dans ce personnage qui,
de madame de Beauséant. Dans un monde régi par comme lui, est né en 1799, a deux sœurs dont l’une
« la corruption féminine » et « la misérable vanité se prénomme Laure, fait ses études de droit et rêve
des hommes », elle lui trace une ligne de conduite d’ascension sociale. C’est un personnage complexe,
impitoyable et cynique : « Plus froidement vous cal- tiraillé entre une certaine pureté d’âme originelle et
culerez, plus avant vous irez. Frappez sans pitié, vous les tentations d’une société corrompue.

séquence ¤
Des femmes libres ?
OBJECTIFS ET PRÉSENTATION mais aussi sur la réécriture de Zola et l’amplification,

DE LA SÉQUENCE à l’appui de l’exemple du passage de la morgue.
Les prolongements artistiques et culturels, « Le
La séquence « Des femmes libres ? » se construit
réalisme : la modernité du quotidien » (p. 46) et « Le
autour de la lecture intégrale de la nouvelle d’Émile
réalisme en débat » (p. 47) permettent de comprendre
Zola Un mariage d’amour, publiée en 1866, et d’un
pourquoi les mouvements réaliste et naturaliste ont
groupement de textes complémentaires intitulé « Des
fait scandale dans l’opinion publique à leur époque, et
femmes en quête de liberté ». La majorité des textes
cela tout d’abord dans le domaine de la peinture. Les
proposés entrent dans le cadre de deux mouvements
pages d’histoire littéraire qui portent sur « la nou-
littéraires et culturels importants : le réalisme et le
velle réaliste » (p. 58-59) mettent le genre littéraire
naturalisme (G. Sand, G. Flaubert et É. Zola), même si
d’Un mariage d’amour en perspective et rappellent
l’ensemble embrasse toute l’amplitude chronologique
l’importance de la nouvelle au xixe siècle, en lien avec
de l’objet d’étude, du xviiie siècle, avec Les Liaisons dan-
le développement de la presse. Ces compléments per-
gereuses, à la littérature contemporaine avec La Tresse
mettront aux élèves d’aborder, d’une part le com-
(2017). Cette séquence conduit les élèves à s’interro-
ger sur la condition des héroïnes présentées dans les mentaire guidé d’un extrait (p. 59), d’autre part la
textes et à la liberté qu’elles cherchent, parfois qu’elles rédaction d’une dissertation sur l’œuvre, conformé-
revendiquent ou qu’elles vivent. Ainsi, les romanciers ment aux nouvelles épreuves anticipées de français
mettent en scène des femmes qui expriment cette (EAF).
volonté d’être traitées à l’égal des hommes, boule- Le groupement de textes complémentaires enri-
versant ainsi les valeurs dominantes de leur temps, chit la réflexion des élèves en abordant d’autres
soit par la parole, véhémente (Indiana et Germinal) ou œuvres. Les personnages féminins qu’ils rencontrent
plus feutrée (Les Liaisons dangereuses), soit à travers dans les extraits présentent des attitudes variées qui
des situations qui les amènent à transgresser et arra- exploitent de nombreuses modalités de la révolte,
cher leur liberté (Les Liaisons dangereuses, Madame par la parole et dans l’action. Les auteurs des œuvres
Bovary), jusqu’à se mettre hors la loi avec un com- sont des hommes, mais aussi des femmes, ce qui
portement criminel pour vivre une passion amoureuse permet d’interroger la place des autrices dans leurs
(Un mariage d’amour). époques respectives, notamment avec les figures
La nouvelle Un mariage d’amour met en scène trois marquantes de George Sand et de Simone de
personnages : un couple, Michel et Suzanne, dont la Beauvoir. Des lectures cursives sont proposées aux
vie va se trouver bouleversée par Jacques, qui séduit élèves (p. 57) : elles invitent à la découverte d’autres
Suzanne et tue Michel. Le texte de Zola est intégrale- personnages féminins, à conduire par exemple dans
ment reproduit dans le manuel, permettant aux élèves le cadre du « dossier personnel », qui favorise l’ap-
d’en faire la lecture intégrale. Initialement publiée propriation des œuvres et le développement des
dans le quotidien Le Figaro le 24 décembre 1866, la compétences de lecture.
nouvelle est librement inspirée d’un fait divers qui
sera également la matrice de Thérèse Raquin, et qui PAGE 40
révèlera le romancier au grand public l’année suivante,
en 1867. Ainsi, Zola a lu La Vénus de Gordes, roman
écrit par Adolphe Belot et Ernest Daudet, transposi- ⁄ Avertissement
Objectifs
tion d’un fait divers qui a eu lieu à Gordes, dans le ▶▶
Vaucluse. La fiche de lecture (p. 44) analyse le lien ■■ Lire la présentation que Zola fait de sa nouvelle lors
entre les deux œuvres du chef de file du naturalisme de la première publication dans la presse.
et amène les élèves à s’interroger sur la réception ■■ S’interroger sur la portée du récit.
SÉQUENCE 2 Des femmes libres ? | 23

1. Zola donne explicitement à son récit une portée 2. Marguerite Rivarot est la fille d’un fermier. Elle
morale : en effet, les lecteurs pourront en tirer une est surnommée « la vénus de Gordes » en raison
« grande leçon » (l. 4). Cet effet attendu semble de sa beauté. Mariée, elle a un amant qui tue son
excuser la lecture de l’histoire elle-même, qui repose mari, faute d’être parvenu à l’empoisonner. Ils sont
sur un « crime » (l. 6), dont l’auteur ne manque pas de tous deux condamnés et envoyés au bagne à perpé-
donner d’emblée quelques détails dans le deuxième tuité par la cour d’assises. Cette histoire est roman-
paragraphe. On sait donc avant la lecture qu’il s’agit cée dans La Vénus de Gordes par Adolphe Belot et
d’un crime de sang (l. 10), mais aussi d’une histoire Ernest Daudet et publiée en feuilleton en 1866 dans
d’amour condamnable, comme le montre le lexique Le Figaro.
choisi pour l’évoquer (« adultère », l. 9 ; et « volupté », On peut faire travailler les élèves sur les journaux de
l. 10). Le lexique judiciaire donne d’emblée l’issue de l’époque, par exemple La Gazette des tribunaux du
l’intrigue en évoquant une « effroyable punition » 4 mai 1862, pages 2 et 3 (http://www.enap.justice.
(l. 5), et participe de la portée morale de la nouvelle fr/ARCHIVE/18620504.pdf). On constate finale-
par les connotations religieuses qui renvoient à la ment que Zola n’a conservé que peu d’éléments du
notion de châtiment. fait divers, sinon la traditionnelle configuration entre
le mari, l’épouse et l’amant, et l’assassinat (sur un
PAGE 41 mode opératoire très différent de celui du fait divers).
L’avertissement nous montre qu’il s’est inscrit dans
¤ Un mariage d’amour
Objectif
▶▶
une lignée qui fait écho pour les lecteurs du journal,
et surtout que ce roman l’a inspiré, a nourri sa propre
imagination. Pour autant, il n’y a pas de réelle surprise.
Comprendre le fonctionnement d’un incipit, de la
■■ 3. Lexique
mise en place de l’intrigue au crime passionnel. Le substantif « passion » est présent dans le texte à la
1. L’avertissement joue un rôle important dans la ligne 6, mais aussi l’adverbe « passionnément » juste
construction des attentes du lecteur. Il fait d’abord auparavant, ligne 5. Les deux termes évoquent la rela-
explicitement référence à un roman publié par tion entre les deux amants, Suzanne et Jacques. La
Le Figaro qui a eu un écho important à l’époque de prise en compte de l’étymologie est ici importante :
sa publication. Zola crée donc une connivence avec le la « passion » est avant tout la « souffrance », sens
lecteur en s’inscrivant dans la lignée d’un fait divers aujourd’hui très atténué dans son usage. Ainsi, on
criminel par sa reprise et sa réécriture. Le deuxième comprend la partition initiale du premier paragraphe
paragraphe de l’avertissement présente la nouvelle de la nouvelle entre la vie maritale, « sans querelles »
comme une sorte de suite de La Vénus de Gordes, en (l. 3-4) et ennuyeuse, et l’amour adultérin, plus fort,
proposant au lecteur d’« imaginer » (le verbe est à mais plus destructeur.
l’impératif, l. 7) que les protagonistes sont parvenus Au xixe siècle, c’est bien le sens étymologique et
à cacher leur crime – ce qui sous-entend que ceux plus particulièrement religieux qui prime, comme le
de sa nouvelle le font bien, contrairement à ceux du montre le dictionnaire Littré, que l’on peut projeter
fait divers. L’histoire que le lecteur va découvrir est en classe (https://www.littre.org/definition/passion).
aussi une histoire sanglante, mais la morale est intacte « Passion » et « passionnément » annoncent donc une
puisque les criminels sont châtiés. Le lecteur com- suite chaotique, peut-être une catastrophe, voire une
prend donc qu’il va adopter une posture de voyeur : tragédie.
les personnages se livrent à un amour interdit, dans 4. Le récit du crime occupe tout juste un court para-
l’adultère, puis se perdent dans le crime. Le suspens graphe, des lignes 14 à 20. La scène est présentée
naît donc de l’interrogation quant au déroulement par un narrateur hétérodiégétique, la focalisation
de l’intrigue : comment, quand et où le crime se est externe. Le lecteur assiste ainsi en spectateur au
déroule-t-il, s’organise-t-il ? Comment les person- crime de Jacques, sans avoir accès à quelque réflexion
nages sont-ils punis ? Toutes ces hypothèses peuvent ou pensée, à la manière d’une scène de cinéma. Cela
être questionnées avec les élèves, les plongeant ainsi est aussi assez conforme au genre de la nouvelle,
dans la position des premiers lecteurs de la nouvelle dont la brièveté exclut le plus souvent l’analyse
de Zola dans Le Figaro. psychologique.

5. Grammaire 4. Cette issue est préparée dès le début de la nouvelle
Le troisième paragraphe est rédigé principalement au par la caractérisation de la relation amoureuse entre
passé simple, temps du premier plan et de l’action. La Suzanne et Jacques. Le terme de « passion » renvoie à
succession des verbes au passé simple permet l’en- la question de la souffrance, mais aussi de la tragédie.
chaînement d’actions brèves et violentes, s’agissant La culpabilité est également inscrite dans la chair de
ici d’un crime. Jacques avec la morsure de Michel, trace évidente
6. Le substantif « comédie » est aujourd’hui presque de culpabilité du personnage, marque indélébile qui
systématiquement associé au genre théâtral comique, rappelle à Suzanne leur crime odieux (l. 69).
alors qu’il a longtemps renvoyé de façon plus large
à toute pièce de théâtre, comme en témoigne le HISTOIRE DES ARTS
sens toujours actuel du substantif « comédien ». Les Amoureux est un tableau peint en 1888 par Émile
Caractérisée par l’adjectif « terrible », « comédie » Friant. Il présente un homme et une femme de dos,
(l. 25) montre que le meurtre est bien mis en scène, dont on voit les visages seulement de profil, accoudés
prémédité, ce qui est une circonstance accablante du sur une passerelle en fer, symbole à cette époque de la
point de vue juridique. modernité, au moment de la construction de la tour
Eiffel à Paris. Leurs regards sont au centre de la com-
PAGE 42 position. Peindre les deux personnages de dos donne
moins à voir au spectateur, qui a une part d’inter-
¤
▶▶
(suite)
Objectif
prétation d’autant plus importante. On perçoit qu’il
s’agit de deux personnages plutôt issus du peuple,
et probablement d’un couple, d’après leur proximité.
■■ Étudier un moment de bascule dans l’intrigue. Mais le peu que l’on saisit de leurs regards nous
1. Alors que le mariage de Suzanne et Jacques aurait empêche de savoir s’ils sont amoureux, les preuves
dû être un moment heureux, l’aboutissement de leur dans ce domaine étant un peu minces. La posture de
plan machiavélique, les deux amants ne trouvent la jeune femme, à droite, ne semble pas hostile, mais
aucunement le bonheur après le meurtre de Michel. on ne perçoit pas non plus un franc sourire. Le visage
Ils sont en effet rongés par la culpabilité et particu- de l’homme est encore plus caché. C’est donc une
lièrement malheureux. histoire à construire en grande partie que nous livre
Émile Friant, dans un paysage à la fois réaliste, mais
2. Grammaire aussi moderne puisque les personnages sont sur une
Les adjectifs qui les caractérisent rendent compte construction très contemporaine, les ponts en fer se
de leur désarroi : ils sont « embarrassés » (l. 53), multipliant au xixe siècle.
« inquiets » (l. 54), « effrayés et irrités » (l. 72).
Suzanne attire davantage notre attention, les élé- PAGE 43
ments de description qui lui sont associés rappelant
étrangement ceux d’un cadavre (« glacée », l. 56, et
« toute blanche », l. 63). Alors que l’amour devrait
être associé à la vie, leur relation semble envahie par
¤
▶▶
(fin)
Objectif
la mort et par le fantôme de Michel, qui va se révéler ■■ Étudier la fin d’une nouvelle, en particulier sa chute.
de plus en plus présent. 1. La lecture de la page 42 a permis de comprendre
3. Le silence est omniprésent dans la page 42. On l’impossibilité d’une issue heureuse pour Jacques et
note d’abord la difficulté physiologique des person- Suzanne, dont la nuit de noces a tourné au cauche-
nages, qui ne peuvent plus parler, « la bouche sèche de mar, toute parole devenant impossible. La dernière
Jacques » (l. 55), la voix « étouffée » (l. 64) de Suzanne, page marque une évolution radicale des sentiments
l’impossibilité de tout dialogue (« la causerie cessa », des personnages, jusqu’à une tentative d’empoison-
l. 61). Le « silence » qui s’installe peu à peu (l. 62, 71) : nement mutuel. On note une transformation qui va
les mots sont « vides » (l. 60), les paroles « amères » de l’impossibilité de l’amour (« Cet homme et cette
(l. 72), quand finalement elles ne disparaissent pas femme ne pouvaient plus s’aimer », l. 81) à la « haine »
(l. 67). Les seules paroles de dialogue de l’extrait ne (l. 85). Leur geste final est une réponse au « remords »
permettent que l’expression du reproche, de la plainte. qui les mine depuis le meurtre de Michel (l. 103).

2. Grammaire les suivantes : la scène est écrite du point de vue de
L’imparfait est de façon usuelle le temps de l’arrière- Laurent (Jacques dans la nouvelle), comme l’indiquent
plan, de la description. Il exprime aussi la répétition, tous les verbes de perception (« il regardait », l. 10 ;
la durée de certaines actions. C’est ici le cas : les per- « ne voyait », l. 16). Ce choix narratif permet de voir
sonnages s’installent dans un quotidien où le fantôme avec le personnage le spectacle horrible de la morgue,
de Michel prend toute sa place et dont l’amour est les « corps nus » (l. 11) des noyés, ramenés pour cer-
absent. Dans le texte, certains verbes participent de tains à l’état de « viandes sanglantes et pourries »
la description (« leurs lèvres devenaient froides », (l. 13-15). Le texte développe également les odeurs
l. 77 ; « c’étaient des terreurs continuelles », l. 88, par qu’il perçoit : « une odeur face, une odeur de chair
exemple), mais ils marquent essentiellement l’habi- lavée » (l. 6).
tude (ils « ne pouvaient plus s’aimer », l. 81), l’instal- L’extrait comporte par ailleurs de multiples indi-
lation durable de la relation qui les unit dans l’effroi : cations de couleur, à partir de la ligne 11 : « dalles
« Parfois encore ils se serraient avec force l’un contre grises » (l. 11), les corps font des « taches vertes et
l’autre, s’unissaient avec désespoir, mais c’était afin jaunes, blanches et rouges » (l. 12), « ensemble blafard
d’échapper à leurs sinistres visions » (l. 82-84). […], taché de roux et de noir » (l. 16).
La description de la morgue se singularise donc par des
Dossier personnel couleurs qui rappellent la décomposition, la mort, le
tout ici accentué par les odeurs perçues par le person-
Ce dossier invite à l’engagement des élèves. Il n’y a nage, Zola nous donnant accès à ces perceptions par le
donc pas de réponse attendue, mais on peut guider point de vue interne, centré sur Laurent, nouveau nom
ceux qui seraient en difficulté sur l’interprétation du de Jacques dans le roman. Cela accentue le malaise
titre de la nouvelle. Ils peuvent s’interroger : de celui-ci, mais aussi celui du lecteur qui vit avec lui
– de quel mariage s’agit-il ? cette scène.
– si le mariage de Suzanne et Jacques se termine de
2. La préface publiée pour la seconde édition de
façon tragique, ce titre concerne-t-il celui-ci et est-il
Thérèse Raquin est une réponse aux détracteurs du
ironique ?
roman qui a fait scandale. Elle fait figure aujourd’hui
– ou faut-il l’envisager à propos de Suzanne et Michel ?
de premier manifeste zolien du naturalisme, et plus
Est-ce alors une façon de réévaluer ce mariage qui, au
particulièrement aux attaques de « Ferragus »,
fond, pourrait être vu comme plus heureux que celui
alias Louis Ulbach, que l’on peut consulter en
qui a été permis par le meurtre de Michel ?
ligne sur Gallica (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/
VERS LE BAC. Commentaire bpt6k200130q.pdf, à compter de la page 19). La
Le commentaire pourra être centré sur les lignes 85 à réponse de Zola engage son projet dans un cadre
117. L’axe de commentaire pourra s’articuler autour scientifique qui montre que les critiques n’ont pas
de trois sous-parties : accepté la violence des tempéraments et des actions
1. La présence de la mort des personnages, dont la nouveauté d’ensemble est
2. La violence des sentiments la grande crudité et la brutalité. Zola souligne son
3. La fatalité « but scientifique » (l. 1) et compare son travail
à celui des « chirurgiens » (l. 10), ce qui est une
PAGE 44 conception du roman nouvelle pour l’époque.
VERS LE BAC. Dissertation.
‹
▶▶
D’Un mariage d’amour à Thérèse
Raquin, un récit scandaleux
Objectifs
La question posée appelle un raisonnement dialec-
tique : la dissertation doit, in fine, prendre position
pour ou contre la littérature que met en œuvre et
■■ Analyser l’évolution du texte, entre la nouvelle et promeut Zola.
le roman. S’agissant de la classe de seconde, un corrigé pourrait
■■ Comprendre l’esthétique naturaliste. adopter le plan suivant (les exemples sont pris dans
1. Le passage de la morgue est nettement plus long le manuel de l’élève) :
dans le roman Thérèse Raquin que dans la nouvelle 1. La littérature peut tout à fait rendre compte
Un mariage d’amour. Les différences principales sont du réel dans toutes ses composantes

a) Parce qu’elle en a les moyens avec un langage laquelle le mari tué trouve sa place, on peut revenir
réaliste à la question de sa place entre les deux nouveaux
Ex. : Réalisme du roman au xixe siècle (Balzac, Le Père époux, à la page 43, à partir de la ligne 76. La présence,
Goriot) fantomatique, de Michel est une piste possible.
b) Parce qu’elle a dépassé depuis le xixe siècle les inter-
ACTIVITÉ 2. Rédiger la lettre qui termine
dits, notamment moraux et religieux
la nouvelle
Ex. : Représentation de la soumission des femmes
Il s’agit ici de donner la parole aux deux « coupables ».
pour évoquer la brutalité des hommes (Sand, Indiana)
Les élèves doivent respecter la forme de la lettre et
ou encore du crime (Zola, Un Mariage d’amour)
exprimer ce qui a amené Suzanne et Jacques, d’une
c) Parce que c’est aussi une de ses fonctions : repré-
part à essayer de tuer l’autre et, d’autre part à accep-
senter la réalité pour renvoyer à notre société un
ter cette mort conjointe, à la fin de la nouvelle.
miroir
L’expression de « confession », qui s’inscrit dans le
Ex. : Représenter l’échec et la relégation sociale, de
champ religieux, permet aux élèves de reprendre les
Stendhal (Le Rouge et le Noir, 1830) à Nicolas Mathieu
éléments de la nouvelle qui prouvent la culpabilité de
(Leurs enfants après eux, 2018)
Jacques et Suzanne, mais aussi à développer l’expres-
2. Pour autant, cette représentation du réel et de ses sion du remords.
possibles excès fait débat : si elle le peut, le doit-elle ?
a) Cette représentation peut en effet choquer d’un ACTIVITÉ 3. Analyser une affiche de film
point de vue moral L’affiche met au jour la triangulation amoureuse, en
Ex. : la réception de Thérèse Raquin, de Zola, écrit sur représentant un couple, mais aussi à l’arrière-plan et
le canevas d’Un Mariage d’amour au premier plan un autre homme. Au premier plan, en
b) Pourtant, on retrouve ici une fonction fondamen- rouge, la position de l’homme renvoie au meurtre, à
tale de la littérature, théorisée depuis Aristote (La l’arrière-plan, les yeux ouverts, on peut imaginer qu’il
Poétique, ive siècle av. J.-C.) : la catharsis qui permet s’agit d’un mort qui rode autour des personnages, à
de dépasser un traumatisme personnel l’instar de Michel dans la nouvelle, devenu Laurent
Ex. : Delphine de Vigan, Rien ne s’oppose à la nuit dans Thérèse Raquin.
c) Il semble dès lors souhaitable de laisser les artistes ACTIVITÉ 4. Votre point de vue sur les personnages
libres et se garder de porter des jugements moraux de la nouvelle
sur les œuvres, comme au xixe siècle : ils peuvent faire Deux pistes peuvent être ouvertes pour aider les
réfléchir la société et participer à son progrès élèves :
Ex. : un œuvre comme celle de Simone de Beauvoir a – considérer que Suzanne et Jacques sont de simples
par exemple permis des avancées significatives pour assassins et les condamner avec la plus grande
la cause féministe (Le Deuxième Sexe) fermeté ;
– expliquer leur geste par la mise en place d’un projet
PAGE 45 tragique dont ils n’ont pas compris d’emblée les
conséquences désastreuses, évidemment pour Michel,
Dossier personnel mais aussi pour leur couple.
ACTIVITÉ 1. Développer un épisode d’Un mariage

d’amour PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS
On commence par faire relire aux élèves la nouvelle
de Zola. Ils peuvent chercher où insérer leur texte. Le
plus aisé semble être à la ligne 50, après la phrase « Ils PAGE 46
goûtèrent, pendant les préparatifs de la noce, une joie
nerveuse qui les trompa eux-mêmes ». Le réalisme : la modernité du quotidien
L’écriture du monologue intérieur suppose un chan- ▶▶ Objectifs
gement de point de vue : les élèves peuvent au choix ■■ Découvrir la notion de « modernité » au xixe siècle.
adopter celui de Suzanne ou celui de Jacques. ■■ Comprendre pourquoi et comment des œuvres pic-
Pour les aider à développer une atmosphère dans turales ont fait scandale.

1. L’extrait de L’Art au xixe siècle précise que c’est « la PAGE 47
vie contemporaine » qui intéresse les artistes. En cela,
ils s’opposent à un art « académique » encore tourné Le réalisme en débat
vers la « culture gréco-latine » (document 3, l. 12) ▶▶Objectif
et l’imitation des Anciens, le tout étant envisagé ■■Mettre les élèves en position de spectateur et d’ac-
comme une perfection indépassable qui doit sans teur du débat sur le réalisme.
cesse être imitée. Alors que la peinture d’histoire 1. On cherche ici à faire réagir les élèves et à leur
et la peinture mythologique sont placées au plus faire comprendre qu’il faut voir au-delà de la nudité
haut dans la hiérarchie des genres, c’est la « scène de la femme représentée et inscrire l’analyse dans la
de genre », qui elle n’est pas noble et qui repré- tradition artistique. Certains ont peut-être déjà visité
sente la vie quotidienne, qui va retenir l’attention un musée : ils savent que le nu est une part impor-
des peintres. On peut aussi observer, comme dans tante de la production picturale. Il faut donc qu’ils
le tableau de Courbert, des thèmes « classiques » puissent dépasser cette première appréhension, qui
qui peuvent apparaître comme dégradés dès lors ne leur ferait finalement répondre qu’à la question
qu’ils sont replacés dans un cadre plus ordinaire, de la seule nudité de la femme et sur un plan moral.
voire trivial. Pour aider les élèves à s’engager dans cette réflexion,
2. Les deux tableaux offrent ainsi des exemples de on pourra leur montrer des œuvres de Titien (notam-
peinture de la modernité : Courbet reprend un thème ment La Vénus d’Urbin, 1538, dont Manet s’est direc-
« classique » de cette pratique artistique, une femme tement inspiré), Velásquez ou encore Goya, qui leur
nue qui sort de l’eau. Mais elle est habituellement permettront de mieux comprendre l’écart avec
intégrée à un motif mythologique, allégorique ou le tableau de Manet. On peut également préciser
symbolique. Or, sur la toile, Courbet montre une qu’Olympia est le surnom fréquent des courtisanes
femme qui n’est pas idéalisée. Le format de la toile est de l’époque : le titre fait donc immédiatement sens
pour le spectateur du xixe siècle, qui l’associe à la
aussi une provocation : il très imposant, alors que cela
prostitution.
est habituellement réservé aux peintures d’histoire ou
Il est possible de faire imaginer la scène aux élèves
inspirées de la mythologie. Degas montre quant à lui
pour les aider à entrer dans l’interprétation de la pein-
les coulisses d’un spectacle. Les élèves entourent leur
ture de Manet :
professeur, la toile montre leur quotidien, l’impor-
– que fait la femme ?
tance de la préparation, du travail en « classe ». Ce
– Que pense-t-elle ? Que regarde-t-elle ? Pourquoi ?
travail n’était pas un motif traditionnellement noble.
– Que fait le second personnage ? Quel pourrait être
3. La notion de « modernité » fait scandale parce son rôle ?
qu’elle renvoie à l’immédiat contemporain et lui Toutes les suggestions doivent s’appuyer sur des élé-
donne un statut comparable à l’histoire ou à la ments précis du tableau et être justifiées.
mythologie, si l’on reprend le début du document 3. 2. Théophile Gautier et Émile Zola font ici œuvre de
Pour les artistes de la modernité, le contemporain critiques d’art. Gautier critique le sujet et la tech-
peut rivaliser avec l’art antique (document 3, l. 16). nique : il condamne la « laideur » (l. 7) de la femme,
Les thèmes réalistes sont pourtant choquants pour « chétif modèle » (l. 4), mais aussi la piètre qualité
les spectateurs : représenter la femme nue du de l’exécution (« Le ton des chairs est sale, le modelé
xixe siècle n’a rien en soi de provocateur, c’est même nul. Les ombres s’indiquent par des raies de cirage
fréquent en peinture. Mais le cadre est toujours plus ou moins larges », l. 4-6). Au contraire, Zola
motivé, la plupart du temps par un motif mytho- salue la « vérité » (l. 6) du tableau : Olympia est une
logique. Or, les peintres réalistes représentent la « fille de nos jours » (l. 7). La référence qu’il faut aux
nudité gratuitement, sans chercher une excuse, ce « trottoirs » (l. 8) fait écho à l’explication donnée par
qui est jugé choquant. Pire, ils vont jusqu’à repré- Gautier au titre du tableau et donc au nom du person-
senter des femmes condamnées par la morale, ce nage. L’enjeu du débat est ici l’idéalisation à l’œuvre
qui est considéré comme une provocation encore dans la peinture et la possibilité de représenter un
plus grave (Manet, Olympia, manuel p. 47). On peut sujet trivial : une prostituée nue qui attend un homme,
penser en particulier aux prostituées. à laquelle on fait porter un bouquet de fleurs.

3. Olympia compte un premier et un second plan qui PARCOURS 1. Compétences de lecture
frappent le spectateur : au premier plan se trouve une 1. ENTRER DANS LE TEXTE
femme nue, allongée sur un drap qui occupe toute la Le « sérail » (l. 8) renvoie à l’Orient et à son imagi-
longueur de la toile. Le blanc et le crème dominent, naire, objet de fantasmes pour l’Occident des xviiie
comme dans la toile de Titien (voir réponse 1). La et xixe siècles. Le sérail ou le harem est la partie du
femme est nue, tout juste chaussée et portant deux palais du sultan dans lequel sont gardées ses diffé-
bijoux. La présence d’un chat noir, sur la droite, est rentes femmes, coupées du monde. Cette image
interprétée comme une allusion sexuelle au sexe renvoie donc à la domination masculine. La mar-
féminin, Olympia couvre le sien de sa main gauche. quise de Merteuil, en affirmant avoir eu « la préten-
Le second plan, très sombre, offre un contraste impor- tion de remplacer à [elle] seule tout un sérail » (l. 8),
tant avec le premier plan. On y voit une domestique assume sa sensualité et sa sexualité. Pour autant, elle
de couleur noire qui apporte à Olympia un bouquet apporte une précision d’importance : « il ne m’a jamais
de fleurs. Cela a été jugé provocant, associé dans convenu d’en faire partie » (l. 9), ce qui souligne en
l’esprit du spectateur à un homme qui remercierait même temps sa totale liberté, étant à la fois dedans
la femme. Mais c’est surtout le regard de la femme et dehors. Il s’agit donc finalement pour le personnage
qui fait scandale : elle nous regarde nous, spectateurs, de poser le féminisme comme un miroir aux hommes
avec beaucoup d’aplomb et nous met mal à l’aise face de son temps : être libre de profiter du plaisir tout
à elle qui se trouve nue, nous renvoyant brutalement en ne dépendant de personne et en restant maître
à notre position de voyeur. de soi-même.
4. Les élèves ont compris que la toile de Manet s’ins- 2. La marquise de Merteuil refuse d’être « l’esclave
crit dans une tradition picturale qui évolue par le soumise » (l. 13) à Valmont. En se donnant à lui, en
scandale. Avec Olympia, le peintre ouvre la voie à la entrant dans son « sérail », elle se soumettrait. Or, elle
représentation de nouvelles femmes et surtout à un veut choisir ses amants, comme le montre la struc-
art qui ne cherche plus l’excuse de la mythologie ou ture hypothétique et la restriction : « s’il me venait
de l’allégorie pour représenter le corps nu et plus lar- en fantaisie de lui donner un adjoint, ce ne serait
gement tous les pans, même les plus cachés, du réel. pas vous, au moins pour le moment » (l. 30-31), qui
Comme dans la littérature, le réalisme pictural ouvre montrent qu’elle fait ce qu’elle veut, si elle le veut, la
la représentation à des femmes plus populaires, plus notion d’« adjoint » renvoyant à la possibilité d’avoir
scandaleuses, mais aussi à celles qui ne correspondent un second amant, avec une connotation ici assez
pas aux canons de la beauté (par exemple le tableau dépréciative. Elle revendique d’être guidée par son
de Courbet Les Baigneuses, à la page 46 du manuel). « caprice » (l. 33), et non par la raison. Elle évoque
même l’importance du « goût » (l. 11), l’expression
« goût nouveau » renvoyant bien à son nouvel amant,
GROUPEMENTS DE TEXTES COMPLÉMENTAIRES le jeune Danceny, qu’elle refuse d’abandonner au
profit de Valmont.
3. Le sentiment qui domine la lettre est la colère. Dès
PAGES 48-49 la ligne 4, la marquise affirme avoir eu de « l’humeur »
à la lecture de la précédente lettre de Valmont. Elle
⁄ Pierre Choderlos de Laclos,

Les Liaisons dangereuses, 1782
Objectifs
exprime son désaccord en lui répondant avec ironie
et véhémence, comme le soulignent par exemple
▶▶
les modalités interrogatives et exclamatives (l. 11 et
■■ Analyser le genre épistolaire et la parole des 12), par exemple. Elle parvient surtout à inverser les
personnages. rôles, notamment à partir de la ligne 26. Elle devient
■■ Comprendre le mouvement libertin et la place que
le maître du jeu et revendique de choisir ses amants.
la femme peut y prendre. Elle n’est plus une femme qui pourrait être dans un
N.B. : les élèves peuvent aborder les deux parcours sérail, mais un sultan elle-même.
proposés mais, dans une optique de différenciation, 4. La lettre comprend de nombreux italiques : il s’agit
on peut privilégier l’une ou l’autre des deux entrées, de citations de la lettre précédente écrite par Valmont.
et ainsi la lecture analytique ou l’écriture. Par exemple, « l’écolier, le doucereux Danceny » (l. 26)

est un propos de Valmont qui, cité par la marquise 2. Les textes des élèves pourront emprunter diffé-
de Merteuil, est tourné en ridicule. De surcroît, elle rentes voies, par exemple :
présente le jeune Danceny comme un bon amant, – exprimer la colère de Valmont face à la rupture du
prompt à « travailler plus efficacement que vous à pacte noué ;
mon bonheur et à mes plaisirs » (l. 28), ce qui est une – avec la même ironie, rejeter la marquise et exprimer
remise en cause par une comparaison de la virilité de le plaisir pris avec Mme de Tourvel et Cécile Volanges.
Valmont. Ce faisant, à plusieurs reprises, la marquise
VERS LE BAC. Commentaire
attaque Valmont en le rabaissant et surtout en mon-
Le commentaire pourra prendre appui sur les réponses
trant sa supériorité rhétorique. Elle manie l’antiphrase,
aux questions 1 et 2 du parcours de lecture pour le
par exemple aux lignes 20 et 21 : « vos précieuses
premier axe (Merteuil, une femme libre), aux ques-
bontés, quoique un peu rares, suffiront de reste à
tions 4 et 5 pour le second axe (Une réponse humi-
mon bonheur », ce qui reprend le projet de Valmont,
liante à Valmont).
auquel la marquise n’adhère pas. Il faut donc bien
comprendre le contraire : elle ne veut pas céder à
Valmont. Elle rend ainsi trait pour trait en reprenant PAGE 50
la lettre précédente.
5. Cette lettre est d’abord une humiliation parce
que la marquise de Merteuil refuse de se donner à
¤
▶▶
George Sand,
Indiana, 1832
Objectifs
Valmont. Ensuite, elle est l’occasion pour la marquise ■■ Étudier une joute verbale.
de montrer sa supériorité : elle ne reçoit pas d’ordres ■■ S’interroger sur le pouvoir de la parole dans une
et choisit sa vie, ses amants. C’est une femme blessée situation conflictuelle.
qui répond, refusant de jouer les « troisièmes rôles » .
1. ENTRER DANS LE TEXTE
6. SYNTHÈSE La force d’Indiana peut s’expliquer dans cet extrait par
En somme, la marquise de Merteuil donne une leçon sa détermination. Non seulement elle prend la parole
de libertinage à Valmont. L’échange entre les deux face à un mari tyrannique, mais elle exprime une posi-
personnages porte bien sur une relation faite de sen-
tion très ferme. Cette évolution, en quelque sort, n’est
sualité, de quête des plaisirs, mais aussi de liberté. En
pas préméditée puisque le narrateur précise qu’elle
effet, la marquise reste avant tout indépendante, dit
« se sentit plus forte qu’elle ne s’y attendait » (l. 8-9).
oui ou non quand elle le souhaite. Ces deux concep-
tions de l’affrontement s’opposent : l’une passe par la 2. Lexique
parole et use de tous ses pouvoirs, l’autre emprunte le Le substantif « femmelette » est composé de femelle
chemin de la violence et finit dans le silence. et du suffixe « -ette ». Peu courant aujourd’hui, il
exprime la petitesse. « Femelette » a une connota-
NOUVELLE INTÉGRALE tion péjorative et plus précisément dépréciative. Il
s’agit pour M. Delmare de rabaisser son épouse, de la
Les deux personnages sont radicalement différents.
ramener à un statut inférieur même à celui de femme,
Avec la marquise de Merteuil, Laclos imagine un per-
alors déjà qu’il considère la femme comme soumise
sonnage aristocratique libre, capable de résister aux
à son mari, qui est son « maître » (l. 25).
hommes et même de les soumettre. Le personnage
de Suzanne dans la nouvelle de Zola est à l’opposé : 3. M. Delmare s’adresse à Indiana avec violence.
elle ne peut agir que par procuration, complice du L’emploi du substantif « madame », ligne 15, ne
meurtre de Michel. masque pas sa colère : cette apostrophe est fausse-
ment respectueuse, le mari veut surtout avoir une
PARCOURS 2. Compétences d’écriture explication sur l’absence de son épouse. Il cherche ici à
1. La marquise de Merteuil livre une lettre provocante la dominer. Il définit ensuite les femmes par les occu-
à l’égard de Valmont : pations qu’il leur prête, « porter une jupe et filer la
– elle dit avoir hésité à lui répondre (l. 5 à 7) ; quenouille » (l. 26) et finit par insulter son épouse, qui
– elle refuse de se soumettre, à l’image des femmes persiste à ne pas lui apporter la réponse qu’il attend,
du sérail (l. 8 à 10) ; la traitant de « sotte et impertinente créature » (l. 34).
– elle place son goût avant leur pacte (l. 11 à 12) ; Les femmes sont aussi définies par ce qu’elles n’ont
– elle met Danceny au-dessus de Valmont (l. 28-29). pas ou ne sont pas : elles ne sont pas les « maîtres »

(l. 25) et n’ont pas de « barbe au menton » (l. 27). En 1. ENTRER DANS LE TEXTE
somme, la façon dont M. Delmare s’adresse à Indiana Le sentiment amoureux est dans cet extrait exprimé
et, à travers elle, témoigne d’une affirmation violente par le personnage d’Emma, héroïne éponyme du
de sa virilité, d’un besoin de dire sa virilité, alors même roman de Flaubert. Elle vient de rencontrer Rodolphe,
qu’il ne parvient pas à obtenir l’information et la jus- alors qu’elle est mariée avec Charles. L’amour s’ex-
tification qu’il exige. prime physiquement par une transformation qui
4. Dans cet extrait, la parole joue un rôle majeur. En surprend Emma elle-même. Elle vit une sorte de
effet, elle est l’arme utilisée par Indiana pour résister transport, d’exaltation qu’elle n’avait pas connue
à son mari. Il lui demande des comptes : « où avez- auparavant. L’énumération « passion, extase, délire »
vous passé la matinée et peut-être la nuit ? » (l. 15-16) (l. 11) montre qu’elle perd le contrôle d’elle-même, les
Or, c’est par le langage qu’Indiana affirme sa liberté termes répondant d’ailleurs à une possible gradation.
en refusant de répondre : « Non, Monsieur, répondit-
2. Lexique
elle, mon intention n’est pas de vous le dire » (l. 19),
L’exaltation de l’héroïne s’exprime physiquement.
« je refuse de vous répondre » (l. 22). C’est la façon
Malgré l’absence de son amant, elle revit la scène
qu’Indiana utilise pour résister à la force de son mari,
passée (deuxième paragraphe) dans la nature alors
dont elle reconnaît par ailleurs la légitimité juridique
qu’elle est dans sa chambre. Elle note ensuite une
tout en se rebellant.
transformation physique (troisième paragraphe). Le
5. SYNTHÈSE quatrième paragraphe la transporte dans un nouvel
Le mari d’Indiana veut savoir ce que sa femme a fait ailleurs et le personnage bascule dans le registre
la nuit dernière et la matinée. Il avance pour cela « merveilleux » (l. 11). Ce passage est marqué par
tous les traits de la virilité, de la force et du pouvoir, le lexique de la nature (les « arbres, les chemins les
comme l’indiquent les adjectifs qui le caractérisent : fossés » qu’elle a côtoyés avec Rodolphe, l. 2-3), puis
il a un air « impérieux et dur » (l. 12), il était « digne un univers plus onirique qui lui permet de prendre de
et froid » (l. 14), après la réponse de sa femme, « il la distance avec la vie ordinaire, « au loin, tout en bas,
verdit de colère et de surprise » (l. 20). Indiana elle- dans l’ombre, entre les intervalles de ces hauteurs »
même reconnaît la partition sociale à l’œuvre en son (l. 13). L’expression est volontiers hyperbolique :
temps : « je sais que je suis l’esclave et vous le sei- Emma voit le monde avec un regard nouveau, éloigné
gneur » (l. 28) et pourtant refuse de répondre. On voit
du quotidien et de l’ordinaire et qui ne connaît plus
donc bien que M. Delmare veut asservir son épouse,
la nuance, la raison.
la ramener à une position inférieure, pas même de
femme, mais de « femmelette », sans y parvenir. 3. Le sentiment amoureux agit comme une renais-
sance sur Emma. Tout d’abord, elle connaît enfin ce
NOUVELLE INTÉGRALE « dont elle avait désespéré » (l. 10) : « joie de l’amour »
(l. 9-10), « fièvre du bonheur » (l. 10). L’idée d’une
Le dialogue, dans le roman de George Sand, donne
« nouvelle puberté » (l. 9) ramène bien l’héroïne
corps à la révolte du personnage d’Indiana. Le lecteur
à l’adolescence et au temps des amours passion-
perçoit plus directement, par la voix de la femme révol-
nées. Elle idéalise même la relation qui commence
tée, son caractère et son tempérament. L’esthétique
avec Rodolphe non pas en parlant d’amour, mais de
de la nouvelle et sa brièveté interdisent les longs
dialogues et Un mariage d’amour n’en compte pas. « passion, extase, délire » (l. 11). On perçoit à travers
L’extrait d’Indiana offre ici un exemple vivant de la les sentiments exprimés par le biais de la focalisation
résistante d’une femme qui ne veut pas être réduite interne à la fois la frustration ancienne du personnage,
en esclavage par un mari brutal et tyrannique. mais aussi l’espoir excessif qu’elle met dans cette nou-
velle relation.
PAGE 51 4. La référence aux livres (« Elle se rappela les héroïnes
des livres qu’elle avait lus », l. 14) et l’identification
‹
▶▶
Gustave Flaubert,
Madame Bovary, 1857
Objectifs
d’Emma aux personnages de romans (« elle devenait
elle-même comme une partie véritable de ces imagi-
nations et réalisait la longue rêverie de sa jeunesse »,
■■ Analyser l’expression de l’exaltation. l. 16-17) sont une clé de lecture du passage et plus
■■ Comprendre la notion de « bovarysme ». généralement de l’œuvre de Flaubert. On désigne

même aujourd’hui par le terme de « bovarysme » la a) Le romancier peut inventer des situations et des
tendance à fuir le réel dans le rêve ou la fiction. Ainsi, héroïnes qui s’opposent franchement aux codes
on comprend mieux les premiers paragraphes du sociaux de leur époque
texte, qui embellissent la réalité à l’aune des lectures Ex. : Indiana, de George Sand
du personnage, qui croit maintenant vivre comme b) Le roman peut théoriser une notion propre à une
dans un roman. Le narrateur souligne même l’incons- époque, renvoyer un miroir qui fait réfléchir le lecteur
cience d’Emma, à la fin du cinquième paragraphe, à Ex. : Le « vague des passions » chez Chateaubriand,
propos de l’amour : « Elle le savourait sans remords, le bovarysme chez Flaubert ou les romans de Michel
sans inquiétude, sans trouble » (l. 21-22). Houellebecq qui disent le nihilisme de notre époque
5. Le narrateur flaubertien prend d’évidence ses c) La littérature peut influer directement sur la société
distances avec l’exaltation de son personnage. Les Ex. : les romans de Victor Hugo, qui a œuvré pour
expressions hyperboliques comme « Jamais elle une meilleure prise en compte de la misère ou encore
n’avait eu les yeux si grands, si noirs, d’une telle pro- contre la peine de mort. Ses textes (Les Misérables,
fondeur » (l. 5-6), les énumérations comme « sans Le Dernier Jour d’un condamné, etc.) ont eu un vrai
remords, sans inquiétude, sans trouble » (l. 21-22) impact sur la société française de son temps.
ou encore l’expression de l’amour qui entre dans le
NOUVELLE INTÉGRALE
champ de l’excès comme du merveilleux mettent peu
à peu au jour une distance entre ce qui est raconté et Emma Bovary et Suzanne peuvent être rapprochées
la façon dont le narrateur le raconte. Ainsi, on saisit dans leur choix de l’adultère. Toutes deux se sont
le ridicule du personnage et l’ironie du narrateur, qui mariées avec des hommes ennuyeux (« La conversa-
la prend pour cible et raille ses illusions. tion de Charles était plate comme un trottoir de rue »,
6. SYNTHÈSE précise le narrateur de Madame Bovary) et elles ont
Le récit de l’adultère est en effet audacieux pour cherché à vivre la passion amoureuse dans l’adultère.
l’époque, surtout s’il n’est pas assorti d’un avertis- Cependant, le genre de la nouvelle ne permet pas
sement clair et que le roman n’a pas une portée l’expression de l’exaltation qu’a pu connaître Suzanne
morale qui « sauve » son auteur (par exemple Manon au temps où elle aimait Jacques (c’est-à-dire avant la
Lescaut de l’abbé Prévost). Souvent, les romanciers se mort de Michel).
drapent dans un voile de moralité tout à fait fictif : le
manuscrit a été découvert « par hasard », l’histoire est HISTOIRE DES ARTS
horrible et sa lecture va détourner le public du mal.
Le tableau de Georges Croegaert occupe un petit
Flaubert ne prend pas ces précautions, même si Emma
format. Il présente une femme dans son intérieur,
termine sa vie dans d’affreuses souffrances et dans
allongée avec nonchalance sur son sofa, tenant un
des conditions pitoyables. Pourtant, le romancier et
livre dans la main droite. À sa gauche, on voit une
son éditeur sont attaqués pour « outrage à la morale
bibliothèque. La position de la femme peut sembler
publique et religieuse et aux bonnes mœurs » devant
lascive et donner une impression de mélancolie. On ne
le Tribunal correctionnel de Paris en 1857. Le procès
peut en tout cas pas assimiler cette activité à quelque
se solda néanmoins par un acquittement.
chose de sérieux, de réfléchi, ni même à l’étude. Ce
VERS LE BAC. Dissertation. tableau peut tout à fait faire écho au passage de
Le sujet proposé demande aux élèves de réfléchir Madame Bovary, dans lequel l’héroïne finalement
au pouvoir de la littérature sur le réel. On pourra accompagne la naissance de la passion amoureuse
s’appuyer sur l’exemple de Madame Bovary, en souli- d’un délire inspiré par sa lecture de romans.
gnant que le roman peut être perçu comme une partie
même du réel, ce qui se traduit par un procès pour des PAGES 52-53
causes que l’on ne devrait pas pouvoir associer à une
fiction. L’exemple d’Indiana est également intéressant
en ce que le personnage s’oppose à l’ordre social de › Émile Zola,
Germinal, 1885
Objectifs
son temps. ▶▶
Le plan suivant pourra être développé : ■■ Comprendre la portée sociale du roman naturaliste.
1. La littérature a le pouvoir de remettre en cause ■■ Analyser l’expression de la révolte, notamment par
l’ordre social le discours direct.

1. ENTRER DANS LE TEXTE nord de la France. La grève au xixe siècle pose la ques-
La Maheude s’oppose à sa fille Catherine, car cette tion du droit du travail. Zola prend fait et cause pour
dernière veut reprendre le travail et gagner de l’argent le monde ouvrier et dénonce la souffrance imposée
pour se nourrir (à partir de la ligne 20). À l’opposé, par les employeurs issus de la classe bourgeoise. Le
La Maheude veut aller jusqu’au bout de la grève et, personnage de La Maheude prend la parole avec
en mémoire de son mari, ne se résigne pas à céder. véhémence et touche le lecteur par la justesse de
La Maheude porte un discours social en faveur des son combat.
ouvriers et de la classe populaire, sa fille Catherine
est plus résignée. VERS LE BAC. Commentaire.
La partie de commentaire attendue pourra s’appuyer
2. Le point de vue narratif adopté au début de l’extrait
sur le plan et les réponses suivantes :
est interne : la scène est vue par Étienne. Le premier
1. La révolte de la Maheude
paragraphe le présente se promenant, comme le
montrent les verbes « quitter » et « marcher » (l. 2), a) Un personnage véhément [questions 1 et 4]
« piétiner » (l. 4), « marcher » (l. 10) et le substantif b) Des idées jusqu’au-boutistes [questions 3 et 5]
« promenade » (l. 3). Cette déambulation l’amène à
NOUVELLE INTÉGRALE
croiser les regards accusateurs des hommes et des
femmes, à la suite à la fusillade dont ils le pensent La lecture de la nouvelle et celle de l’extrait de
responsable. Quand il entre chez les Maheu, le spec- Germinal montrent que l’écriture de Zola se fonde
tacle de la misère est plus insoutenable encore. Le sur une observation précise des situations, comme
substantif « scène », emprunté au théâtre, montre le prouve sa documentation ou son travail d’obser-
qu’il est devenu le témoin impuissant de la souf- vation. Pour autant, il ne cherche pas à faire œuvre
france de ses camarades. Il ne peut rien faire et reste d’historien ni à concurrencer l’état civil : il cherche
« bouleversé ». à sonder l’âme humaine, sans l’idéaliser, et à com-
3. La Maheude refuse de plier devant la mort de son prendre l’évolution des tempéraments au gré de cir-
mari. Alors que Catherine veut mettre un terme à constances personnelles et sociales.
la grève et retourner au travail, la fusillade est au
contraire pour la Maheude un argument supplé- HISTOIRE DES ARTS
mentaire pour résister en n’acceptant pas non plus
l’exploitation des enfants (l. 28). Elle exprime même Le Cri du peuple de Tardi met en image le roman
une opinion jusqu’au-boutiste en envisageant la de Jean Vautrin du même titre qui raconte la fin de
mort : « j’aime mieux vous voir tous emporter entre la Commune en mars 1871. La bande dessinée est
quatre planches, comme celui qui est parti déjà » en noir et plan, mais ce dessin, qui est celui de la
(l. 28-29). L’exemple de la pension qui n’a pas été couverture, comprend deux drapeaux rouges. Les
versée (l. 42-43) témoigne, pour elle, de la malhon- femmes sont présentes partout sur cette image et
nêteté des propriétaires des corons, employeurs des elles expriment leur colère, la bouche ouverte ou
ouvriers. C’est pourquoi, même si elle n’a pas de encore le poing levé en signe de résistance, comme
solution, comme le montre le discours indirect libre le personnage féminin à droite au premier plan. Elles
aux lignes 48-49, elle refuse tout compromis, tout se mêlent aux hommes et ont un rôle actif, à leur
renoncement. égal. Cette présence féminine est assez nouvelle, alors
4. Grammaire que l’expression de la révolte, de l’affrontement et
L’argumentation du personnage est empreinte de souvent associée au registre épique, aux hommes.
colère, comme le montrent la modalité exclama-
tive (l. 21, 29, 46 et 47) et l’utilisation de l’impératif PAGE 54
à l’égard de Catherine (« Répète », deux fois l. 21).
La question rhétorique, ligne 40, a le même effet :
elle veut interpeller ses interlocuteurs, sa famille et
Étienne – et le lecteur.
∞
▶▶
Simone de Beauvoir,
Le Deuxième sexe, 1949
Objectifs
5. SYNTHÈSE ■■ Lire un essai du xxe siècle qui a œuvré pour l’égalité
Zola choisit d’écrire un roman engagé : il s’appuie sur entre les hommes et les femmes.
une réalité sociale qu’il a lui-même observée dans le ■■ Analyser une thèse et sa défense.

1. ENTRER DANS LE TEXTE Or, pour Beauvoir, les femmes doivent pouvoir par-
Dans son essai, Simone de Beauvoir défend la thèse tager le même « monde des idées » (l. 15) et s’assi-
selon laquelle les femmes n’ont pas pu produire miler aux hommes. Autrement dit, Beauvoir n’est pas
d’œuvre importante parce qu’elles en ont été empê- convaincue que la femme doive différer de l’homme
chées. Cela est exprimé dans le texte aux lignes 21-22 : et qu’elle apportera du « nouveau » : l’emploi du verbe
« Ce qui est certain, c’est que jusqu’ici les possibili- « s’assimiler », relevant ici du champ de la sociologie,
tés de la femme ont été étouffées et perdues pour mais qui est aussi très présent en biologie, montre
l’humanité ». On note que le verbe « empêché » est que ce n’est pas un processus de différenciation
conjugué au passif et que le complément d’agent est qu’elle recherche. Elle reste néanmoins prudente et
effacé. On comprend pourtant dans le texte que les exprime une concession au conditionnel, de « pour
responsables de la situation sont les hommes. savoir (l. 17) à « bien hardies » (l. 20) : l’originalité de la
2. Les femmes, pour Simone de Beauvoir, sont femme, lorsqu’elle aura la même liberté que l’homme,
dominées par les hommes et n’ont pas pu produire reste difficile à prévoir, pour l’auteur.
d’« œuvre géniale » (l. 2). L’extrait présente plusieurs 5. SYNTHÈSE
images qui soulignent la domination : l’expression Beauvoir, dans son essai, appelle une réorganisa-
« prolétariat français » (l. 6-7) emprunté à la lutte tion de la société française. Elle dénonce le joug des
des classes marque la relation hiérarchique établie hommes et réclame la liberté et l’égalité pour les
par l’autrice entre les hommes et les femmes. Celles-ci femmes. Dans un pays alors très conservateur sur le
doivent conquérir leur liberté, dont Beauvoir annonce plan religieux et moral, cette revendication fait l’objet
quand même la naissance (l. 8). Cette mue est d’une vive condamnation, d’autant plus virulente que
marquée tout d’abord de façon temporelle, dans le Le Deuxième Sexe est publié dans la prestigieuse col-
texte, avec la locution adverbiale « jusqu’ici » (l. 21) lection « Blanche » chez Gallimard et traduit dans de
et l’expression de l’avenir de la femme au futur de nombreuses langues. Les conservateurs lisent ce texte
l’indicatif (l. 8, 9, 17, 18 et 19). La citation de Rimbaud comme une provocation insupportable.
est elle aussi au futur de l’indicatif.
3. Grammaire Le commentaire pourrait se fonder sur la proposition
Les femmes sont comparées aux « Américains bar- de plan suivante :
bares » (l. 3) et aux « Noirs » (l. 5). Tous connaissent Problématique : Selon Simone de Beauvoir, la condi-
les mêmes reproches : avoir « ni artistes ni écri-
tion des femmes peut-elle évoluer ?
vains » (l. 4) pour les premiers, « n’avoir produit ni
1. Constat : les femmes sont dominées par les
un Whitman ni un Melville » (l. 6) pour les seconds,
hommes
ne pouvoir « opposer aucun nom à ceux de Racine
a) Elles ont été empêchées de créer
ou de Mallarmé » pour les Françaises (l. 7). Ces rap-
b) Les comparaisons opérées par le texte montrent
prochements sont porteurs d’espoir : la situation des
qu’elles vivent la condition des minorités
Américains, puis des Noirs fait maintenant partie du
2. Mais une émancipation commence
passé, comme le montre l’adverbe « naguère » (l. 3)
a) Rimbaud ouvre la voie aux femmes
et Beauvoir marque son impatience avec la proposi-
b) Beauvoir pense qu’il faut aller jusqu’à l’assimilation
tion « il est grand temps » (l. 22). Elle attend pour les
femmes les mêmes évolutions que pour ceux qui ont
par le passé subi le joug de la « vieille Europe » (l. 3). HISTOIRE DES ARTS
4. Dans une longue citation des lignes 9 à 14, le La photographie de 1937 illustre le combat pour le
poète Arthur Rimbaud dénonce tout d’abord l’« infini droit de vote des femmes : on y voit au premier plan
sevrage de la femme » (l. 9-10) pour appeler de ses des femmes qui manifestent, avec des pancartes qui
vœux la liberté qui lui permettra à son tour d’être explicitent leur combat pour le droit de vote : « La
poète : « la femme trouvera l’inconnu ! » (l. 11), faisant femme française doit voter ». La scène se passe à
ici référence au fameux poème de Baudelaire des Paris, puisque l’on voit à l’arrière-plan la tour Eiffel.
Fleurs du Mal « Le Voyage ». Mais Beauvoir n’est pas Cette manifestation a lieu en marge de l’Exposition
d’accord avec Rimbaud sur un point : pour le poète, universelle de novembre 1937.
les femmes trouveront de nouvelles « choses » (l. 13), On retrouve dans l’image la même détermination
que les hommes « prendron[t] » et comprendron[t] ». que celle que l’on peut lire dans le texte de Beauvoir.

Les femmes sont présentes et elles s’imposent au 3. La scolarisation de Lalita n’est pas seulement une
seul homme qui se trouve à gauche sur la photogra- question personnelle ou sociale, elle est aussi poli-
phie et qui semble un peu perdu. De la même façon, tique. Certes, il s’agit de donner accès à l’éducation
Le Deuxième Sexe fait le constat d’une société dont à une enfant. Mais la mère veut sortir sa fille de la
l’organisation n’est plus tenable, dont l’inégalité n’est caste dont sa famille est prisonnière, des tâches subal-
plus possible. ternes et humiliantes qui font son propre quotidien.
Il faut pour cela parler au Brahmane (l. 22), soit avoir
TICE
l’autorisation d’un membre de la caste supérieure.
La recherche pour l’activité TICE pourrait aider les
Mais avoir accès à l’école n’assurera en rien à la jeune
élèves à lire l’image proposée en regard du texte.
Lalita d’avoir un travail. « On naît videur de toilettes,
Les élèves apprendront que les suffragettes sont
des militantes pour le droit de vote des femmes au et on le reste jusqu’à sa mort » (l. 14) : cette assertion,
Royaume-Uni. Dès 1903, elles réclament l’égalité avec qui peut être attribuée à Nagarajan (il s’agit alors de
les hommes, alors même qu’elles sont considérées discours indirect libre), comme à l’auteur (ce serait
comme inférieures. Le terme est repris dans les autres alors du présent de vérité générale), témoigne de la
pays pour désigner ce combat. rigidité de l’organisation sociale indienne.
4. Les seules armes dont dispose Smita sont les mots
PAGE 55 et son pouvoir de conviction, sa parole et celle de
son mari – elle qui ne doit pas « parler » aux habi-
6
▶▶
Laetitia Colombani,
La Tresse, 2017
Objectifs
tants dont elle vide les toilettes (l. 8). Tout d’abord,
elle doit « convaincre » (l. 12) Nagarajan et cela n’a
rien d’évident : elle doit insister, comme le montre
l’accumulation « le lendemain, le jour d’après, et les
■■ Lire l’extrait d’un roman qui promeut l’éducation
suivants » (l. 16). Sa « détermination » (l. 19) est per-
des filles et l’égalité.
■■ Découvrir d’autres cultures.
ceptible à travers la répétition du verbe « refuser » aux
lignes 17 et 19 ou encore avec la négation ligne 16.
1. ENTRER DANS LE TEXTE Mais c’est à Nagarajan de porter sa parole devant le
Smita refuse sa condition en imposant l’éducation de Brahmane. Il « parlera » (l. 23) pour Smita.
sa fille. Elle veut qu’elle sache « lire et écrire » (l. 13),
5. SYNTHÈSE
qu’elle apprenne « à lire et à compter » (l. 25). Sa
détermination s’exprime par le choix des verbes et La lecture de cet extrait montre l’inégalité des droits
des temps : dans le monde. L’avant-dernier paragraphe témoigne
– « Sa fille ira à l’école » : le futur souligne ici le carac- de la violence faite aux femmes : la mère de Smita
tère certain de l’énoncé ; était battue par son mari, qui préférait « sauver sa
– « Lalita doit aller à l’école » : le verbe renforce ce vache, plutôt que sa femme » (l. 29). Par ailleurs, la
caractère certain en posant l’avenir comme une naissance d’une fille est encore dans certains pays une
obligation. nouvelle qui peut se solder par un infanticide, ce qui
est évoqué dans l’avant-dernier paragraphe : « Dans
2. Grammaire
les villages du Rajasthan, on les enterre vivantes, dans
Le point de vue narratif adopté dans cet extrait est
une boîte, sous le sable, juste après leur naissance. Les
omniscient. Nous avons accès, d’une part, aux pensées
petites filles mettent une nuit à mourir » (l. 32-33).
de Smita : dans le premier paragraphe, le lecteur la
Mais l’histoire racontée dans cet extrait présente une
suit, mais a aussi accès d’emblée à ses pensées (« elle
évolution : Nagarajan respecte sa femme, l’écoute,
sait », l. 2). Cela est accentué dans les paragraphes sui-
ne le bat pas et a accepté sa fille. Il va même œuvrer
vants : « Smita a pris une décision » (l. 11), « Smita n’a
pour que cette dernière connaissance ait une vie plus
pas cédé » (l. 16) ou encore « Elle aurait tant voulu »
heureuse que celle de sa femme. Pour autant, cette
(l. 23). Mais le point de vue est plus large, puisque
histoire semble une exception.
nous avons aussi accès aux pensées de Nagarajan,
son mari : « il connaît sa femme » (l. 20). Par ailleurs, VERS LE BAC. Dissertation
le narrateur omniscient donne de nombreuses indi- La question posée pour la dissertation doit amener
cations, dans le premier paragraphe, sur la vie des les élèves à réfléchir à l’impact de la fiction (« le
« dalits ». roman ») sur le réel (ici la question du « droit à l’édu-

cation »). Le raisonnement sera dialectique et les deux 3. On peut proposer différentes formes d’aliénation
réponses pourront être développées : l’efficacité du moderne pour aider les élèves, en faisant bien la
roman pour faire évoluer la société ou, au contraire, différence avec l’asservissement, objet de l’exercice
le caractère intrinsèquement coupé du monde de la suivant, par exemple l’aliénation par le travail.
fiction romanesque.
EXERCICE 4. Champ lexical
PAGE 56 1. Le sens étymologique d’« asservir » est « « mettre
dans l’état de servitude, réduire en esclavage ».
2. Synonymes : soumettre, dompter, enchaîner,
LEXIQUE ET ÉCRIT D’APPROPRIATION assujettir. Antonymes : affranchir, délivrer, libérer,
émanciper.
EXERCICE 1. Étymologie 3. Champ lexical de l’asservissement : soumission,
1. Révolte : mot formé à partir du verbe italien rivol- contrainte, esclavage, domination, subordination,
tare, signifiant « échanger, retourner » tyrannie, obéir, oppresser, humilier, maîtriser.
Rébellion : du latin rebellio, -onis, qui signifie « reprise 4. On amènera les élèves à réfléchir à des formes
des hostilités, révolte »
modernes de l’asservissement, qui peuvent être éloi-
Émeute : mot formé au xiiie siècle sur l’ancien participe
gnées de leur réalité, mais qui concernent encore de
passé esmeu du verbe émouvoir, d’après meute, qui
nombreux individus : esclavage au sens premier du
signifie « soulèvement, expédition »
terme, travail forcé, exploitation des enfants, vente
Insurrection : du latin insurrectio, -onis, « action de
d’organes, etc.
s’élever »
Sédition : du latin seditio, qui signifie « action d’aller EXERCICE 5. L’énonciation
à part », « désunion, discorde » et « soulèvement, 1. L’énonciation du texte est très marquée par la deu-
révolte » xième personne du pluriel. Le personnage féminin, en
Résistance : le verbe « résister » vient du latin resis- effet, s’adresse à un homme sur un ton véhément,
tere, qui signifie « s’arrêter, se tenir en faisant face », comme le montrent les emplois de l’exclamation.
« faire obstacle à ». Le substantif apparaît au xiiie siècle Les traces de la première personne sont en revanche
en français avec les mêmes sens que le verbe. assez rares et toujours en position d’objet (« me »,
Révolution : du latin revolutio, -onis, qui signifie l. 4, 7 et 8), tandis que le « vous » est systématique
« retour », « déroulement », « cycle » sujet, et à plusieurs reprises la deuxième personne
Insoumission : mot issu du verbe submiterre, qui du pluriel apparaît avec le démonstratif possessif
signifie « envoyer dessous » et au sens figuré « mettre « votre ». L’impératif permet également d’exprimer
dans un état de dépendance ». La soumission est l’ac- la deuxième personne du pluriel sur le mode de l’ordre
tion d’abaisser, le préfixe « in- » a le sens du refus d’un (« Taisez-vous ! », l. 4).
état de soumission. 2. Le choix énonciatif donne au texte un ton très
Désobéissance : du latin oboedire, qui signifie « prêter véhément et polémique. Les exclamations, les points
l’oreille à ». Obéissance en ancien français prend de suspension, les phrases courtes participent d’une
les sens de « juridiction », « domination, autorité ». tournure particulièrement orale.
L’antonyme, avec le préfixe « dé- » a le sens fort de
« rébellion » au xiiie siècle. EXERCICE 6. La phrase complexe
2. La prise en compte de l’étymologie permet de saisir La difficulté de la phrase porte sur la fonction de « des
les nuances de sens entre des mots qui entrent dans le pays », « des villes et des ciels ». En effet, l’ambiguïté
même champ lexical. Connaître notamment les sens tient à la syntaxe, un peu bousculée ici dans la com-
étymologiques, les sens propres et les sens figurés plétive, à partir de « que des pays… », ce qui rend
permet de mieux utiliser le lexique français. problématique l’analyse. On peut faire la proposi-
tion suivante « que des pays se trouvent où tout est
EXERCICE 2. Connotations
nouveau » : l’antécédent du pronom relatif « où » est
Voir le tableau ci-contre.
« des pays », qui est COD de « se trouvent ». L’ordre
EXERCICE 3. Synonymes et antonymes logique serait « que se trouvent des pays où tout est
2. Champ lexical de l’aliénation : folie, délire, démence, nouveau » qui pourrait aussi être formulé « qu’il se
trouble, égarement, dérangement, etc. trouve des pays où tout est nouveau… ».

Définition Connotations
Femme : être humain de sexe féminin S’oppose en biologie au mot « homme » et évoque les
attributs physiques féminins, notamment négativement
une moindre force physique. Le terme peut prendre des
connotations misogynes dans certains contextes.
Épouse : femme unie à une autre personne Utilisé dans un registre de langue soutenu, plus recherché
par les liens du mariage que « femme », pour signifier la relation conjugale
Compagne : femme qui passe sa vie avec Mot parfois préféré à « épouse », considéré comme
un homme ou une femme, sans précision mélioratif ou plus recherché
sur leur relation du point de vue légal
Conjointe : femme associée à une autre Mot plutôt utilisé dans le vocabulaire juridique
personne par les liens du mariage
Concubine : femme qui vit avec une autre Mot longtemps connoté négativement, du fait de la
personne sans être mariée, en union libre, situation à laquelle il renvoyait et qui était moralement
synonyme de maîtresse réprouvée. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, mais le mot
n’est pas fréquent.
Amante : désigne initialement une Le terme a varié dans ses connotations au fil des siècles.
femme qui aime une autre personne, Il a pu renvoyer à un imaginaire courtois, mais il désigne
mais aussi une femme vivant une relation aujourd’hui surtout une relation essentiellement physique
extraconjugale en dehors du mariage. Plutôt péjoratif.
Égérie : femme qui passe pour l’inspiratrice Connotation positive, la femme étant une source
d’un homme, souvent d’un artiste d’inspiration artistique
Muse : femme inspiratrice d’un écrivain, Mêmes connotations qu’« égérie », mais le mot « muse »
d’un poète est plus ancien en français.
Commère : femme curieuse, indiscrète et Connotations péjoratives
bavarde, généralement malveillante
Demoiselle : jeune femme célibataire Terme qui, vieilli, peut avoir des connotations
aristocratiques.
Donzelle : jeune fille Peut évoquer, péjorativement, une jeune femme aux
mœurs légères ou une femme prétentieuse et ridicule
Dame : femme adulte, mariée Peut avoir des connotations aristocratiques dans certains
contextes historiques
Cette analyse permet d’expliquer la suite : « des villes tout est nouveau, des villes dont le nom seul vous
dont le nom seul vous retient, des ciels sous lesquels retient, des ciels sous lesquels une âme étrangère se
une âme étrangère se substitue à la vôtre… » Dans substitue à la vôtre… »
cette perspective, « des villes… » et « des ciels… »
sont COD de « se trouvent », au même titre que « des EXERCICE 7. Écrit d’appropriation
villes ». Les relatives « où tout est nouveau », « dont Les textes des élèves se fonderont sur une analyse
le nom seul vous retient », « sous lesquels une âme préalable du portrait de Frances Benjamin Johnston,
étrangère se substitue à la vôtre » caractérisent res- célèbre photographe américaine. Sa position est
pectivement « des pays », « des villes », « des ciels ». surprenante pour l’époque : elle fume une cigarette,
La phrase donnerait donc, avec un ordre logique : « Je attribut viril et masculin s’il en est, est assise avec
veux espérer et craindre qu’il se trouve des pays où la jupe retroussée et laissant se dévoiler ses jupons

blancs. On comprend le parti pris de liberté, peut- – Le face à face s’incarne dans les nombreux verbes
être même de provocation dont les textes des élèves pronominaux, qui montrent qu’ils sont sujets et objets
devront s’inspirer. de multiples actions tous les deux (« ils se surveil-
lèrent », « ils se suivirent », « ils s’étudièrent », etc.)
PAGES 58-59 qui narrent la suspicion, la querelle et la haine.
– Ils finissent par construire le même projet d’assas-
siner l’autre et de la même façon (adverbe « mutuel-
HISTOIRE LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE lement »), puis s’unissent dans la mort (« liés », l. 20),
« à la même heure » (l. 19).
La nouvelle réaliste 2. La mise en place progressive d’une fin tragique
– Évolution des sentiments, de la haine à l’assassinat,
1. De nombreuses nouvelles de Maupassant et de Zola
place du remords et de l’effroi.
sont accessibles aux élèves, dès la classe de quatrième.
– Dialectique de la parole et du silence, parole impos-
S’agissant d’élèves de seconde, on privilégiera peut-
sible entre les assassins, silence impossible à conserver
être des nouvelles moins connues et moins lues que
sur leur histoire criminelle. La résolution se trouve à la
« Aux champs », « Le Horla » ou « La Parure » pour
fin de la nouvelle dans leur « confession » (l. 21), qui
leur faire découvrir par exemple les nouvelles de
libère finalement leur parole après la mort.
Zola réunies autour de « La Mort d’Olivier Bécaille »
– Organisation d’un assassinat mutuel : le poison
ou, s’agissant de Maupassant, une nouvelle comme
renvoie à de nombreuses références littéraires et
« Boitelle », qui pose de façon humoristique et cruelle
théâtrales (le « dernier acte », l. 1, qui renvoie bien à
la question du mariage d’amour au xixe siècle.
une structure dramaturgique).
2. Le photogramme et la couverture peuvent évoquer 3. La force de la brièveté de la nouvelle
le genre littéraire de la nouvelle : on compte à chaque – La force de ce passage réside pour partie dans
fois peu de personnages et ils sont réunis à un endroit l’emploi du passé simple : les actions s’enchaînent,
précis, à l’intérieur pour Boule de Suif, à l’extérieur rapidement et implacablement, et portent les per-
pour Une partie de campagne. Le photogramme de sonnages jusqu’à la mort.
la page 58 semble être pris sur le vif, à un moment – Une intrusion d’auteur accentue le tragique, prenant
de crise, comme le rappelle la définition en regard. à témoin le lecteur (« Vie terrible… », l. 10-11).
4. On pourra par exemple consulter les articles – Chute qui marque l’ironique tragique et rappelle
suivants : le titre Un Mariage d’amour, à lire rétrospectivement
– dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/dispari- comme une antiphrase.
tions/article/2017/01/31/mort-de-l-ecrivaine-annie-
saumont_5072348_3382.html PAGE 61
– dans Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/
livres/2017/01/31/03005-20170131ARTFIG00281- BAC Dissertation
mort-de-la-grande-nouvelliste-annie-saumont.php
Proposition de plan détaillé
– dans Télérama : https://www.telerama.fr/livre/
1. L’édification morale peut être un des buts de la
annie-saumont-mort-d-une-nouvelliste-exception-
littérature
nelle,153546.php
a) L’expression latine placere et docere, « plaire et
instruire », illustre l’ambition de nombreux auteurs,
PAGE 60 par exemple au xviie siècle.
b) De nombreux textes ont également une valeur
BAC Commentaire
cathartique, en particulier au théâtre. Le spectacle
Proposition de plan détaillé de scènes contraires à la morale, choquante, s’est
1. Deux personnages face à face : jeux de miroirs longtemps donné pour objet, depuis l’Antiquité, de
– Des ressemblances : les personnages sont réunis détourner du mal en provoquant la peur et la pitié.
sous le terme d’« assassins » (l. 2), mais aussi au singu- c) La littérature peut aussi être engagée et avoir une
lier, chacun étant le « complice redoutable » de l’autre ambition sociale. Hugo, Sartre ou encore Camus ont
(l. 12) ; puis ils sont unis tout au long du texte par le écrit pour participer au progrès de la société de leur
pronom personnel pluriel « ils ». temps.

2. Pour autant, cette vision de la littérature semble c) Les mœurs évoluent et les leçons d’hier ne peuvent
aujourd’hui très étroite être celles d’aujourd’hui. Le lecteur est donc fonda-
a) Les auteurs ne se soucient plus, pour une large mentalement libre et trouvera dans la lecture les
majorité, de dicter sa conduite au lecteur. Depuis, au leçons qu’il voudra bien y chercher. Pour preuve, les
moins, les tenants de « l’art pour l’art » au xixe siècle, deux grandes œuvres présentées devant la justice
nombreux sont les auteurs qui ne cherchent plus à en 1857, Les Fleurs du Mal de Baudelaire et Madame
rendre l’art utile (Gautier). Bovary de Flaubert, sont aujourd’hui parmi les plus
b) La référence à une quelconque utilité morale a lues par les lycéens pour le baccalauréat.
souvent été, au xviiie ou au xixe siècle, une parade : En conclusion, les œuvres jouent avec la morale de
représenter des histoires immorales en avançant pour leur temps et manipulent leur réception par les lec-
but de détourner le lecteur de ces comportements, teurs. Il ne faut pas nier la portée de certaines, cher-
tout en lui permettant de les lire. Il y avait là une façon chant explicitement à « édifier » le public, mais la très
de détourner la censure, de s’excuser de donner à lire grande majorité, si elle a une portée morale, ne la tient
l’adultère, la sexualité, le vice, etc. pas pour un but, laissant le lecteur libre.

séquence ‹
Étonnants voyageurs
OBJECTIFS ET PRÉSENTATION patrimoine artistique mondial, mais son appréciation

DE LA SÉQUENCE confond valeur esthétique et valeur marchande.
L’iconographie de la nouvelle fait la part belle aux
La séquence 3 propose aux élèves de partir à la décou-
tableaux de Paul Gauguin, d’autant que le narrateur
verte du récit de voyage à travers sa remarquable
décrit précisément une toile réelle, reproduite à la
diversité, depuis le témoignage authentique d’une
page 64, intitulée Femmes au bord de la rivière.
Alexandra David-Néel explorant le Tibet déguisée en
Le texte proposé pour le commentaire est un extrait
mendiante jusqu’aux diverses modalités du récit de
de l’œuvre intégrale qui narre le départ de Tahiti du
voyage fictif. Ils pourront ainsi apprécier la nouvelle
narrateur et sa découverte de l’île de Taratora. Son
intégrale de Romain Gary, dont le narrateur découvre
étude progressive permet aux élèves de découvrir
les îles tahitiennes, le roman d’aventures de Jules
certains clichés du récit de voyage à l’œuvre dans la
Verne, dont les héros sauvent une jeune Indienne
description de l’île et de ses habitants, et de percevoir
d’un sacrifice rituel ou encore le roman épistolaire de
l’ambivalence du narrateur. Le sujet de dissertation,
Montesquieu. Il s’agit également de faire percevoir la
qui porte également sur l’œuvre intégrale, permet
portée morale de ces œuvres, en invitant les élèves à
aux élèves de réinvestir l’ensemble des connaissances
s’interroger sur les valeurs humaines incarnées par les
acquises lors de l’étude de la nouvelle. La question
figures de voyageurs/voyageuses et d’explorateurs/
exploratrices, et sur le regard qu’ils et elles portent sur posée, qui porte sur l’évasion procurée par le récit de
les lieux et les civilisations qu’ils et elles découvrent. voyage, est volontairement simple. Les élèves pour-
L’œuvre intégrale constitue un des atouts majeurs ront trouver des arguments et de exemples pour
de cette séquence. Reproduite dans son intégralité, nourrir l’antithèse, en s’appuyant notamment sur la
elle permet aux élèves de se familiariser avec les portée morale évidente de la nouvelle.
méthodes d’analyse d’une œuvre intégrale, qui leur Les prolongements artistiques et culturels per-
seront nécessaires pour préparer le baccalauréat. mettent à l’élève d’ancrer l’œuvre intégrale dans son
Le questionnement qui accompagne chaque extrait contexte artistique, esthétique et littéraire à travers
offre aux élèves un guidage précieux dans la décou- deux approches complémentaires.
verte des problématiques soulevées par cette nou- La notion d’exotisme est abordée par le biais de la
velle. Elle leur permettra notamment d’en saisir la poésie et de la peinture. Deux poèmes du xixe siècle
portée morale, qui transforme peu à peu ce récit en dessinent deux visions d’un ailleurs : l’île tropicale à
une sorte d’apologue, et de percevoir le décalage iro- la nature exubérante chez Baudelaire, qui n’est pas
nique que l’auteur a su instaurer entre les propos du sans rappeler le jardin d’Éden, et la « ville mauresque »
narrateur, pétris de bons sentiments, et ses actes, bien aux « flèches d’or » chez Hugo, dont la rêverie se
plus critiquables. La « soif d’innocence » qu’affirme le teinte d’orientalisme. Bien loin de ces exotismes de
narrateur et qui fournit son titre à la nouvelle révèle la séduction, c’est à la discipline rigoureuse et à l’ordre
progressivement son ambivalence. Est-il question exemplaire de l’empire du Milieu que Segalen rend
d’une quête morale de pureté ou bien s’agit-il de hommage. Quant au paysage exotique du Douanier
profiter de l’innocence des autres pour satisfaire ses Rousseau, il propose la recréation du paysage de la
propres besoins matériels ? Dès les premières lignes, jungle, dont il rassemble en peu d’espace une grande
son souhait d’être « entouré d’êtres simples et ser- variété d’espèces animales et végétales, dans une
viables » auxquels il pourrait « tout demander » laisse sorte de condensé très personnel.
peu de doutes. Le vif intérêt éprouvé par le narrateur Une même condensation semble à l’œuvre dans le
pour les toiles que possède Taratonga est particu- tableau de Gauguin au titre métaphysique : D’où
lièrement révélateur. Lui qui croit être en présence venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?
de toiles de Gauguin se prétend le sauveteur d’un Une telle œuvre constitue un très bon support pour

faire découvrir aux élèves une vision moderne du quable rend compte de son expédition qui la mène
mythe du bon sauvage. Les personnages de ce jusqu’à la capitale tibétaine, déguisée en mendiante,
tableau relèvent de ce mythe dans la mesure où afin de ne pas éveiller les soupçons pour atteindre
leur mode de vie primitif semble baigné par une har- Lhassa, qui était à l’époque une ville interdite aux
monie universelle. La lettre de Gauguin constitue un Occidentaux. Le récit de voyage constitue également
précieux document permettant de saisir le sens de un des motifs majeurs de la bande dessinée, et Corto
son tableau, qui constitue une sorte de testament Maltese est sans aucun doute l’un des plus célèbres
pictural. voyageurs du neuvième art. L’incipit des Éthiopiques
Le groupement de textes complémentaires s’at- permet aux élèves d’en apprécier l’exotisme et la maî-
tache à mettre en valeur la diversité des récits de trise de la narration graphique, par l’échelle des plans
voyage, du xviiie siècle à nos jours. Il s’agira tout qui conduit le lecteur à une découverte très progres-
d’abord pour les élèves d’apprécier les récits de sive de la scène représentée.
voyage fictifs du siècle des Lumières, à travers deux Enfin, le parcours des élèves s’achève sur un extrait
chefs-d’œuvre du genre : les Lettres persanes de de roman contemporain, Salina, de Laurent Gaudé. Le
Montesquieu et Candide de Voltaire. Les Lettres per- récit de voyage devient ici aussi symbolique que réel,
sanes sont abordées à travers une de leurs lettres les puisqu’il s’agit pour Salina d’accomplir son dernier
plus savoureuses : la lettre XXX, connue par la célèbre voyage, sur les épaules de son fils, tout comme
réflexion des Parisiens adressée à Rica « comment Anchise par son fils Énée, le futur fondateur de Rome,
peut-on être Persan ? » À travers l’expérience de lors de l’incendie de Troie.
Rica, qui passe bien vite de la célébrité à l’anonymat
dès lors qu’il retire l’habit persan qui faisait tout son
attrait auprès des Parisiens, Montesquieu propose NOUVELLE INTÉGRALE
une satire de l’inconstance et de la superficialité de
ses contemporains. Les élèves peuvent ainsi s’initier Romain Gary, « J’ai soif
au procédé du « regard étranger », qui permet à l’au-
d’innocence », 1962
teur de critiquer ses contemporains par le biais d’une
fiction littéraire plaisante et teintée d’exotisme. Le PAGE 62
récit de voyage se met au service des idéaux des
Lumières. Il en est de même pour Candide, dont 1. Cet incipit révèle l’ambivalence du narrateur, ainsi
les tribulations le mènent jusqu’en Eldorado. Là, il que l’ironie de Romain Gary, qui suggère un décalage
découvre une société égalitaire, prospère, férue de de plus en plus flagrant entre les propos et les actes
sciences, gouvernée par un souverain proche de ses de son narrateur.
sujets. En un mot, une société idéale. Le récit de Ce dernier peut, a priori, sembler animé de valeurs res-
voyage se mue ici en utopie. pectables et d’intentions louables, comme en atteste
Les deux textes du xixe siècle permettent aux élèves le premier paragraphe, dans lequel il explique son
de différencier le récit d’aventures, auquel Jules Verne souhait de fuir le « monde mercantile entièrement
donne ses lettres de noblesse, et le roman autobiogra- tourné vers les biens matériels » (l. 3). Il justifie sa
phique de Pierre Loti, plus intimiste. Tous deux font « soif d’innocence » (l. 5), expression qui donne son
la part belle à l’exotisme, puisqu’ils intègrent chacun titre à la nouvelle, par son souhait d’échapper à la
l’insolite géographique, ethnologique et culturel. société occidentale dans laquelle règne une « atmos-
Il s’agit pour les héros de Jules Verne de sauver une phère de compétition frénétique et de lutte pour le
jeune veuve indienne promise à un sacrifice humain profit » (l. 5-6), et fustige « l’absence de tout scru-
rituel, ressort dramatique qui confère au récit une pule » (l. 6) qui la caractérise.
intensité dramatique considérable, tandis que le nar- Toutefois, le matérialisme du narrateur se fait jour dès
rateur du roman de Pierre Loti rend compte de son la fin du deuxième paragraphe : ce dernier se plaint en
passage chez une entremetteuse, avec une grande effet qu’il soit « de plus en plus difficile de se procurer
précision du détail. ces quelques facilités matérielles indispensables à la
Une telle précision se retrouve dans le récit d’Alexan- paix de l’esprit » (l. 8-9), et affiche son souhait d’être
dra David-Néel, Voyage d’une Parisienne à Lhassa, qui « entouré d’êtres simples et serviables » (l. 12-13)
a la force du témoignage. Cette ethnologue remar- auxquels il pourrait « tout demander », ne leur accor-
SÉQUENCE 3 Étonnants voyageurs | 41

dant que son « amitié en échange » (l. 14). Une telle afin qu’ils apprécient la conception du voyage qu’in-
relation se révèle fondée sur des rapports inégalitaires, carne et promeut son auteur.
dans lesquels les autres devraient se mettre au service 2. Cette vision du voyage semble assez proche des
du narrateur sans aucune contrepartie. Le narrateur se idéaux du narrateur qui délaisse le mercantilisme de
révèle finalement sous son véritable jour, celui d’un la société occidentale pour une nature plus authen-
parasite ou d’un profiteur. tique et des rapports humains harmonieux. On notera
2. Le narrateur souhaite « quitter la civilisation » (l. 1) toutefois que la notion d’effort que l’on peut associer
pour retrouver des relations humaines fondées sur à l’expédition dans le Grand Nord représentée par
la générosité et le partage. Il justifie sa « soif d’inno- la photographie n’existe pas chez le narrateur, qui
cence » (l. 5) par les raisons suivantes : le rejet du semble plutôt attiré par des conditions de vie confor-
matérialisme et de l’esprit de compétition de la tables et recherche une nature accueillante.
société occidentale (l. 5-6), et le besoin « de désin-
téressement » (l. 10). PAGE 63
3. Grammaire 1. Le narrateur est déçu par Papeete parce qu’il n’y
Le narrateur énonce son rêve de se sentir entouré trouve pas chez les habitants la générosité qu’il
« d’êtres simples et serviables, au cœur entièrement escomptait. Il regrette qu’il faille débourser de
incapable de calculs sordides, auxquels je pourrais l’argent en échange d’un service : « tout y a un prix, un
tout demander ». salaire, un domestique y est un salarié et non un ami
Trois types d’expansions accompagnent le nom et s’attend à être payé au bout du mois » (l. 21-23),
« êtres ». Tout d’abord, deux adjectifs qualificatifs épi- déplore-t-il.
thètes coordonnés (« simples et serviables »). Ensuite,
2. Deux aspects de l’île de Taratora apparaissent para-
un groupe nominal prépositionnel complément du
disiaques aux yeux du narrateur : le paysage et les
nom (« au cœur entièrement incapable de calculs
mœurs des habitants.
sordides »), et enfin une proposition subordonnée
D’une part, il est séduit par le « paysage polynésien »
relative (« auxquels je pourrais tout demander »). Le
(l. 38-39) qui s’offre à lui, dont il propose une des-
narrateur révèle, par ces différentes expansions du
cription conforme aux clichés exotiques (« la chute
nom, la véritable nature de ses intentions : il souhaite
vertigineuse des palmiers de la montagne à la mer,
profiter de la générosité des Tahitiens.
la paix indolente d’une lagune que les récifs entou-
raient de leur protection », l. 40-43). Il en a toute-
HISTOIRE DES ARTS
fois conscience, puisqu’il concède qu’il s’agit d’une
1. Cette photographie nous présente un homme, de « beauté mille fois décrite » (l. 36). D’autre part, il
dos, qui parcourt d’immenses étendues naturelles vante surtout « la pureté d’âme des habitants » (l. 54),
recouvertes de neige au moyen d’un traîneau à chien. qui font preuve d’une hospitalité et d’un désintéresse-
Le voyage y est présenté ici comme une aventure ment remarquables, puisqu’ils lui offrent « la meilleure
authentique, qui permet à l’homme de se confronter paillote du village » (l. 50) et mettent à son service
aux éléments naturels avec des moyens de locomo- « pêcheur », « jardinier » et « cuisinier » (l. 51-52).
tion traditionnels. Ainsi, l’île de Taratora, qui se présente comme une
Nicolas Vanier, l’inlassable explorateur du Grand sorte de paradis originel abritant des hommes natu-
Nord, a depuis le début des années 1980 parcouru rellement bons, constitue une réactivation du mythe
la Laponie à pied, traversé la péninsule du nouveau du bon sauvage.
Québec-Labrador en traîneau tiré par des chiens et 3. Grammaire
il est parti à la rencontre du plus grand troupeau de Dans les groupes nominaux « mon pêcheur, mon
caribous du monde en canoë. De ses voyages, il rap- jardinier, mon cuisinier », le déterminant possessif
porte livres, reportages photographiques et films, « mon » révèle le rapport de domination instauré
qu’il réalise le plus souvent pour la télévision. Son par le narrateur sur ces habitants, dont il profite des
expédition en Sibérie de 1990-1991, dont est tirée la services « sans bourse délier » (l. 52) et sans aucune
photographie Lac Baïkal (1991), est à l’origine de son contrepartie. Son comportement s’apparente donc à
premier long métrage, Au nord de l’hiver (1993). On celui d’un colon, venu exploiter les richesses naturelles
pourra proposer aux élèves d’en visionner des extraits et la bonté des Polynésiens.

PAGE 64 PAGE 65
1. Taratonga, « femme âgée d’une cinquantaine 1. Le narrateur n’est pas sincère envers Taratonga. Il
d’années » (l. 56), est la fille d’un ancien chef res- prétend « opter pour la franchise » (l. 133) lorsqu’il
pecté. Elle jouit d’une certaine autorité auprès de se décide à aller lui parler pour lui révéler son intérêt
la population qui lui voue « un amour filial » (l. 58). et savoir si elle en a d’autre, mais il ne révèle pas à
Entre elle et le narrateur s’instaure une relation la vieille femme la valeur marchande des toiles et lui
d’« amitié » (l. 59). Leurs échanges, rapportés au ment par omission en prétendant s’y intéresse parce
style indirect, se caractérisent par une certaine pro- qu’il « aime les couleurs gaies » (l. 137).
fondeur, comme le suggère l’expression du narrateur 2. Le narrateur éprouve diverses émotions fortes.
« en lui ouvrant mon âme » (l. 60). Durant les huit jours au cours desquels il reçoit de
2. Le narrateur est bouleversé en découvrant que Taratonga trois gâteaux enveloppés dans trois toiles
les toiles avec lesquelles Taratonga enveloppe les de Gauguin, le narrateur exprime sa jubilation en
gâteaux qu’elle lui offre sont ornées de peintures de termes quasi mystiques (« mon âme chantait », l. 125)
Paul Gauguin : « J’avais devant moi un tableau de et dit vivre des « heures d’intense émotion artistique »
Gauguin. » (l. 84) (l. 126). Pourtant, force est de constater qu’il associe
3. Grammaire systématiquement les aspects esthétiques et les
On remarque la présence de cinq phrases exclama- aspects économiques. À la joie intense succède la
tives successives aux lignes 93 à 96. Celles-ci tra- déception, lorsque les gâteaux arrivent sans leur toile.
duisent l’émotion suscitée par la découverte de la Il en perd « complètement le sommeil » (l. 127), puis
toile de Gauguin chez le narrateur, qui semble prin- se sent « vexé et même légèrement indigné » (l. 129).
cipalement sensible à la valeur marchande d’une telle 3. Le narrateur emploie un lexique dépréciatif pour
peinture : « Une peinture qui, vendue à Paris, devait caractériser les indigènes de Taratora. Selon lui,
valoir cinq millions ! » ceux-ci ont « quelques graves défauts dont une cer-
taine légèreté, qui fait qu’on ne peut jamais compter
HISTOIRE DES ARTS sur eux complètement » (l. 129-131). Le recours à ce
lexique dépréciatif révèle une autre facette du narra-
La scène représentée par le tableau de Gauguin inti-
teur, qui peut se montrer méprisant envers ceux qui
tulé Femmes au bord de la rivière (1892) correspond à
pourtant lui ont offert l’hospitalité. À sa décharge,
la description de la deuxième toile reçue par le nar-
ce lexique dépréciatif est largement compensé par
rateur, représentant « un petit coin de la montagne
de nombreuses remarques laudatives à l’endroit de
tahitienne et des baigneuses au bord d’une source »
(l. 87-88). On peut supposer que l’auteur s’en est Taratora et des habitants de Taratonga, qualifiés par
inspiré pour cette description. Le narrateur affirme exemple d’« êtres merveilleux » (l. 150).
que « les couleurs, les silhouettes, le motif lui-même 4. Grammaire
étaient à ce point reconnaissables que, malgré le Comme dans tout récit aux temps du passé, le passé
mauvais état de la toile, il était impossible de s’y simple constitue le temps de base. Il est employé pour
tromper ». Les œuvres de la période tahitienne de les actions de premier plan : « j’ouvris », « je ne dis »
Gauguin sont en effet particulièrement reconnais- (l. 109), « je revins (...) et attendis » (l. 117-118), « le
sables, même par un simple amateur. Elles offrent gâteau arriva » (l. 118), « je faillis », « je me retins »
d’une part l’image d’un monde lointain, de l’autre, (l. 120), « j’allai » et « je lui dis » (l. 121).
l’expression symbolique d’une pureté naturelle et L’imparfait a plusieurs valeurs dans ces deux para-
morale présumée. Les couleurs fortes et insolites graphes : l’imparfait explicatif (« C’était le moment
de la nature, les corps nus et bruns des indigènes, [...] je n’avais pas le droit », l. 109-114) ; l’imparfait
la richesse d’une végétation luxuriante forment un descriptif (« Elle était », « quelqu’un semblait », l. 119).
décor inhabituel pour des Européens. L’écho de cette Enfin, le présent de vérité générale est employé à
épopée à travers les océans, à la recherche d’une deux reprises : un aveu du narrateur (« j’avoue que
sorte d’Éden mythique, a parfois déformé l’image je souffre d’une sensibilité excessive », l. 114-115) et
de son primitivisme, qui est en réalité un exotisme une sorte de proverbe (« la seule chose qui n’a pas de
cultivé. prix, c’est l’amitié », l. 117).

Dossier personnel
Cette chute est ironique dans la mesure où, durant
toute la nouvelle, c’est le narrateur qui semble profiter
Pour aider les élèves, on pourra leur suggérer de se de la naïveté des autochtones et de la générosité de
fonder notamment sur le paragraphe des lignes 151- Taratonga. On retrouve ici le motif littéraire classique
157, dans lequel le narrateur fait part du dilemme du trompeur trompé (voir question 4).
qui l’habite lorsque Taratonga lui offre l’ensemble 3. La conclusion du narrateur est erronée. Il se pré-
des toiles de Gauguin : d’un côté, il ne souhaite pas sente comme la victime de la malveillance des autres :
pervertir la pureté des autochtones avec « ces notions « une fois de plus, le monde m’avait trahi » (l. 197).
mercantiles de prix et de valeur » (l. 153), de l’autre il Or, un examen de conscience approfondi lui permet-
se sent coupable « d’accepter un tel cadeau sans rien trait de se rendre compte que la maxime pessimiste
offrir en échange » (l. 155). On pourra également sug- qu’il énonce s’applique à son propre cas : « dans les
gérer aux élèves de faire une recherche sur le mythe grandes capitales comme dans le plus petit atoll du
du bon sauvage, qui nourrit à son insu l’imaginaire Pacifique, les calculs les plus sordides avilissent les
du narrateur (voir p. 69) qui voit dans cette île l’un âmes humaines » (l. 197). Finalement, le narrateur
des derniers « paradis terrestres » existants (l. 154).
ne semble pas avoir tiré la leçon de cette expérience
car il se révèle incapable de la moindre introspection.
PAGE 66 N’ayant pas pu envisager que la cause de ses décon-
venues pouvait se trouver en lui-même, il ne lui reste
1. Le narrateur justifie son action par une forme d’al-
plus qu’à se retirer de la société des hommes pour
truisme. Bien loin de se satisfaire de « la contempla-
satisfaire son « lancinant besoin de pureté » (l. 200),
tion égoïste de la beauté », il souhaite « partager cette
tel un Alceste moderne, rendu ridicule aux yeux du
joie avec [s]es semblables » (l. 171-172). Toutefois,
lecteur qui aura su saisir l’ironie de l’auteur.
la suite de ses réflexions révèle ses véritables moti-
vations, qui sont bien plus égoïstes : il s’agit de tirer 4. Ce récit de voyage se présente comme un apologue.
un profit maximal de la vente des toiles de Gauguin. En effet, la question des valeurs morales se pose tout
Dès lors, le lexique et la syntaxe se teintent d’ironie. au long de la nouvelle. Dès le départ, le narrateur porte
Ainsi, l’usage du verbe « offrir » (l. 174) est paradoxal un jugement très négatif sur le matérialisme et l’esprit
dans la situation évoquée, qui relève davantage de de compétition de la société occidentale (extrait 1
la transaction lucrative que du sauvetage de biens p. 62), et il envisage les civilisations océaniennes
culturels en péril. La juxtaposition de la phrase sui- comme un nouvel Éden. Pourtant, apparemment sans
vante est particulièrement éloquente : « offrir mes même s’en rendre compte, il va se comporter comme
trésors. Il y en avait pour une centaine de millions » un profiteur, pour ne pas dire un parasite, auprès de la
(l. 173-174). La phrase suivante explicite la cupidité du population de Taratora, qu’il exploite comme le plus
narrateur, irrité de devoir s’acquitter du prélèvement cynique des colons, voire des esclavagistes. À aucun
des impôts : « La seule chose qui m’irritait, c’était que moment il n’envisage la moindre réciprocité envers
l’État allait sûrement prélever trente à quarante pour ceux qui lui prodiguent le meilleur accueil (extrait 2
cent du prix obtenu. » Enfin, la dernière phrase du p. 63). Par la suite, le nœud de la nouvelle (extraits 3
paragraphe vient boucler les contradictions du nar- et 4, p. 64-65) met en évidence la cupidité du nar-
rateur, qui confond les plans esthétique, éthique et rateur, qui se révèle prêt à tout pour s’accaparer les
économique : la « beauté » devient le nom acceptable toiles qu’il attribue à Gauguin, afin d’empocher une
du profit. substantielle plus-value lors de leur revente en Europe.
2. Le narrateur se rend compte qu’il a été victime En outre, c’est avec la plus éclatante mauvaise foi qu’il
d’une escroquerie de la part de Taratonga. Celle-ci lui se convainc lui-même d’agir pour le bien de l’huma-
a fait croire que les toiles avec lesquelles elle enve- nité en « sauvant » ces trésors artistiques. La chute
loppait ses gâteaux avaient été peintes par Gauguin, constitue un juste retour des choses. Le narrateur qui
alors qu’en réalité il s’agit « d’imitations de Gauguin pensait avoir fait une excellente affaire en échangeant
assez étonnantes » (l. 190-191) peintes par la vieille les toiles de Taratonga contre sept cent mille francs,
femme qui « a passé trois ans aux Arts décoratifs à dans l’espoir de les revendre trente millions en Europe,
Paris » (l. 188-189), comme le lui révèle le propriétaire apprend qu’il s’agit de simples copies valant vingt
de l’hôtel où il loge à Papeete. mille francs pièce (extrait 5, p. 66).

Sa cupidité et sa malhonnêteté sont finalement en effacer totalement la présence, comme le suggère
punies par ce retournement de situation relevant la personnification du vers 5 « île paresseuse ». Cette
du motif du trompeur trompé, dont on peut trouver île, qui peut évoquer le paradis originel, concilie les
de nombreux exemples littéraires. Parmi ceux-ci le notions contradictoires d’oisiveté (« île paresseuse »,
plus célèbre est certainement la fable de La Fontaine v. 5) et de fertilité (« où la nature donne [...] des fruits
intitulée Le Coq et le Renard (Livre II, fable 15, 1668) savoureux », v. 5-6). Les deux tercets associent égale-
qui se clôt sur la morale suivante : « Car c’est double ment exotisme et sensualité, puisque l’évocation de
plaisir de tromper le trompeur ». Par cet apologue iro- l’île exotique est à nouveau générée par le parfum du
nique dont le narrateur est la victime, l’auteur invite corps féminin, comme l’exprime le vers 9 : « guidé par
le lecteur à interroger ses propres valeurs morales. ton odeur vers de charmants climats ». Tout comme
5. Grammaire dans les quatrains, la personnification souligne une
Le dernier paragraphe s’ouvre sur deux phrases telle association : les « climats » sont « charmants ».
présentant un rythme ternaire. Celles-ci miment Toutefois, le corps féminin, qui était le catalyseur de
l’accablement physique (première phrase) et moral cette évocation, passe progressivement au second
(deuxième phrase) qui saisit le narrateur. La phrase plan et les derniers vers se concentrent sur la vision
suivante se présente sous la forme d’une sentence exotique d’« un port » (v. 10) ombragé par des « tama-
définitive : « Une fois de plus, le monde m’avait trahi ». riniers » (v. 12).
Sa brièveté, qui rompt avec le rythme des phrases pré- 2. Victor Segalen fait ici l’éloge de la Chine comme
cédentes, renforce son aspect sentencieux. Enfin, les un espace central ordonné.
deux dernières phrases se déploient selon un rythme La centralité de la Chine se retrouve dans son nom
beaucoup plus ample, notamment la dernière phrase même que l’on traduit habituellement en fran-
qui ne comporte pas une seule virgule sur deux lignes. çais par l’expression « l’empire du Milieu », et que
Cette amplification de la phrase semble indiquer la Segalen glose par l’expression « l’Empire au centre
reprise de la réflexion du narrateur après le moment du monde ». Cette centralité se retrouve également
de sidération. dans le groupe nominal « Le continent milieu des
Quatre-mers ». Enfin, la première strophe valorise une
Dossier personnel
certaine rigueur de ce pays renfermé sur lui-même et
La lettre de Taratonga peut permettre aux élèves de sur ses valeurs conservatrices, en mettant sur le même
rendre compte de leur appréhension du personnage. plan le « juste », le « bonheur » et la « conformité ».
Ceux-ci pourront, au choix, insister sur le cynisme La deuxième strophe, constituée de deux relatives
de la femme, qui peut se vanter d’avoir escroqué le dont l’antécédent est à retrouver dans la strophe pré-
narrateur, ou au contraire souligner l’aspect moral cédente, insiste sur la rigueur de la hiérarchie sociale à
de son action. laquelle sont soumis les individus : « Où les hommes
se lèvent, se courbent, se saluent à la mesure de
leurs rangs. » Ce poème, dans son ensemble, oppose
PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS l’« ici » de la Chine au « là » occidental, où « le confus
s’agite ». Il s’agit, pour Segalen, de prôner une sorte
d’anti-exotisme, qui rejette les clichés et semble
PAGE 68 adopter le point de vue chinois.
Comme le précise Steven Winspur dans La Poésie
L’exotisme en peinture et en poésie du lieu (2006), Segalen ranime par cette stèle une
1. L’exotisme et la sensualité, deux composantes légende classique de la littérature chinoise à propos de
du paradis baudelairien, sont associés dans l’évoca- l’empereur Mou-Wang qui aurait accompli un voyage
tion de la figure féminine. La relation intime entre vers l’ouest en 989 avant notre ère. Au lieu de saluer
le poète et sa muse – Jeanne Duval, beauté métisse ce grand aventurier, Segalen offre un commentaire
que Baudelaire a rencontrée en 1842 – provoque une ironique sur son voyage, et suggère d’apprécier ce
vision intérieure (« les deux yeux fermés [...] je vois ») que Mou-Wang aurait eu tort de rejeter. Ce faisant,
que déclenche le parfum du « sein chaleureux » (v. 2) il renvoie dos à dos l’exotisme de Mou-Wang, attiré
de la femme aimée. Puis le tableau exotique se subs- par l’Occident, et celui des voyageurs occidentaux
titue progressivement à la figure féminine, mais sans attirés par l’Orient.

3. Cette vision orientale constitue une véritable manière d’un jardinier botaniste et d’un taxidermiste
apparition qui vient enchanter un paysage mélanco- ingénieux un univers de plantes et d’animaux unique.
lique, caractérisé par les expressions suivantes : « le Explorateur de la modernité, il compose une faune et
grand bois jaunissant » (v. 4), « l’automne décline » une flore endémique, propre à ce nouveau monde,
(v. 5), « le soleil et la pluie ont rouillé la forêt » (v. 6). par une sorte de collage des éléments sur la toile et
Suivant le principe du paysage état d’âme, le poète une nouvelle manière de peindre à la fois simple et
compare même explicitement ses chansons au détaillée.
climat au vers 14 : « mes chansons, comme un ciel
d’automne rembrunies ». L’obscurité qui assombrit PAGE 69
le poème – « l’ombre » (v. 9), « s’éteignant » (v. 16)
et « rembrunies » (v. 14) – renforce cette impression
Gauguin et le mythe du bon sauvage
de mélancolie. 1. La mise en commun des réponses des élèves peut
Au sein de ce paysage mélancolique surgit la vision se fonder sur la composition de l’œuvre qui induit un
onirique et enchanteresse de « quelque ville mau- sens de lecture contrintuitif, allant de la droite vers la
resque » (v. 10). L’indéfinition du déterminant sou- gauche. La toile se divise en trois groupes principaux
ligne l’indétermination de cette vision, dont on retient de personnages illustrant les questions posées dans
essentiellement la verticalité hyperbolique et admi- le titre, dont l’inscription en lettres manuscrites se
rable de « ses flèches d’or » (v. 12), et des « mille tours détache sur un fond or dans le coin supérieur gauche.
de ses palais de fées » (v. 17). La fonction de cette Les trois jeunes femmes avec un enfant peuvent être
apparition est double : une telle ville doit animer le associées au début de la vie, le groupe du milieu repré-
paysage (« déchirer ce brouillard », v. 12 ; « dente- senterait l’existence quotidienne des adultes, tandis
ler l’horizon violet », v. 18) et raviver l’inspiration du que dans le dernier groupe, selon le peintre, « une
poète (v. 13 à 15). vieille femme approchant la mort apparaît réconciliée
et résignée à cette idée ». À ses pieds, « un étrange
oiseau blanc tenant en sa patte un lézard, représente
HISTOIRE DES ARTS
la futilité des mots ».
Dans ce tableau qui fait partie de la série des « Jungles », 2. Les élèves pourront être sensibles à la portée méta-
on remarquera l’étagement des plantes présentées physique des questions qui constituent le titre du
frontalement et par espèces. L’accumulation appa- tableau. Il sera utile de placer la réalisation de cette
rente est organisée en plans successifs, en fonc- œuvre dans son contexte de création, afin de faire
tion des formes et des tailles. L’artiste compose sa comprendre aux élèves sa portée testamentaire. En
toile par juxtaposition et superposition. Il en résulte 1897, Gauguin est ruiné, malade et désespéré, car
une impression d’enchevêtrement d’éléments aux il vient d’apprendre le décès brutal de sa fille Aline,
contours simplifiés, tous peints avec minutie. Le trai- alors âgée de 19 ans : « je viens de perdre ma fille,
tement de la faune suggère également un certain je n’aime plus dieu ». Il se lance dans la réalisation
onirisme. L’oiseau aux couleurs vives semble trôner de cette immense toile qu’il considère comme son
au centre de la toile. Sur sa droite se détache l’un des testament. D’où venons-nous ? Que sommes-nous ?
singes, traité comme un portrait en pied, dont l’atti- Où allons-nous ? est son panthéon imaginaire, une
tude et l’expression même semblent plus humaines composition symbolique mêlant visions du paradis
qu’animales. Cet être nous fait face alors qu’un autre perdu, scènes de la vie primitive et interrogations
singe, dans la pénombre, lève le regard vers lui. Les métaphysiques.
autres singes se dissimulent dans la moitié inférieure Au plan esthétique, cette œuvre révèle également le
du tableau, derrière des plantes, et invitent à leur désir d’ouvrir l’art occidental aux métissages et de
façon le spectateur à entrer dans la forêt, ou plutôt revenir à un « état de nature » dans l’art. Paul Gauguin
dans le rêve exotique de son créateur. Nourri des s’est nourri de ses voyages, de ses études et de ses
récits de voyage de ses contemporains et amis, ainsi origines. En assimilant ces multiples cultures, il est
que des observations qu’il fait au Jardin botanique à parvenu à créer et à transmettre un art hybride, fruit
Paris, au Muséum d’histoire naturelle ou encore à l’Ex- de sa recherche. Il reprend les grandes directives
position universelle de 1889, Henri Rousseau invente des arts « primitifs » en y incorporant sa conception
en effet une nature devenue paradis rêvé. Il crée à la esthétique du métier de peintre. Sa toile est une

synthèse de nombreuses influences : japonaise par ■■ Faire découvrir les débuts de la mode de l’orien-
la couleur et les personnages, égyptienne par le trai- talisme.

tement des animaux, orientale dans le spirituel et la ■■ Initiation à la dissertation.
religion, occidentale dans le sujet et la perspective. 1. ENTRER DANS LE TEXTE

3. Dans la lettre à son ami Monfreid (document 2), Les élèves pourront imaginer différentes réactions : la
Gauguin fait référence à l’Évangile lorsqu’il cite le titre surprise, le rire, la vexation… L’intérêt de la question
de son tableau. Il en souligne ainsi explicitement la est de les amener à se projeter dans le texte et à saisir
portée métaphysique. Comme le signale d’emblée son l’utilisation particulière du point de vue du voyageur
titre, il s’agit pour le peintre d’interroger le sens de la dans ce texte : contrairement aux autres, c’est l’étran-
vie dans un tableau-testament. Le geste de la figure ger qui a la parole et qui voyage dans notre pays ; c’est
centrale, qui tient un fruit dans ses mains tendues vers donc lui qui s’étonne de nos coutumes. Montesquieu
le ciel, peut rappeler celui de l’Ève de la Genèse qui amène ainsi le lecteur à se regarder de l’extérieur, et
cueille le fruit de la connaissance. C’est ce que suggère donc à se remettre en question.
Gauguin dans sa lettre : « une figure au milieu cueille
2. La fiction de la lettre est d’abord due aux noms des
un fruit ». Toutefois, il faut noter que ce personnage
correspondants et au lieu de destination « Smyrne ».
est vêtu d’un pagne, contrairement au personnage
biblique qui n’a pas conscience de sa nudité. La date à la fin du texte est également exprimée selon
le calendrier persan. L’auteur et le narrateur dans un
ORAL roman épistolaire occupent une place particulière,
Le mythe du bon sauvage s’est développé lors des comme en surplomb des personnages. Le lecteur
grandes découvertes de la Renaissance. Il s’agit d’un devine qu’il s’agit en fait de Montesquieu qui écrit,
personnage composite fabriqué à partir des nom- cela crée une complicité entre l’auteur et son lecteur
breuses descriptions des hommes primitifs vivant qui déchiffre l’ironie du stratagème.
dans un « âge d’or » naturel. Les écrivains se sont
3. Le ton de Rica est satirique car il caricature les
emparés des relations des voyageurs peignant les
Parisiens : on remarque ainsi l’accumulation qui
habitants des contrées lointaines sous un jour flat-
devient une hyperbole (« vieillards, hommes, femmes,
teur pour opposer cet homme naturel à l’homme cor-
enfants, tous », l. 2), reprise par « tout le monde »
rompu par la civilisation. Montaigne en particulier,
(l. 4), « mille couleurs » (l. 7), « cent lorgnettes » (l. 8).
dénonçant la notion traditionnelle de barbarie, est l’un
L’adverbe « aussitôt » (l. 5) accélère le rythme et crée
des premiers à identifier « sauvage » et « naturel ». Les
l’impression d’une réaction mécanique. Rica raconte
personnages de ce tableau relèvent de ce mythe dans
sur un ton humoristique sa célébrité (« je me trou-
la mesure où leur mode de vie primitif semble baigné
vais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes
par une harmonie universelle.
les cheminées », l. 13-14) comme son passage dans
l’anonymat : « j’eus sujet de me plaindre de mon tail-
HISTOIRE DES ARTS
leur, qui m’avait fait perdre en un instant l’attention
Gauguin établit un rapport d’harmonie entre les et l’estime publique ». Il utilise l’ironie par antiphrase
humains et la nature. Celle-ci apparaît protectrice et « chose admirable ! » (l. 12) ou « j’entrai tout à coup
nourricière. Le lien originel entre la Terre-mère et les dans un néant affreux » (l. 23). Sa satire vise la curio-
humains y semble totalement préservé. sité des Parisiens et leur comportement futile, voire
profondément incorrect (« comment peut-on être
Persan ? »)
GROUPEMENTS DE TEXTES COMPLÉMENTAIRES 4. Grammaire
Le verbe « voir » apparaît à quatre reprises dans le
PAGE 70 deuxième paragraphe :
– ligne 5 « je voyais » : imparfait. Système hypothé-
⁄
▶▶
Montesquieu,
Lettres persanes, 1721
Objectifs
tique éventuel transposé dans un récit au passé ;
– ligne 8 « a été vu » : passé composé à la voix passive ;
– ligne 10 « je me voyais » : imparfait à la voix
Faire découvrir l’utilisation du regard étranger,
■■ pronominale ;
source d’étonnement. – ligne 12 « avoir vu » : infinitif passé.

Il y a donc un polyptote sur le verbe « voir » qui 1. ENTRER DANS LE TEXTE
montre l’importance du thème du regard dans la Les élèves devraient être séduits par la description de
lettre. S’ajoutent à ces verbes des noms communs l’Eldorado : l’accueil par « vingt belles filles », le « tissu
qui renvoient aussi au thème de la vue (« fenêtres », de duvet de colibri », les « mille musiciens », mais aussi
« lorgnettes », « portraits »). Ce champ lexical révèle la la ville avec l’énumération « les fontaines d’eau pure,
curiosité des Parisiens et l’importance des apparences les fontaines d’eau rose, celles de liqueur de canne
physiques. Il crée un jeu de regards. Rica regarde les de sucre (…) qui répandaient continuellement une
Parisiens le regarder et leur renvoie leur regard curieux, odeur semblable à celle du gérofle et de la cannelle »
semblant dire à son tour : « comment peut-on être (l. 12-15). La paix règne puisqu’il n’y a pas de Cour
Parisien ? » en écho au célèbre « comment peut-on de justice. Cette question permettra une première
être Persan ? » qui clôt l’extrait. définition de l’utopie : le lieu parfait.
5. SYNTHÈSE 2. L’impression d’exotisme est produite par les allu-
Le regard du Persan permet une distanciation critique sions à la faune et la flore locale : des colibris, la canne
car, comme étranger, il s’étonne du comportement à sucre, la cannelle. Les coutumes aussi semblent
qui paraît naturel aux Parisiens et perçoit l’étrangeté étrangères à Candide. Il s’apprête à saluer le roi selon
dans ce qui leur est familier. Ainsi, l’objet de la lettre les rituels en usage en Europe, et il est surpris de la
n’est pas tant l’étrangeté du persan que l’étrangeté simplicité de la « cérémonie » : « l’usage, dit le grand
des Parisiens eux-mêmes. La fiction du regard éloigné officier, est d’embrasser le roi et de le baiser des deux
permet donc à Montesquieu d’opérer une « révolution côtés » (l. 8-9). Le lexique de la surprise est mis en
sociologique » (R. Caillois) du regard, au sens où le valeur dans le texte par des tournures emphatiques
lecteur est invité à se décentrer pour se considérer (« ce qui le surprit davantage », l. 17) ou par un polyp-
lui-même de l’extérieur. Cette fiction permet de faire tote (« de tout ce qui étonnait Candide, ce n’était pas
passer une satire de la mondanité parisienne. ce qui l’étonna le moins » (l. 29-30).
VERS LE BAC. Dissertation 3. Lexique
Cet exercice invite les élèves à reprendre et reformuler Les termes hyperboliques sont nombreux : des chiffres
la question 5. Ils pourront aussi utiliser le mémento, (« vingt », « mille »), des adjectifs mélioratifs tels que
consacré au « regard étranger ». « belles », « grands et grandes », l’emploi de détermi-
Nouvelle intégrale nants (« toute la grâce imaginable »). Les robes faites
L’accueil des Tahitiens est très différent de celui des d’un « tissu de duvet de colibri » relèvent aussi de
Parisiens : au lieu d’une curiosité superficielle qui l’hyperbole, puisque le colibri est un oiseau minuscule
réifie le Persan, reproduit sous forme de portraits et et qu’il s’agit non de ses plumes, mais de son duvet.
statuettes, mais transparent lorsqu’il prend un habit Il s’agit de produire l’émerveillement : ces termes
occidental, les Tahitiens ont véritablement le souci marquent la perfection du lieu qui contraste avec la
d’accueillir le narrateur : « je pus m’installer dans la réalité.
meilleure paillote du village et m’entourer de toutes 4. La société d’Eldorado est plus égalitaire que les
les nécessités immédiates de l’existence (…) sur la sociétés européennes, car le roi les reçoit avec sim-
base de l’amitié et de la fraternité la plus simple et la plicité et sans marquer sa supériorité : Voltaire sou-
plus touchante et dans le respect mutuel ». ligne avec ironie le décalage entre les différents rituels
qu’imagine Candide selon ce qu’il a pu voir en Europe
PAGE 71 et l’usage en vigueur en Eldorado. On peut noter que
les propositions de Candide sont souvent exagérées
¤
▶▶
Voltaire,
Candide, 1759
Objectifs
(se jeter « ventre à terre », « lécher la poussière de la
salle ») afin de dénoncer la servilité des « cérémonies »
occidentales. Le roi invite également tout de suite ses
■■ Faire découvrir le genre de l’utopie, récit de voyage visiteurs à sa table, sans distinction.
imaginaire. 5. Grammaire
■■ Montrer l’utilisation du voyage par les philosophes « Les édifices publics » (adjectifs qualificatifs) « élevés
des Lumières. jusqu’aux nues » (participe passé employé comme
■■ Initier les élèves au commentaire de texte. adjectif épithète).

« Les marchés ornés » (adjectif épithète) « de mille dans une longue énumération. Comme l’Eldorado
colonnes » (groupe prépositionnel, complément de séparé du reste de l’Amérique par de hautes mon-
l’adjectif « ornés » qui peut être compris comme com- tagnes, il s’agit d’une île supposée coupée du reste
plément d’agent). de la civilisation, contrairement à Papeete (l. 20-21).
« Les fontaines d’eau pure » (groupe prépositionnel, D’autre part, la générosité, l’innocence, « la gentillesse
complément du nom « les fontaines ». « Pure » est et l’amitié » des Tahitiens sont l’inverse de « l’atmos-
adjectif épithète du nom « eau »). phère de compétition frénétique et de lutte pour le
« Les fontaines d’eau rose » : idem. profit où l’absence de tout scrupule était devenue la
« Celles de liqueur » (groupe prépositionnel, com- règle » (l. 5-7) : il s’agit donc là aussi d’une critique de
plément du pronom « celles ») « de canne de sucre » la société européenne.
(groupe prépositionnel, complément du nom
« liqueur ») HISTOIRE DES ARTS
« Qui coulaient […] » (proposition subordonnée rela-
L’aspect imaginaire et irréel de l’utopie est suggéré
tive, complément du nom « fontaines »)
par les couleurs et la représentation de l’espace : les
« Grandes places » (« grande » adjectif qualificatif,
couleurs sont en effet très vives et ne correspondent
épithète de « places »)
pas toujours à la réalité (des palmiers orange, une
« Pavées » (participe passé, épithète du nom
ville rose) ; la technique du collage empêche celle de
« places ») « d’une espèce de pierreries » (groupe
la perspective aérienne, et l’artiste n’a pas non plus
prépositionnel, complément du participe « pavées »)
respecté de perspective mathématique (le paysage
« qui répandaient […] (proposition subordonnée rela-
semble être sur un seul plan, en deux dimensions).
tive, complément du nom « pierreries »)
Enfin, on voit partout les montagnes entourant l’El-
« Une odeur semblable » (adjectif qualificatif épithète)
dorado qui envahissent toute l’image, pour rappeler
« à celle du gérofle et de la cannelle » (groupe prépo-
l’isolement des utopies.
sitionnel, complément de l’adjectif « semblables »)
On remarque l’enchaînement et l’emboîtement des
expansions du nom, comme une forme de suren- PAGES 72-73
chère pour montrer la préciosité de chaque chose et
la richesse de chaque lieu.
6. SYNTHÈSE
‹
▶▶
Jules Verne, Le Tour du monde
en quatre-vingts jours, 1872
Objectifs
Voltaire souhaite d’une part illustrer les idéaux des
■■ Découvrir un récit de voyage à la croisée du récit
philosophes des Lumières : un pays de concorde, où
d’aventures et du roman de science-fiction.
l’absence de différend rend inutile toute Cour de
■■ Découvrir la mode de l’exotisme au xix e siècle
justice, un pays où la science et les connaissances
(Baudelaire, Loti).
sont mises à l’honneur avec le palais des sciences et
■■ S’initier à la dissertation.
la « galerie de deux mille pas, toute pleine d’instru-
ments de mathématiques et de physique ». Voltaire 1. ENTRER DANS LE TEXTE
utilise aussi cette utopie pour dénoncer les sociétés Le lecteur peut s’attendre à ce que le héros de cet
européennes inégalitaires et sclérosées par des « céré- extrait soit le personnage principal, Phileas Fogg.
monies » artificielles et à l’encontre de l’usage naturel. Celui-ci fait preuve d’un flegme tout aristocratique
dans ces circonstances terribles : « L’impassible Fogg
VERS LE BAC. Commentaire attendait sans manifester ses sentiments. » Son atti-
Le narrateur exprime l’admiration des voyageurs tude impénétrable intrigue sir Francis Cromerty qui
en utilisant une série de termes hyperboliques (voir « aurait voulu pouvoir lire dans les yeux de Phileas
question 3) et en jouant des nombreuses expansions Fogg », et le discours indirect libre nous fait part des
du nom qui révèlent la richesse de chaque élément conjectures du brigadier général à son sujet : « Sur
(voir question 5). quoi comptait donc ce froid Anglais ? Voulait-il,
au moment du supplice, se précipiter vers la jeune
NOUVELLE INTÉGRALE
femme et l’arracher ouvertement à ses bourreaux ? »
Romain Gary fait clairement référence au genre de Plus tard, lorsqu’ils se mêlent à la foule des fidèles,
l’utopie quand il évoque la beauté du lieu (l. 36-43) l’émotivité du brigadier contraste à nouveau avec

la froide détermination du gentleman qui s’apprête femme, qui souligne l’enthousiasme du narrateur. Ce
à agir : « Le cœur de sir Francis Cromarty bondit, dernier souhaite susciter l’admiration du lecteur pour
et par un mouvement convulsif, saisissant la main l’intrépide Passepartout dont il révèle l’ingéniosité :
de Phileas Fogg, il sentit que cette main tenait un « C’était Passepartout lui-même qui s’était glissé
couteau ouvert. » Sa prudence le conduit ensuite à vers le bûcher au milieu de la fumée épaisse ! C’était
retenir « Phileas Fogg, qui, dans un moment de folie Passepartout qui, profitant de l’obscurité profonde
généreuse, s’élançait vers le bûcher… » encore, avait arraché la jeune femme à la mort !
Le narrateur, qui ménage ses effets, nous précise alors C’était Passepartout qui, jouant son rôle avec un
que « Phileas Fogg les avait déjà repoussés, quand la audacieux bonheur, passait au milieu de l’épouvante
scène changea soudain. » Il va nous révéler progres- générale ! »
sivement l’identité du véritable héros de la situation. 4. Passepartout a su faire preuve de discernement, de
Alliant audace et courage, c’est Passepartout qui s’est détermination et de réactivité, car il a échafaudé son
« glissé vers le bûcher au milieu de la fumée épaisse » plan très rapidement, puis il est immédiatement passé
pour « arrach(er) la jeune femme à la mort ». à l’action avec agilité : « En tout cas, Passepartout ne
2. L’exotisme du récit imprègne l’ensemble de cette formula pas autrement sa pensée, mais il ne tarda
scène de sacrifice rituel. Elle peut se percevoir notam- pas à se glisser avec la souplesse d’un serpent sur les
ment aux consonances étrangères du lexique, qui basses branches de l’arbre dont l’extrémité se courbait
compose par touches successives un tableau dépay- vers le sol. »
sant pour le lecteur occidental. Les Occidentaux Il ne manque pas de discrétion, puisqu’il a su se faufiler
sont accompagnés d’un guide « Parsi », la cérémo- jusqu’au bûcher sans attirer l’attention, au point que
nie débute dans une « pagode » au rythme heurté ses compagnons eux-mêmes ne s’aperçoivent de rien.
des « coups de tam-tams » tandis que les « fakirs » Son plan lui-même témoigne de son ingéniosité et de
son courage, puisqu’il n’a pas hésité à fendre la foule
escortent de leurs vociférations religieuses la proces-
et à monter sur le bûcher pour sauver la jeune fille.
sion qui mène la jeune femme promise à la mort vers
Toutes ses qualités sont louées par le narrateur dans
le corps de son époux décédé, le vieux « rajah », dont
un passage proprement dithyrambique dont chaque
le nom est répété à trois reprises, point de mire de
phrase exclamative commence par le même tour
la foule. Enfin, dernière touche d’exotisme propre à
emphatique mettant le nom du héros de la scène en
stimuler l’imaginaire des jeunes lecteurs du roman, les
valeur : « C’était Passepartout lui-même qui s’était
personnages fuient les lieux à dos d’éléphant.
glissé vers le bûcher au milieu de la fumée épaisse !
3. Grammaire C’était Passepartout qui, profitant de l’obscurité
Les phrases exclamatives confèrent au récit de la profonde encore, avait arraché la jeune femme à la
scène une grande vivacité. Celles-ci apparaissent ini- mort ! C’était Passepartout qui, jouant son rôle avec
tialement dans le discours intérieur de Passepartout, un audacieux bonheur, passait au milieu de l’épou-
au moment crucial où il se décide à agir pour sauver vante générale ! » (l. 76 à 79). Le sous-titre du chapitre
la jeune femme. Les deux exclamatives qui rendent « Dans lequel Passepartout prouve une fois de plus
compte de ses doutes puis de sa détermination sont que la Fortune sourit aux audacieux » corrobore d’ail-
séparées par une phrase interrogative qui anime leurs la principale qualité du personnage : l’audace.
le monologue délibératif : « Il avait commencé par 5. SYNTHÈSE
se dire : «Quelle folie !» et maintenant il répétait : Tout d’abord, le cadre exotique de la scène répond
«Pourquoi pas, après tout ? C’est une chance, peut- au goût pour l’ailleurs, typique des lecteurs de récits
être la seule, et avec de tels abrutis !…» » (l. 34-36) d’aventures. De plus, le récit d’aventures est essentiel-
La fin de l’extrait abonde en phrases exclamatives qui lement fondé sur l’action et multiplie les péripéties.
témoignent de la vivacité de la scène. C’est le moment C’est bien le cas dans cette scène où les personnages
clé du passage, et le recours à l’exclamative exprime sont tenus d’agir très rapidement pour sauver la jeune
la stupeur de la foule face à la soi-disant résurrec- femme de la mort. En témoigne par exemple l’accé-
tion du rajah : « Les fakirs, les gardes, les prêtres, pris lération de l’action aux lignes 34 à 36 : « En tout cas,
d’une terreur subite, étaient là, face à terre, n’osant Passepartout ne formula pas autrement sa pensée,
lever les yeux et regarder un tel prodige ! » (l. 68-69). mais il ne tarda pas à se glisser avec la souplesse
Enfin, le texte se clôt sur l’éloge du sauveur de la jeune d’un serpent sur les basses branches de l’arbre dont

l’extrémité se courbait vers le sol ». Par ailleurs, le (l. 47), de « soulever la jeune femme dans ses bras »
récit d’aventures repose sur le suspense plutôt que (l. 66), d’« arracher la jeune femme à la mort » (l. 78).
sur la psychologie des personnages. Le narrateur se Sa seule tentative de résistance se révèle sans effet,
révèle ici un maître du suspense, puisqu’il déjoue les comme le souligne l’emploi du verbe « tenter » : « la
pronostics du lecteur pour faire de Passepartout le malheureuse tentait d’échapper à ses bourreaux ».
héros inattendu de la scène (question 1). Enfin, il s’agit
d’une scène prototypique du récit d’aventures, dans la HISTOIRE DES ARTS
mesure où les héros sont confrontés à une situation
périlleuse à laquelle ils doivent faire face, de façon La dramatisation de la scène se perçoit tout d’abord
assez rocambolesque : la ruse de Passepartout, qui dans la composition de l’image, qui présente une
surprend le lecteur comme les autres personnages, immense statue de Kali rendue menaçante par les
en est un exemple parfait. armes que brandissent ses multiples bras, ainsi que
par son collier composé d’une dizaine de crânes
DISSERTATION humains témoignant de la cruauté du culte qui lui
Cet extrait repose sur un ensemble de stéréotypes est rendu. En outre, l’appétit de la déesse est souli-
caractéristiques du roman d’aventures. Tout d’abord, gné par un détail presque comique, sa langue tirée
on constate une répartition manichéenne des per- qui pointe vers sa future victime. Le contraste des
sonnages en deux groupes principaux : les voyageurs couleurs accentue encore cette impression de drama-
occidentaux s’opposent aux autochtones, présen- tisation : l’immense déesse rouge domine la victime
tés comme des barbares. Tandis que Phileas Fogg vêtue d’une robe bleue et coiffée d’une étole vert clair,
et Passepartout incarnent le courage et semblent deux couleurs qui connotent la jeunesse et la pureté
défendre des valeurs humanistes en sauvant la jeune de cette femme maltraitée par deux hommes vêtus de
femme, les fidèles de Kali sont présentés comme tuniques et de turbans dont les couleurs chaudes font
des barbares aux coutumes inhumaines. Ils sont écho à celles de la statue de leur puissance tutélaire.
caractérisés par des termes dépréciatifs : ce sont Enfin, la posture de la jeune femme et de ses gardes
des « bourreaux » (l. 25) et, à leur cruauté s’ajoute la accentue encore cette dramatisation : leurs corps
bêtise, mentionnée par Passepartout qui les considère déséquilibrés signalent la lutte de la jeune femme
comme des « abrutis » (l. 36). qui se débat pour échapper à son sort funeste, tandis
En outre, à l’intérieur même du groupe des héros, on que les deux hommes la maintiennent fermement,
peut déceler certains stéréotypes dans la caractérisa- ce qui laisse penser que sa faible résistance est vouée
tion des personnages. Le gentleman britannique agit à l’échec.
avec son flegme proverbial : « l’impassible Fogg atten-
dait sans manifester ses sentiments » (l. 13-14), tandis
PAGE 74
que l’intrépide valet français – dont le patronyme
révèle qu’il s’agit d’un personnage type – se lance
vivement dans l’action : « En tout cas, Passepartout
ne formula pas autrement sa pensée, mais il ne tarda
›
▶▶
Pierre Loti,
Madame Chrysanthème, 1887
Objectifs
pas à se glisser avec la souplesse d’un serpent sur les
basses branches de l’arbre dont l’extrémité se courbait
■■ Approfondir la notion d’exotisme.
■■ S’interroger sur la notion d’ethnocentrisme culturel.
vers le sol » (l. 37-39).
■■ Découvrir la forme du roman autobiographique.
Enfin, cette scène repose sur un stéréotype de genre,
très répandu dans la littérature depuis les mythes 1. ENTRER DANS LE TEXTE
antiques comme Persée et Andromède, celui de la Le narrateur semble amusé : il présente la rencontre
jeune fille sans défense sauvée par le héros courageux. comme un jeu d’enfants (« faisons la dînette », « un
La femme semble condamnée à n’être qu’une victime jouet bizarre et charmant », « amusant », l. 27), il
passive, et l’homme se voit confier le rôle de la force plaisante (« crac, elle se sauve, la petite fée »). On
agissante. Dans ce texte, un tel stéréotype se marque peut aussi dire qu’il est étonné par la découverte
par la quasi-absence de la jeune femme, et par sa d’une autre culture, « d’un raffinement très à côté
fréquente relégation en position d’objet dans les rares du nôtre », ce que soulignent le superlatif « un
phrases qui la mentionnent : il s’agit de « l’arracher bol des plus mignons » ou les adjectifs à préfixe
à ses bourreaux » (l. 24), d’« apercevoir la victime » négatif « invraisemblable (l. 6), « imprévu, inimagi-

nable » (l. 8). Enfin, le narrateur se montre méprisant : 5. L’ensemble de la scène est présenté avec une
le Japon lui semble « diminué » (l. 2), « atroce » (l. 7), certaine distanciation critique et ironique du nar-
« agaçant » (l. 9) ; il traite les autres d’« imbéciles » rateur vis-à-vis de ces coutumes exotiques qui le
(l. 24) et ne considère la jeune fille qu’il veut épouser surprennent. Dès la ligne 4, l’expression « faisons
que comme « un bibelot » (l. 27). la dînette » (l. 4) donne le ton : ce qui va suivre est
2. Loti cherche à décrire précisément le Japon afin dès lors assimilé à un jeu d’enfants, un simulacre de
que le lecteur puisse se représenter un lieu qu’il repas. L’usage de certains adjectifs à préfixe négatif
ne connaît pas. Comme dans le texte de Voltaire ou à connotation péjorative décrivant les mets,
(p. 71), on pourra faire relever aux élèves les nom- puis le repas dans son ensemble, suscite également
breuses expansions du nom qui servent à apporter le sourire du lecteur : « il y a un potage invraisem-
des détails, par exemple « un bol des plus mignons, blable, aux algues » (l. 5-6), « tout cela atroce, mais
orné de cigognes envolées » (l. 5) : la régressivité des surtout imprévu, inimaginable » (l. 7-8). Par ailleurs,
expansions du nom montre le souci de caractériser le l’ensemble du portrait de la jeune fille comporte des
moindre détail. Loti décrit aussi précisément le repas notations amusées du narrateur, qui passent notam-
par une énumération aux lignes 6-7 et la manière de ment par le recours aux comparaisons (voir ques-
manger « avec de gentilles baguettes et un doigté tion 4). Un détail amusant attire son attention : le
plein de grâce ». Dans la description de la femme, il se maquillage imparfait qui révèle « un carré de peau
naturelle, qui est très jaune... » (l. 22), parce qu’« on
montre aussi précis sur son costume et son apparence
a, par amour de la correctitude, arrêté là le plâtrage
et utilise différents sens pour nourrir l’imagination du
blanc en une ligne droite » (l. 20 -21). L’amusement
lecteur : la vue (adjectifs de couleur « blanche », « rose,
du narrateur se lit en particulier dans le choix de forger
« carminée », « un peu de dorure », « très jaune »),
le néologisme « correctitude » afin de caractériser au
l’odorat « elle sent bon » (l. 17).
mieux le comportement de ses hôtes. Enfin, le nar-
3. Lexique rateur finit même aux lignes 26 à 28 par présenter
Les adjectifs expriment la surprise du narrateur. Cet la femme comme un « jouet bizarre et charmant »,
étonnement oscille entre d’une part l’admiration et s’imagine avec elle « épouser un bibelot » : « quel
pour le raffinement japonais, comme le montrent amusant petit ménage cela me ferait ». La réification
la forme superlative « des plus mignons » ou les à laquelle se livre le narrateur ici suscite le rire.
connotations mélioratives des adjectifs « raffiné »,
6. SYNTHÈSE
« gentilles baguettes », « plein de grâce », et d’autre
L’ethnocentrisme du narrateur se perçoit aisément
part le mépris : les adjectifs à préfixe négatif ont une
dans l’ensemble du texte, par l’étonnement et
valeur dépréciative (« tout cela atroce, mais surtout
l’amusement que suscitent en lui ces coutumes et
imprévu, inimaginable ») ; il qualifie aussi le rire des
pratiques en décalage complet avec celles de l’Oc-
Japonaises de rire « agaçant ». Ses jugements sont
cident. La rencontre est présentée comme un jeu
donc très partagés.
d’enfants (« faisons la dînette », « un jouet bizarre
4. Le narrateur utilise surtout des comparaisons ani- et charmant », « amusant », l. 27). Le narrateur va
males : « comme un papillon de nuit réveillé par le jusqu’à se montrer méprisant : le Japon lui semble
plein jour, comme une phalène rare et surprenante », « diminué » (l. 2), « atroce » (l. 7), « agaçant » (l. 9) ;
« elle roule des yeux de chatte craintive ; puis appri- il traite ses hôtes d’« imbéciles » (l. 24) et ne consi-
voisée tout de suite, vient s’appuyer contre moi, avec dère la jeune fille qu’il veut épouser que comme « un
une câlinerie de bébé ». Son maquillage est comparé bibelot » (l. 27).
à du plâtre (l. 18) « coupé au couteau » (l. 22). Malgré cet ethnocentrisme marqué, voire ce rejet
Dans les derniers paragraphes, elle est qualifiée de affirmé de la culture de l’autre, on perçoit également
« petite fée », comparée à une enfant (l. 25), puis chez le narrateur une forme de fascination pour cette
traitée de « jouet bizarre et charmant » ou encore culture, « d’un raffinement très à côté du nôtre ».
de « bibelot ». Si l’auteur donne d’elle une image Bien loin d’être fermé à cette culture différente qui
gracieuse, les différentes comparaisons révèlent s’offre à lui, il en fait le reportage avec une précision
aussi son sentiment de supériorité et de mépris : quasi documentaire (question 2), et ses descriptions
il semble la considérer comme un objet et la réifie comportent de nombreux termes mélioratifs qui
complètement à la fin. confèrent effectivement à l’ensemble du repas une

impression de raffinement, et notamment dans ces s’intéresse absolument pas à leur culture. Dès lors,
« gentilles baguettes » maniées avec un « doigté plein son jugement dépend essentiellement du profit qu’il
de grâce » (l. 10). peut retirer des Tahitiens. Dans tout le début de la
La dernière phrase du troisième paragraphe est à ce nouvelle, on remarque de nombreuses remarques
titre particulièrement intéressante, car elle montre laudatives à l’endroit de Taratora et des habitants de
bien l’ambivalence du narrateur à l’égard de cette civi- Taratonga, qualifiés par exemple d’« êtres merveil-
lisation : « L’ensemble de tout cela est raffiné – d’un leux » (l. 150). Son jugement est ici assez stéréotypé :
raffinement très à côté du nôtre par exemple, que je il considère les Tahitiens comme de bons sauvages,
ne puis guère comprendre à première vue, mais qui parce qu’ils font preuve de générosité à son égard.
à la longue finira peut-être par me plaire » (l. 10-12). Toutefois, on décèle également certaines remarques
Ce dernier semble prêt ici à se départir de son eth- dépréciatives, lorsque son intérêt personnel n’est pas
nocentrisme pour apprécier ces usages qui ne sont satisfait. Il considère alors que les habitants de l’île ont
pas les siens. « quelques graves défauts dont une certaine légèreté,
qui fait qu’on ne peut jamais compter sur eux com-
plètement » (l. 129-131).
Depuis Marco Polo, qui offrit à l’Occident médié-
val une vision merveilleuse de l’Orient dans son
Devisement du monde, nombreux sont les écrivains à PAGE 75
avoir fait le récit de leur voyage en Asie. Ainsi l’écrivain
et officier de marine Pierre Loti s’inspire-t-il du séjour
qu’il a effectué au Japon en 1885 dans son roman
autobiographique intitulé Madame Chrysanthème. Il y
∞
▶▶
Alexandra David-Néel, Voyage
d’une Parisienne à Lhassa, 1927
Objectifs
relate le mariage d’un officier de marine français avec ■■ Revoir la forme du récit de voyage.
une jeune Japonaise à Nagasaki, épousée par contrat ■■ Découvrir la naissance de l’ethnologie.
d’un mois renouvelable, selon une pratique courante

PARCOURS 1. Compétences de lecture
à l’époque. Dans cet extrait, le narrateur se rend chez
M. Kangourou, un entremetteur qui lui offre un repas 1. Grammaire
et s’apprête à lui présenter plusieurs femmes. Les compléments circonstanciels de manière révélant
À travers l’étude de cet extrait, nous nous demande- l’exotisme du peuple tibétain sont les suivants :
rons comment le narrateur rend compte de sa décou- – « Nous passâmes la porte en proférant à voix très
verte de ces pratiques exotiques. haute, suivant la coutume des pauvres, toutes sortes
Dans un premier temps, nous analyserons la préci- de remerciements et de souhaits pour la prospérité
sion documentaire avec laquelle le narrateur relate des hôtes. » (l. 1-2)
la scène, puis nous nous intéresserons au regard – « Je m’assoirais à même le plancher raboteux de la
mi-amusé, mi-fasciné que le narrateur porte sur les cuisine sur lequel la soupe graisseuse, le thé beurré et
usages de ses hôtes. Enfin, nous nous demanderons les crachats d’une nombreuse famille étaient libéra-
dans quelle mesure ce dernier fait preuve d’ethnocen- lement répandus chaque jour. » (l. 10-12)
trisme dans la façon dont il appréhende la civilisation – « Il me faudrait manger à la manière des pauvres
japonaise. hères. » (l. 14-15)
Ceux-ci permettent d’approcher les usages du peuple
NOUVELLE INTÉGRALE tibétain. La première occurrence permet à l’ethno-
La précision quasi documentaire de cet extrait de logue de préciser lueurs pratiques en matière de
Pierre Loti tranche avec la nouvelle de Romain Gary. sociabilité ; la seconde montre un emploi ironique de
Elle s’explique par le rapport que le narrateur entre- l’adverbe « libéralement », dans un passage qui sou-
tient avec la culture qu’il découvre. Le narrateur de cet ligne la saleté du plancher, signalant ainsi le dégoût
extrait porte un regard très attentif sur les coutumes de l’autrice ; la dernière occurrence relevée permet de
de ses hôtes, et son jugement, s’il fait preuve d’une caractériser la misère dans laquelle vivent les men-
certaine distance moqueuse, révèle tout de même diants tibétains, réduits à l’état de « pauvres hères ».
une certaine fascination pour le raffinement qu’il 2. Lexique
observe. À l’inverse, le narrateur de la nouvelle de Le lexique scientifique apparaît surtout dans le dernier
Gary se contente de tirer profit de ses hôtes et ne paragraphe, par le biais du verbe « observer » (l. 19),

annoncé par le verbe « expérimenter » qui ouvre le de la science et la sincère curiosité qu’elle porte au
paragraphe précédent (l. 9), ainsi que par le terme peuple tibétain qui guide l’autrice, tandis que le nar-
« connaissances » (l. 20). rateur de la nouvelle « J’ai soif d’innocence » est mu
Si l’autrice a choisi de porter le « vêtement banal uniquement par son égoïsme.
de dévote nécessiteuse » (l. 18-19), c’est pour se
PARCOURS 2. Compétence d’écriture
fondre « au milieu des masses populaires » (l. 22)
afin d’« observer maints détails inaccessibles aux 1. L’autrice exprime ses « répugnances » (l. 23) envers
voyageurs occidentaux et même aux Thibétains des le manque d’hygiène des Tibétains des classes popu-
classes supérieures. » (l. 19-20) laires. Le détail le plus frappant est sans doute celui des
« crachats d’une nombreuse famille [...] libéralement
3. L’autrice exprime ses « répugnances » (l. 23) envers
répandus chaque jour » (l. 11-12) sur plancher de la
le manque d’hygiène des Tibétains des classes popu-
cuisine. L’emploi de l’adverbe « libéralement », qui
laires. Le détail le plus frappant est sans doute celui
signifie « avec générosité », relève de l’antiphrase. Ceci
des « crachats d’une nombreuse famille [...] libérale-
peut être critiquable, car il s’agit d’un usage ironique,
ment répandus chaque jour » (l. 11-12) sur plancher
qui a minima suscite le sourire du lecteur, et peut
de la cuisine. Ensuite, la perspective de devoir tremper suggérer un certain mépris envers les autochtones.
ses « doigts non lavés » (l. 15) dans la soupe et dans De même, la façon dont l’autrice présente la généro-
le thé lui « soul[ève] le cœur » (l. 17). Toutefois, son sité des femmes tibétaines est ambivalente (l. 12-14).
dégoût ne l’empêche pas de considérer ces pauvres Elles peuvent susciter le dégoût dans la mesure où
gens avec bienveillance, par exemple lorsqu’elle envi- elles coupent la viande « sur un pan de leur robe
sage la générosité d’« excellentes femmes, remplies ayant depuis des années servi de torchon de cuisine
de bonnes intentions » (l. 12-13). et de mouchoir de poche », ce qui montre que leur
4. SYNTHÈSE hygiène ne correspond pas aux standards occiden-
Ce texte révèle l’intérêt scientifique d’Alexandra taux. En outre, celles-ci n’offrent à la mendiante que
David-Néel pour le peuple tibétain. Sa curiosité se lit « les déchets d’un morceau de viande ». Dès lors,
dans une expression comme « observer maints détails on peut se demander si la caractérisation apparem-
inaccessibles aux voyageurs occidentaux et même aux ment laudative qui débute la phrase – « d’excellentes
Thibétains des classes supérieures. » (l. 19-20) En véri- femmes, remplies de bonnes intentions » – ne peut
table ethnologue, l’autrice exprime ici son goût pour pas être frappée d’une certaine ironie, ou du moins
l’observation attentive des milieux sociaux, notam- d’une certaine condescendance.
ment les plus pauvres. Elle ne recule devant aucun 2. L’autrice présente son déguisement comme un
sacrifice pour acquérir de nouvelles connaissances, moyen d’acquérir de nouvelles connaissances, en
et considère que « Cette perspective va[ut] bien le partageant la vie des « masses populaires » tibétaines.
sacrifice de [s]es répugnances. » (l. 22-23) Toutefois, on pourrait critiquer une telle démarche
parce qu’elle use de la dissimulation. Sa démarche
NOUVELLE INTÉGRALE
scientifique est paradoxalement fondée sur le men-
Les conditions de vie d’Alexandra David-Néel s’op- songe, puisque c’est en trompant la population locale
posent à celles du narrateur de la nouvelle de Romain qu’elle va pouvoir « observer maints détails inacces-
Gary. En effet, ce dernier vit confortablement en sibles aux voyageurs occidentaux ». Il s’agit d’une
profitant de la générosité des autochtones : « je pus sorte de vol.
m’installer dans la meilleure paillote du village et
3. Le corps de la lettre, qui se fondera sur les réponses
m’entourer de toutes les nécessités immédiates de
aux deux questions précédentes, utilisera les procédés
l’existence, avoir mon pêcheur, mon jardinier, mon
du registre polémique.
cuisinier, tout cela sans bourse délier ». À l’inverse,
On veillera à faire respecter aux élèves les caractéris-
les conditions de vie d’Alexandra David-Néel, qu’elle
tiques formelles de la lettre : date et lieu d’écriture,
décrit aux lignes 9 à 17, constituent selon ses propres
formules introductives et conclusives, marques du
termes une « dure pénitence » (l. 18). Vivant en
dialogue à distance entre l’émetteur et le destinataire.
« dévote nécessiteuse » (l. 18-19), elle tire sa sub-
sistance de l’aumône que lui font les Tibétains des VERS LE BAC. Dissertation
classes les plus pauvres, dans des conditions d’hygiène Dans une certaine mesure, on peut considérer que
qui lui « soul[èvent] le cœur » (l. 17). C’est l’amour la littérature exotique ne voit l’autre que de l’exté-

rieur. En effet, tout voyageur peut faire preuve d’eth- 1. ENTRER DANS LE TEXTE
nocentrisme. C’est le cas dans l’extrait de Madame Cet incipit in medias res (« au milieu des choses »)
Chrysanthème de Pierre Loti, dont le narrateur nous intrigue. Il peut donner envie aux élèves de lire la suite
fait part de l’étonnement et l’amusement que sus- par son dévoilement très progressif de l’intrigue, qui
citent en lui les coutumes et pratiques des autoch- ne nous est pas connue à la fin de la première page.
tones en décalage complet avec celles de l’Occident. On sait seulement que les personnages parcourent
Le narrateur va jusqu’à se montrer méprisant : le le désert à dos de dromadaire, qu’ils sont armés, et
Japon lui semble « atroce », « agaçant » ; il traite ses que l’un d’eux, bien qu’ayant étudié dans des villes
hôtes d’« imbéciles » et ne considère la jeune fille occidentales, « préfère le désert ». On peut supposer
qu’il veut épouser que comme « un bibelot ». C’est que ce dernier est originaire du désert, une telle hypo-
le cas également d’Alexandra David-Néel lorsqu’elle thèse demandant à être vérifiée dans la suite du récit.
exprime les « répugnances » qu’elle éprouve envers 2. Il faut attendre l’ultime vignette de cette planche
le manque d’hygiène des Tibétains des classes popu- de bande dessinée pour comprendre la situation, car
laires. Un tel jugement révèle la distance qui demeure elle dévoile enfin un plan large qui permet de saisir
entre la voyageuse et ses hôtes. Le titre de l’œuvre, à la fois le décor (un désert) et la situation des per-
qui présente l’autrice comme « une Parisienne », sou- sonnages (à dos de chameau). Les vignettes précé-
ligne d’ailleurs cette distance qui la sépare des réalités dentes ont opéré un dévoilement progressif, dans
tibétaines. un procédé narratif qui pourrait se rapprocher de
Toutefois, on peut concéder à l’autrice une réelle l’esthétique cubiste, on a assisté à un kaléidoscope
volonté de découvrir les usages du peuple tibétain,
de détails successifs : tout d’abord les ombres des
qu’elle approche au plus près par le biais de son
cavaliers dans les deux premières vignettes, puis le
déguisement. Ce dernier lui demande une réelle
cou du dromadaire et son ombre, ensuite le dos des
abnégation, afin de surmonter son propre dégoût.
deux personnages, lourdement armés, et enfin le dos
En partageant les conditions de vie très simples des
d’un des deux personnages.
pauvres Tibétains, Alexandra David-Néel dépasse
le regard extérieur, elle vit cette expérience dans 3. La parole n’intervient que dans les deux dernières
sa chair et fait preuve d’une forme d’engagement vignettes, qui occupent le bas de la planche. La source
total au service de la connaissance. De même, une énonciative n’est pas clairement perçue par le specta-
phrase de Pierre Loti est à ce titre particulièrement teur, qui doit se contenter de voir le personnage qui
intéressante, car elle montre bien l’ambivalence a pris la parole de trois quarts dos. En outre, celui-
du narrateur à l’égard de la civilisation japonaise : ci étant pourvu d’une abondante chevelure, on ne
« L’ensemble de tout cela est raffiné – d’un raffine- perçoit qu’à peine les traits de son nez et sa bouche,
ment très à côté du nôtre par exemple, que je ne qui se détachent sur le fond blanc de la bulle. Cette
puis guère comprendre à première vue, mais qui à prise de parole intrigue d’autant plus que le person-
la longue finira peut-être par me plaire » (l.10-12). Il nage auquel elles sont adressées n’est pas du tout
semble prêt ici à se départir de son ethnocentrisme identifiable. Cette bulle, qui débute par « Tu ne sais
pour apprécier ces usages qui ne sont pas les siens, peut-être pas que », apparaît presque comme une
et dès lors ne plus rester extérieur à la culture qu’il mise en abyme de la situation du lecteur, qui lui-
découvre. Tous deux à leur manière tentent de même ne sait pas et souhaite savoir, conformément
dépasser leur ethnocentrisme afin de s’adapter au au pacte de lecture de tout incipit.
mieux à la culture locale. 4. L’ensemble de la planche fourmille de détails inso-
lites pour le lecteur européen : le désert (vignettes 1, 2
PAGE 76 et 6), le harnachement du dromadaire (vignette 3), les
armes qui couvrent le dos des cavaliers (vignette 4),
6
▶▶
Hugo Pratt,
Les Éthiopiques, 1978
Objectifs
la tenue et la parure capillaire du personnage
(vignette 5).
5. La dernière vignette provoque la surprise de l’obser-
■■ Analyser la manière dont l’exotisme est adapté en vateur car elle fonctionne comme une révélation. Elle
bande dessinée. permet enfin de saisir la situation représentée grâce
■■ Comprendre les fonctions d’un incipit. au plan large qui situe les personnages dans leur envi-

ronnement. Là encore, il subsiste une part de mystère 1. ENTRER DANS LE TEXTE
qui peut continuer à intriguer le lecteur. Ce dernier Il s’agit pour Salina d’accomplir son dernier voyage
ne connaît toujours pas l’identité des deux cavaliers, sur les épaules de son fils Malaka, tout comme
qui ne sont que des silhouettes noires dont on dis- Anchise a été porté par son fils Énée lors de l’incen-
tingue difficilement les traits. Toutefois, un habitué die de Troie.
des bandes dessinées d’Hugo Pratt reconnaîtra immé- On pourra proposer aux élèves les compléments
diatement le héros Corto Maltese à sa casquette. suivants sur le personnage d’Anchise, afin qu’ils
6. SYNTHÈSE puissent établir une comparaison pertinente avec cet
Cet incipit remplit partiellement ses fonctions dans extrait. Anchise se retrouve mêlé à une des scènes
la mesure où il commence à présenter les person- les plus fameuses de la prise de Troie, qui voit Énée
nages et leur situation. Il ne s’agit toutefois que des fuir la ville emportant son père sur ses épaules, son
tout premiers jalons, et le lecteur à ce stade doit faire fils Ascagne à ses côtés. Il s’embarque alors avec
des hypothèses sur les personnages et l’intrigue qu’il ses dieux pénates et ce qu’il possède de plus pré-
devra ensuite vérifier . Par ailleurs, l’incipit apparaît cieux. Il vit ensuite jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans
efficace dans la mesure où il peut susciter la curiosité et sera enterré sur le mont Ida selon Homère ou à
du lecteur. Enfin, il remplit pleinement sa fonction au Drépane, en Sicile, selon Virgile, où son fils Anchise
lui élèvera un tombeau. Avant qu’Énée ne parte pour
plan esthétique : dès cette première page, le lecteur
l’Italie, Anchise lui apparaît en songe et l’invite à se
peut apprécier la qualité du dessin et notamment les
rendre auprès de la Sibylle de Cumes. Guidée par
choix de cadrage étonnants, qui présentent une vision
cette dernière, il retrouve l’ombre de son père dans
kaléidoscopique de la scène.
les champs Élysées.
ŒUVRE INTÉGRALE La piété filiale est au cœur des deux récits. Elle montre
symboliquement comment les enfants acceptent de
La critique de l’Occident dans cette planche de bande porter sur leurs épaules le poids de leurs géniteurs
dessinée se trouve dans les propos du personnage pour les conduire jusqu’à leur dernière demeure et
qui prend la parole. Ce dernier affirme qu’il « préfère leur rendre les hommages qu’ils méritent. Le princi-
le désert », bien qu’il ait « étudié à Londres, à New pal hommage qu’ils leur rendent, par-delà leur mort,
York, à Paris ». On peut supposer que ce personnage est de trouver les conditions les plus favorables pour
est originaire du continent, voire du pays où se situe la poursuite de la lignée familiale. Tout comme le
la scène, et peut-être qu’il s’agit d’un natif du désert. périple d’Énée raconté par Virgile dans L’Énéide
Toutefois, à ce stade, sa préférence pour le désert aboutira à la fondation de Rome, on peut supposer
n’est pas justifiée, il s’agit d’une simple affirmation, que la découverte d’un pays immense et hospitalier
que la suite de l’œuvre viendra sans doute expliciter. constitue non seulement pour Malaka une chance de
Inversement, le narrateur de Romain Gary exprime donner à sa mère défunte une sépulture, mais encore
immédiatement son rejet de l’Occident mercantile la possibilité pour le jeune homme d’y installer sa
et impur pour expliquer sa « soif d’innocence » qui descendance.
donne son titre à la nouvelle : « J’avais soif d’inno-
2. L’ensemble du trajet de Malaka et Salina est
cence. J’éprouvais le besoin de m’évader de cette
marqué par des éléments qui symbolisent le passage
atmosphère de compétition frénétique et de lutte
dans un autre monde.
pour le profit où l’absence de tout scrupule était
Ce trajet prend l’aspect d’un voyage initiatique pour
devenue la règle ».
le héros, qui doit surmonter les rigueurs du climat
afin de mener sa mère jusqu’à sa dernière demeure.
PAGE 77 Les éléments de cet enfer gelé se déchaînent contre
le marcheur : « Tout craque et hurle », « Le vent s’en-
‡
▶▶
Laurent Gaudé,
Salina, 2018
Objectifs
gouffre dans les défilés et fait siffler leurs oreilles. Il
les frappe, les gèle ».
De plus, ce « monde minéral qui craque sous le vent »
■■ Découvrir l’héritage contemporain de la littérature apparaît particulièrement inhospitalier, ce qui semble
de voyage. l’apparenter aux enfers. « La montagne semble vouloir
■■ Réfléchir au sens du dernier voyage. se refermer sur eux », les ensevelir et devenir leur

sépulture. De même, lorsque Malaka comprend que presque avec brutalité, tandis que le personnage, qui
sa mère est morte, il vient d’atteindre « une immense ne fait plus qu’un avec le corps de sa mère morte,
dalle de pierre qui domine le vide ». Elle aussi prend en a acquis la certitude presque animale, sensible, à
un aspect funèbre, comme s’il s’agissait de la préfi- l’absence de souffle ressenti contre sa nuque.
guration de la pierre tombale de Salina. 5. Grammaire
Le passage entre l’ancien monde inhospitalier et Les trois dernières phrases de l’extrait sont construites
« l’autre face du monde », immense et accueillant, sur l’anaphore « Elle ne (verbe au futur) pas ». La fin
se fait par la réapparition de la lumière : « Malaka du texte exprime à la fois une mort et un avenir. La
tient. Et lentement, jour après jour, la lumière réap- mort de la mère coïncide avec la découverte d’une
paraît. », qui signale à la fois que Malaka a triomphé terre accueillante où le fils, bien qu’irrémédiablement
de l’enfer minéral et glacé, et qu’il a mené à bien sa marqué par la solitude causée par cette perte irrépa-
quête d’une terre hospitalière dans laquelle sa mère rable, pourra envisager sereinement son avenir.
pourra reposer. Arrivé à destination « Il se laisse emplir
6. SYNTHÈSE
du silence qui l’entoure », silence du recueillement
Cette réécriture moderne de L’Énéide propose le récit
et de la sérénité, après les hurlements du vent dans
d’une quête initiatique. Le fils, après avoir triomphé
les montagnes glacées. Sa quête touche à son but,
des épreuves de son parcours, atteint le but de sa
il a tenu bon et a réussi à mener sa mère mourante
quête, une terre hospitalière chargée de la promesse
jusqu’à sa dernière demeure. Il ne lui reste plus désor-
d’un avenir meilleur. Le chemin parcouru correspond
mais qu’à « trouver un endroit où l’ensevelir dans
également, pour la mère, au passage de la vie au
cette immensité nouvelle ».
trépas. Tout comme Énée, Malaka assurera sans doute
3. La découverte de ce nouveau pays est tout d’abord la continuité de la lignée familiale sur cette « autre
mimée par un élargissement progressif de la syntaxe, face du monde ».
tandis que « le chemin qu’ils suivent s’élargit pro-
gressivement », suivant le principe de l’harmonie VERS LE BAC. Commentaire
imitative. Deux phrases courtes de six puis sept syl- Le plan pourra se fonder sur les axes suivants :
labes expriment la progression de Malaka franchis- 1. Deux paysages opposés
sant un col : « Ils ont passé un col. Il avance encore a) La montagne, un enfer minéral et glacial
un peu. » b) La plaine, une immensité luxuriante
Puis la phrase s’allonge pour exprimer le saisisse- 2. Un trajet symbolique
ment du personnage devant l’immensité du paysage a) Le dernier voyage d’une mère
qui s’offre à son regard : « Jusqu’à une immense dalle b) La quête initiatique d’un fils
de pierre qui domine le vide. De là, il aperçoit pour
la première fois l’autre face du monde, immense, se NOUVELLE INTÉGRALE
déroulant sous ses yeux avec la lenteur des jours ». Ce récit symbolise à la fois le passage de la vie
Cette immensité est renforcée par la répétition à la mort et la quête initiatique d’un homme à la
de l’adjectif, d’abord en position d’épithète liée, recherche d’une terre plus hospitalière. En ce sens,
puis détachée (« immense dalle », « l’autre face du la portée allégorique de ce récit peut être rappro-
monde, immense »). De plus, le polyptote vient ren- chée de celle du narrateur de Romain Gary, qui part
forcer cette impression d’espace (« une immensité lui aussi en quête d’un ailleurs plus hospitalier. Mais
d’eau »). tandis que Malaka est mu par un profond altruisme,
Enfin, la description du paysage allie les termes que symbolise le transport de sa mère sur son dos à
mélioratifs et les intensifs (« Tout est plus vert, plus travers des contrées inhospitalières, le narrateur mu
touffu ») afin de mettre en avant la luxuriance du par sa « soif d’innocence » se révèle d’un égoïsme
paysage de cette « immensité nouvelle ». confinant à l’immoralité, et la cupidité dont il fera
4. Langue preuve sera punie par la supercherie de Taratonga.
La brièveté de deux phrases juxtaposées « Elle est Ainsi, la nouvelle de Romain Gary s’apparente à un
morte. Il le sait. » les rend très frappantes, percutantes. apologue dénonçant les fausses valeurs du narrateur,
Il s’agit d’un constat sans appel, d’une réalité tragique, tandis que le roman de Laurent Gaudé se situe sur un
mais incontournable. Celle-ci est révélée au lecteur plan plus métaphysique.

PAGE 81 veté, mise en valeur par le retour à la ligne, confère à
cette phrase une importance particulière. Elle sonne
comme une sorte de sentence, de phrase définitive,
HISTOIRE LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE qui a pour fonction de susciter la surprise et la curio-
sité du lecteur en annonçant le thème dominant du
4. L’orientalisme, terme répandu à partir de 1830, paragraphe suivant : la déception du narrateur, qui va
ne désigne pas un style, mais plutôt un climat qui en détailler les causes dans les lignes 2 à 6.
apparaît au xviie siècle et se développe dans la peinture
2. Le mot « prix » appartient au champ lexical de
française aux xviiie et xixe siècles. Il commence avec
l’argent et des transactions économiques, tout
la mode des « turqueries », que l’on pourra retrou-
comme les termes « salaire », « salarié », « payé »,
ver dans les tableaux de Charles-Amédée Van Loo,
« argent » (l. 3 à 5), et l’expression « gagner sa vie »
comme La Toilette d’une sultane. Victor Hugo note en
(l. 4). Le narrateur dénonce la perversion des relations
1829, dans la préface des Orientales, que l’Orient est
humaines par l’argent sur l’île de Papeete, qui a été
devenu au xixe siècle une préoccupation générale. « Au
gagnée par les méfaits de « la civilisation », c’est-à-
siècle de Louis XIV, on était helléniste, maintenant,
dire la marchandisation des relations humaines, qui
on est orientaliste. Il y a un pas de fait. Jamais tant
sont réduites à de simples transactions commer-
d’intelligences n’ont fouillé à la fois ce grand abîme de
ciales. Cela déplaît au narrateur qui aurait souhaité
l’Asie. » On pourra conseiller aux élèves de s’intéresser
rencontrer des personnages plus conformes à son
notamment à la représentation de la femme orientale
idéal personnel.
à travers deux tableaux d’Ingres, et un troisième de
Delacroix. 3. L’« île perdue des Marquises » correspond à la « soif
– La Grande Odalisque de Jean-Auguste-Dominique d’innocence » du narrateur, qui semble rechercher
Ingres (1814), qui transpose dans un Orient de rêve le une sorte de paradis perdu dans lequel les habitants
thème du nu mythologique, dont la longue tradition seraient restés naturellement bons, comme les pre-
remonte à la Renaissance. Ingres a peint ici un nu miers hommes, et dont les relations seraient caracté-
aux lignes allongées et sinueuses sans tenir compte risées par une certaine harmonie originelle.
de la vérité anatomique, mais les détails comme la 4. On note l’usage de la conjonction de coordination
texture des tissus sont rendus avec une grande pré- « mais » dans les deux phrases (l. 2 et l. 12). Toutefois,
cision. Cette œuvre a été violemment critiquée lors celle-ci ne relève pas du même emploi sémantique.
de son exposition au Salon de 1819. En effet, dans le premier cas, il s’agit réellement d’un
– Femmes d’Alger dans leur appartement, d’Eugène « mais » adversatif, qui a pour fonction d’introduire
Delacroix (1834). Contrairement à Ingres qui ne s’est une disjonction forte entre le caractère « charmant »
jamais rendu en Orient, Delacroix traverse le Maghreb, de la ville et tous les désagréments qu’a pu y trouver
séjournant notamment à Meknès, Oran et Alger, où le narrateur (voir coup de pouce 2). Il s’agit de la
il dessine de très nombreux croquis et aquarelles. La valeur de restriction de la conjonction. En revanche,
critique contemporaine a loué Delacroix pour son sens le « mais » de la ligne 12 introduit une simple propo-
de la couleur et de la composition jugé proche de sition incidente en incise, qui semble moins restrictive.
Véronèse ainsi que pour la sûreté de sa touche. 5. Cette longue phrase descriptive produit l’impres-
– Le Bain turc, de Jean-Auguste-Dominique Ingres sion d’un paysage idyllique. Elle relève de l’hyperbole,
(1862). À la fin de sa vie, Ingres crée la toile la plus notamment par l’usage des nombreuses expansions
érotique de son œuvre avec cette scène de harem du nom qui étendent les groupes nominaux. Ces
associant le motif du nu et le thème de l’Orient. dernier semblent tour à tour reproduire la profu-
sion de l’île (« chute vertigineuse des palmiers de la
PAGE 82 montagne à la mer ») ou sa sérénité (« lagune que les
récifs entouraient de leur protection »). L’hyperbole
BAC Commentaire
se retrouve également dans la caractérisation de la
COUP DE POUCE ! population dont le narrateur sent qu’on peut « tout
1. La phrase « Je fus déçu par Papeete » est très brève. obtenir ». L’idéalisation du paysage et des autoch-
Elle suit le schéma de la phrase canonique ou phrase tones dans le discours du narrateur se traduit par une
simple : sujet, verbe, complément. Une telle briè- certaine exaltation lyrique.

6. La dernière phrase du cinquième paragraphe (l. 18 des contradictions profondes. Dès lors, on pourra se
à 20) est marquée par la tournure emphatique « c’est demander si ce récit de voyage a pour unique fonction
[...] que ». Une telle mise en relief, renforcée par l’ad- de proposer une évasion au lecteur.
verbe « surtout », met en valeur « la qualité des êtres Nous verrons que, si le narrateur manifeste d’abord
humains » qui constitue le centre d’intérêt majeur une recherche d’authenticité et d’évasion, son récit
du narrateur. révèle rapidement une personnalité repliée sur elle-
7. La longue phrase des lignes 21 à 26 révèle les même. Finalement, nous montrerons que cette
contradictions du narrateur. L’ironie se marque dans nouvelle permet d’analyser de façon satirique l’être
le décalage entre son discours et ses actes. D’un côté, humain.
celui-ci rejette avec force toute idéologie du profit du Dans un premier temps, le narrateur, par son récit
système capitaliste jugé « mesquin », et valorise dans de voyage, semble manifester une ouverture sur le
le même temps la bonté des Tahitiens « indifférents au monde, qui peut permettre l’évasion du lecteur en
lucre ». Mais dans le même temps, ce dernier n’hésite quête d’exotisme.
pas à profiter, « sans bourse délier », de la générosité Tout d’abord, il explique dès l’incipit que ce voyage est
des autochtones, ce qui fait de lui une sorte de profi- motivé par un idéal de vie, topos du récit de voyage.
teur néocolonial. La clausule de la phrase, qui enchaîne Son autoportrait se dessine alors, caractérisé par
les valeurs positives poussées à leur paroxysme par le refus des « fausses valeurs » de la civilisation. Le
l’adjonction de superlatifs, est marquée par une ironie personnage dresse en effet un tableau critique de la
particulièrement flagrante : « sur la base de l’amitié société matérialiste à laquelle il s’oppose avec des
et de la fraternité la plus simple et la plus touchante termes accusateurs comme « lutte pour le profit ».
et dans le respect mutuel ». À l’inverse, il défend de vraies valeurs comme le
« désintéressement », une « âme d’artiste » et la
LE COMMENTAIRE PAS À PAS recherche d’une forme d’« innocence », soulignée par
On pourra adopter le plan de commentaire suivant : le titre de la nouvelle. La curiosité revendiquée de ce
1. Les clichés du récit de voyage regard peut rappeler celui d’Alexandra David-Néel
a) L’attrait des paysages exotiques dans Voyage d’une Parisienne à Lhassa.
b) La rencontre des autochtones De plus, le personnage manifeste une curiosité pour
2. Les idéaux du narrateur l’autre et l’ailleurs. Il décrit avec un regard précis le
a) Un discours anti-capitaliste paysage idyllique de l’île isolée et ses habitants. Les
b) La célébration de valeurs humanistes images sont évocatrices : « la chute vertigineuse des
3. Un récit ironique palmiers de la montagne à la mer, la paix indolente
a) Un narrateur qui se comporte comme un parasite d’une lagune ». Il cherche également à exprimer un
néo-colonialiste lien profond et naturel avec une population récep-
b) mais qui semble ne pas avoir conscience de son tive à « la gentillesse et l’amitié. » Ses émotions ainsi
ridicule paraissent sincères et sa sensibilité réelle. Cette aspi-
Conclusion : connivence auteur/lecteur qui fait de ration à un ailleurs idéal qui s’exprime dans le rêve
son personnage un contre-modèle. « d’une lagune bleue » peut rappeler l’évocation du
paradis terrestre dans le poème « Parfum exotique »
PAGE 83 de Charles Baudelaire.
Par conséquent, le lecteur découvre un personnage
BAC Dissertation sur une œuvre intégrale
qui se présente comme ouvert et curieux.
Romain Gary, « J’ai soif d’innocence », 1962 Cependant, le récit reflète en réalité un repli sur un
Les récits de voyage, qui se sont développés depuis système de valeurs corrompues.
la Renaissance, manifestent souvent une curio- En premier lieu, le narrateur fait preuve d’égocen-
sité pour l’autre et l’ailleurs. Romain Gary, avec sa trisme. Il cherche à tirer profit des autres et se fait
nouvelle « J’ai soif d’innocence », publiée en 1962, servir sans dépenser. L’argent devient en effet un motif
met en scène un narrateur qui raconte sa fuite de la récurent : « tout y a un prix, un salaire ». L’emploi des
société matérialiste par un départ en Polynésie, afin pronoms possessifs marque ce rapport de propriété :
de satisfaire un idéal d’authenticité. Son attitude « avoir mon pêcheur, mon jardinier, mon cuisinier,
ne manquera cependant pas de mettre en lumière tout cela sans bourse délier ». Cette relation déna-

ture son lien à l’ailleurs, comme l’indique l’expression première. Cet imaginaire rejoint celui de l’exotisme
paradoxale « mon paradis. » Enfin, certaines phrases fantasmé que les romantiques pouvaient évoquer.
prennent un double sens : « une population dont […] Enfin, Romain Gary porte un regard satirique sur les
on pouvait tout obtenir par la gentillesse et l’amitié. » contradictions et les illusions humaines. La structure
D’autre part, le récit montre que le personnage est du récit met en lumière la dualité du personnage, qui
ancré une société uniforme rongée par l’argent. Il fait renie ses idéaux. Alors qu’il avait juré de ne pas sortir
d’abord preuve d’ethnocentrisme, n’abandonnant pas d’argent sur l’île, il s’empresse de le faire en échange
le système de valeurs qui transforme l’art en marché des toiles. De plus, la scène de la découverte de la
lucratif. Le personnage de Taratonga est plus com- peinture de Gauguin, événement perturbateur du
plexe qu’il n’y paraît d’abord et constitue un double récit, est marquée par l’intensité des émotions susci-
du narrateur. Ce dernier, comme le lecteur, découvre tées par l’argent qu’elles peuvent rapporter. Cet écart
ainsi sa duplicité puisqu’elle ment sur l’origine des entre sa nature cupide profonde et le masque de son
tableaux. Son lien à l’argent, révélé à la fin, est ainsi discours désintéressé crée un effet ironique. Ainsi, les
mis en évidence. De même, la chute de la nouvelle est propos prononcés au discours direct, qui s’opposent
constituée d’une leçon sur une société marquée par aux pensées, révèlent son hypocrisie. En effet, il ment
la cupidité et le règne de l’argent. Le récit en devient à Taratonga sur les raisons de son départ.
rétrospectivement la démonstration. Par conséquent, le nouvelliste jette une lumière sur la
Ainsi, très rapidement, le personnage comme la nature profonde des hommes qui s’illusionnent sur le
société sont présentés à travers leur cupidité. monde et sur eux-mêmes.
En fin de compte, la nouvelle, qui emprunte la forme Si le récit propose au premier abord une forme d’éva-
du récit de voyage, est une fiction qui éclaire la nature sion et d’ouverture sur un ailleurs exotique et idéalisé,
humaine. il montre rapidement un narrateur qui se ment à lui-
Tout d’abord, l’auteur parodie les clichés des voya- même et agit en contradiction avec les idéaux qu’il
geurs. Le narrateur véhicule des lieux communs, affiche. La nouvelle révèle ainsi la nature humaine,
comme le mythe du bon sauvage. Le motif du rêve profondément cupide, et démonte le mécanisme
traverse d’ailleurs la nouvelle : « J’avais soif d’inno- d’une société qui repose sur le profit.
cence », « Je rêvais de me sentir entouré d’êtres On retrouve ce regard critique exercé par le biais
simples et serviables ». Son regard semble déformé d’un récit de voyage fictif dans les Lettres persanes
par ce que son imaginaire idéalise. Il imagine ainsi de Montesquieu au xviiie siècle, qui peignait déjà avec
les habitants de l’île façonnés par une innocence satire les hommes et la société.

séquence 4
Se libérer de l’emprise familiale et sociale
OBJECTIFS ET PRÉSENTATION à développer la capacité des élèves à disserter sur une

DE LA SÉQUENCE œuvre intégrale.
Les œuvres soumises à l’analyse dans les prolonge-
La séquence 4 est centrée sur la question de l’affran-
ments artistiques et culturels invitent à étudier deux
chissement familial et social, thème susceptible de
thèmes en lien avec la séquence : la représentation
faire écho aux préoccupations adolescentes. La double
de la figure maternelle dans l’art et dans la littérature
page d’histoire littéraire et artistique, centrée sur
entre le xviiie et le xxe siècle, ainsi que l’émancipation
l’expression de soi à travers les âges et le récit dans
familiale et sociale au cinéma et dans la littérature.
la littérature contemporaine, cible l’essentiel à retenir
Les supports proposés appartenant aux domaines lit-
pour les élèves, à travers différentes activités qui
téraire, pictural ou cinématographique, il sera intéres-
peuvent enrichir leur dossier personnel.
sant de comparer les procédés spécifiques à chaque
Le thème de l’emprise familiale et sociale est éclairé
art pour sensibiliser les lecteurs et spectateurs à la
par l’étude d’une œuvre intégrale contemporaine
thématique étudiée.
plébiscitée par les lecteurs et reconnue par la critique.
Le groupement de textes complémentaires, égale-
Rien ne s’oppose à la nuit, de Delphine de Vigan, est
présenté comme un roman, mais exploite les spécifici- ment centré sur l’émancipation familiale et sociale,
tés génériques de la biographie et de l’autobiographie, est constitué de récits appartenant aux genres de la
permettant d’explorer la question de l’écriture de soi. nouvelle ou du roman, s’étendant du xviiie siècle à
Celle-ci sera étudiée dans sa dimension scripturale, la littérature contemporaine. Il permet de mesurer
posant la question des difficultés liées à l’écriture, l’évolution des styles et des mentalités au fil des
de ses enjeux, de son rapport à l’authenticité, mais époques : ainsi, Manon Lescaut illustre la manière dont
aussi du point de vue de la réception, interrogeant les le xviiie siècle met au premier plan la subjectivité avec
bénéfices que peuvent en tirer les lecteurs. des récits écrits à la première personne et rompt avec
Cette perspective d’étude de l’œuvre intégrale est le siècle classique par des personnages qui n’hésitent
prolongée par un premier sujet de dissertation pas à s’ériger contre les valeurs communément
portant sur la double dimension biographique et admises ; mais le roman condamne encore le manque
autobiographique du roman. Il est traité étape par de sagesse qui fait tourner le dos à la morale et
étape dans les pages finales consacrées au baccalau- illustre le tragique de l’existence. Au contraire, au
réat, qui proposent également en commentaire un xixe siècle, Maupassant exploite l’efficacité du genre
extrait du roman dans lequel l’écrivain s’interroge sur de la nouvelle réaliste pour inviter à une réflexion sur
les possibilités et les limites de l’écriture. Ces sujets le bonheur et la pertinence de se libérer des carcans
permettent d’exploiter les acquis de la séquence qui briment l’épanouissement personnel. Les deux
tout en consolidant la méthodologie des épreuves extraits du xxe siècle proposés permettent d’apprécier
d’examen. la diversité des formes de l’écriture de soi : le style
La fiche de lecture (parcours d’œuvre intégrale, p. 88) romanesque de Romain Gary contraste avec l’écriture
propose trois pistes de lecture permettant d’envisa- neutre et plate d’Annie Ernaux, qui inaugure un récit
ger l’œuvre de manière transversale, de la considérer d’une nouvelle veine situé « entre la littérature, la
comme un tout signifiant et cohérent. Le titre du sociologie et l’histoire » (Une femme, p. 106 de l’édition
roman, les enjeux de l’écriture, le thème du poids des Folio). L’œuvre cinématographique proposée, adaptée
origines sont les principales thématiques abordées. d’un roman apprécié par les élèves, Danbé, d’Aya
Elles sont éclairées par un ensemble d’extraits, qui Cissoko et Marie Desplechin (2011), donne à suivre
trouvent leur prolongement dans un sujet de disserta- un parcours de vie encourageant. Le corpus se clôt
tion, suivant les recommandations du programme et sur l’analyse d’une œuvre très contemporaine (Leurs
la logique des nouvelles épreuves de l’EAF qui incitent enfants après eux, Nicolas Mathieu, 2018),
SÉQUENCE 4 Se libérer de l’emprise familiale et sociale | 61

récompensée par le prix Goncourt en 2018. Cet extrait, Sa position entre les murs de la maison, dont la forme
pris en charge par un narrateur externe à la troisième est encadrante, démontre qu’elle est ancrée dans
personne, diffère des récits autobiographiques cette famille. La couleur gaie des murs, leur forme
précédents écrits à la première personne et propose, protectrice, la végétation luxuriante connotent la joie
dans une lignée naturaliste, un style moderne de cette enfance.
et nerveux. Tous ces supports témoignent de la Quant aux grands-parents, ils sont disposés de façon
difficulté à se construire en tant qu’individu soumis signifiante dans l’espace de la toile : ses grands-
au poids du déterminisme et offrent des parcours parents maternels, placés au-dessus du paysage
de vie différents, qui toucheront et éclaireront les continental, composé de désert et de cactus, sont
élèves, leur montrant combien la littérature de toute mexicains ; ses grands-parents paternels sont situés
époque se fait l’écho de questionnements à la fois au-dessus de l’eau car ils sont originaires d’Allemagne,
intimes et universels. et ont dû traverser l’océan avant de s’installer au
Mexique. Cette diversité se transmet de génération
PAGE 84 en génération jusqu’à la fillette, comme le symbolise
le ruban. La position de Frida, plus proche de son père,
HISTOIRE DES ARTS traduit sa proximité psychologique et sa préférence,
Frida Kahlo, Mes grands-parents, mes parents ses relations avec sa mère étant plus tendues.
et moi, 1936 Ainsi, ce tableau exprime bien le poids des origines,
le déterminisme qui pèse sur les épaules d’un enfant
▶▶ Objectifs
dont l’existence mais aussi la personnalité dépendent
■■ Étudier comment l’art pictural peut exprimer la
de l’héritage génétique et culturel transmis par ses
question du déterminisme familial et le poids des
ancêtres. La structure même d’un arbre généalogique
origines.
■■ Découvrir une artiste et son histoire.
traduit par sa verticalité et sa forme en entonnoir les
■■ Entrer dans la séquence en montrant l’ambiguïté
forces qui convergent vers chaque individu, le poids
qui pèse sur lui.
liée à la question des origines, illustrée à la fois par
la dimension rassurante de l’enfance et par l’aspect ŒUVRE INTÉGRALE
pesant des origines.
1. Ce tableau à dimension autobiographique illustre Rien ne s’oppose à la nuit
les différentes étapes qui ont permis à Frida Kahlo de
venir au monde.
Les parents semblent représentés au moment de leur ⁄ Un projet difficile
à mettre en œuvre
Objectifs
mariage. Sous le ruban rouge qui se trouve sous la ▶▶
mariée est dessinée la rencontre d’un spermatozoïde ■■ Étudier les éléments constitutifs du pacte de lecture.
■■ Identifier les caractéristiques spécifiques aux genres
et d’un ovule. Ensuite, dans le ventre de sa mère, nous
voyons bien le fœtus qui grossit, et enfin, au premier biographique et autobiographique.
■■ Saisir les enjeux de l’écriture pour l’autrice et l’am-
plan et au centre du tableau, se tient Frida fillette dans
la cour de la maison familiale. pleur des difficultés rencontrées.
2. L’artiste s’est représentée au premier plan, mais 1. Le livre que le lecteur s’apprête à lire est écrit à la
dominée par ses parents situés au deuxième plan, puis première personne du singulier, la narratrice se super-
ses grands-parents au troisième plan, plus hauts que pose à l’écrivain et se montre dans l’acte d’écrire, en
tous les autres. L’éloignement spatial coïncide ainsi un discours métadiscursif, par exemple : « je me suis
avec l’éloignement temporel, et la hauteur avec le assise devant mon ordinateur, j’ai ouvert le fichier
degré d’ascendance. Frida tient à la main un ruban […], j’ai relu, supprimé une ou deux phrases » (l. 4-5).
rouge dont le nœud symbolise le lien, qui la rattache « Cet élan, de moi vers elle » (l. 12) confirme la dimen-
à ses ancêtres. Le ruban, par sa couleur et la forme sion à la fois biographique et autobiographique du
qu’il dessine, rappelle le cordon ombilical qui nourris- projet. Il s’agit de retrouver la figure maternelle
sait le fœtus dans le ventre de sa mère. La fillette est disparue.
encore nue, comme le fœtus qu’elle était, elle dépend L’autrice ne cache pas les nombreux obstacles qui
toujours de ses parents. ont entravé son écriture. Le constat de la première

ligne « je me suis arrêtée » n’exprime pas l’élan de PAGE 85
la dynamique créative dont il sera question ligne 12
mais d’abord plutôt sa rupture, et le titre donné au
fichier, « Rien », (l. 4) traduit la façon dont l’autrice
considère son travail, niant elle-même la possibilité
¤
▶▶
’affranchir
S
du mythe familial
Objectifs
d’un développement. Ce pronom indéfini de la quan- ■■ Sonder l’épaisseur psychologique de Lucile pour
tité zéro est repris lignes 5-6, amplifié par l’expression tenter d’éclairer son parcours de vie.
« du tout » pour confirmer le néant de sa création. ■■ Saisir le décalage entre les éléments constitutifs d’un
Lignes 1-2 « sans que je puisse ajouter au texte une mythe familial et la réalité révélée par Delphine de
ligne ni même un mot » utilise une gradation dans Vigan.
la négation, soulignée par l’adverbe « même », ren- ■■ Comprendre les enjeux de l’écriture pour l’autrice
voyant au syndrome de la page blanche tant redouté et partager son questionnement moral.
par les écrivains. La négation de la ligne 6 « Cela ne 1. Cet extrait permet de mieux cerner Lucile en dévoi-
fonctionnait pas, ce n’était pas ça, cela n’avait rien à lant quelques aspects de son portrait physique. Elle
voir avec ce que je voulais » insiste par le rythme ter- « crève l’écran » (l. 2) : cette expression hyperbolique
naire sur l’échec de l’entreprise amorcée par l’autrice. signifie que sa prestance est telle que le spectateur
Les substantifs « ébauche » (l. 3) puis « tentative » (l. 3 ne voit qu’elle à l’écran, qu’elle captive son regard.
et 11), amorcent un réseau lexical de l’essai confirmé La phrase suivante confirme ce point, avec l’adjectif
dans le deuxième paragraphe par les noms « quête », « stupéfiante » qui qualifie « beauté » de façon éga-
« genèse », « errances », tandis que les adjectifs quali- lement méliorative et hyperbolique.
ficatifs « avortée », « inachevées », « hésitant », « ina- Ce passage dévoile aussi plusieurs traits saillants de
bouti » constituent celui de l’échec. son portrait moral : l’expression imagée « pétille d’in-
En dépit des difficultés à avancer dans ce projet, telligence » reflète sa vivacité d’esprit. Pour autant,
l’autrice prend une décision manifestée ligne 8 par le elle fait preuve de retenue, comme le montrent
complément circonstanciel de temps « Un matin », les lignes 1-2 : elle ne quitte pas une « position de
qui marque une rupture par rapport à la toile de réserve », « mesur[e] la portée de chaque mot ». Les
fond du premier paragraphe ; le subjonctif « dussé- lignes 8-9 expriment sa « confiance en l’avenir »…
je » synonyme de « même si je devais » rend compte mais cette affirmation s’oppose à la confidence de
des concessions que l’autrice doit accepter, ainsi que, la ligne 6 « Je suis d’un tempérament très angoissé »,
ligne 9, « même dans la certitude de ne jamais trouver où l’adverbe « très » intensifie l’adjectif « angoissé ».
de réponse ». Ainsi, elle continuera coûte que coûte, Cette antithèse est synthétisée ligne 11 dans un com-
malgré la conviction que la tâche entreprise se déro- mentaire de la narratrice modalisé par le verbe de
bera toujours, comme l’indique l’adverbe « jamais ». doute « je crois » : « elle a peur et elle a confiance ». Ce
Ligne 8, le verbe « falloir » traduit la dimension impé- paradoxe exprime les contradictions internes du per-
rieuse de la tâche, la nécessité de tout faire pour sonnage, qui introduisent une faille dans un portrait
l’accomplir, affronter les difficultés, ne plus les fuir. jusque-là positif et lumineux. La prolepse « La vie se
Delphine de Vigan ressent le besoin de se rapprocher chargera de trancher » renvoie au parcours que ce livre
de sa mère, comme l’indique l’expression « élan, de s’apprête à retranscrire, dont l’incipit a déjà dévoilé le
moi vers elle ». dénouement tragique. Au moment de ce reportage,
Les lignes 10-12 fournissent une définition du livre Lucile se trouve encore dans une position d’équilibre
que le lecteur tient en main et s’apprête à lire : plus précédant la souffrance exprimée par l’énumération
qu’une œuvre aboutie qui transmettrait des vérités, des expansions du nom « blessés, abîmés, en déséqui-
ce récit témoigne de l’impossibilité à atteindre des libre » (l. 22). Ce mal-être qui concerne toute la fratrie
certitudes ; il s’agit malgré tout pour Delphine de de Lucile introduit l’hypothèse d’une problématique
Vigan de mener à terme ce projet et de faire rejaillir familiale.
la figure maternelle, même si elle demeure nimbée de 2. Une série d’antithèses met au jour le décalage
mystères. Il est à penser que le livre superposera deux entre un mythe familial qui repose sur des images
époques, entremêlera récit rétrospectif de souvenirs valorisantes et une vérité tout autre : les termes
et commentaires ancrés dans le présent de l’écriture de connotation positive « unie » (l. 12), « épanouis-
et de la narration. sement » (l. 13) s’opposent aux mots négatifs des

lignes 14-15 « désordre », « poison » et « faille »,
HISTOIRE DES ARTS
mis en valeur par la répétition et l’épanorthose qui
entraîne un passage au pluriel : « la faille, les failles ». Mathias Waske,
Les lignes 16 et 17, rapprochées par un parallélisme Collectionner l’art est si léger, 1990
syntaxique, s’opposent quant au sens des termes ▶▶ Objectifs
énumérés : « drame, alcool, folie, suicide » consti- ■■ Analyser une image.
tuent en effet le réseau lexical de la destruction alors ■■ Étudier un phénomène de réécriture picturale, en
que « fête, grand écart et ski nautique » traduisent

montrant comment une œuvre peut en inspirer une
l’insouciance d’un bonheur tourbillonnant. Ligne 20,
autre.
« ruine » s’oppose à « reconstruire », et ces deux direc- ■■ Analyser le dialogue qui s’instaure entre deux
tions antithétiques sont reprises lignes 27-28 avec les

artistes n’appartenant pas à la même époque.
participes passés « encouragés, encensés, adulés » qui ■■ Interroger le lien entre art et réalité.
traduisent l’émulation positive et les adjectifs « nocif,
destructeur » ainsi que le participe passé « anéantis » L’artiste allemand Mathias Waske (1944-2017)
qui expriment au contraire la destruction, en écho reprend sur sa toile les éléments habituels d’un por-
à « ruine ». Par un jeu d’énumérations antithétiques, trait de famille : ici, les parents ont assis sur leurs
cet extrait permet donc de révéler la construction genoux leurs deux petits garçons alors que leur fil-
d’un mythe familial qui ne correspond pas à la réalité. lette, un peu plus âgée, se tient accroupie devant
eux, au premier plan. La peluche abandonnée au sol
3. La narratrice rétablit la vérité en opposant à la
à l’arrière-plan constitue un effet de réel. La famille
vision idyllique d’une famille heureuse et équilibrée
pose devant un tableau de Fernand Léger (1881-
celle de parents néfastes et d’enfants en souffrance.
1955) accroché sur le mur à l’arrière-plan. Cela crée
Les prétéritions des lignes 26 à 32 mettent en exergue
une mise en abîme, d’autant que cette toile est elle-
la responsabilité des parents de Lucile : George appa-
raît comme un homme malsain, contradictoire, ainsi même le portrait de deux personnages, sans doute
que l’indiquent les antithèses des lignes 26 à 30. une mère et sa fille à en juger par la posture pro-
L’énumération en rythme ternaire « nocif, destruc- tectrice du plus grand. La famille représentée par
teur et humiliant » (l. 26) fait écho par le parallélisme Mathias Waske semble agrandie par la présence de
de construction à l’énumération « blessés, abîmés, ces personnages qui s’intègrent parfaitement à la
en déséquilibre » (l. 23), les deux étant reliés par un disposition d’ensemble, le tout formant une sorte de
rapport de cause à conséquence. Implicitement, la pyramide harmonieuse. Pour autant, les deux familles
narratrice pose la question de l’inceste par l’expres- sont différenciées par le style : Fernand Léger s’éloigne
sion « relations au minimum ambiguës » où la locu- d’un réalisme figuratif et ses personnages, nus, ins-
tion adverbiale « au minimum » laisse entendre que pirés par le mouvement cubiste, sont constitués de
l’hypothèse de faits plus graves n’est pas à exclure. formes géométriques, alors que Mathias Waske repré-
Quant à Liane, elle est accusée d’avoir consenti au sente des personnages habillés, dans un style réaliste.
« sacrifice des siens » (l. 32), terme lourd de sens, par Pourtant, deux caractéristiques des premiers se sont
vénération de son époux, comme le souligne la com- propagées aux seconds, créant un air de famille qui les
paraison « dévouée comme elle l’était à Dieu. » Le relie : les cheveux et la forme du visage, en particulier
décalage entre le portrait négatif qui se dessine de du nez. À noter que la peluche au sol a également
Georges et cette assimilation divine résonne de façon hérité de ces traits spécifiques.
tragique, soulignant l’aveuglement coupable de Liane. Mathias Waske interroge ainsi le lien entre fiction et
Ainsi, cet extrait révèle le poids des origines, Lucile réalité. La frontière entre art et réel est brouillée à
et ses frères et sœurs ayant « porté leur enfance, l’échelle de la scène représentée sur la toile, puisque
leur histoire, leurs parents, leur famille, comme une personnes réelles et personnages peints se mêlent et
empreinte au fer rouge » (l. 24-25). L’énumération semblent poser ensemble ; mais la famille qui peut
constituée de deux binômes en gradation (enfance- paraître réelle n’est elle-même qu’une image pour les
histoire et parents-famille) accentue l’impression de lecteurs du tableau, une illusion de la réalité.
poids accumulé sur leurs épaules et la comparaison Le titre joue sur les mots, l’adjectif « léger » faisant
signifie la dimension fatale, inéluctable, d’une origine référence à son homophone, le nom propre « Léger ».
à jamais inscrite en chacun. Le fait que certains traits physiques des person-

nages de Fernand Léger semblent se propager sur grouillot incontinent. » (l. 8-9). Les termes familiers
les membres de cette famille collectionneuse de ses sont typiques du discours direct.
toiles tend à indiquer que collectionner l’art n’est pas Ces éléments de discours rendent le récit plus vivant,
si léger, mais a des incidences visibles. lui donnent du relief et permettent de mieux cerner
Cette image peut faire penser à Rien ne s’oppose à le personnage de Georges, dont le propos révèle la
la nuit : les photographies de famille donnent une personnalité. Les termes péjoratifs qu’il emploie pour
image lisse sur laquelle seul le bonheur transparaît. qualifier l’œuvre de Proust, la métaphore déprécia-
Elle évoque aussi, par l’entremêlement entre fiction tive « De la broderie bon marché pour vieilles filles
et réalité, l’écriture de Delphine de Vigan, qui voudrait presbytes » témoignent de son intransigeance, mais
coller à la vérité, mais doit admettre que la fiction, la également de sa volonté de se donner en spectacle,
fable, fera partie de son récit. de provoquer et de faire rire.
3. Lucile a atteint un âge où elle peut construire son
PAGE 86 propre jugement sur son père, à partir de ses obser-
vations personnelles, comme le montrent les verbes :
‹
▶▶
Se détacher de l’idéalisation
enfantine
Objectifs
« avait découvert » (l. 1), « observait », « entrevoyait »
(l. 7), « avait écouté » (l. 14), « n’en avait pas perdu
un mot » (l. 15). Le jugement qui découle de ces
■■ Mieux cerner le personnage de Georges et analyser observations, comme en témoigne l’adverbe « ainsi »
les procédés employés par l’autrice pour faire ressortir (l. 15), est transmis par des phrases assertives : « Lucile
les traits saillants de sa personnalité. avait découvert les limites de son père. Georges ne
■■ Repérer les indices d’un recul critique fragilisant savait pas tout. » (l. 1-2), « Georges n’avait pas tou-
l’ascendant du père sur sa fille. jours le dernier mot. » (l. 3), « Lucile […] entrevoyait
son intolérance et ses contradictions. » (l. 7), « Ainsi,
1. Le portrait que cet extrait brosse de Georges est
son père pouvait avoir tort et même se ridiculiser. »
négatif. Il apparaît comme un homme qui se met en
(l. 15) Il s’agit d’un jugement totalement négatif,
avant, aime constituer le centre de l’intérêt, dominer
jamais modalisé, constitué de termes dépréciatifs
les autres : « Georges, provoquait le rire » (l. 10),
comme « limites », « intolérance », « contradictions »,
« il ne renonçait jamais au premier rôle » (l. 11-12).
« tort », « ridiculiser ». Les phrases à la forme néga-
Il est autoritaire, parlant « d’un ton sans appel » (l. 6),
tive – « Georges ne savait pas tout. » (l. 2), « Georges
« décrét[ant] » certaines idées (l. 8), « ordonn[ant] de
n’avait pas toujours le dernier mot. » (l. 3) – expriment
se taire » (l. 17), si bien que l’« on n’osait le contredire »
le décalage entre un point de vue enfantin, naïf, et une
(l. 10-11). Sa mauvaise foi est flagrante : s’il impose le
réflexion plus mature ; ces scènes ont permis à Lucile
silence à son fils, c’est parce que ce dernier s’apprête
de se dessiller les yeux.
à abonder dans le sens d’un contradicteur (l. 16), et
De fait, l’acte de s’acheter le volume de Proust tant
surtout, il ne reconnaît pas sa défaite et le manque décrié par son père est chargé de sens : il montre sa
d’arguments ne l’empêche « jamais de conclure sur volonté de se forger sa propre opinion, témoigne de
un ton sans appel qu’il [a] raison » (l. 6). L’adverbe son détachement de l’emprise paternelle.
« jamais » témoigne de sa rigidité. L’antithèse entre
le manque d’arguments et le fait d’affirmer avoir
raison en dit long sur sa malhonnêteté. ›
▶▶
La fugue
Objectifs
2. Lignes 9-10 : « De la broderie bon marché pour
vieilles filles presbytes. Autant prendre un somni- ■■ Mesurer, à travers cette première expérience, la dif-
fère. » ficulté à se libérer du poids familial.
■■ Repérer comment l’autrice invite le lecteur à sourire
Ces propos ne sont pas encadrés de guillemets, pour-
tant le lexique, les images, sont caractéristiques du de cette expérience.
■■ Montrer l’ambiguïté de la cellule parentale, entre
discours direct : on perçoit fidèlement les mots du
personnage, tels qu’il a pu les prononcer. Ils font écho autorité étouffante et puissance rassurante.
à ceux employés dans la phrase précédente au dis- 1. Partie 1 [l. 1 à 4] : En route vers la liberté
cours indirect : « Georges avait décrété que Proust Patrie 2 |l. 5 à 7] : Première nuit d’indépendance
était un écrivain mineur, un pisseur de pages, un Partie 3 [l. 8 à 10] : Retour de l’autorité paternelle

2. Grammaire [l. 5-7] – la répétition du verbe de volonté, la gradation
« Avait remarqué » est un plus-que-parfait qui dans l’expression de la mise à distance par l’usage
exprime l’antériorité du verbe remarquer par rapport d’une antithèse « je ne voulais pas davantage lui
au verbe « était » à l’imparfait, répété deux fois. Cet être semblable, je voulais être l’inverse d’elle »
imparfait concerne un état non délimité dans le (l. 16-17) ;
temps, descriptif. « Entendit » et « remarqua » sont – la redondance avec ces deux phrases par deux
au passé simple car ils correspondent à des actions autres propositions également antithétiques : « refu-
de premier plan, délimitées dans le temps, comme sais de suivre ses traces » (l. 17) et « m’appliquais à
l’indique le connecteur temporel « Le soir venu ». emprunter les directions les plus opposées. » (l. 18),
3. « En moins de deux heures, elles furent à Paris. » où le superlatif exprime la recherche d’une distance
constitue la conclusion de cet épisode. La brièveté de la extrême.
phrase contraste avec l’ampleur du premier paragraphe Tous ces procédés témoignent des efforts entre-
consacré au voyage inverse, à la fugue et à tous les pris par Delphine de Vigan pour se différencier au
espoirs de liberté qu’elle contenait. Le dénouement maximum de sa mère.
s’oppose avec ironie à ce premier rêve d’émancipation. 2. La leçon à en tirer est que s’affranchir de ses ori-
La dernière phrase nous invite à porter un regard à la gines est très difficile, voire impossible. Des complé-
fois moqueur et attendri sur cette expérience avortée. ments circonstanciels de temps comme « Pendant des
Ce souvenir témoigne de la difficulté à s’affranchir de années » répété en anaphore (l. 13-14) ou « Pendant
l’emprise et de la protection familiales. quelques mois » (l. 19) témoignent du temps qu’ont
duré les efforts de la narratrice pour finalement
PAGE 87 aboutir à un échec.
Cet extrait montre ainsi l’impossibilité de nier ses
∞
▶▶
Le poids
de ses origines
Objectifs
origines : la narratrice reconnaît avoir « fini par capi-
tuler » (l. 20) Le surnom « ma puce » l’emporte face
à un grand nombre d’autres possibilités, comme en
■■ Étudier comment, par une anecdote a priori amu- témoigne l’accumulation (l. 5). L’hérédité semble res-
sante, l’autrice démontre le poids du déterminisme ponsable de ce mimétisme. La sœur de la narratrice,
héréditaire et du mimétisme familial. malgré ses réticences initiales, sa « désapprobation »
■■ Montrer que le lecteur peut tirer leçon d’une (l. 27), finit aussi par revenir vers sa mère de façon
expérience individuelle. « instincti[ve] » (l. 29) Les deux sœurs semblent domi-
1. La narratrice souligne sa volonté de ne pas ressem- nées par une sorte de fatalité.
bler à sa mère en martelant cette idée sous plusieurs 3. Grammaire
formes, des lignes 7 à 19, et en utilisant plusieurs Les imparfaits expriment des actions passées, non
procédés : délimitées dans le temps : « étais » (l. 1), « j’ignorais »
– des verbes de volonté ou de refus : « vouloir » (l. 8) (l. 2), « était » (l. 6) ; « m’appelait » (l. 1) correspond
et (l. 16), « refuser » (l. 17), « éviter » (l. 17) ; aussi à une habitude.
– des termes dont le sens exprime un effort : « tenter Le plus-que-parfait « je ne m’étais pas posé » (l. 3)
de » (l. 14), « s’efforcer » (l. 19) ; exprime une action antérieure au passé dans lequel
– le parallélisme et la redondance « une préoccupation se situent ces imparfaits.
majeure, un objectif prioritaire » (l. 8), où les adjectifs Le conditionnel « je l’affublerais » (l. 4) correspond à
qualificatifs expriment l’importance pour la narratrice un futur par rapport au repère situé dans le passé où
de ne pas ressembler à sa mère ; la narratrice se pose la question et où dominent ces
– la négation et la locution adverbiale « en rien », imparfaits de toile de fond : « j’ignorais »…
puis, l’anaphore en « ni » : « Je ne voulais en rien être Le passé simple « furent » (l. 6) désigne une action
semblable à Lucile » ; « ni sur le plan physique, ni sur délimitée dans le temps, bornée, liée à un moment
le plan psychologique » (l. 8-9) ; précis du passé, celui où la narratrice prononce les
– l’anaphore « mes propres gestes, ma propre premiers mots, « ma puce ». Il vient s’inscrire en un
démarche » (l. 14-15), qui insiste sur la volonté d’ac- point précis sur la toile de fond constituée par les
quérir une singularité ; imparfaits.

Le parcours de Lucile s’assombrit peu à peu : sa petite
HISTOIRE DES ARTS
enfance paraît plutôt lumineuse, sa beauté est mise
Gabriele Lopez, Mère et fille en lumière par des photographies de mode. Mais des
▶▶ Objectifs drames, notamment la mort de ses deux frères, une
■■ Analyser une image photographique. famille nocive (extrait 2 p. 85), une fêlure héréditaire,
■■ Apprendre à décrire et interpréter des signifiants pèsent de plus en plus lourdement sur ses épaules,
non verbaux. et la font sombrer dans la folie. « Rien ne [peut]
s’oppose[r] » à cet assombrissement dysphorique,
Le cadrage de cette photographie est original car
qui finit par la recouvrir totalement, comme une
l’artiste photographie des sujets qui lui tournent le
fatalité. La nuit représente donc métaphoriquement
dos. Il s’agit d’une femme et d’une jeune fille, comme
la dépression qui isole Lucile, la pousse à la mort, nuit
la carrure et les cheveux le laissent comprendre, une
plus éternelle encore (à noter que lorsque la narratrice
mère et sa fille, selon le titre.
découvre le corps de sa mère, elle la croit d’abord
La photographie semble prise sur le vif, dans la rue,
endormie).
sur un passage piéton, et les sujets ne paraissent pas
Quelques autres titres possibles :
poser pour l’artiste, ce qui contribue à son caractère
– Le retentissement du désastre (tiré d’une citation
réaliste. Elle est en noir et blanc, mais c’est un choix
de l’artiste, car les voitures récentes à l’arrière-plan du livre)
témoignent qu’elle s’ancre dans une période récente, – L’écho inlassable des morts (tiré d’une citation du
contemporaine. Ce choix, et le fait que les visages ne livre)
soient pas visibles, universalisent le cliché : il devient – Cet élan, de moi vers elle (tiré d’une citation du livre)
le symbole de toute relation mère-fille. – L’écriture et la vie
La mère entoure sa fille de son bras, en un geste – Failles et blessures
protecteur. Toutes deux regardent dans la même – Au cœur des secrets enfouis
direction et vont de l’avant, dans un élan positif. – Le poids des origines
Les coiffures semblables (cheveux longs, détachés, VERS LA DISSERTATION
tombant sur les omoplates), les vestes sombres, Les lecteurs peuvent-ils trouver intérêt à la lecture du
créent une harmonie elle aussi positive. récit de vie centré sur l’intimité familiale de Delphine
L’image des relations mère-fille présentée par cette de Vigan ?
photographie est donc optimiste. Elle contraste avec 1. Difficultés pour le lecteur à entrer dans
celle que délivre Rien ne s’oppose à la nuit, sans doute l’intimité d’une famille qui n’est pas la sienne
parce que la mère (Liane ou Lucile) n’a pas su ainsi a) Une famille complexe
entourer son enfant, le protéger de ses bras. Lucile appartient à une fratrie nombreuse constituée
de neuf enfants nés entre 1944 et 1962. Pour suivre
PAGE 88 la démarche analytique de la narratrice, le lecteur
doit entrer dans cette famille, maîtriser le prénom
de chacun, cerner les principaux traits de caractère,
PARCOURS D’ŒUVRE INTÉGRALE comprendre la psychologie des parents. Entrer dans ce
récit nécessite de pénétrer la complexité d’une famille
Delphine de Vigan,
étrangère, ce qui peut décourager le lecteur, a priori.
Rien ne s’oppose à la nuit, 2011 En outre, les souvenirs de chacun des membres de
▶▶Objectif général cette famille diffèrent sur un même événement :
■■Savoir analyser une œuvre de manière transversale, ainsi, il existe autant de versions de la mort d’Antonin
la considérer comme un tout signifiant et cohérent. que de témoins, parmi lesquelles Delphine de Vigan
choisit « celle qui lui sembl[e] la plus vraisemblable, la
PISTE DE LECTURE 1
plus proche en tout cas de ce qu’en racont[e] Liane »
Le titre en question (p. 41). Celle de Georges, encore, « diffère de toutes
▶▶Objectif celles qu’[elle a] entendues » (p. 105). La narratrice
Analyser la valeur programmatique du titre,
■■ constate que « chacun a gardé des événements qui
comprendre son sens symbolique. ont fondé l’histoire familiale sa propre vision. « Ces

visions diffèrent, parfois se contredisent, elles sont 2. Intérêts du lecteur à percer les secrets
autant d’éclats épars dont le rassemblement ou la de cette famille
compilation n’apportent rien » (p.43). a) Un pacte de lecture engageant
L’écriture s’accompagne régulièrement d’un discours L’authenticité du récit, inhérente au pacte auto-
métadiscursif par lequel l’autrice rend compte aux biographique, semble confirmée par la réalité des
lecteurs de ses doutes, de ses questionnements. sources citées, sur lesquelles se construit l’écriture
Elle affirme ainsi que l’écriture ne peut rien : son (émission de l’ORTF, cassettes audio, documents
livre, plus qu’une œuvre aboutie qui transmettrait d’archive, rapports de police et d’enquête sociale…).
des vérités, témoigne de l’impossibilité à atteindre De même que l’intérêt des hommes pour les
des certitudes. Dans l’extrait 1 p. 84, elle présente faits divers ne se dément pas, les lecteurs sont
son ouvrage comme une « ébauche » (l. 3) puis une généralement attirés par ce qui semble vrai, comme
« tentative » (l. 3 et 11), utilise les noms « quête », Aristote l’exprimait en insistant sur la nécessité
« genèse », « errances », les adjectifs qualificatifs de la vraisemblance pour favoriser l’adhésion des
« avortée », « inachevées », « hésitant », « inabouti » spectateurs au théâtre. Certes, Delphine de Vigan
qui constituent le même réseau lexical de l’incom- se heurte à l’impossibilité d’atteindre la vérité, qui
plétude, de l’échec. Le lecteur peut se demander quel échappe à l’écriture et travaille « dans la certitude de
est son intérêt à lire un livre si complexe pour un ne jamais trouver de réponse » (extrait p. 84), mais
résultat si flou… le fait même qu’elle confie cet échec rend compte
b) Un sentiment de voyeurisme de la sincérité de sa démarche. En livrant ses doutes
La narratrice ne se contente pas de raconter le passé d’écrivain, ses appréhensions, voire ses échecs, la
de façon linéaire, mais l’analyse, n’hésitant pas à narratrice suscite la complicité du lecteur, permettant
révéler un décalage entre l’image donnée par cette de stimuler son intérêt porté au récit.
famille et la réalité dissimulée : à propos d’une émis- b) De l’individuel à l’universel
sion de télévision à laquelle sa famille avait parti- Dès lors que l’expérience de l’écrivain est traduite
cipé, elle souligne : « Le reportage donne à voir une en mots lisibles par des lecteurs, elle s’universalise.
famille joyeuse, unie, où la priorité a été donnée à L’art transpose l’individuel en universel ; le lyrisme,
l’autonomie des enfants et à l’épanouissement de expression des sentiments personnels, crée du
leur personnalité. » (extrait p. 85). Or ,les enfants de
lien entre les personnes. Hugo, dans la préface des
Georges et Liane ont tous été, « à un moment ou un
Contemplations, exprime bien cette idée : « Est-ce
autre de leur vie (ou toute leur vie), blessés, abîmés,
donc la vie d’un homme ? Oui, et la vie des autres
en déséquilibre, […] ils ont tous connu, à un moment
hommes aussi. Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une
ou un autre de leur vie (ou toute leur vie), un grand
vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est
mal de vivre. » (p. 162). Pénétrer ainsi l’intimité d’une
la mienne, vous vivez ce que je vis : la destinée est
famille peut gêner le lecteur. L’autrice le mène au
une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On
cœur de secrets inavouables : le rôle joué par Georges
se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi.
pendant la Seconde Guerre mondiale (p. 100-104),
Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! quand je
ses maîtresses, les relations ambiguës qu’il entre-
vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment
tenait avec certaines de ses filles, ou des amies de
ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne
celles-ci (p. 221-233), la passivité coupable de Liane,
suis pas toi ! » Cette famille n’est certes pas celle du
« jusqu’au sacrifice des siens » (extrait p. 85)… Elle-
lecteur mais elle n’en est pas moins intéressante pour
même éprouve une sorte de gêne à émettre de
lui, car l’explorer revient à explorer le cœur humain.
telles révélations, comme le prouve par exemple la
Ainsi, cette famille a priori étrangère au lecteur, est
question mise en relief par l’anaphore « Ai-je le droit
en réalité aussi la sienne, et la réflexion livrée par
d’écrire que », ou les cauchemars que l’écriture de
l’autrice est enrichissante pour quiconque car elle
ce livre l’amène à faire, la réveillant « en sursaut à
peut l’éclairer sur lui-même et son rapport aux autres.
quatre heures du matin », la conduisant presque à
« renoncer » (p. 322). Pourtant, cette complexité psy- 3. Bénéfices pouvant être tirés de cette lecture
chologique et cette mise au jour de tabous peuvent a) Une réflexion enrichissante
développer la complicité du lecteur avec la narratrice Ce roman permet de réfléchir à l’influence de la
et susciter son intérêt. famille sur le devenir des enfants, car si chacun évolue

différemment en fonction de son propre tempéra- pas bénéficié de la distance nécessaire pour pouvoir
ment, le poids des origines ne peut être nié. Par son analyser leur parcours de vie, le lecteur, lui, qui a suivi
analyse, Delphine de Vigan met en relief un détermi- leur histoire jusqu’à leur mort, peut en tirer une leçon.
nisme auquel nul ne semble pouvoir échapper. Ainsi, En couvrant des vies entières, ce récit est particulière-
Lucile et ses frères et sœurs « ont porté leur enfance, ment éclairant : la vision de ces destins est nette alors
leur histoire, leurs parents, leur famille, comme une que, dans la vie, les émotions vécues brouillent notre
empreinte au fer rouge » (extrait p. 85). La structure lucidité, ne rendent pas toujours possible le recul cri-
accumulative, la métaphore de l’empreinte illustrent tique nécessaire à l’analyse.
le poids des origines. L’autrice reprend cette analo- En outre, le récit de Delphine de Vigan reposant sur
gie de l’empreinte à propos de l’inceste : « J’ignore, des ressorts pathétique et tragique, suscite la crainte
[dit-elle], comment ces choses (l’inceste, les enfants et la pitié, développe l’empathie. Ainsi, il engage
morts, le suicide, la folie) se transmettent. Le fait est véritablement les lecteurs, les rend plus disponibles
qu’elles traversent les familles de part en part, comme à la réflexion. Comme l’affirme Antoine Compagnon
d’impitoyables malédictions, laissent des empreintes dans son essai La Littérature, pour quoi faire ? : « La
qui résistent au temps et au déni. » (p. 260). Le littérature déconcerte, dérange, déroute, dépayse plus
présent à valeur de vérité générale montre bien que que les discours philosophique, sociologique ou psy-
ces réflexions, tirées de l’expérience personnelle de chologique, parce qu’elle fait appel aux émotions et
Lucile, peuvent concerner et intéresser tout lecteur. à l’empathie. » Le livre de Delphine de Vigan suscite
La narratrice oriente l’opinion des lecteurs en l’intérêt du lecteur en le bouleversant, l’instruit en
dépeignant Georges sous les traits d’un père l’émouvant, respectant le fameux précepte antique
autoritaire, incapable de se remettre en question, docere, placere, movere (« instruire, plaire, émou-
« nocif, destructeur », et en montrant Liane comme voir ») développé par Aristote dans sa Poétique (vers
une femme dévouée à son mari au point de ne pas 335 av. J.-C.).
vouloir entendre le pire, répondant à ses petits-enfants
PISTE DE LECTURE 2
étonnés de la conduite ambiguë de Georges envers
Manon (sœur de la narratrice) : « Ce n’est pas bien de La démarche scripturale en tension :
raconter des choses comme ça sur votre grand-père. » enjeux, échecs et réussites
(p. 229). À ces types humains, le lecteur peut comparer ▶▶ Objectifs
des personnes de sa propre famille, ou se comparer ■■ Comprendre les objectifs subordonnés à l’écriture
lui-même. Comme ce sont des personnages négatifs, de ce livre et les difficultés rencontrées lors de sa
ils peuvent servir de repoussoirs au lecteur, qui se rend création.
■■ Mesurer les bénéfices tirés par l’autrice à l’issue de
compte des conséquences de leur comportement.
Ainsi, Delphine de Vigan transmet aux lecteurs une ce projet.
expérience personnelle, enrichie d’une analyse qui a. Le pacte de lecture mis en place au seuil de Rien ne
éclaire sur le fonctionnement de la nature humaine. s’oppose à la nuit montre clairement que la narratrice
À partir d’une histoire individuelle, elle fournit une est l’autrice, s’exprimant à la première personne du
leçon de vie au bénéfice de celle du lecteur. singulier pour raconter sa mère ; se faisant, elle se livre
b) Un enseignement plus efficace que celui trans- elle-même, dans sa relation à cette femme et dans
mis par des discours rationnels l’accomplissement de son projet scriptural. Elle se met
Le lecteur peut se demander de quelle personnalité ainsi en scène dans la posture d’écrivain. Par exemple,
il se sent le plus proche, s’il aurait réagi de la même p. 351, alors que Lucile vivait encore, elle évoque la
façon que tel ou tel personnage : ainsi il apprend à parution de son roman Jours sans faim et la réaction de
mieux se connaître lui-même. Il voit quelles consé- sa mère à la lecture du manuscrit (p. 351) ; peu après la
quences ses réactions auraient pu entraîner car le mort de sa mère, elle reçoit un prix des Libraires puis
livre lui en fournit un exemple abouti. En cela, il est se lance dans l’écriture d’un autre roman (p. 13-15).
plus éclairant que la vie même : il présente en effet Hormis ces quelques allusions à son métier d’écri-
une histoire de cette famille qui s’étend sur de nom- vain, c’est surtout dans l’accomplissement de Rien ne
breuses années, depuis la rencontre de Georges et s’oppose à la nuit qu’elle se peint dans ce livre. En un
Liane jusqu’au présent de l’écriture, après la mort de discours volontiers métadiscursif, elle rend compte de
Georges, Liane et Lucile. Alors que ces derniers n’ont ses hésitations et justifie ses choix quant à la façon

de conduire sa narration : « Lorsque j’ai commencé Ainsi, Delphine de Vigan confère à l’écriture des pou-
l’écriture de ce livre, à l’endroit de ces sept années, voirs très forts, presque surnaturels.
je pensais laisser dans la continuité une dizaine de c. Pourtant, elle est forcée de reconnaître que ces
pages blanches, numérotées comme les autres mais objectifs sont difficiles, voire impossibles à atteindre,
dépourvues de texte. Il m’est apparu ensuite que l’arti- car « L’écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle
fice, certes, signalerait l’ellipse de manière ostensible, de poser les questions et d’interroger la mémoire. »
mais ne la rendrait pas pour autant plus acceptable, C’est un constat d’« échec » (p. 43).
et encore moins compréhensible. » (p. 171). Elle ne Delphine de Vigan engage une réflexion sur le rapport
cache pas les difficultés qu’elle éprouve à mener son qu’entretiennent autobiographie et biographie avec
projet, ne pouvant parfois pas « ajouter au texte une la vérité. Le passage par l’écriture et le style, la clarifi-
ligne ni même un mot » (extrait 1 p. 84, p. 39 en cation nécessaire à la constitution d’un récit ordonné
Livre de poche), acceptant de ne produire qu’un livre ne dénaturent-ils pas la réalité de ce qui a été vécu ?
« hésitant » et « inabouti » (p. 44). Elle décrit « l’état « Je n’avais que des morceaux épars et les ordonner
de tension particulier dans lequel [la] plonge cette constituait déjà une fiction. Quoi que j’écrive, je serais
écriture, combien elle [la] questionne, [la] perturbe, dans la fable. » déplore-t-elle (p. 42).
[l’]épuise, en un mot [lui] coûte, au sens physique du Par ailleurs, la pluralité des versions fournies par les
terme. » (p. 77), énumère ses somatisations diverses membres de sa famille sur un même événement
et « avoue ne pas être sûre de tenir la distance, témoigne de deux difficultés : la subjectivité de
d’arriver au bout […] Mais rien pourtant, ne peut [l’] chacun, qui lui a fait vivre le moment de façon unique,
arrêter. » (p. 188) et le passage du temps, qui peut créer un décalage
Ainsi, Delphine de Vigan adopte une position qui favo- entre les faits et le souvenir que l’on en garde des
rise sa complicité avec le lecteur, l’invitant au privilège années plus tard. Enfin, le recul critique acquis depuis
de voir ce qui d’ordinaire demeure dissimulé. l’événement risque également de déformer la vision
b. Les objectifs assignés à l’écriture sont également première de ce dernier. Par exemple, la mort d’Anto-
précisés : il s’agit de comprendre l’origine de la souf- nin n’est rapportée de la même manière par aucun
france qui a peu à peu submergé sa mère, « écrire ce membre de la famille (p. 105), de même que le jour
qui est arrivé à Lucile, minute par minute, saisir le du 31 janvier 1980, où Lucile a basculé dans la folie
moment exact où cela a dérapé, examiner le phéno- (p. 250).
mène au microscope, en saisir le mystère, la chimie. » Pour raconter la vie de Lucile, pourtant, Delphine de
(p. 250). En « reven[ant] à l’origine des choses », Vigan ne dispose que de ces témoignages incom-
Delphine de Vigan espère aussi mieux se comprendre plets, subjectifs et peut-être pas toujours fidèles à
elle-même, « savoir ce qui [la] traverse et parfois [l’] la vérité de Lucile car elle n’a « aucun souvenir que
envahit. » (p. 274) ; elle cherche à entendre ce qui lui a [sa] mère [lui] ait donné à entendre de [sa] bouche ».
jusque-là échappé, « ces ultrasons indéchiffrables pour Sans doute avait-elle saisi le lien entre narration et
des oreilles normales », comme si l’écriture pouvait la fiction, comme le suggère sa fille : « c’était sa manière
doter « d’une ouïe plus sensible, telle qu’en possèdent d’échapper à la mythologie, de refuser la part de
certains animaux » (p. 322). Cette phrase témoigne fabulation et de reconstruction narrative qu’abritent
du pouvoir que Delphine de Vigan assigne à l’écriture, toutes les familles » (p. 139).
auquel s’ajoute celui de lutter contre la disparition : ce À cette fabulation narrative, d’autres membres de la
livre constituerait « un cercueil de papier », doterait fratrie tiennent sans doute, et Delphine de Vigan a
Lucile d’« un destin de personnage » (p. 78) lui per- « la certitude qu’elle risque de les blesser, ce qui [la]
mettant d’accéder en quelque sorte à l’immortalité. perturbe plus qu’aucune autre » (p. 220 et 144).
Par ailleurs, Delphine de Vigan a l’espoir de mettre un Enfin, la pudeur peut aussi être un obstacle à la mise à
terme par cet écrit à la malédiction qui pèse sur elle et nu des souvenirs, de même que la tendance naturelle
les siens : « je veux cesser d’avoir peur qu’il nous arrive à livrer de soi et des siens une image qui ne soit pas
quelque chose comme si nous vivions sous l’emprise trop négative, pas trop dévalorisante. Ainsi, Manon,
d’une malédiction, pouvoir profiter de ma chance, la sœur de Delphine de Vigan, approuve son projet
de mon énergie, de ma joie sans penser que quelque mais exprime sa peur qu’elle ne donne de Lucile « une
chose de terrible va nous anéantir et que la douleur, image trop dure, trop négative ». L’autrice elle-même
toujours, nous attendra dans l’ombre. » (p. 274-275). avoue que cette question l’a freinée : « Ma mémoire

recèle d’autres scènes qui concernent Lucile, plus mère est demeurée un traumatisme. « J’écris à cause
violentes encore, que je n’écrirai sans doute jamais » du 31 janvier 1980 », écrit-elle (p. 257). « L’origine
(p. 307). de l’écriture se situe là, je le sais de manière confuse,
Toutes ces difficultés ont failli plus d’une fois remettre dans ces quelques heures qui ont fait basculer nos
en question ce projet : l’extrait 1 p. 84 montre clai- vies, dans les jours qui les ont précédées et le temps
rement les efforts entrepris par l’autrice pour lutter d’isolement qui a suivi ». Consciente des non-dits qui
contre son sentiment d’impuissance (p. 43), pour parcourent son histoire familiale, elle espère rétablir
affronter sa mauvaise conscience (extrait 2 p. 85 la vérité, révéler le décalage entre mythe et réalité.
avec l’anaphore « Ai-je le droit de ? », p. 165) pour Ainsi, elle s’oppose à la vision idyllique d’une famille
continuer malgré les somatisations mises en relief heureuse et épanouie pour dévoiler notamment que,
par l’accumulation « (lumbago, contractures mus- loin d’être des parents exemplaires, Liane et Georges
culaires, crampes, torticolis) » (p. 188), en dépit des ont contribué à la souffrance qui a miné la plupart de
inquiétudes de l’homme qui partage sa vie, de ses leurs enfants (extrait 2 p. 85). Si Delphine de Vigan
cauchemars, de ses réveils nocturnes (p. 279) et persévère à écrire, c’est pour entendre ce qui lui a
des angoisses qui la submergent la nuit : « la nuit, le jusque-là échappé, « ces ultrasons indéchiffrables
doute m’assaille, je me réveille en sursaut à quatre pour des oreilles normales », comme si l’écriture
heures du matin, je décide de renoncer, freine des pouvait la doter « d’une ouïe plus sensible, telle qu’en
deux pieds, ou bien au contraire je me demande si je possèdent certains animaux ». (p. 322) À la fin de son
ne dois pas accélérer le mouvement, boire beaucoup livre, Delphine de Vigan évoque une remarque de son
de vin et fumer des tonnes de cigarettes, si ce livre fils : « Personne ne peut empêcher un suicide » qui
ne doit pas s’écrire dans l’urgence, l’inconscience et entraîne cette question rhétorique : « Me fallait-il
le déni » (p. 321). écrire un livre, empreint d’amour et de culpabilité
Malgré toutes ces difficultés, Delphine de Vigan pour parvenir à la même conclusion ? » (p. 400)
est allée au bout de son projet, « car rien pourtant Ainsi, en dépit des obstacles qui s’opposaient à elle,
ne [pouvait l]’arrêter » (p. 188). Ainsi, elle a atteint Delphine de Vigan avait besoin d’écrire pour com-
quelques objectifs essentiels : ce livre lui a permis de se prendre, et mesurer sa propre responsabilité dans
rapprocher de la figure maternelle disparue, de la faire la mort de sa mère, amoindrir son sentiment de
revivre en quelque sorte, et de lui rendre hommage. culpabilité.
En outre, si elle n’est pas parvenue à établir une vérité b) Comprendre quel héritage elle a reçu et quel
unique, indéniable, de ce qui a conduit sa mère au héritage elle transmet à ses propres enfants
désespoir, à la folie puis au suicide, elle formule des Il s’agit pour elle de « revenir à l’origine des choses »
hypothèses éclairantes : dans l’extrait de la page 85, afin de « savoir ce qui [la] traverse et parfois [l’]
elle met en lumière le rôle joué par la cellule fami- envahit » (p. 274-275).
liale sur le déséquilibre des enfants – autoritarisme Lucile avait la même maladie que la sœur de sa grand-
du père, aveuglement de la mère, à quoi s’ajoutent mère, Barbara. « Ainsi, la maladie était passée de l’une
les relations ambiguës de Georges avec ses filles, et à l’autre, voilà tout. Comme s’il ne s’agissait que de
le facteur de l’hérédité. Surtout, elle a compris que ça, une folie héréditaire, transmise de génération en
« personne ne peut empêcher un suicide », et s’est génération par de complexes détours, une fatalité qui
soulagée du poids de sa propre culpabilité (p. 400). frappait les femmes de la famille et contre laquelle
on ne pouvait rien. […] C’était là dans le sang de nos
VERS LA DISSERTATION veines, il fallait faire avec, prendre patience » (p. 257).
Pourquoi Delphine de Vigan s’est-elle acharnée à Les termes et expressions « héréditaire », « de géné-
mener à terme son projet, en dépit des obstacles qui ration en génération », « fatalité », « sang », « veines »
s’opposaient à elle ? constituent un réseau lexical naturaliste qui peut faire
1. Volonté de comprendre, de s’inscrire songer à la tragédie antique si ce n’est que l’hérédité
dans une histoire familiale a remplacé la malédiction divine. Quoi qu’il en soit,
a) Comprendre les raisons du suicide de Lucile Lucile apparaît comme la victime d’un phénomène
Par son projet, Delphine de Vigan tente de comprendre qui la dépasse.
pourquoi Lucile, qui semblait tout avoir pour être Au fil de son enquête, Delphine de Vigan apprend que
heureuse, a sombré dans la folie. La première crise de sa l’inceste semble également traverser sa famille, ainsi

que le fait de le taire, d’être réduite à se murer dans La narratrice conclut : « La preuve qu’elle ne tournait
le silence de la honte lorsqu’on en a été victime. « J’ai pas rond, on ne tarderait pas à l’avoir » (p. 222).
appris que certaines sœurs de ma grand-mère avaient Cette phrase comporte une ironie amère, suggérant
selon toute vraisemblance été victimes d’abus sexuels le processus inverse, à savoir que c’est sans doute ce
de la part de leur père quand elles étaient jeunes filles. silence imposé qui a brisé Lucile : « Quelques mois
De cela, Barbara ne dit rien » (p. 259). « [L’inceste, après la rédaction de ce texte, et le silence qui entoura
les enfants morts, le suicide, la folie] traversent les sa diffusion, Lucile fut internée pour la première fois.
familles de part en part, comme d’impitoyables La coordination est à l’écriture ce que le montage
malédictions, laissent des empreintes qui résistent est à l’image. Telles que j’écris ces phrases, telles
au temps et au déni » (p. 260). que je les juxtapose, je donne à voir ma vérité. Elle
L’écriture apparaît donc comme un moyen de rompre n’appartient qu’à moi » (p. 233). Malgré toutes les
une sorte de malédiction familiale en faisant jaillir des précautions oratoires dont s’entoure cette accusation,
non-dits. Pour Lucile, disparue trop tôt, pour cette elle n’en demeure pas moins claire. Le commentaire
femme condamnée à se taire, Delphine de Vigan métadiscursif que l’autrice prend le soin d’ajouter fait
prend la plume. la lumière sur son intention : par la syntaxe, elle expose
2. Redonner vie à Lucile par le pouvoir le lien de cause à effet entre le silence méprisant qui
de l’écriture a étouffé les paroles de Lucile et son basculement
a) Ce livre rend à Lucile une parole dont elle a été dans la folie. Lucile, que l’on a privée des mots, ne
privée trouve plus ceux qui permettraient de sauver sa fille :
Lucile ne s’épanchait guère, ne se confiait pas sur son par exemple, lorsque l’autrice a été hospitalisée pour
passé, elle « ne racontait pas […] c’était sa manière anorexie grave, Lucile, « sans être capable d’exprimer
d’échapper à la mythologie, de refuser la part de quoi que ce fût, tout le temps que dura [s]a chute,
fabulation et de reconstruction narrative qu’abritent [… lui] a fait face, privée de parole, sans pour autant se
toutes les familles. » (p. 139). Ainsi, Lucile, qui avait détourner » (p. 305). Pourtant, Lucile a laissé quelques
sans doute compris que le langage transforme, éloigne écrits qui témoignent de son besoin de s’exprimer et
du réel, avait fini par le juger vain. En mettant au jour de sa maîtrise des mots. Mais la maladie, sans doute, a
le décalage entre mythe familial et réalité, Delphine étouffé ce don : l’autrice se demande (p. 352) : « Ai-je
de Vigan ose refuser la fabulation et rend tout son pris à ma charge, sans le savoir, le désir de Lucile ? Je ne
sens au langage. sais pas. » Puis elle imagine que, « si Lucile n’avait pas
Il faut dire que, lorsque Lucile a tenté d’utiliser des été malade, elle aurait écrit davantage, et peut-être
mots pour éclairer la vérité, elle a été assignée au publié ses textes ». Ainsi, par son œuvre, Delphine de
silence puis obligée de transformer son discours Vigan fait jaillir la parole dont on a amputé sa mère.
pour le rendre plus conforme à l’idéal affiché par la Au silence mortifère, à l’écriture de Lucile, restée
famille : lorsqu’elle a osé avouer par écrit que son lettre morte, vient se superposer l’écriture de sa fille,
père l’avait violée, il ne s’est rien passé. « Le texte puissance de vie.
est resté lettre morte et Lucile n’a reçu en retour b) Lutter contre la disparition de Lucile
qu’un silence pétrifié. » « Quelques mois plus tard, Femme de lettres, Delphine de Vigan croit en la puis-
Lucile s’est rétractée. Elle parlait alors d’une relation sance du verbe, à la force de l’écriture. Elle présente
incestuelle plutôt qu’incestueuse, réfutait le récit du son projet aux membres de sa famille en annonçant
passage à l’acte. […] Un viol fantasmé par Lucile, voilà sa volonté de comprendre et de rendre hommage
tout » (p. 222). Plus loin, la narratrice revient sur cette à Lucile. Par ses enquêtes menées auprès de tous
idée de mots empêchés : « Et si, incapable de dire ou ceux qui l’ont connue, elle a contribué à faire rejaillir
d’écrire, Lucile s’était heurtée à un tabou plus profond dans les pensées de tous la figure aimée. Les enre-
encore, celui de son état de conscience ? […] Ensuite la gistrements des souvenirs évoquant sa mère sont
honte aurait distillé son venin et interdit toute parole, aussi une façon de fixer l’image qu’elle a laissée en
sauf à être travestie. Ensuite, la honte aurait creusé chacun. Delphine de Vigan souhaite créer pour elle
le lit du désespoir et du dégoût » (p. 232). Les termes « un cercueil de papier », « un destin de personnage »
« désespoir » et « dégoût », chargés de connotations (p. 77-78). Quelle meilleure façon de lutter contre
négatives, apparaissent comme les conséquences de sa disparition, son oubli ? Ainsi, Lucile acquiert une
l’impossibilité à se décharger par la parole salvatrice. part d’éternité.

PISTE DE LECTURE 3 droit d’écrire que ma mère et ses frères et sœurs ont
Le poids de la famille tous été, à un moment ou un autre de leur vie (ou
toute leur vie), blessés, abîmés, en déséquilibre, qu’ils
▶▶ Objectifs ont tous connu, à un moment ou un autre de leur vie
■■ Saisir le décalage entre mythe familial et réalité. (ou toute leur vie), un grand mal de vivre, et qu’ils
■■ Mesurer le rôle de la famille dans la maladie de
ont porté leur enfance, leur histoire, leurs parents,
Lucile. leur famille, comme une empreinte au fer rouge ? »
■■ Comprendre les vertus de l’écriture pour se libérer
Cette forme de prétérition met en lumière le poids
de ce poids familial. de la famille, et son incidence dans la souffrance des
a. La famille constituée par Liane et Georges reflète enfants.
une image tout à fait positive. Ce que voient les amis, b. Le lien parent/enfant peut éclairer les problé-
ce sont les événements heureux, les exploits sportifs matiques de souffrance répercutées de génération
(« fête, grand écart et ski nautique », extrait 2 p. 85), en génération. Liane, par exemple, aime les bébés, et
qui témoignent d’une vitalité fédératrice et montrent se détourne des plus grands, « repouss[e] » Justine,
« une famille joyeuse, unie, où la priorité a été donnée à peine trois ans, lorsqu’elle accouche de Violette
à l’autonomie des enfants et à l’épanouissement de (p. 56) ; elle n’hésite pas à laisser toute sa progéni-
leur personnalité » (p. 155-156). L’émission de télévi- ture pour partir en week-end avec son époux, sans se
sion à laquelle avait participé la famille va dans ce sens soucier du stress qu’elle génère chez les plus grands,
puisque les témoignages corroborent cette image et chargés de s’occuper du bébé (p. 68). De façon plus
« les extraits des films super-huit de vacances en radicale, dans l’extrait 2 p. 85, Delphine de Vigan
Espagne, inclus dans le reportage, renforcent l’image affirme que Georges a été « un père nocif, destruc-
d’un bonheur parfait » (p. 156 et 162). teur et humiliant, qu’il a hissé ses enfants aux nues,
Cependant, Lucile confesse son tempérament les a encouragés, encensés, adulés et, dans le même
angoissé. Son petit frère trisomique n’est pas temps, les a anéantis. » Elle met en lumière « son
filmé... Ailleurs, Delphine de Vigan explique que « sa intolérance » (p. 147). Pour finir, elle ne cache pas
famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de « qu’il entretenait avec certaines filles des relations
plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le au minimum ambiguës ». Ce soupçon d’inceste n’est
retentissement du désastre » (p. 43). L’énumération pas officiellement démontré mais plusieurs éléments
antithétique oppose des termes aux connotations semblent le confirmer : le témoignage d’une amie de
positives à des manifestations du tragique, soulignant Lucile, Camille, illustre le pouvoir que s’est octroyé
le décalage entre ce qui est rendu visible et une réalité Georges sur sa personne, la manipulant, profitant
plus sombre, souterraine. Lisbeth, la sœur de Lucile, de sa faiblesse et de son jeune âge. Justine, sœur de
« a décidé de jeter tous les mauvais souvenirs », sou- Lucile, confie également avoir subi de la part de son
ligne l’autrice. Un peu plus loin, elle confirme que, père une forme d’oppression. Enfin, surtout, une lettre
pour se protéger sans doute, « Lisbeth et Barthélémy écrite de la main de Lucile accuse clairement son père
ont choisi de garder le meilleur, le plus fantasque, le de viol, mais alors la famille entière étouffe l’affaire,
plus lumineux. Ils ont jeté le reste. Ils ont peut-être si bien qu’elle finit par se rétracter (p. 221 à 233).
raison » (p. 143). Plus tard, à Manon, sa fille, Lucile affirme que son
Mais Delphine de Vigan décide de dévoiler la face accusation était fondée.
sombre cachée derrière ces apparences lumineuses. Lucile, devenue mère, entretient elle-même un rapport
En écoutant des cassettes enregistrées par son grand- particulier avec sa fille Delphine : « lorsqu’[elle a] eu dix
père, elle découvre que, pendant l’Occupation, il s’est ans, [elle ne l’a] plus jamais prise dans ses bras » (p. 173)
rapproché de la collaboration, surtout par « opportu- et, très vite, les rôles s’inversent, Lucile devient l’enfant
nisme » et « manque de discernement » (p. 100-101). de ses propres enfants. Par exemple, elle accuse sa fille
Cette position de son père a-t-elle pu faire souffrir d’avoir « volé la boîte dans laquelle elle rang[e] ses bar-
Lucile ? Qu’elle ait fait disparaître les cassettes concer- rettes de shit » (p. 200). Delphine de Vigan explique que
nant ce moment constitue sans doute un signe. « c’était [elle] qui réveill[ait] sa mère le matin, c’était
Avec davantage de force, Delphine de Vigan exprime [elle] qui s’inquiét[ait] de savoir si elle se rendait à son
son sentiment sur le rôle joué par Georges et Liane travail » (p. 195). Plus tard, lorsqu’à la puberté la nar-
dans le mal-être éprouvé par leurs enfants : « Ai-je le ratrice tombe dans l’anorexie, le psychiatre de Lucile

la fait venir avec elle dans son cabinet et lui demande leur père. Delphine de Vigan affirme alors que « [l’in-
de s’asseoir sur les genoux de sa mère. Ce contact ceste, les enfants morts, le suicide, la folie] traversent
provoque en la jeune fille un trop-plein d’émotion, les familles de part en part, comme d’impitoyables
qu’elle compare à « une vague, une déferlante, un raz- malédictions, laissent des empreintes qui résistent au
de-marée », énumération dont la gradation exprime temps et au déni » (p. 256-260).
bien la force croissante de submersion (p. 306). Le Delphine de Vigan a elle-même failli mourir d’ano-
médecin en tire la conclusion suivante : « Vous voyez, rexie car « l’état de dénutrition anesthésie la douleur,
madame Poirier, votre fille a encore besoin de vous. » les émotions, les sentiments, et fonctionne, dans un
La conclusion du psychiatre montre bien que Lucile premier temps, comme une protection » (p. 303-304).
n’offre pas spontanément à sa fille la protection dont Enfin, Georges, dans ses derniers jours, fut conduit
elle aurait pourtant besoin. en hôpital psychiatrique à la suite d’une crise de
c. Plusieurs événements tragiques ont pu marquer démence (p. 390). Ainsi, ce livre démontre l’impor-
Lucile pendant son enfance, et expliquent les angoisses tance de l’hérédité par laquelle se transmet une fêlure,
qu’elle a développées par la suite : d’abord, la mort fatalité contre laquelle on ne peut rien.
de son frère Antonin, tombé au fond d’un puits. « La e. Pour l’autrice, qui appartient à cette famille, l’écri-
possibilité de la mort (ou plutôt la conscience que la ture apparaît comme un moyen de se libérer d’un
mort pouvait surgir à n’importe quel moment) entra poids difficile à porter. Par la dimension analytique
dans la vie de Lucile […] à la veille de ses huit ans » de sa démarche, elle tente de comprendre, cherchant
(p. 29). Lorsque ses parents adoptent un garçon battu à rompre la fatalité qui pèse sur elle et les siens, sur
qui a l’âge d’Antonin, Lucile a l’impression que les toute sa descendance : « je veux cesser d’avoir peur
enfants sont interchangeables (p. 79). Enfin, autre qu’il nous arrive quelque chose comme si nous vivions
traumatisme lorsque Jean-Marc est retrouvé mort sous l’emprise d’une malédiction, pouvoir profiter de
dans sa chambre à l’âge de quinze ans (p. 135). ma chance, de mon énergie, de ma joie sans penser
d. Lucile n’est pas la seule à avoir souffert de troubles que quelque chose de terrible va nous anéantir et
psychologiques : son frère Milo s’est donné la mort à que la douleur, toujours, nous attendra dans l’ombre »
l’âge de vingt-huit ans, et Delphine de Vigan souligne (p. 274-275).
dans l’extrait 2 p. 85 que « [s]a mère et ses frères et Ce livre est une tentative de s’arracher à l’emprise de
sœurs ont tous été, à un moment ou un autre de la folie, au carcan familial, pour aller vers l’allègement
leur vie (ou toute leur vie), blessés, abîmés, en désé- et la lumière.
quilibre, qu’ils ont tous connu, à un moment ou un VERS LA DISSERTATION
autre de leur vie (ou toute leur vie), un grand mal de Selon vous, Rien ne s’oppose à la nuit relève-t-il de la
vivre, et qu’ils ont porté leur enfance, leur histoire, biographie ou de l’autobiographie ?
leurs parents, leur famille, comme une empreinte au → Voir VERS LE BAC DISSERTATION, p. 103
fer rouge. » Le pronom de la totalité « tous », l’épa-
northose entre parenthèses, répétée deux fois « (ou PAGE 90
toute leur vie) » témoigne de la généralisation de la
souffrance à tous les enfants, et à toute époque. La
métaphore de « l’empreinte au fer rouge » traduit PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS
l’impossibilité de s’affranchir du poids des origines.
Dans l’extrait 5 p. 87, le surnom hypocoristique « Ma ▶▶ Objectifs
puce » devient symbole du déterminisme familial, ■■ S’ouvrir à d’autres horizons tout en éclairant la thé-
montrant les efforts vains de la narratrice pour se matique étudiée au fil de la séquence 4.
différencier de sa mère, prendre de la distance vis- ■■ Analyser des images de nature différente : art pic-
à-vis d’elle. tural et photogramme de film.

La sœur de sa grand-mère, Barbara, dans une émis- ■■ Étudier et comparer le traitement du lien paren-
sion télévisée, se confie sur les troubles bipolaires qui tal dans des textes littéraires et en image (fixe ou
l’avaient obligée à se faire hospitaliser, évoque la mort mobile).
de deux de ses frères comme source possible de la ■■ Éveiller la curiosité des élèves pour d’autres œuvres,
fêlure, mais tait l’inceste dont elle, peut-être, et sans susciter des envies de lecture avec des extraits brefs et
doute ses sœurs, avaient été victimes de la part de percutants d’œuvres en lien avec la séquence.

La figure maternelle dans l’art brodé sur lequel elle repose son pied, le riche tapis, la
tenture en arrière-plan et l’ouverture sur un corridor
• Élisabeth Vigée Le Brun, Marie-Antoinette de
aux murs délicatement peints forment un décor qui
Lorraine-Habsbourg, reine de France, et ses enfants,
replace cette scène familiale attendrissante dans un
1787
contexte royal.
• Élisabeth Vigée Le Brun, Portrait de madame
Vigée Le Brun et sa fille, Julie, 1789 2. L’attitude de la fillette est comparable sur les deux
• Tamara de Lempicka, Mère et enfant, 1932 tableaux : elle se penche vers sa mère en un geste
• Albert Cohen, Le Livre de ma mère (extrait), 1954 affectueux, l’accroche de ses mains (1) ou de ses
▶▶ Objectifs bras (2). La réaction de la mère en revanche n’est
■■ Mesurer l’évolution de la représentation du lien pas tout à fait semblable : alors qu’Élisabeth Vigée
mère/enfant(s) dans l’art et dans la littérature entre Le Brun, sur son autoportrait, se penche également
le xviiie et le xxe siècle. vers son enfant et l’enveloppe de ses deux bras dans
■■ Comparer les moyens employés par les peintres
un geste protecteur, Marie-Antoinette reste figée,
et par l’écrivain pour rendre compte de la nature du droite et raide, ne rendant pas à la fillette le geste
lien tissé entre mère et enfant(s) et exprimer des tendre qu’elle lui manifeste. Celle-ci ne touche que
sentiments. le tissu des vêtements de la reine (1) alors que la fille
de la peintre (2) entre en contact privilégié avec sa
1. Alors qu’on l’accuse de dilapider l’argent du mère, en peau contre peau dans son cou et le long de
royaume et qu’on lui reproche sa froideur, la reine
son épaule, également dénudée, offerte à son enfant.
Marie-Antoinette a demandé à être représentée avec
L’absence de décor sur ce deuxième tableau focalise
ses enfants, contrairement à l’usage pour un portrait
l’attention sur le lien fusionnel entre la mère et son
officiel. Elle donne l’image d’une mère, occupée de
enfant, met au premier plan leur osmose affective.
ses enfants et légitime sa fonction puisqu’elle assure
la descendance royale. Elle tient sur ses genoux son 3. Le tableau de Tamara de Lempicka propose une
avant-dernier né, Louis-Charles, âgé de deux ans, scène attendrissante : la maman se penche vers son
le duc de Normandie en robe de cérémonie ; les bébé si bien que les deux têtes se touchent, la joue
témoignages contemporains évoquent la grande de la mère posée sur le front de son enfant tandis
vitalité de cet enfant, que la peintre a donné à voir, que ses mains l’entourent, le protégeant dans son
dans son attitude générale et par ses bras, gesticulant. sommeil. Cela dit, l’image qui exprime la fusion la plus
Cette santé rejaillit sur la mère en donnant d’elle une complète entre mère et enfant est sans doute celle
image positive puisque c’est elle qui l’a porté et mis d’Élisabeth Vigée Le Brun puisqu’elle témoigne de la
au monde. La petite Marie-Thérèse, neuf ans, pose réciprocité de l’amour, alors que le bébé de l’image 3
sa tête sur l’épaule de sa mère, donnant l’image dort, pendant que le regard de la mère, mystérieux,
d’une affection heureuse, d’autant qu’elle semble la semble ailleurs.
regarder avec adoration. Le dauphin, six ans, montre 4. À travers ce texte, l’auteur exprime la force de
le berceau vide couvert d’un crêpe noir, ce qui rappelle l’amour qu’il éprouve pour sa mère, et surtout le
au public la mort récente de Marie-Sophie-Béatrice, remords de ne pas le lui avoir suffisamment démontré
la dernière-née, dont la mort prématurée, survenue lorsqu’il en était encore temps. La culpabilité le
pendant la réalisation de ce tableau, aurait beaucoup submerge, notamment à cause de la scène qu’il
affecté la Reine. Toutes ces postures correspondent lui fit. La ligne 1 met en lumière son injustice par
à une mise en scène réfléchie, qui vise à restaurer le contraste entre sa méchanceté et le fait que sa
l’image de Marie-Antoinette : en effet, ainsi, elle mère « ne l[a] méritait pas ». Ici, la conjonction de
ne paraît plus si futile. Élisabeth Vigée Le Brun se coordination « et » a valeur d’opposition, signifiant
garde bien de représenter un collier sur celle que l’on « alors que », soulignant le décalage source de
accuse de dilapider l’argent du royaume. Pour autant, remords. L’interjection « Oh » répétée deux fois en
sa robe de velours rouge bordé de marte, au drapé anaphore (l. 15-16), procédé expressif du registre
savant, son chapeau de velours écarlate empanaché, lyrique, traduit son désespoir : en effet, il est trop tard
les habits riches des enfants, ornés de dentelles, puisqu’il « ne pourr[a] jamais n’avoir pas fait couler »
connotent l’appartenance royale. L’armoire servant (l. 15-16) les pleurs de celle qu’il aimait pourtant si
de serre-bijoux, ornée de fleurs de lys symboles de fort qu’il s’adresse à elle outre-tombe en l’appelant
la royauté, disparaît dans la pénombre. Le coussin « Chérie » (l. 18).
Malgré la dimension irrémédiable des faits, Albert tion, inhabituelle à l’époque, tourne à l’ostentation.
Cohen écrit ce texte dans le but de « [se] racheter » Par la suite, au xixe siècle, l’exemplarité de l’amour
(l. 18). Pour tenter de s’alléger de ce poids, il s’accable maternel et filial se décline inlassablement, en pein-
lui-même par divers procédés : la répétition en ture comme en littérature. Tamara de Lempicka ne
anaphore du substantif « cruauté » (l. 2), les adjectifs va pas jusque là, et l’affection, bien présente sur son
« absurde » et « affreuse » (l. 10), la forme emphatique tableau, est comme voilée par le regard vague de la
qui met en relief « cette scène », résonnant à travers mère, chargé de mystère. Le texte d’Albert Cohen
trois occurrences, l’expression imagée, hyperbolique inverse en quelque sorte l’image du lien mère/
« tatouée dans mon cœur » (l. 10), l’adjectif dépréciatif enfant, car cette fois c’est le fils qui représente sa
« stupides » (l. 12). Tous ces éléments font de lui le mère, en l’appelant d’ailleurs « ma petite enfant »
bourreau d’une pauvre femme innocente. (l. 15). La littérature use de procédés propres pour
L’image de la figure maternelle qui se dégage de ce exprimer l’amour (anaphores, registre lyrique,
texte est méliorative. Elle est celle qui veille sur son répétitions…) mais, comme la création picturale,
fils, s’inquiète de ne pas le voir rentrer, prend la peine l’écriture permet à l’artiste d’exprimer et de fixer le
d’appeler pour être rassurée (l. 4-7). Elle vaut plus que sentiment d’amour filial, de lutter contre la dispari-
ses « mondains inviteurs » (l. 7), formule dédaigneuse tion ou l’affaiblissement de ce lien.
qui confère en effet le dessus à sa mère aimante. Elle
est nimbée d’innocence, comme l’indiquent le terme PAGE 91
« sainte » (l. 11), la proposition subordonnée relative
« qui n’avait rien fait de mal » (l. 14-15), l’adjectif L’émancipation familiale et sociale
« humble », amplifié par sa reprise en polyptote dans au cinéma et dans la littérature
l’expression « bouleversante d’humilité » (l. 11-12),
• Stephen Daldry, Billy Elliot, 2000
qui introduit une gradation, ainsi que l’épanorthose
• Édouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule,
« consciente de sa faute, de ce qu’elle était persuadée
d’être une faute » (l. 12-13), qui souligne que sa culpa-
2014
bilité n’était pas fondée. L’auteur exprime sa fragilité ▶▶ Objectifs
par la répétition de l’adjectif petite : « petite enfant » ■■ Être capable de repérer et d’interpréter des indices
(l. 15), « petites mains » (l. 16-17), sa vulnérabilité permettant d’évaluer le poids d’un carcan familial
avec « ses pleurs », le verbe « sangloter » (l. 15), la et social dans une œuvre cinématographique ou
mention des « taches bleues » sur ses mains (l. 17). romanesque.
■■ Identifier et comparer les moyens dont disposent
Le déterminant possessif « ma », comme l’expression
« ma petite enfant », reposant sur une inversion des respectivement le réalisateur et le romancier pour
valeurs, témoignent de l’amour et du remords éprou- exprimer la difficulté à se libérer du carcan social et
vés par le narrateur pour celle qu’il n’a pas su protéger. familial.
ORAL 1. Le photogramme utilisé pour l’affiche du film joue
Ainsi, ces documents illustrent tous le lien entre sur les procédés du contraste et de l’intrusion : Billy
mère et enfant, dont la force transparaît, au fil des Elliot, seul garçon sur l’image, est aussi le seul à porter
siècles, à travers le degré de proximité et la gestuelle une tenue de boxeur parmi des danseuses en tutu.
des protagonistes. Au xviiie siècle, la pose est encore Sa place devant la barre témoigne du fait qu’il n’est
figée, d’autant que la mère est un personnage offi- pourtant pas là en tant que spectateur mais semble
ciel. Que Marie-Antoinette pose avec ses enfants participer au cours de danse. Son tee-shirt blanc l’in-
sur un portrait officiel n’est déjà pas habituel, d’au- tègre au groupe par harmonie chromatique, mais à
tant que plusieurs indices introduisent l’affectivité demi seulement car les chaussures et le short noirs
(tendresse de la fillette, absence douloureuse de la rappellent qu’il n’est pas à sa place.
dernière-née). La peintre de ce tableau a peut-être Les citations tirées du film laissent entendre qu’il
suggéré ces éléments… toujours est-il qu’elle les appartient à un milieu social défavorisé : le registre
utilise en les amplifiant sur son propre autoportrait, familier dans la bouche de son père (« foutu ballet »),
où elle efface tout hiératisme maternel, resserrant l’avenir envisagé par sa professeure de danse « jouer »
le lien qui l’unit à sa fille, allant jusqu’à la fusion. La ou « boire » en sont des indices. L’énervement sensible
pose recherchée cherche à attendrir, la démonstra- dans les propos du père témoigne de l’existence d’un

conflit familial. Le père s’oppose ainsi sans doute au PAGE 92
vœu de son fils d’abandonner la boxe pour rejoindre
le « cours des filles ». Son propos repose sur un cliché
qui sépare les genres et révèle la rigidité de ses posi- GROUPEMENT DE TEXTES COMPLÉMENTAIRES
tions. Selon lui, un garçon doit boxer, il n’envisage
pas les choses autrement. Le fait que la professeure
évoque la possibilité d’un autre avenir par la danse
laisse deviner qu’elle a déjà eu Billy en cours et a perçu
⁄
▶▶
Abbé Prévost,
Manon Lescaut, 1731
Objectifs
un don chez lui. ■■ Analyser comment ce dialogue opposant un père et
2. Eddy passe la soirée seul, isolé dans sa chambre son fils exprime la difficulté à concilier liberté indivi-
(l. 1) avec pour compagnie la télévision. La réaction duelle et exigence parentale.
de son père, qui a reçu la lettre depuis longtemps mais ■■ Repérer les moyens rhétoriques employés par le fils
a voulu le faire languir et ose sourire de sa blague, en faveur de son épanouissement personnel.
montre le décalage entre ces deux êtres, et le manque ■■ Comprendre pourquoi le dialogue achoppe et
de clairvoyance du père, qui n’imagine sans doute pas implique que l’affirmation de soi passe par la néga-
à quel point son fils rêve de quitter le monde dans tion du lien familial.
lequel il a grandi.
Eddy, quant à lui, n’attend même pas d’avoir pris
Pour tenter de faire fléchir son père, Des Grieux use
connaissance de toute la lettre, comme l’indiquent
de plusieurs procédés : il emploie des injonctions,
les points de suspension. La certitude d’avoir été
« ôtez-la moi » (l. 1), « ne vous endurcissez donc
accepté lui suffit pour ne plus appartenir, déjà, au
pas » (l. 7) où l’adverbe « donc » est utilisé dans sa
monde qui l’entoure. La locution adverbiale « Tout
valeur de renforcement, « songez » (l. 8), « souvenez-
à coup » et l’adverbe « désormais » marquent cette
vous » (l. 9), « n’augmentez pas » (l. 20). Il utilise aussi
rupture. Le contraste entre les paroles de sa mère, au
l’hyperbole dans une formule énonçant un paradoxe
discours direct « Qu’est-ce qui fait le débile là ? » et
pour amplifier la souffrance qu’il ressent : « la mort
le ton officiel de la lettre, dessine une frontière entre
sera une faveur pour moi. » (l. 2), il use d’ironie en
deux mondes. Le terme familier et péjoratif « débile », affirmant que cette mort est « un présent digne de
la forme interrogative expriment le manque de com- la main d’un père ». (l. 2). Il a ensuite recours à des
préhension, de complicité entre la mère et son fils. moyens plus spectaculaires comme une sorte de mise
Eddy choisit d’instaurer une distance physique entre en scène, puisqu’il « se jet[te] à ses genoux » (l. 6)
sa famille et lui : « je suis parti en courant » (l. 11). et « les embrass[e] » (l. 7), où le verbe jeter traduit
L’emploi des négations exprime aussi clairement qu’il l’intensité des émotions. Il tente donc de susciter
tire un trait sur ce qui appartient déjà à son passé : la pitié de son père, de l’émouvoir. Il joue sur ses
les formes négatives « je ne voulais pas » (l. 13), « je sentiments, tentant de le persuader avec la mention
n’appartenais plus à leur monde » (l. 14), ou le verbe de ses « pleurs » (l. 8), lui rappelle son lien filial (l. 8) ;
à valeur de négation « je refusais » (l. 13) sont des il essaie de faire rejaillir la figure de sa mère disparue
indices de la rupture entre Eddy et son milieu familial pour ramener le vieil homme à ses souvenirs d’homme
et social. amoureux. Pour donner davantage de vigueur à ce
ORAL souvenir, il utilise une ponctuation affective : une
Ces documents utilisent le procédé du contraste pour exclamative et trois interrogatives successives (l. 9 à
exprimer la nécessité d’un affranchissement social et 12) : il s’agit de questions rhétoriques, qui n’attendent
familial. Billy fait figure d’intrus au milieu des filles du pas de réponses mais servent à entraîner l’adhésion
cours de danse car il est pris en étau entre ses aspi- de l’interlocuteur, à le faire réagir. Dans ces phrases,
rations et les préjugés de son père qui l’empêchent il joue sur des antithèses pour opposer la douceur,
d’adhérer pleinement à sa passion, Eddy étouffe dans représentée par les termes « tendrement » (l. 9),
un milieu dont les valeurs (dont témoignent la blague repris en polyptote par le substantif « tendresse »
de son père ou les paroles de sa mère) ne sont pas (l. 12), « cœur » (l. 11), et au contraire la violence
les siennes. Les conditions de leur épanouissement avec les mots « barbare » (l. 11) et « douleur » (l. 12).
passent par une émancipation. Il enjoint son père à rejeter la barbarie pour adhérer à

la douceur. Pour mieux le persuader encore, il utilise préfère la mort à une vie sans celle qu’il aime. Les
des procédés expressifs du registre lyrique comme des dernières répliques de chacun sont construites sur
interjections : « Ah ! » (l. 7), « Hélas » (l. 9). Constatant un parallélisme : à la phrase du père « Adieu, fils
le peu d’effet de ses propos, il a recours à une forme ingrat et rebelle » (l. 28) répond en écho celle du fils :
de chantage, utilisant le registre tragique, caractérisé « adieu, père barbare et dénaturé » (l. 29-30) où l’on
par la perspective de la mort : il laisse entendre retrouve, sur le même rythme binaire, deux adjectifs
qu’il va se tuer avec les expressions « il ne l’est pas qualificatifs dépréciatifs, qui expriment les reproches
moins que je vive » (l. 22), le terme « mort » (l. 23) que chacun fait à l’autre : le père accuse le fils de ne
ainsi que le terme « Adieu » répété trois fois (l. 23. pas reconnaître ses bienfaits et de lui désobéir, alors
et 29). Il termine son discours par des apostrophes que le fils dénonce la froideur sauvage de son père.
péjoratives où les adjectifs coordonnés « barbare et Il est à penser que les élèves soutiendront le fils
dénaturé » (l. 29-30) expriment son mépris pour un contre le père. Il prend son destin en main, refuse
père inhumain, insensible à la douleur de son fils. d’agir à l’encontre de son sentiment. Sa posture est
2. Grammaire celle d’un héros. Il sera intéressant de leur montrer
« Parle » (l. 13) et « finissons » (l. 15) sont des impé- que le choix de la narration à la première personne
ratifs, qui servent à exprimer une injonction. Le du singulier entraîne une plus grande proximité avec
premier étant à la forme négative, le père ordonne le personnage, favorise l’identification, et oriente la
à son fils de se taire, de cesser un discours qui le prise de parti.
contrarie. Par l’emploi de ce temps verbal, le père VERS LE BAC. Commentaire
réaffirme son autorité à un fils qui semble vouloir Introduction
passer outre. Alors que le xviie siècle voit la naissance du roman
3. SYNTHÈSE psychologique, dont témoigne La Princesse de Clèves
Malgré le discours habile du fils, il est évident par exemple, le xviiie siècle met au premier plan la
que l’entente semble impossible entre les deux subjectivité des personnages, en développant les
personnages parce que chacun campe sur ses romans écrits à la première personne du singulier,
positions. Le père n’est pas touché par le discours et s’appuie sur de nouveaux personnages plus
de son fils ; malgré l’emploi de procédés expressifs riches, qui n’hésitent pas à s’ériger contre les valeurs
des registres lyrique, pathétique puis tragique, le admises : ainsi, l’abbé Prévost montre les hommes
fils ne parvient pas à susciter en lui les émotions tels qu’ils sont, avec leurs manques et leurs défauts,
escomptées. Le père fait preuve de rigidité, parle leurs emportements, leur aveuglement. Son œuvre
sur un « ton sec et dur » (l. 17), puis « avec une vive s’inspire de sa vie mouvementée : après plusieurs
colère » (l. 27). En dépit de ce ton, il évoque sa « bonté engagements en alternance dans l’armée et chez les
excessive » (l. 5), affirmant que les actions de son fils Jésuites, puis les Bénédictins, il s’exile à Amsterdam
mériteraient la mort ; il refuse l’évocation tendre de pour échapper aux autorités religieuses à sa recherche.
son épouse disparue, affirmant de façon hyperbolique C’est là qu’il écrit L’Histoire du chevalier Des Grieux
que le comportement de son fils l’aurait tuée si elle et de Manon Lescaut, dans laquelle Des Grieux se
était encore de ce monde. La métonymie « son cœur rebelle contre son père pour suivre les instincts de
était inflexible » (l. 18) exprime son insensibilité. Il sa sensibilité exacerbée. Ce personnage s’y confie
est le premier à mettre un terme à l’entretien, ne à un narrateur premier, racontant à la première
faisant aucun effort pour apaiser la situation, avec personne du singulier comment sa passion pour la
des injonctions en gradation « Va, cours à ta perte » jeune Manon Lescaut, rencontrée à l’âge de dix-sept
(l. 27). Avec le terme « Adieu » (l. 28), il signifie la ans, l’a conduit à l’immoralité et au crime. Dans le
fin de l’échange, concluant par des apostrophes passage que nous étudions, son père vient de le
injurieuses « fils ingrat et rebelle » (l. 28) où les deux libérer de prison, mais il lui annonce sa décision de
adjectifs rejettent la faute sur son fils. L’entente est faire déporter Manon Lescaut en Louisiane, ce que
impossible entre les deux personnages puisque le fils Des Grieux ne peut envisager. Nous analyserons
est du côté de la passion alors que le père épouse comment cette confrontation permet à l’auteur de
la raison, l’honneur, refusant tout sentimentalisme. donner de l’épaisseur à son personnage principal et
Chacun des deux se réfère à la mort : le père préfère de démontrer sa force de caractère. Dans un premier
la mort à une vie sans honneur, alors que le fils temps, nous étudierons les moyens rhétoriques

employés par Des Grieux pour tenter de faire fléchir Un fils de condition modeste (d’après la pauvreté du
son père, puis nous analyserons comment ce dialogue mobilier et des vêtements) apprend à ses parents
tourne à vide, soulignant l’impossible entente entre son intention de s’enrôler dans l’armée. Il est prêt
deux personnalités opposées. à suivre un soldat qui l’attend sur le pas de la porte,
Conclusion mais sa décision suscite de vives réactions. Les chaises
Ainsi, ce dialogue est efficace pour faire saisir aux renversées symbolisent l’agitation et la confrontation
lecteurs la force de la passion qui fait agir Des Grieux. à l’œuvre dans cette scène.
Son discours est habile mais il ne suffit pas à faire Pour exprimer une forte tension dramatique, le
fléchir son père, rangé du côté de la raison et de peintre donne à ses modèles, disposés en frise, des
l’honneur comme lui est prisonnier de l’amour. Ces postures de statues antiques et des expressions
caractères tranchés expliquent en partie le succès théâtrales dignes d’une tragédie. Il confère ainsi à son
que rencontra le roman auprès d’un public charmé œuvre une dimension de peinture historique. Cette
de rencontrer un héros capable de s’ériger contre les expression des sentiments par une gestuelle outrée
valeurs admises. Pourtant, le dénouement du roman est caractéristique du classicisme.
Le père, qui maudit son fils, accompagne la parole d’un
rend finalement raison au père de Des Grieux puisque
geste des bras dirigé vers lui, alors qu’il esquisse le
la passion conduit le jeune homme à sa perte. Au
mouvement de se lever. Sa fille essaie de l’empêcher
xviiie siècle, la littérature, même si elle laisse percevoir
de se ruer vers son frère. À genoux devant lui, elle
la possible libération du carcan d’un idéal étouffant,
tentait sans doute de calmer sa fureur. La position
demeure moralisatrice.
de ses jambes montre qu’elle se lève en même temps
ŒUVRE INTÉGRALE que lui, la position de ses bras saisissant ceux de son
père confirme son intention de faire obstacle. Son
Georges, le père de Lucile, fait également preuve petit frère la regarde, interdit à l’arrière-plan, son
d’autorité : c’est d’ailleurs pour cette raison que ses visage trahissant l’appréhension. La deuxième sœur,
filles ont décidé de fuguer. Mais lorsqu’il s’aperçoit plus proche de son frère et tournée vers lui, use d’un
de leur fuite, il devine où elles se sont réfugiées et les geste de prière, certainement pour le retenir, le faire
y rejoint avec un paquet de croissants. Il se montre encore changer d’avis, comme la mère, qui l’a pris
malin, fait preuve de douceur tout en étant ferme, ce par l’épaule et lui montre, de son bras libre, le père
qui se révèle très efficace puisque ses filles sont de amoindri, dans l’espoir de susciter sa pitié. Le petit
retour à la maison dans la matinée. Il se montre moins frère s’agrippe à ses vêtements également pour
rigide que le père de Des Grieux, n’est pas fermé à la empêcher son départ. Le visage des trois femmes
discussion, choisit de ne pas rompre le lien avec ses traduit la supplication, celui du père trahit sa colère
enfants rebelles, mais au contraire de le restaurer, de et celui du fils exprime un mélange de peur et de
l’asseoir sur des bases saines et chaleureuses. détermination. Les directions des corps représentent
des intentions. Le corps du père suit la même oblique
HISTOIRE DES ARTS
que celui du fils tandis que la sœur placée devant lui
Jean-Baptiste Greuze, Le Fils ingrat, 1777 esquisse un mouvement parallèle à celui de la mère.
▶▶ Objectifs Chacune des deux femmes tente de faire changer
■■ Analyser une toile qui fait écho au texte en relatant d’avis, donc de direction, l’homme qu’elle agrippe.
également une discorde entre un père et un fils avide Le corps du fils, penché vers la droite, ses jambes
de liberté. tournées vers la porte, indique qu’il est prêt à partir.
■■ Comparer les procédés employés respectivement
Son poing fermé témoigne de sa détermination, son
par l’écrivain et par le peintre pour exprimer l’émotion bras en l’air semble signifier un geste d’adieu.
Ainsi, le désordre occasionné par la position des corps,
que suscite la rupture du lien familial.
■■ Avec l’activité TICE, replacer la toile de Jean-Baptiste
la gestuelle théâtrale des personnages, l’expression
de leurs visages traduisent l’intensité des émotions
Greuze dans le diptyque qu’elle forme avec Le Fils
qui les animent.
puni pour en comprendre la dimension narrative et
la leçon. TICE
■■ Remarquer la dimension moralisatrice de la litté- Le tableau qui complète Le Fils ingrat s’intitule Le Fils
rature et de la peinture au xviiie siècle. puni. Le fils, parti s’enrôler dans l’armée malgré la

volonté de son père, revient à la maison, mais trop par la simplicité la plus totale, comme le montrent les
tard : il trouve son père mort. Le geste de sa mère, termes « rustre », « bonnet », « jupe de toile » (l. 13),
qui lui montre le désastre, est chargé de réprobation « plat de terre », « table de bois », « chaise de paille »
et montre qu’elle le rend responsable. Les frères et (l. 14), « bouillie de choux et de pommes de terre
sœurs qui entourent le corps en pleurant accentuent au lard », « paillasse » (l. 15). Pour bien souligner le
la charge émotionnelle de l’image. La chaufferette contraste entre ces deux modes de vie, l’auteur utilise
éteinte au premier plan symbolise la perte du soutien une autre antithèse entre « fille riche » et « paysan »
paternel, et le chien, image de la fidélité, quitte la puis « paysanne » (l. 10) et « femme de rustre » (l. 13).
pièce. Il emploie une anaphore dans une énumération en
Le diptyque formé par Le Fils ingrat et Le Fils puni rythme ternaire : « sans charmes, sans luxe, sans
constitue une narration dont il est aisé de tirer une délicatesse » (l. 11) où la répétition de la préposition
leçon. L’ensemble a valeur d’apologue, soulignant « sans » permet d’insister sur le dénuement de sa
la faute du fils, puni de son ingratitude. Le titre nouvelle vie.
de chaque partie souligne la dimension morale de Par ces procédés, l’auteur met en relief les sacrifices
l’ensemble. consentis par cette femme au nom de l’amour.
2. Grammaire
PAGE 93 « Avait abandonné », « avaient élevée », « avaient
aimée », « était venue », « avait été », « avait empli »
¤
▶▶
Guy de Maupassant,
Le Bonheur, 1884
Objectifs
sont tous conjugués au plus-que-parfait. Ils expriment
une action antérieure au moment raconté par le
narrateur, moment lui-même situé dans le passé par
■■ Analyser un extrait relevant du genre de la nouvelle. rapport au temps de la narration.
■■ Saisir la structure du texte et comprendre l’intérêt « Désire », « rêve », « attend », « espère » sont des
du récit enchâssé dans un récit encadrant. présents. Ils expriment des actions non délimitées
■■ Comprendre comment l’auteur engage les lecteurs dans le temps, comme le prouvent les connecteurs
à la réflexion, revoir la notion d’apologue. temporels « sans cesse » et « sans fin ». Ce présent
■■ Donner à lire une expérience d’affirmation de soi a valeur de vérité générale, le sujet étant le pronom
qui repose sur un choix radical. personnel indéfini « on », désignant tous les êtres
■■ Être capable d’exprimer son point de vue personnel humains en général.
sur ce choix et de nuancer son jugement. « Aurait pu » est un conditionnel passé première
forme : il a valeur d’irréel du passé. Si la jeune fille
PARCOURS 1. COMPÉTENCES DE LECTURE était restée dans sa famille (irréel, puisqu’elle l’a suivi),
1. Par amour, la jeune femme a renoncé à sa famille elle n’aurait pu être plus heureuse.
et au luxe dans lequel celle-ci vivait. Lignes 16 à 19, 3. SYNTHÈSE
le narrateur utilise une accumulation d’éléments Un apologue est un récit à visées narrative et
juxtaposés, tous intégrant un pluriel, ce qui amplifie argumentative. L’auteur y utilise le détour par la
encore le sacrifice auquel elle a consenti. L’anaphore fiction pour délivrer une leçon aux lecteurs. Cet
en « ni » met en relief l’accumulation. Tous ces extrait peut être considéré comme un apologue dans
éléments connotent le confort et le luxe avec deux la mesure où l’épisode raconté permet aux lecteurs
réseaux lexicaux respectivement constitués, pour d’engager une réflexion générale qui peut éclairer leur
le confort, des termes : « mollesse des sièges » cheminement personnel. Ainsi, cette nouvelle fait
(l. 17), « tiédeur parfumée des chambres » (l. 17), réfléchir chacun à sa propre conception du bonheur ; à
« douceur des duvets », « repos » (l. 18), le verbe la question si fréquemment posée de savoir si l’argent
« plonger » créant une image qui illustre de façon fait le bonheur, cette histoire apporte une réponse
hyperbolique la souplesse des matelas ; et pour le par l’exemple. D’après l’expérience de cette femme,
luxe : « parures » (l. 16), « étoffes », « élégances », l’argent ne fait absolument pas le bonheur, mais c’est
« tentures » (l. 17-18). l’amour qui rend heureux. Le narrateur le souligne
L’auteur emploie une antithèse entre ce paragraphe par les tournures exceptives – « Elle n’avait jamais eu
et le précédent, qui énumère les éléments constitutifs besoin que de lui ; pourvu qu’il fût là, elle ne désirait
de sa nouvelle vie, celle qu’elle a choisie, caractérisée rien. » (l. 19) – confirmées par la répétition du pronom

indéfini de la totalité dans les expressions « il avait PAGE 94
été tout pour elle, tout ce qu’on désire, tout ce qu’on
rêve, tout ce qu’on attend sans cesse, tout ce qu’on
espère sans fin » (l. 21-23). Là encore, l’auteur exploite ‹ Romain Gary,
La Promesse de l’aube, 1960
Objectifs
le procédé d’insistance qu’est l’anaphore (« tout ce ▶▶
qu’on »). La conclusion de ces réflexions est un constat ■■ Lire une expérience qui témoigne de l’influence
affirmé avec certitude : « elle n’aurait pas pu être plus puissante de la volonté maternelle sur le destin de
heureuse » (l. 24). son enfant.
■■ Identifier les procédés employés par l’auteur pour
Pourtant, l’auteur ne termine pas sa nouvelle sur
cette leçon, il introduit un contradicteur qui critique souligner la force du déterminisme maternel.
le choix de vie opéré par cette femme : « elle avait 1. ENTRER DANS LE TEXTE
un idéal trop facile, des besoins trop primitifs et des Pour qualifier la mère du narrateur, on pourrait em-
exigences trop simples » (l. 30-31). L’anaphore de ployer les adjectifs suivants : ambitieuse, vindicative,
l’adverbe « trop » accentue la conscience d’un excès, courageuse, fière, forte, audacieuse, confiante…
tandis que la tournure exceptive « Ce ne pouvait être 2. Grammaire
qu’une sotte » constitue un jugement sans appel. Au La mère du narrateur utilise le futur – « sera » (l. 9),
lecteur d’être un peu plus fin, et de prendre du recul « s’habillera » (l. 13) – pour exprimer sa certitude. Cela
pour réfléchir sans juger de façon si catégorique. révèle la confiance qu’elle a en son fils, en l’avenir.
Elle est sûre d’elle. Les italiques employées dans
ŒUVRE INTÉGRALE
la dernière ligne « Elle savait » confirment cet état
Dans l’extrait 4 p. 86, Lucile et Lisbeth fuient aussi d’esprit.
leur famille sans prévenir personne, en cachette. 3. Les deux périodes temporelles en présence sont le
Elles se rendent dans la maison secondaire. Là, passé, à savoir le moment narré, où la mère interpelle
dès la première nuit, elles se rendent compte qu’il les voisins (« ma mère allait de porte en porte », l. 3),
n’est pas si aisé d’abandonner le confort du foyer correspondant à l’enfance du narrateur, et le présent
familial. « Lucile n’avait jamais remarqué à quel de la narration, où le narrateur, devenu adulte,
point la maison était sombre et abîmée. À quel revient sur cette période de son passé (« ce que je
point l’atmosphère y était humide, glaciale. Le soir suis aujourd’hui », l. 17 ; « je crois », l. 22 ; « je lui dois »,
venu, elle entendit toutes sortes de bruits suspects l. 24). Le rapprochement de ces périodes prouve que la
venus du grenier. Terrorisée, elle demanda à Lisbeth mère avait raison, puisque le narrateur confirme que
de dormir avec elle » (l. 5-7). Lorsque leur père les tout ce qu’elle avait annoncé aux voisins a été réalisé,
retrouve le lendemain, elles ne se font pas prier pour est vérifiable dans le présent de la narration, comme
rentrer avec lui. Mais il faut dire que l’amour n’était le montrent ces remarques du narrateur : « je suis
pas le moteur de leur fugue… aujourd’hui Consul Général de France, compagnon de
la Libération, officier de la Légion d’honneur » (l. 18)
PARCOURS 2. COMPÉTENCES D’ÉCRITURE et « je m’habille à Londres » (l. 20).
Grammaire 4. SYNTHÈSE
Les pronoms personnels habituellement utilisés L’influence de la mère sur son fils semble avoir été
dans le discours sont ceux des première et deuxième positive car « [il] lui doi[t] ce qu’[il est] » (l. 24), or il s’est
personnes du singulier (« je », « tu ») et du pluriel couvert de gloire et d’honneur (question précédente).
(« nous », « vous »). (La troisième personne est Cela dit, il semblerait qu’il ait réalisé les fantasmes
utilisée dans le récit). Les temps verbaux de référence de sa mère plus que les siens propres. Il s’habille à
sont le présent, le passé composé, le futur. On peut Londres, mais il avoue par exemple avoir « horreur de
être amené à utiliser du futur antérieur (pour une la coupe anglaise » (l. 20). Sa réflexion « Je n’ai pas le
action antérieure à celle exprimée au futur simple), de choix » montre à quel point il s’est fait un devoir de se
l’imparfait (pour une action passée non délimitée dans fabriquer le destin que sa mère avait imaginé pour lui,
le temps), du plus-que-parfait (pour une antériorité même si ce n’est pas celui dont lui-même aurait rêvé.
dans le passé), du conditionnel pour un irréel et L’expression antithétique « pour le meilleur et pour
les temps du subjonctif (pour souligner l’aspect le pire » (l. 22-23) souligne bien l’ambivalence d’une
hypothétique ou inaccompli de certains faits). situation qui n’est pas uniquement positive.

VERS LE BAC. Commentaire De fait, cet épisode constitue un moment fonda-
1. L’attitude de la mère dans l’enfance teur : « Je crois qu’aucun événement n’a joué un
du personnage a déterminé son avenir. rôle plus important dans ma vie » confie-t-il (l. 22)
a) Une attitude exceptionnelle et « Je lui dois ce que je suis » (l. 24), « ce rire est
La mère du narrateur est une femme particulière- devenu moi » (l. 25). Ces formules sont hyperbo-
ment forte, décidée à ne pas se laisser malmener liques mais elles sont justifiées par les constats
sans réagir. Les verbes d’action qui se succèdent au concernant le présent : « je suis aujourd’hui Consul
participe présent témoignent de son dynamisme et Général de France, compagnon de la Libération, offi-
montrent qu’il lui tient à cœur d’agir : « frappant », cier de la Légion d’honneur » (l. 18) et « Je m’habille
« sonnant », « frappant », « invitant » (l. 3-4). Elle parle à Londres » (l. 20). Ainsi, en provoquant cette scène,
d’une voix haute (l. 6), ne se laissant pas intimider par la mère du narrateur a déterminé son destin.
les « visages moqueurs, haineux, méprisants » (l. 16). c) Un avenir imposé ou choisi par le fils ?
Elle répond courageusement aux insultes qu’on lui a Le narrateur s’est couvert de gloire et d’honneurs,
proférées. Le narrateur affirme que, dans ce domaine, est devenu quelqu’un de respectable, qui n’a plus à
elle « avait toujours incontestablement le dessus » rougir de ce qu’il est, et qui, devant l’assemblée des
(l. 5). En effet, le discours direct nous en soumet un voisins, étoufferait les rires moqueurs et forcerait le
échantillon évocateur : « Sales petites punaises bour- respect. Homme d’État, héros de guerre, écrivain, il
geoises ! » (l. 8). Son fils devient une sorte de faire- doit donc à sa mère un destin hors normes. Cela dit,
valoir, elle place en lui tous ses espoirs de revanche. il semblerait qu’il ait réalisé les fantasmes de celle-ci
Il faut dire qu’elle est sûre d’elle, annonçant, sans plus que les siens propres. Il est suffisamment riche
modalisation aucune, au futur à valeur de certitude : pour s’habiller à Londres, « démonstration suprême
« Mon fils sera ambassadeur de France, chevalier et définitive de réussite terrestre » (l. 11-12) selon
de la Légion d’honneur, grand auteur dramatique. » les critères maternels, mais il avoue avoir « horreur
(l. 9-10), puis « Il s’habillera à Londres » (l. 13). Les de la coupe anglaise » (l. 20). Sa réflexion « Je n’ai
italiques sur l’expression finale « Elle savait » (l. 28) lui pas le choix » montre combien il se faisait un devoir
confèrent une dimension quasi surnaturelle. Le recul de réussir pour sa mère, s’interdisant d’échouer.
critique acquis par le narrateur depuis ces années lui L’expression antithétique « pour le meilleur et pour
permet d’écrire ainsi parce qu’il sait, au moment de la le pire » (l. 22-23) souligne bien l’ambivalence d’une
narration, quel réel impact a eu sur lui cette attitude situation qui n’est pas uniquement positive, mais lui
de sa mère. pèse également. Ainsi, on peut douter que l’influence
de la mère ait été uniquement favorable.
b) L’influence exercée par la mère sur son fils
Cette scène a profondément marqué le fils : il la ŒUVRE INTÉGRALE
décrit avec un superlatif absolu comme « l’un des
moments les plus pénibles de [son] existence » (l. 1). Delphine de Vigan et Romain Gary font de leur mère
Pour montrer l’impact qu’elle a eu sur lui, il utilise à la figure centrale de leur roman car elle a déterminé
trois reprises l’adverbe « encore », évoquant la voix de ce qu’ils sont devenus adultes. Leurs névroses, leurs
sa mère, qui « retentit encore en ce moment à [ses] souffrances, trouvent une explication dans leur
oreilles. » (l. 6), puis les rires moqueurs des voisins enfance, dans le lien maternel qui les façonnés, en plus
qu’il « enten[d] encore » (l. 14), enfin il affirme qu’il du déterminisme lié à l’hérédité. Delphine de Vigan
« rougi[t] encore » (l. 14-15). S’il n’y avait en sa mère va même plus loin que Romain Gary en remontant
« nulle trace de gêne ou d’humiliation » (l. 27-28), en jusque dans l’enfance de sa mère, période où elle
revanche, pour son fils, la honte a été telle que l’onde n’était pas encore née.
de choc de cet événement s’étend jusqu’au présent,
HISTOIRE DES ARTS
lui donnant l’impression de revivre la scène malgré
les années passées. C’est pour effacer « ces visages William Klein, Roma + Klein, 1959
moqueurs, haineux, méprisants » (l. 15-16), dont ▶▶ Objectifs
l’énumération en rythme ternaire rend bien l’aspect ■■ Analyser une image photographique.
terrible pour le regard de l’enfant, qu’il s’est efforcé ■■ Repérer les phénomènes d’écho entre l’image et le
de donner raison à sa mère, contre tous. texte, créés à la même époque.

■■ Remarquer l’ambiguïté de ce cliché, entre réalisme à un temps du passé s’explique par le fait que ces
et théâtralité. actions sont situées dans le passé par rapport au
La photographie peut être rapprochée du texte de présent de l’écriture et de la narration. « Illuminait »
Romain Gary car ses deux sujets ressemblent aux a une valeur descriptive, les autres correspondent aux
personnages du roman : la mère se tient dans une sensations et sentiments éprouvés par la narratrice
posture théâtrale, un pied en avant comme dans la dans ce moment. Ces verbes désignent des actions
quatrième position de danse classique, un bras tendu non bornées, non délimitées dans le temps.
vers le ciel, ce qui a tendance à la grandir encore. « Avais épuré », « avaient été » sont conjugués au
Elle lève la tête, et semble regarder de haut. De sa plus-que-parfait pour exprimer des actions anté-
main droite, elle est en contact avec la tête du petit rieures à celles déjà situées dans le passé à l’imparfait.
garçon qui se trouve à côté d’elle et lève les yeux 3. La narratrice emploie une antithèse qui permet
vers elle, comme admiratif. L’originalité de ce cliché de souligner l’écart qui sépare ses parents modestes
tient à l’ambiguïté qu’il dégage : contrairement au de sa belle-famille, appartenant à l’univers de la
petit garçon, la mère semble poser. Sa robe, son « bourgeoisie à diplômes » (l. 4). Dans ce monde
collier, son attitude semblent indiquer qu’elle est dominent l’ironie (l. 4), preuve d’une maîtrise habile
en représentation. Le fond de verdure crée comme du second degré, et l’art de mener une « conversa-
un décor, un rideau théâtral. Comme elle, la mère tion spirituelle » (l. 6), s’appuyant sur des références
de Romain Gary se tient la tête haute et se met culturelles, comme le prouve l’exemple au discours
en quelque sorte en scène devant l’assemblée des direct « « n’y touchez pas, il est brisé ! » (Vers de
voisins, en témoigne cette phrase notamment : « me Sully Prud’homme) » (l. 7-8, ce dernier étant un
désignant à l’assistance, elle annonça, hautement et poète, premier lauréat du prix Nobel de littérature
fièrement » (l. 6), ou « Ma mère se tenait debout […] la en 1901). Loin de ces références, les parents de la
tête haute, me serrant contre elle » (l. 26-27). Comme narratrice vivent dans un monde simple, où le dis-
lui, le petit garçon du roman de Romain Gary observe cours direct vise seulement la transparence pour
sa mère avec attention, vit une scène qui le dépasse faciliter la communication : il s’agit d’être pratique,
mais qui restera gravée dans son esprit.
concret : « « elle est trop lourde pour toi, tu n’as pas
Dans la deuxième partie du xixe siècle, la littérature
l’habitude. » » (l. 10-11) Ses parents ne s’embar-
fait souvent rejaillir la figure tutélaire de la mère. Or,
rassent pas de manières, ils sont « naturels » (l. 19),
cette photographie de la même époque que le texte
comme le montrent les compléments circonstanciels
de Romain Gary va également dans ce sens.
de manière « de force » (l. 10) et « avec brusquerie »
(l. 12). Ils parlent « fort », et leur prononciation n’est
PAGE 95 pas celle des bourgeois distingués : ils disent « « a »
pour « elle » » (l. 17). Ils sont définis par ce qui leur
›
▶▶
Annie Ernaux,
La Place, 1983
Objectifs
fait défaut, comme le montre l’usage de la préposition
« sans » (l. 18) : « sans cette « sobriété » de maintien,
ce langage correct ». Le démonstratif « ce » renvoie
■■ Analyser une douloureuse expérience d’affranchis- implicitement aux manières de la belle-famille de la
sement lié à un sentiment de déchirure. narratrice, qui est devenue un critère de comparai-
■■ Repérer et expliquer le choix d’une écriture épurée,
son pour elle. Aux yeux de cette famille, ils sont « de
neutre, pour exprimer ce malaise. braves gens » (l. 5), termes dont les italiques font une
■■ Comprendre les objectifs subordonnés à l’écriture
citation. Si l’adjectif « braves » est en soi mélioratif,
de soi. cette désignation est en réalité dévalorisante car elle
1. ENTRER DANS LE TEXTE souligne le manque de toute autre qualité : on les dit
Les parents de la narratrice sont simples, naturels, « braves » à défaut de pouvoir vanter leur esprit. Or,
modestes, un peu brusques dans leurs manières, il s’agit d’un « manque essentiel » (l. 6) aux yeux des
gentils. personnes de ce monde.
2. Grammaire Annie Ernaux qui, par ses études et son mariage, a
« illuminait », « entendais », « retrouvais », « parais- intégré cette « bourgeoisie à diplômes » (l. 4), s’est
saient », « me sentais » sont à l’imparfait. Le recours éloignée de ses parents, ce qui implique des conver-
sations biaisées, fondées sur le non-dit, comme « Par la suite, j’ai commencé un roman dont il était le
l’indiquent les expressions « n’osant pas dire » (l. 1), personnage principal. Sensation de dégoût au milieu
« taisant les vraies raisons » (l. 2), « raisons indicibles » du récit. » (p. 23)
(l. 3). Ainsi, un espace s’est dessiné entre eux. • « Pour rendre compte d’une vie soumise à la néces-
Les connecteurs de lieu et de temps « Au loin » (l. 15), sité, je n’ai pas le droit de prendre le parti de l’art ni
« à nouveau » (l. 16), « maintenant » (l. 18) permettent de chercher à faire quelque chose de « passionnant »
de souligner les difficultés d’adaptation dont souffre la ou d’« émouvant. » » (p. 24)
narratrice : loin de ses parents, Annie Ernaux a oublié – À propos de son grand-père paternel : « Chaque
leurs manières, qui lui sautent aux yeux dès qu’elle fois qu’on m’a parlé de lui, cela commençait par « il
les retrouve. Elle qui a grandi auprès d’eux trouve à ne savait ni lire ni écrire », comme si sa vie et son
présent « naturels » (l. 19) les codes de son univers caractère ne se comprenaient pas sans cette donnée
d’adoption. D’où ce constat formulé d’une façon très initiale. » (p. 26)
simple et touchante : « je me sentais séparée de moi- – À propos de son père : « il a toujours appelé culture
même. » (l. 19), où le participe passé « séparé de » le travail de la terre, l’autre sens de culture, le spirituel,
est a priori incompatible avec le complément « moi- lui était inutile. » (p. 34)
même. » Ce paradoxe exprime bien le malaise de la – « Puisque la maîtresse me reprenait, plus tard j’ai
narratrice entre deux univers incompatibles. Par un voulu reprendre mon père, lui annoncer que « se par-
style neutre, en refusant le pathos, l’autrice parvient à terrer » ou « quart moins d’onze heures » n’existaient
exprimer une détresse qui paraît d’autant plus sincère. pas. » (p. 64)
En effet, le refus d’un style qui rappellerait la littéra- « Comment voulez-vous que je ne me fasse pas
reprendre, si vous parlez mal tout le temps ! »… « Il
ture (et les connotations d’invention qui lui sont liées)
était malheureux. » (p. 64)
crée un effet de réel supplémentaire.
« Tout ce qui touche au langage est dans [le] souve-
4. SYNTHÈSE nir [d’Annie Ernaux] motif de rancœur et de chicanes
Annie Ernaux, comme la femme de la nouvelle de douloureuses, bien plus que l’argent. » (p. 64)
Maupassant, a quitté sa famille pour suivre un – Son père lui conseillait : « Écoute bien à ton école. »
homme, par amour. Mais cette dernière a délaissé (p. 74)
un univers de luxe et de bonnes manières pour une vie – « […] en donnant un caractère de fête à ce qui, dans
simple et rustre de paysanne, alors qu’Annie Ernaux ces milieux [bourgeois], n’était qu’une visite banale,
a fait le chemin inverse. Si la première a toujours été mon père voulait honorer mes amies, et passer pour
pleinement heureuse, c’est parce qu’elle a totalement quelqu’un qui a du savoir-vivre. »
rompu avec ses origines, tandis qu’Annie Ernaux tente – Lorsqu’elle a amené chez elle son petit ami, un étu-
de concilier deux univers incompatibles. Passant de diant de Sciences Po, son père lui a montré tout ce
l’un à l’autre, elle ne peut que se sentir elle-même qu’il a fait de lui-même : « offrande de ce qu’il savait
déchirée. faire, avec l’espoir que sa valeur serait reconnue de
VERS LE BAC. Dissertation ce garçon qui aimait sa fille. » (p. 94)
Selon vous, l’écriture permet-elle à Annie Ernaux de – « Il a voulu que ses économies aident le jeune
réduire la distance entre ses parents et elle, ainsi que ménage, désirant compenser par une générosité
la déchirure qu’elle ressent au fond d’elle ? infinie l’écart de culture et de pouvoir qui le séparait
Avant de laisser travailler les élèves sur ce sujet, de son gendre. Nous, on n’a plus besoin de grand-
on pourra mettre à leur disposition une réserve de chose. » (p. 95)
citations sur lesquelles ils pourront s’appuyer pour Introduction
organiser leur réflexion, en plus de l’extrait proposé Professeure de lettres, Annie Ernaux est l’autrice de
par le manuel. nombreux romans à dimension autobiographique.
Elles sont tirées du livre La Place. Les références des Dans La Place (1983), récompensé par le prix
pages correspondent à l’édition Folio. Renaudot, elle retrace la vie de son père décédé, puis
• « Je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et dans Une femme (1988), fait resurgir la figure de sa
cette distance venue à l’adolescence entre lui et moi. mère. De façon générale, elle utilise l’écriture pour
Une distance de classe, mais particulière, qui n’a pas explorer les grands événements de sa vie, sans doute
de nom. Comme de l’amour séparé. » (p. 23) réparer ses traumatismes. Dans La Place, elle évoque

comment ses études de lettres puis son mariage avec b) Le langage, facteur de distanciation
un étudiant en sciences politiques l’ont éloignée de La narratrice raconte dans son livre comment l’école
ses parents, créant un fossé entre eux. À la mort de a peu à peu creusé un fossé entre elle et son père,
son père, elle a ressenti le besoin d’écrire « sa vie, et issu du milieu paysan. Le père de son père travaillait
cette distance venue à l’adolescence entre lui et [elle]. dans une ferme, était rude, et détestait ceux qui
Une distance de classe, mais particulière, qui n’a pas lisaient des livres. La narratrice souligne que « chaque
de nom. Comme de l’amour séparé » (p. 23). Mais fois qu’on [lui] a parlé de lui, cela commençait par
réduire par l’écriture cette distance survenue à cause « il ne savait ni lire ni écrire », comme si sa vie et
de la culture et de la langue n’est-il pas paradoxal ? On son caractère ne se comprenaient pas sans cette
peut se demander en effet comment ce livre, preuve donnée initiale » (p. 26). À propos de son père, elle
même d’une maîtrise de la langue, peut réparer les précise qu’il a toujours appelé culture « le travail de
effets de celle-ci. Nous analyserons dans un premier la terre, l’autre sens de culture, le spirituel, lui était
temps les obstacles qui rendent l’objectif visé par inutile » (p. 34). Or, alors que ses parents n’allaient
Annie Ernaux particulièrement difficile à atteindre, pas régulièrement à l’école parce que les travaux de
puis nous mesurerons les bénéfices apportés par la ferme étaient la priorité, Annie Ernaux, elle, a été
l’écriture. scolarisée, et a poursuivi des études : La Place s’ouvre
1. Un rapprochement difficile à atteindre sur l’obtention de son CAPES de lettres, concours qui
par l’écriture lui a permis d’enseigner le français. Ainsi, l’autrice
a) Faire revivre une réalité disparue par l’écriture s’est affranchie de son milieu familial et social,
Le récit rétrospectif élaboré par Annie Ernaux pour encouragée d’ailleurs par son père : « Écoute bien
se rapprocher de ses parents doit être fidèle à la à ton école » (p. 74), expression dans laquelle le
réalité, car toute fiction, en trahissant la mémoire déterminant possessif exprime le fait qu’il s’agissait
de ce qu’ils étaient, les éloignerait encore davantage. d’un monde qui lui était étranger. En effet, à l’école,
L’autrice confesse avoir tenté d’écrire un roman dont la narratrice prend vite conscience des particularités
son père était le personnage principal, mais en avoir du langage de ses parents : « Puisque la maîtresse me
éprouvé « une sensation de dégoût au milieu du récit » reprenait, plus tard j’ai voulu reprendre mon père,
(p. 23). Or, même avec la volonté farouche de coller lui annoncer que « se parterrer » ou « quart moins
à la réalité, un écrivain ne risque-t-il pas de la déna- d’onze heures » n’existaient pas » (p. 64).
turer ? La mise en mots du réel n’est-elle pas déjà Ce décalage entre la langue de l’école et celle de la
en soi une trahison ? Comment faire coïncider mots cellule familiale a été motif de souffrance pour la nar-
et sensations, lexique et réalité mouvante de la vie ? ratrice mais aussi pour son père : « Comment vou-
En outre, la phase d’écriture nécessite d’organiser, lez-vous que je ne me fasse pas reprendre, si vous
d’ordonner les faits bruts, de les appréhender avec parlez mal tout le temps ! »… « Il était malheureux. »
recul critique. Cette analyse nécessaire, cette recons- De façon générale, « Tout ce qui touche au langage est
truction, ne dénaturent-elles pas le matériau dans dans [le] souvenir [d’Annie Ernaux] motif de rancœur
lequel puise l’écrivain ? C’est la question que posent et de chicanes douloureuses, bien plus que l’argent »
de façon générale les récits de vie, autobiographie (p. 64). Le passage étudié à la page 95 témoigne
et biographie, dont l’un des principes est l’authenti- de cette distance ressentie par la narratrice à l’âge
cité. Annie Ernaux a conscience de la difficulté de sa adulte : passée dans le monde de la « bourgeoisie à
démarche. Pour réduire la distance entre ses parents diplômes » où l’on manie l’ironie et où l’on émaille ses
et elle, elle a compris qu’il lui fallait utiliser une « écri- phrases de références culturelles « si l’on cassait un
ture plate », et s’en explique : « Pour rendre compte verre, quelqu’un s’écriait aussitôt, « n’y touchez pas,
d’une vie soumise à la nécessité, je n’ai pas le droit de il est brisé ! » (Vers de Sully Prud’homme.) » (l. 7-8),
prendre le parti de l’art ni de chercher à faire quelque elle prend conscience du décalage existant entre elle
chose de « passionnant » ou d’« émouvant » » (p. 24). et ses parents, dont devient symbole « leur façon de
Ainsi, tout en ayant conscience de la difficulté de dire « a » pour « elle » » (l. 16-17).
son projet, Annie Ernaux tentera d’être fidèle à ses Pourtant, malgré la difficulté à coller à la réalité par les
parents par une maîtrise calculée de l’écriture. Or, mots et bien que la maîtrise de la langue ait constitué
cet emploi savant du langage est justement ce qui le facteur principal de distanciation entre ses parents
l’a séparée d’eux. et elle, Annie Ernaux tente d’opérer un rapprochement

par l’écriture. Nous allons mesurer les bénéfices qu’en aident le jeune ménage, désirant compenser par une
tire son autrice. générosité infinie l’écart de culture et de pouvoir qui
2. Les bénéfices de l’écriture le séparait de son gendre. Nous, on n’a plus besoin de
a) Faire son deuil, faire revivre ses parents disparus grand-chose » (p. 95). Par l’écriture, l’autrice donne
Par l’écriture, Annie Ernaux rend hommage à ses à voir un homme émouvant, rend hommage à sa
générosité, à sa grandeur d’âme, qui rejaillit sur sa
parents, et lutte contre leur disparition en les faisant
classe sociale.
bénéficier de l’immortalité des êtres de papier. Après
La Place, consacré à son père, elle a écrit Une femme Conclusion
peu après la mort de sa mère. C’est pour elle-même Ainsi, le langage est le principal facteur de la
un moyen de faire son deuil plus facilement, de lutter distanciation qui s’est opérée entre Annie Ernaux
contre la disparition et l’oubli. De la même façon, et ses parents. Pourtant, à la mort de ces derniers,
Delphine de Vigan souhaitait par son livre fabriquer c’est vers l’écriture qu’elle s’est tournée pour faire
un « cercueil de papier » pour sa mère Lucile, et lui revivre et retrouver ces figures aimées, optant pour
offrir un « destin de personnage » (p. 78). un style neutre lui permettant de coller au plus près
Annie Ernaux redonne la parole à ses parents par de la réalité, afin que se donnent à voir d’elles-mêmes
l’usage régulier du discours direct, comme dans les qualités d’êtres appartenant à une classe sociale
l’extrait étudié : « vous pourriez venir vous reposer souvent méprisée de ceux qui possèdent la culture.
à la maison » (l. 1), « Elle me prenait de force ma Comme les écrivains réalistes du xixe siècle, elle
valise, « elle est trop lourde pour toi, tu n’as pas hisse à la dignité de la littérature ces vies humbles,
l’habitude » » (l. 10-11), elle ne dissimule pas, mais mais refuse, contrairement à eux, les artifices de la
au contraire, souligne « leur façon de dire « a » pour littérature. Avec La Place et Une femme, Annie Ernaux
« elle » » (l. 16-17). a inauguré une nouvelle forme romanesque « située
Ainsi, Annie Ernaux fait revivre ses parents tels qu’ils entre la littérature, la sociologie et l’histoire » (Une
étaient, sans chercher à les embellir et montre que, femme, p. 106), dont s’est en partie inspirée Delphine
si elle a eu honte d’eux à une période de sa vie, elle de Vigan avec Rien ne s’oppose à la nuit (2011).
assume pleinement ce qu’ils étaient.
ŒUVRE INTÉGRALE
b) Se libérer d’un poids, atténuer sa propre
souffrance Comme Delphine de Vigan, Annie Ernaux écrit sur ses
Ce faisant, elle se libère elle-même du poids de la parents après leur mort. Pour toutes deux, l’écriture
culpabilité. L’écriture lui permet de panser ses bles- est un moyen de rendre hommage aux figures aimées
sures, elle qui « [se] sentai[t] séparée d’[elle-même] » disparues, une façon de les faire revivre, de les retrou-
(l. 19). Cette expression souligne bien la difficulté ver, de s’approcher d’elles au plus près alors que la vie
qu’elle a rencontrée à s’affranchir du milieu dans les en avait éloignées. L’écriture aide les autrices à
lequel elle est née, qui l’a façonnée. Par ce livre, elle faire leur deuil, et à se soulager d’un poids : celui de la
revient à ses origines, se retrouve elle-même à travers culpabilité notamment (culpabilité de s’être éloignée
ses parents. C’est une façon de leur rendre hommage, de ses parents pour Annie Ernaux, culpabilité de ne
à eux ainsi qu’à la classe sociale qu’ils représentent. pas avoir su empêcher sa mère de sombrer dans la
Sans figures de rhétorique, sur le mode du constat, dépression et la folie pour Delphine de Vigan).
elle met en lumière leur gentillesse et leur simplicité
HISTOIRE DES ARTS
naïve : ainsi, quand la narratrice invitait des amies chez
elle, « en donnant un caractère de fête à ce qui, dans Raymond Depardon, La Vie moderne, 2007
ces milieux [bourgeois], n’était qu’une visite banale, ▶▶ Objectifs
[son] père voulait honorer [ses] amies, et passer pour ■■ Analyser un photogramme tiré d’un film.
quelqu’un qui a du savoir-vivre. » Lorsqu’elle a amené ■■ Découvrir l’œuvre, le style et les objectifs de
chez elle son petit ami, un étudiant de Sciences Po, Raymond Depardon.
son père lui a montré tout ce qu’il a fait de lui-même : ■■ Comparer le projet de l’autrice à celui du photo-
« offrande de ce qu’il savait faire, avec l’espoir que graphe, les moyens utilisés par l’une et l’autre pour
sa valeur serait reconnue de ce garçon qui aimait sa transmettre une vision du monde dégagée au maxi-
fille » (p. 94). Ensuite, « il a voulu que ses économies mum des artifices de l’art.

L’objectif de Raymond Depardon est de donner à vivait enfant avec ses parents, ses deux frères et sa
voir le monde paysan tel qu’il est, sans chercher à sœur, a coûté la vie à son père et à sa sœur. Sa mère
l’embellir au nom de canons esthétiques qui sont et ses deux frères ont été relogés dans une cité HLM à
ceux d’un autre univers. De la façon la plus objective Paris (son petit frère meurt d’une méningite peu après,
possible, il donne la parole à ses personnages, s’efface et le roman montre aussi que sa mère lutte contre
lui-même pour leur rendre hommage, comme Annie une maladie des reins qui nécessitera une greffe, mais
Ernaux tente, par une écriture blanche, neutre, de ne les élèves ne peuvent deviner ces éléments d’après
pas dénaturer la réalité par la littérature. Tous deux les documents figurant sur cette page). Aya s’inscrit
cherchent, non pas à inventer une fiction, mais à faire très jeune à la boxe, malgré les préjugés qui en font
jaillir la réalité. un sport réservé aux garçons, et tente d’oublier ses
malheurs sur le ring. La vie l’a habituée à recevoir des
PAGE 96 coups (au sens figuré du terme) et finalement, sur le
ring, la violence (les coups, au sens propre) est moins
∞
▶▶
Bourlem Guedjou,
Danbé, la tête haute, 2014
Objectifs
douloureuse : « Sur un ring, [elle] éprouve une sorte
de bien-être, de quiétude même, [elle est] prévenue
des coups, [elle] les attend, les contrôle. Il n’y a
■■ Faire découvrir aux élèves un roman contemporain personne pour venir [la] frapper par derrière » (l. 5-7).
et une adaptation télévisée susceptibles de les inté- Ces remarques font allusion aux drames inattendus
resser, de susciter un processus d’identification source qui ont touché sa famille (trois décès brutaux de
de réflexion. personnes jeunes). Elle fait preuve de courage,
■■ Comparer les moyens propres respectivement au « impose le respect » (l. 10). À force de persévérance,
genre littéraire et au genre cinématographique pour elle obtient en 1999 les titres de championne de
illustrer le thème de l’émancipation familiale et France et du monde de boxe française, puis en 2006,
sociale. celui de championne du monde de boxe anglaise.
1. Sur le photogramme 2, Aya fixe quelqu’un d’un En 2011, Aya Cissoko coécrit son autobiographie avec
air grave et fermé. Malgré son jeune âge, elle semble Marie Desplechin. L’ouvrage obtient le grand prix de
forte, paraît faire preuve d’une grande détermination. l’héroïne Madame Figaro. Il est adapté en 2014 sous
On sent qu’elle sera prête à tout pour défendre ses la forme d’un téléfilm, Danbé, la tête haute, réalisé par
idées, faire valoir ses droits et ceux de sa famille. Bourlem Guerdjou et récompensé du prix du meilleur
film au festival de la fiction TV de La Rochelle.
2. Malgré les injustices qui frappent sa famille, Aya
Marie Desplechin, née en 1959, est journaliste et
demeure « la tête haute », continue de se battre, au
écrivaine, autrice de près de soixante-dix livres pour
sens figuré comme au propre. Le photogramme 1
enfants et adultes. Elle travaille comme journaliste
la montre sacrée championne du monde de boxe
pour différents magazines et participe à l’écriture de
anglaise, le bras levé en signe de victoire. Dans la vie
scénarios de films.
comme sur le ring, elle a fait preuve de combativité,
ce qui lui a permis de devenir quelqu’un. 5. Le parcours d’Aya Cissoko montre que rien n’est
3. Le photogramme 1 montre Aya de dos, en plan jamais perdu et qu’il faut se battre pour s’en sortir. La
poitrine. L’image laisse deviner en arrière-plan les persévérance paie, il faut garder espoir lorsque tout
cordes qui entourent le ring et le public, assis sous semble ligué contre soi, continuer à croire en soi pour
les projecteurs dirigés vers Aya. Elle est en pleine rester maître de son destin.
lumière pour les spectateurs qu’elle regarde, tandis ORAL
que nous la voyons à contre-jour. Nous ne percevons Ces documents illustrent l’émancipation du carcan
qu’une partie de son visage, de trois-quarts dos. Elle familial et social d’une jeune fille qui a su rester « la
est saisie en légère contre-plongée. L’effet produit tête haute » face aux événements tragiques qui
par l’ensemble de ces choix est qu’elle nous paraît auraient pu la faire plier. Les images la montrent
imposante, nimbée de lumière, mais également en effet toujours digne face à l’adversité, et
mystérieuse, comme une véritable héroïne. même victorieuse ; les textes rendent compte des
4. L’enfance d’Aya est émaillée de drames familiaux : difficultés qu’elle rencontre alors qu’elle s’efforce de
l’incendie criminel de l’appartement dans lequel elle s’affranchir de son carcan social. L’exemple d’Ali, son

ami, le montre bien. L’accumulation des lignes 2 à ce monde-là. Coûte que coûte. Et son angoisse était
7, l’anaphore du groupe verbal « Il faut » montrent à la mesure de ce désir d’échappée belle »(l. 28-29).
à quel point les enfants démunis auront du mal à Les termes très forts « horrifiée », « angoisse », la
s’extraire de leur condition. « Si tu te laisses faire, tu locution adverbiale « coûte que coûte » prouvent sa
es fichu » (l. 10) exprime la nécessité pour ceux qui motivation.
n’ont rien, de se battre. « Tu n’as pas de père, […] ta 2. La vision des parents de Vanessa passe par le regard
famille ne pourra rien te donner » (l. 9) : la négative et de la jeune fille (l. 15-19), mais le narrateur prend le
le pronom indéfini « rien » expriment ce dénuement. relai pour émettre son propre point de vue (l. 19 à
Le futur à valeur de certitude utilisé par Ali témoigne 23). La réduplication du sujet par le pronom person-
de sa volonté d’agir, de sa détermination, condition nel « elle » en incise (l. 24 : « Vanessa, elle, les voyait
nécessaire : « j’apprendrai et je ferai quelque chose de […] ») souligne une opposition, montrant bien que le
ma vie. » (l. 13). La conjonction de coordination « et » jugement du narrateur, transmis dans les lignes pré-
a valeur de conséquence. Il a compris l’utilité de l’école cédentes, diffère de celui de la jeune fille.
pour s’élever dans la hiérarchie sociale. Il faut dire que celui de Vanessa est à charge contre
ses parents. Elle veut fuir pour éviter de reproduire
ŒUVRE INTÉGRALE
le schéma de vie qui est le leur. Ce qu’elle critique
Lucile a également été frappée par des drames fami- le plus est la banalité de leur vie, la médiocrité dont
liaux brutaux dans son enfance (décès de deux frères), ils se contentent. On le sent déjà ligne 8, où elle
mais elle ne manquait de rien, vivait dans une famille rejette leur modèle de « vie peinarde et modérément
bourgeoise qui lui apportait le confort matériel et lui heureuse. » Elle leur reproche « leur bienveillance
offrait la possibilité d’accéder à des études supé- d’ensemble et ces phrases prémâchées sur à peu
rieures. Pourtant, elle n’a pas suivi d’études, et c’est près tout » (l. 16). L’adjectif « prémâchées » indique
par le mariage qu’elle s’est émancipée de son milieu un manque de recul critique et de relief, puisque les
familial. Son parcours est contraire à celui d’Aya, qui jugements sont prédéfinis. Le complément du nom
va de l’ombre à la lumière. Lucile a sombré peu à peu « d’ensemble » et le complément circonstanciel « sur
dans la dépression, puis a cessé de se battre. à peu près tout » mettent en lumière le manque de
surprises d’une vie trop balisée. Ses parents vivent
PAGE 97 « sans coup d’éclat et sans défaillance majeure »
(l. 19). L’anaphore de la préposition « sans » insiste
§ Nicolas Mathieu, sur ce manque de relief. L’absence de qualités est

Leurs enfants après eux, 2018 aussi condamnable que celle de défauts pour la jeune
fille. Ligne 24 à 27, une énumération peu flatteuse
▶▶ Objectifs
précise la façon dont elle les perçoit : « petits »,
■■ Étudier un extrait d’une œuvre contemporaine
« larbins ». L’adjectif « petits » et le nom « larbins »
auréolée d’un prix prestigieux.
créent une gradation qui rabaisse les parents ainsi
■■ Analyser le style et les registres de langue employés.
désignés, insistant sur leur appartenance à une
■■ Distinguer dans l’imbrication des points de vue celui
classe sociale exploitée ; puis on les voit « tout le
du personnage et celui du narrateur. temps crevés, amers, contraignants, mal embou-
■■ Montrer comment un roman pris en charge par un
chés » (l. 24-25), tous ces adjectifs et participes aux
narrateur externe à la troisième personne du singu- connotations négatives mettent l’accent sur le moral
lier peut exprimer les sentiments d’un personnage du couple, son manque d’épanouissement. Les parti-
en quête d’émancipation. Comparer l’effet produit à cipes passés « crevés » et « mal embouchés » expri-
celui que suscitent les récits autobiographiques à la ment que ces personnes subissent leur sort alors
première personne du singulier (tous les textes sauf que le participe présent « contraignants » les montre
la nouvelle de Maupassant). actifs : ils sont aussi acteurs de cette vie minable.
1. ENTRER DANS LE TEXTE L’accumulation de clichés réduit ce couple à quelques
Vanessa a compris que les études constituent la seule symboles : « Téléstar », « jeux de grattage », « che-
solution pour échapper à un milieu social qui lui fait misettes-cravates », « couleur trimestrielle »,
horreur. « Elle s’était mise à bosser, soudain horrifiée « voyantes », idées toutes faites comme « les psys
à l’idée de rester à Heillange » (l. 8). « Elle voulait fuir [sont] tous des escrocs ». » Ce raccourci caricature la

vie de la classe moyenne, celle que Vanessa a décidé Ce choix se justifie par le fait que les personnages
de fuir. Mais le narrateur intervient pour rétablir une sont des jeunes qui emploient volontiers ce langage.
vision moins négative, plus juste, de cette famille : La focalisation zéro permet au narrateur de relayer
« Elle ne pouvait pas saisir » (l. 19 à 23) met en lumière auprès des lecteurs la conscience de Vanessa. Cet
le manque de clairvoyance de la jeune fille tout en extrait témoigne de la façon dont la jeune fille perçoit
l’en excusant puisque le verbe « pouvoir » à la forme ses parents et la vie qu’ils mènent. Pour rendre compte
négative l’en rend irresponsable. Elle ne possède pas le de façon vraisemblable et naturelle de son jugement,
recul critique nécessaire pour juger avec bienveillance. le narrateur a recours à un lexique que l’on imagine
Le narrateur déroule en une longue énumération de aisément être le sien, qui reflète le plus fidèlement
verbes à l’infinitif (« ramener », « organiser », « entre- possible le flux de ses pensées.
tenir », « faire », « être ») les efforts fournis par ces 5. SYNTHÈSE
parents avec une anaphore de la préposition « à » qui Vanessa est sérieuse, ambitieuse, travailleuse, coura-
souligne la multitude de leurs « humbles sacrifices » geuse, mais on peut aussi aller vers le négatif : ingrate,
(l. 20). L’adjectif « humbles » accentue la grandeur prétentieuse…
d’âme déjà contenue dans le sens du terme « sacri-
fices ». Le complément circonstanciel de manière ŒUVRE INTÉGRALE
« sans relâche » et le substantif « opiniâtreté » (l. 20)
Lucile n’a pas misé sur les études pour prendre son
se font écho, exprimant, comme la locution adverbiale
indépendance. Delphine de Vigan raconte son désin-
suivie d’un gérondif « tout en laissant », le courage
térêt pour l’école, son manque de motivation et de
de ces parents, leur persévérance et leur ténacité.
courage pour les études. Elle s’est affranchie du nid
L’antithèse qui oppose « être présent », « attentif » à
familial, lorsqu’elle a été enceinte, par son mariage.
« en laissant […] gagner progressivement son autono-
Il faut dire qu’il s’agit d’une époque où le rôle des
mie » souligne la prouesse de ces parents qui doivent
femmes était davantage cantonné à celui de mère
être encadrants sans être étouffants. Ligne 23, la
puis femme au foyer, dans la dépendance de son
désignation « ado déglinguée », dépréciative, amène
époux.
vraiment le lecteur à prendre du recul par rapport au
jugement de cette dernière.
PAGE 98
3. Grammaire
« Quand elle rentrait le week-end, elle trouvait ses
parents occupés à mener cette vie dont elle ne voulait
plus, avec leur bienveillance d’ensemble et ces phrases
prémâchées sur à peu près tout. » (l. 15-17)
« Quand elle rentrait le week-end » : proposition S’affranchir d’un carcan
subordonnée circonstancielle de temps Exercice 1
« Elle trouvait ses parents occupés à mener cette 1. S’affranchir : « se libérer d’une contrainte, s’en
vie » : proposition principale débarrasser »
« dont elle ne voulait plus, avec leur bienveillance 2. Synonymes : « se libérer, s’émanciper »
d’ensemble et ces phrases prémâchées sur à peu près Antonymes : « s’aliéner, se soumettre à »
tout. » : proposition subordonnée relative 3. a- : préfixe
4. Le registre de langue utilisé est souvent familier. franc : radical
En témoignent des termes abrégés – « socio » (l. 9), – ir : suffixe
« ado » (l. 23), « psys » (l. 27) – et des termes familiers Le préfixe a- peut avoir deux origines et deux sens :
en eux-mêmes – « bosser » (l. 7), « peinarde » (l. 8), – du grec ancien æ-, il signifie la privation et permet
« frangine » (l. 11), « fourrée » (l. 13), « déglinguée » de construire des antonymes (par exemple anormal,
(l. 23), « crevés » (l. 24), « mal embouchés » (l. 25). antonyme de normal) ;
Ce registre côtoie des termes appartenant à un – du latin ad-, il signifie la direction, le but : par
registre courant, voire soutenu (« ambitions saugre- exemple atterrir.
nues », l. 2 ; « manuels soporifiques », l. 13 ; « d’opi- Ici, c’est ce deuxième préfixe qui forme le mot
niâtreté et d’humbles sacrifices », l. 20), ce qui le fait « affranchir ». Il s’agit d’aller vers le statut signifié
ressortir encore davantage. par le mot « franc ».

Franc : « libre, exempt de » Exercice 3
Cet adjectif est polysémique, il peut également signi- 1. « Social » et « familial » sont composés d’un radical
fier : « pur, sincère, entier » nominal (respectivement « société » et « famille »)
Le suffixe verbal – ir permet de former des verbes et du suffixe « –al ».
à partir d’un radical nominal (par exemple alourdir : 2. « Social » = qui se rapporte à une société, à une
« rendre lourd » ; finir : « mener à la fin », rougir : collectivité humaine, qui concerne les relations entre
« faire devenir rouge ») ses membres, s’intéresse aux conditions économiques
Ainsi, affranchir signifie au sens littéral « rendre libre et psychologiques de ces personnes.
de ». « Familial » = relatif à une famille, qui concerne une
4. a. sincère famille.
b. libre de port = gratuit 3. « Social » au pluriel → « sociaux », et « familial »
c. erreur totale → « familiaux ».
d. tir de ballon octroyé à une équipe pour sanctionner 4. « Asocial » est l’antonyme de « social ».
l’équipe adverse dont l’un des joueurs a commis une 5. « Familier » :
faute – qui est bien connu ; dont on a l’expérience habituelle ;
e. combattant qui n’appartient pas à l’armée régulière, – qui montre, dans ses rapports avec autrui, une
en est indépendant grande simplicité, voire dont le comportement
5. L’adjectif « franc » a le même sens que le radical manque de réserve, dont les manières sont indiscrètes
de « s’affranchir » dans les phrases b. et e., où l’on sinon impolies.
retrouve la notion de liberté, d’indépendance. 6. « national » : Le drapeau national français est
Exercice 2 constitué de trois bandes verticales bleue, blanche
1. Les sens du mot « carcan » : et rouge.
– autrefois, notamment au Moyen Âge, collier de fer « amical » : Le nouvel élève va bien s’intégrer dans la
pour attacher un criminel à un poteau et l’exposer à classe, il semble très amical.
l’infamie d’une humiliation publique. Cette peine n’a « impartial » : Lorsqu’on élit les délégués de classe,
été supprimée qu’en 1832 ; il faut essayer d’être impartial, de voter pour un
– par extension, tout ce qui engonce, serre, en programme plus que pour un ami.
particulier au cou. « loyal » : Une personne loyale respecte ses
Le carcan a disparu de l’arsenal répressif, mais le engagements.
terme « carcan » est resté au figuré pour signifier un « royal » : La lignée des Bourbons est de sang royal.
ensemble de contraintes pesant sur la vie quotidienne : Exercice 4
– sujétion, contrainte : « le carcan de la discipline » ; 1. Tous ces termes appartiennent au réseau lexical
– familier et vieux : « mauvais cheval, rosse » ; de l’aliénation.
– de la fin du xive au xviie siècle, par analogie, « collier 2. Radicaux verbaux :
d’orfèvrerie » ; Soumission : soumettre
– au xviie siècle : chaîne portée au front ; Oppression : opprimer
– triangle de bois placé au cou de certains animaux Séquestration : séquestrer
pour les empêcher de passer à travers les clôtures. Réclusion : reclure
2. Dans l’expression « s’affranchir du carcan familial et Enfermement : enfermer
social », l’expression est au sens figuré. Il s’agit de se Assujettissement : assujettir
libérer des contraintes imposées par l’appartenance à Asservissement : asservir
un milieu familial et social, de s’en émanciper. 3. soumission, oppression, séquestration, réclusion
3. Ce mot est associé à des connotations négatives ont un suffixe en -ion.
d’emprisonnement, de contraintes pesantes et Enfermement, assujettissement, asservissement ont
aliénantes. un suffixe en -ment.
4. Sens propre : Le prisonnier a été condamné au Ces deux radicaux sont substantivants, c’est-à-dire
carcan, de façon à ce que son humiliation soit qu’ils permettent de transformer des verbes en
publique. substantifs. Ainsi, le fait de soumettre est la sou-
Sens figuré : Les pensionnaires de ce lycée sont soumis mission, le fait d’opprimer correspond à l’oppression,
au carcan d’une éducation très stricte. le fait d’enfermer se traduit par le mot enfermement…

4. En Seine-et-Marne, près de Sammeron, un couple 5. Ils appartiennent au réseau lexical de la liberté.
vient d’être interpellé pour séquestration. En effet, 6. Ces mots sont antonymes des termes de
depuis douze ans, les parents gardaient enfermés l’exercice 4, car ils expriment des idées contraires.
leurs trois enfants dans une petite cabane au fond de 7. délivrance, résiliation (met fin à un contrat de
leur jardin. Ce sont des voisins qui ont donné l’alerte, dépendance)
ayant entendu des gémissements suspects. Les trois 8. À l’adolescence, les enfants s’affirment, déve-
garçons âgés de sept à douze ans étaient asservis et loppent leur personnalité d’adultes.
très peu nourris. Cette oppression risque de coûter Si le prisonnier fait preuve de sagesse, il pourra
une peine de réclusion importante au couple. bénéficier d’une libération conditionnelle.
Exercice 5 L’émancipation des femmes depuis quelques
1. affirmation : affirmer (radical verbal), -ation décennies leur a permis d’accéder à un statut plus
(suffixe) indépendant.
– libération : libérer (radical verbal) ; -ation (suffixe) Les parents doivent guider leurs enfants sur la voie
– émancipation : émanciper (radical verbal) ; -ation de l’autonomisation, leur apprendre à trouver des
(suffixe) solutions par eux-mêmes.
– autonomisation : autonomiser (radical verbal) ; Aujourd’hui j’ai gagné mon indépendance : j’ai un
-ation(suffixe) salaire, je m’assume seule, n’ai besoin de personne.
– indépendance : dépendre (radical verbal) ; -ance Exercice 6
(suffixe) ; in- (préfixe) 1. Pour exprimer combien l’amour de ses parents
2. Le suffixe -ation exprime l’action de faire ce lui pèse, Delphine emploie l’adjectif « étouffant »
qu’exprime le verbe. L’affirmation désigne l’action (l. 3), intensifié par l’adverbe « tellement ». Le verbe
d’affirmer, la libération l’action de libérer…
« me raidis » (l. 6) désigne une réaction physique qui
Le suffixe -ance exprime le résultat d’une action :
témoigne d’un agacement lié au contact physique
l’indépendance est le résultat de l’action de ne plus
avec ses parents. Enfin, l’expression « je n’en peux
dépendre.
plus » (l. 11) souligne son besoin de rompre avec ses
3. Définitions :
habitudes.
– affirmation : 1. action d’affirmer, de déclarer avec
2. Dans le propos de la narratrice, les marques d’amour
certitude. 2. action de rendre manifeste, éclatant. 3.
de Delphine envers ses parents sont exprimées par la
affirmation de soi : action de s’affirmer soi-même,
phrase suivante : « J’adore mes parents, je les trouve
d’oser imposer sa personnalité.
admirablement bons, affectueux, généreux » (l. 1-2).
– libération : fait de rendre libre, de mettre un terme
à un asservissement. La libération des mœurs consiste Le verbe « adorer » souligne l’intensité de son amour
à ne plus tenir compte des entraves, notamment tandis que l’énumération en rythme ternaire d’ad-
sociales et morales, mais à agir selon son penchant. jectifs mélioratifs, intensifiés par l’adverbe « admi-
– émancipation : 1. décision judiciaire qui confère à rablement », souligne qu’elle est sensible à l’amour
un mineur, assimilé à un majeur, la capacité civile. (Le qu’ils lui prodiguent. Dans la remarque (l. 9-10) « ils
mineur est émancipé de plein droit par le mariage. Il me manquent affreusement le dimanche soir quand
peut être émancipé par le juge des tutelles dès l’âge je défais ma valise à l’internat » l’adverbe « affreu-
de seize ans.) 2. action de s’affranchir d’un lien, d’une sement » accentue l’idée exprimée par le verbe
entrave, d’un état de dépendance, d’une domination, « manquer », à savoir la difficulté qu’éprouve Delphine
d’un préjugé. à vivre loin d’eux.
– autonomisation : action d’atteindre l’autonomie, Pourtant, ces expressions s’opposent à la volonté
c’est-à-dire le fait d’agir librement, en indépendance, qu’elle exprime lignes 7-8 : « Il faut que j’apprenne
pour un État de se gouverner par ses propres lois. à vivre sans eux » où le verbe falloir indique une
– indépendance : état de quelqu’un qui n’est tribu- nécessité. Les concessives introduites par « même
taire de personne sur le plan matériel, moral, intel- si » en anaphore illustrent les contradictions dont est
lectuel, qui n’est soumis à personne, est libre de toute victime la jeune fille. Celles-ci sont assez typiques de
sujétion. l’adolescence où il faut peu à peu apprendre à gagner
4. Les connotations de ces termes sont positives, car son indépendance. Delphine comprend qu’elle doit
ils expriment la fin d’un asservissement, un trajet vers devenir autonome, en ressent le besoin en même
la liberté. temps qu’elle en perçoit la difficulté.

3. « je n’en peux plus d’être la prunelle de leurs yeux. » qui désignent les éléments sur lesquels la narratrice
(l. 11-12) Cette figure de style est une métaphore s’appuie, alors que les mots « entretiens » (l. 1), « grille
dont le comparé est « je », c’est-à-dire Delphine, et de lecture » (l. 3), « interviewés » (l. 5) désignent une
le comparant « la prunelle de leurs yeux ». Ces deux méthode de travail ; enfin, les substantifs « analyse »
éléments sont liés par le thème de la préciosité. (l. 3), « recherche » (l. 23), et le verbe « explorer »
Delphine est précieuse, capitale pour ses parents (l. 15) assimilent le travail de l’autrice à une véritable
comme l’est la prunelle pour les yeux (la prunelle est enquête.
en effet un élément nécessaire à l’organe de l’œil pour Comme dans toute enquête, il s’agit d’aller au-delà
permettre la vue). du visible, dans des zones mystérieuses, des « replis
secrets », des « ombre[s] » (l. 15), entretenues par le
PAGE 102 « silence » (l. 27) qui pèse sur cette famille.
BAC Commentaire La visée de cette enquête est pour Delphine de Vigan
de comprendre les raisons qui ont poussé sa mère au
Delphine de Vigan, désespoir, l’ont fait sombrer dans la folie puis l’ont
Rien ne s’oppose à la nuit, 2011 menée au suicide. Par cette recherche, elle éclairera
Introduction aussi sa propre souffrance, puisque, comme elle
D’abord directrice d’études dans un institut de son- l’explique, « la douleur de Lucile a fait partie de [son]
dage, Delphine de Vigan écrit son premier roman en enfance, et plus tard de [sa] vie d’adulte, sans doute
2001, Jours sans faim, sous le pseudonyme de Lou [les] constitue, [sa] sœur et [elle]. » (l. 16-17). Ainsi, il
Delvig. Son succès de romancière se confirme dans les s’agit bien d’explorer une famille, dont les membres
années suivantes, notamment avec No et moi en 2007, sont liés par la force de l’hérédité.
adapté au cinéma par Zabou Breitman. Elle a obtenu b) Une histoire familiale riche et complexe
de nombreux prix littéraires, notamment le prix La famille de Delphine de Vigan est de celles qui
Renaudot des lycéens pour Rien ne s’oppose à la nuit éveillent l’intérêt et la curiosité : « elle a suscité tout
en 2011. Dans ce livre, elle explore son passé familial au long de son histoire nombreux commentaires et
pour tenter de saisir l’origine de la souffrance qui a fait hypothèses » (l. 22), l’adverbe « souvent » (l. 24), la
basculer sa mère Lucile dans la dépression, la menant locution prépositionnelle accentuée par l’adverbe
jusqu’au suicide. Cet ouvrage, dans lequel Delphine « tout » « tout au long de » ainsi que l’adjectif
de Vigan est autrice, narratrice et personnage, tient « nombreux » traduisent bien cet engouement.
à la fois de la biographie et de l’autobiographie. Le Le substantif « fascination » (l. 23) confirme ce
récit de moments passés ou d’entretiens menés avec magnétisme, d’autant qu’il n’émane pas de l’autrice
des membres de sa famille alterne avec leur analyse, mais bien de personnes extérieures au cercle familial,
au présent. Delphine de Vigan se présente souvent des « gens qu’[elle] a croisés au cours de [ses]
dans la posture d’écrivain, faisant part au lecteur de recherches » (l. 23-24).
ses doutes, de ses réflexions, montrant le roman en Il faut dire que cette famille est caractérisée par le
train de se construire. C’est le cas dans l’extrait que réseau lexical de la résonance, constitué des termes
nous étudions ici. Nous verrons comment cet extrait « bruyant », « spectaculaire », « échos » (l. 25),
permet d’interroger les limites de l’écriture. Dans un « retentissement » (l. 26), tandis que des procédés
premier temps, nous montrerons que le projet de hyperboliques la font tendre vers l’exceptionnel :
Delphine de Vigan passe par l’exploration minutieuse les superlatifs mis en relief par la répétition en un
d’une histoire familiale riche et complexe, puis nous parallélisme syntaxique « de plus bruyant », « de plus
analyserons comment elle met en lumière les limites spectaculaire », l’adjectif « inlassable » (l. 25).
de l’écriture et redéfinit les objectifs de son projet Cette dimension théâtrale explique sans doute
pour pouvoir le mener à bien. l’attention portée à cette famille, mais le mystère qui
1. L’exploration d’une histoire familiale riche la nimbe en est peut-être aussi une cause : en effet, le
et complexe terme « hypothèses » (l. 19) employé pour qualifier
a) Une exploration de l’histoire familiale la façon dont « les gens » la perçoivent, exprime par
L’écriture de ce livre repose sur une véritable enquête, son sens l’absence de certitude. Plusieurs antithèses
comme le souligne le lexique employé, constitué illustrent les contradictions internes à cette famille :
des termes « matériau » (l. 8) et « matière » (l. 10) la même énumération juxtapose l’euphorie de la

« joie » à la dysphorie des « morts » et du « désastre » questions et d’interroger la mémoire. » (l. 20-21)
(l. 25-26), et les termes signifiant le bruit (l. 25) Le verbe « interroger » est redondant par rapport
s’opposent au « silence » qui clôt le passage (l. 27). au substantif « questions » et la locution adverbiale
Aspects solaire et mortuaire coexistent, se rejoignant « tout au plus » explicite le fait que Delphine de Vigan
par leur dimension excessive. doit accepter de ne parvenir qu’à une multitude
Explorer cette famille n’est pas tâche aisée pour d’hypothèses sans jamais atteindre aucune vérité.
Delphine de Vigan, qui souhaitait, par l’écriture, tenter Dans l’expression « une vérité » (l. 10), le déterminant
d’en percer le mystère. peut être l’article indéfini comme son homonyme
2. Une réflexion de l’écrivain sur les limites de numéral : atteindre une vérité unique est impossible.
l’écriture et une redéfinition des objectifs liés Cette unité s’oppose d’ailleurs à l’expression d’une
à son projet pluralité, visible dans plusieurs expressions : « des
a) La perte des illusions morceaux épars » (l. 11), puis « des bribes, des
Le premier paragraphe relate l’élan initial de Delphine fragments, des hypothèses » (l. 19), termes tous unis
de Vigan, comme l’exprime d’ailleurs le verbe par la thématique de l’émiettement, mis en relief par
« avancer » (l. 1), mais le deuxième paragraphe l’énumération en rythme ternaire. L’impossibilité de
rompt cette dynamique avec la question rhétorique déboucher sur une vérité condamne à se contenter
« Qu’avais-je imaginé ? » (l. 6-7), où le plus-que- d’hypothèses incomplètes et multiples.
parfait cantonne cet imaginaire dans une antériorité Face à la vérité triomphent la « fable » et la « fiction »
par rapport au passé. L’espoir a également disparu (l. 12), deux termes réunis autour de la notion
comme l’indique le plus-que-parfait de la ligne 10 d’invention. Ils s’opposent par leur champ sémantique
« Sans doute avais-je espéré ». Une autre question au premier paragraphe où domine la réalité brute,
rhétorique « Comment avais-je pu imaginer, un seul comme le montrent les expressions « retranscrire mot
instant, pouvoir rendre compte de la vie de Lucile ? » pour mot » (l. 2) et « grille de lecture » (l. 3).
(l. 13) sanctionne la perte des illusions et des faux Pour mener à bien son projet, Delphine de Vigan
espoirs. La précision temporelle « un seul instant » doit accepter de renoncer à la vérité et à l’objectivité
témoigne du recul critique dont bénéficie a posteriori brute, accepter de se confronter à une pluralité
l’autrice, qui juge elle-même aberrante sa naïveté. La d’hypothèses, et reconnaître que la mise en mots
conjonction de coordination « mais » (l. 11) souligne trahit forcément la réalité. Par l’écriture, l’autrice
le décalage entre les espoirs et la réalité. rompra au moins le « silence », restaurera la
Plusieurs termes soulignent les obstacles auxquels puissance « du verbe » (l. 27).
se heurte l’autrice et le décalage entre ses objectifs Conclusion
premiers et la réalisation de son projet : « échec » Ainsi, cet extrait met en lumière les limites de l’écriture,
(l. 18), « me contenter de » (l. 18), « tenta-tive » (l. 18) qui obligent Delphine de Vigan à reconsidérer son
expriment tous l’impossibilité d’un accomplissement. projet, à en redéfinir les objectifs. L’exploration
Si la vérité n’existe pas, le projet de Delphine de Vigan minutieuse de son passé familial ne pourra jamais
peut-il se poursuivre, et avec quels objectifs ? déboucher sur aucune certitude, quelque objective
b) « Accepter les limites de l’écriture et en redéfinir que soit la méthode de travail employée. Le matériau
les objectifs d’exploration est trop mouvant, ne donnant à saisir
« Mais la vérité n’existait pas » (l. 10-11). Cette que des parcelles de vérité ; en outre, l’écrit échoue à
dernière phrase heurte par sa brièveté, et la valeur traduire fidèlement la réalité. Ces constats sans appel
de vérité générale du verbe, à l’imparfait parce que obligent Delphine de Vigan à faire son deuil d’un
compris dans une phrase au discours indirect libre certain idéal pour redéfinir des objectifs plus réalistes :
(équivalent à un présent dans une phrase au discours s’approcher au plus près de sa mère en un récit situé
direct). Par sa brièveté, la phrase « L’écriture ne peut entre fable et vérité. Ainsi, l’écriture n’échoue pas
rien » (l. 20) lui fait écho. Elle exprime comme elle une totalement, et d’ailleurs beaucoup d’auteurs des xxe
vérité générale, un constat décevant mais sans appel. et xxie siècles s’en servent pour faire rejaillir la figure
Le pronom indéfini de la quantité zéro « rien » clôt la tutélaire de la mère, lui rendre hommage, lui offrir
phrase sur cette résonnance du vide. comme Delphine de Vigan un « cercueil de papier »,
Il reste donc à redéfinir des objectifs moins ambitieux. un « destin de personnage » (p. 77-78), par exemple :
« Tout au plus [l’écriture] permet-elle de poser les Annie Ernaux avec Une femme (1988), Albert Cohen

dans Le Livre de ma mère (1954), Romain Gary avec la source de la vie de Lucile, à une époque où elle
La Promesse de l’aube (1960), Charles Juliet dans n’était pas née elle-même. Pour cela, elle s’appuie sur
Lambeaux (1995). divers éléments, différentes sources parmi lesquelles
elle fait le tri : témoignages des frères et sœurs, des
PAGE 103 amies de Lucile, qu’elle enregistre scrupuleusement,
BAC Dissertation cassettes audio sur lesquelles son grand-père
raconte sa vie passée, écrits de Lucile retrouvés
Delphine de Vigan,
dans ses affaires, émissions télévisées auxquelles a
Rien ne s’oppose à la nuit, 2011
participé la famille presque au complet ou sa tante
Sujet : Selon vous, Rien ne s’oppose à la nuit relève-t-il seule. Ainsi, elle travaille à partir de ces sources,
de la biographie ou de l’autobiographie ? par exemple elle retranscrit les entretiens menés
Introduction mot pour mot, « comme on le fait dans le métier
Une biographie est un récit rétrospectif dans lequel qu’[elle a] longtemps exercé, en vue d’une analyse
l’auteur, semblable au narrateur, raconte la vie d’une de contenu, selon une grille de lecture généralement
autre personne, à la 3e personne. Une autobiographie définie par avance, à laquelle s’ajoutent les thèmes
est un récit rétrospectif écrit à la première personne spontanément abordés par les interviewés. » Elle y a
du singulier, dans lequel le personnage principal, le passé « des journées entières, casque sur les oreilles,
narrateur et l’auteur se confondent, portent le même les yeux brûlants face à l’écran, avec cette volonté
nom. A priori ces deux genres diffèrent par leur forme insensée de ne rien perdre, de tout consigner » (p. 40).
comme par leurs objectifs. Pourtant, il arrive que la Cette précision rend compte d’un travail rigoureux,
frontière entre eux soit floue. C’est notamment le d’une méthode qui tend vers l’objectivité.
cas lorsque l’auteur rédige la biographie de sa mère. De même, elle écoute les cassettes audio sur lesquelles
Ainsi, on peut se demander si Rien ne s’oppose à la son grand-père a raconté sa vie en un « monologue
nuit, de Delphine de Vigan, relève de la biographie ou de plus de cinquante heures », elle fait tout pour
de l’autobiographie. Le livre s’ouvre sur le personnage retrouver trois cassettes manquantes, sans doute
de Lucile, morte dans son lit, mais nous la voyons subtilisées par Lucile, et finit par comprendre que
à travers le regard de sa fille, l’autrice-narratrice cette dernière était sans doute gênée par la situation
Delphine de Vigan. D’emblée, le portrait de la mère ambiguë de son père face à la collaboration pendant la
est celui que voit sa fille. Le « elle » se mêle au Seconde Guerre mondiale. Elle a demandé à son père
« je » : « je l’ai trouvée chez elle » (p. 13). Le pacte « le rapport de police établi quelques années après
de lecture introduit ce système d’énonciation qui leur séparation, lors du premier internement de Lucile
sera conservé tout au long du roman car l’objectif et celui de l’enquête sociale qui s’ensuivit » (p. 172),
de l’autrice est de raconter la vie de sa mère pour en mais n’a pas interrogé son père, partant du principe
comprendre l’évolution, en saisir le point de rupture que le témoignage aurait été trop subjectif, car il a
qui les a fait basculer toutes deux dans la tragédie. réécrit « sa propre histoire, et par là même celle de
Nous nous demanderons si, en racontant la vie de Lucile » (p. 172).
sa mère, Delphine de Vigan a écrit une biographie Ainsi, Rien ne s’oppose à la nuit se présente bien
ou une autobiographie. Pour cela, nous mettrons en comme une biographie, construite à partir de
lumière les caractéristiques qui apparentent le livre multiples documents que l’écrivain a dû classer,
au genre de la biographie, puis nous analyserons en ordonner pour transposer cette matière en un récit
quoi il constitue aussi une autobiographie. Enfin, clair et ordonné, le plus objectif possible. Or, cette
nous mesurerons quels bénéfices personnels l’autrice mission est particulièrement ardue.
semble avoir tirés de son projet. b) Difficultés caractéristiques de l’écriture
1. Les caractéristiques d’une biographie biographique
a) Les éléments d’une enquête objective Delphine de Vigan se montre dans la posture de
Le récit rétrospectif construit par Delphine de l’écrivain à la tâche, et ne cache rien des difficultés
Vigan pour raconter la vie de sa mère présente les qu’elle rencontre.
caractéristiques d’une biographie. D’une part parce que les souvenirs diffèrent d’une
Pour donner corps à ce projet, Delphine de Vigan doit personne à l’autre : un même événement a pu être
mener une enquête, car elle a choisi de remonter à vécu différemment par chacun, le temps écoulé entre

le moment des faits et celui de l’écriture a pu en effacer serait ni la vérité ni la fable, mais les deux à la fois »
les contours, un recul critique a pu s’introduire entre (p. 139). D’ailleurs, l’écriture elle-même n’est-elle pas
les deux, modifiant légèrement la perception initiale une atteinte à la vérité ? La mise en mots nécessite
de l’événement. La mort d’Antonin a par exemple d’ordonner, de traduire un vécu composé avant tout
laissé à chacun un souvenir personnel, au point que de sensations parfois intraduisibles par un langage
des versions contradictoires se font entendre, et qu’il arbitraire et insuffisant à en rendre fidèlement la force
faut à Delphine de Vigan choisir, parmi elles, « celle et la singularité. Ainsi, page 139, Delphine de Vigan
qui [lui] semble la plus vraisemblable, la plus proche en affirme « combien il [lui] est difficile d’écrire sa mère,
tout cas de ce que racontait Liane, [s]a grand-mère » de la cerner par des mots. » « Elle explique qu’elle pèse
(p. 41-42). chaque mot, ne cesse de revenir en arrière, […] corrige,
En outre, certaines personnes peuvent déformer […] précise, […] nuance, […] jette » (p. 321). Enfin, elle
sciemment la réalité pour ne pas la montrer sous reconnaît : « Je n’avais que des morceaux épars et
un jour trop noir, ne pas entamer la réputation de les ordonner constituait déjà une fiction. Quoi que
la famille, assombrir le mythe familial. Par exemple, j’écrive, je serais dans la fable. » (p. 42)
Manon, la sœur de Delphine de Vigan, approuve son Ainsi, Delphine de Vigan rencontre les difficultés
projet, mais a peur qu’il ne donne de Lucile une image auxquelles un auteur de biographie se heurte
« trop dure, trop négative. De sa part il ne s’agissait traditionnellement. Cependant, son projet va plus
pas de déni mais de pudeur » explique l’autrice loin car la vie qu’elle entreprend d’éclaircir est celle
(p. 307). Or, trouver des explications au mal-être de de sa propre mère. De fait, si elle se donne à voir
sa mère implique pour Delphine de Vigan de ne rien dans sa mission d’écrivain, Delphine de Vigan apparaît
cacher, d’exhumer des réalités enfouies. également comme personnage, notamment à partir
Le travail du biographe consiste à s’approcher au plus de la deuxième partie, lorsque Lucile s’est en partie
près d’une vie qui n’est pas la sienne, qu’il n’atteindra affranchie de son milieu familial par le mariage, et
jamais que de l’extérieur mais dont il lui faudrait lui a donné naissance. Dès lors, la frontière entre
pourtant percer l’intériorité. Comment ne pas la trahir ? biographie et autobiographie se brouille.
Or, la reconstitution, même la plus fidèle possible, ne 2. Des éléments d’une autobiographie
peut empêcher la présence de vides. Pour combler a) Delphine de Vigan apparaît aussi dans le
ces béances, il faut donc inventer, mais tomber dans livre comme personnage, utilisant ses souvenirs
la fiction compromet la nature de l’ouvrage, car, personnels pour représenter sa mère
rappelons-le, l’un des principes inhérents au genre À partir de la deuxième partie du livre, la narratrice
biographique est l’authenticité. Les faits rapportés devient également personnage puisqu’elle est née.
sont censés être vrais. Delphine de Vigan évoque cette Elle peut avoir recours à sa mémoire pour éclairer
difficulté qui n’est « pas si éloignée du désarroi qu’[elle certaines zones d’ombre. Aux témoignages multiples
et sa sœur] éprouvaient, enfants ou adolescentes, se mêlent ses propres souvenirs. Le portrait de Lucile
lorsque [Lucile] disparaissait ». Elle affirme se trouver n’est donc plus si objectif. « Dès lors que je suis
« dans la même position d’attente, igno[rer] où elle apparue dans la vie de Lucile, j’ai abandonné toute
est, ce qu’elle fabrique, cette fois encore ces heures tentative de récit objectif à la troisième personne.
échappent et [elle] ne peu[t] que mesurer l’étendue Sans doute m’a-t-il semblé que le je pouvait s’intégrer
de l’énigme » (p. 323). Respecter cette nécessité de dans le récit lui-même tenter de l’assumer » (p. 187).
vérité est un poids dont, régulièrement, elle aimerait Même si la narratrice affirme qu’elle n’a rien vu, elle
pouvoir s’affranchir : « Parfois je rêve que je reviens « mêle à [son] regard d’enfant celui de l’adulte qu’[elle
à la fiction, je me roule dedans, j’invente, j’élucubre, est] devenue. »
j’imagine, j’opte pour le plus romanesque, le moins Le livre se rapproche alors vraiment du genre
vraisemblable, j’ajoute quelques péripéties, m’offre autobiographique, puisqu’il nous en apprend
des digressions, je suis mes chemins de traverse, je beaucoup sur la vie de l’autrice-narratrice, sur son
m’affranchis du passé et de son impossible vérité » parcours : divorce de ses parents lorsqu’elle a six ans
(p. 189). Même si elle lutte contre cette tendance, elle et sa sœur deux ans, années de primaire à Yerres où
avoue produire « une fiction involontaire, chercher elle saute une classe parce qu’elle sait lire avant le CP,
l’angle qui lui permettra de s’approcher encore, plus vie commune avec le nouveau petit ami de Lucile et
près, toujours plus près, chercher un espace qui ne le fils de ce dernier, puis quelques mois avec Nébo,

nouveau petit ami, installation à Bagneux (p. 193), Elle cite Lionel Duroy qui, pour avoir écrit un roman
crise de folie de sa mère le 31 janvier 1980, qui fait autobiographique, Le Chagrin (2010), est passée pour
basculer sa vie, l’oblige à aller vivre avec sa sœur chez un « traître », un « paria » à qui plus aucun membre
son père qui a un enfant, anorexie gravissime qui la de la famille n’adresse la parole (p. 221). Elle affirme
conduit aux frontières de la mort, études de lettres, qu’« écrire sur sa famille est sans aucun doute le
travail dans une entreprise, puis carrière d’écrivain. moyen le plus sûr de se fâcher avec elle » (p. 220).
En faisant revivre sa mère, elle raconte indirectement En révélant des secrets, Delphine de Vigan peut
son propre parcours. Pour s’approcher de la vérité des avoir l’impression de trahir la confiance de certaines
années passées avec Lucile, elle compulse son journal personnes qui n’apprécieraient pas de voir cette
intime, dans lequel elle retrouve « les événements réalité dévoilée. Ainsi, Justine, la sœur de Lucile, lui
les plus marquants, mais aussi les anecdotes, les demande : « Tu le termineras sur une note positive,
soirées, les films, les dîners, les conversations, les ton roman, parce que tu comprends, on vient tous de
questionnements, les plus infimes détails » (p. 320). là » (p. 41). D’où des moments de doute terrible, et
Cette démarche qui la fait se pencher sur sa propre parfois l’envie de tout abandonner.
vie est caractéristique du genre autobiographique. Ainsi, biographie de Delphine de Vigan sur sa mère,
On peut se demander dans quelle mesure écrire la ce livre possède également des caractéristiques
biographie de sa mère ne revient pas à écrire son propres au genre autobiographique. Les bénéfices que
autobiographie. La plupart des biographies, d’ail- Delphine de Vigan a d’ailleurs tirés de son écriture
leurs, commencent par revenir vers les parents. rendent compte de cette double dimension.
Pour preuve, avant de commencer à retracer la vie 3. Bénéfices pour l’autrice
de Lucile, Delphine de Vigan expose la rencontre de a) La libération par l’écriture
Liane et Georges. Ensuite, ce que Lucile est devenue a Au terme de son projet, Delphine de Vigan a pu alléger
forcément touché ses filles. La narratrice affirme que le fardeau de sa culpabilité. Cet effet est assez typique
« La douleur de Lucile a fait partie de [leur] enfance de l’écriture autobiographique.
et plus tard de [leur] vie d’adulte, la douleur de Lucile En mettant en lumière la responsabilité de Liane et
sans doute [les] constitue, [s]a sœur et [elle] » (p. 102 Georges, elle se libère elle-même d’un poids, même si
du manuel). En évoquant la famille de Lucile, elle ces révélations sont extrêmement difficiles, suscitant
précise « la nôtre par conséquent » (p. 40). La vie un questionnement moral : « Ai-je le droit d’écrire
qu’elle tente d’expliquer éclaire en même temps la que ma mère et ses frères et sœurs ont tous été, à
sienne. D’ailleurs, elle avoue qu’« il y a une douleur un moment ou un autre de leur vie (ou toute leur
à se replonger dans ces souvenirs, à faire resurgir ce vie), blessés, abîmés, en déséquilibre, qu’ils ont tous
qui s’est dilué, effacé, ce qui a été recouvert » (p. 320). connu, à un moment ou un autre de leur vie (ou toute
De fait, le mythe familial qu’elle déconstruit est aussi leur vie), un grand mal de vivre, et qu’ils ont porté
le sien. leur enfance, leur histoire, leurs parents, leur famille,
b) Le mythe familial qu’elle déconstruit est aussi comme une empreinte au fer rouge ? » (p. 165)
le sien L’accumulation et la métaphore de l’empreinte ren-
Les personnes dont elle recueille les témoignages forcent la responsabilité familiale.
ont toutes connu Lucile, et par conséquent, sont Désemparée face à la disparition si brutale de sa mère,
également des proches de Delphine de Vigan. Cette Delphine de Vigan s’est demandé si elle aurait pu
proximité ne lui rend pas la tâche plus aisée, bien empêcher ce suicide : l’enquête nécessaire à l’écriture
au contraire. Sa démarche risque de leur déplaire, de ce livre lui permet de se rassurer sur ce point. Le
elle redoute de leur faire de la peine, de les blesser. psychiatre qui suivait Lucile confirme que la question
Elle avoue penser souvent à eux lorsqu’elle écrit, n’était pas de savoir pour quelles raisons [elle] avait
« avec la tendresse infinie qu’[elle] éprouve pour eux choisi ce moment-là, mais plutôt « comment elle
mais aussi la certitude qu’[elle a] aujourd’hui de les avait tenu tout ce temps, toutes ces années » (p. 395).
heurter, de les décevoir » (p. 144). Ainsi, elle fait des Il leur affirme « qu’elle parlait souvent d’[elles], qu’elle
rêves qui la hantent, comme celui où sa grand-mère était fière, que [ses filles] étaient sa raison de vivre. »
s’adresse à elle au beau milieu d’un repas de famille Pour finir, cette remarque de son fils au sujet d’un
pour l’accuser : « Ce n’est pas gentil ce que vous devoir de français finit de la rassurer : « personne ne
faites, ma reine chérie, ce n’est pas gentil » (p. 166). peut empêcher un suicide » (p. 400). L’autrice pose

alors cette question rhétorique qui éclaire la nature et La fin du livre est positive : Delphine de Vigan a cessé
le contenu de son livre : « Me fallait-il écrire un livre, de s’en vouloir ou d’en vouloir à sa mère… Elle termine
empreint d’amour et de culpabilité, pour parvenir à son ouvrage sur un jugement positif, affirmant
la même conclusion ? » « Aujourd’hui, je suis capable d’admirer son courage »
b) Un projet qui a rapproché l’autrice de sa mère (p. 401). L’adverbe de temps « aujourd’hui » exprime
Par la force de l’écriture, Delphine de Vigan est par- implicitement une opposition par rapport à un passé
venue à se rapprocher de sa mère, à faire rejaillir la où ce n’était pas le cas, et cet adjectif « capable »
figure aimée, disparue trop tôt et trop brutalement. témoigne d’un effort qu’il a fallu entreprendre pour
Elle a pu la regarder vivre sur des supports vidéo, lire y parvenir. L’écriture de ce livre est sans nul doute le
des mots écrits de sa main, mais surtout tenter de vecteur par lequel ce cheminement a pu s’accomplir.
pénétrer ses pensées, pour comprendre ses angoisses. Conclusion
Elle confie page 250 « désirer être capable d’écrire Ainsi, récit biographique centré sur la figure
ce qui est arrivé à Lucile, minute par minute, saisir le maternelle, Rien ne s’oppose à la nuit, qui entremêle
moment exact où cela a dérapé, examiner le phéno- troisième et première personne, possède également
mène au microscope, en saisir le mystère, la chimie ». des caractéristiques qui le rapprochent de l’autobio-
En tâchant de revenir dans les pas de sa mère, elle a graphie : l’utilisation des souvenirs personnels de
presque vécu sa vie par procuration, même si parfois l’auteur, le récit de son parcours de vie, les question-
elle a dû reconnaître ses doutes, s’en tenir à des nements moraux qui accompagnent la révélation
hypothèses. Par exemple concernant la position de de secrets familiaux, ainsi que certains objectifs et
Georges dans la France de la collaboration, Delphine certains effets (se rapprocher de la figure aimée
de Vigan conclut : « Je crois qu’[…] elle lui a accordé, disparue, mieux se comprendre soi-même, se libérer
au minimum, le bénéfice du doute. Et l’a haï pour d’un poids). On peut se demander si raconter sa mère,
d’autres raisons » (p. 104). Lucile n’étant plus, c’est ce n’est pas forcément écrire sur soi. Dans son ouvrage
à sa fille de combler les béances en raisonnant à sa Lambeaux (1995), Charles Juliet, en rendant hommage
place, en imaginant ce qu’elle aurait pu penser, d’où à sa mère, écrit aussi d’une certaine manière son
l’emploi du modalisateur de doute « croire ». propre parcours de vie, son autobiographie.

séquence ∞4
Deslibérer
Se personnages
de l’emprise
dans familiale
la tourmente et sociale
de l’Histoire Livre de l’élève p. 84 à 103

OBJECTIFS ET PRÉSENTATION du feu mais aussi de vaincre d’autres blessures, plus
DE LA SÉQUENCE anciennes (le rapport à la famille, l’estime de soi…).
Les prolongements artistiques et culturels mobi-
La séquence 5 sur le récit trouve sa cohérence dans lisent les autres supports (BD et cinéma) qui se sont
le rapport que les personnages des différents textes emparés du roman. Ces nouvelles versions en appro-
entretiennent avec la notion de résilience. Les textes fondissent le sens ou permettent par comparaison de
proposés évoquent tous des expériences doulou- comprendre le projet artistique singulier d’un artiste.
reuses, qui toutefois parviennent à être assumées ou Le groupement de textes complémentaires présente
dépassées. d’autres figures de la résilience. Chez Céline, le person-
Il sera intéressant de constater avec les élèves que nage d’Alcide est capable de sacrifier sa vie pour venir
la littérature s’empare des douleurs inhérentes à la en aide à une petite malade ; Robert Antelme évoque
condition humaine mais en propose une relecture la capacité des détenus du nazisme à conserver leur
qu’elle médite. La « difficulté d’être » est interrogée et foi dans une culture salvatrice ; Tournier partage
les auteurs de la séquence, chacun à sa façon, propose une réflexion sur le sourire qui permet à Robinson
une leçon d’optimisme. de renouer avec une humanité perdue ; Japrisot met
Cette confrontation avec l’expérience fondamentale est scène l’espoir récompensé ; Juliet romance son
du drame permet de donner aux élèves des éléments parcours d’auteur qui lui a permis de triompher de
pour construire leur propre réflexion face aux difficul- l’adversité d’une vie en lambeau ; Dugain se veut
tés susceptibles d’affecter toute existence humaine. résolument optimiste en prônant la gaieté malgré
Dans l’œuvre intégrale, les destins mêlés d’Édouard et tout ; Gaudé, enfin, témoigne de la solidarité et de
d’Albert permettent de revenir sur l’histoire du début la confiance en l’avenir des migrants, pourtant mal-
du xxe siècle. À partir du traumatisme de la guerre, le menés par le destin. Il s’agira encore pour l’élève de
corpus évoque la façon dont ces blessés parviennent percevoir que l’homme possède en lui des ressources
à retrouver, par des moyens très différents, un sens précieuses qui lui permettent de dépasser les situa-
à leur vie. Au fil du roman, Édouard fait preuve de tions les plus angoissantes ou les plus délicates. En
résilience et Albert renoue avec l’optimisme. cela, le corpus est résolument optimiste, même si les
L’intérêt principal du récit de P. Lemaître tient dans situations proposées relèvent toutes des drames de
sa complexité. La renaissance à la vie (sociale, sen- l’existence.
timentale…) des deux héros ne se fait pas sans de
profondes zones d’ombre. C’est par la vengeance, le
PAGE 104
vol et le mensonge que les protagonistes retrouvent
une forme de goût à la vie et l’œuvre permet d’appré-
hender sans la caricaturer cette notion de résilience,
ŒUVRE INTÉGRALE
puissante mais à laquelle il est difficile de parvenir.
Le parcours d’œuvre intégrale permettra aux élèves de
percevoir que le récit interroge, à partir des drames de
Pierre Lemaitre,
l’existence, les fondements de la cohésion sociale. En Au revoir là-haut, 2013
mettant en scène les rapports humains et la place de
l’argent, Au revoir là-haut, roman des classes sociales,
se fait implicitement polémique et témoigne des
drames de la guerre mais aussi des drames de la paix.
⁄ Convalescence
1. Le texte se construit en deux mouvements. Premiè-
Il s’agit pour les héros de surmonter les traumatismes rement, on assiste à une forme de « mort » d’Édouard,

qu’illustrent la métaphore de la chute (« sa vie s’était
HISTOIRE DES ARTS
effondrée », l. 2) et l’incapacité à se projeter (« mais il
ne craignait pas l’avenir », l. 1), puis une renaissance, Ce premier masque, dans le film d’Albert Dupontel
amorcée par la phrase isolée de la ligne 4. La possi- (2017), révèle la richesse créative et artistique
bilité d’un renouveau se manifeste par l’isotopie de d’Édouard. Il sublime la gueule cassée, embellit le
la jeunesse, incarnée par Louise, presque sentie par personnage, l’anoblit, évoquant un masque de car-
Édouard (« il avait senti, au fil des jours, une excitation naval, le ramenant à une forme d’aristocratie esthète.
remonter », l. 8-9), qui renoue avec quelque chose Sa couleur bleu nuit invite à une forme de rêverie,
de son « adolescence » (l. 12 ; on relèvera les termes de même que les prolongements, semblables à des
liés à la gaieté et la malice enfantines), qu’il ressent branches, qui peuvent évoquer le besoin d’Édouard
de manière presque organique, « dans le fond de de fuir la société et ses cauchemars. Ces entrelacs du
son ventre » (l. 12), comme un enfantement à venir, masque rappellent aussi la défiguration du person-
jusqu’à faire revivre l’Édouard « d’avant la guerre » nage, comme une peau trouée, comme des vaisseaux
(l. 16). et nervures apparents.
2. Les autres n’apparaissent que du point de vue On rappellera que la dimension carnavalesque (liée à
interne, celui d’Édouard. Il est spectateur d’abord : la présence du masque) est indissociable d’une remise
en question sociale dont elle est un questionnement
Louise et Albert, de classe sociale inférieure à Édouard,
en même temps qu’une subversion.
qui est un oisif, qui n’a aucune notion de l’effort à
fournir pour obtenir de l’argent (Albert le souligne
PAGE 105
à plusieurs reprises), qui est totalement dépendant
d’eux, sont comparés à des « fourmis » (l. 6). Louise
est associée à « l’industri[e] » (l. 5) d’Albert, mais aussi
à la créativité d’Édouard (« ses histoires de masques »,
¤ Opportunisme
ou machiavélisme ?
1. Les deux personnages se révèlent dans tout ce
l. 5), et c’est elle qui lui apporte les journaux, comme
qu’ils ont de contradictoires, d’apparemment incon-
pour l’aider à renouer avec le monde, là où Albert
ciliables : Albert est un « industrieux », au sens pra-
au contraire, tout à son empathie et à sa culpabilité
tique, il ne peut comprendre le langage d’Édouard,
(Édouard a perdu une partie de son visage en sauvant
qui ne repose que sur la fantasmagorie. Le handicap
Albert), conforte Édouard dans sa dépendance (dans
d’Édouard marque bien cette aporie – momentanée –
la chambre et à la morphine). S’il ne peut pas tout de
du dialogue. Albert ne se préoccupe que de la réalisa-
suite communiquer avec eux son flux intérieur d’émo-
tion de ce qui serait promis, sans imaginer la fantaisie
tions (« son mieux-être, qu’il se gardait de montrer,
qui justifie l’apparent délire d’Édouard. Son discours
trop fragile », l. 7), c’est parce que finalement lui le
est verrouillé par les raisonnements rationnels (« on
premier doit le reconnaître, l’apprivoiser, le nommer
va y réfléchir », l. 7 ; « ce n’est pas raisonnable », l. 24)
(« quand il parvenait à aligner ses idées », l. 13), le
d’une société marchande, pour aboutir à un constat
faire advenir à son tour. Cette « joie furtive » (l. 14)
lucide, qui condamne la société même qui fait ce
lui est d’abord advenue par Louise (« La petite Louise
constat, mais en lui donnant une valeur de morale :
l’égayait », l. 5), et c’est l’activité de ses amis va finir
« Même les plus industrieux ne peuvent se contenter
par provoquer la sienne.
de leur énergie » (l. 5). Sa pensée même ne parvient
3. Le point de vue interne permet de rendre compte du à réagir qu’à l’idée de l’argent (« Bon, trois millions,
« flux de conscience » d’Édouard. Le lecteur découvre sur le principe, Albert n’a évidemment rien contre.
et ressent en même temps que le personnage ses Serait plutôt pour, même », l. 19-20) : Le passage
émotions, dans leurs contradictions : on a accès aussi des lignes18 à 23 au discours indirect libre permet
bien à ses sensations physiques qu’à ses émotions, d’avoir accès directement aux pensées du person-
ses interrogations et ses hésitations. L’emploi d’une nage, qui rendent bien compte de la distance qui le
proposition corrélative à la ligne 9 (« plus il y pensait, sépare d’Édouard : chacun est dans sa propre genèse
plus il retrouvait… ») permet de comprendre au plus du roman qui s’écrit. À l’excitation et aux cris ou aux
près cet état d’excitation que le personnage retrouve. coups d’Édouard (l. 12 par ex.) s’oppose l’effort de
L’expression du degré témoigne ici de l’enthousiasme contrôle d’Albert, là aussi révélateur de son pragma-
d’Édouard. tisme d’homme simple, lent (« ébahi », l. 1), qui ne
SÉQUENCE 5 Des personnages dans la tourmente de l’Histoire 99

trouve à opposer à l’enthousiasme d’Édouard qu’un son camarade se pose depuis le premier jour. Il se
ton plein de condescendance (l. 7-11 et l. 24-25). Ce met à rire ! » (l. 35-37) Anadiplose et polyptote font
n’est que débarrassé de ce vernis, de cette habitude de résonner le rire d’Édouard (« Il se met à rire ! Oui, à rire,
fonctionnement, quand il « explose » (l. 29-30), que pour la première fois. Et c’est un rire presque normal,
le dialogue pourra avoir réellement lieu. un rire de gorge », l. 37-38). À nouveau, arrêt dans le
2. Du borborygme au rire : Édouard, une figure temps, avec description du rire, de la réaction d’Albert,
d’« homme révolté » figé ; puis les deux dernières lignes, jubilatoires, en
Par opposition aux raisonnements et aux paroles clôture de chapitre.
d’Albert, empêtrées dans leur rationalité, Édouard est C’est d’abord une libération (« explose », l. 45), une
celui qui a réellement quelque chose à dire, qui sait liberté ou en tout cas une possibilité retrouvée, une
ce qu’il veut : il est la sincérité débridée. réponse, mais à la vraie seule question qui compte
Son « discours » se caractérise par l’impulsion, l’exci- (l. 36-37), la question de savoir si Édouard peut
tation. L’excitation est associée à l’urgence : Édouard renouer avec la vie. En définitive, un pied de nez,
ne répète pas comme Albert, il invente, et son exci- jubilatoire, comme le seront les fêtes au Lutetia, à
tation est l’urgence même que connaît l’artiste. la société, arnaquée dans ce qu’elle a de plus cher :
Nécessairement retranscrites au discours indirect l’argent et l’hypocrisie ronflante.
libre d’abord, sa voix et celle du narrateur, qui le 3. L’extrait est extrêmement vivant, il est le dia-
cautionne, se superposent : « Non. Édouard serre le logue central du livre, celui où les personnages vont
poing et brosse l’air comme s’il astiquait des sou- dépasser leurs limites, commencer à s’affranchir des
liers. Le message est clair : non, faire vite ! » (l. 12-13) carcans. Exclamatives et interrogatives le rythment
Le dialogue se resserre, résumé dans les onomato- en abondance. Cela du côté des deux interlocuteurs,
pées « Han ! Han ! Han ! » (l. 26), pour enfin jaillir en comme si Édouard revenait pour de bon à la vie. Les
discours direct (« On les vend seulement ! », l. 34), modalités expressives nombreuses rythment l’extrait.
comme si Édouard parlait enfin, avant le rire final, et On trouve ainsi des exclamatives du début à la fin
l’ultime phrase (« on se barre avec la caisse », l. 48). (« il faut beaucoup d’argent ! » l. 4 ; « non, faire vite ! »,
« Édouard, fou de joie » (l. 36), jubile contre la noir- l. 13 ; « On les vend seulement ! », l. 34 ; « On se barre
ceur du monde. Il possède la vision d’un enfant élevé avec la caisse ! », l. 48). Il s’agit de manifester les sen-
sans le souci du matériel, et révolté, provocateur ; ses timents d’incompréhension d’Albert et d’excitation
pyramides de chiffres sont moins comptables que ver-
d’Édouard. Les interrogatives (« l’important, c’est que
tigineuses, jubilatoires ; ses dessins de monuments aux
tu aies retrouvé du goût aux choses, pas ? », l. 10-11 ;
morts font écho aux dessins obscènes qu’il faisait
« Et après ? insiste-t-il. Qu’est-ce qu’on fait ? », l. 45)
enfant pour se moquer des adultes, des bourgeois,
manifestent l’incompréhension et l’inquiétude d’Al-
des conventions ; ceux-là dénoncent l’obscénité d’une
bert. Ces modalités orientent presque l’extrait vers
société cynique et vénale. Il appartient à la catégorie
une dimension théâtrale, c’est-à-dire profondément
des héros de roman qui échappent à la noirceur du
corporelle et vivante. La force du dialogue, son cres-
monde par leur capacité à renoncer aux concessions,
cendo, l’opposition des personnages qui s’incarne
à être « fous », à sentir le bonheur.
ici dans leur discours, font du passage un moment
La mise en scène du rire permet dans cette page
comme aime en proposer le théâtre.
de créer des effets de suspense. Plusieurs phrases
préparent le rire final : « depuis le premier jour »,
« inattendues, par surprise ». Le lecteur assiste à PAGE 106
une montée en puissance de ce rire (« Quel enthou-
siasme ! » « complètement dingue » « projet impos-
sible » « Il fait non, ses yeux rient »). Enfin, Lemaitre ‹ Un joyeux repaire
1. L’oiseau incarne une forme de liberté, en tout cas,
exploite un effet de prolepse (annonce) et d’analepse
(flash-back) pour éviter de raconter tout de suite ce un envol. Le rouge est interprété par le narrateur
qui se passe. Il laisse le lecteur en attente : « Les choses lui-même, ainsi que les dents : Édouard est conqué-
les plus inattendues arrivent souvent par surprise. rant, prêt à en découdre avec la société. D’ailleurs, il
C’est ce qui va se passer pour Albert. Édouard, fou « vole la vedette » aux billets rapportés par Albert, car
de joie, répond soudain à la question lancinante que l’important n’est pas l’argent que leur arnaque leur

rapportera, puisqu’il est une des valeurs principales, la 2. Les deux évolutions sont liées, comme le sou-
valeur principale de la société contre laquelle Édouard ligne l’ampleur de la phrase, à la ponctuation plus
se révolte, mais la revanche : le rouge est une couleur libre, très fluide. C’est une jubilation conjointe, un
guerrière (« sauvage et agressif », l. 8), et en même bonheur vécu dans le partage et l’échange inconscient
temps peut rappeler les flammes du phénix. Le rire de ses possibilités, Louise aidant Édouard à réaliser
(« oiseau carnassier et hilare », l. 7 ; « les yeux rieurs ses masques, Édouard aidant Louise à se réaliser, à
et mobiles », l. 10) est associé à l’intelligence venge- échapper à l’atavisme, à la « tristesse permanente »
resse d’Édouard, s’opposant au sérieux de façade de de la femme résignée ; or, les masques d’Édouard
la société et à sa violence meurtrière, éprouvée dans sont ceux qu’il oppose à ceux du monde, masques
son corps. de plus en plus flamboyants car il prend le dessus sur
2. Édouard est allongé, en train de se faire vernir les ce monde hypocrite. Elle non plus n’est pas sensible à
ongles par Louise : il est dans la posture de l’oisif, « l’affaire » (l. 3) ; grâce à sa jeunesse, seul l’intéresse
par opposition à Albert « l’industrieux » ; encore une « le délire » (l. 5).
fois, sa classe sociale transparaît dans son compor-
tement. Ce vécu, détaché de soucis matériels, n’est PAGE 107
pas matière à charge dans l’économie du roman : il
sert à dresser le portrait d’un personnage finalement
hors monde, qui tourne le dos aux valeurs matérielles.
La posture qu’il adopte dans cet extrait rappelle son
∞ Le visage d’un ami
1. « Il rit et pleure en même temps » (l. 15) : cette
goût du travestissement mais aussi de manière plus réaction contrastée est suscitée par le souvenir de
appuyée, son homosexualité. Encore une fois sa créa- sa propre mort (au chapitre 1), mais aussi de sa
tivité est son arme. résurrection en quelque sorte. La violence de cette
3. Le terme « prestidigitateur » (l. 18), qui évoque le rencontre inattendue fait jaillir en lui des sentiments
tour de passe-passe qu’il projette de faire pour son sans qu’il puisse les contrôler. Ces émotions (« il est
arnaque, réfère au monde du spectacle. On comprend ému aux larmes », l. 13) contrastées permettent de
que la vie est pour Édouard une scène et que l’exis- comprendre le choc que sont pour lui ces retrouvailles.
tence permet de jouer un rôle. Le fait qu’il soit masqué Liée à la fois à sa propre mort mais aussi à sa résur-
en est un indice. L’essentiel est d’en avoir conscience rection, la tête de cheval favorise cette réaction
et de n’être pas dupe, comme peut l’être le spectateur contrastée.
d’un tour de magie. 2. Cet extrait montre la puissance de la création,
qui agit sur nos ressorts les moins conscients, nous
› Une jeune fille

en fleur
1. Le « on » a deux valeurs :
les révèle, fait surgir nos émotions (le lexique est
abondant : « stupéfié », « défaillir », « bouleversé »,
« hallucinante », « ému », « pleure »), nous renvoie à
– dans le premier paragraphe, il est comme un nous-mêmes (Albert est figé devant la tête de cheval
« nous » un peu flou, dans le discours indirect libre comme devant un miroir, « il est saisi, stupéfié », l. 1).
de Louise. Il comprend un « je » encore indéfini (la L’art est aussi pour Édouard le moyen de donner sens
« chrysalide ») et le « ils » de deux personnages qui lui à ce qu’il a vécu avec Albert, d’une incroyable vio-
échappent un peu (« ne comprenait rien à ce qui se lence, et de communiquer avec Albert. Le passage par
passait »). Il relève d’une communauté assez onirique l’art est aussi un passage par l’image : image ici d’une
en somme, jubilatoire, et éphémère ; animalité, non pas cruelle mais victime, de l’inhuma-
– dans le second paragraphe, le « on » est plus nette- nité des hommes. Art presque primitif, avec sa tête
ment indéfini, relevant davantage de la narration : le d’animal, de papier mâché, et autres matières non
narrateur en effet prend le relais d’Albert, dont il lui nobles, régressives finalement (« peluche marron très
importe peu à ce moment-là d’entrer dans l’intério- douce au toucher », l. 7-8 ; « comme s’il retrouvait
rité, et il se place à mi-chemin entre le point de vue un ami d’enfance, un frère », l. 13), avec lequel l’ar-
interne et le point de vue externe, pour donner à voir tiste d’abord fait corps (l. 11-12), puis le spectateur,
au lecteur la grâce atemporelle d’une jeune fille en ici, Albert, qui métamorphose le bouche-à-bouche
fleur. nauséeux du début en un baiser de « frères » (l. 13,

puis 17). Ici, l’art fait « tomber les masques » (l. 12), la guerre, mais aussi – surtout – à cause de l’oubli,
Édouard et Albert sont hors monde (symbolique de la de la négligence dont elle fait preuve à l’égard de ses
porte, puis de l’agenouillement, de l’extase finalement « gueules-cassées », d’abord chair à canon, puis lais-
d’Albert, en pleine révélation) ; et en même temps, sés-pour-compte. C’est donc comme si les person-
cela passe par une production parfaitement réaliste : nages étaient morts symboliquement : Édouard veut
l’art, ici, a permis de retrouver dans le monde réel ce se suicider, Albert devient un « homme-sandwich »,
qui n’existait plus qu’en soi. tous deux renoncent à se faire reconnaître, même
3. Albert comprend la fraternité qui l’unit à Édouard. – surtout – de leurs familles. Mais ils connaissent
D’abord, par la force du don : la minutie réaliste tous deux, grâce à leur amitié, grâce à Louise et peu
d’Édouard est un véritable don, car il a pris du temps à peu à d’autres figures jeunes et féminines (hors de la
pour confectionner ce cadeau. Or, cette minutie guerre bien sûr) comme Pauline, et même Madeleine,
s’oppose à la créativité habituelle d’Édouard, qui soit une lente renaissance, vers la joie, la créativité, et la
déforme le réel par la caricature, soit le transfigure, le révolte. Il s’agit d’une révolte semblable à celle théo-
métamorphose par la fantaisie. Ensuite, par la symbo- risée par Camus, celle de l’homme qui au moins se
lique de cette tête de cheval : « Albert n’avait jamais tient debout après avoir constaté l’absurde, qui ne
fait le rapprochement entre Édouard et le cheval » fait pas semblant et ne rampe pas. C’est d’ailleurs
(l. 12). Édouard et le cheval ont tous les deux sauvé debout qu’Édouard a reçu l’obus. Albert lui a été
Albert de la mort. À ce moment du récit, le cadeau atteint rampant, et il mettra une bonne partie du
d’Édouard permet à Albert de comprendre le lien qui roman à se lever, souvent mis à terre (c’est la bas-
les unit encore. tonnade par l’homme qu’il a volé qui le forcera finale-
4. Grammaire ment à retrouver Édouard, et à réagir). Mais la révolte
Le présent est un présent de narration, qui actualise, est fondée sur une arnaque, qui n’arnaque pas que
rend vivante et vibrante la scène. Il renforce le passage les arnaqueurs mais aussi les honnêtes gens et leurs
au point de vue interne : on découvre tout avec Albert, anciens camarades de tranchées. Les deux person-
en même temps qu’Albert. C’est un moment aussi nages en ont conscience, et cette ambiguïté donne sa
atemporel, qui échappe au récit, en quelque sorte à valeur au roman. Le film et la BD donnent la même fin,
la chronologie. différente du roman ; le roman s’achève sur la critique
de l’auteur sur son propre texte (il s’excuse quant à la
HISTOIRE DES ARTS
fin choisie, en la considérant comme sans doute trop
romanesque…) C’est une fin difficile à écrire, car ces
Johann Heinrich Füssli, Le Cauchemar, 1790 destinées brisées, on a conscience de leur souhaiter
Le contraste du tableau entre le blanc et les cou- une victoire impossible. Édouard mourra comme un
leurs foncées est d’abord remarquable, et paradoxal, ange, dans un choc et un envol, tué par son père, mais
comme un négatif de photo. Les diagonales de part et dans l’ultime rendez-vous vers lequel tout tendait,
d’autre de la tête de cheval forment un triangle, ce qui puisque son projet de vengeance est en grande partie
produit un cadrage a priori classique (centré, tête de influencé par le désir de provoquer une fois de plus son
trois quarts), mais en réalité original et déséquilibré : père. Albert, le démuni, trouvera le bonheur. Est-ce
la tête seule, au cou fondu dans le fond sombre, paraît que la société était prête à accueillir l’un, mais pas
surgir, et cela est renforcé par le mouvement vers le l’autre ? Est-ce parce qu’Albert était de ce monde
haut de la crinière. Avec ses yeux blancs, exorbités, malgré tout, terrestre (enterré), tandis qu’Édouard
morts et pourtant démesurément ouverts, les aplats est d’un autre monde (l’artiste, l’homme défiant le
exagérés de blanc, la tête est fantomatique, semble ciel et subissant sa colère, comme un Prométhée,
surgir d’un au-delà infernal (le fond est couleur terre). apportant le feu aux hommes, à Albert en tout cas,
mais condamné au supplice) ?
PAGE 108
PISTE DE LECTURE 1 1. Au revoir là-haut est un roman assez noir qui
Surmonter les drames de l’existence dénonce ce que Hobbes appelait « la guerre de
Les deux personnages connaissent la mort et la renais- tous contre tous » : un monde violent où les forts
sance : la mort, ils la doivent à la société, à cause de triomphent et exploitent les faibles.

Le roman tient à la fois d’une forme de picaresque, révèlent leur véritable puissance, en même temps
suivant les péripéties de deux jeunes gens laissés- qu’ils dévoilent les faiblesses des « forts ».
pour-compte dans un monde dur qui les ignore, – Opiniâtreté d’un Merlin, longtemps mis au placard
jusqu’à trouver une place ou une forme de revanche, et révélant une insoupçonnable supériorité en résis-
et du roman réaliste et historique, décrivant les dif- tant à la corruption ; son classeur de billets trouvera
ficultés de soldats d’après-guerre, s’appuyant sur un écho puissant avec le masque tête de lion en billets
des faits divers d’époque (pour l’arnaque de Pradelle d’Édouard et enfin les billets jetés au Lutetia. L’argent,
notamment). Cependant, il ne se cantonne pas à ces force entre toutes, se voit dévalué par des âmes qui
genres, un peu surannés, et se métamorphose assez le méprisent.
rapidement, grâce au ton donné par le narrateur – Pradelle est anéanti, utilisé jusque par Madeleine.
notamment, en un pamphlet politique et sociétal : A contrario, Albert et Pauline, sous-catégories sociales,
superposition des époques, critique d’un ordre soi- connaissent l’amour et le bonheur.
disant moral et vertueux, défense des déclassés que – Péricourt, qui est de prime abord un personnage
sont Albert et Édouard. caricatural (à l’instar de Labourdin et Pradelle qui
Le roman expose un climat (de la guerre, de la rue représentent les parvenus, les riches, les décideurs),
aussi, puisqu’Albert y est battu) et d’exploitation, de trouve une forme de rédemption dans les larmes :
quant-à-soi (depuis les médecins qui interdisent de il finit par dévoiler une humanité qui donne accès à
soulager la douleur jusqu’aux fonctionnaires vicieux, une sensibilité au-delà des conventions matérielles.
en passant par les opportunistes cyniques et les enri- Il aura le droit de revoir son fils, dont le visage est
chis installés). devenu sa quête (par la petite signature des dessins,
Lemaitre met en scène également une opposition par le masque réaliste qu’il porte quand il meurt ren-
entre les pauvres et les riches, mais pas seulement, versé sur sa voiture). Péricourt d’ailleurs, connaît lui
car en fait, ce sont bien d’autres camps qui se des- aussi une forme de mort et de renaissance avec son
sinent, autorisant une porosité entre les classes infarctus, qui lui révèle ses sentiments tapis, et dès
sociales : Madeleine et Péricourt se retournent contre lors, négligera toute affaire, obsédé par la mémoire
Pradelle par exemple, mais Péricourt est le premier à de son fils, enfin reconnu. C’est bien une maladie du
avoir abandonné Édouard à cause de ses préjugés, et cœur, symbolique, qui lui permettra de renaître dans
une quête positive de sa paternité perdue.
parce qu’il était pour Édouard marqué par l’argent et
le profit. C’est la violence, l’exploitation, l’argent en PISTE DE LECTURE 2
tant que valeur, avec ce qu’il a dès lors de destructeur,
Familles et amis
qui sont les puissances sombres de ce roman, à travers
les figures de Pradelle, un moment, pour Édouard, de a. L’amitié entre Édouard et Albert est d’abord impro-
Péricourt, de Labourdin, que la médiocrité rend encore bable, car ils sont séparés socialement et tellement
plus perméable aux bas instincts (on notera plusieurs différents : tout les oppose, jusqu’à la culpabilité
séquences de harcèlement sexuel à l’encontre de sa d’Albert devant le visage arraché d’Édouard, pour lui
secrétaire, qui ne peut réagir à cette époque où les avoir sauvé la vie. Leur amitié est d’abord celle de
femmes, et a fortiori celles de conditions inférieures deux naufragés qui se tiennent pour ne pas couler ;
étaient réduites à l’état d’objet ; Pauline est sous cette elle devient celle de deux oubliés de la société : chacun
même menace). ménage à l’autre un incognito, Albert tuant symboli-
quement Édouard par le changement d’identité, mais
2. Cependant, Au revoir là-haut est aussi le roman par la même occasion, le rebaptisant ; Édouard pous-
d’une révolte jubilatoire des faibles sur les forts. sant Albert à des manœuvres souterraines à des fins
On reprendra les éléments des réponses page 105 de révolte. C’est ainsi que leur amitié dérive vers une
(question 2), mais aussi on fera appel aux destins véritable fraternité : Albert intègre la maison Péricourt
heureux des personnages comme Pauline ou Albert. que fuit Édouard, et c’est grâce à lui peu à peu que
On pourra également mentionner la déchéance et Péricourt retrouve la trace de son fils. Albert enfin a
l’échec des personnages odieux que sont Pradelle tendance à endosser le rôle du père pour Édouard, par
(dont Merlin se venge) ou Labourdin. ses multiples soins, parce qu’il appartient au monde
3. La force finit par basculer, non par un triomphe du travail tandis qu’Édouard est associé à Louise et
irréaliste des faibles, mais en ce que les faibles leurs créations ; mais cet écueil est évité par le retour

du père, par le biais d’Albert (la lettre, la visite puis la e. Au départ, la famille est vue comme une cellule
filature). Enfin, on peut s’interroger sur une dimen- reflétant la mainmise sociale sur l’individu : scléro-
sion sexuelle de leur amitié : Édouard est homosexuel, sante du côté d’Albert, souveraine du côté d’Édouard,
et plusieurs fois le narrateur mentionne des élans abrutissante du côté de Louise. De manière plus
proches du baiser (extraits 2 et 5 par ex.) ; Albert n’est voyante que nulle part, l’individu est sous emprise.
pas homosexuel, mais sa sexualité est quelque peu Mais le roman fait voler en éclat toute fatalité d’ata-
régressive (refoulée par l’image idéalisée de sa fiancée visme. Loin de tout naturaliste, il s’ingénie à montrer
en fait inexistante, par l’image inhibitrice de la mère, les failles de cette cellule, failles salutaires : en effet, la
défoulée par des liaisons rapides et peu exaltantes), famille est une micro-cellule, dans laquelle coexistent
jusqu’à sa relation avec Pauline. Les baisers fantasmés des individus, et c’est cette force de l’individu qui
relèvent finalement moins d’un désir purement sexuel redonne son humanité à cette petite société, qui va
que d’un besoin de fusion et de jubilation de la rela- ainsi pouvoir échapper aux repères imposés par la
tion. Du point de vue d’Édouard, il semble que cette société et trouver son identité.
dimension soit morte, ou alors sa douleur est tue. Albert va se réinventer une famille, n’ayant plus de
b. c. et d. Les mariages ponctuent le récit, introduisant moyen de renouer avec la sienne : ce sera d’abord la
différents couples : matrice de la terre et de la tête de cheval, échappée
– celui, lointain, des parents, aussi bien d’Albert que régressive vers un nouveau ventre maternel, qui don-
d’Édouard. Ces deux couples jouent sur les contrastes, neront lieu effectivement à une renaissance. Associé à
caricaturaux pour ceux d’Albert, entre son père inexis- cette renaissance, Édouard devient avec Louise la vraie
tant ou presque et sa mère oppressante ; stendhaliens famille d’Albert, quoique temporaire, avant qu’Albert
pour Édouard, entre le père conventionnel rivé à ses ne s’émancipe en partant avec Pauline (le chapitre
affaires, incapable a priori d’amour, et la mère solaire, s’achève sur son départ commenté par sa mère – « il
morte, idéalisée, retrouvée dans la sœur ; est comme ça » –, paroles qui sonnent dans le vide,
– celui, avorté, d’Albert et Cécile, montrant l’extrême car Albert est bel et bien parti et ne l’entend plus).
isolement du retour des « héros » de guerre ; Quant à Édouard, il a renoué avec sa famille, qu’il n’a
– celui, raté, puis détourné, de Madeleine avec cessé en fait de chercher. Le roman se construit à cet
Pradelle : ironie tragique d’abord, il se transforme heu- égard presque comme un roman policier (Lemaître
reusement en ironie comique et acerbe. Madeleine en a d’abord écrit), se resserrant progressivement
n’est pas la proie de Pradelle et son mariage, contre autour de la figure du père et du fils. Péricourt ne
toute attente, parce qu’il est raté, l’émancipe complè- trouve son humanité qu’une fois qu’il réalise la perte
tement. D’abord apparemment mariage d’amour, il de son fils. La famille est ici le lieu des tensions, de
se révèle tout de suite du côté de Pradelle un mariage la construction, des rejets ; elle est soutenue par les
d’intérêt : il continue d’incarner le parvenu oppor- figures féminines, Madeleine notamment. À croire
tuniste et hypocrite. La surprise vient du côté de que cette dernière n’a épousé Pradelle, qui évoque
Madeleine, qui n’en est pas la dupe et dit l’avoir choisi Javert (voir extrait p. 111), ombre sans cesse mena-
comme on choisirait un étalon, pour réaliser son désir çante sur la destinée d’Édouard et Albert, que pour
de maternité : c’est finalement elle qui l’instrumen- retrouver son frère (ce qui est vrai au début lorsqu’elle
talise le plus, prenant une revanche morale et sociale cherche sa tombe), et le faire retrouver à son père.
(féministe : Pradelle est par ailleurs décrit comme un Édouard a une sœur ; Albert non, et fera d’Édouard
homme séduisant les femmes sans égards). D’abord une sorte de substitut fraternel : c’est sans doute
représentatif de l’hypocrisie des conventions sociales,
plus la fraternité qui permet de sortir de la violence,
ce couple va faire éclater ces schémas, dans l’esprit
relation horizontale, idéal républicain, que la pater-
de révolte et de résilience du roman ;
nité, associée à la patrie, relation verticale, d’autorité,
– celui, heureux, d’Albert et Pauline, qui éloigne pour
introduisant la révolte et l’insoumission. Cependant,
de bon Lemaître de ses modèles plus pessimistes, et
Péricourt tue son fils : la famille est le lieu paradoxal
en fait peut-être un romancier non plus de la pre-
de la rédemption et de la violence.
mière moitié du xxe siècle (évoquant Louis Guillou ou,
héritage non revendiqué, Céline), mais de la première VERS LA DISSERTATION
moitié du xxie, plus confiant en la résilience sinon de Le paragraphe de l’élève peut confirmer ou contester
la société, tout au moins de l’individu. ce rapport d’intérêt et d’amour-propre qui, appliqué

à la famille, peut entrer en jeu dans une « amitié », à presque rien. Il évolue toutefois au fil du roman :
une « société ». On pourra lui préciser que « société » quand il se rend compte de la mort de son fils, et
dérive du latin societatem›socius, « l’allié ». La société pleure, l’argent perd toute valeur en lui-même, il le
est donc une « association », et donc sous-tend bien dilapide inconsciemment pour son obsession, qui est
une relation d’intérêts. l’arnaque même de son fils ;
On pourra développer les arguments suivants : – Albert appartient à la catégorie des laborieux
– la famille est le lieu par excellence où les uns (les et des pragmatiques. En petites gens, il est fasciné
parents pour commencer) projettent leurs attentes, par l’argent en même temps que détaché (il pour-
leur image réelle ou fantasmée, sur les autres (les rait être mesquin et avare, mais ce n’est pas le cas).
enfants, subordonnés). Édouard essaie d’échapper à L’extrait 2 page 102 montre que l’argent est une
cette pression paternelle en étant tout l’inverse de ce valeur, non pas en soi, mais parce qu’il est difficile à
que son père est et projette sur lui, tandis qu’Albert trouver, et qu’en avoir est finalement une question
s’entend toujours dire qu’il n’est pas conforme aux de vie ou de mort. L’argent sert de façon concrète,
attentes de sa mère et bien décevant ; immédiate, alors que la richesse est parfaitement abs-
– la famille est le lieu où vont s’exprimer fortement traite. Le métier de comptable d’Albert lui permet d’en
les individualités, créant un conflit régulateur : c’est connaître les dangers et les enjeux.
in fine ce qui advient entre Édouard et Péricourt ; – Merlin et Édouard sont réunis par leurs collages de
– la famille peut être le seul lieu social où l’on peut billets. Merlin est un laborieux comme Albert, mais il
partager, faire l’expérience de l’altérité dans le respect n’est pas esclave : il est une sorte de justicier idéaliste
et l’amour. C’est par exemple la « famille » recons- héroï-comique, un Don Quichotte de l’administration.
tituée que forment Albert, Édouard et Louise ; ou Édouard est aérien et fait voler les billets qu’il peut
encore celle que se proposent de fonder Albert et répandre sur le sol comme de vulgaires papiers : il n’a
Pauline ; c’est aussi Madeleine qui désire un enfant aucun contact avec l’argent, en ayant eu sans avoir à
pour elle, mais qui ne parvient pas à aimer son mari ; le gagner ; c’est un aristocrate, évoquant Fabrice del
c’est encore ce qu’Édouard attendait de la sienne, et Dongo (La Chartreuse de Parme, Stendhal, 1839) ou
qu’il avait grâce à l’amour de sa sœur et de sa mère Angelo Pardi (Angelo, Jean Giono, 1953). Il incarne
morte trop tôt, à l’exception du père (trop asservi à le désintérêt total, rappelle la figure du dandy, qui
la société). n’aspire qu’à la beauté (voir le final au Lutetia, et
notamment dans le film, avec le masque somptueux
PISTE DE LECTURE 3
d’oiseau), celle de l’art, puis quand la beauté lui est
Riches et pauvres, un roman de l’argent arrachée dans sa chair, celle de son impertinence (si
a. Pradelle, Péricourt, Albert (comptable), Merlin, l’on admet que la révolte puisse aussi être un geste
Édouard entrent tôt ou tard en contact avec l’argent. esthétique) : c’est bien la valeur de l’argent, l’argent
Ainsi, les hommes sont associés au negotium, tandis en tant que valeur, qu’il va bafouer avec son arnaque.
que les femmes n’en font pas une valeur : Madeleine b. L’argent donne du pouvoir : celui de Pradelle sur ses
l’utilise à ses fins (attirer Pradelle pour avoir un acolytes, celui de Péricourt sur Labourdin. Il asservit,
enfant), Pauline le regrette parce qu’elle reste rivée à aussi bien ceux qui subissent ce pouvoir que ceux qui
sa condition difficile, et le considère joyeusement une l’exercent – c’est en tout cas ainsi qu’Édouard voit son
fois l’arnaque digérée. Chez les hommes, le rapport à père. Il creuse les inégalités sociales, entre Albert et
l’argent est plus central : Madeleine par exemple, mais crée aussi de l’incom-
– il y a ceux pour qui l’argent est une valeur, voire préhension entre Albert et Édouard. Il peut séparer
la valeur surpassant toutes les autres : Pradelle et les êtres : Albert est motivé à partir du moment où
Labourdin entrent dans cette catégorie, celle des par- il tombe amoureux de Pauline, conscient que, sans
venus et opportunistes. Labourdin accepte toutes les argent, quoiqu’elle soit domestique et parce qu’elle
humiliations pour lui, Pradelle toutes les exactions, l’est, il ne pourra décemment lui demander de
sur les vivants comme sur les morts ; l’épouser : les démunis sont ainsi privés de l’accès au
– Péricourt fait d’abord partie de ces gens-là, ce qui bonheur et condamnés à vivre asservis. Mais on peut
provoque le rejet de son fils. Il est alors aveuglé par se révolter : Merlin refuse la corruption ; Albert déci-
cette valeur et le prestige social qu’elle lui confère. Sa dera finalement de voler les voleurs (par l’arnaque,
maison est démesurée au regard de sa famille, réduite mais plus précisément dans ses choix à la banque).

c. Dans le roman, la guerre et l’argent favorisent les 1. L’argent : un adjuvant du destin
comportements cyniques. Cynisme des promotions, – L’argent libère (comme le dit La Rochefoucauld),
cynisme de l’enrichissement de Pradelle, sur des on le voit avec Albert et Pauline, mais aussi dans la
cadavres, lâcheté d’une administration sinon cor- figure « aristocratique » d’Édouard : pourvu d’argent, il
rompue, en tout cas compromise ; on peut penser a acquis une liberté qui le rend indifférent aux enjeux
au cynisme du commerce d’armes, au cynisme des matérialistes.
dirigeants qui y trouvent leur profit (voir le jeu de – L’argent rend puissant : Péricourt, Pradelle ; mais
massacre au Lutetia, dans le roman ou dans le film). aussi Merlin en le refusant.
La guerre est liée à des intérêts économiques natio- 2. La puissance dévastatrice de l’argent : de
naux et personnels. Mais il s’agit aussi du cynisme de l’inégalité entre les hommes à l’égoïsme des
l’arnaque des monuments aux morts : mais où est individus
l’arnaque ? L’arnaque d’Édouard dénonce une autre – L’argent enchaîne, voir a. et b.
escroquerie plus insidieuse : celle qui fait son profit – L’argent est le moteur de « la guerre de tous contre
du devoir de mémoire, avec des images galvaudées, tous » : Pradelle en est la meilleure figure.
qui font la propagande de valeurs patriotiques, pour
quoi... ? Relancer une nouvelle guerre et à nouveau PAGE 109
les mêmes commerces ?
d. Voir réponse à la question a. Dossier personnel
e. Le roman peut sembler caricatural par moment – et ACTIVITÉ 1. Produire une critique de film
manie la caricature, divisant grossièrement la société Quelques pistes de développement :
entre les bourgeois pourris et les démunis. Cependant, – Le film rend compte dans sa première partie du
le texte est plus subtil que cela : réalisme et du côté « historique » du roman, avec ses
– Albert est un anti-héros, victime de l’étouffement scènes impressionnantes de guerre. Ensuite, il oscille
familial d’abord, puis sociétal. Avec Pauline, il forme comme le roman entre comédie et drame.
le couple des « petites gens » ; – Les moments forts du roman sont repris, avec des
– Édouard est un fils de riche, et se révolte, contraire- libertés inévitables pour rendre le film plus « visuel » :
ment à Albert, « l’homme sandwich ». Il est l’artiste, et il renforce par exemple le rôle de Louise, qui traduit
ses origines lui permettent de tenir pour rien l’argent les paroles d’Édouard.
en tant que tel : c’est pourquoi il est « l’ange » (il sauve – Mise en valeur du ton pamphlétaire quand, au
Albert, il meurt comparé à un ange), constamment Lutetia, sont « mis à mort » les masques de Joffre et
mis à part en dépit de ses talents d’amuseur. Le rire autres maréchaux.
d’Édouard est un motif récurrent de l’œuvre et est – Le choix de la scène finale : un parti pris fort à com-
salvateur, en même temps que révolutionnaire ; menter puisque la fin du film diffère sensiblement
– Labourdin et Pradelle représentent les parvenus, de celle du livre. La mort de Pradelle permet à Albert
les riches, les décideurs, tout comme M. Péricourt ; d’obtenir sa « grâce », et il adopte Louise.
mais celui-ci trouve une forme de rédemption dans
ACTIVITÉ 2. Diriger un acteur
les larmes : est humain celui qui donne accès à une
Il s’agit non pas d’inventer un autre jeu, mais bien de
sensibilité qui dépasse les conventions matérielles ;
prendre conscience de la manière dont le réalisateur
Le roman se métamorphose assez rapidement, grâce
et les acteurs ont choisi d’interpréter les personnages.
au ton donné par le narrateur notamment, en un pam-
On pourra retenir les personnages suivants :
phlet politique et sociétal : superposition des époques,
– Édouard. Le dialogue pourra porter sur sa démarche,
critique d’un ordre soi-disant moral et vertueux,
et sa légèreté de danseur, qui suggère son caractère
défense des déclassés que sont Albert et Édouard. En
aérien ; sur ses yeux, auxquels son visage est réduit,
faisant de ses héros des personnages provenant de
qui doivent être d’autant plus mobiles et expressifs ;
deux mondes très différents, Lemaitre propose un
– Madeleine. Le dialogue pourra évoquer son attitude,
roman qui témoigne d’une lutte des classes.
réservée comme celle d’une femme qui n’est pas
VERS LA DISSERTATION consciente de sa séduction ou en a fait le deuil, mais
Les deux paragraphes demandés pourront être les aussi altière, sûre d’elle, presque dure (comme son
suivants : maquillage, qui la vieillit et la durcit). Elle n’arrive plus

à faire apparaître la petite fille complice des farces de – leur escroquerie relève d’un cynisme dont les
son frère ; ses sourires sont forcés. familles des disparus sont les premières victimes ;
ACTIVITÉ 3. S’initier au pastiche – les exactions des uns n’excusent pas le crime des
Quelques pistes de développement : autres.
– écrire un pastiche suppose d’être attentif à l’univers
du texte mais surtout à la façon dont l’auteur écrit, PAGE 111
c’est-à-dire à son style. Pierre Lemaître oscille entre
une écriture saccadée, un peu brève, dans les parties
parlées justement, et les phrases longues, à la ponc- PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS
tuation presque incorrecte, pour rendre compte de
l’afflux de pensées des personnages. Exploitez l’énon- Les adaptations
ciation choisie par le romancier, les temps du récit,
le niveau de langue, etc., afin de produire un texte
d’Au revoir là-haut
dont la tonalité sera la plus proche possible de celle 3. Observez la composition de l’image
du modèle ; 1. Le spectateur voit trois plans : au premier plan,
– on peut imaginer des discours directs, adressés aux l’officier de dos ; au second plan, Pradelle et Albert ; à
personnes concernées, ou bien retranscrits de manière l’arrière-plan, la foule.
indirecte, soit en prenant le parti que ces discours
2. et 3. Dominent les tons passés des vétérans, bleu
seraient imaginés par les personnages plutôt que réel-
et sable de l’officier ; tranche le rouge de la casquette
lement dits (soit en anticipation, soit en fantasme),
de Pradelle, qui fait ressortir celui d’une de ses décora-
soit pour retranscrire la difficulté de ces discours, qui
tions ; l’équilibre visuel est apporté par une autre tache
obligent le personnage à sortir de son silence : en
de rouge, celle d’un turban de zouave dans le fond à
effet, les longues répliques en style direct sont rares
gauche. Le plan est soigné à la manière d’un tableau,
chez Lemaître, le discours a du mal à se construire, ses
et ce jeu de couleur lui donne tout le dynamisme
héros étant en partie les héritiers de l’homo absurdus,
qui manquait d’abord à la foule uniforme, soulignant,
remettant en cause une cohésion possible et défini-
tive du logos (ex. p. 410). On a surtout des dialogues avec la ligne horizontale que trace le bras tendu de
pour le discours direct. Pradelle, la tension qui règne entre Albert et lui.
4. Le roman suggère un rapport plus vertical : Pradelle
ACTIVITÉ 4. Argumenter à l’oral s’adresse au gendarme, Albert est à côté et ne peut
Quelques pistes de développement :
que subir, silencieux, quand son regard, sur l’image,
Pour rédiger un plaidoyer et défendre le geste de
suggère tout de même une réaction. De même, les
révolte d’Albert et Édouard :
vétérans autour regardent Pradelle, l’entourent,
– on insistera sur la défense des oubliés de la société
semblent faire corps autour d’Albert, tandis qu’ils sont
en dépit de leur sacrifice, conditions de vie misérables
pétrifiés dans le roman. Pradelle apparaît davantage
et le déclassement. Leur projet est une façon de faire
comme un cynique (ce qu’il est dans le film et dans le
valoir les droits des soldats bafoués ;
roman), un personnage plus commun finalement dans
– l’escroquerie correspond à une juste révolte qui
le film, que les vétérans semblent reconnaître comme
nous rappelle à nos devoirs et à la réévaluation de
personnage type (certains ont une forme de velléité
nos valeurs : la patrie, la mémoire, au-delà de simples
dans le regard) ; tandis que, dans le livre, il entre pro-
monuments de pierre ?
gressivement dans la mythologie, comparé à Javert
– leur geste permet de désigner les profiteurs de
puis à un juge des Enfers : il prend une dimension
guerre : quelle est la véritable arnaque ?
fantastique occultée par le film, par ce geste, courant
Pour établir un réquisitoire, on pourra s’aider des
et cynique, de la main sur l’épaule.
points suivants :
– Albert et Édouard sont des hommes déclassés qui TICE
se sont exclus eux-mêmes de la société, refusant Si on observe l’image en haut de la page, on remarque
jusqu’au refuge de leur propre famille, reniée, mystique ce plan est coupé en trois bandes verticales équi-
fiée même par la première duperie d’Édouard : voler valentes, trois tiers. Albert se tient au premier tiers
l’identité d’un mort, d’une pupille de la nation qui et Pradelle au second. Le cadrage équilibré est rassu-
plus est ! rant et harmonieux, retranscrivant la paix (re)trouvée.

Globalement, même si la règle des tiers connaît évi- père (Péricourt devra vivre avec le sentiment qu’il a
demment de nombreuses exceptions, ici, le sujet tué son fils), mais aussi comme l’ultime rencontre,
principal du plan se retrouve dans la zone centrale, la seule valable, le père réalisant le désir de son fils.
qui souligne toute l’hypocrisie de ce monde militaire : Enfin, la mort d’Édouard dans le film contraste avec
ce geste de la main sur l’épaule semble être un signe celle du livre à cause du masque. Dans le livre, Édouard
de fraternité et de réconfort alors qu’au contraire, on porte son masque d’homme ordinaire, et traverse une
peut et l’on doit l’interpréter comme une manu mili- assemblée risible, avant son dernier face-à-face avec
tari, une mainmise de Pradelle sur Albert, une pression son père : tout au long du roman, alors qu’il est le
d’autant plus violente qu’elle est ironique. seul sincère (voir ses caricatures, enfant), il porte un
1. Dans le film, Pradelle tombe dans une fosse de masque ; quand il meurt, c’est pour enfin échapper à
chantier et meurt enterré sans qu’Albert parvienne une société étriquée, superficielle : elle s’arrête à la
à le sauver ; le film joue sur une forme d’ironie tra- surface, porte elle-même des masques, des masques
gique, Pradelle subissant le sort d’Albert au début de de fausse vertu et de convenances ; cette fois, il porte
l’œuvre, sans en réchapper, sans « résurrection » (donc son masque « d’homme normal », un masque marqué
sans rédemption), et d’une certaine manière, subis- par le lexique de la mort (« comme un masque mor-
sant le sort des cadavres de son entreprise funéraire. tuaire », p. 606). Dans le film, son masque est fabu-
Dans le livre, Pradelle ne meurt pas tué involontai- leux, parachevé, et lui sert réellement à se dissimuler :
rement par Albert. Il se fait arrêter par des agents la scène sera aussi une scène de reconnaissance, à
prévenus par Péricourt, subit « le retentissant procès » laquelle succède immédiatement le suicide-envol
d’Édouard. Elle sublime le personnage, lui invente une
des « mercantis de la mort » (p. 614) auquel assiste
majesté d’oiseau fabuleux (moins phénix qu’oiseau
Merlin, et il meurt en 1961, seul chez lui : son fils
de feu pourchassé et convoité), mais finalement ne
découvre son cadavre deux semaines après, lors de sa
lui rend pas son identité : Édouard est définitivement
visite annuelle. Pour le lecteur, cette fin peut sembler
autre, inadapté aux compromis d’une société dont il
plus juste ; celle du film est symboliquement un peu
a fini de se venger et se moquer.
voyante, et surtout, elle repose sur une forme de res-
ponsabilité malgré tout d’Albert ; elle permet aussi de 2. Le film est plus optimiste que le roman, car il donne
finir de lier ces deux destins. Dans tous les cas, Pradelle des repères plus nets, et donc plus rassurants, au spec-
subit un « juste » retour des choses, cathartique. tateur, choisissant de se fermer sur l’évasion heureuse
On peut aussi discuter de la mort d’Édouard, d’Albert. Il invente aussi une connivence entre Albert
commune au film et à la bande dessinée : Édouard et l’officier de police, dont le jeune garçon tué au
métamorphosé en oiseau fabuleux, qui se donne la début par Pradelle serait le fils : victoire des victimes
mort après avoir retrouvé son père. Cette fin expli- sur les oppresseurs. Il se termine sur un plan aux cou-
cite ce qui restait flou dans le roman, ouvert sur un leurs chaudes, au Maroc. La fin du livre fait davantage
accident ou un suicide ; la fin du roman, l’auteur le état de la solitude dans laquelle se retrouve chacun
relève d’ailleurs dans l’épilogue, assume (s’en amuse, des personnages, traçant rapidement leurs destinées.
voir p. 611) l’artifice complet dont dispose un auteur Albert arrive « au cœur de ce Grand Liban si promet-
de provoquer les événements. À cet égard, on peut teur » dont le lecteur connaît la destinée tragique, liée
penser que la fin du film est plus crédible. Le maître elle aussi à la guerre. Péricourt abandonne peu à peu
mot est donné à la page 611 du roman : il s’agit ses affaires et se replie sur lui-même encore davan-
d’une tragédie, dont le final cinématographique rend tage. Merlin termine sa carrière dans un cimetière, et
compte du souffle ; dans le roman, le narrateur ne c’est la fin du livre. À son habitude, le narrateur traite
renonce pas à un ton burlesque, et le corps d’Édouard, cette fin avec une certaine désinvolture, conscient
s’il s’envole un moment, est surtout le corps désar- que les destinées humaines sont moins romanesques
ticulé de l’homo absurdus, de l’homme éphémère et qu’aléatoires et en fait tragiques, absurdes. Le film est
anonyme frère d’armes de tous les soldats inconnus à cet égard bien plus optimiste, proposant la renais-
de la guerre. Dans le livre, c’est son père qui finale- sance d’un homme ordinaire, encadré de Pauline et
ment « libère » Édouard, en lui donnant la mort ; cela de Louise, qui dans le roman reste à Paris.
résonne à la fois comme une fatalité, un châtiment, 3. Le film choisit le procédé de l’analepse, de sorte que
du père envers le fils (Péricourt a fait mourir son fils l’histoire est en fait racontée du point de vue d’Albert ;
à lui-même depuis bien longtemps), du fils envers le le film fait l’économie de l’épilogue qui trace grossiè-
rement la destinée des autres personnages, dans une le jalouse-t-il aussi un peu. Dans le monde égoïste
forme de conclusion de réquisitoire contre la société ; du Voyage au bout de la nuit, une telle abnégation
le film s’arrête sur le bonheur trouvé d’Albert. apparaît à Bardamu comme remarquable et enviable.
4. [Voir réponses 1. et 2.] Le réalisateur et les scéna- Alcide est l’une des rares figures positives du roman.
ristes ont à composer une œuvre d’art à part entière ; Son nom, qui rappelle celui d’Hercule (dont il est l’une
dans la logique de la réécriture, ils se réapproprient des formes possibles) est un indice de son caractère
une œuvre. Le passage à un art visuel justifie cette héroïque, de sa valeur, de son courage, de la singula-
nécessaire créativité : l’image étant un autre support, rité de son destin.
il convient d’en exploiter les richesses propres, et de 2. Langue
se dépouiller de tout ce qui incombe davantage à un Alcide s’exprime de façon familière, populaire. Sa
roman (longues narrations par exemple). Il s’agissait syntaxe (« tu crois ? », l. 8) est celle du langage parlé.
enfin de condenser un livre foisonnant de 600 pages Ici, l’absence d’inversion (verbe + sujet) à la diffé-
en un film d’environ 1 h 40 : le réalisateur et le scé- rence des questions du narrateur permet d’opposer
nariste ont des choix à faire. Par exemple, au lieu les deux personnages à partir de leur façon de s’expri-
de multiplier les personnages lorsqu’Albert cherche mer. Cette oralité est d’autant plus évidente qu’elle
et vole de la morphine, ils ont condensé ces divers côtoie le style littéraire qu’emploie parfois le narra-
épisodes et personnages en les limitant aux figures teur : « ce qui m’ennuie, reprit-il, quand nous nous
récurrentes des vétérans, marquant par là l’injustice couchâmes… » (l. 20) La simplicité de son langage,
que leur faisait Albert, de mauvais gré, et montrant son vocabulaire (« l’autre vache », l. 17), le recours
la cruauté résultante de l’exclusion de ces déclassés aux solécismes (« ça lui aide bien », l. 16) font d’Alcide
(voir également les exemples cités pour l’activité 1 un personnage populaire sans réelle instruction : mais
de la page 109). Rappelons enfin que les scénaristes ce sont ces personnages qui ont toujours la faveur
sont Albert Dupontel, le réalisateur, et Pierre Lemaître de Céline.
lui-même, qui avoue ses hésitations d’auteur : le film
3. L’usage récurrent des points de suspension dans les
permet de multiplier les possibilités du roman, plus
paroles d’Alcide peut d’une part marquer sa simplicité,
que de le trahir. Le film se voulant grand public, on
son manque de maîtrise du langage puisqu’il semble
peut estimer qu’il cède à quelques facilités et réussit
avoir du mal à terminer clairement ses phrases. Il ne
moins ce que parvient à faire le roman, « réconcili[er]
parvient pas à faire de grands discours, il n’a pas d’ai-
la littérature populaire et la littérature tout court »
sance avec les mots. D’autre part, ces pauses dans
(Thierry Gandillot, Les Échos, citation reprise en 4e de
son discours témoignent d’une forme de pudeur, de
couverture). Toutefois, les récompenses que le film
retenue. On le sent mal à l’aise avec les sentiments.
reçoit aux césars (meilleurs réalisation, photo, décors,
costumes, adaptation) font écho au prix Goncourt 4. L’image employée par le narrateur, « il tutoyait
décerné à Pierre Lemaître pour le roman en 2013. les anges » (l. 23) permet de transposer le person-
nage d’Alcide sur autre plan. Personnage héroïque à
PAGE 112 sa façon, il relève d’une sphère supérieure. On com-
prend aisément l’éloge qu’en fait Céline. Cependant,
l’expression est également ironique puisqu’il s’agit en
GROUPEMENTS DE TEXTES COMPLÉMENTAIRES même temps d’un personnage dont on a vu qu’il avait
du mal à s’exprimer.
Surmonter les épreuves 5. SYNTHÈSE
de l’existence À travers cet extrait et ce personnage, Céline redéfinit

le héros de roman. Après avoir mis à mal la virilité
⁄ Louis-Ferdinand Céline, du soldat dans la première partie du roman qui se

Voyage au bout de la nuit, 1932 passe à la guerre, il fait d’Alcide un héros parce qu’il
est capable de s’oublier et de faire le sacrifice de son
PARCOURS 1. Compétences de lecture propre destin au profit de celui d’un être fragile, sans
1. ENTRER DANS LE TEXTE véritable espoir d’être payé en retour. L’héroïsme est
Le narrateur éprouve des sentiments complexes. alors celui d’un rapport fraternel à l’autre, rapport
On comprend qu’il admire Alcide mais sans doute qui fait constamment défaut dans l’univers célinien.

Bien loin du héros traditionnel qui se distingue en se concentration) est une forme de monstre qui dévore
mettant en avant, c’est à travers un exploit secret et les détenus, comme le Cyclope engloutit les compa-
tu qu’Alcide accède au statut de héros. gnons d’Ulysse. Cependant, l’histoire d’Ulysse permet
aussi de conserver l’espoir d’une fin heureuse et d’un
PARCOURS 2. Compétences d’écriture
retour au pays natal.
On peut demander à l’élève de respecter le person-
nage tel que Céline nous le propose. Puisqu’il en fait 3. Ce trait, qui semble anodin, est le signe d’un respect
un héros, il faut conserver cette composante essen- que les prisonniers témoignent aux autres détenus
tielle. Cependant, on voit aussi que le personnage est et peut-être à la solennité du moment. Dans l’uni-
tout en retenue, en pudeur, en gêne lorsqu’il s’agit de vers concentrationnaire où le nazisme tente de leur
manifester des sentiments. C’est donc ce côté qu’il ôter leur humanité, cette manifestation de respect
faudra travailler puisqu’il s’agira d’une scène à forte de Gaston, puis de Francis témoigne de la prise en
tonalité sentimentale alors même qu’Alcide est mal compte de l’autre. Ce geste apparaît comme un geste
capable d’exprimer ce qu’il ressent. D’un autre côté, culturel de respect dans ce monde où l’on tente de
le personnage féminin pourra apparaître sous diffé- rabaisser les détenus en deçà de l’animalité.
rentes personnalités, allant de la reconnaissance à 4. Grammaire
l’ingratitude la plus totale. Dans l’extrait, Antelme use de différents types de
paroles rapportées :
– « Dans le fond du block, les conversations conti-
Voir les tableaux page suivante.
nuaient » (l. 17, 18). Le discours narrativisé permet
ŒUVRE INTÉGRALE de créer une ambiance sonore mais, en même temps,
il relègue les paroles à un simple brouhaha duquel le
Dans Au Revoir là-haut, le personnage d’Albert peut lecteur ne distingue rien de précis, comme pour sug-
être rapproché d’Alcide. Comme lui, il accepte de gérer l’insignifiance de ces paroles qui ne témoignent
sacrifier une partie de sa vie à Édouard qui, comme pas de respect à la poésie ;
la nièce d’Alcide, est souffrant et nécessite des soins. – « Gaston […] pour annoncer que les copains… »
Le temps qu’il passe pour lui et avec lui, au détriment (l. 12, 13). L’emploi du discours indirect (verbe de
de sa propre existence, en fait également un héros parole introduisant une subordonnée) manifeste
positif qui, pour cette raison, gagne la sympathie du que cette parole est moins importante que les autres.
lecteur, malgré ses défauts. Il n’est pas nécessaire d’entendre ces mots avec une
grande précision. L’idée générale est suffisante ;
PAGE 113 – les guillemets chez Gaston et l’usage de l’italique
citationnel chez Francis marquent le discours direct.
¤ Robert Antelme,
L’Espèce humaine, 1947
Antelme l’utilise pour ces moments importants où
le récit vient mimer l’attention des détenus qui ne
perdent pas un mot du discours militant et politique
On pourra aussi proposer la lecture du très beau de Gaston et surtout du poème de Du Bellay (devenu
poème d’Yves Bonnefoy, « Une page de Robert ici poète de la résistance !). On remarquera qu’au dis-
Antelme », dans le recueil L’Heure présente (Mercure cours rationnel de Gaston succède un discours sen-
de France, 2011). Ce sonnet évoque à la fois le poème sible plus à même de toucher et de réconforter les
de Du Bellay et ce passage précis du texte de Robert détenus.
Antelme que Bonnefoy interprète de façon subtile et 5. SYNTHÈSE
particulièrement sensible. Un bon exemple d’intertex- Le poème récité est une chose « rare » dans l’univers
tualité qui fonctionne en écho à travers les siècles. concentrationnaire, qui bannit toute forme de culture.
2. Ulysse est un personnage qui a fait l’expérience On se souvient de la formule du nazi Baldur von
de la guerre et de l’éloignement des siens. Comme Schirach, de sinistre mémoire : « quand j’entends le
les détenus, il a pensé qu’il ne les reverrait proba- mot culture, je sors mon revolver. » Alors que tout leur
blement jamais. Comme Ulysse, les déportés ont a été enlevé, il leur reste leur culture et les textes qu’ils
perdu beaucoup de compagnons dans des circons- connaissent par cœur (à la façon des résistants de
tances effroyables. Le Lager (c’est-à-dire le camp de Fahrenheit 451 qui sont des bibliothèques vivantes.)

I. Alcide : un héros de la pudeur
Idée directrice Analyses et

Citations Procédés d’écriture
de la sous-partie interprétations
1.1 La bonté faite homme « Il offrait à Hyperbole Caractère héroïque du

cette petite fille (« refaire un personnage
lointaine […] ne se monde entier »)
voyait pas » (l. 26)
1.2 Le langage simple d’un « ça lui aide bien » Solécisme Simplicité du langage
homme simple (l. 16) d’Alcide pour en
« tu crois ? » (l. 8) Syntaxe construire une image
d’être pur, loin des ruses
du langage.
II. Le narrateur : un personnage intrigué et admiratif
Idée directrice Analyses et

Citations Procédés d’écriture
de la sous-partie interprétations
2.1 Une scène dialoguée Toutes les prises de Discours direct/ Leur conversation ouvre les
parole discours indirect yeux du narrateur
2.2 Un éloge d’Alcide « il tutoyait les Éloge Sentiment d’infériorité du

anges » (l. 23) Image narrateur
III. Voyage au bout de l’humain : un héros bien solitaire dans un monde marqué par le mal
Idée directrice Procédés Analyses et

Citations
de la sous-partie d’écriture interprétations
3.1 Une page dramatique « la paralysie Registre Maladie et méchanceté

malgré Alcide infantile » (l. 5) pathétique hantent le monde célinien.
« l’autre vache »
(l. 17)
3.2 Une réflexion sur le Dernière phrase de Expression de Resté seul, le narrateur se
mal l’extrait l’hypothèse met à penser et condamne
le monde tel qu’il
fonctionne.
Ce savoir est alors un lien fragile mais réel qui les relie
ŒUVRE INTÉGRALE
à leur passé, peut-être à leur avenir pour certains.
VERS LE BAC. Commentaire L’art peut jouer un rôle pour surmonter les épreuves
On pourra proposer aux élèves un plan du type : dans le sens où il s’empare de ces épreuves pour
I. Un moment de résistance culturel en montrer la vérité. La méditation implicite que
1.1. Des figures abîmées par la monstruosité du camp constitue toute œuvre d’art éclaire les hommes sur
de concentration le sens caché que peuvent prendre les drames de
1.2. Jouer sur la mémoire culturelle du lecteur : une l’existence contre lesquels les premiers mouvements
fraternité avec les détenus de l’homme sont souvent la révolte ou l’incompré-

hension. En tant que relecture d’une expérience, l’art est perçu. Le sourire dont il est question est intime-
permet à l’homme de comprendre certains moments ment lié au rapport à l’autre ;
de sa vie. On peut lire aux élèves le beau poème de – deuxièmement, il s’agit d’engager son être dans un
Baudelaire, « Les phares », au début des Fleurs du mal, sourire véritable qui n’est pas seulement de façade.
qui témoigne de cette mission à travers l’exemple de Le sourire sincère de Tenn, celui auquel s’essaie à
la peinture. Dans le roman de Lemaitre, Édouard est nouveau Robinson, est une épiphanie et le regard
un artiste. Tout le monde reconnaît sa maîtrise du participe aussi de cette manifestation du bonheur.
dessin. Alors qu’il est défiguré, qu’il ne peut plus com- On parle par exemple d’yeux rieurs.
muniquer par la parole, il trouve dans l’art (le dessin et 3. Paradoxalement, le plus humain des deux est le
la confection des masques) une façon d’exprimer ce chien Tenn car il possède la faculté de sourire et
qu’il porte en lui de douleur mais aussi d’humanité. Le donc de transmettre des émotions humaines. Les
masque de cheval qu’il réalise pour Albert est bien un traits impassibles de Robinson, son « visage éteint »
don artistique qu’il fait à son ami qui, lui, ne possède (l. 1), sont le signe de son manque d’humanité.
pas son talent. De la même façon que Du Bellay savait Lorsque Tournier écrit à la fin du texte que le visage
trouver des mots pour ceux qui en étaient incapables, de Robinson « n’était plus qu’à demi mort » (l. 29),
Édouard sauve Albert une seconde fois en lui offrant c’est bien pour rappeler qu’il avait perdu une grande
le masque qui apaise ses angoisses. On peut penser part de son humanité.
que les masques qu’il crée pour lui-même ont cette 4. Grammaire
même valeur cathartique. Cette phrase exploite l’imparfait de l’indicatif. Ce
temps du passé permet de convoquer les souvenirs
HISTOIRE DES ARTS de Robinson. Le sourire de Tenn et son propre sourire
retrouvé sont exprimés à travers une comparaison
Jean Daligault, Autoportrait, 1942
qui le renvoie à l’époque où il vivait en société. Cette
Cet autoportrait en détenu vient dire le dénuement, la expérience de mémoire involontaire initiée par le
tristesse, la souffrance physique. Le choix austère de la sourire de Tenn le projette dans un passé où, vivant
palette, la violence grossière du trait, le regard affligé, avec d’autres hommes, il était habitué à sourire et
tout permet de construire une image du désespoir. Le à ce qu’on lui sourit. Les perceptions associées au
visage émacié manifeste les conditions de vie particu- souvenir sont heureuses. Le souffle du printemps est
lièrement éprouvantes des prisonniers. La focalisation une sensation agréable mais le printemps est aussi
sur le visage, sans que rien d’autre n’apparaisse, place convoqué parce qu’il est un temps de la renaissance.
cette tristesse comme seule perspective, avant la La redécouverte de la faculté de sourire à quelqu’un
mort dont les yeux caves et sans vie témoignent déjà. est donc comme un printemps et, avec le sourire, c’est
Robinson qui renaît à la vie.
PAGE 114 5. SYNTHÈSE
L’humanité retrouvée de Robinson nécessite la pré-
‹ Michel Tournier, Vendredi

ou les limbes du Pacifique, 1969
sence de l’autre. Le texte semble alors nous dire qu’il
n’est pas possible d’être humain tout seul. C’est dans
le rapport à autrui que s’exprime notre humanité et
Robinson retrouve la faculté de sourire. L’extrait c’est justement cela que Robinson ne pouvait plus
proposé partage l’expérience d’une redécouverte exprimer avant que le chien Tenn ne lui rappelle cette
essentielle, celle des rapports positifs avec d’autres exigence. En ce sens, ce passage prépare et annonce la
êtres vivants et des émotions heureuses. venue de Vendredi, dont la présence sera une bénédic-
2. Lexique tion au milieu de la solitude de Robinson. La société
On trouve le champ lexical du regard dans ce texte : commence dans un rapport heureux à l’autre.
« miroir » (l. 8), « ses yeux » (l. 12), « hallucination » VERS LE BAC. Commentaire
(l. 13), « ses yeux noisette » (l. 16), « son regard » La problématique d’analyse de cet extrait pourrait
(l. 18). Le texte insiste sur les regards entre les deux être la suivante : en quoi l’expérience du sourire per-
protagonistes pour deux raisons, au moins : met-elle de comprendre la vérité du personnage à ce
– premièrement, le sourire de l’autre ne vaut que s’il moment de son aventure ?

poids à leurs fantasmes et à leurs rêves. Ici, Mathilde
ŒUVRE INTÉGRALE
touche au but de sa quête et ne parvient pas tout à
La question du sourire nous renvoie au visage fait encore à le croire. Il y a encore une part de vir-
d’Édouard dans Au Revoir-là haut. En plus d’avoir tualité que permettent de suggérer ces conditionnels.
perdu sa beauté, sa capacité à séduire, Édouard a 3. Cette scène de retrouvailles est ponctuée par du
aussi perdu la faculté de sourire. On comprend qu’il discours, à la fin, lorsque Mathilde et Manech se
ne peut plus vivre ce témoignage de bonheur et que, retrouvent face à face. Pourtant, seul Manech, qui a
contrairement à Robinson, il ne le pourra plus jamais. perdu la mémoire, prend la parole et, d’une certaine
La détresse de Robinson et la sienne se rejoignent et façon, Mathilde demeure muette. Cette incapacité à
les auteurs insistent sur cette simple faculté parce parler permet de comprendre l’émotion du person-
qu’elle est une expérience fondamentale de notre nage, trop bouleversée pour être capable de prendre
humanité. Il ne restera que le rire à Édouard, mais la parole.
il n’a pas exactement la même signification ni les 4. Le texte se clôt sur l’anaphore « elle le regarde »,
mêmes vertus. reprise quatre fois. Cet effet d’insistance, d’autant
que la formule clôture le texte, invite le lecteur à
HISTOIRE DES ARTS se focaliser sur cette attitude. Cette reprise est une
Paul Gauguin, Arearea, 1892 façon d’exprimer l’intensité du regard de Mathilde et
de faire comprendre qu’elle ne peut détacher les yeux
De façon évidente, la palette de Gauguin exploite des de celui qu’elle a enfin retrouvé. L’anaphore permet de
couleurs vives, notamment les couleurs primaires : montrer qu’il n’y a plus que cela qui compte pour elle.
le jaune, le rouge et le bleu. En utilisant des couleurs N’arrivant pas encore à lui parler, elle le contemple
vives et des contrastes, il propose une image flam- sans pouvoir détacher son regard du jeune homme
boyante pleine d’une poésie violente. parce que cette vision est la preuve qu’il a bien
Il ne s’agit pas pour le peintre de proposer une image survécu à la guerre.
réaliste, mais plutôt de suggérer une ambiance heu-
5. SYNTHÈSE
reuse et un climat affectif. L’intensité des couleurs
L’intérêt de cette fin romanesque est qu’elle déjoue les
participe d’une vision du monde naïve, sans subtilité
prévisions du lecteur. À l’alternative des retrouvailles
parce que sans hypocrisie. Le voyage de Gauguin aux
ou de la perte définitive de l’être aimé, Sébastien
îles Marquises correspond à un désir du peintre de
Japrisot propose une troisième possibilité, assez inat-
quitter l’Europe dans un mouvement de contestation
tendue et donc originale. Parce qu’elle retrouve un
de ses valeurs, notamment esthétiques. La radicalité
amnésique, ces retrouvailles sont réelles mais ne sont
de sa palette et de son dessin participe de ce geste
pas complètes. Si Mathilde a bien retrouvé Manech,
d’émancipation.
ce n’est plus tout à fait celui qu’elle a connu. Est-ce
pour signifier que la guerre transforme les êtres au
PAGE 115 point qu’ils sont à la fois les mêmes et d’autres en
en revenant ?
› Sébastien Japrisot, Un long dimanche

de fiançailles, 1991 VERS LE BAC. Commentaire
La conclusion, en reprenant un hypothétique com-
1. ENTRER DANS LE TEXTE mentaire devra insister sur la place de l’extrait dans
Le choix du présent de narration est une façon pour l’économie du roman. Cette scène conclut l’ouvrage
l’auteur de rendre ce moment plus dramatique. Alors et le commentaire aura donc insisté à la fois sur
que le passé éloigne l’action en la reléguant à un l’intensité du moment et sur son rôle de clôture nar-
temps autre, le présent actualise la scène et permet rative. Mais la fin reste ouverte, ce que la conclusion
au lecteur d’en pressentir davantage toute l’intensité. doit aussi mentionner. On proposera par exemple
2. Grammaire une ouverture sur les retrouvailles d’Albert et « son
Lignes 17 et 18, les conditionnels (« elle pourrait », « il cheval » (voir question suivante).
s’approcherait », « elle le toucherait ») traduisent le Conclusion rédigée :
désir de Mathilde. Il s’agit du conditionnel qu’utilisent Nous avons donc pu établir que cet excipit roma-
les enfants en jouant lorsqu’ils veulent donner du nesque tirait son intérêt de sa fin ouverte sur une

multitude de possibilités. Au lieu d’enfermer le lecteur 3. Déterminants démonstratifs : « Cette fatigue »
dans le cliché trop facile du happy-end, Sébastien (l. 2), « cet adolescent » (l. 3), « ces instants », « cette
Japrisot surprend par ces retrouvailles ambiguës où crise » (l. 21), « ce besoin d’écriture », « ces heures de
Mathilde retrouve l’homme qu’elle aime alors même ravissement » (l. 36), « cette force » (l. 38), « cette
que l’amnésie du jeune homme ne leur permet pas de sorte de sixième sens » (l. 39)
se reconnaître vraiment. Mais cette surprenante ren- Pronoms démonstratifs : « c’est la fin d’après-midi »
contre ne supprime nullement l’émotion, elle semble (l. 1), « ceux qui lui ressemblent » (l. 5-6), « celle-ci »
même la décupler. Dans le roman de Lemaitre, Au (l. 6), « celle qui t’a recueilli » (l. 27).
revoir là-haut, le moment où Albert retrouve sous la L’emploi important des démonstratifs dans cet extrait
forme d’un masque le cheval mort qui l’a sauvé à la témoigne du désir de l’auteur de donner à voir avec
guerre donne aussi lieu à un débordement d’émotions. force des événements, des personnes, des moments
Dans un cas comme dans l’autre, la parole est alors qui ont vraiment existé et sur lesquels son texte
bien fragile devant tout ce que l’individu ressent et revient. Dans cette page qui évoque des éléments
aimerait pouvoir exprimer. primordiaux dans la construction de son destin, les
démonstratifs permettent à l’auteur de faire revenir
ŒUVRE INTÉGRALE
des étapes en manifestant leur importance. Les
Dans les deux œuvres, la scène de retrouvailles démonstratifs permettent de comprendre à quel
constitue un moment dramatique fort, marqué par point ces éléments restent présents et restent pre-
l’importance des émotions. La confrontation phy- miers dans l’esprit du narrateur.
sique impose aux êtres sa vérité que la présence de 4. Langue
corps rend évidente et indéniable. D’où la force qui se On trouvera pour le champ lexical du bonheur :
dégage de ces moments qui deviennent cruciaux, à la « plaisir » (l. 1), « joie folle » (l. 23), « chance » (l. 24),
façon d’un point nodal dans le destin du personnage. « une bonne étoile » (l. 24), « favorisé du sort » (l. 26),
« l’amour » (l. 27), « ravissement » (l. 36), « plénitude »
PAGE 116-117 (l. 36), « franchement positif » (l. 41), « force sereine »
(l. 44).
∞ Charles Juliet,
Lambeaux, 1995
Pour celui du malheur, on pourra relever des termes
comme : « choc effroyable » (l. 5), « suicide » (l. 8),
« souffrance » (l. 9), « terrible » (l. 9), « déchirure »
Le texte est composé de deux parties et s’articule (l. 11), « blessures » (l. 14), « effroi » (l. 18), « mal-
autour de la ligne 21 qui débute le second moment heurs » (l. 18), « sanglots » (l. 20), « larmes » (l. 22),
du texte. L’émotion qui terrasse le narrateur (l. 20) « pitoyable destin » (l. 29).
le transforme intérieurement en ouvrant en lui un Les champs lexicaux du bonheur et du malheur sont
espace de lucidité. Le texte commence donc par le complémentaires dans ce texte qui raconte comment
récit du travail de l’écrivain qui prend conscience « en l’auteur a construit un destin heureux sur une exis-
un éclair » (l. 15) de sa vie passée. La seconde partie du tence pourtant largement dramatique. L’un des inté-
texte correspond à une relecture de sa vie au prisme rêts du texte est justement ce témoignage résolument
de cette prise de conscience. Le mouvement de l’ex- optimiste et ce partage d’une expérience de résilience.
trait vient donc mimer le travail du texte littéraire qui On remarquera que le champ lexical du malheur laisse
permet de lier une expérience avec le sens de celle-ci. progressivement la place à celui du bonheur dans la
2. Grammaire chronologie du texte, épousant en cela le mouvement
Charles Juliet choisit d’utiliser la deuxième personne heureux du destin de Charles Juliet.
du singulier pour parler de lui dans Lambeaux. Ce choix 5. SYNTHÈSE
énonciatif fort permet une forme de mise à distance La métaphore de la forêt (l. 39 et 43) permet de dire,
du « personnage », comme pour le différencier de subjectivement, un moment de la vie de l’auteur.
l’auteur et pouvoir le contempler plus distinctement. Charles Juliet choisit ce terme pour les connotations
En choisissant une personne du discours, c’est aussi qu’il peut apporter. Comme dans les contes, la forêt
une façon pour l’auteur d’instaurer un dialogue avec est un espace symbolique dans lequel il est facile de
lui-même et de le rendre davantage perceptible. s’égarer et qui recèle de multiples dangers. C’est alors

une image pertinente qui permet de reprendre et de le geste de protection de la mère ne laisse aucun
synthétiser le parcours difficile de l’auteur, en oppo- doute sur ses intentions bienfaisantes. Le moment
sant la forêt à la « lumière » (l. 40). Les termes de de quiétude dans lequel Klimt choisit de les saisir,
« traversée » (l. 39) et « sors » (l. 43) font de la forêt en plein repos, favorise encore la représentation
un espace à franchir et dont il faut triompher, ce que heureuse des personnages qui semblent vivre un
réussi à faire le narrateur. moment privilégié.
De plus, les couleurs et les motifs (notamment
VERS LE BAC.
floraux) qui parsèment l’espace du tableau favorisent
On sera attentif à travailler le paragraphe autour de
la tonalité apaisée et heureuse. Les couleurs chaudes
procédés précis pour que la proposition n’en reste
comme le jaune, le rouge, le orange concourent à
pas à de la simple paraphrase. On peut demander aux
l’atmosphère chaleureuse. L’utilisation des fleurs et
élèves d’exploiter les procédés suivants :
des feuilles qui envahissent cette partie du tableau
– l’emploi de certains démonstratifs ;
vient signaler le jaillissement vital lié à la maternité,
– les champs du bonheur et du malheur ;
à l’enfance, au début de la vie, à l’amour.
– l’emploi d’images (« coupé », « fendu »,
« déchirure »).
D’un point de vue thématique, on proposera à l’élève PAGE 118
de distinguer deux types de naissances :
– celle, biologique, de la naissance de l’enfant ;
– celle, symbolique, de l’enfant adopté mais aussi de
§ Marc Dugain,
La Chambre des officiers, 1998
1. Entrer dans le texte
l’écrivain qui naît à lui-même à travers l’acte d’écrire.
Le texte se construit sur une évolution optimiste
ŒUVRE INTÉGRALE dans un retournement presque improbable et assez
inattendu. À l’évocation de la guerre, aux privations
Albert et Édouard sont deux personnages qui semblent
et à l’isolement, à la mort d’un ami, à la cérémonie
naître une seconde fois dans le roman de Lemaitre.
funèbre, succède la volonté d’être heureux. La der-
Tout d’abord, Albert renaît presque littéralement à
nière phrase du texte vient balayer l’atmosphère
la vie lorsqu’il est déterré sur le champ de bataille
pesante de la guerre, de la vieillesse, de la mort pour
par son camarade. Alors qu’il était mort, il est sauvé
affirmer la possibilité malgré cela d’un bonheur et
et ranimé par Édouard. La scène qui le voit sortir de
plus encore, d’un bonheur partagé et communicatif.
terre est une forme de parturition. Il en va de même
pour Édouard mais de façon plus symbolique. Mort à 2. Langue
ses sentiments et à ses émotions avec l’accident qui L’aspect pathétique des gueules cassées, la douleur
a emporté son visage, il va devoir se recomposer un de leur destin orientent le texte vers une argumenta-
être, ce que la création de masques va lui permettre tion implicite. L’extrait est argumentatif car le texte
de réaliser. devient un plaidoyer contre la guerre. Le destin des
personnages, redoublé par celui des nouvelles gueules
cassées (de la Seconde Guerre mondiale), correspond
HISTOIRE DES ARTS
à la mauvaise conscience d’une société qui a jeté ses
Gustav Klimt, Les Trois Âges de la femme (détail), propres enfants dans l’enfer de la guerre.
1905 3. En choisissant de terminer son roman par un dia-
Ce détail du tableau de Gustav Klimt propose une logue, Dugain laisse la parole à ses personnages. Ce
atmosphère de paix et de sérénité. Le bonheur de la sont eux et leur expérience qui demeurent au cœur
relation entre la mère et l’enfant est mis en avant du récit. Dans cette scène qui est une scène d’enter-
par plusieurs procédés et plusieurs détails du tableau. rement, la parole optimiste des survivants inscrit la
La proximité des deux têtes, au détriment d’une confiance dans la vie au cœur du texte. On remar-
représentation réaliste du corps humain, rapproche quera que cette parole est tournée avec confiance
les deux êtres dans un désir de fusion. La similitude vers le futur (« on va leur apprendre la gaieté »),
des yeux clos manifeste une forme de connivence preuve de la résolution de personnages qui ont perdu
entre les deux figures, la nudité des personnages beaucoup mais n’ont pas perdu le goût de la vie. Le
évoque la proximité totale du couple mère-enfant, dialogue entre le narrateur et Weil manifeste ce désir

de communiquer et donc de créer un lien heureux 2. Un happy-end
avec des étrangers, ce que la guerre ne parvient pas a) Une scène qui clôt le roman : enjeux d’un excipit
à surmonter justement. b) Le partage d’une expérience heureuse : transmettre
4. Le pronom « on » est employé à plusieurs reprises la capacité de résilience
et de façons différentes (« on le trouva », l. 16). Il s’agit c) Éloge de la fraternité : en finir avec la tristesse
alors d’un véritable indéfini qui permet d’évoquer les
ŒUVRE INTÉGRALE
gens qui ont retrouvé le corps sans vie de Penanster
sans avoir à les nommer car le lecteur ne les connaît Il existe une différence importante entre la gaieté des
pas et n’a pas besoin de les percevoir avec précision. gueules cassées du roman de Marc Dugain et celle
Les trois autres occurrences du pronom (l. 24, 29 et d’Édouard dans Au revoir là-haut, dans le sens où le
31) permettent d’évoquer la petite communauté rire d’Édouard est d’essence diabolique et cynique
des gueules cassées qui se sont connues à l’hôpital alors que la gaieté des personnages de Dugain relève
pendant la Première Guerre mondiale. Le pronom a d’une réelle générosité et d’une fraternité heureuse.
ici une valeur de pluriel et témoigne discrètement de
la fraternité de ces anciens poilus. On rappellera ici PAGE 119
l’étymologie du pronom qui vient de « l’homme ».
C’est bien, implicitement, ce sens premier qui est ici
convoqué.
5. Le narrateur emploie l’expression de « pièce de
‡ Laurent Gaudé,
Eldorado, 2006
théâtre » (l. 10) pour qualifier leur expérience de la La première phrase de l’extrait permet au lecteur de
guerre parce que c’est un rôle que le soldat joue. La se retrouver plongé au cœur de l’action. L’adverbe de
guerre prend les êtres et leur impose un destin qui temps manifeste une rupture temporelle qui permet
n’est pas le leur, à la façon d’un rôle endossé par de montrer l’événement dans son surgissement.
l’acteur. Il y a derrière l’idée d’une hypocrisie (éty- Couplé au présent, l’adverbe plonge le lecteur dans
mologiquement, l’acteur est « l’hypocrite »), comme l’immédiateté d’une rencontre qui s’impose alors
si tout cela n’était pas la réalité. On leur a fait jouer avec intensité. D’un point de vue narratif, il s’agit
un drame atroce. de marquer l’importance du moment. L’emploi d’un
Il faudrait ajouter que leur statut de gueule cassée pronom cataphorique (« le ») sans référent clairement
a profondément modifié leur visage à la façon d’un identifiable à ce moment favorise une tension liée
masque. Ils sont comme ces personnages grotesques au suspens chez le lecteur. Tout est fait pour signaler
d’une commedia dell’arte. l’importance du passage.
6. SYNTHÈSE 2. « Il me sourit » (l. 8), « le l’ai offert à quelqu’un »
Il s’agit d’une forme de happy-end. De façon para- (l. 17), « Boubakar me regarde un temps mais n’insiste
doxale, le dernier mot du texte déconstruit l’ensemble pas » (l. 18). On le voit, le rapport entre ces deux per-
de la tonalité fortement pathétique de l’extrait. À la sonnages relève du respect, de l’amitié, de la compré-
tristesse de destins douloureux, les personnages, hension, de l’entraide. Malgré les épreuves terribles
pourtant mutilés par la vie, choisissent de répondre qu’ils ont traversées, ils sont parvenus à ne pas oublier
par un optimisme sans concession. Le jour de la mort leurs valeurs au profit de l’égoïsme ou du repli sur soi.
de leur ami, au moment de constater que la guerre
De même, l’espoir de Soleiman, exprimé avec force
a renouvelé ses ravages, les héros de ce roman de la
à la fin du passage, est aussi une affirmation de son
douleur affirment leur capacité de résilience.
humanité à travers sa capacité de résilience et sa foi
VERS LE BAC. Commentaire conservée en l’avenir.
1. Une dénonciation de la guerre 3. Grammaire
a) Le portrait de générations sacrifiées : enterrement « Des camions qui parcourront » (l. 21), « traver-
et blessures seront » (l. 22), « dormirons » (l. 24), « arriverons »
b) Une argumentation implicite : le visage choquant (l. 24), « hésiterai » (l. 25), « viendra » (l. 34), « crè-
de la guerre verai » (l. 35)
c) Le registre polémique : le roman au service d’une Les verbes au futur permettent de faire entendre la
dénonciation volonté retrouvée du narrateur qui, après sa rencontre

avec Massambalo, a repris courage et envisage désor- sauve Albert en le sortant de son trou d’obus. Mais,
mais positivement la suite de son destin. L’importance les efforts d’Albert pour aider son camarade, notam-
des verbes au futur permet au lecteur de comprendre ment lorsqu’il lui trouve de la morphine pour soulager
avec justesse l’état d’esprit de Soleiman dans ce ses douleurs au péril de sa vie, constituent aussi des
moment où il retrouve courage. évocations de cette empathie et de cette fraternité.
4. L’extrait exploite à plusieurs reprises la moda-
lité interrogative. C’est le cas avec les questions HISTOIRE DES ARTS
de Boubakar lignes 11, 13, 16. Ce questionnement
Christiane Pooley,
témoigne du souci de Boubakar quant à l’état de
À la recherche d’un toit (IV), 2015
Soleiman. Ces paroles permettent de comprendre le
lien d’amitié qui unit les deux hommes. Malgré les dif- Le tableau de Christiane Pooley permet de suggérer le
ficultés, ou peut-être à cause d’elles, les deux hommes quotidien des migrants. En proposant un tableau aux
ont développé un lien fraternel et Boubakar s’inquiète couleurs sombres et ternes, elle évoque une sorte de
du silence de son ami. paysage intérieur. La disparition de tout référent dans
On peut ajouter que le narrateur précise que Boubakar cette façon de paysage permet de dire le dénuement
« n’insiste pas » (l. 18) avec ses questions, preuve qu’il absolu et l’absence de points de repère. Le personnage
s’agit plus d’une sensibilité à l’autre que d’une simple central ne porte pas même un sac, ses compagnons
curiosité. semblent transporter tout leur bien dans un maigre
baluchon. On remarquera que les personnages sont
5. SYNTHÈSE
relativement petits et comme en marge du tableau,
C’est une rencontre qui a permis à Soleiman de
comme pour mieux exprimer la place restreinte qui
retrouver confiance. Le roman de Gaudé choisit de
leur est laissée. Cependant, l’artiste a choisi de peindre
ne pas développer cette rencontre et d’en laisser des
un groupe, marchant côte à côte et évoque la frater-
pans dans l’ombre. Mais l’évocation du don, « je l’ai
nité qui semble souder ces hommes face à l’adversité
offert à quelqu’un » (l. 17), suggère cette rencontre
angoissante.
essentielle entre Soleiman et le « dieu » Massambalo.
C’est par un geste gratuit que le migrant se régénère : PAGE 120
lui qui ne possède rien, il est encore capable d’offrir
un présent, comme la preuve qu’il reste pleinement
humain. Dans ce dépouillement volontaire, l’avoir LEXIQUE ET ÉCRIT D’APPROPRIATION
laisse la place à l’être et, paradoxalement, le héros
est comblé par ce dont il se délivre. Le bonheur
VERS LE BAC. Commentaire EXERCICE 1. Enrichir son vocabulaire
On proposera à l’élève de contextualiser l’extrait en 2. J’ai de l’affection pour chacun de mes amis.
deux temps. D’abord, il sera intéressant d’amener le Il est plein d’entrain depuis qu’il sait qu’il va partir en
sujet à partir du phénomène actuel des migrations. vacances avec Sylvie.
Ensuite, on présentera précisément le contenu de Ses camarades l’apprécient avant tout pour son conti-
l’extrait en exploitant les réponses aux questions. Elles nuel enjouement.
doivent permettre à l’élève d’avoir une vision juste C’est toujours gratifiant de savoir que l’on pense du
des enjeux du texte. Ici, la foi en l’avenir retrouvée et bien de vous.
l’importance de la fraternité au milieu des épreuves Toutes les voluptés de la vie ne lui feraient pas oublier
de l’existence. Catherine.
On imposera aux élèves de ne pas se contenter de Il a vécu ces moments de bonheur avec une rare
recopier la présentation du texte, même s’il est pos- plénitude.
sible d’y piocher des informations. Aller vivre au Canada lui a permis un réel épanouis-
sement.
ŒUVRE INTÉGRALE
La beauté du paysage le plongeait dans un état de
Plusieurs moments du roman de Lemaitre évoquent béatitude que rien ne semblait pouvoir déranger.
une relation fraternelle salvatrice. La scène la plus Sans sa capacité de résilience, il n’aurait jamais pu
emblématique est évidemment celle où Édouard retrouver le sourire après la mort de ses enfants.

EXERCICE 2. Connaître l’histoire des mots Passion : rouge ou souffrance (la passion du Christ)
Félicité : emprunté au latin classique felicitas, Caresse : légèreté, plaisir
« bonheur, chance » Cicatrice : douleur, accident
Joie : emprunté au latin gaudia, « contentement, aise, Guerre : blessure, violence
plaisir, joie » Cercueil : mort
Passion : emprunté au latin passio, -onis, formé sur le Grincement : peur
participe passé du verbe pati, « souffrir » On remarquera que certains termes acceptent les
Travail : du bas latin trepalium. Nuance étymolo- deux connotations et prennent des significations qui
gique de peine, de fatigue, de douleur (douleur de diffèrent selon leur emploi. Ainsi, le mot « feu » sera
l’enfantement) perçu positivement par exemple s’il réfère à la passion
(ex. : « il brûle pour Chimène de tous les feux de la
Bonheur : composé de « bon » et de « heur » (ce qui
passion ») mais il pourra, si par exemple il désigne la
arrive d’heureux ou de malheureux)
guerre, être perçu négativement (ex. : « c’est la pre-
Fortune : emprunté au latin classique fortuna, « for-
mière fois qu’il monte au feu »).
tune, sort ; heureuse fortune ; condition, situa-
tion » EXERCICE 4. Apprécier les nuances de sens
Euphorie : emprunté au grec euphoria, terme médical Le bonheur correspond à une joie profonde, alors que
désignant un « sentiment de soulagement, de bien- le plaisir demeure une simple satisfaction de moindre
être, notamment grâce à l’effet de médicaments » envergure.
Hédonisme : dérivé du grec hédonè, « se réjouir, L’amitié suppose un engagement et une sincérité que
éprouver du plaisir ». n’a pas la camaraderie, qui n’excède pas une sympa-
thie cordiale.
EXERCICE 3. Être attentif à la connotation La joie peut être un sentiment de plénitude qui
des mots comble l’être alors que la gaieté n’est qu’une émotion
Connotation positive Connotation négative passagère.
Le rire est une manifestation bruyante, tandis que le
printemps cicatrice sourire est plus discret, même s’il est affirmé.
lumière éclat L’amour est un sentiment plus exclusif que l’amitié,
éclat feu que l’on donne davantage à un plus grand nombre de
fleur nuit personnes. De plus, l’amour est un sentiment jugé plus
amour guerre excessif que l’amitié.
feu cercueil Ce qui est plaisant touche avant tout le goût intellec-
tuel alors que ce qui est agréable semble davantage
oiseau passion
combler les sens.
blanc grincement
nuit EXERCICE 5. Maîtriser les expressions
cœur Un « rire homérique » est un rire tonitruant, sans
rêve retenue.
frère « Rire comme un bossu » signifie rire à gorge déployée.
passion « Au petit bonheur la chance » : au hasard.
caresse « À quelque chose malheur est bon » : une expérience
négative peut déboucher sur un bienfait.
Lumière : beauté, pureté « Faire un malheur » : remporter un grand succès.
Éclat : lumière ou violence « Jouer de malheur » : ne pas avoir de chance.
Fleur : parfum, beauté « Rire est le propre de l’homme », formule de François
Amour : bonheur Rabelais dans Gargantua qui évoque la faculté de rire
Feu : passion ou violence comme étant la marque propre de l’humanité.
Oiseau : liberté, légèreté EXERCICE 6. Former des adverbes
Blanc : pureté, mariage Joie : joyeusement ; gai : gaiement ; heureux : heu-
Nuit : repos ou ténèbres reusement ; plaisir : plaisamment ; amour : amou-
Cœur : amour reusement ; volupté : voluptueusement ; amitié :
Rêve : désir amicalement ; passion : passionnément ; affection :
Frère : famille affectueusement.

EXERCICE 7. Rrechercher des antonymes d’une suite de diapositives pour composer un message
Félicité : calamité, peine rigoureux. Il s’agit donc de réfléchir au préalable au
Joie : affliction « film » du diaporama. Il sera profitable de travailler
Passion : indifférence, détachement cette activité avec le professeur documentaliste.
Travail : amusement, oisiveté
ACTIVITÉ 2. Rédiger un journal intime
Bonheur : malheur
La rédaction d’un journal intime permet de se confier.
Fortune : adversité, infortune
Dans le cas de ce personnage, c’est aussi un des seuls
Euphorie : désespoir, chagrin
moyens de prendre la parole dans son existence soli-
Hédonisme : ascétisme
taire. La tonalité et le propos devront donc manifester
EXERCICE 8. Relire et corriger un texte ce besoin de se dire dans cette situation extrême. Il
Le bonheur est un sentiment que la plupart des s’agira d’articuler les évocations d’un quotidien aux
hommes cherchent à obtenir, un accomplissement réflexions et aux sentiments du personnage. Le travail
qui, à toute époque, a retenu les aspirations de l’hu- de l’élève sera donc de construire une logique du texte
manité. Le genre romanesque se fait très fréquem- qui permette de passer d’une poésie du quotidien
ment l’écho de cette quête. Cependant, la richesse (comme les haïkus savent le proposer par exemple)
des expériences proposées par la littérature narra- à la force d’une réflexion sur des thèmes et des idées
tive permet au lecteur de contempler l’importante essentiels : la solitude, la société, l’amitié, la nostalgie,
diversité des situations dans lesquelles le bonheur se la colère, la déréliction, l’espoir, etc.
manifeste. Le personnage romanesque est souvent à
la recherche de l’amour dont il sait qu’il pourra donner ACTIVITÉ 3. Éditer un ouvrage
un sens heureux à son existence. Malgré les difficultés La rédaction d’une quatrième de couverture est à la
inhérentes à toute aventure, le héros se dépassera fois un exercice de résumé et un travail argumentatif
pour vaincre l’adversité parce qu’il a conscience qu’in pour susciter l’adhésion du lecteur. Le travail sur la
fine, rien ne le comblera davantage que la félicité d’un concision doit être l’occasion de travailler sur le mot
destin épanoui. juste et le sens de la formule.
EXERCICE 9. Écrit d’appropriation ACTIVITÉ 4. Analyser un air d’opéra
On pourra remarquer avec les élèves que ce moment
Dossier personnel
du récit, en exploitant un air connu, permet de souli-
On attend de l’élève un travail autour des diffé- gner la tonalité de la scène et permet de la rendre plus
rentes fonctions de la description, la dimension réfé- évidente. La dimension épique du morceau manifeste
rentielle et la dimension symbolique. Aussi, il sera à la fois l’enthousiasme d’Édouard mais permet aussi
bon par exemple de travailler sur la connotation des de comprendre l’envergure de son projet. Seule une
couleurs, des formes, en fonction de l’état d’âme du musique grandiose correspond à son projet grandiose :
personnage. se venger de tout un pays et triompher de son père.
Il peut être très intéressant de jouer sur les émotions Cette activité vers la musique peut être complétée par
et les réflexions de ceux qui verront le masque car des propositions personnelles : on demandera alors à
Édouard cherche un public. Les réactions des autres l’élève d’associer d’autres moments du livre à d’autres
sont donc un bon moyen de présenter la vérité du musiques, à la façon d’une bande-son au cinéma
masque au lecteur. (charge des soldats, drame de la mort d’Édouard,
moments sentimentaux…).
PAGE 121
À LIRE, À VOIR
J. Tardi, J.-P. Verney, Putain de guerre, 2010
LECTURES CURSIVES Activité. L’intérêt de l’exercice est double. Il demande
à l’élève d’investir des connaissances sur la vie des
ACTIVITÉ 1. Analyser un tableau tranchées ; il nécessite de s’approprier le vocabulaire
L’analyse du tableau Guernica de Picasso à travers un pittoresque et le niveau de langue des soldats. La cri-
diaporama suppose que l’élève compose son travail. tique du conflit demande un ton ouvertement polé-
L’activité est l’occasion de travailler les TICE mais mique, voire ironique. On guidera les élèves en leur
permet également de s’interroger sur la cohérence proposant d’expliciter les arguments. On les invitera

aussi à se servir précisément des épisodes de la bande cité et que surtout soit établi un rapport entre lui et
dessinée pour nourrir le dialogue des personnages. le héros sélectionné. Il ne s’agit pas de projeter des
• M. Tournier, Vendredi ou la vie sauvage, 1971 fantasmes mais plutôt d’entrer dans une démarche de
Activité. Le récit de rêve permet une liberté dans réflexion autour de ce que l’on aimerait faire de sa vie.
la narration et la description. Cependant, le sujet 3. On guidera l’élève autour de deux axes. Il s’agira
invite à développer un lyrisme de la nostalgie et de bien sûr d’évoquer précisément le style graphique
la mélancolie. On demandera aux élèves de resti- utilisé par l’artiste (trait ; utilisation ou non de la
tuer des éléments de l’ouvrage. La notion d’épilogue couleur ; composition, taille et enchaînement des
suppose aussi que l’élève écrive son texte dans la pers- cases ; utilisations de différents plans ; présence ou non
pective d’un excipit et propose une fin qui soit une de texte ; impression générale de la page et exploita-
autre conclusion. On peut alors travailler quelques tion ou non du détail, etc.). Mais la consigne invite
fins emblématiques de roman pour aider les élèves implicitement l’élève à parler d’un choix personnel lié
dans cette difficulté. à des émotions positives. C’est aussi une dimension
• A. Malraux, L’Espoir, 1937 que son travail devra faire entendre.
Activité. Le propos argumentatif est ici proche de 4. Cet exercice permettra à l’élève de réfléchir sur le
l’essai. On listera les attentes autour des points sui- pacte autobiographique et les libertés que prend la
vants : énonciation à la première personne (sans s’y fiction avec le réel lorsqu’il s’agit de recomposer un
restreindre) ; bornage précis du passage ; discours épisode. Tout travail littéraire consiste en une inter-
argumentatif ; utilisation pertinente de la citation. prétation du réel qui fait sens. Que l’élève ait ou non
• J. Echenoz, 14, 2012 vécu une expérience intense susceptible de corres-
Activité. On sera attentif ici à l’exploitation du roman. pondre au devoir demandé, il s’agira de comprendre
Contrairement à l’activité précédente, il s’agit de que seul le travail sur le style permettra de réussir cet
balayer l’ensemble de l’œuvre et non pas un seul exercice car c’est à travers la maîtrise de l’écriture que
extrait. De plus, la comparaison avec les autres figures se communiquera cette expérience.
évoquées doit permettre de justifier le choix de tel
destin au détriment des autres. La notion d’émotion PAGE 124
est importante. Elle permet de mettre en mots une BAC Commentaire
conscience de lecteur et donc de répondre à la ques-
tion : qu’est-ce qui me touche lorsque je suis lecteur ?
Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut, 2013
Pourquoi certains passages, certaines figures, certains ÉTAPE 1. Comprendre l’extrait
modes de narration me bouleversent et d’autres non ? L’extrait permet de comprendre les motivations des
Un travail réussi mettra en évidence cette expé- deux personnages et de percevoir à cette occasion
rience de lecteur autant qu’une connaissance fine de leurs différences, malgré leur amitié.
l’ouvrage. Pour Édouard, il s’agit de faire payer la société qu’il
juge responsable de son malheur. On voit bien qu’il
PAGE 123 ne s’agit pas de voler de l’argent mais d’en voler le
plus possible. De plus, la désinvolture qui est la sienne
Raconter les conflits du xxe siècle montre qu’il ne se soucie pas de l’argent. En cela, il
reste le fils de famille capricieux que le roman met en
scène. Albert, lui, apparaît ici comme un personnage
Dossier personnel
animé par un amour sincère. On le voit complexé
1. Les maux qui frappent notre humanité au début du par rapport à l’argent et de fait, il est d’extraction
xxie siècle peuvent être : populaire. S’il vole, contrairement à Édouard, c’est
– le destin tragique des migrants ; semble-t-il malgré lui.
– l’intolérance vis-à-vis de certaines minorités ; ÉTAPE 2. Réaliser une lecture analytique
– les catastrophes environnementales ; Il peut être intéressant de travailler ici le rapport du
– le destin des enfants soldats ; narratif et du descriptif (le masque d’Édouard).
– les inégalités liées au pouvoir de l’argent. De même, les paroles rapportées (discours direct,
2. On attendra de l’élève que son propos soit expli- l. 27 ; indirect, l. 3 ; indirect libre, l. 19) permettent de

dynamiser le récit mais aussi d’entrer dans les pensées un personnage qui désire devenir riche, il souhaite
d’Albert dans un moment de délibération. seulement parvenir à la plus grande escroquerie pos-
On s’intéressera aux registres : sible. Cette désinvolture face à l’argent se manifeste
– éloge du masque, particulièrement spectaculaire et à travers la réalisation de son masque « entièrement
réussi ; fait de billet de deux cents francs » (l. 5-6). On voit que
– comique du discours d’Albert qui souligne l’absur- le geste esthétique reste chez lui premier. Les com-
dité de sa situation. paraisons « comme des volutes de pognons, comme
si les coupures se consumaient » (l. 6 et 7) donnent
ÉTAPE 3. Construire un plan
l’idée d’un argent qui part en fumée au grand plaisir
À partir d’une synthèse de ce type, on proposera de
du personnage. Le fait de se confectionner un visage
dégager les axes d’un commentaire : dans cet extrait,
de substitution avec l’argent permet de comprendre
Édouard et Albert récoltent les fruits de leur escroque-
la valeur symbolique qu’Édouard accorde aux billets
rie. Face à l’afflux d’argent, les deux amis ne réagissent
volés. L’extrait insiste sur le plaisir qu’il retire de
pas de la même façon. L’argent devient un révélateur
leur escroquerie : ce sont ses cris lorsqu’il « hurla de
des différentes personnalités.
bonheur » (l. 1) ou bien la façon avec laquelle il « trépi-
On pourra ainsi proposer le plan suivant :
gnait de joie » (l. 11). Ces manifestations permettent
1. La rançon du succès : des personnages pleins
de comprendre que le personnage revient à la vie, du
aux as
moins à une vie d’émotions intenses. La comparaison
a) Un passage centré sur l’argent
« comme une pluie bienfaisante » (l. 2-3) permet de
b) Conquête féminine et désinvolture : ce que permet
saisir la façon dont il conçoit l’argent. C’est pour lui un
l’argent
baume. La négation « il ne comptait jamais l’argent »
2. Des amis bien différents : deux personnalités
(l. 11) dit assez au lecteur son rapport exact à l’argent,
qui s’opposent
il en use comme du papier et ne s’en préoccupe pas.
a) Édouard, l’exubérance de l’artiste
Lorsqu’il souhaite arriver au « million » (l. 18), c’est
b) Albert, un personnage entre la peur et l’amour
3. Au revoir là-haut, un roman de l’argent ? une histoire de défi personnel, non de rapacité.
L’extrait progresse en dressant un portrait psycholo-
a) Le roman, miroir des inégalités
gique d’Albert dans un effet de contraste évident. Si la
b) La question morale : Albert et Édouard, voleurs
première moitié du passage permet de mettre l’accent
ou justiciers ?
sur la joie d’Édouard, la seconde partie, à partir de la
ÉTAPE 4. Produire une copie pertinente ligne 15, évoque l’inquiétude d’Albert, mal à l’aise
On demandera aux élèves de veiller aux points d’avoir commis un délit, mais aussi embarrassé d’avoir
suivants : soudain un argent dont il n’a pas l’habitude. L’emploi
– chaque étape de la partie doit être marquée par un du discours indirect libre associé à la modalité inter-
alinéa (introduction partielle, paragraphes, transition rogative, à la ligne 19 par exemple, « Et puis il y avait
si besoin) ; Pauline. Que faire ? » permet de constater son désar-
– chaque paragraphe doit exploiter exemples, pro- roi. Le discours direct des lignes 23 à 28 permet de
cédés et interprétation. On demandera par exemple centrer, lui aussi, la fin du passage sur la réflexion du
de souligner chacun de ces éléments d’une couleur personnage. Les indices du discours argumentatif par-
différente pour visualiser clairement le travail et sa sèment son propos : « sauf que » (l. 19), « Pouvait-il »
pertinence. (l. 23), « parce que » (l. 24), « si tout va bien » (l. 27).
On pourra s’inspirer pour la seconde partie de la Ils sont la preuve de la fébrilité du personnage et de la
rédaction suivante : tempête qui s’agite en lui. Cette angoisse est stimulée
Le passage montre Albert et Édouard alors qu’ils com- à la fois par la peur de perdre Pauline, qu’il aime, et
mencent à recueillir massivement les fruits de leur par la perspective de la justice qui lui donne l’envie
escroquerie. Mais les deux amis se comportent de de « s’enfuir » (l. 18). La métaphore de la « corde » qui
façons très différentes devant l’argent et ce moment se resserre « autour de son cou » (l. 16-17) permet
permet de saisir leurs personnalités respectives. de comprendre le sentiment presque physique de sa
Dans cet extrait, Édouard n’a pas le même rapport à peur. On notera que l’argent lui donne des sueurs
l’argent qu’Albert. La scène le montre dans l’eupho- froides, mais qu’il n’en oublie pas pour autant l’amour,
rie suscitée par l’afflux d’argent. Édouard n’est pas qui reste premier chez lui. Pour cette raison, il reste un

personnage positif aux yeux du lecteur : Albert n’est 2. La littérature permet de se libérer de la
pas un personnage cupide. douleur, de transformer le regard et le ressenti à
Nous avons donc vu que les deux personnages ne partir d’une expérience douloureuse, non pour la
réagissaient pas de la même façon mais restent unis nier, mais pour se reconstruire.
par un réel désintérêt face à l’argent. Cette attitude a) Argument 1 : la littérature permet de mettre des
permet à Lemaitre d’orienter son lecteur vers une mots sur des expériences difficiles.
réflexion sur le rôle de l’argent. b) Argument 4 : la littérature est le moyen d’affirmer
sa dignité d’humain malgré les épreuves.
PAGE 125 c) Argument 6 : écrire permet de donner un sens à
son existence.
BAC Dissertation sur une œuvre intégrale
Ces arguments sont valables pour le lecteur aussi, par
La littérature est-elle capable de transformer positi- identification.
vement une expérience douloureuse ?
3. La littérature sert de témoin et d’acteur.
Introduction Transformer positivement une expérience
La littérature aime exposer des situations doulou- douloureuse, c’est aussi la révéler, la dénoncer,
reuses et des personnages tourmentés par l’existence. pour lutter et œuvrer pour le progrès humain.
À partir du moment où « ils vécurent heureux », le a) Argument 2 : un récit permet de partager ses expé-
livre se clôt et le récit s’arrête. De fait, les expériences riences avec d’autres.
problématiques sont celles qui nourrissent le schéma b) Arguments 3 et 5 : écrire est une façon de s’opposer
narratif traditionnel. Mais pour autant, la littérature calmement à la violence. Les auteurs peuvent mani-
n’est pas le lieu d’un désespoir et d’un pessimisme fester leur solidarité à travers leurs œuvres.
résolus.
c) Argument 7 : l’écriture permet à l’homme de mieux
En se demandant si « la littérature est capable de
se comprendre. Il s’agit finalement moins de changer
transformer positivement une expérience doulou-
le monde que de changer soi-même, de s’éveiller en
reuse », on questionne précisément la nature pro-
tant que lecteur au monde.
fonde du texte littéraire. Pourquoi la nature même
de la littérature lui permet-elle de transcender des 4. Préparer la conclusion et l’ouverture
expériences difficiles ? Comment procèdent les mots On proposera une ouverture sur un film qui revient
pour pouvoir dépasser le simple compte-rendu d’une sur une expérience douloureuse parce qu’il tente de
expérience et lui donner un sens supérieur ? la même façon de transcender le drame au moyen de
Nous verrons comment la littérature parvient à saisir l’art. C’est le cas du film de Michael Cimino, Voyage au
et distancer dans un même mouvement une expé- bout de l’enfer (1978), qui tente de prendre en charge
rience douloureuse parce que la parole est un lieu le traumatisme des soldats de la guerre du Vietnam.
de réflexion, aux deux sens du terme, qui permet de Conclusion
montrer mais aussi de comprendre la vérité des expé- Nous avons donc vu que c’est par la médiation effi-
riences que l’homme peut connaître. cace des mots que la littérature est capable de trans-
D’abord, nous constaterons que l’écriture n’efface pas former positivement une expérience douloureuse. La
le mal avant de voir qu’elle permet à l’être une forme dignité de l’artiste, sa foi en la compréhension de ces
de soulagement dans le partage des mots. Enfin, nous contemporains, sa révolte devant les monstruosités
verrons que l’écriture permet un combat efficace qui, de l’existence permettent à la littérature d’être un
au-delà d’un simple compte-rendu, amène souvent espace de révolte positive pour ceux qui n’abdiquent
au progrès de l’humanité. pas devant les différentes formes que le mal peut
1. La littérature ne peut rien face à la douleur. prendre. L’artiste a alors pour tâche de s’emparer des
a) La littérature comme l’art peuvent être perçus douleurs qu’il vit ou qu’il constate pour ne pas rester
comme des fuites en avant (ex. : Édouard, a priori). passif devant le malheur humain.
b) Il peut paraître douteux que la littérature guérisse La littérature se bat avec ses moyens, les mots.
d’un traumatisme. Cependant, toute forme d’art est appelée à ne pas
c) L’expérience est du vécu, la littérature ne serait que accepter ce qui est révoltant. Le cinéma en est un bon
de l’imaginaire, des mots, que l’on peut croire sans exemple et Michael Cimino, dans son film Voyage au
force, inefficaces, verbeux. bout de l’enfer, témoignait magistralement du calvaire

des prisonniers de guerre lors du conflit vietnamien  Écrire en changeant de point de vue
pour ceux qui en avaient souffert sans avoir la possi- Madeleine était pressée de se mettre au travail. Elle
bilité d’exprimer leurs terribles émotions. avait une idée d’article à sensation qu’elle comptait
bien rédiger dans la soirée. Elle expliqua brièvement
MÉTHODES
ses idées à Duroy, ils échangèrent quelques mots,
puis elle le laissa essayer de commencer la rédaction
de cet article. Cela l’amusait de voir combien il était
PAGE 127 difficile pour son mari de se mettre à l’écriture, de
FICHE 1 voir combien elle lui était supérieure. Il avait besoin
d’elle, c’était certain. Et de son regard espiègle, elle
Le narrateur et le point de vue l’observait se démener avec la plume puis elle décida
 Identifier le point de vue narratif de l’aider, tout en le laissant croire qu’il était bien
A. Point de vue interne à l’origine des phrases qu’il écrivait. Il ne fallait pas
B. Point de vue externe froisser son orgueil masculin et elle se satisfaisait
C. Point de vue externe pleinement de rester ainsi dans l’ombre tout en
D. Point de vue interne tirant les ficelles.
 Identifier et analyser  Étudier le changement de point de vue
les différents points de vue a. Le texte commence avec le point de vue externe :
a. Dans les trois textes, on trouve l’évocation d’une on ignore l’identité du « vieillard » qui mange au
rencontre. Il est question de « la première fois qu’Au- bout de la table. Puis le narrateur omniscient nous
rélien vit Bérénice » dans le texte A, de la manière révèle son identité. Enfin, le texte passe au point
dont Anzoleto a « rencontr[é)] » Consuelo dans le de vue interne : les yeux d’Emma ne parviennent
texte B et d’une « radieuse apparition » dans le texte C. pas à se détacher du marquis, et le texte s’achève
b. Dans le texte A, la scène est racontée au point sur une phrase au discours indirect libre (point
de vue interne comme le montre le verbe de vision d’exclamation).
(« Aurélien vit Bérénice ») et la présence de DIL (« Les b. Le texte présente un personnage peu ragoûtant, un
cheveux coupés, ça demande des soins constants »). vieillard à la serviette nouée autour du cou « comme
Le lecteur connaît l’opinion négative d’Aurélien sur un enfant » et qui mange salement. Le lecteur est
Bérénice, mais ignore si cette opinion peut varier d’abord surpris de découvrir l’auguste personne qui
ou si Bérénice n’a pas plus de charme qu’Aurélien se cache derrière lui. Puis il est invité à se moquer
ne lui en trouve à première vue. Le texte B au point d’Emma qui l’admire malgré son apparence repous-
de vue omniscient inscrit la rencontre dans un récit sante, en raison de son passé qu’elle juge glorieux. Or,
rétrospectif de présentation du personnage d’Anzo- son seul titre de gloire est d’avoir été l’amant d’une
leto. Enfin, le texte C semble donner d’abord le point reine. Finalement, le portrait du vieux duc permet de
de vue positif du duc sur la jeune fille qui la perçoit ridiculiser les goûts d’Emma.
comme une « radieuse apparition », avant que le nar-
rateur témoin ne rétablisse un portrait plus objectif, PAGE 129
indiquant que la jeune fille, dont il ignore l’identité, FICHE 2
est certes très jolie, mais aussi très sale. Ce passage
au point de vue externe permet de créer une distance
Formes et fonctions
comique avec les sentiments éprouvés par le duc.
de la description
 Identifier l’objet de la description
 Étudier le choix d’un point de vue
A. Description du peuple de Paris
a. Il s’agit d’un point de vue interne marqué les verbes
B. Description d’une ferme
de perception visuelle : « ses regards redescendaient »
C. Description d’un ticket de métro et explication de
ainsi que les nombreux modalisateurs qui montrent
ses usages variés
la subjectivité du regard.
b. Le regard surplombant que porte le personnage sur  Analyser l’organisation de la description
Paris manifeste ses ambitions : il veut dominer la ville a. La description est faite au point de vue interne
au sens propre pour s’enrichir. selon le regard des voyageurs. Le verbe de percep-
Méthodes 123
tion visuelle « apparut » ainsi que leur « surprise » sur la table, il se renversa en arrière sur sa chaise,
montrent que la vallée est pour eux une découverte desserra la ceinture de son pantalon et ferma les yeux.
et que le texte rend compte du paysage qui s’offre On ne tarda pas à entendre un ronflement puissant
à leurs regards. qui interdisait d’oublier la présence du vieillard, bien
b. La description ressemble à un tableau dont la qu’il ne bougeât plus.
présentation suit le regard des personnages, selon  Étudier les fonctions de la description
des connecteurs spatiaux précis : « devant eux », « à
a. Le texte est écrit au point de vue interne pour l’es-
gauche, très loin », « sur la droite, contre la piste ».
sentiel. Le lecteur a accès à la perception du person-
c. nage, perception olfactive, puisqu’il identifie d’abord
« une odeur fade, une odeur de chair lavée », puis
visuelle, « il regardait ».
b. Le texte donne une image réaliste, voire naturaliste,
de la mort. Loin de l’image romantique et idéalisée,
la description insiste sur les détails anatomiques et
sordides. Le lexique du dégoût est omniprésent au
début du texte : « répugnances », « soulevait le cœur »,
« écœurait ». Les couleurs (« taches vertes et jaunes,
blanches et rouges ») montrent la putréfaction des
corps qui perdent leur humanité à travers la méta-
phore du « tas de viandes sanglantes et pourries »,
mais aussi à travers les pluriels : il n’y a plus d’indivi-
dus, mais un amas de corps repoussants (« des corps
nus », « certains corps », « d’autres », « des tas »). La
mort n’élève pas l’homme, elle le déshumanise.
 Étudier un portrait c. La description mêle les fonctions représentative et
symbolique de la description. Elle permet d’ancrer le
a.
texte dans la réalité sordide du personnage et souligne
Comparaisons Métaphores en même temps son mal-être : l’horreur de ce qu’il
voit fait écho à l’horreur du geste accompli.
« maigre comme un « vergée de fils
 Analyser une description
échalas », l. 3 roses », l. 5
« noueux comme un « trouées de deux a. La description du nouveau masque d’Édouard se
cep », l. 4 yeux glauques », l. 6 fait à travers le regard d’Albert qui le découvre après
« boucané comme un « hersée de dents », avoir ouvert la porte, alors qu’il « lève les yeux ». Elle
vieux buis », l. 4 l. 8-9 évoque d’abord l’apparence générale du masque, une
« fermes comme des « favoris en pattes de tête de cheval, puis la détaille : sa matière, sa couleur,
poils de brosse », l. 14 lapin », l. 9-10 sa texture, sa forme en partant des joues pour aller
jusqu’à l’extrémité des lèvres.
Les figures d’analogie font ressortir la vieillesse du b. La description a une fonction représentative : elle
personnage dont le corps apparaît tordu et assez permet de mieux comprendre quelle est la vision
repoussant. Le portrait met aussi en valeur les origines d’Albert et pourquoi le masque lui a fait un tel
paysannes ou du moins rurales du personnage, car la choc. Elle informe en même temps le lecteur sur
plupart des comparants évoquent la campagne ou les Édouard, ses facultés extraordinaires en tant qu’ar-
travaux des champs (« échalas », « cep », « buis », tiste, le souvenir qu’il a pu avoir des conditions de sa
« hersée », « pattes de lapin »). rencontre avec Albert. Enfin, elle permet de mieux
b. Le père Antoine attrapa ensuite le saucisson et en comprendre le lien qui relie les deux personnages à
découpa quelques rondelles qu’il se mit à mastiquer travers la scène initiale au cours de laquelle Édouard
bruyamment puis il réclama une cruche de vin, « pour a sauvé Albert au prix de son visage. La description
faire glisser » dit-il. Après avoir mangé le reste du du masque vu par Albert dit l’importance de cette
saucisson et terminé le talon du jambon qui restait tête de cheval et à travers elle l’importance de son

ami. La description possède donc aussi une dimen- de leur voyage.
sion symbolique. b. Les répliques des personnages répondent à des
structures parallèles : « j’ai seize ans »/« j’ai vingt
PAGE 131 ans » ; « du côté des Alpes »/« du côté des Pyrénées ».
Elles montrent ainsi leur jeunesse et le fait que l’un
FICHE 3
et l’autre partent en voyage avec des ambitions. Mais
Les paroles des personnages elles font aussi ressortir leurs oppositions, d’abord
 Identifier le type de discours parce que les directions qu’ils vont prendre divergent
et ensuite parce que l’un a pour modèles César et
a. Discours direct : A
Alexandre, et rêve donc de gloire militaire, tandis que
Discours indirect : B, E
l’autre veut s’instruire.
Discours narrativisé : C
Discours indirect libre : D, F  Étudier le discours indirect libre
b. A. Il pouvait bien aller se faire crever par les autres, a. Tout le deuxième paragraphe est au DIL comme
elle consentait à tout ! le montrent les nombreux points d’exclamation et
B. « Une nuit, alors que j’étais enfant, le bourg a été les nombreuses phrases non verbales plus caracté-
réveillé par le branle des cloches qui sonnaient à toute ristiques de l’oral.
volée », dit-il. b. Mlle de Varandeuil éprouve un mélange d’incrédu-
C. Il me dit qu’il me trouvait très jolie, qu’il appréciait lité (« était-ce possible ? »), de déception (« une fille
beaucoup ma compagnie et qu’il n’avait jamais vu […] qu’elle avait comblée ! ») et de colère (« elle la
jeune fille plus accomplie. détestait »).
D. Elle pensa qu’elle avait eu tort et se demanda pour-
 Analyser le mélange des paroles rapportées
quoi. Elle se dit qu’elle avait voulu venir alors qu’elle
n’ignorait point qu’elle allait chez des paysans, chez a. On identifie du discours direct (l. 2 à 5, l. 8, l. 12-17,
de petits paysans. l. 20-21) ; du discours indirect (l. 6-7, l. 9-10, l. 18-20) ;
E. « Avez-vous jamais aimé ? » lui demandai-je. du discours narrativisé (l. 10-11).
F. Mais d’Artagnan secoua la tête en se disant que b. Le discours direct permet de faire entendre la voix
pour les gens vers lesquels elle n’avait qu’à étendre la d’Alcide, sa simplicité un peu fruste, mais généreuse.
main, Son Éminence recourait rarement à de pareils Le mélange des discours permet de renforcer le lien
moyens, que ce pouvait être une vengeance de entre les deux personnages, lien de confidence qui
Milady. Il fut convaincu que c’était le plus probable. se fait dans la durée. Cela transparaît surtout dans
le discours narrativisé dont l’imparfait d’aspect
 Transposer au discours direct non borné exprime la durée. Cette manière de rap-
Il lui demanda si elle daignerait lui apprendre où elle porter les paroles d’Alcide permet également au
avait passé la matinée et peut-être la nuit. Elle lui narrateur de les commenter et de manifester sa
répondit que son intention n’était pas de le lui dire. sympathie pour le personnage, de le valoriser, par
D’une voix chevrotante, il lui demanda si, en vérité, exemple dans le CC de manière « avec beaucoup de
elle espérait le lui cacher. Elle lui répondit d’un ton précaution » (l. 11).
glacial qu’elle y tenait fort peu, que si elle refusait
de lui répondre, c’était uniquement pour la forme et PAGE 133
qu’elle voulait le convaincre qu’il n’avait pas le droit de
lui adresser cette question. Hors de lui, il lui demanda FICHE 4
qui était le maître d’elle ou de lui, qui portait une Le rythme du récit
jupe et devait filer une quenouille et si elle préten-
 Étudier l’ordre du récit
dait lui ôter la barbe du menton. Il termina en disant
que cela lui seyait bien et en l’affublant du titre de Le texte A présente une analepse comme le montrent
« femmelette ». les CC de temps « six mois plus tôt » (l. 1) et « à
l’époque dont je parle » (l. 2-3). Le texte B présente
 Étudier le discours direct une prolepse ; le narrateur raconte sa rencontre avec
a. Les passages au discours direct nous apprennent Manon et annonce qu’elle va être la cause « dans la
l’âge des personnages, leurs ambitions et la direction suite, de tous [leurs] malheurs » (l. 14).
Méthodes 125
 Étudier la vitesse du récit  Étudier les effets de pause
a. La 1 phrase du texte progresse par un enchaîne-
re
a. Le texte A fait entendre la voix du narrateur qui
ment de propositions indépendantes juxtaposées très apparaît dans le pronom personnel « nous » (l. 2).
brèves. La deuxième est constituée de deux parties : la b. Le premier texte présente une digression : le narra-
première juxtapose des propositions indépendantes, teur prend le temps d’« expliquer » au lecteur qui sont
la seconde juxtapose deux subordonnées conjonctives les comprachicos et de dénoncer la pratique du com-
(« et comme j’avais vingt ans », « que j’étais ingénu, merce des enfants, avant de reprendre le cours de son
toujours trompé, mais plus quitté ») précédant leur récit et des aventures de Gwynplaine. Le deuxième
principale (« je me croyais l’amant le mieux aimé, texte constitue une pause descriptive. Le personnage
partant le plus heureux des hommes »). lève « les yeux » sur son jardin et le texte nous donne
b. Cette construction des phrases donne une impres- alors à voir la même chose que lui en une description
sion de légèreté et de vivacité qui semble s’accorder très détaillée.
avec les vingt ans du personnage principal. Ce qu’il  Étudier les effets d’accélération
raconte est sans gravité, puisque l’on passe très rapi-
a. L’ellipse apparaît dans la proposition subordonnée
dement dessus.
circonstancielle de temps « quand ils redescendirent,
 Étudier la vitesse du récit une heure plus tard » (l. 11), qui montre qu’une heure
a. Le texte commence par une scène comportant de la vie des personnages a été passée sous silence.
du discours direct (l. 1) ou du discours indirect libre b. Julien était pressé de se retrouver dans la chambre
(l. 8-13) et dont le temps de référence est le passé avec Jeanne puisqu’il s’est montré « impatienté »
simple (« s’arracha », l. 8 ; « saisit », l. 17), puis on passe (l. 5), tandis qu’elle manifestait sa gêne par son « envie
à un sommaire dont le début est signalé par l’adverbe de se sauver » (l. 9), gêne qui persiste d’ailleurs quand
« désormais » (l. 25). Cette deuxième partie du texte ils redescendent. On conclut donc que l’appétit sexuel
est dominée par l’imparfait itératif. de Julien ne pouvait pas attendre le soir et devait être
b. La scène permet de faire ressortir un moment satisfait dès l’après-midi.
déterminant dans la vie de Robinson, le basculement c. L’ellipse met l’accent sur le malaise de Jeanne face
du désespoir à la joie grâce au sourire qu’il croit aux regards d’autrui, plus que sur ce qui s’est vérita-
discerner sur la face du chien. Cet événement mar- blement passé dans la chambre. Elle marque aussi la
quant inaugure une nouvelle période dans la vie de précipitation du mari et donc son manque d’attention
Robinson, rendue par le sommaire. aux désirs de sa femme.

Le théâtre
CHAPITRE 2
du xviie au xxie siècle


Objectifs
Les Instructions officielles posent deux objectifs :
– poursuivre la formation aux spécificités du genre théâtral, préciser et enrichir
les éléments de culture théâtrale, et approfondir l’analyse et l’interprétation des
œuvres en les inscrivant dans le contexte de leur création et de leur réception,
ainsi que dans l’histoire du genre ;
– prendre en compte les questions de représentation et de mise en scène.
Les Instructions officielles précisent la nature des œuvres à faire lire aux élèves,
l’enseignement devant être construit autour d’œuvres intégrales :
– deux pièces de genre et de siècle différents ;
– la lecture cursive d’au moins une pièce d’une autre période.
Une approche artistique et culturelle d’un genre, d’une esthétique, d’un lieu
de représentation (théâtre, opéra, festival, etc.) ou de figures majeures de la
vie théâtrale (comédiens, troupes, metteurs en scène, etc.) pourra éclairer et
enrichir le corpus. Un groupement de textes complémentaires destinés, par un
travail de lecture comparée, à enrichir et préciser l’interprétation de l’une ou
l’autre des œuvres étudiées ou l’étude du théâtre de langue étrangère pourront
trouver ici toute leur place.
Conformément aux programmes, chaque séquence du manuel est construite
autour d’une œuvre intégrale, dans une grande variété générique et chro-
nologique : la comédie du xviiie siècle (L’Île des esclaves, de Marivaux), le
drame romantique (Lucrèce Borgia, de Hugo), une « tragédie du langage » du
xxe siècle (La Cantatrice chauve, de Ionesco) et un « conte théâtral » du xxie siècle
(Cendrillon, de Joël Pommerat).
Chaque œuvre intégrale est accompagnée de prolongements qui favorisent
l’approche artistique du théâtre dans ses différentes dimensions, tout parti-
culièrement la mise en scène. Les groupements de textes complémentaires
embrassent la totalité de l’amplitude chronologique, approfondissant les pro-
blématiques des œuvres intégrales en les replaçant dans l’histoire littéraire.
Plus spécifiquement, les pages d’histoire littéraire permettent de comprendre
l’évolution des genres du théâtre.
Cinq fiches de méthode aideront les élèves à mieux comprendre la spécificité
du genre théâtral, abordé dans sa dimension scénique.
127
séquence §
Le travestissement au théâtre
OBJECTIFS ET PRÉSENTATION Chacune de ces thématiques est abordée par le biais

DE LA SÉQUENCE d’un ensemble d’extraits à lire, qui trouvent leur pro-
longement dans un sujet de dissertation, suivant les
La séquence 6 propose d’interroger la fonction de cri-
recommandations du programme et la logique des
tique sociale du théâtre en se focalisant sur ce procédé
nouvelles épreuves de l’EAF qui incitent à dévelop-
spécifique au genre théâtral qu’est le travestissement.
per la capacité des élèves à disserter sur une œuvre
Les textes et les œuvres choisies permettent de com-
intégrale.
prendre en quoi le travestissement, inscrit dans une
Les prolongements artistiques et culturels per-
longue tradition dramatique, est un ressort essen-
mettent aux élèves d’approfondir leurs connaissances
tiel pour les auteurs afin de construire des intrigues
dans ces domaines en se familiarisant avec le per-
tout aussi bien comiques que dramatiques. Mais,
sonnage d’Arlequin inscrit dans une longue tradition
outre cette approche formelle, le travestissement
théâtrale, picturale et littéraire, et avec la portée
est interrogé comme moyen pour les auteurs de cri-
symbolique et sociale du carnaval de Venise, modèle
tiquer ou de questionner la société de leur temps.
historique d’un travestissement autorisé et ritualisé.
L’œuvre intégrale, L’Île des esclaves de Marivaux et le
Le groupement de textes complémentaires vise à
groupement de textes complémentaires permettent
présenter de manière diachronique les différentes
de comprendre en quoi les différentes formes de tra-
formes de travestissement existantes et les enjeux
vestissement viennent tout autant troubler la per-
ception du monde du lecteur ou du spectateur qu’ils dramatiques et sociétaux qu’elles recouvrent. Du
correspondent aux évolutions de la société même. La traditionnel travestissement social où le personnage
double page d’histoire littéraire et artistique permet opère un changement d’identité qui lui permet d’ac-
aux élèves de retenir l’essentiel à travers différentes céder à une reconnaissance de ses mérites (Hugo) ou
activités qui peuvent nourrir son dossier personnel. d’égaler en autorité son maître (Molière) en passant
L’œuvre intégrale, L’Île des esclaves de Marivaux par le travestissement d’intrigue où le personnage se
(1830), met en valeur l’inversion des rôles comme déguise pour duper les autres (Beaumarchais), nous
moteur essentiel de l’intrigue. Le parcours d’œuvre arrivons au travestissement propre à interroger plus
intégrale propose aux élèves d’interroger la portée strictement les identités, notamment sexuelles, et
dénonciatrice du travestissement en se focalisant sur ainsi interroger le poids des discriminations et des
les transformations qu’opère le travestissement sur inégalités qui pèsent sur certaines entités sociales
les personnages (extraits 1 et 5) et sur ses consé- (Brecht et Darley).
quences sur leurs relations réciproques, notamment
le rapport de maître à esclave (extraits 2, 3 et 4). PAGE 138
Cette perspective d’étude de l’œuvre intégrale est
prolongée par un premier sujet de dissertation ŒUVRE INTÉGRALE
portant sur la portée dénonciatrice de l’inversion des

rôles. Celui-ci est traité étape par étape dans la double L’Île des esclaves, Marivaux, 1725
page finale consacrée au baccalauréat, qui propose
également un commentaire de la scène 5 de la pièce
où Trivelin invite Arlequin à faire le portrait critique
1
▶▶
Un changement de statut
Objectif
de son maître.
■■ Comprendre comment la différence de statut entre
Outre la force dénonciatrice du travestissement, le
parcours d’œuvre intégrale (p. 142) propose deux deux personnages se manifeste.
autres perspectives d’étude : la figure d’Arlequin 1. Le fait qu’Iphicrate n’appelle pas toujours Arlequin
en tant que valet et la nature utopique de la pièce. par son nom, voire qu’il l’interpelle de manière
SÉQUENCE 6 Le travestissement au théâtre | 129

dévalorisante « Hé » (l. 7) montre bien qu’il n’a pas Dossier personnel
d’estime pour la personne d’Arlequin, ou qu’il le consi-
dère comme son inférieur puisqu’il n’est pas tenu à Il est demandé aux élèves de trouver parmi les défi-
la politesse d’usage. Ce qui n’est pas le cas d’Arlequin nitions du terme « coquette » celle qui sied le mieux
qui, lui, nomme bien son maître par son nom. au personnage d’Euphrosine. Le site du CNRTL
(www.cnrtl.fr) nous semble tout à fait adéquat. Pour
ARTS DE LA SCÈNE la recherche des tableaux, le site de la RMN (www.
photo.rmn.fr) est une mine. Nous pouvons d’ores et
Le choix des costumes permet effectivement de bien
déjà suggérer des peintures de Watteau, Fragonard
distinguer la différence de statut entre Cléanthis et
ou Goya. Il est donc attendu que les élèves justifient
Euphrosine, qui n’ont apparemment pas encore
dans leur écrit le choix de leur tableau en tant qu’il
échangé leur costume. L’habit d’Euphrosine renvoie
correspond bien au personnage d’Euphrosine.
à l’idée de richesse puisqu’elle porte une robe blanche
et satinée propre à être vêtue en soirée. À l’inverse,
Cléanthis porte un vêtement plus rudimentaire, ARTS DE LA SCÈNE
quoique très excentrique par ses couleurs vives et la Cette photographie de la mise en scène de Benjamin
présence d’une écharpe boa et d’un bonnet péruvien. Jungers reflète bien les enjeux de la situation exposée
Son costume dénote au final moins un aspect social dans le texte. Nous y voyons Cléanthis qui semble
qu’une certaine force comique. Le contraste demeure expliquer quelque chose à son auditoire ; sans doute
néanmoins marqué. fait-elle ici le portrait de sa maîtresse. Ses deux mains
nous indiquent qu’elle accompagne du geste ses
¤
▶▶
Un portrait ridicule
Objectifs
paroles. Son regard est d’ailleurs porté vers Euphrosine
qui semble tout à fait désappointée, comme le mani-
festent ses deux bras ballants et l’expression de son
■■ Comprendre la liberté de parole qu’offre le traves- visage. Trivelin, en retrait, est davantage spectateur
tissement au personnage. de la situation, comme un observateur curieux et inté-
■■ Saisir la force critique d’un portrait. ressé par ce qui est en train de se tramer.
■■ Identifier les figures de style qui permettent de
dévaloriser un personnage.
1. Cléanthis se plaît à faire le portrait de sa maîtresse ‹ Une parodie
de badinage amoureux
Objectifs
en une personne très artificielle, fortement portée sur ▶▶
son apparence et dont les sentiments sont égotiques ■■ Comprendre la dimension parodique d’une scène en
et contradictoires. En effet, les notions de vanité et s’appuyant sur la syntaxe.
■■ Saisir la portée critique du théâtre dans le théâtre.
de coquetterie sont très présentes dans le texte, et
■■ Observer le caractère bouffon d’un personnage.
répétées plusieurs fois (l. 36 et 49). Les sentiments
de sa maîtresse sont également fluctuants et portés 1. La présence de nombreuses propositions de dif-
aux extrêmes, ce qui laisse percevoir une personnalité férents types dans de si courtes répliques montre
irascible et changeante : « contente ou fâchée » (l. 46), bien la volonté de Cléanthis de mimer le langage
« jalouse ou curieuse » (l. 47). de sa maîtresse, et par là de critiquer ses manières
2. Cléanthis use de plusieurs types de figures de style langagières et d’émettre un jugement. La succession
pour souligner les défauts d’Euphrosine. Notamment de propositions juxtaposées « Monsieur, vous êtes
l’hyperbole, avec les tournures intensives « à toute galant, vous vous promenez avec moi, vous me dites
heure, en tous lieux » (l. 43), et la répétition à trois des douceurs » (l. 21-22) montre une sorte de pré-
reprises de l’adverbe « tant » (l. 44-45), qui permettent cipitation voire d’hystérie de la part du personnage.
d’insister sur l’étendue de ses défauts. L’usage de l’an- La proposition coordonnée suivante « mais finissons,
tithèse permet également de faire valoir les contra- en voilà assez, je vous dispense des compliments »
dictions dans le caractère de sa maîtresse ainsi que sa (l. 22-23) quant à elle montre l’esprit autoritaire et
superficialité : « Madame se tait, Madame parle ; elle péremptoire du personnage qui manifeste sans diffi-
regarde, elle est triste, elle est gaie : silence, discours, culté son agacement. Enfin, la proposition subordon-
regards, tristesse et joie » (l. 45-47). née « Faut-il vous dire qu’on vous aime ? » (l. 28) nous
130 | Le théâtre du xviie au xxie siècle

montre l’égocentrisme du personnage ainsi que son b) Les gestes pour séduire (Repérer dans le texte tous
caractère hautain. les éléments qui rendent compte des gestes des per-
2. C’est davantage Arlequin qui a des difficultés à sonnages et comprendre en quoi ils correspondent
tenir son rôle du fait de l’amusement personnel qu’il aux codes de l’amour courtois)
trouve à se moquer des maîtres, de sorte qu’il ne peut 2. Une mise en scène parodique
réprimer son rire par deux fois – « Oh ! oh ! oh ! oh ! » a) L’imitation ridicule des maîtres [Question 1]
(l. 17) et « Ah ! Ah ! Ah ! » (l. 30) – ni ne pas faire un b) Du théâtre dans le théâtre [Question 2]
bon mot sur la situation – « Nous sommes aussi bouf- La drôlerie de Marivaux s’exerce ici avec la plus grande
fons que nos patrons, mais nous sommes plus sages » férocité. Les imitations d’Arlequin et de Cléanthis,
(l. 30-31) – ni même jurer – « Palsambleu » (l. 16) – ce sous le regard contraint de leurs maîtres, invitent à
qui, selon Cléanthis, « défigur[e] [leur] conversation » considérer leurs comportements amoureux comme
(l. 18). Par ailleurs, ce qui rend la situation cruelle est ridicules car c’est leur vanité et leur pédanterie qui en
le fait que cette scène de « théâtre dans le théâtre » sont l’unique motif.
rend les maîtres spectateurs de cette parodie imagi-
née par leurs serviteurs, qui les connaissent mieux que ARTS DE LA SCÈNE
quiconque, ceci à seule fin d’imiter et critiquer leurs
Sur la photographie de la mise en scène de Giorgio
comportements et leurs défauts. Le miroir qui leur
Strehler, l’aspect parodique de la scène apparaît
est imposé les montre sous leur plus mauvais profil.
essentiellement dans l’effet de symétrie de l’atti-
Les deux personnages sont clairement à l’initiative
tude des personnages. Au premier plan, Cléanthis et
de cette situation puisqu’à la question d’Arlequin
Arlequin sont allongés au sol dans une position quasi
« Garderons-nous nos gens ? » (l. 7), Cléanthis affirme
similaire et se faisant face. Leurs airs sont joyeux, il est
« Sans difficulté ; pouvons-nous être sans eux » (l. 8),
visible qu’ils s’amusent de la situation. À l’inverse, les
manifestant clairement sa volonté d’imposer aux
deux maîtres, placés au second plan symétriquement
maîtres cette humiliation.
à leurs deux serviteurs, sont dans une attitude avachie
Dossier personnel et plutôt contrite. Iphicrate ne veut même pas voir la
scène tandis qu’Euphrosine se cache à moitié derrière
Il est attendu de la part des élèves qu’ils mettent en
son éventail.
exergue leur compréhension de l’extrait choisi en
›
changeant le point de vue dramatique par la mise en Un réquisitoire
dialogue des deux maîtres. Deux possibilités au moins contre les maîtres
s’offrent à eux : soit les maîtres manifestent leur ▶▶ Objectifs
mécontentement à l’égard de leurs esclaves et leur
■■ Analyser la portée dénonciatrice d’un réquisitoire.
solidarité face à leurs moqueries, soit ils se moquent ■■ Saisir la portée universelle d’un propos.
ouvertement l’un de l’autre par effet de mimétisme ■■ Identifier les moyens par lesquels un discours
avec leurs esclaves.
devient vindicatif.
VERS LE BAC. Commentaire 1. Cléanthis effectue ici un réquisitoire violent contre
Le commentaire pourra suivre le plan suivant et réin- les maîtres, par lequel elle stigmatise leur manque de
vestir les réponses au questionnaire. vertu au regard de l’honnêteté de leurs esclaves. Ainsi,
L’amour courtois est l’apanage d’une littérature qui elle met en parallèle leurs mérites qui ne sont que
met traditionnellement en valeur des personnages matériels ou mondains, « de l’or, de l’argent et des
de grandes conditions. On retrouve dans cette pièce dignités » (l. 5), « riche » (l. 8), « noble » (l. 8), « grand
l’idée que les élégances amoureuses sont celles avant seigneur » (l. 8) et les mauvais comportements dont
tout des maîtres néanmoins elles sont davantage ils font usage avec leurs esclaves, leur arrogance et
mises en exergue ici pour les moquer que pour les leur mépris : « qui nous méprisent » (l. 2), « qui font les
glorifier. C’est tout l’enjeu de cette scène qui tient fiers » (l. 2), « qui nous maltraitent » (l. 2), « qui nous
de la parodie la plus âpre et cruelle. regardent comme des vers de terre » (l. 2-3). Leurs
1. Un discours amoureux défauts sont donc l’arrogance, l’orgueil, l’iniquité et
a) Les mots pour plaire [Question 1] la méchanceté.

2. Grammaire que le nœud de l’intrigue morale est résolu. En effet,
L’usage réitéré des pronoms personnels « nous » et les maîtres et les esclaves se sont non seulement
« vous » permet à Cléanthis d’effectuer non seule- réconciliés, mais ils ont également retrouvé leur
ment une distinction très nette entre les maîtres et statut respectif de sorte que l’harmonie sociale a été
les esclaves mais aussi, par effet de généralisation, restaurée, comme le montrent les termes « plaisirs »
de donner à son discours une portée moins person- (l. 8) et « joie » (l. 8) à la fin de sa tirade. Ceci a pour
nelle qu’universelle puisque le discours peut ainsi effet de « charmer » (l. 1) Trivelin, le maître du jeu.
s’appliquer à toutes les relations maître/esclave. 2. Il est intéressant de remarquer que, dans ce
Ainsi Cléanthis s’exprime-t-elle au nom de tous les dénouement, l’accent est mis sur la leçon qu’ont pu
esclaves, catégorie dans laquelle elle s’inclue. éprouver les maîtres lors de leur passage sur l’île des
3. La présence de nombreuses phrases interrogatives esclaves. En effet, ce sont eux qui ont été transfor-
et exclamatives tout au long du texte nous montre més par cette « épreuve » (l. 6), et qui dorénavant
bien la colère qui parcourt le discours de Cléanthis. En semblent envisager leur statut de manière à ne plus
effet, les multiples questions rhétoriques et les excla- « mal agi[r] » (l. 5) envers leurs esclaves. Ils sont donc
mations qui viennent y répondre – « Vous étiez tout « pardonn[és] » (l. 5). Ainsi, nous comprenons à travers
cela, en valiez-vous mieux ? Et que faut-il donc ? Ah ! ce dénouement que ce qui est remis en cause n’est
Nous y voici » (l. 9-10) – semblent ne laisser aucune pas la « différence des conditions » (l. 6) en tant que
possibilité de réponse à Euphrosine et Iphicrate, pré- telle mais plutôt le mauvais comportement que
sents dans la scène. Cléanthis a donc tout loisir de permet cette différence de condition. Tel est ce qui a
porter une attaque violente contre les maîtres. été éprouvé par les maîtres étant devenus esclaves.
L’idée est donc qu’ils ne reproduiront plus dorénavant
Dossier personnel
les « duretés » (l. 3) qu’ils ont commises par le passé.
La difficulté pour l’élève consistera à trouver un fait Dossier personnel
de société actuel et injuste qui soit adéquat. Nous
suggérons comme exemple possible l’injustice sociale L’idée est que l’élève puisse envisager un dénoue-
et fiscale, la pollution industrielle ou l’inégalité entre ment dont la « morale » soit autre. Il est à penser que,
les hommes et les femmes. Il sera attendu que ce dis- plutôt que de concentrer cette fin sur la leçon que
cours prenne bien la forme d’un réquisitoire, c’est-à- peuvent en tirer les maîtres, les élèves souhaiteront,
dire qu’il soit logiquement construit, que le rythme du au contraire, prolonger le renversement de l’ordre
discours soit vif, que les arguments soient percutants, établi en laissant l’opportunité aux deux esclaves de
et que l’objet du réquisitoire soit donc intelligemment clôturer la pièce.
et énergiquement critiqué.
PAGE 142
ARTS DE LA SCÈNE
L’attitude de Cléanthis envers Euphrosine correspond PARCOURS D’ŒUVRE INTÉGRALE

assez à l’idée que l’on peut s’en faire en lisant l’extrait,
c’est-à-dire dédaigneuse et pleine de mépris envers L’Île des esclaves
sa maîtresse. Le fait qu’elle la surplombe du regard
alors même qu’Euphrosine est à ses genoux souligne PISTE DE LECTURE 1
cette attitude. Une critique sociale
[Voir p. 157]
∞ Un dénouement heureux
Objectifs
PISTE DE LECTURE 2
▶▶
Arlequin, un valet traditionnel ?
■■ Reconnaître un dénouement de comédie. a. Arlequin, bien qu’esclave d’Iphicrate, manifeste
■■ Saisir la « morale » d’une pièce à la lecture de son
dans cette scène d’ouverture une certaine forme
dénouement. d’impudence et d’effronterie dans la mesure où il
1. Ce dénouement correspond bien à celui attendu se permet de contester l’autorité de son maître en
classiquement pour une comédie car il est manifeste refusant ses ordres et en le narguant ostensiblement.

Le fait qu’il soit ivre et qu’il apprenne de son maître Nous verrons que Marivaux construit un Arlequin qui
qu’ils ont échoué sur l’Île des esclaves peut expliquer respecte la tradition, mais dont l’évolution dans la
l’impertinence de son comportement. pièce le fait sortir des gonds de cet héritage.
b. Arlequin montre ici une certaine forme d’intel- La dissertation pourra suivre le plan suivant et réin-
ligence affective dans l’empathie qu’il a pour son vestir les analyses des extraits étudiés :
maître. En effet, touché par le discours d’Iphicrate, 1. Un valet archétypal
Arlequin se met à pleurer d’émotion. Cette émotion a) Un esprit léger et fantasque
provoque une certaine mansuétude envers son maître, Marivaux fait d’Arlequin un personnage non seule-
à qui il décide de donner son pardon. Il ne le fait pas ment bon vivant et hâbleur mais aussi un person-
sans lui rappeler le coût qu’il y a d’être esclave lorsque nage effronté et impertinent [Voir réponse a. et les
l’on a un maître injuste. Cela montre également son scènes 1 et 5]
intelligence et sa capacité à comprendre une situation. b) La difficulté à assumer sa position de maître
c. Ce qui est surprenant ici, c’est qu’Arlequin cherche À plusieurs occasions, Arlequin nous montre ses dif-
à convaincre Cléanthis d’abandonner son statut de ficultés à assumer son nouveau statut. Son langage
maître pour retrouver celui d’esclave en vertu d’un reste gouailleur et parfois grossier (scène 6). Il est
argument moral qui est la recherche du bien. Il n’est au demeurant sensible à la situation de son maître
pas conventionnel qu’un valet construise sa conduite (scène 9).
sur un tel argument dans la mesure où, traditionnel-
2. Un valet qui se distingue
lement, c’est plutôt l’intérêt personnel plutôt que la
a) Un personnage en évolution
recherche du « bien » qui gouverne le comportement Ici, il faut bien prendre en compte la progression du
d’un valet. personnage dans l’entièreté de la pièce en précisant
d. À la lecture de ces trois extraits choisis, on constate qu’en quelque sorte Marivaux fait évoluer son per-
qu’Arlequin évolue au cours de la pièce. Bien que sonnage de l’archétype traditionnel du valet vers un
gardant un esprit léger et fantasque tout au long de la personnage doué de réflexion sur lui-même et sur
pièce, ce qui constitue traditionnellement les qualités sa condition [Voir citation de Matucci et réponse d.]
du personnage, il est remarquable que l’expérience de b) La quête du bien
l’inversion des rôles l’invite à développer des facultés L’analyse de la scène 10 [réponse c.] permet de nous
intellectuelles et humaines plus prononcées. On le rendre compte qu’Arlequin devient particulièrement
voit au final épris de l’amour du bien et du juste, ce porteur d’un projet moral en ce que sa quête devient
qui en fait un personnage très positif. celle du « bien ». Il atteint presque en tant que per-
VERS LA DISSERTATION sonnage le statut d’un philosophe.
Il est attendu des élèves qu’ils puissent réexploiter les Conclusion
extraits précités pour appuyer leur propos mais aussi L’art dramatique de Marivaux se distingue par une
s’ils le souhaitent en ajouter d’autres. grande connaissance de ce qui fait les traditions théâ-
Introduction trales du genre de la comédie et par les subtilités qu’il
Marmontel dit d’Arlequin dans l’Encyclopédie qu’il y apporte. La construction de son personnage d’Arle-
est « un mélange d’ignorance, de naïveté, d’esprit, quin dans L’Île des esclaves révèle tout à fait cette
de bêtise et de grâce ». Chaque dramaturge qui faculté car Marivaux établit un Arlequin qui corres-
introduit dans son intrigue ce personnage consa- pond à ce que la tradition attend de lui : il est mala-
cré de la commedia dell’arte doit en quelque sorte droit, fantasque, insolent et facétieux. Néanmoins,
rendre hommage à son caractère typique pour qu’il son évolution dans la pièce lui ajoute des dispositions
soit ainsi reconnaissable. Mais n’a-t-il pas le droit d’y qu’il n’a habituellement pas tant il devient capable
faire entrer quelque chose de nouveau qui ajoutera à de facultés intellectuelles et morales, et, se faisant,
sa particularité ? Et qui ainsi lui permettra de signer « brise son carcan » d’archétype.
sa différence avec les autres auteurs ? Marivaux est
PISTE DE LECTURE 3
un dramaturge qui sait jouer des traditions théâtrales
mais qui sait également y ajouter des particularismes Une utopie trompeuse
qui font son originalité. Ainsi, nous nous demanderons a. La description par Iphicrate des mœurs qui ont
si son Arlequin correspond bien à l’archétype du valet. cours sur l’Île des esclaves a de quoi effrayer dans la

mesure où la loi qui règne sur ce territoire est l’assas- Introduction
sinat ou la réduction en esclavage de toute personne Ainsi que le présuppose Saint-Beuve dans ses Causeries
considérée comme maître. C’est Iphicrate qui en est le du lundi, L’Île des esclaves est bien le théâtre d’une
plus ému, ce qui paraît logique. Arlequin, lui, ne paraît « révolution entre les classes » en ce que l’inversion
pas effrayé par ces lois. des rôles entre les maîtres et les esclaves est bien le
b. Les règles fixées dans l’île consistent à mettre à principe utopique qui régit ce territoire. L’ordre établi
l’épreuve de l’esclavage les anciens maîtres dans le est donc renversé. Mais pour combien de temps ? Et
but de leur faire intimement comprendre en quoi dans quel but ? Si « l’île des esclaves » est ce lieu uto-
leur comportement ancien pouvait être injuste. Cette pique où rien n’est comme avant pour Iphicrate et
mise à l’épreuve est censée durer trois années, au bout Euphrosine, c’est parce que Trivelin autorise Arlequin
desquelles leur ancien esclave pourra juger de leur et Cléanthis, les esclaves de ces derniers, à toutes les
bon comportement. S’ils ont bien agi durant cette licences et à tous les jeux pour mettre à l’épreuve
période, ils sont libérés de leur condition d’esclave car leur maître. Et les maîtres le sont, éprouvés, et même
considérés comme sauvés de leur « mauvais état ». humiliés dans ce qu’ils ont été. Mais le jeu a un terme.
L’entreprise consiste donc à les « guérir ». Une fois que les maîtres ont compris les injustices
c. La réconciliation de Cléanthis et Euphrosine repose commises et que leurs esclaves leur pardonnent
davantage sur le cœur que sur un discours raisonné. celles-ci, le monde retrouve son ordre premier, à peu
Cléanthis vient de dresser un réquisitoire argumenté de chose près. Nous pouvons alors nous demander,
contre les maîtres et sa maîtresse. C’est l’entremise contre Saint-Beuve, si la destination de cette pièce
d’Arlequin qui la fait d’abord pleurer, puis elle en n’est pas humaniste plus que révolutionnaire.
appelle à son cœur pour pardonner sa maîtresse. 1. Une mise à l’épreuve de l’ordre établi
L’effusion manifeste d’Euphrosine une fois ce pardon a) Un monde utopique qui inverse les rôles
prononcé montre aussi de sa part un certain transport Le caractère effrayant de « l’île des esclaves » dans
qui a plus trait aux sentiments qu’à la raison. l’imaginaire d’Iphicrate n’est pas totalement confirmé
d. Le sens moral qu’attribue Trivelin à cette réconcilia- par l’arrivée de Trivelin. Néanmoins, ce dernier édicte
tion est d’abord celui d’une leçon faite aux maîtres au un certain nombre de règles qui vont venir fortement
sujet de leurs mauvais comportements dans l’exercice contrarier le destin du maître : il va devenir esclave
de leur autorité. Ce dénouement répond en quelque à son tour. Et pareillement pour Euphrosine. Les
sorte aux attendus fixés par Trivelin lors de la scène 3. esclaves, Arlequin et Cléanthis, devenus leurs maîtres,
Euphrosine et Iphicrate ont effectivement réussi leur sont les auxiliaires de cette mise à l’épreuve. L’utopie
mise à l’épreuve et leurs esclaves les ont pardonnés. prend corps.
Ils retrouvent donc leur ancien statut. b) Des esclaves qui se jouent de leurs maîtres
e. La réponse à la question est sujette à discussion. Une série d’épreuves sont offertes à l’orgueil des
Si les élèves peuvent trancher en faveur de l’une ou anciens maîtres dans le but de leur faire admettre
l’autre des catégories de personnages, ils doivent leurs faiblesses et leur manque de moralité. Du por-
néanmoins pouvoir exposer quels ont été les boulever- trait de coquette au portrait d’un fat, d’une parodie
sements pour chacun d’entre eux, maîtres et esclaves. de leurs parades amoureuses à la violence d’un réqui-
Ils peuvent par exemple montrer que les esclaves évo- sitoire contre leur honorabilité factice, les maîtres
luent positivement car ils agissent noblement envers subissent les vengeances et les violences.
leurs maîtres par la magnanimité qu’ils leur mani- 2. Un monde qui retrouve son équilibre
festent. Pareillement, les maîtres éprouvent les limites a) Des maîtres éprouvés
de leur statut et comprennent les souffrances qu’ils Iphicrate et Euphrosine admettent de mauvais cœur
ont pu infliger à leurs esclaves, ils évoluent positive- leur nouveau statut. Ils rechignent à la tâche. Mais ils
ment, devenant plus raisonnables. Les élèves devront ne peuvent pas faire autrement que subir. Aussi, ils
s’appuyer sur un examen approfondi de la pièce et de
admettent successivement leurs torts, et se recon-
l’évolution de chacun des personnages.
naissent dans les différents portraits qui sont faits
VERS LA DISSERTATION d’eux. L’utopie commence à les transformer.
La dissertation pourra adopter le plan suivant et réin- b) Le pardon et la réconciliation des maîtres et des
vestir les analyses des œuvres étudiées. esclaves

Poussés à bout, ils demandent l’indulgence, la com- 2. La première mise en scène s’articule autour d’un
passion et font amende honorable : ils jurent aux décor simple constitué d’un pan de mur en bois ainsi
esclaves qu’ils ne seront plus les maîtres qu’ils étaient que de quatre chaises. La lumière est plutôt chaude
et qu’ainsi les esclaves ne seront eux-mêmes plus les et diffuse, bien qu’à un moment des lumières bleues
victimes de leur tyrannie. Cette proposition acceptée et froides mettent particulièrement en valeur les
par Arlequin et Cléanthis, l’ordre est aussitôt rétabli. deux maîtres, soulignant ainsi leur désarroi. Le jeu
Trivelin peut fêter avec eux leur réconciliation et leur des acteurs se veut fondamentalement comique par la
départ de l’île des esclaves. mise en valeur des gestes et des mimiques mais aussi
Conclusion par l’exagération des voix et des tons qui soulignent
« L’île des esclaves » est bien cet espace utopique où la force parodique de la mise en scène. Le décor de la
l’ordre du monde est renversé : les maîtres ne sont deuxième mise en scène est construit à partir d’une
plus les maîtres et les esclaves plus les esclaves. Mais scène de bois circulaire (symbole de l’île) relative-
il est seulement un espace transitif où ce qui importe ment restreinte, ce qui contraint les acteurs à une
est moins l’égalité entre les maîtres et les esclaves, certaine proximité. La lumière est chaude et diffuse
autrement dit l’abolition des statuts, que de rendre de sorte que tous les acteurs sont mis en valeur. Les
les maîtres moins injustes et par là les esclaves mieux maîtres, spectateurs de cette parodie amoureuse, sont
portants. Nulle révolution ni remise en cause des clairement mécontents de la situation et assistent
structures fondamentales de la société ici, mais bien à une parade amoureuse ambiguë entre leurs deux
un moyen pour Marivaux d’humaniser les rapports esclaves qui semblent réellement se séduire. Ce parti
entres les dominants et les dominés et « d’aménager pris confère à la scène une dimension plus sérieuse
l’injustice pour la faire accepter ». que comique.
3. L’élève doit ici réussir à construire à l’écrit une cri-
tique théâtrale qui doit lui permettre de réinvestir
PAGE 143
ses réponses 1 et 2, tout en organisant et justifiant
ses choix.
Dossier personnel
ACTIVITÉ 3. Mettre en scène un extrait
ACTIVITÉ 1. Réalisez le portrait d’Arlequin de L’Île des esclaves
Il est attendu que l’élève fasse preuve d’une certaine Il est attendu de l’élève une certaine capacité à inter-
capacité d’interprétation de l’œuvre et qu’il ait une préter l’œuvre et à effectuer des choix personnels.
vision précise du personnage d’Arlequin, afin de Il doit faire preuve d’autonomie et de collaboration
pouvoir identifier le parcours du personnage dans dans son travail.
la pièce. Il doit réussir à mettre en relation cette Enfin, il doit pouvoir mémoriser un texte, savoir l’in-
recherche littéraire et des éléments picturaux (Degas, terpréter théâtralement et en élaborer la dramatur-
Somov, Sand, Ferreti…) qui y correspondent. Enfin, il gie. Nous pouvons suggérer aux élèves de travailler
doit savoir justifier son travail à l’oral en l’exposant. la scène 3, 6 ou 10.
ACTIVITÉ 2. Rédigez une critique de mise en scène ACTIVITÉ 4. Développer un jugement personnel
1. La scène 2 de l’acte III d’Hamlet a pour fonction sur une œuvre
de révéler une vérité cachée de l’intrigue. En effet, La citation de Voltaire semble indiquer que les pièces
Hamlet profite de la venue de comédiens pour mettre de Marivaux manquent de profondeur, bien que ses
en scène un assassinat, espérant que Claudius tra- intrigues soient savamment tissées. Au contraire,
hisse sa propre culpabilité. Dans La vie est un songe, Sainte-Beuve souligne l’acuité critique de l’œuvre de
le « théâtre dans le théâtre » est présent à travers Marivaux derrière l’aspect plaisant et apparemment
le déguisement de Rosaure. La pièce propose une superficiel de ses pièces. Il est attendu que l’élève éta-
réflexion sur l’illusion et la réalité. Enfin, la pièce d’Oli- blisse un jugement personnel sur l’efficacité critique
vier Py, Illusions comiques, en tant qu’elle met en jeu de L’Île des esclaves et défende son opinion contre
des acteurs qui répètent une pièce, nous interroge celle de l’auteur qui lui paraît la plus opposée. Son
sur le théâtre lui-même et sa place dans le monde écrit doit répondre aux principes d’une correspon-
contemporain. dance adressée à un homme de lettres.

PAGE 145
PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS
Le carnaval de Venise,
une fête de tous les possibles
PAGE 144
1. Ce tableau de Tiepolo représente toute une foule
Arlequin, un personnage haut
de personnes participant au carnaval. On y distingue
en couleur aussi bien des hommes que des femmes, des per-
1. Dans ce portrait qu’Arlequin fait de lui-même, il sonnes de tout âge, enfants comme adultes. Certains
raconte très brièvement son parcours, et notamment sont masqués et d’autres non, mais le costume qu’ils
l’ensemble des métiers qu’il a exercés. Le motif unique portent prête à croire qu’ils sont de bonnes condi-
qui l’a tant fait changer de métiers est la quête d’un tions. En effet, les robes des femmes sont d’apparence
toit et de nourritures : se « mettre en condition là où luxueuse, tout comme les costumes des hommes.
on mange bien » (l. 4). On comprend qu’il est de basse L’effet de foule et de mouvement donne à la scène
condition sociale et qu’il n’a pas totalement réussi à représentée une impression de joie et d’amusement.
s’en extraire puisque, étant comédien à la cour, il était
2. Ce qui rend les personnes égales lors du carnaval est
encore vêtu de « guenilles » (l. 8).
« l’immunité » (l. 9 et 13) que le port de la bautta (le
2. À l’observation du tableau de Claude Gillot et à masque) leur garantit. En effet, du seul fait de porter
la lecture du texte de Jean-François Marmontel, on ce masque, chaque personne est rendue anonyme
peut penser que les couleurs multiples qui parsèment socialement, elle se promène « sans être appelée
le costume d’Arlequin représentent les différents par son nom propre » (l. 5), même si elle est recon-
qualités et défauts qui constituent son caractère. En naissable, car « son visage n’est pas caché (l. 10-11).
effet, selon Marmontel, le caractère d’Arlequin est Ainsi, ces personnes échappent « aux contraintes de
« un mélange d’ignorance, de naïveté, d’esprit, de la sociabilité ordinaire » (l. 6), un noble n’est plus par
bêtise et de grâce » (l. 1). Il est dit qu’il est même exemple « l’objet d’égards particuliers » (l. 7), tout le
« patient, fidèle, crédule, gourmand, toujours amou- monde est traité « avec respect » (l. 14).
reux » (l. 6). Le personnage apparaît comme multiple,
tout comme les couleurs de son costume. Enfin, les ORAL
tons bleu, rouge, vert, marron de son habit confèrent L’exercice ne présente a priori pas de difficultés par-
une certaine légèreté au personnage assez semblable ticulières. Il faudra tout de même orienter les élèves
au caractère décrit dans l’extrait. vers un site Internet qui leur permette d’avoir une
certaine exhaustivité de choix. Par exemple, le suivant,
3. Ce qui laisse dire qu’il y a de la théâtralité dans cette
bien qu’il soit commercial : https://www.masquesde-
représentation picturale est la présence de quatre
venise.fr/index.html
personnages au milieu d’une scène faite d’un plan-
cher qui n’est pas sans rappeler celle d’un théâtre. De
même, le fond qui représente la perspective d’une rue PAGES 146-151
avec ses bâtiments pourrait composer le décor d’une
scène. Enfin, les quatre personnages semblent jouer,
comme s’ils s’agissaient d’acteurs interprétant leurs
rôles, esquissant des gestes, ou même s’exprimant,
comme le personnage vêtu de noir à droite. Arlequin, Identités troubles et troublantes
lui, porte le masque typique de la commedia dell’arte.
ORAL PAGE 146
Il y a effectivement un certain nombre d’éléments
dans ces différentes descriptions d’Arlequin qui sont
bien en rapport avec le personnage dans la pièce de
Marivaux : buveur et bon vivant (scène 1), l’espièglerie
⁄
▶▶
Molière, Dom Juan
ou le Festin de pierre, 1665
Objectifs
(scène 5 et 6), la grossièreté et la sottise (scène 8) la ■■ Comprendre les spécificités du rapport maître/valet.
sensibilité (scène 9), l’intelligence (scène 10). Il faudra ■■ Analyser la manière dont le travestissement trans-
que les élèves établissent ces liens et les justifient. forme le personnage.

1. ENTRER DANS LE TEXTE VERS LE BAC. Dissertation
La relation ici présente correspond d’une certaine La dissertation pourra suivre le plan suivant et réin-
façon à la relation maître/valet puisqu’il est sensible vestir les analyses des œuvres étudiées :
dans le dialogue que Sganarelle marque une déférence Introduction
plus importante à l’égard de Dom Juan, que celui- George Forestier définit dans son Esthétique de
ci ne le fait. Néanmoins, on constate une certaine l’identité dans le théâtre français (1550-1680) le
proximité amicale entre les deux personnages, Dom déguisement comme un « changement d’identité du
Juan semblant accorder du crédit et de l’intérêt aux personnage, c’est-à-dire sa manière d’être, qui peut
réponses de Sganarelle. D’autre part, que les rapports s’accompagner d’un changement de costume et/ou
soient artificiellement inversés du fait de leur dégui- d’un masque et, par delà, d’un changement de sexe
sement permet à Sganarelle d’être plus libre dans sa ou d’identité sociale » dont le but est d’imiter une
prise de parole et l’expression de ses pensées. réalité pour la changer ou tromper l’autre. On com-
2. Dans ses propos, Sganarelle se permet effecti- prend à l’aune de cette définition la portée subver-
vement de contester l’autorité de son maître. En sive du travestissement en tant qu’il est un jeu sur
effet, l’usage de l’impératif « avouez que » (l. 2), de les apparences et les identités qui peut tromper le
la négation « votre premier… n’était point du tout » regard ou simplement le déplacer de sorte à l’inviter
(l. 3), et la question à tournure quasi rhétorique à questionner cette même réalité ou ces identités. Il
« Savez-vous… » (l. 8-10) montre un Sganarelle tout devient alors un moyen effectif de contester l’ordre
à fait sûr de lui, et qui s’affirme contre son maître. établi, quel qu’il soit.
Néanmoins, il est sensible à travers l’énonciation que 1. Le travestissement comme jeu
leurs statuts sont inchangés malgré le travestisse- sur les apparences
ment puisque Sganarelle continue de vouvoyer son a) Se travestir pour piéger l’autre
maître, « Monsieur, avouez que j’ai eu raison » (l. 2) Se travestir pour changer son identité peut être un
pendant que Dom Juan le tutoie, « il est vrai que te moyen ponctuel et stratégique dont le but consiste,
voilà bien » (l. 5). sous couvert de sa nouvelle identité, à accéder à une
3. Le travestissement apporte à Sganarelle une consi- réalité du monde normalement inaccessible. L’autre
dération plus importante qu’il n’en avait en tant que nous accepte parce que nous ne sommes plus nous-
valet. En effet, le voilà « salué » (l. 9), mis « en consi- mêmes et nous confie des secrets qui nous permettent
dération » (l. 9), on vient le « consulter » (l. 10) et de mieux le cerner. Ainsi, la comtesse se déguise en
« demander [son] avis » (l. 13) pour le fait qu’on le Suzanne et trompe la vigilance de son mari. Ruy Blas
prend pour « un habile homme » (l. 10), Sganarelle devient Premier ministre et accède au cœur de la reine
n’oubliant pas de préciser qu’il doit cette considéra- d’Espagne, mais le travestissement finit par le piéger
tion à « l’honneur » (l. 18) de son habit. lui-même (Le Mariage de Figaro, Ruy Blas).
4. SYNTHÈSE b) Se travestir pour démasquer
Le travestissement présent dans cette scène a le Le travestissement, en tant qu’il joue sur les appa-
pouvoir d’introduire la possibilité de renverser le rences, permet non seulement d’accéder à une réalité
rapport maître/valet puisque les habits de médecin nouvelle mais aussi de déjouer les artifices ou les faux-
procurent à Sganarelle non seulement une nouvelle semblants des autres. Ainsi, la comtesse découvre
honorabilité mais également les moyens d’entrer en sous couvert de son travestissement la réalité des
discussion avec son maître de manière plus égale. sentiments éprouvés pour elle par son mari. Le
Néanmoins, le propos est ici à nuancer car le rapport comte, piégé, est maintenant démasqué (Le Mariage
n’est ni réellement égalitaire ni tout à fait renversé de Figaro).
dans la mesure où Sganarelle continue de vouvoyer 2. Le travestissement comme renversement
son maître pendant que celui-ci le tutoie. Il semble social
que Molière se sert du travestissement pour ses a) L’inversion des rôles sociaux
vertus comiques, mettant également en valeur Le travestissement peut ne pas être un jeu de dupe
la naïveté et la vanité naissante du valet croyant mais plutôt un jeu déclaré qui consiste à symbolique-
pouvoir devenir l’égal de son maître sous prétexte ment renverser l’ordre social par le truchement du
de son nouvel habit. vêtement. Ainsi, Arlequin et Iphicrate, sous l’autorité

de Trivelin, échangent leur costume pour signifier qui différencie les deux œuvres réside dans la position
l’inversion de leur statut. Dom Juan et Sganarelle se du maître. En effet, si Iphicrate subit pleinement la
déguisent en médecins pour échapper à leurs poursui- situation dans la mesure où son statut est modifié, et
vants. Ils doivent donc, pour convenir à leur nouvelle où il doit donc agir et s’exprimer comme un esclave,
identité, accepter, provisoirement, leur égalité sociale il en va tout autrement de Dom Juan, dont le statut
(L’Île des esclaves, Dom Juan). n’est nullement affecté par son habit, et qui conserve
b) Une libéralisation de la parole malgré tout ses prérogatives de maître.
Il découle de ces inversions sociales une consé-
quence qui n’est plus seulement symbolique mais ARTS DE LA SCÈNE
effective, dans la mesure où le personnage travesti
qui accède à un statut social supérieur s’arroge un Dans cette mise en scène de Dom Juan, en 2016,
pouvoir nouveau. Le travestissement transforme ses J.-F. Sivadier choisit de souligner l’opposition entre
comportements et lui donne le droit d’exprimer sa Sganarelle et Dom Juan puisque Sganarelle, par sa
pensée (Sganarelle) ou ses ressentiments (Arlequin). posture, s’oppose à son maître voire semble l’accuser
de quelque chose en le pointant du doigt. Son attitude
3. Le travestissement comme moyen de lutter
physique est plutôt agressive, alors que Dom Juan
contre les préjugés
observe Sganarelle avec un relatif calme, sans perdre
a) Des minorités qui s’affirment
une posture à la fois noble et pleine d’autorité.
Le travestissement permet à des minorités de s’af-
franchir des obligations et des carcans sociaux qui, TICE
jusque-là, les contraignaient. Cléanthis peut ainsi faire Nous apprenons à l’écoute de cette interview de
entendre sa voix et faire le réquisitoire de ses maîtres Nicolas Bouchaud que Molière a écrit Dom Juan en
(L’Île des esclaves, scène 10). Shen Té peut, sous le réaction aux critiques qu’il a subies de son temps.
masque de son oncle, se débarrasser d’une famille Cela rend cette œuvre concrète et actuelle pour ses
inopportune (La Bonne Âme du Se-Tchouan). contemporains. À cela s’ajoute l’idée que la société
b) Se mettre à la place de l’autre et le comprendre combattue à l’époque par Molière, notamment le parti
Le lecteur ou le spectateur est ainsi confronté à des des dévots, des religieux extrémistes, peut également
discours qui peuvent non seulement le toucher mais trouver une résonnance dans notre société actuelle
auxquels ils n’auraient peut-être pas prêté attention où les religions peuvent, sous certains aspects, être
tant le travestissement en tant que moyen de renver- source de contraintes et de conflictualité. C’est le parti
ser l’ordre établi devient un révélateur des injustices pris expliqué ici par Nicolas Bouchaud dans la mise en
du monde. L’intimité du propos de Marie-Pierre lui scène de Jean-François Sivadier.
permet de comprendre à la fois la légitimité identi-
taire et la difficulté sociale de son travestissement PAGE 147
(Le Mardi à Monoprix).
Conclusion
Le travestissement en tant qu’il est un jeu sur les ¤ Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais,
Le Mariage de Figaro, 1784
Objectifs
apparences est un formidable outil de questionne- ▶▶
ment du monde. En effet, se travestir, c’est piéger et ■■ Saisir le pouvoir démystificateur du travestissement.
■■ Comprendre la complexité dramatique d’une scène
démasquer, donc comprendre. Se travestir, c’est inver-
ser l’ordre social et donc libérer les paroles. Enfin, se de « théâtre dans le théâtre ».
■■ Identifier les intentions et les ruses d’un personnage.
travestir, c’est permettre à des minorités de s’affirmer
et donc de plus facilement s’identifier à elles. 1. ENTRER DANS LE TEXTE
La présence de Figaro et Suzanne apporte à la scène
ŒUVRE INTÉGRALE
une dimension plus spectaculaire encore dans la
Dans cette scène, le travestissement semble avoir mesure où tous deux, devenant spectateurs de la
la même portée critique que dans L’Île des esclaves situation, font de la scène une scène de théâtre dans
puisqu’il permet à un valet de s’affranchir quelque le théâtre. Cela complexifie la situation, puisque le
peu de sa condition, et donc de s’autoriser à parler spectateur peut observer Figaro et Suzanne observant
quasiment « à hauteur » de son maître. Néanmoins, ce le comte et la comtesse. Il est évident qu’un jeu de

dupes s’opère également pour le couple que forment Introduction
les servants puisque Suzanne sait que la comtesse Le travestissement est un procédé théâtral qui donne
est déguisée (« charmante », l. 9), pendant que Figaro beaucoup à comprendre de ce qu’est l’art dramatique
croit que c’est à Suzanne que le comte fait la cour lui-même. En effet, dans la figure du travesti se noue
(« coquine », l. 8). Cela démultiplie les points de vue de manière grossie et concentrée tout ce qui a lieu
et intensifie la situation dramatique. dans le jeu d’un acteur. Ici, la comtesse déguisée
2. Grammaire en Suzanne joue le personnage de Suzanne, elle en
devient l’actrice. Le fait qu’elle tienne ce rôle devant
La comtesse procède par phrases interrogatives
les yeux de Suzanne et de Figaro, tous deux cachés,
– « Vous ne l’aimez plus ? » (l. 18), « Que vouliez-
fait de cette scène un théâtre dans le théâtre. Le jeu
vous en elle ? » (l. 20) – et, profitant du masque du
des illusions se dédouble mais dans quel but ? Il s’agit
travestissement, il est sensible qu’elle enquête sur la
alors de mettre en avant la portée critique de cette
réalité des sentiments du comte, son mari, envers elle.
scène en ce qu’elle permet pour la comtesse de com-
Le travestissement lui permet donc de le questionner
prendre que son mari la trompe et pour le spectateur
à loisir sur la réalité de son affection pour elle.
de comprendre en quoi la noblesse symbolisée ici par
3. SYNTHÈSE le comte est fourbe.
Le travestissement en tant que jeu sur les apparences 1. Une scène de théâtre dans le théâtre
permet à la comtesse de démasquer les intentions a) Les jeux de rôles
réelles du comte envers Suzanne, puisque celui-ci, Il s’agit d’expliquer comment le stratagème (le billet,
ne se doutant pas qu’il s’agit de la comtesse derrière le rendez-vous galant, la dimension nocturne…) est
le déguisement, lui fait ostensiblement la cour. La construit dans cette scène autour du travestissement
comtesse, profitant de l’occasion, va aller plus loin, de la comtesse qui joue le rôle de Suzanne (vêtement,
et va chercher à savoir précisément ce qu’il pense de voix…) pour piéger le comte.
sa relation et de son mariage avec elle. Le masque b) La complexité des points de vue
du travestissement permet de démasquer les faux- S’appuyer sur la réponse 1 pour étayer son analyse.
semblants du comte. 2. Un libertin démasqué
a) Un comte séducteur et dupé
ŒUVRE INTÉGRALE
S’appuyer sur la réponse 3 pour étayer son analyse.
Il est intéressant de remarquer des similitudes entre b) Une comtesse investigatrice et déniaisée
cet extrait du Mariage de Figaro et l’extrait 3 de S’appuyer sur la réponse 2 pour étayer son analyse.
L’Île des esclaves. D’une part, il s’agit dans les deux Conclusion
cas d’une scène de séduction amoureuse. En effet, Le travestissement est symbolique de l’art théâtral.
Arlequin et Cléanthis jouent à se charmer tandis qu’ici Ce procédé tel qu’il est inséré dans l’intrigue du
le comte cherche à charmer Suzanne, ne sachant pas Mariage de Figaro intensifie la situation dramatique,
qu’il s’agit en réalité de sa femme, la comtesse. Or, complexifie le jeu mais permet en même temps de
cela fait une certaine différence car la scène chez démasquer les faux-semblants du comte. Il permet de
Marivaux relève d’une forme de parodie de l’amour comprendre le pouvoir démystificateur du travestis-
dit courtois, tandis que chez Beaumarchais, il s’agit en sement au théâtre.
réalité d’une duperie dont le comte est la victime. Ce
qui est semblable également, c’est le fait qu’il y ait des ARTS DE LA SCÈNE
observateurs à la scène. Euphrosine et Iphicrate qui
sont contraints d’observer leurs esclaves se moquer Dans cette mise en scène, Remi Barché cherche à
de leur manière, et Suzanne et Figaro qui observent valoriser l’aspect carnavalesque et festif de la pièce
la scène, en tant que complice pour Suzanne, par de Beaumarchais. En effet, la présence d’une forte
coloration rose et rouge dans les décors, les nombreux
indiscrétion pour Figaro. Il s’agit donc de ce que l’on
ballons au sol, le costume de la comtesse rappellent
appelle des scènes de « théâtre dans le théâtre ».
une atmosphère de salle des fêtes, ou de bal. Ainsi,
VERS LE BAC. Commentaire c’est sans doute à la fois la force comique et le jeu
Le commentaire pourra adopter le plan suivant et sur les apparences que le metteur en scène cherche
réinvestir les réponses au questionnaire. à accentuer ici.

PAGES 148-149 la force du verbe et des images employés par Ruy
Blas, la présence de l’alexandrin, le dilemme auquel il
‹
▶▶
Victor Hugo,
Ruy Blas, 1830
Objectifs
est confronté anoblissent le personnage. Il est donc
conféré à ce valet une valeur bien supérieure à sa
condition.
■■ Montrer les caractéristiques d’un personnage en
proie au désespoir. ARTS DE LA SCÈNE
■■ Comprendre l’impasse dans laquelle l’usurpation
d’identité peut placer un personnage. La mise en scène de Christian Schiaretti, en 2011,

■■ Mettre en relation le principe du drame romantique
est particulièrement respectueuse de la dimension
et une scène théâtrale. dramatique de la scène. Le jeu des lumières en clair-
obscur met en valeur le visage des deux acteurs, et
1. Ruy Blas apparaît ici profondément désespéré de la
souligne donc à la fois la perfidie de Don Salluste que
situation dans laquelle il se trouve, comme le traduit
l’on voit proférer impassiblement à Ruy Blas sa machi-
la présence d’un important champ lexical du malheur.
nation, et Ruy Blas, qui semble plongé dans un abîme
Ruy Blas emploie notamment les mots « crime » (l. 2),
de réflexion à l’écoute des paroles de son maître.
« châtiment » (l. 2), « tort » (l. 6), « vengeance » (l. 10)
et « abîme » (l. 8) pour définir sa situation, et se qua- VERS LE BAC. Commentaire
lifie de « victime » (l. 7) ou de « malheureux » (l. 9). Le commentaire pourra adopter le plan suivant et
L’énonciation à la première personne,très présente, les réinvestir les réponses au questionnaire.
phrases exclamatives et interrogatives – « Qu’est-ce Introduction
donc que j’ai fait ? » (l. 3), « Voilà donc où j’en suis ! » Cette confrontation entre un Ruy Blas piégé et un
(l. 5), « Et sans tort de ma part » (l. 6) – accentuent
Don Salluste manipulateur offre au lecteur une scène
encore l’aspect pathétique de la tirade.
à haute intensité dramatique. En effet, le pathétisme
2. Grammaire d’un Ruy Blas au désespoir nous montre toute la com-
La présence de phrases interrogatives – « De quel plexité du personnage paralysé par sa condition de
crime est-ce le châtiment ? » (l. 2), « Qu’est-ce que valet et par la machination ourdie par Don Salluste.
je vais faire ? Aller lui dire tout ? » (l. 13) – nous montre Ceci confère à la scène une portée quasi tragique tant
bien que Ruy Blas est confronté à un dilemme qui l’impasse où Ruy Blas se trouve et le dilemme auquel
consiste soit à révéler sa réelle identité à la reine il doit répondre semblent impossibles à dépasser. Cela
et donc perdre son amour, soit à ne rien dire mais sublime le personnage car la mort plane.
rompre ainsi le pacte conclu avec Don Salluste. Les
nombreuses phrases exclamatives accentuent encore 1. Une scène pathétique
cette position intenable pour Ruy Blas, qui le place a) Une situation désespérée
dans le plus grand des désarrois : « Je deviens fou, ma S’appuyer sur la réponse 1 pour étayer son analyse.
raison se confond ! » (l. 17) b) Ruy Blas, un valet pris au piège
S’appuyer sur la réponse 3 pour étayer son analyse.
3. La métaphore filée de la machinerie parcourt toute
la fin du texte – « machine » (l. 19), « rouages » (l. 20), 2. La tragédie qui plane
« meule » (l. 21), « mouvoir » (l. 23), « roue » (l. 23) – a) La machination cruelle de Don Salluste
et met en évidence la mécanique implacable de la S’appuyer sur la réponse 3 pour étayer son analyse.
machination imaginée par Don Salluste, qui se révèle b) Le dilemme de Ruy Blas
à Ruy Blas dans cette scène comme l’indique cette S’appuyer sur la réponse 2 pour étayer son analyse.
tirade. Conclusion
4. SYNTHÈSE Cette scène est paradigmatique du drame romantique
Cette scène correspond bien au principe du drame en ce qu’elle confère au héros, Ruy Blas, une portée
romantique puisque le héros, Ruy Blas, s’extrait de pathétique et tragique que les valets n’ont pas dans
sa condition de valet mais trouve sur sa route un la tradition théâtrale.
obstacle impossible à surmonter en la présence de Le travestissement du personnage se retourne contre
Don Salluste. La forte présence du « moi » accentue lui et le met face à un dilemme et des contradictions
le caractère dramatique et tragique de la scène. Enfin, auxquelles il ne peut répondre.

La répétition par deux fois du verbe de modalisation
ŒUVRE INTÉGRALE
« croire » montre également qu’ils ont du mal à croire
Il est sensible que, contrairement à Arlequin, qui s’ac- à l’arrivée de Shui Ta : « je croyais pourtant que c’était
commode de sa condition bien qu’il prenne plaisir une blague » (l. 4) ; « Je croyais que c’était la boutique
à devenir lui-même un maître l’espace de quelques de notre amie Shen Té ? » (l. 11). De même, l’emploi
scènes, Ruy Blas vit comme une humiliation sa condi- de l’adjectif « Incroyable ! » (l. 6) nous montre bien
tion de serviteur. Non seulement il s’estime à l’égal qu’ils sont totalement incrédules quant à cette nou-
des maîtres, mais surtout il est épris de la reine, qui velle situation.
l’aime en retour. Tout retour à sa condition initiale, 3. Si la famille se montre incrédule vis-à-vis de Shui
ce qui est justement l’objectif de Don Salluste, équi- Ta, elle lui montre également une forme de mépris
vaudrait donc à une forme d’annihilation de ses désirs. quant à sa capacité à représenter une quelconque
Entre les deux personnages, on constate donc bien autorité nouvelle. Elle considère donc Shui Ta comme
l’évolution de la perception du statut du valet entre elle considère Shen Té elle-même. Ce mépris se mani-
le xviiie et le xixe siècle. feste par sa volonté de lui donner des ordres : « Si
vous êtes le cousin de notre hôtesse, Monsieur, alors
courez vite nous chercher le petit-déjeuner ! » (l. 7-8),
PAGE 150 mais aussi par un discours désobligeant envers Shen
Té, qu’elle croit absente : « Alors, elle s’est foutue de
›
▶▶
Bertolt Brecht, La Bonne Âme
du Se-Tchouan, 1940
Objectifs
nous ! Et d’abord, où elle est ? » (l. 13) ; « Et nous qui
la prenions pour une bonne âme ! » (l. 16). Cela lui
est dommageable, car elle ne sait pas que c’est Shen
Té qui l’observe à travers le regard de Shui Ta. Shui
■■ Reconnaître la progression dramatique d’une scène
Ta manifeste dans la seconde moitié de la scène une
à la lecture des didascalies.
■■ Comprendre la tension et le trouble qu’apporte le
sorte de calme impassible, comme nous l’apprennent
les didascalies. Mais il se montre également inflexible
travestissement à une scène.
■■ Saisir l’implicite des enjeux d’une scène grâce aux
et sûr de lui. En effet, l’usage du futur « Ils ne la trou-
veront pas » (l. 23) dénote la certitude qui l’habite. De
réactions des personnages.
même, l’usage du présent d’énonciation et la présence
1. ENTRER DANS LE TEXTE de l’exclamation ont quelque chose de catégorique :
Les didascalies sont intéressantes à observer dans cet « c’est que vous êtes malheureusement trop nom-
extrait car elles nous donnent un bon aperçu de ce breux ! Ceci est un débit de tabac et Mademoiselle
que provoque l’apparition de Shui Ta chez les occu- Shen Té en vit » (l. 25-26). La dernière réplique de
pants du débit de tabac. En effet, s’ils apparaissent Shui Ta, « Vous avez peut-être raison » (l. 28), semble
abasourdis, « tombant des nues » (l. 2), au début de la montrer une forme d’incertitude de sa part, mais
scène, il est remarquable qu’ils soient de plus en plus celle-ci ne doit se comprendre pour le lecteur ou le
« ébranlés » (l. 16) au fur et à mesure que Shui Ta leur spectateur que comme une forme d’ironie de la part
explique ce qu’il attend d’eux. Au contraire, celui-ci de Shen Té déguisée en Shui Ta. On comprend qu’en
paraît toujours égal et mesuré dans son comporte- réalité, Shen Té se rit bien de l’ambiguïté de la situa-
ment tout au long de la scène, l’adjectif « calme » tion qu’elle seule connaît.
(l. 23) résumant bien son attitude. 4. SYNTHÈSE
2. Grammaire Dans cette scène, le lecteur ou le spectateur com-
Ce qui apparaît en premier lieu dans les réactions de prend que le stratagème du travestissement a une
la famille vis-à-vis de l’arrivée de Shui Ta, c’est sa grande incidence sur le comportement de tous les
difficulté à croire qu’il existe vraiment et qu’il s’agisse personnages présents. En premier lieu, c’est Shen Té
bien de lui, devant leurs yeux. Cela est visible par la déguisée en Shui Ta qui change d’attitude, car il se
multiplicité des phrases interrogatives et exclama- dégage d’elle une force et un calme qu’elle ne possède
tives qui manifestent tout autant la stupéfaction que pas, peut-on supposer, lorsqu’elle n’est qu’elle-même.
l’interrogation des membres de la famille : « Vous Cela se justifie par l’attitude de la famille qui n’a pas
êtes quoi ? » (l. 2) ; « Votre boutique ? » (l. 11) ; « Le peur de montrer à Sui Ta le mépris qu’elle porte à
cousin ! » (l. 4) ; « qu’elle n’avait pas de cousin ! » (l. 5). Shen Té. La famille, qui est dupe de la situation, est

elle-même bouleversée par l’apparition de cet oncle b) Refuser les préjugés sociaux
dont elle doutait de l’existence. Une fois son incré- Le travestissement des personnages nous invite
dulité passée, elle se trouve bien contrariée par la à comprendre de quels préjugés sociaux ils sont la
présence de ce nouveau venu, impassible et sûr de lui. victime. Dans La Bonne Âme du Se-Tchouan, Shen Té
subit le poids d’un mépris dû à sa condition de femme.
VERS LE BAC. Dissertation
Son travestissement en homme parvient à le faire
La dissertation pourra adopter le plan suivant et réin-
cesser. Par effet de contraste, Brecht nous fait ainsi
vestir les analyses des œuvres étudiées.
mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans
Introduction certains a priori sociaux.
Virginia Woolf fait dire au personnage d’Orlando
3. Mieux se comprendre soi-même
dans son roman éponyme : « Les vêtements peuvent
a) Interroger sa propre identité
sembler de vaines bagatelles mais, disent certains
Les personnages font l’expérience intime d’être
philosophes, leur fonction la plus importante n’est
quelqu’un d’autre. Cela change leur rapport au
pas de nous tenir chaud. Ils changent notre vision du
monde et aux autres mais également à eux-mêmes.
monde et la vision que le monde a de nous ». Nous
Ils peuvent s’en trouver transformés, mais peuvent
comprenons à travers cette citation le pouvoir boule-
aussi mieux accepter leur condition. Ainsi, Arlequin ne
versant du travestissement en tant qu’il nous permet
parvient pas toujours à assumer sa position de maître
de nous interroger aussi bien sur l’identité des autres
et préfère retrouver sa condition initiale. Le travestis-
que sur la nôtre. Nous pouvons ainsi nous demander
sement au théâtre peut permettre au spectateur de
en quoi le travestissement renouvelle notre regard.
réinterroger ce qui fait l’identité d’une personne. Le
1. Regarder le monde différemment théâtre fonctionne alors comme un miroir.
a) Le travestissement comme outil de transformation b) Accepter et affirmer sa singularité
du monde Le théâtre devient l’occasion d’une réaffirmation de
Le travestissement permet de transformer des réalités soi et de ce qui compose la singularité de chacun,
ou d’inverser un ordre social. Ainsi Shen Té peut-elle, à l’image de Marie-Pierre dans Le Mardi à Monoprix.
sous l’identité de son oncle Shui Ta, prendre un ascen-
Conclusion
dant qu’elle n’a pas sous sa propre identité et ainsi
Le travestissement en tant que jeu sur les identités
changer son rapport avec une famille qui la contraint.
remet en cause notre lecture du monde et notre com-
L’inversion des rôles dans L’Île des esclaves, symbo-
préhension de ce qui fait l’autre dans sa différence et
lisée par un échange de vêtements, permet de ren-
sa singularité. Par contraste, il permet au spectateur
verser les pouvoirs de domination entre les maîtres
de réinterroger sa propre identité et de renouveler
et les esclaves.
son propre regard sur lui-même.
b) Des mondes décalés
Les mondes ainsi transformés créent des décalages ŒUVRE INTÉGRALE
entre les individus et laissent apparaître des possibili-
tés nouvelles pour les personnages pour s’exprimer ou Shen Té endosse son rôle avec assurance et sans
s’affirmer. Sganarelle (Dom Juan) ou Arlequin (L’Île des jamais perdre le contrôle de son stratagème. Elle ne
esclaves) peuvent enfin laisser libre cours à leurs ressemble donc pas perturbée par sa « nouvelle person-
sentiments et leurs pensées. La comtesse peut profiter nalité ». Elle reste calme, ferme et se permet même
de son travestissement et démasquer les intentions un trait d’ironie lors de la dernière réplique, qu’elle
de son mari (Le Mariage de Figaro). seule peut comprendre. À l’inverse, il arrive régulière-
ment à Arlequin de ne pas arriver à « tenir son rôle »,
2. Regarder l’autre différemment notamment dans la scène de parodie amoureuse, lors
a) Comprendre l’autre dans sa différence de laquelle son naturel revient au galop sous la forme
Le travestissement surexpose le personnage dans son d’éléments de langage qui lui sont propres ou par un
identité de sorte que nous pouvons mieux comprendre rire qu’il ne parvient pas à contenir.
ce qui en fait la particularité. Ainsi Marie-Pierre (Le
Mardi à Monoprix), dans l’affirmation répétée de son
ARTS DE LA SCÈNE
identité sexuelle, nous aide à comprendre que sa dif-
férence est non seulement légitime mais aussi le fruit La mise en scène de Bernard Sobel cherche à rester
d’une décision personnelle. fidèle à l’esprit de la scène dans la mesure où le

costume de l’actrice tend à la viriliser, de même que le spectateur lui-même qui est le récepteur unique de
les éléments masculins dont elle est affublée, comme son propos, quand bien même il n’est jamais interpellé
le chapeau, la veste, l’écharpe et une moustache. Mais en tant que tel.
c’est surtout l’attitude de l’actrice qui correspond bien 2. Marie-Pierre, dans sa prise de parole sans destina-
à ce que nous pouvons imaginer de la situation. En taire identifié, donne à entendre le récit de sa vie. Elle
effet, les mains croisées dans le dos, le personnage fait par exemple la narration de ses activités : « Je lui
est impassible et semble sûr de lui. De même, qu’il porte un verre d’eau je vais au robinet trois pas et je
regarde de haut son entourage paraît lui donner de reviens trois pas pas bien compliqué pas bien fatigant
l’assurance. il pourrait le faire lui-même » (l. 25-26). L’absence de
TICE ponctuation, la répétition de mots nous donnent la
La captation permet à l’élève d’observer un certain sensation que ce récit est parlé. À l’intérieur de ce dis-
nombre d’éléments de la mise en scène de Jean cours, Marie-Pierre introduit directement du discours
Bellorini. Il faut qu’il en interprète les choix et sache rapporté, qui retranscrit ses discussions avec son père :
porter un jugement positif comparativement à sa « Je dis Je ne pensais pas un jour ranger ton linge. Il
lecture de l’extrait de la pièce. Son écrit devra cor- dit Tout de même Jean-Pierre » (l. 29-30). Ainsi, si
respondre aux attendus propres à un article de presse. cette prise de parole de Marie-Pierre est proprement
Il peut être suggéré aux élèves d’être particulièrement théâtrale, il n’en demeure pas moins que sa forme
attentifs : est inhabituelle car celle-ci se donne essentiellement
– à la modernité des costumes et de la scénographie comme celle d’un récit où la narratrice introduit ponc-
qui rendent plus actuel le propos et ne confinent pas tuellement du discours rapporté pour rendre plus
la pièce dans un contexte asiatique ; vivante son histoire.
– au clair-obscur des jeux de lumière qui soulignent 3. Les termes qui nous renvoient à une réalité quoti-
l’intensité dramatique de la pièce ; dienne sont ceux du ménage et du rangement, très
– au travail choral des acteurs qui rend plus vivant présents dans le texte : « son ménage sa vaisselle sa
leur jeu. lessive » (l. 2-3) ; « Je range. Je nettoie et j’aère » (l. 4) ;
« Je repasse. Je range bien son linge dans l’armoire
PAGE 151 et aussi les tiroirs » (l. 28). L’activité de Marie-Pierre
consiste donc à apporter un soutien domestique à
∞
▶▶
Emmanuel Darley,
Le Mardi à Monoprix, 2009
Objectifs
son père. De même, la phrase « Passe-moi donc un
verre d’eau » (l. 21) nous montre bien que, ce qui est
mis en valeur, c’est la banalité de la vie, ce qui est
■■ Percevoir l’ambiguïté d’un discours qui se donne le plus prosaïque. L’indication temporelle du début
pour un récit et qui n’a pas de destinataire défini. de l’extrait, « mardi » (l. 1), finit d’inscrire la situation
■■ Identifier ce qui relève du « théâtre du quotidien » dans une réalité du quotidien.
dans une scène de théâtre. 4. Le problème entre Marie-Pierre et son père réside
■■ Comprendre le trouble lié aux identités sexuelles
dans le fait que ce dernier n’accepte pas le chan-
du travestissement. gement d’identité sexuelle de son fils, qui est donc
1. ENTRER DANS LE TEXTE désormais sa fille. Cette difficulté est perceptible dans
Le personnage de Marie-Pierre fait le récit et la des- l’emploi répété des prénoms, le père s’obstinant à
cription de son quotidien : « Le mardi j’ai posé comme l’appeler « Jean-Pierre » (l. 8-10), alors que Marie-
jour, je ne sais pas bien pourquoi » (l. 1). Cette prise Pierre insiste pour lui faire comprendre qu’elle ne
de parole fonctionne donc comme une forme de s’appelle plus ainsi : « Non je lui dis. Marie-Pierre je
confession intime. Aucune marque d’interlocuteur lui dis. » (l. 8-12). On devine par ailleurs que d’autres
présent n’est perceptible, ni le « tu », ni le « vous » éléments plus anciens séparent père et fille, notam-
n’est incorporé au langage de Marie-Pierre, mais ment l’attitude égoïste et sexiste du père sensible ici
pourtant il semble bien qu’elle donne à entendre sa par la présence d’un champ lexical de l’autorité : « Il a
confession à quelqu’un. S’il n’y a pas d’interlocuteur toujours fait ça. Ordonner commander tendre le bras
direct, ce qui laisse supposer qu’il n’y a pas d’autre sans même ouvrir la bouche pour que l’on vienne le
personnage présent, il est donc à supposer que c’est servir » (l. 22-24).

5. SYNTHÈSE établi et de le critiquer. La portée morale de L’Île des
La singularité de ce monologue tient à sa forme esclaves consiste à souligner les défauts de la société
quasi narrative, qui ménage également une place et d’envisager une société plus juste. Le travestisse-
au « parlé » propre au discours théâtral. L’absence ment peut être également un moyen de démasquer
de ponctuation, l’introduction de paroles rapportées les mauvaises intentions des personnages (l’infidélité
laissent percevoir ces deux aspects. D’autre part, cette du comte dans Le Mariage de Figaro).
parole n’est nommément adressée à personne pour- b) Une compréhension nouvelle de l’autre et de sa
tant l’aspect intimiste du discours crée un rapport différence
de proximité avec le spectateur qui en est a priori L’expérience du travestissement et de l’inversion des
le destinataire. Cela crée donc un lien très fort avec rôles permet à Iphicrate et Euphrosine de comprendre
lui. Enfin, le contraste entre la quotidienneté évoquée ce qui faisait l’injustice de leurs comportements en
dans le texte (les tâches domestiques, le rapport au tant que maître. Ils finissent par s’amender et reconsi-
père) et la thématique du changement d’identité dèrent leurs esclaves. Les confessions de Marie-Pierre
sexuelle rend ce texte original : il nous fait réfléchir permettent aux spectateurs de mieux comprendre ce
de manière subtile et délicate à cette situation spé- qui fait sa singularité et de la rendre légitime.
cifique qu’est le « transgenre ». Conclusion
VERS LE BAC. Dissertation Une des fonctions du théâtre en tant que représenta-
La dissertation pourra opter pour le plan suivant et tion artificielle du monde est de critiquer la société. Le
réinvestir les analyses des œuvres étudiées. théâtre peut donc instruire le spectateur et l’amener
Introduction à reconsidérer le monde et son fonctionnement. Il
Victor Hugo explique que « le théâtre n’est pas le pays devient donc un espace qui permet de vaincre des
du réel : il y a des arbres en carton, des palais de toile, préjugés.
un ciel de haillons, des diamants de verre, de l’or de
ŒUVRE INTÉGRALE
clinquant, du fard sur la pêche, du rouge sur la joue,
un soleil qui sort de dessous la terre. » Le théâtre peut La différence entre Arlequin et Marie-Pierre est
en effet se définir comme un espace reposant sur des marquée dans la mesure où leur travestissement ne
artifices qui ne reproduisent pas exactement la réalité les transforme pas de la même manière, et cela a une
mais qui peuvent néanmoins la révéler. En ce sens, incidence sur la perception qu’ils ont de ce traves-
le théâtre a une portée critique qui peut amener le tissement. Le travestissement permet à Arlequin de
spectateur à reconsidérer son monde et vaincre ses modifier son identité sociale, quittant son vêtement
préjugés. d’esclave pour celui de maître. Nous avons vu que
1. La puissance du faux ce travestissement est prétexte à jeu pour lui, il s’en
a) Un jeu sur les apparences concret amuse pour se moquer de son maître, mais jamais
Le travestissement est un artifice qui joue sur les il ne prend véritablement au sérieux cette nouvelle
apparences et qui transfigure la réalité. Il a alors des position. Il n’est pas modifié dans sa personnalité,
effets concrets sur cette réalité. Ainsi Shen Té traves- son langage reste quasiment le même. Il ne l’assume
tie en Shui Ta impose ses idées. À l’inverse, Ruy Blas qu’en partie. Marie-Pierre l’assume totalement. Elle
devient prisonnier de son travestissement, car perdre en a fait un choix d’identité sexuelle personnelle qui
son statut de noble, c’est perdre l’amour de la reine. l’a vu modifier son rapport à son corps, à son nom et
b) Un espace d’affirmation et de dénonciation à son environnement familial et social. Rien ne laisse
Le théâtre par le truchement du travestissement transparaître dans l’extrait des doutes quant à son
devient un lieu où les personnages dénoncent des faits choix, au contraire elle l’affirme constamment auprès
de société ou affirment leur identité. Cléanthis peut de son père qui, lui, ne l’accepte pas.
ouvertement faire le réquisitoire des maîtres (L’Île des TICE
esclaves, scène 10). Sganarelle, travesti en médecin, Il est intéressant de remarquer à l’écoute de cette
peut s’affirmer vis-à-vis de Dom Juan. interview que la genèse de cette pièce procède d’une
2. Des préjugés vaincus rencontre effective de l’auteur avec une personne qui
a) Un renouvellement du regard sur le monde a changé d’identité sexuelle. L’écriture s’inscrit dans
Le travestissement permet de reconsidérer l’ordre un fait réel. Emmanuel Darley explique par ailleurs

les caractéristiques de son écriture, notamment le À l’inverse, Euphrosine, Iphicrate, Sganarelle ou la
fait qu’il s’agisse d’un monologue à plusieurs voix comtesse comme des portraits négatifs.
et qu’il soit très musical du fait d’une ponctuation
EXERCICE 4. Synonyme et antonyme.
déroutante.
1. Dévoiler : manifester, révéler une chose que l’on
tenait jusque-là cachée ; en faire ouvertement état.
ARTS DE LA SCÈNE 2. Synonymes : révéler, démasquer, divulguer,
La présence d’un musicien est tout à fait compré- signaler
hensible dans la mesure où cette pièce est un mono- Antonymes : cacher, masquer, déguiser, taire
logue. La musique peut donc accompagner cette 3. Verbes : déclarer, indiquer, expliquer, afficher,
parole intimiste en la soutenant, en lui donnant découvrir
une seconde voix avec laquelle elle dialoguerait en Substantifs : mise à nu, aveu, confession, vérité,
quelque sorte. Une manière de rompre avec la soli- exactitude
tude du personnage. 4. Les productions devront respecter les contraintes
suivantes :
– proposer deux ou trois arguments différents et être
construites logiquement ;
PAGE 152
– s’appuyer sur des exemples du corpus correspon-
dant aux arguments proposés ;
LEXIQUE ET ÉCRIT D’APPROPRIATION – réinvestir le vocabulaire du dévoilement (syno-
nymes, antonymes) à partir du vocabulaire recherché
Le travestissement dans l’exercice.
Exemple de paragraphe argumenté :
EXERCICE 1. Étymologie et signification
Le travestissement en tant qu’il est un artifice qui
1. La recherche des étymologies peut se faire à partir
consiste à déguiser son identité permet à celui qui
du site www.cnrtl.fr
s’est travesti d’observer secrètement le monde der-
2. Les élèves sont amenés à comprendre le lien entre
rière sa nouvelle identité. Ainsi, le travestissement
l’origine d’un mot, son évolution définitionnelle et les
est un moyen de duper son prochain en lui faisant
multiples sens qu’il peut avoir actuellement.
accroire qu’il peut parler en confiance et dévoiler ses
3. Tous les mots peuvent avoir leur pertinence dans le
intentions. C’est le but de la supercherie de la com-
choix effectué par l’élève. Il sera intéressant de com-
tesse dans Le Mariage de Figaro : déguisée en Suzanne,
prendre leur justification.
elle démasque les mauvaises intentions de son mari
EXERCICE 2. Suffixation et voit révélée sa nature profonde. Le travestissement
1. Il s’agit en réalité de substantifs construits à partir permet plus simplement d’inverser les rôles et de ren-
d’un mot racine qu’il faut identifier : altération, alter verser l’ordre social établi. Cela permet d’en divul-
(« autre ») ; caricature, caricat (« chargé ») ; défigu- guer toute l’injustice. Ainsi Iphicrate, devenu esclave à
ration, figure ; déformation, forme ; dénaturation, son tour, comprend-il les difficultés de cette position
nature ; dissimulation, simuler ; distorsion, torse ; fal- sociale et reconnaît ses mauvais comportements de
sification, falsifier (fausser) ; imitation, imiter ; trans- maître dans le but de se racheter.
formation, forme.
EXERCICE 5. Polysémie
2. altéré, caricaturé, défiguré, déformé, dénaturé, dis-
1. Maquiller
simulé, distordu, falsifié, imité, transformé.
Sens propre : appliquer sur le visage de quelqu’un un
EXERCICE 3. Connotation et dénotation fard ou des produits de beauté, pour l’embellir ou
1. Image positive : costumé, déguisé, drapé, habillé, modifier son apparence. Sens figuré : fausser la nature
masqué, orné, paré, vêtu de quelque chose, afin de tromper.
Image négative : affublé, accoutré, arrangé, camouflé, Camoufler
endimanché, fagoté, fringué, nippé Sens propre : rendre invisible ou difficilement visible.
2. Les personnages de Marie-Pierre, l’oncle Shui Ta, Sens figuré : masquer.
Ruy Blas, Arlequin ou Cléanthis peuvent être considé- Déguiser
rés comme des exemples pour des portraits positifs. Sens propre : transformer l’apparence à l’aide d’un

costume de manière à (se) rendre méconnaissable. PAGES 154-155
sens figuré : dissimuler, dénaturer, falsifier.
2. Le résumé devra respecter les contraintes suivantes :
– le choix du texte doit être pertinent ; HISTOIRE LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE
– le résumé doit être synthétique ;
– il doit réinvestir les trois termes de manière appro-
La comédie au xviiie siècle
priée et justifiée. 1. Les élèves doivent prendre en compte la nature des
Dans La Bonne Âme du Se-Tchouan, le personnage personnages présents considérant qu’il s’agit de valets
de Shen Té se déguise en un personnage masculin espiègles et critiques. Ils peuvent donc imaginer que
calme et ferme, Shui Ta, afin de faire face à la famille leurs propos soient malveillants envers des maîtres
qui occupe indûment son débit de tabac. Camouflée ou simplement critiques.
derrière cette nouvelle identité, elle peut non seule- 2. Il est attendu des élèves une certaine capacité à
ment observer la manière dont les membres de cette construire une narration fluide, précise et détaillée,
famille la considèrent, mais elle peut aussi exercer une variant les composantes du récit et qui soit cohérente
autorité que sa condition féminine ne lui permet mal- avec ce qui est figuré dans le tableau et ce qu’ils ont
heureusement pas. Pourra-t-elle longtemps cacher appris du marivaudage.
son identité véritable ? Que se passera-t-il lorsqu’elle Exemple :
sera redevenue Shen Té ? Nous étions toutes confortablement installées sur
EXERCICE 6. Écrit d’appropriation – dossier l’herbe qui bordait les arbres de la clairière, et ainsi,
personnel protégées des rayons puissants du soleil. Nous dis-
1. Il est attendu que l’élève sache exploiter le voca- cutions allégrement des dernières festivités de la
bulaire acquis grâce à l’exercice 3 de sorte qu’il puisse Saint-Jean qui nous avait, toutes, beaucoup amusées.
faire un portrait évocateur de la narratrice. Pour cela, il Soudain, nous entendîmes un fort brouhaha qui nous
peut être opportun de s’appuyer sur l’affiche du film. parvenait de derrière les bosquets, des sifflements,
2. Le travail devra prendre appui sur le texte original des gazouillis qui nous interloquèrent. Interdites,
et en respecter la narrativité (usage de la 1re personne, nous vîmes brusquement jaillir d’un thuya un
temps utilisé). Il devra être construit et organisé. La homme vêtu curieusement tant les couleurs vives
force du travestissement en tant qu’outil de transfor- et contrastées qui faisaient son accoutrement lui
mation de l’ordre établi du monde devra être investie. donnaient une drôle d’allure. Un carnaval sur pattes !
L’appui sur un vocabulaire abstrait, polysémique et Seul son masque était inquiétant. Il vint à moi avec
symbolique est requis. force cabrioles et pirouettes. Quel énergumène ! Il
Exemple : me dévisagea quelques instants, puis me susurra à
Ainsi paré des atours les plus masculins, propres à l’oreille : « Que vous êtes jolie ! que vous me semblez
donner de moi l’apparence d’un homme accompli, belle ! Sans mentir, si votre ramage se rapporte à votre
je pouvais maintenant naviguer dans la société libre- plumage, vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois. »
ment et donner toute mesure à mes ambitions. J’avais La référence me fit bien rire. C’est ainsi que com-
toujours ressenti en moi les limites de mon sexe sans mença mon idylle avec Arlequin.
véritablement en comprendre les raisons. Je ressen-
3. L’exercice consiste ici pour l’élève à savoir exprimer
tais ma féminité comme une anomalie, et cherchais
un jugement personnel et à le justifier.
inconsciemment à en dissimuler les traces physiques
comme morales. Ces distorsions et ces altérations que 4. Il est attendu que les élèves soient en capacité
je m’imposais et qui, pour certains, relevaient d’une d’élaborer un propos construit logiquement mettant
forme de dénaturation de ma personne, je ne com- en jeu des arguments cohérents autour du sujet
prenais pas encore qu’ils étaient moins le fruit d’une proposé. Ils peuvent déployer une argumentation
déviance de ma part qu’un désordre moral propre à contradictoire sur le sujet.
cette société qui ne considérait la femme que comme Nous pouvons suggérer ici quelques arguments et
un « joujou » bon à garder chez soi. En réalité, c’est le contre-arguments :
renversement de la société que je cherchais, et par le – argument : cela nuit à la cohérence et l’intelligence
seul moyen que cette société me donnait en tant que de la pièce dans la mesure où l’illusion théâtrale est
femme : ma transformation en homme. rompue.
contre-argument : non, la présence d’une actrice lement à accepter la critique, mais surtout à recon-
pour jouer un rôle masculin n’est pas un frein à la naître ses torts. Il semble vouloir retarder le moment
cohérence de la pièce, elle permet au contraire d’en de son aveu.
renouveler le sens ;
BAC. Commentaire
– argument : dans la mesure où les rôles féminins
Le commentaire pourra se construire autour de la
sont souvent stéréotypés (amante, folle…), il est inté-
problématique suivante : « En quoi le renversement
ressant d’affranchir les actrices de ces clichés en leur
des rôles a-t-il une visée aussi bien critique que
faisant jouer un rôle d’homme.
comique ? » Il pourra opter pour le plan suivant et
contre-argument : il existe des rôles féminins suffi-
réinvestir les réponses aux coups de pouce.
samment intéressants (Médée, Phèdre, Agnès…) pour
Introduction
que des actrices puissent s’épanouir dans leur rôle.
« Il n’y a point de mal à voir ce que les gens nous
montrent. Ce n’est point moi qui ai tort de vous
PAGE 156 trouver coquette ; c’est vous qui avez tort de l’être. »
COUP DE POUCE Cette citation tirée d’une autre pièce de Marivaux,
1. Trivelin adopte une double position vis-à-vis d’Arle- La Double Inconstance, trouve une résonnance par-
quin : il est celui qui instruit l’enquête en usant de ticulière avec cet extrait de la scène 5 de L’Île des
l’impératif « instruisez-moi » (l. 1), révélant ainsi son esclaves. En effet, s’il n’est pas question de coquet-
autorité ; dans le même temps, il est en situation de terie dans le portrait d’Iphicrate produit par Arlequin,
requête et de demande puisqu’il interroge Arlequin, il est bien question de croquer ici son maître dans
l’autorisant ainsi à parler librement. toute la vérité contradictoire et immorale de son
caractère. Le jeu du portrait, porté par l’espièglerie
2. Le champ lexical de la comédie est très présent dans
et la logorrhée fantasque d’Arlequin et autorisé par
ce texte – « riant » (l. 3), « malice » (l. 3), « comédie »
le magistère de Trivelin, rend à la scène, malgré sa
(l. 4), « plaisant » (l. 5), « farce » (l. 6), « rirons » (l. 7),
tournure comique, une fin toute sérieuse et morale où
« rire » (l. 8). Il indique la nature comique de la scène
ce sont les mauvaises manières des maîtres qui sont
et de la situation exposée, mais aussi le tour comique
révélées et ainsi exposées à la critique. Or, c’est bien
que va prendre la parole d’Arlequin affranchi de son
cette drôlerie critique chez Marivaux, permise par un
maître et autorisé par Trivelin à toutes les libertés.
procédé dramatique simple et efficace, l’inversion des
3. Il s’agit ici d’un chiasme qui a pour vertu d’insis- rôles, qui fait le charme et la profondeur de son Île des
ter sur les termes prononcés et d’affirmer le sens esclaves. Aussi pouvons-nous nous demander : « En
logique du propos. Ici, ce chiasme permet d’insister quoi le renversement des rôles a-t-il une visée aussi
sur le caractère contradictoire d’Iphicrate qui n’agit bien critique que comique dans cet extrait ? » Nous
jamais comme il le faudrait et qui donc agit toujours nous attacherons dans un premier temps à détailler
de manière immorale, quelle que soit la situation. la dynamique théâtrale produite par le renversement
Les termes « vilain » et « libéral » indiquent la portée des rôles chez les personnages dans cette scène pour
morale de la critique. enfin démontrer la portée tout à la fois comique et
4. Cette question rhétorique a une portée ironique sérieuse de celle-ci.
puisqu’il s’agit en même temps d’une antiphrase. En 1. Un renversement salutaire
effet, Arlequin demande s’il faut tirer le portrait d’Iphi- a) Trivelin, un médiateur partial [question 1]
crate alors qu’il vient précisément de le faire. Arlequin b) Un Arlequin émancipé [question 4]
force le trait et insiste, de sorte d’humilier son maître. c) Iphicrate humilié [question 5 et 7]
5. Iphicrate ne prononce que de courtes répliques, 2. Une scène aussi comique que critique
manifestant à la fois sa détresse, sa vexation et son a) Le portrait satirique d’Iphicrate [question 3 et 6]
incapacité à se défendre. b) Le comique de la scène [question 2]
6. Le terme « bien » (l. 28) témoigne de la portée Conclusion
critique et morale de la scène. Attribué à Trivelin, il Tout l’art de Marivaux se manifeste dans cette scène.
indique également le rôle qui est le sien dans la pièce, C’est l’efficacité d’un dispositif dramatique, ici le ren-
celui de maître du jeu, de garant des règles. versement des rôles, qui lui permet d’effectuer une
7. Iphicrate éprouve beaucoup de difficultés non seu- critique tout à la fois subtile, féroce et truculente des
injustices de la société. En effet, par le truchement de 1. Une société et des rôles inversés
l’autorité partiale d’un Trivelin, maître du jeu et des a) Une utopie insulaire
règles sociales, Arlequin se voit totalement éman- Le seul lieu de cette pièce est cette « île des esclaves »,
cipé de sa condition d’esclave et autorisé à toutes qu’Iphicrate décrit comme effrayante. Marivaux
les licences verbales pour humilier enfin son maître de reprend ici le topos de l’utopie insulaire pour en faire
toutes les injustices qu’il a pu commettre à son égard. le principe dynamique de son drame et de l’inversion
Le jeu, dans la toute-puissance comique d’Arlequin, des rôles. En effet, cette île est le lieu du renverse-
devient donc une forme de procès des maîtres. Nous ment des valeurs et des règles qui va permettre aux
pouvons maintenant nous demander à la lecture du personnages d’éprouver leurs limites et ainsi de se
dénouement de la pièce si c’est bien ce renversement transformer.
des statuts sociaux qui est véritablement recherché b) Trivelin, un maître du jeu
par Marivaux à travers son Île des esclaves. Le statut de Trivelin dans cette pièce est tout à fait à
part. On peut dire de lui qu’il est le maître du jeu et
PAGE 157 le garant des règles qui président dans ce lieu. Arbitre
et observateur, il n’en demeure néanmoins pas partial
BAC Commentaire tant il invite fortement les esclaves à libérer leurs
Marivaux, L’Île des esclaves, 1725 paroles et à pousser leurs maîtres dans leurs derniers
retranchements.
La dissertation pourra adopter le plan suivant et réin- c) Des personnages mis à l’épreuve de leur nouvelle
vestir les analyses des extraits étudiés ainsi que de condition
tout autre extrait de l’œuvre. Euphrosine et Iphicrate vont donc être amenés à
Introduction subir la vengeance et les humiliations de leurs anciens
Si la scène finale de L’Île des esclaves rend tout à fait esclaves. Ils comprennent dans leurs chairs et leurs
discutable l’affirmation selon laquelle Marivaux aurait égos ce qu’il en est d’être un esclave et d’être à la
écrit ici une pièce révolutionnaire visant à renverser merci de l’autorité injuste d’un maître.
les statuts sociaux, il n’en demeure pas moins que 2. Une dénonciation des travers de la société
Marivaux questionne le poids des inégalités et des a) Le portrait critique des personnages
injustices qui pèsent dans le rapport entre les indi- La première critique des maîtres consiste à faire d’eux
vidus. Nous pouvons ainsi affirmer que la portée leur portrait. Qui mieux qu’Arlequin et Cléanthis est
critique est le principal objet de cette œuvre drama- capable de connaître leur caractère ? Ainsi est brossé
tique. Le tour de force de Marivaux réside dans sa le tableau d’une femme « vaine, minaudière et
proposition dramatique. coquette » (scène 3, p. 139) et d’un homme contra-
Cette pièce, qualifiée par Labarre de Beaumarchais de dictoire (scène 5, p. 156).
« petit bijou » pour sa composition serrée et stylisée, b) La satire du comportement des maîtres
s’articule autour d’un principe simple qu’est l’inver- La seconde phase critique est celle de la parodie de
sion des rôles et qui permet à Marivaux de déployer leurs comportements amoureux. On y voit exceller les
une sorte de dispositif critique fin et acéré contre les deux esclaves dans l’imitation ridicule de leurs badi-
inégalités et les injustices d’un système trop hiérar- nages où gestes et tournures de phrases forcent les
chisé. Ainsi, l’aspect formel appuie le contenu plus traits mais n’en demeurent pas moins fidèles (scène 6,
idéologique de la pièce pour en faire un objet très p. 140).
efficace. c) Un réquisitoire contre les inégalités sociales
Nous pouvons donc nous demander comment l’inver- Enfin, la dernière salve vient de Cléanthis qui, dans un
sion des rôles dans L’Île des esclaves permet de dénon- dernier effort, fait non plus le portrait ou la parodie
cer les travers de la société. Nous nous attacherons des comportements de sa maîtresse mais le réquisi-
dans un premier temps à décrire les mécanismes qui toire véhément de tous les maîtres, quels qu’ils soient
permettent de faire de cette « île des esclaves » un lieu (scène 10, p. 141). La portée en devient plus univer-
de l’inversion des valeurs. Puis nous montrerons dans selle et donc plus féroce. Certes le dénouement tend
un deuxième temps comment la pièce procède pour à radoucir la dénonciation effectuée, mais le discours
faire la critique d’une société inégalitaire. plane encore dans les esprits.

Conclusion le jeu de miroir que leur imposent leurs esclaves. Si
Marivaux connaît l’art de construire des pièces de le résultat n’est pas une remise en question de la
comédie savamment élaborées et très efficaces dans domination mais bien plutôt une harmonisation des
leur dynamique dramatique. Cette comédie en un relations entre maîtres et serviteurs, il n’en reste pas
acte est exemplaire de ce savoir-faire. Tout repose moins qu’un renversement des statuts sociaux a eu
sur le principe utopique d’une île où les valeurs sont lieu. Ainsi, Marivaux est un des tout premiers à rendre
inversées. Il peut dès lors en démontrer le fonctionne- justice aux valets et aux domestiques. Il s’inscrit
ment. Néanmoins, cet usage n’est pas sans portée cri- dans une lignée que suivra bientôt Beaumarchais, de
tique, il en est au contraire le support. Ainsi se déroule manière encore plus évidente dans la promotion d’un
successivement une série d’épreuves qui consiste à valet, Figaro, aux plus hautes formes de conscience
rendre plus humains et plus justes des maîtres par des inégalités entre les classes.

séquence ‡4
Se libérer de la
Représenter l’emprise
tyranniefamiliale
au théâtre
et sociale
OBJECTIF ET PRÉSENTATION Outre cette réflexion sur la compassion du spec-

DE LA SÉQUENCE tateur du drame, le parcours de lecture (p. 162)
propose de s’intéresser à la figure de Gennaro pour
La séquence 7 est centrée sur une étude du drame
cerner les caractéristiques du héros romantique
romantique, envisagé comme un des genres carac-
avant de réfléchir plus largement à la violence du
téristiques du romantisme, mouvement littéraire et
drame romantique lui-même. Ces entrées, appuyées
culturel de la première moitié du xixe siècle. Le drame
sur des extraits à lire, sont mises en perspective par
romantique propose une nouvelle vision de la dra-
le biais de sujets de dissertation en vue de la prépa-
maturgie et de l’esthétique de sorte qu’il est central
ration aux nouvelles modalités des EAF qui incitent
pour mesurer le renouveau de la scène théâtrale
à développer la capacité des élèves à disserter sur
au début du xixe siècle et pour réfléchir aux débats
une œuvre intégrale.
qui animent les milieux littéraires de l’époque. La
Les prolongements artistiques et culturels permettent
double page d’histoire littéraire et artistique permet
à l’élève d’apprécier l’œuvre intégrale dans sa dimen-
ainsi aux élèves de saisir l’essentiel de cette révolu-
sion spectaculaire à travers l’étude d’une mise en
tion théâtrale et de la replacer dans le contexte du
scène à la hauteur de la démesure du drame et de
romantisme.
s’intéresser plus spécifiquement à l’interprétation
L’œuvre intégrale, Lucrèce Borgia de Victor Hugo
(1833), est l’une des œuvres phares de l’auteur de du personnage de Lucrèce. C’est l’occasion pour les
référence du drame romantique. Théoricien et drama- élèves de se questionner précisément sur le passage
turge, Victor Hugo n’a de cesse de déployer les diffé- du texte à la scène dans toutes ses dimensions : choix
rentes facettes du drame à travers des personnages et d’une scénographie, choix d’une distribution, interpré-
des situations qui permettent d’en saisir la démesure. tation qui en ressort.
Le parcours d’œuvre intégrale propose aux élèves de Le groupement de textes complémentaires invite
se concentrer sur la figure du personnage éponyme les élèves à réfléchir à différentes figures de tyrans
afin de mesurer la puissance de sa tyrannie tout en et leur exercice du pouvoir tels qu’ils sont repré-
cernant ses ambivalences. Ils découvriront ainsi ce que sentés sur la scène théâtrale de l’Antiquité grecque
cache cette noirceur et la compassion qu’elle suscite. à aujourd’hui. De la sorte, ils pourront mesurer la
À travers les scènes clés du drame, on retiendra l’effroi variété des genres théâtraux tragiques, dramatiques,
et la haine qu’un tel personnage appelle par sa répu- sérieux à travers les âges et aborder les spécificités
tation sulfureuse et ses accès de colère (extraits 1 de chaque esthétique. La violence de la tyrannie se
et 3). Lucrèce Borgia ne peut révéler l’amour et la donne à voir, déjà, dans les conflits qui agitent la
tendresse qui l’habitent pourtant (extraits 2 et 4) qu’in scène grecque antique à l’exemple des œuvres de
extremis, trop tard pour qu’il soit encore temps de Sophocle. Revisitant l’histoire antique, Corneille et
vivre (extrait 5). Racine approchent la tyrannie à l’aune des question-
Cette perspective d’étude de l’œuvre intégrale est nements de leur siècle sur le pouvoir et son exercice
prolongée par un premier sujet de dissertation portant dans une esthétique qui deviendra le point de mire
sur le sentiment qui anime le spectateur d’un tel perdu théâtre occidental. Dans le théâtre parodique et
sonnage. Celui-ci est traité étape par étape dans la burlesque de Jarry, la tyrannie révèle toute sa déme-
double page consacrée au baccalauréat qui propose sure à travers l’exemple du personnage d’Ubu dont
également en commentaire la fameuse tirade de la cruauté est sans bornes, pour le plus grand plaisir
Gennaro, dont nous savons qu’il est son fils : refusant du spectateur. Enfin, la scène contemporaine nous
l’amour de celle qu’il ne saurait (re)connaître, dans un propose l’exemple d’une fresque historique et théâ-
mouvement de défi et de colère, il commet un affront trale écrite par Hélène Cixous et portée à la scène
qui lui sera fatal. par Ariane Mnouchkine et le théâtre du Soleil : elle

éclaire les conflits majeurs qui ont profondément PAGE 158
transformé le xxe siècle, et dont nous sommes les
héritiers. Cette approche des différents textes est
encore l’occasion de réfléchir aux questions de repré-
sentation en proposant des exemples de spectacles
⁄
▶▶
Lucrèce Borgia, splendeur
et effroi du drame romantique
Objectifs
de metteurs en scène majeurs de la scène actuelle : ■■ Faire connaissance avec Lucrèce Borgia, personnage
ancrage historique pour certains, actualisation pour éponyme, telle qu’elle se présente lorsque s’ouvre le
d’autres, approche plus abstraite et symbolique drame.
pour d’autres encore. Les mises en scène proposées ■■ Identifier les tensions qui la caractérisent.
offrent une variété qui permet de s’interroger sur 1. C’est d’emblée sous une axiologie négative que
les choix opérés, de sorte qu’une œuvre parfois très Lucrèce se caractérise : « mon nom me fait horreur »,
éloignée de nous peut résonner pour un spectateur « toute l’Italie me hait ». Le rejet est général et le
d’aujourd’hui. sentiment que Lucrèce éprouve pour elle-même
est au moins aussi fort de celui que le pays entier
PAGES 158-165 lui oppose. Gubetta, « [s]on plus fidèle confident »
la met d’ailleurs en garde : la répétition du terme
ŒUVRE INTÉGRALE « ennemis » comme l’énumération « des Vénitiens »,
« des Romains, des Napolitains, des Romagnols, des
Victor Hugo, Lucrèce Borgia, 1833 Lombards, des Italiens de toute l’Italie » donnent la
mesure de cette haine à son encontre. Lucrèce est
Cette œuvre de Victor Hugo présente un double d’abord et avant tout, sous la plume de Victor Hugo,
avantage pour une classe de seconde : relativement cette « Altesse » que tous abhorrent – et elle la pre-
courte puisqu’elle compte trois actes, elle a une action mière. Pour autant, elle se défend de toute volonté de
resserrée autour de Lucrèce et Gennaro quand bon monstruosité : « Je n’étais pas née pour faire le mal »
nombre de drames romantiques ont des intrigues et d’ajouter : « C’est l’exemple de ma famille qui m’a
d’une complexité telle qu’un lecteur peu averti ris- entraînée. » On pourra alors revenir sur l’expression
querait de s’y perdre ; elle permet alors de travailler sur première (l. 4) pour montrer comment s’opère la mise
des personnages traversés par des tensions propres au à distance d’elle-même : « mon nom » est comme
romantisme cher à Hugo, de sorte qu’il est possible la partie visible d’un personnage plus complexe. Et il
de faire réfléchir les élèves sur les caractéristiques de importe de le faire remarquer aux élèves : c’est pré-
chaque protagoniste tout en abordant les lignes de cisément ce nom inscrit sur le palais que Gennaro
force du drame romantique. attaquera (Acte I, partie 2, scène 2, texte du com-
Partant de ce qu’écrit Hugo dans la « Préface » de mentaire, p. 176).
Lucrèce Borgia en 1833, il s’agira, au fil des textes, 2. Cette présentation de Lucrèce par elle-même dans
d’accompagner les élèves dans leur découverte des la deuxième scène de la pièce fait suite aux propos
multiples facettes de la Lucrèce Borgia réinventée que les compagnons de Gennaro ont tenus à son
par Victor Hugo : « Eh bien, qu’est-ce que Lucrèce sujet dans la scène d’ouverture : « Ne prononcez pas
Borgia ? Prenez la difformité morale la plus hideuse, devant nous le nom de cette femme monstrueuse. Il
la plus repoussante, la plus complète ; placez-la là n’est pas une de nos familles à laquelle elle n’ait fait
où elle ressort le mieux, dans le cœur d’une femme, quelque plaie profonde », dit Jeppo. Le spectateur a
avec toutes les conditions de beauté physique et de donc en tête une représentation de la pire espèce. Si
grandeur royale, qui donnent de la saillie au crime ; et les propos de Lucrèce corroborent ceux des jeunes
maintenant mêlez à cette difformité morale un senti- seigneurs qui ouvrent la pièce, l’entrée du personnage
ment pur, le plus pur que la femme puisse éprouver, apporte déjà des nuances qui invitent à se questionner
le sentiment maternel ; dans votre monstre, mettez sur la personnalité réelle de cette femme. Le specta-
une mère ; et le monstre intéressera, et le monstre teur oscille alors entre l’effroi et une curiosité pleine
fera pleurer, et cette créature qui faisait peur fera de compassion pour celle qui rejette ce nom et cette
pitié, et cette âme difforme deviendra presque belle famille, qu’elle porte comme une nouvelle fatalité.
à vos yeux. » La suite de la scène qui dévoile alors pleinement le
SÉQUENCE 7 Représenter la tyrannie au théâtre | 151

désarroi de Lucrèce lasse d’être ce monstre tant haï et de son caractère absolu : « vous savez qu’il est tout
ne manquera pas de remplir le spectateur d’une pitié ce que j’aime sous le ciel ! » Cette parole adressée à
sincère pour le personnage. dieu l’est tout autant au spectateur en vertu de la
On pourra encore approfondir la réflexion sur le sen- convention théâtrale. Il est dans cette posture de celui
timent qu’éprouve le spectateur en incitant les élèves qui, comme dieu, sait et entend tout. Parole et geste
à proposer différentes intentions de jeu pour Lucrèce : se redoublent alors pour donner à entendre et à voir
colère, remords, accablement dans la parole de l’ac- son émotion (l. 10-11) avant d’adresser son ultime
trice pourront toucher le spectateur invité lui aussi à prière (l. 21-22).
ressentir le désarroi du personnage. Ainsi peut-on faire Pour autant, renouvelant les formes d’écriture théâ-
ressentir aux élèves la tension entre deux sentiments trale pour chercher à rendre plus vraie une parole qu’il
contradictoires. trouve trop souvent conventionnelle dans le théâtre
classique, Victor Hugo n’offre pas à son personnage
PAGE 159 un monologue traditionnel : Lucrèce parle bien pour
elle-même, dévoile ses sentiments les plus intimes
¤ L’amour de Lucrèce
pour les livrer au spectateur, mais elle est enten-
due par deux hommes masqués que le spectateur
découvre et entend.
Cette scène donne à voir Lucrèce découvrant Gennaro.
2. Grammaire
Le spectateur a fait connaissance avec lui dès l’ouver-
L’intensité de la parole de Lucrèce est soulignée par la
ture avant qu’il ne s’endorme : « Tu es un brave capi-
modalité exclamative qui domine dans ses répliques.
taine d’aventure. Tu portes un nom de fantaisie. Tu ne
Elle fait ainsi ressortir les différents états du person-
connais ni ton père ni ta mère. On ne doute pas que
nage et l’agitation qui est la sienne devant ce fils
tu ne sois gentilhomme, à la façon dont tu tiens une
qu’elle chérit en son for intérieur. Les nombreuses
épée ; mais tout ce qu’on sait de ta noblesse, c’est que
exclamations permettent ainsi de rendre perceptibles
tu te bats comme un lion. » Jeune homme de nais-
ses émois et, grâce au travail de l’actrice pour les faire
sance inconnue, donc, et libre de tout. Cette première résonner, de les partager avec le spectateur. On peut
scène nous apprend également que Lucrèce a un fils, alors lire dans la parole de Lucrèce une forme d’admi-
qui doit être homme désormais, dont nul ne sait ce ration mêlée d’amour lorsqu’elle savoure le plaisir de
qu’il est devenu. Ces indications révèlent à demi-mot contempler sa beauté (l. 1, l. 7-8). Mais son inquiétude
au spectateur que Gennaro est ce fils que Lucrèce est sensible dans les prières à Dieu qu’elle adresse
aime et pour qui elle aspire désormais à mettre à par deux fois (l. 8 et 21) et son trouble se lit à travers
distance les crimes qui entachent sa renommée. les antithèses (« haïe et méprisée »/« j’aime », l. 9 ;
▶▶ Objectifs « bonheur »/« malheur », l. 22) que les exclamations
■■ Cerner de plus près le personnage de Lucrèce dans viennent souligner.
une parole qui se veut sans fards. 3. Rendant deux hommes masqués témoins des
■■ Étudier les modalités de prises de parole et la situa-
épanchements de Lucrèce, Hugo reprend les scènes
tion créée par des témoins cachés de témoins cachés et transforme le monologue pour
■■ Identifier un dispositif scénographique et l’impor-
lui conférer une autre finalité : entendues, mais mal
tance de la lumière comprises, les paroles de Lucrèce seront rapportées
1. Dans l’échange qui précède, Lucrèce confie à pour confirmer les soupçons à son encontre (l. 14) et
Gubetta son amour pour ce jeune homme qu’elle suit, feront alors avancer l’action. Ce que Gubetta suggé-
masquée, dans le carnaval de Venise. Mais elle congé- rait avant que ne s’ouvre l’extrait est exprimé expli-
die Gubetta avant qu’il n’ait pu révéler le fond de sa citement ici (l. 13-14) : « Je n’étais venu à Venise que
pensée : il ne doit pas savoir qui il est véritablement. pour m’assurer de son infidélité ». Envoyés par Don
Pour autant, son propos (l. 2) confirme encore à demi- Alphonse, ces hommes lui apprendront que ce jeune
mot ce qu’a deviné le spectateur : Gennaro pourrait homme est son amant, attisant sa jalousie : c’est la
être le fils de Lucrèce. Mais le secret que porte Lucrèce raison qu’il invoquera lorsqu’il refusera à Lucrèce la
ne peut être dévoilé à quiconque : le spectateur entre grâce qu’elle réclame pour Gennaro lorsqu’il se sera
donc dans la confidence du personnage qui se croit révélé criminel en mutilant le nom de Borgia (Acte I,
seul. Nous savons alors tout du sentiment qui l’anime partie 2, scène 2, texte du commentaire, p. 176 ;

et acte II, partie 1, scène 4). La présence des deux 1. Grammaire
hommes masqués dans cette scène est donc indis- Là encore, les modalités interrogatives et exclama-
pensable à la construction du drame : elle accentue tives soulignent l’intensité de la prise de parole de
encore la dissension entre la réputation de Lucrèce Lucrèce. Colère, rage, fureur animent le personnage
et la vérité de ses sentiments. Elle contribue alors à qui révèle ici la toute-puissance de sa monstruosité.
susciter la compassion du spectateur pour cette mère Ne pouvant concevoir qu’on ose l’outrager, elle fait
incomprise et qui ne peut révéler ce qu’elle ressent. éclater sa parole, comme l’indique déjà la didascalie :
elle entre « avec impétuosité ». La modalité interro-
ARTS DE LA SCÈNE gative est répétée pour interpeller Don Alphonse à
maintes reprises. « Savez-vous cela, Don Alphonse »,
Denis Podalydès met en scène Lucrèce Borgia en
« Est-ce que vous imaginez, Don Alphonse », « voyez-
2013 dans une scénographie d’Éric Ruf, une création
vous », « Est-ce que vous croyez » : par ses questions,
des lumières de Stéphanie Daniel et des costumes
Lucrèce cherche à lui faire prendre conscience de la
de Christian Lacroix. L’acte I s’ouvre sur une nuit de
violence de l’outrage subi et l’appelle à son devoir
carnaval, à Venise. Dans la didascalie initiale, Hugo
précise le cadre de cette « Venise au clair de lune » de « mari », de « chevalier » (l. 16-18) : vengeance,
qu’on aperçoit au loin : la terrasse d’un palais est le donc. Et châtiment pour le coupable. Cette inter-
lieu de l’action, des gondoles passent et signalent pellation donne à voir une femme blessée, meurtrie
la présence du canal. Le dispositif scénographique comme le souligne également son exclamation iro-
d’Éric Ruf situe la scène au niveau même du canal nique : « Pardieu, monsieur, on me traite étrangement
sur lequel l’épave d’une gondole serait échouée. C’est dans votre seigneurie de Ferrare ! » Interrogations
là que s’est endormi Gennaro. Le ciel, figuré par une et exclamations donnent encore à voir une femme
toile peinte, ainsi que le plateau, est éclairé d’un bleu pleine d’outrances : la modalité interrogative, dans
sombre et inquiétant : le travail de la lumière que un long souffle, accompagne métaphores et hyper-
dirige Stéphanie Daniel est essentiel pour accentuer boles (l. 9-10 et 13-14) qui visent à rendre plus visible
la noirceur de la scène. C’est en effet une même toile et éclatante la blessure de Lucrèce. Son orgueil est
peinte qui se donne à voir en fond de scène : elle varie atteint. Il montre toute sa démesure.
en fonction de l’éclairage qu’elle reçoit, de la lumino- 2. Lucrèce a une parole qui manifeste son autorité.
sité, du choix des couleurs de gélatines (ces feuilles Par l’anaphore et la gradation, elle présente l’horreur
de plastiques qu’on place devant les projecteurs pour du forfait : « ceci est indigne, ceci est odieux, ceci
colorer et faire varier la lumière). La création lumière est infâme. » Son interpellation de Don Alphonse a
est donc essentielle pour rendre perceptible l’atmos- tout d’un acte d’accusation : s’il se doit de prendre
phère de la pièce. conscience de l’outrage, c’est qu’elle le désigne
On le voit ici, c’est dans un univers lugubre et morti- comme atteint lui-même (« votre femme », « votre
fère que nous font pénétrer Podalydès, Ruf et Daniel, palais ») et plus encore responsable du forfait (« votre
travaillant de concert à créer une atmosphère pesante peuple », « votre populace de Ferrare »). La répétition
et sinistre. Elle est accentuée encore par le choix du de l’adjectif possessif de 2e personne l’invite à se sentir
costume de Lucrèce : toute de noir vêtue, masquée, pleinement concerné et lui intime de réagir alors qu’il
voilée, elle semble une allégorie de la mort. Ces choix semble rester de marbre (l. 12). Qui pis est, le vocabu-
de mises en scène tirent ainsi le drame vers la tragé- laire familier (« votre populace ») et dépréciatif (« la
die, offrant peu d’espoir au spectateur. plus infâme populace d’Italie ») donne la mesure du
mépris de Lucrèce à l’encontre de Ferrare et de la
PAGE 160 supériorité qu’elle adopte envers celui qui en est le
duc. Ordres et menaces sortent alors de la bouche de
‹
▶▶
Fureur tyrannique
Objectifs
Lucrèce : « Il me faut une réparation éclatante de ceci,
je vous en préviens, monsieur le duc. Préparez-vous à
faire justice. » Le ton se fait alors sentencieux au point
■■ Prendre la mesure de la monstruosité de Lucrèce. de ne souffrir aucune contradiction et appelle même
■■ Analyser l’écriture d’une parole toute de fureur et une exécution effective : « qui épouse protège ; qui
de colère. donne la main donne le bras. J’y compte. »

›
▶▶
Le supplice d’une mère
Objectifs
Don Alphonse oppose une cinglante ironie « Voilà
aimer ! » Sa décision est prise et est irrévocable (l. 5
et 7) : Gennaro va mourir. La sentence est prononcée.
■■ Étudier le pathétique du personnage.
Et quand Lucrèce cherche à renouer avec ses accents
■■ Analyser les modalités d’une scène de conflit.
autoritaires, Don Alphonse continue d’avoir le dessus :
■■ Réfléchir au travail de direction d’acteur.
il balaie la menace d’une autre injonction (« Ne faites
pas la terrible, madame ! ») avant de renverser le sen-
1. Lucrèce retrouve ici le visage de cette mère aimante
timent qu’elle inspire d’ordinaire : « Sur mon âme, je
et éplorée qu’on avait découvert au premier acte :
ne vous crains pas ! Je sais vos allures. » La modalité
c’est bien, comme le note Don Alphonse (l. 4), l’amour
exclamative, dans la parole de Don Alphonse, accen-
qui alimente ses larmes. Appelant la compassion de
tue encore l’autorité qu’il a sur Lucrèce en donnant
son mari, elle se montre également dans la posture
plus d’éclat à sa parole.
qu’elle adoptait auprès de Gennaro, celle d’une mère
suppliante : « Grâce pour Gennaro ! » Invoquant le 3. Don Alphonse apparaît donc ici comme aussi
« nom de Jésus et de Marie », Lucrèce, sous la plume monstrueux que Lucrèce peut l’être ou l’avoir été.
de Victor Hugo, rejoint ici la figure chrétienne de la Sa posture autoritaire, incapable de la moindre com-
mater dolorosa qui verse ses larmes pour celui qui passion, bornée dans sa décision, rend le personnage
doit être crucifié. On pourra proposer aux élèves, pour peu aimable. Si Hugo peint une Lucrèce ambivalente,
éclairer cet aspect, quelques incursions dans les arts : son Don Alphonse, lui, est plutôt univoque et tout
la Mater Dolorosa du Titien, la Pietà de Michel-Ange concourt à en faire un personnage détestable : la
ou le Stabat Mater de Pergolèse en sont des exemples jalousie qui l’anime et sa méprise quant à l’identité
illustres. Au-delà de la figure chrétienne, Lucrèce réelle de Gennaro ne le rendent pas même un instant
rejoint ici les héroïnes tragiques qui, dès l’Antiquité, sympathique. On sait que cette scène est le résultat
celle d’Homère puis des tragédies grecques, pleurent d’un piège tendu à Lucrèce depuis que Gennaro a
leurs fils condamnés à mourir. Lucrèce prend ainsi les commis son forfait. Il l’a fait suivre et enfermer (acte I,
accents d’Andromaque, celle d’Homère, d’Euripide, de partie 2, scène 3). Il prépare l’instrument du châtiment
Sénèque ou de Racine, et Victor Hugo s’inscrit dans (poison ou épée, acte II, partie 1, scène 1). Il laisse
cette lignée des auteurs phares de la littérature pour entrer Lucrèce pour la laisser répandre sa fureur avant
mieux s’en démarquer. Car ce visage de Lucrèce n’est de la confondre en lui présentant Gennaro comme
pas le seul : le spectateur l’a vue passer des accès de l’auteur du forfait. Son intransigeance, ici, contribue
rage de la femme vengeresse aux supplications de la à le rendre détestable. Plus encore, c’est l’effroi que
mère éplorée, conformément à cette esthétique du peut éprouver le spectateur : tout indique que la mort
contraste qui est, pour Hugo, à l’image des contradic- de Gennaro est inéluctable. Il peut alors ressentir de la
tions de la vie quand les classiques appelaient, avec pitié pour la mère et son fils. Ce faisant, Hugo réussit
la bienséance interne du personnage, son unité. Et un véritable tour de force, donnant à ressentir les
sentiments appelés par la tragédie sans pour autant
les deux visages, pour Hugo, ne sont pas si éloignés
présenter une figure aussi pure ou innocente que les
l’un de l’autre au point que Lucrèce tente de renouer
héroïnes tragiques. C’est bien ce à quoi il invitait dès
avec l’autorité première qu’elle opposait précédem-
sa préface et nous voyons ici comment il peut opérer :
ment à Don Alphone (l. 8-9) en cherchant à se faire
« dans votre monstre, mettez une mère ; et le monstre
menaçante. Mais, en vain.
intéressera, et le monstre fera pleurer, et cette créa-
2. Les paroles de Lucrèce et Don Alphonse s’opposent ture qui faisait peur fera pitié, et cette âme difforme
dans des registres différents : pathétique, la parole de deviendra presque belle à vos yeux. »
Lucrèce implore son mari quand précédemment elle
commandait. La répétition de « Je vous demande » Dossier personnel
souligne son humilité, sa déférence quand aupara-
vant elle avait fait éclater son mépris. Sa posture, Pour les indications, il conviendra de s’appuyer sur les
indiquée par une didascalie interne, « à genoux et indices présents dans le texte. L’indication « à genoux
à mains jointes », marque plus encore son infério- et à mains jointes » inscrit la posture de Lucrèce au
rité : Don Alphonse la domine, tant physiquement cœur de son propos quand la didascalie « se relevant »
que par la parole. En effet, à ce registre pathétique, signale un changement. Ces postures accompagnent

les intentions présentes dans la parole de Lucrèce : et ne peut plus vaincre celui qui a manifesté sa
dans la posture de prière, la comédienne pourra être toute-puissance.
invitée à interpréter différemment ses premières
répliques en fonction de ce que l’on cherche à accen- PAGE 161
tuer. Elle peut être solennelle et humble si l’on veut
souligner la gravité de la situation, suppliante et en
larmes si l’on veut accentuer la dimension pathétique.
Il importe de réfléchir encore au volume de voix, à sa
∞
▶▶
Un dénouement tragique
Objectifs
couleur (grave ou aiguë), à son débit et aux silences ■■ Identifier les caractéristiques du pathétique et du
qui pourraient habiter la parole de celle qui est acca- tragique.

blée de douleur, à l’enchainement des répliques des ■■ Étudier la construction d’un dénouement.
protagonistes pour inscrire la direction de l’actrice ■■ Réfléchir à l’interprétation des personnages.
dans une approche plus générale de la scène.

1. Dans sa réplique, Lucrèce implore Gennaro qui la
Il convient ensuite de marquer la rupture : comment
menace d’un couteau et cherche à le toucher sans
Lucrèce se relève-t-elle ? Dans la vivacité d’un élan ?
lui révéler pourtant qui elle est. Cette impossibilité
Dans la lenteur solennelle de qui va menacer en
de dire laisse alors toute sa place à l’émotion du
renouant avec une autorité dont elle a déjà fait
personnage qui fait éclater sa douleur, invitant son
montre ? Ce sont des exemples de propositions pos-
interlocuteur à la considérer comme une « malheu-
sibles. Et pour cette dernière réplique de Lucrèce, il
reuse femme » (l. 5). L’image est poignante et donne
faudra alors, de nouveau, indiquer volume et couleur
à voir une véritable mise à mort avec force précisions,
de voix, rythme de la phrase, nature de l’adresse à
de la « cendre » où elle se « couche » avant qu’elle
Don Alphonse.
ne « creuse sa fosse de ses mains » (l. 6) jusqu’au
Il importe de faire comprendre aux élèves qu’un texte
« crime affreux, un assassinat » (l. 17) qu’il est prêt à
de théâtre, s’il comporte des indications qui orientent
commettre. Cette douleur mortifère appelle, littérale-
l’acteur ou l’actrice, peut aussi être interprété diffé-
ment, la « compassion » (l. 14) et la « pitié », répétée
remment : c’est en cela que réside le geste artistique
ligne 15. Plus encore, empruntant son registre à celui
du metteur en scène et de ses comédiens. Et c’est en
de la religion, c’est au pardon qu’appelle Lucrèce :
fonction des choix qui sont opérés pour l’interpréta-
son malheur la transforme en « misérable femme »
tion que le spectateur pourra ressentir des émotions
(dans un sens quasi pascalien, l. 15), son humilité se
singulières à chaque mise en scène d’un même texte.
donne à voir dans l’image d’une femme qui se pré-
sente « repentante » (l. 3) et répète son « repentir »
ARTS DE LA SCÈNE
(l. 13). Pour toucher plus encore Gennaro, elle cherche
La photographie qui capte un instant du spectacle à atteindre son « cœur » (l. 12) et en appelle à la
doit être prise pour ce qu’elle est : précisément, un « grâce » (l. 12 et 15) et à la « miséricorde » (l. 14).
instant. Les comédiens ne restent pas, tout au long L’intensité du pathétique est soulignée par les nom-
de cette scène, figés dans cette posture. Il importe breuses interjections : « Oh ! » à trois reprises, « Eh
alors de voir ce que révèle cet instant et ce qu’il nous bien ! », « Grâce », « Grâce de la vie », « Un peu de
indique pour comprendre les choix du metteur en pitié ! » Elles renforcent l’image de la Pietà ou de la
scène. Dans la scène, Éric Ruf dans le rôle de Don Mater Dolorosa qu’Hugo confère ici à son personnage,
Alphonse s’approche peu à peu d’Elsa Lepoivre, qui d’autant plus qu’elles seront ses dernières prières
joue Lucrèce, suppliante, à genoux et à distance. Près avant d’expirer : « Grâce ! Grâce ! Encore un mot ! »,
d’elle toujours au sol, il l’enserre et la contraint. C’est « Pardon ! Écoute-moi ! », « Au nom du ciel ! ». Elles
cet emprisonnement de Lucrèce que nous pouvons sont autant d’indications pour la comédienne qui
voir ici : les visages crispés, déformés, pour Ruf, par endosse le rôle. La modalité exclamative qui domine
la haine qui anime Don Alphonse, et pour Lepoivre, le passage va également dans le même sens : l’émo-
par le désarroi de Lucrèce, donnent à voir les senti- tion est à son comble et la tension dramatique et
ments qui les animent. Et la position de leur corps pathétique portée à son extrémité. Gennaro en est
révèle alors leurs états respectifs : il semble tenir fer- « ébranlé », dit la didascalie. Le spectateur de ce drame
mement une Lucrèce qui s’abandonne à sa douleur est comblé. On sait que la pièce connaît un triomphe

dès les représentations de 1833 et elle est toujours Victor Hugo, critique des classiques dont il refuse
acclamée sur les scènes d’aujourd’hui. les règles qui écartent le théâtre de la vie, renoue
2. Grammaire avec la noirceur des tragédies qu’on trouve à la fin
Le désarroi de Lucrèce est complet, comme l’est son du xvie siècle en France et qui choquent le spectateur
impuissance à changer le cours du drame. Sa tirade par leur noirceur et leur violence (voir Théâtre de la
s’ouvre par des impératifs : « Attends, attends ! » cruauté et récits sanglants (fin xvie-début xviie siècles),
D’autres viennent les redoubler : « Écoute-moi » dir. C. Biet, Robert Laffont, 2006). Plus encore, avec
(l. 2 et 32), « Voyons » (l. 5), « Ne me tue pas » ce dénouement, Lucrèce Borgia rejoint le théâtre de
(l. 12), « Vivons » (l. 13), « Aie quelque compassion » Shakespeare adulé par Hugo (il est pour lui le « dieu
(l. 14), « Laisse-moi pleurer à tes pieds ! » Son interpel- du théâtre », écrit-il dans la « Préface » de Cromwell).
lation a la forme d’une prière sans en trouver la force. Poison, poignard et mort sur scène que l’on trouve ici
Tant d’injections resteront sans effet lorsque Maffio sont déjà les ingrédients du dénouement de Roméo
en appellera à la vengeance : « Je n’écoute plus rien », et Juliette, dont on retrouve d’autres motifs dans
rétorque Gennaro. la pièce de Hugo pour nous convaincre qu’il est un
Le désarroi de Lucrèce se lit encore dans la struc- intertexte évident, bien que le cœur de l’action soit
ture hypothétique des phrases qui appelle le mode différent.
conditionnel, au point qu’elle semble n’avoir plus de 4. Les sentiments du spectateur, de toute évidence,
prise véritable sur le réel : « je ne ferais que redoubler sont mêlés : horreur et effroi devant ces personnages
ton horreur et ton mépris pour moi ! » (l. 2), « Que je à l’agonie et le spectacle sanglant de leur mort, com-
voudrais bien que tu me reçusses repentante à tes passion devant cette mère suppliante, dépit et pitié
pieds ! » (l. 3), « est-ce que tu aurais le cœur de la devant ces deux personnages qui se découvriront trop
repousser ! » (l. 12) Mais désirs et craintes semblent tard pour échapper à la mort et un plaisir intense,
de vains mots même lorsque le futur de l’indicatif sans doute, si la mise en scène est réussie, d’avoir
cherche à conférer à ses paroles une once de réalité : versé tant de larmes. Car c’est bien le paradoxe du
« Tu ne voudras pas ! » répète-t-elle comme pour s’en drame ou de la tragédie : on n’aime rien tant que cette
convaincre. Tout indique ici, dans cette parole incan- douleur qui nous traverse en suivant le cours de ces
tatoire, que Lucrèce a perdu pied. Elle a perdu de sa vies monstrueuses aux morts violentes.
superbe, mais pis encore, la perdition est totale dans VERS LE BAC. Commentaire
cette parole ultime qui se fait peu à peu non verbale. Pour développer le commentaire, on pourra s’appuyer
3. La bienséance classique veut que rien ne puisse, sur les questions et reprendre une partie des ana-
sur la scène, choquer le regard du spectateur : pas de lyses développées en les prolongeant par des aspects
combats, pas de sang, pas de mort. Dans le dénoue- qu’elles ne font qu’ébaucher.
ment de Lucrèce Borgia au contraire, la noirceur et la L’introduction rappellera l’essentiel de la pièce pour
violence sont à leur paroxysme. Avant que le passage présenter le dénouement. Pour problématiser, on peut
ne s’ouvre, Gennaro et ses amis ont bu, sur la scène, le s’interroger sur la singularité de ce dénouement en
vin contenant le poison qui les tue quand la tragédie questionnant également la réception (et partir alors
classique laisse dans la coulisse l’absorption de ce qui des éléments de réponse à la question 4 pour entrer
vient achever héros ou héroïne : Néron tue Britannicus dans la scène). En quoi ce dénouement est-il boulever-
hors scène entre les actes IV et V (Racine, Britannicus, sant ? À quoi tient la noirceur de cet échange ultime ?
1669) ; Phèdre absorbe le poison qui l’achève avant Comment le drame prend-il des accents pathétiques
d’entrer pour son ultime discours et se retire pour et tragiques ?
mourir hors de la vue de Thésée et des spectateurs On peut alors arriver au plan suivant :
(Racine, Phèdre, 1677). Ici, la mort se fait à la vue 1. Une tension dramatique à son comble : l’aveu
de tous. Gennaro relève le couteau comme l’indique de Lucrèce retardé
la didascalie (l. 27) et annonce son crime : « Vous a) Un silence qui s’impose
l’entendez, madame, il faut mourir ! » Puis il agit : « Il On peut partir de l’analyse des premières phrases
la frappe » (didascalie, l. 35). Le sang coule donc sur de la réplique de Lucrèce : « Je ne puis tout dire ! Et
la scène quand la noirceur terrifiante du crime est puis, si je te disais tout, je ne ferais que redoubler ton
révélée : « Gennaro ! Je suis ta mère ! » horreur et ton mépris pour moi ! » Partant de là, on

pourra développer ce qui, dans l’extrait, rend évidente mourir. La voix du comédien résonne alors comme si
l’impossibilité de dire, en particulier en travaillant sur elle venait d’outre-tombe réclamer son dû.
la monstruosité qui entoure la figure de Lucrèce et b) Une mort inéluctable
empêche absolument qu’on éprouve quelque com- La présence de ce personnage quasi fantomatique
passion pour elle. Il pourra alors être judicieux de rap- est déterminante pour faire basculer le dénouement
peler ce qu’exprime Lucrèce à l’ouverture du drame vers la mort. Gennaro ébranlé (l. 19) est rattrapé
(voir extrait 1, p. 158, l. 7-8) : « toute l’Italie me hait ! par sa fidélité envers Maffio, son « frère » (l. 24) et,
[…] Je n’étais pas née pour le faire le mal, je le sens à comme dans une tragédie, la prédiction énoncée
présent plus que jamais. » dès le premier acte se réalise : « Nous nous sommes
Il conviendra encore d’étudier la partie dialoguée en promis de nous aider en périls comme en amour, de
fin de passage pour montrer qu’elle est contaminée nous venger l’un l’autre quand besoin serait, de n’avoir
par le silence, comme si la parole échouait à s’ex- pour ennemis, moi, que les tiens, toi, que les miens.
primer pour donner plus d’ampleur encore à ce qui Un astrologue nous a prédit que nous mourrions tous
sépare les deux personnages : l’incapacité à révéler deux de la même mort et le même jour, et nous lui
le lien qui les unit. On partira de l’opposition entre avons donné dix sequins pour la prédiction. Nous ne
l’injonction « Encore un mot ! », « Écoute-moi » de sommes pas amis, nous sommes frères. » (réplique
Lucrèce et cette assertion définitive de Gennaro : de Maffio, acte I, première partie, scène 1). C’est pré-
« Je n’écoute plus rien ». À cela s’ajoute la réduction cisément ce qui arrive : c’est l’appel à la vengeance
des propos de Gennaro à l’expression de son refus : de Maffio qui fait basculer Gennaro qui refuse tout
« Non », par trois fois, sont ses mots avant de frapper pardon pour se rappeler que Lucrèce Borgia est cette
Lucrèce. ennemie qu’il faut désormais tuer ; une même mort
b) L’expression du désarroi et un même jour réunissent Maffio et Gennaro. La
On pourra reprendre les aspects abordés à partir de prédiction est accomplie. Mais elle gardait sa part de
la question 3 afin de montrer que cette impossibilité mystère et ne disait rien de l’essentiel : de qui Gennaro
de dire laisse alors tout l’espace pour l’expression du est-il le fils ? Retardée à l’extrême, cette révélation
sentiment d’impuissance de Lucrèce qui nourrit son ajoute au tragique.
désarroi. La conclusion ressaisira la problématique pour y
On peut ajouter encore les éléments de la deuxième répondre de manière synthétique en reprenant les clés
partie de la réponse à la première question : la douleur majeures d’interprétation du passage. On pourra finir
de Lucrèce lui confère, sous la plume de Victor Hugo, l’étude du dénouement en reprenant les éléments
la grandeur du Pietà ou d’une Mater Dolorosa. permettant de comprendre la différence radicale
2. Des personnages rattrapés par leur destin : avec un dénouement classique et ceux donnant à
le tragique du dénouement voir comment Hugo, comme d’autres dramaturges
a) Une scène mortifère romantiques, s’inscrit dans la lignée de Shakespeare
La situation profondément pathétique est ici d’emblée afin de mettre son œuvre en perspective.
marquée par l’imminence de la mort. Les éléments
identifiés dans la première partie de la réponse à la
ARTS DE LA SCÈNE
question 1 serviront de point d’appui pour développer
cet aspect. On pourra approfondir le travail en ana- L’image qu’offrent Elsa Lepoivre jouant Lucrèce et
lysant plus précisément la présence de la mort dans Gaël Kamilindi jouant Gennaro semble porter à elle
le passage. Ainsi, on peut s’attarder sur l’antithèse seule toutes les tensions de la scène. La posture à
entre les injonctions « Ne me tue pas ! » et « Vivons » genou de Lucrèce toute de noir vêtue, bras ouverts
(l. 12 et 13) redoublée par l’opposition entre la grâce à en forme de supplication, offrant sa gorge dégagée à
laquelle appelle Lucrèce et la vengeance que réclame la lame du couteau nous donne à voir une figure de
Maffio mourant. martyre s’offrant à son juge et bourreau. Gennaro,
L’appel lancé par Maffio augmente encore le caractère regard perdu, à l’emprise lâche, le geste encore hési-
mortifère de la situation. La didascalie l’indique : il tant, semble ici ébranlé, touché peut-être, par Lucrèce.
n’est déjà plus qu’« une voix, au-dehors » comme s’il Leur proximité pourrait être celle de l’étreinte, mais
s’agissait pour Hugo de refuser toute incarnation à elle est comme refusée : pas de face à face, des cos-
celui qui exprime une dernière demande alors qu’il va tumes aux couleurs opposées, des regards orientés

dans des directions qui ne sauraient se rejoindre. Et alors plutôt de se demander comment il est pos-
l’espace de leur étreinte semble déjà maculé du sang sible d’éprouver une compassion véritable pour ce
à venir : le lourd manteau rouge que Lucrèce a retiré monstre. Hugo y répond en partie dans sa préface :
annonce la mort à venir qui figure dans le personnage « la maternité purifiant la difformité morale, voilà
masqué que l’on aperçoit en fond de scène sous un Lucrèce Borgia » avant de conclure : « À la chose la
ciel sombre. plus hideuse mêlez une idée religieuse, elle deviendra
saine et pure. » Et le propos de Podalydès vient encore
PAGE 162 l’éclairer pour montrer la tension entre les facettes
de Lucrèce.
On peut alors s’intéresser aux choix dramaturgiques
PARCOURS D’ŒUVRE INTÉGRALE de Victor Hugo pour parvenir à ses fins. Une première
partie s’attachera à mettre en évidence l’articulation
PISTE DE LECTURE 1 entre l’image de Lucrèce véhiculée par les autres pro-
tagonistes (les compagnons de Gennaro, Gubetta,
L’ambivalence de Lucrèce Borgia Don Alphonse) d’un côté et de l’autre ses actes mons-
Pour étudier cette ambivalence du personnage trueux (l’appel à la vengeance et les actes assassins à
éponyme et voir comment sont révélées les facettes l’encontre de qui l’offense) : ils invitent à susciter l’ef-
de sa personnalité, on pourra distinguer trois aspects : froi du spectateur. La deuxième partie pourra montrer
– ce que les autres personnages disent d’elles : les alors que le spectateur est d’emblée placé du côté de
jeunes seigneurs qui accompagnent Gennaro, Gubetta Lucrèce, car il a accès à son intimité et à l’expression
fidèle compagnon qui n’aime rien tant que sa mons- de l’authenticité de son sentiment maternel : en cela,
truosité, Don Alphonse qui lui oppose les crimes il peut être touché par la douleur du personnage, peut
qu’elle a commis ; être témoin de ses gestes pour sauver son fils et son
– les actes et gestes qui donnent la mesure de sa impuissance à faire connaître pourtant la vérité de
monstruosité et de l’effroi qu’elle peut susciter : le son sentiment. On pourra alors dans une troisième
châtiment qu’elle appelle contre celui qui a outragé partie concilier l’opposition entre ces deux facettes
son nom et la vengeance qu’elle fomente à l’occasion en montrant comment Hugo cherche à éveiller notre
du banquet de la princesse Negroni seront les signes compassion pour Gennaro et, ce faisant, soulève un
de sa « difformité morale » ; sentiment de pitié pour Lucrèce qui ne peut lui révéler
– les situations et paroles qui la présentent sous la qui elle est : dans sa quête de la mère aimante dont
figure d’une mère aimante et éplorée : en particulier, il reçoit les signes d’affection et qu’il chérit en l’idéa-
les échanges avec Gennaro qui montrent un acca- lisant, il est aveuglé et ne sait reconnaître celle qui
blement sincère et suscitent la pitié sont autant de lui témoigne son affection et cherche à le sauver. À
marques du « sentiment pur » qui l’anime malgré tout travers le sort de Gennaro, c’est également à celui de
et auquel le spectateur a accès aussitôt qu’elle entre Lucrèce que le spectateur s’intéresse.
en scène. 1. Certes Lucrèce est un personnage monstrueux qui
suscite l’effroi
VERS LA DISSERTATION 2. Mais, placé dans la confidence, le spectateur peut
La question invite à s’interroger sur la réception de être touché par sa douleur sincère
l’œuvre et à questionner les émotions que ressent le 3. Ou encore peut-il accéder au cœur de Lucrèce dans
spectateur. L’ambivalence du personnage de Hugo et un élan d’affection pour Gennaro
les choix opérés par les metteurs en scène contribuent
à susciter des sentiments opposés : la compassion en PISTE DE LECTURE 2
fait partie comme nous avons pu le voir dans certains Gennaro, un héros romantique
des extraits étudiés. Mais ce n’est évidemment pas le
seul, et si la question se pose, c’est bien plutôt parce GUIDE DE LECTURE
que Victor Hugo confère au personnage de Lucrèce a. Dans le premier acte, on découvre d’abord un
toute la noirceur et la monstruosité qui caracté- jeune seigneur dont la naissance reste inconnue. C’est
risent l’ensemble des Borgia et appellent plutôt de Maffio, le premier, qui fait son portrait : tout indique
la compassion pour les victimes. La question serait qu’il est gentilhomme, sa bravoure, sa fidélité, son

cœur, mais il a aussi pour lui la noirceur des héros (acte I, partie 1, scène 4). Mais cette parole qui pour-
romantiques qui restent en marge de la société. Libre, rait résoudre le drame ne peut être proférée tant
certes, il est profondément tourmenté quand on le elle serait monstrueuse. Victor Hugo, dans un élan
croit heureux. Ce tourment se lit dans ce qu’il révèle d’ironie tragique, fait ainsi dire à Gennaro : « Quel
à Lucrèce (qu’il ne reconnaît pas) : il se présente plein malheureux assez abandonné du ciel voudrait d’une
de compassion et de larmes pour sa « pauvre mère » pareille mère ? Être le fils de Lucrèce Borgia ! dire
dont il ne sait rien d’autre que ce qu’elle révèle dans ma mère à Lucrèce Borgia ! Oh !... » (acte II, partie 1,
les lettres qu’elle lui fait remettre le premier jour de scène 6). Et c’est ainsi par le retard de cette révéla-
chaque mois, et tout indique qu’il voue toute sa vie à tion jusqu’au moment ultime que la fatalité fait son
sa mère : « Oh ! délivrer ma mère ! la servir, la venger, œuvre. Hugo ajoute à la construction dramaturgique
la consoler, quel bonheur ! Je penserai à l’amour après. de son drame des éléments qui alimentent le jeu du
Tout ce que je fais, je le fais pour être digne de ma destin : prédiction qui scelle le sort de Gennaro à celui
mère. » Ce tourment, on le retrouve encore dans le de Maffio ; quiproquo parce que chacun voit dans cet
discours qu’il tient à ses compagnons (voir texte du amour de Lucrèce pour Gennaro celui d’une femme
commentaire, p. 176) et qui précède le geste de défi amoureuse ; jalousie de son mari qui cherche à mettre
qui signe la mise à mort certaine. à mort son rival ; coup d’éclat de Gennaro qui pro-
b. C’est essentiellement autour de ce geste provoca- voque Lucrèce et dont elle demande la mise à mort
teur visant à transformer Borgia en Orgia qu’il importe sans savoir qu’il est celui qu’elle veut châtier (acte II,
de réfléchir : fougue de la jeunesse, désarroi de qui partie 1, scène 2) ; et surprise de sa présence lors du
est acculé aux extrêmes par un amour qu’il ne peut banquet de la princesse Negroni alors qu’il ne fait pas
recevoir, fait d’armes d’un « capitaine d’aventure » partie de la liste des invités soigneusement choisis par
qui court après un rêve et ne voit pas quelle est la Lucrèce pour se venger de l’humiliation qu’elle a subie
réalité. Il semble agir sans mesurer les conséquences devant Gennaro. La fougue de Gennaro, qui rejoint
de son acte dont tous s’inquiètent. Plus généralement, en cela la violence des Borgia, est précisément ce qui
sa naïveté et sa hardiesse peuvent se lire dans les conduit le sort à s’abattre sur lui. Il est, de toute façon,
échanges avec Lucrèce, qu’il sache ou non qui elle marqué par l’hérédité des Borgia et fait entendre son
est. En particulier, on pourra s’attarder sur le mouve- cours inéluctable : « Eh bien, il faut en finir. Dans les
ment de la scène 6 de la première partie de l’acte II : familles comme les nôtres, où le crime est héréditaire
résistance, d’abord, de Gennaro face à la fiole de et se transmet de père en fils comme le nom, il arrive
contre-poison que lui tend Lucrèce qu’il renvoie à ses toujours que cette fatalité se clôt par un meurtre, qui
crimes, hésitation devant celle qui l’ébranle malgré lui, est d’ordinaire un meurtre de famille, dernier crime
fermeté néanmoins de ses sentiments qu’il oppose qui lave tous les autres. » (acte III, scène 3) À cela,
à ce monstre en qui il ne peut reconnaître sa mère. Hugo ajoute encore une dose de hasard qui peut être
Enfin, on pourra faire relire la scène 2 de l’acte III dans une autre forme de fatalité : c’est à pile ou face que
laquelle Gennaro tient tête à Lucrèce qui transforme se joue l’arrestation de Gennaro lorsque Astolfo et
le banquet de la princesse Negroni en scène d’orgie Rustighello se retrouvent devant sa porte : le premier
macabre et mortelle. Cette scène ouvre le dénoue- doit le mener chez la duchesse, le second chez le duc
ment et sera sans autre issue que la mort. et c’est lui qui l’emporte (acte I, partie 2, scène 4).
d. C’est poussé par la fidélité qu’il doit à Maffio que
c. Dans le drame de Hugo, aucune transcendance ne
Gennaro repousse la demande de grâce de Lucrèce et
vient dicter le cours des événements : c’est l’héri-
cède à l’appel de la vengeance. Pour de plus amples
tage de cette famille maudite qui scelle le destin
précisions, on peut se reporter à l’étude de l’extrait 5
des personnages. Lucrèce le dit : « Je n’étais pas
p. 161.
née pour faire le mal, je le sens à présent plus que
jamais. C’est l’exemple de ma famille qui m’a entraî- VERS LA DISSERTATION
née. » (extrait 1, l. 9, p. 158) Et c’est cet héritage qui La question posée peut appeler différents types de
s’abat sur le héros pourtant vertueux. La fatalité se plans : le personnage de Gennaro répond-il à cette
manifeste alors à travers ce lien qui unit Gennaro et définition du drame romantique inscrite par Hugo
Lucrèce et qui ne saurait s’avouer. Il le dit, lorsqu’il dans sa « préface » de Cromwell ? Oui, pourrait-on
ne sait pas encore à qui il s’adresse : « je sens au fond dire en proposant alors un plan thématique qui mon-
du cœur quelque chose qui m’attire vers vous. » trerait les différents aspects qui caractérisent le héros.

En classe de seconde, un tel choix peut être encouragé les noms (voir le texte du commentaire p. 176). Don
afin d’inciter les élèves à cerner les particularités du Alphonse, pourtant présenté comme loyal, sait faire
héros romantique : pour cela, la lecture de la double preuve d’une grande violence dans la fermeté qu’il
page consacrée au drame romantique (p. 174-175) oppose à Lucrèce qui demande grâce pour Gennaro
peut être bénéfique. Les trois entrées proposées pour (acte II, partie 1, scène 4). Dès lors, tout dans son
définir le héros romantique peuvent alors constituer discours se fait menaçant au point qu’il renverse le
les différentes parties d’une dissertation : rapport de force entre Lucrèce et lui : « Ah ! cela vous
1. Gennaro, un être en marge de la société étonne, vous avez peur de moi, Madame ! jusqu’ici
2. Un être tourmenté et passionné c’était moi qui avais peur de vous. J’entends qu’il
3. Un personnage condamné au malheur en soit ainsi désormais » Et sa parole annonce alors
Dans un second temps, en s’appuyant sur les pistes le verdict définitif : « Il faut qu’il meure. » Quant à
de lecture, on invitera les élèves à chercher quels élé- Lucrèce, sa parole révèle la violence de ses actes : elle
ments du drame permettent précisément de définir en appelle à la vengeance contre ceux qui l’ont offen-
ainsi Gennaro. sée ; elle donne la mesure de cette vengeance dans le
Avec des élèves plus aguerris, en fin d’année par discours qu’elle adresse à ceux qu’elle a empoisonnés.
exemple, on peut aussi chercher à approfondir la On pourra s’arrêter sur la réplique qui ouvre la scène 2
réflexion sur le personnage pour voir dans quelle de l’acte III : « À moi de parler haut et de vous écraser
mesure nombre de ses attributs pourraient inviter la tête du talon ! » L’image, particulièrement specta-
à une autre lecture rapprochant Gennaro des héros culaire, donne le ton de ce qui suit. Cette parole de
tragiques qui luttent en vain contre une fatalité qui Lucrèce gagnera à être confrontée à celle des compa-
les contraint. On peut alors proposer un plan critique gnons de Gennaro : elle leur répond point pour point
également appuyé sur les pistes de lecture proposées : pour les envoyer à la mort.
1. Gennaro, un héros romantique b. Ces mots qui suscitent l’effroi sont accompagnés
a) un « gentilhomme » sous un « capitaine d’actions éminemment violentes que Victor Hugo fait
d’aventure » éclater sous les yeux du spectateur. Il importe d’étu-
b) un personnage tiraillé entre haine et amour dier la préparation de l’acte de vengeance que Lucrèce
c) la fougue et la noirceur d’un personnage impulsif fomente contre les compagnons de Gennaro : « je me
2. Un personnage tragique vengerai d’eux. » Et elle s’inquiète alors : « Tout est-il
a) un être dominé par un désir d’absolu en quête d’une prêt pour ce soir, Gubetta ? […] Y seront-ils tous les
mère idéalisée cinq ? » (acte I, partie 2, scène 1). Suit un monologue
b) un personnage jouet du hasard et des quiproquos de Gubetta qui se clôt sur une parole prémonitoire :
c) un héros marqué par le sceau des Borgia « les jeunes gens sont ainsi faits. La gueule du loup est
de toutes les choses sublunaires celle où ils se préci-
PISTE DE LECTURE 3 pitent le plus volontiers. » Puis on retrouve ces der-
Le drame romantique : niers qui, tous, à l’exception de Gennaro, annoncent
un théâtre de conflits violents être invités à souper chez la princesse Negroni. Le
cadre de la vengeance est annoncé. Et l’acte III donne
GUIDE DE LECTURE à voir et à entendre comment elle s’accomplit : une
a. La violence verbale est à la hauteur de celle des première scène orgiaque où le vin coule à flots et les
actes des protagonistes du drame : menaces et injures buveurs, joyeux, font entendre insultes et menaces
accompagnent ainsi les actions. Et de tels propos parmi les rires avant d’entonner une chanson à
ne sont l’apanage de personne en particulier, mais boire. Celle-ci est remplacée par un chant lugubre
tous les emploient. Ainsi en est-il des compagnons qui précède l’entrée de pénitents blancs aux accents
de Gennaro lorsqu’ils démasquent Lucrèce (acte I, sinistres. Lucrèce fait alors son entrée pour appeler
partie 1, scène 5) : ils se présentent en énonçant ceux qui vont mourir à rejoindre ceux déjà morts.
les actes sanglants qu’elle a commis à l’encontre de Victor Hugo offre le spectacle de la monstruosité de
leurs familles avant de la dépeindre sous le signe de Lucrèce dans cette mise en scène de la vengeance.
l’inceste dans une formule anaphorique qui marque Il rend ainsi visible tout ce qui a pu être dit d’elle et
les esprits. Puis de Gennaro lui-même lorsqu’il vitu- ajoute encore à sa monstruosité. De la sorte, il met
père contre le palais des Borgia, le qualifiant de tous en évidence ce qui caractérise profondément le per-

sonnage qu’on a pourtant vu repentant à l’ouverture glace : « Quel piège affreux ! Nos épées ! nos épées !
du drame. Cette soif de sang semble alors ne jamais Ah çà ! Messieurs, nous sommes chez le démon ici. »
pouvoir quitter Lucrèce. (acte III, scène 1).
c. L’emportement de Gennaro se donne à voir avec Mais si l’épée est envisagée par Don Alphonse comme
éclat dans la dégradation du nom Borgia (texte alternative pour achever Gennaro (acte II, partie 1,
du commentaire, p. 176). L’acte est d’une gravité scène 1), c’est le poison qui a la préférence de Lucrèce.
majeure : « Gennaro, cette lettre de moins au nom Il est en effet la signature des Borgia au point que
de madame Lucrèce, c’est ta tête en moins sur tes Victor Hugo donne à Maffio une réplique qui en
épaules », dit Jeppo. Et Gubetta d’ajouter : « Monsieur décrit différents effets : « les Borgia ont des poisons
Gennaro, voilà un calembour qui fera mettre demain qui tuent en un jour, en un mois, en un an, à leur
gré. » Et il fait traverser le théâtre par un homme qui,
la moitié de la ville à la question. » Il signe ainsi son
comme le ferait un spectre, donne à voir à quel point
propre arrêt de mort. L’étude précise du texte, pour
ils sont redoutables (acte I, partie 2, scène 3). Signe
préparer le commentaire, permettra de cerner l’impul-
annonciateur d’une mort certaine, le poison, émanant
sivité de Gennaro qui cède ici à la colère allant jusqu’à
d’un flacon d’or, se mêle au vin que boit Gennaro avec
défier celle qui avait su le toucher.
Don Alphonse (acte II, partie 1, scène 5) avant de se
d. Victor Hugo accompagne son drame de nom- laisser convaincre d’absorber le contre-poison de la
breuses didascalies qui précisent les éléments qui lui fiole que Lucrèce lui présente. Plus encore, le poison,
semblent nécessaires pour le jouer. Les accessoires donné pour du vin de Syracuse, est versé à tous les
sont essentiels : appuis de jeu pour les comédiens, ils convives du palais de la princesse Negroni alors que la
sont aussi signifiants pour les spectateurs en ce qu’ils salle fermée de l’extérieur se referme sur eux comme
contribuent à rendre visible les éléments du drame. un piège (acte III, scène 1). Cette fois, Gennaro empoi-
Certains ont une dimension symbolique : c’est le cas sonné refuse le contre-poison qui pourrait le sauver.
des flambeaux des pages qui accompagnent les jeunes Dernier accessoire pour rendre visible l’imminence de
seigneurs venus sauver Gennaro des griffes de Lucrèce la mort : le couteau. Il est d’abord ce que tient en main
(acte I, partie 1, scène 5). Ce sont des flambeaux ana- Gubetta qui découpe un faisan alors qu’il provoque
logues qui éclairent la salle d’où viennent les pénitents Oloferno, le poussant à la rixe, pour faire sortir les
envoyés par Lucrèce (acte III, scène 2). C’est aussi le femmes et parachever la vengeance de Lucrèce dont il
cas de l’écharpe aux couleurs des Borgia portée par est l’instrument. Dans la main d’Oloferno, le couteau
Gennaro qui croit l’avoir reçue de Fiametta (acte I, remplace alors l’épée et se donne déjà à voir comme
partie 2, scène 3). Cette écharpe rend visible ce que le instrument d’une mort à venir. Et, à cet exemple, c’est
spectateur sait déjà : Gennaro est un Borgia et ne peut Gennaro resté seul avec Lucrèce qui prendra sur la
échapper à la malédiction de cette famille. Il portait table le couteau avec lequel il frappe Lucrèce.
sur sa poitrine les lettres de sa mère ; cette écharpe e. À l’occasion de l’étude de l’extrait 5 p. 161, on peut
est un signe supplémentaire. faire travailler les élèves sur l’ensemble de la scène
D’autres accessoires sont plus visiblement encore les finale pour voir comment le dénouement est retardé,
instruments de la mort qui s’annonce. C’est d’abord donnant à comprendre à quel point les conflits qui
l’épée qui apparaît : attribut du soldat, du capitaine, déchirent chaque personnage sont insolubles : Hugo,
du gentilhomme, elle peut accompagner Gennaro et dans cette ultime confrontation, prend le temps de
ses compagnons dès le début même si aucune didas- poser tous les aspects qui rendent les personnages
calie ne l’indique. Il l’évoque d’ailleurs : « Nous autres profondément déchirés entre deux sentiments
gens de guerre, nous risquons souvent notre poitrine contraires et, l’un l’autre, à la fois inconciliables et
à l’encontre des épées. » (acte I, partie 1, scène 4). intimement liés. Les paroles de Lucrèce pour persua-
C’est avec son épée qu’il menace ses compagnons der Gennaro de garder la vie de chacun sauve sèment
qui le taquinent sur son « amourette avec Lucrèce peu à peu le trouble dans son esprit, mais ajoutent à
Borgia » : « Messeigneurs ! si vous me parlez encore leur malheur : la révélation de son appartenance aux
de cette horrible femme, il y aura des épées qui Borgia est pour Gennaro un désarroi supplémentaire
reluiront au soleil » (acte I, partie 2, scène 3). Mais ce qui le rend plus fou de colère encore ; impossible donc
sont précisément ces épées qui manquent lorsque pour Lucrèce d’aller plus avant. Elle réclame du temps
les pénitents s’avancent vers eux et que leur sang se quand la fin approche et ne peut donc parler tant que

sa mort n’est pas annoncée. Quant à Gennaro, s’il est gements artistiques et culturels : ils y trouveront
ébranlé par ce qu’il entend, par les supplications de des points d’appui pour entrer dans les mises en
cette femme éplorée, il ne saurait oublier ce « frère scène (scénographie, distribution, choix pour l’inter-
d’armes » qu’elle a tué : « Je dis que c’est une action prétation). Mais il leur faudra, partant de là, fournir
infâme que vous avez faite là, qu’il faut que je venge un travail de recherche pour préciser les choix que
Maffio et les autres, et que vous allez mourir ! » Dès le metteur en scène a retenus en développant des
lors que la voix de Maffio se fait entendre, il se rappelle aspects qui ne sont pas questionnés dans cette double
la fidélité qu’il lui doit et écarte la pitié qu’il éprouve page.
pour Lucrèce. ACTIVITÉ 3. Annoncer une audition
VERS LA DISSERTATION Cette activité engage les élèves à prendre conscience
Pour réfléchir à ce sujet, on s’appuiera sur la distinc- de la particularité de cet art du spectacle qu’est le
tion que David Bobée opère entre « la virtuosité de la théâtre. En partant de ce qu’écrit Hugo, de ce qu’un
langue » et « les figures monstrueuses ». Concernant lecteur peut relever au cours de sa lecture pour faire
la « galerie de portraits, galerie de monstres », il s’agira connaissance avec le personnage, un imaginaire se
de reprendre les caractéristiques majeures des pro- construit, pour chacun, autour de ce personnage. Le
tagonistes pour expliciter leur noirceur. Quant à la metteur en scène, lui, rend visible par les choix qu’il
« virtuosité de la langue », on pourra partir du premier opère, ce qu’il a imaginé pour son personnage et les
aspect abordé dans le guide de lecture pour question- choix qu’il souhaite mettre en avant : veut-on privi-
ner également la dramaturgie, la construction drama- légier la fragilité d’un Gennaro passionné et en quête
tique, pour montrer comment la noirceur ressort de d’une mère idéale ? Est-ce plutôt la fougue et l’empor-
l’élaboration même du drame. tement de la jeunesse ? La fidélité et la droiture du
gentilhomme ? Il importe que chaque élève se pose
ces questions pour opérer ses choix. Et, comme un
PAGE 163
metteur en scène, ce faisant, il déterminera la récep-
tion de la pièce par le spectateur.
Dossier personnel
ACTIVITÉ 4. Rédiger et diffuser une critique de
ACTIVITÉ 1. Modifier le cours du drame spectacle
Cette activité peut être l’occasion de dégager les Cette activité invite les élèves à formuler un juge-
nœuds du drame et de mettre en évidence comment, ment critique, à engager leur point de vue et à le
d’une scène entre Gennaro et Lucrèce à une autre, faire partager. On peut au préalable proposer aux
l’aveu de Lucrèce devient à la fois plus nécessaire et élèves un temps de discussion sur le spectacle qui
plus impossible. sera l’occasion d’échanger les impressions et d’entrer
ACTIVITÉ 2. Préparer un document de dans l’analyse du spectacle. On peut également les
présentation du spectacle faire travailler à partir de critiques du spectacle qu’ils
Cette activité permet d’attirer l’attention des élèves auront vu (et, à cette occasion, leur rappeler que le
sur les photographies de mises en scène qui accom- plagiat n’est pas recevable). L’activité vise à leur faire
pagnent l’étude de l’œuvre. Trois metteurs en scène élaborer des supports différents pour rendre compte
reviennent dans le manuel. Ils ont récemment porté d’un même spectacle et d’un même point de vue. Ils
sont alors invités à réfléchir aux choix d’écriture qui
Lucrèce Borgia sur scène : Denis Podalydès avec deux
s’imposent en fonction du cadre : une argumentation
distributions différentes, Lucie Berelowitsch et David
qui peut avoir une ampleur certaine et permet de
Bobée. Pour en identifier d’autres, le site Internet
développer en détail son point de vue, un écrit court
https://www.lesarchivesduspectacle.net peut être
qui cherche une efficacité immédiate en très peu de
une source précieuse. Reste qu’il ne sera pas aisé de
mots, un support visuel signifiant et des mots-clés
trouver des informations sur chaque mise en scène :
pour l’accompagner.
certaines offrent une documentation en ligne parti-
culièrement riche quand, pour d’autres, on ne trouve ACTIVITÉ 5. Créer une affiche pour votre mise
que peu d’éléments. Pour leur permettre de réussir en scène de la pièce
ce travail, on incitera les élèves à s’appuyer sur les Cette activité prolonge en quelque sorte la précé-
éléments proposés dans la double page de prolon- dente puisqu’il s’agit de susciter de la curiosité et de

l’intérêt pour un spectacle. L’affiche proposée comme bien la façade du palais Barbarigo à Venise que celle
visuel n’est pas le seul modèle possible et on peut du palais Borgia avec son balcon que l’intérieur du
au préalable, notamment pour la première étape, palais Negroni, est encore un support pour que les
faire travailler les élèves sur différentes affiches de acrobates qui participent au spectacle déploient tout
spectacles. Une comparaison entre plusieurs affiches leur art. En outre, c’est bien le sol d’eau lui-même qui
pourra d’ailleurs permettre d’identifier les invariants prend une dimension spectaculaire : prouesse tech-
(et donc les éléments indispensables) et ce qui relève nique, elle offre de multiples possibilités pour refléter
de choix plus personnels du graphiste ou chargé de la lumière et la transformer au gré de ses ondulations.
communication. 2. Les jeux d’eau sont utilisés à différents titres par
Pour ce qui concerne les mots-clés, ils émanent de leur David Bobée. D’abord, on l’a dit, pour ses effets esthé-
étude de l’œuvre et des axes privilégiés lors de l’ana- tiques et spectaculaires. Puis encore, pour sa puis-
lyse. On pourra montrer alors que les choix retenus sance évocatrice et ce qu’elle ajoute à l’intensité de
par chacun donnent à voir l’interprétation qu’ils pro- la violence du drame.
posent de la pièce de Hugo. Sur l’image 1, on voit Lucrèce entourée des compa-
Enfin, pour ce qui est du visuel, on pourra tirer profit de gnons de Gennaro : encerclée, acculée à révéler son
l’étude d’affiches de théâtres différents pour montrer nom. Ici, ce ne sont pas les flambeaux qui menacent
que le choix peut être vaste et plus ou moins explicite. Lucrèce, mais les gerbes d’eau qui sont déversées sur
elle jusqu’à ce qu’elle semble totalement noyée au
PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS milieu de ceux qui la violentent. L’eau se mue en une
arme redoutable contre laquelle Lucrèce est impuis-
sante. Projections, combats dans l’eau et noyade
PAGE 164 ajoutent à la violence des meurtres inscrits dans le
texte de Hugo. Qui plus est, ce bassin offre la vision,
Une mise en scène spectaculaire sur la scène elle-même, des corps sans vie flottant
de Lucrèce Borgia comme celui de Jean Borgia que Jeppo évoque dans
la première scène du drame : sur l’image 4, on voit
1. Pour répondre à cette question, il faut partir de l’ex-
ainsi autour de Lucrèce et Gennaro le cadavre de ses
trait de la note d’intention de David Bobée qui permet
compagnons empoisonnés. Pis encore, l’eau illuminée
de se rendre compte du dispositif scénographique et
de rouge est comme de sang mêlée : sang, d’abord,
s’appuyer sur les documents iconographiques pour
de ceux que l’on voit assassinés lors du banquet ; sang
en apercevoir certains effets.
Au château de Grignan où a été créé le spectacle, la de Lucrèce, également, qui s’annonce sous la menace
dimension spectaculaire tient déjà au lieu dans lequel de l’arme que brandit Gennaro. Partant de ces obser-
il se joue : en fond de scène, la façade du xvie siècle de vations, on pourra faire réfléchir les élèves au propos
ce château offre un cadre impressionnant à la demeure de Bobée pour tâcher d’ouvrir des perspectives et
des Borgia. Dans les théâtres, David Bobée ne cherche de cerner la dimension « métaphorique, onirique et
pas à reproduire artificiellement cette architecture peut-être même mythologique » du traitement de
particulière : il propose en fond de scène une architec- l’eau. Espace onirique, l’eau s’offre parfois calme à
ture métallique qu’on aperçoit sur les documents 1 et la contemplation des protagonistes ou festive aux
4. C’est une sorte de grill technique à la verticale qui jeunes gens célébrant le carnaval à Venise ou leur
permet d’installer des projecteurs : ils viennent alors jeunesse au palais de la princesse Negroni. L’eau est
refléter leurs lumières sur un sol d’eau. Rendre visible alors métaphore de la fête avant d’être renversée,
ces éléments techniques est une volonté de David sombre, en un lieu inquiétant et mortifère où se joue
Bobée qui se dit fasciné par les installations lumières le drame et où s’exacerbe la violence. Elle prend alors
des théâtres. Ce mur de lumière contribue à conférer à une dimension mythologique pour offrir à Lucrère un
la mise en scène une dimension spectaculaire : ombres espace qui révèle l’ampleur de sa monstruosité.
et contre-jour contrastent avec des éblouissements 3. Dans cette scène (dont on a un aperçu avec l’ex-
violents, comme l’éclat de la parole et le silence du trait 4, p. 160), Lucrèce demande grâce pour Gennaro
secret peuvent se heurter dans le drame de Victor à Don Alphonse. Le texte de Victor Hugo est marqué
Hugo. Ce décor en fond de scène, qui suggère aussi par le vocabulaire religieux qui confère à Lucrèce une

dimension spirituelle. La mise en scène de Bobée l’auditoire. Le développement doit comprendre dif-
accentue cet aspect : la lumière éclaire Lucrèce de férents temps, clairement articulés entre eux par des
haut et de dos, créant un effet de contre-jour qui fait connecteurs logiques pour qu’ils soient audibles. Ils
d’elle presque une apparition et ajoute une dimension s’appuient sur différents éléments scénographiques
mystique déréalisante. Nimbée de lumière, Lucrèce et les étudient à l’aune de l’approche critique retenue.
est ainsi une figure vivante de la Mater Dolorosa. La fin doit marquer l’auditoire dans un moment qui
cherche à convaincre définitivement.
ORAL
Dans un troisième temps, il reste à présenter le travail
Dans cette critique, on invite les élèves à un travail
à l’oral dans un français correct et élégant. Pour cela,
en trois temps.
il peut être utile d’inciter les élèves à se préparer
Dans un premier temps, il s’agit de compléter leur
à l’exercice en le répétant de telle sorte qu’ils par-
approche du spectacle de David Bobée par des
viennent à se détacher de leurs notes et gardent leur
recherches supplémentaires : dossiers pédagogiques,
regard, autant que possible, sur l’auditoire.
galeries de photographies du spectacle, critiques
(qui pourront servir d’exemples). La page consacrée
au spectacle sur le site Theatre-contemporain.net PAGE 165
(https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/ Incarner Lucrèce
Lucrece-Borgia-11511/) peut être une source pré-
cieuse, qu’on pourra compléter par la galerie des pho- 1. En fonction de l’acteur et de la direction propo-
tographies prises par Laurent Philippe : http://www. sée par le metteur en scène, le personnage prend un
divergence-images.com/laurent-philippe/reportages/ aspect particulier. Dans la mise en scène proposée
lucrece-borgia-de-david-bobee-LPH1992/. par Lucie Berelowitsch, le choix de Marina Hands met
Dans un deuxième temps, il s’agit de faire, au brouil- d’emblée l’accent sur la sensibilité et la fragilité de
lon, le travail de préparation de la prestation orale. la mère qui cherche à sortir de l’image monstrueuse
Tout d’abord, on procèdera à l’étude de la mise en qu’elle véhicule. Ce que la comédienne doit faire
scène en ressaisissant ce que les questions 1, 2 et 3 ressortir, c’est cet amour pur qu’elle cache sous le
ont déjà permis de comprendre puis en approfondis- masque de la violence, ce sont les émotions parfois
sant connaissances et réflexion sur les choix scéno- contradictoires qui traversent et déchirent le person-
graphiques. Ce temps de travail doit permettre de nage. Il apparaît alors que c’est surtout sur la mère
cerner les principaux aspects de la scénographie : ils aimante que l’accent est mis et la dimension plus
seront un point d’appui pour construire le plan de la monstrueuse et inquiétante de Lucrèce ressort moins.
critique. Il doit également permettre d’identifier les Pour ce qui concerne l’interprétation de Guillaume
exemples à convoquer. Gallienne, l’article d’Armelle Héliot offre quelques
Ensuite, il faut déterminer un point de vue à défendre pistes : « non flamboyante », mais « sévère », c’est
(des choix qui subliment ou dénaturent la pièce de du côté d’une sombre douleur que le comédien tire
Hugo). Cette approche invite à s’interroger sur le sa Lucrèce. Mais ce corps masculin, imposant, offre
rapport entre le texte et la mise en scène afin d’iden- aussi une envergure particulière et un large coffre à
tifier le geste créateur du metteur en scène et de le Lucrèce qui est alors proprement empêtrée dans une
questionner : quelles idées peuvent aller dans un sens apparence qui ne dévoile en rien la profondeur de ses
ou dans l’autre en fonction de ce que l’on privilégie ? sentiments. Ainsi, pour reprendre ce qu’écrit Denis
Enfin, il convient de préparer une fiche identifiant les Podalydès dans le dossier de presse du spectacle, « le
contraintes d’écriture notamment la situation d’énon- travestissement, c’est moins une femme jouée par un
ciation (l’engagement du locuteur et l’interpellation homme qu’une femme enfermée dans une apparence
du destinataire) et un choix de procédés à privilégier qui n’est pas sienne, qui la contredit, la défigure, car
pour convaincre et persuader l’auditoire. elle n’était pas née pour faire le mal, c’est sa famille qui
Ce travail permet alors de construire un plan détaillé l’y a entraînée. » En ce sens, ce choix cherche à rendre
comme support de la critique : l’amorce ne doit pas visible la contradiction inhérente du personnage.
être une introduction formelle, mais présente néan- 2. Le choix d’un acteur masculin pour jouer Lucrèce
moins les éléments essentiels pour engager le point peut alors semer le trouble et éveiller une forme d’in-
de vue qui sera défendu tout en veillant à capter quiétude qui accentue encore l’effet que produit sur

le spectateur un personnage pétri de contradictions à côté des trois autres. Ce travail a pour objectif de
et déchiré entre son apparence et la profondeur de constituer un corpus d’exemples qu’on complètera
son moi. La compassion peut être plus grande encore éventuellement par d’autres mises en scène (celles
quoique mêlée d’inquiétude pour celle que Podalydès de Jean-Louis Benoît ou d’Henri Lazarini pour les plus
veut faire « moins héroïne dramatique qu’une allégo- récentes, ou en allant chercher des mises en scène
rie du paria, du monstre moral dont parle Hugo dans la plus anciennes, comme celle d’Antoine Vitez, pour
préface. » De ce fait, on peut s’attendre à un véritable aborder un tant soit peu l’histoire de la mise en scène).
tiraillement chez le spectateur effrayé, mais rempli de Il s’agira encore de réfléchir à ce qui contribue à orien-
pitié pour ce personnage protéiforme. ter l’interprétation d’un personnage et, au-delà, d’une
Ces clés, on en convient, ne sauraient être les seules pièce : le corps et l’âge des acteurs, leur hauteur de
auxquelles s’attendre de la part de lycéens, familiers voix, la manière dont ils sont dirigés, les couleurs et
ou non du théâtre. Certains pourraient trouver ce les nuances de leur jeu et l’impression qu’ils dégagent.
choix allant contre nature et l’on pourra tirer le fil C’est donc une invitation à réfléchir à la particularité
d’une telle remarque pour questionner cela à l’aune de l’incarnation et de l’interprétation d’un texte : le
des contradictions du personnage dépeint par Hugo. sens n’est pas fermé par l’écrit ; le texte est comme
D’autres pourraient même y voir un choix ridicule ou une partition à partir de laquelle le comédien imprime
absurde. On pourra alors faire des liens avec l’ambi- sa marque pour parachever l’œuvre en lui proposant,
tion romantique de mêler grotesque et sublime en le temps de la représentation, une interprétation.
montrant comment Guillaume Gallienne parvient à La présentation orale veillera alors à questionner
sublimer le personnage en dépit de son aspect ridicule brièvement le sujet dans un temps introductif puis
ou grotesque, et sans chercher à contrefaire la femme. à avancer différents éléments en articulant réflexion
Car c’est bien toute la particularité de ce choix. Et il et choix d’exemples.
pourra être opportun alors de revenir sur la question
de l’onnagata japonais présenté dans le texte d’Ar-
melle Héliot et que Podalydès précise encore dans son
dossier de presse. D’autres, sensibles au trouble qui
émane de la photographie, y verront peut-être l’image Figures de la tyrannie
d’une femme profondément meurtrie par sa quête et
son histoire. Il importe ici de laisser les interprétations PAGE 166
ouvertes dès lors qu’elles permettent de questionner
l’interprétation du personnage : ce seront autant de
points d’appui pour la présentation orale qui suit. ⁄
▶▶
Sophocle,
Antigone, 442 avant J.-C.
Objectifs
ORAL
Pour préparer cet oral, les questions 1 et 2 seront des
■■ Découvrir un extrait de tragédie antique.
■■ Analyser une scène de conflit.
points d’appui importants. On pourra demander aux
élèves qui ont sous les yeux les images de la mise 1. ENTRER DANS LE TEXTE
en scène de David Bobée de réfléchir de la même Dans ces premières lignes, l’insolence d’Antigone
manière à l’effet que produit sur eux le choix de la est éclatante. Elle répond à Créon en faisant d’abord
comédienne Béatrice Dalle : sa carrure, sa noirceur en preuve d’ironie, ce qui, d’emblée, montre qu’elle lui
font d’abord une Lucrèce imposante et ce sont surtout tient tête. Son audace s’accentue encore dans ce
les choix scénographiques et la création lumière qui « oui » qu’elle lui oppose : c’est à Zeus qu’elle s’en
permettent de dévoiler sa fragilité. De même, on leur remet et non à Créon à qui elle rappelle ainsi sa condi-
demandera de se reporter aux photographies des tion de mortel. Antigone s’affirme ainsi comme un
pages 158, 160 et 161 : pour reprendre sa création, personnage qui brave les interdits au nom de lois plus
Denis Podalydès a fait le choix d’une autre distribu- grandes.
tion et retient Elsa Lepoivre pour jouer Lucrèce. Les 2. Antigone se présente d’abord et avant tout comme
réponses aux questions posées sur les arts de la scène garante de la loi divine qui doit imposer à tous son
aux pages 160 et 161 pourront alors être ressaisies autorité. Elles sont, dit-elle, « intangibles » (l. 8) et il
pour faire réfléchir à la singularité de cette Lucrèce importe de leur obéir pour ne pas « encourir la rigueur

des dieux » (l. 10-11). Créon refuse de s’en remettre « ne sait pas fléchir devant l’adversité ». De ce fait,
à cette autorité immuable : seul lui, « Zeus de notre le sentiment du spectateur est partagé entre effroi
maison » (l. 28) doit être écouté. Antigone, elle, ne pour cette issue fatale et admiration pour celle qui
reconnaît pas l’autorité de Créon. Le respect qu’elle ne la craint aucunement et l’affronte avec droiture.
lui doit n’est pour elle que « lâche » (l. 10). Elle l’accuse Plus encore, la mort est appelée par celle qui subit
au contraire de s’octroyer des droits qu’il n’a pas et, les foudres de Créon : « je regarde la mort comme un
ainsi, d’agir en tyran et non en souverain responsable bienfait » (l. 12), un « avantage » (l. 13). Elle est alors
et respectueux des lois plus fortes : « Je ne croyais pas, solution ultime à tous les maux qu’Antigone rappelle :
certes, que tes édits eussent tant de pouvoir qu’ils « si j’avais dû laisser sans sépulture un corps que ma
permissent à un mortel de violer les lois divines ». Les mère a mis au monde, je ne m’en serais jamais conso-
mots sont polémiques et ont la charge d’une accu- lée. » Les tourments qui accablent Antigone pourront
sation. Le respect des dieux est déterminant pour la donc cesser. C’est alors la compassion qui gagne le
société grecque antique. Elle n’a dès lors de cesse que spectateur : compassion devant une souffrance telle
de rappeler Créon à cette exigence considérant l’édit qu’elle appelle l’irréversible ; pitié devant celle qui se
qu’il a proclamé comme injuste : « la Justice qui siège présente en justicière au nom de lois qui dépassent
auprès des dieux de sous terre n’en a point tracé de la simple humanité.
telles parmi les hommes. » (l. 5-6). Elle finit alors sa 5. On l’a dit, Antigone met en avant sa fidélité à la
tirade en l’accusant de folie (l. 18). À la polémique loi divine et la crainte qu’inspirent les dieux. Seules
s’ajoute l’hyperbole qui montre bien l’importance du lui importent les lois promulguées par Zeus et « la
conflit qui oppose les protagonistes. Tous les éléments Justice qui siège auprès des dieux. » Pour Créon, en
contribuent à faire d’Antigone une figure d’opposi- appeler à de telles lois relève de « l’orgueil » (l. 22) ou
tion et de résistance face à l’oppression et à la loi de « l’outrecuidance » (l. 25). Si sa parole n’était pas
tyrannique. Courageuse, pleine de fougue et juste, elle elle-même outrancière, on pourrait y voir l’exigence
montre ici toute l’étendue de son héroïsme. d’une humilité propre aux hommes qu’il convient
3. Grammaire d’adopter. C’est une question majeure qui traverse
On peut noter trois questions rhétoriques dans la mythologie : l’hybris des hommes contrevient à
le passage (l. 3, l. 10-11 et l. 12-13). Toutes trois l’ordre des dieux et appelle leur vengeance. De ce fait,
confèrent à la parole d’Antigone une dimension pro- on peut se demander si le geste d’Antigone n’est pas
vocatrice, rendant Créon à l’évidence : elle connaissait aussi de cet ordre. C’est l’implicite qu’on peut déceler
l’édit interdisant toute sépulture pour Polynice ; il faut dans le propos du coryphée : la lignée d’Antigone est
craindre la rigueur des dieux ; la mort est un sort plus rappelée en ce qu’elle induit un caractère inflexible qui
avantageux que les maux. Les questions rhétoriques a perdu Œdipe (il ne savait entendre les oracles et agir
accentuent encore l’audace de cette jeune femme qui en conséquence). Fille d’une lignée maudite, Antigone
ne craint pas son oncle tyrannique. Elles ont ici une est elle aussi le jouet des dieux et son destin rejoint
dimension polémique évidente et rendent la parole celui de ses frères qui s’entretuent, de son père qui se
d’Antigone particulièrement cinglante. Plus encore, mutile, de sa mère qui se suicide. Nul espoir qu’elle
dans cette opposition frontale avec Créon, ce choix obtienne leur clémence même lorsqu’elle s’oppose
d’un questionnement qui rend à l’évidence contribue précisément à celui qui les défie par ses lois.
à en appeler à la connivence du spectateur : il prend 6. SYNTHÈSE
conscience qu’elle oppose à Créon une Justice plus Le courage d’Antigone est de différents ordres : fidé-
certaine et qui ne craint pas la mort. lité à son frère contre l’édit de Créon, fidélité envers
4. Lexique ses idéaux et sa morale, audace d’un geste pleinement
Antigone ne craint pas plus la mort que les maux revendiqué devant celui qui l’a interdit, virulence de
qu’elle endure déjà. Elle est même prête à mourir son discours face au dépositaire de l’autorité, oppo-
pour ses valeurs, pour ses idées. Dès lors, la mort sition face à la raison d’État qu’elle ne veut recon-
s’immisce dans son discours comme inéluctable : « je naître, rappel même à ce dernier que la seule crainte
le savais » (l. 11), « c’était inévitable » (l. 11), « tu vas qu’il faut avoir est celle des dieux, détermination à
me mettre à mort » (l. 30). La parole est sans appel et assumer sa conduite même au prix d’une mort cer-
ne laisse aucun doute : Antigone, rappelle le coryphée, taine. Antigone a la grandeur des héroïnes admirables

et admirées, au point de devenir une figure majeure de plaide-t-elle sa propre cause. Pour Antigone, c’est
la résistance et de la rébellion légitime contre la tyran- pour son frère, pour « un corps que [s]a mère a mis
nie et l’oppression, bien au-delà du texte de Sophocle. au monde » (l. 14-15) qu’elle brave une interdiction
et en appelle à la loi de Zeus. De ce fait, on peut rap-
ORAL
procher leurs révoltes. Reste néanmoins que celle de
Si, dans l’année, les programmes laissent le choix de
Lucrèce ajoute à l’horreur qu’inspire le personnage
la méthode pour étudier les textes, l’épreuve orale du
quand celle d’Antigone la rend admirable.
baccalauréat ne retient que l’approche linéaire d’un
extrait d’une vingtaine de lignes. On pourra, pour
PAGE 167
commencer l’exercice, inviter les élèves à réfléchir
à des entrées permettant de ressaisir ce qu’ils ont
identifié au cours de leur lecture :
1. Admiration pour une héroïne au courage
¤
▶▶
Mises en scène
d’Antigone de Sophocle
Objectifs
extraordinaire ■■ Découvrir des mises en scène actuelles de tragédie
2. Effroi devant une mort certaine et un tyran
antique.
inexorable ■■ Analyser des dispositifs scénographiques et la créa-
Il s’agira ensuite de composer le détail à partir du

tion lumière.
détail de leurs analyses et de prolonger leur étude, ■■ Réfléchir à la représentation des personnages.
centrée sur Antigone, en cherchant l’effet que peut

produire la réplique de Créon. 1. ENTRER DANS LES MISES EN SCÈNE
Si l’on souhaite retenir une approche plus stricte- Les mises en scène d’Adel Hakim et de Satoshi Miyagi
ont ceci de commun qu’elles ne cherchent en rien
ment linéaire, on verra, partant de ces entrées et
à ancrer la pièce de Sophocle dans un quelconque
des analyses réalisées, que le mouvement du texte
contexte grec antique reconstitué. Il y a, dans leurs
invite à considérer ces deux aspects, admiration et
scénographies, une forme d’abstraction qui confère
effroi, successivement dans la réplique d’Antigone,
une universalité à la pièce : l’espace du plateau permet
puis ensemble dans celle de Créon. On pourra alors
alors de projeter un imaginaire façonné par la mise en
retenir le mouvement suivant :
jeu actuelle du texte antique.
l. 1 à 11 : l’admiration pour une héroïne qui ne craint
Sur la scène d’Hakel Hakim, l’espace est construit par
pas de tenir tête au tyran
Yves Collet de manière symbolique : un plateau nu
– son audace et sa parole pleine de fougue
sur lequel sont projetées les lumières figure une place
– sa fidélité et sa crainte des dieux
qui s’ouvrirait devant le palais ; au fond de la scène,
l. 11 à 21 : l’effroi devant la mort inéluctable
on voit un mur sombre, en acier, ouvert de dizaines
– la dignité tragique d’Antigone
de petites fenêtres carrées qui laissent traverser la
– le pathétique de son sort
lumière, comme un moucharabieh moderne, une
– la violence de Créon
grande porte en son centre. Sur ce mur sont proje-
l. 22 à la fin : la compassion et la révolte pour celle tés, au cours de la représentation, textes et visages.
qui sera mise à mort Ce mur peut représenter ainsi la forteresse derrière
– un orgueil qui la condamne laquelle est muré Créon, inflexible ; il peut représenter
– les manifestations de la toute-puissance de Créon ce qui le sépare d’Antigone et ses lois divines. Dans
sa proposition, cette scénographie accompagne les
ŒUVRE INTÉGRALE
choix de distribution : c’est avec le Théâtre national
La confrontation entre les deux extraits permet palestinien qu’a travaillé Adel Hakim et son Antigone
de réfléchir au rapport à la justice que Lucrèce et se joue en arabe par des comédiens en tenue de ville.
Antigone entretiennent : d’un côté, un personnage Le mur est alors un écho à celui qui sépare Jérusalem
monstrueux, autoritaire, sanguinaire qui impose sa de la Cisjordanie et à la tragédie véritable qui affecte
justice radicale et meurtrière ; de l’autre, une héroïne la région, ou au mur des Lamentations qui absorbe des
vertueuse qui défend une justice divine. Pourtant, larmes universelles, a fortiori lorsque s’y inscrivent les
l’aspiration à la justice, pour toutes deux, a partie liée paroles du poète Mahmoud Darwich, grand défenseur
avec une question familiale et intime : pour Lucrèce, de la paix, qu’Adel Hakim convoque également avec
c’est son nom et sa personne qui sont outragés. Ainsi le texte de Sophocle.

La scénographie de Satoshi Miyagi s’inscrit dans la dans un jeu très chorégraphique et expressif. C’est là
somptueuse Cour d’honneur du Palais des papes, à le fruit de la recherche personnelle de Miyagi qui l’a
Avignon, où le spectacle est créé. Les murs du Palais conduit à séparer l’acteur qui joue la voix, du côté du
s’offrent en majesté et sont l’espace de projection des logos, et celui qui joue le corps, du côté du pathos,
personnages transformés en ombres, de leurs conflits, pour mieux révéler les mystères des personnages. Et
de leurs idéaux. Miyagi s’inscrit de la sorte dans la la démultiplication ne s’arrête pas là : les personnages
lignée du théâtre d’ombres indonésien, le wayang sont représentés par leurs ombres projetées sur le mur
kulit, tout en reprenant une des caractéristiques du du Palais des papes grâce à un petit projecteur discret
théâtre grec antique : les comédiens, surélevés par au pied de chaque rocher. De la sorte, il joue aussi
les cothurnes, masqués, jouent de la grandeur de leur avec l’imaginaire qu’appellent ces figures et l’effet
figure à la puissance évocatrice forte et non pas de de grandissement du théâtre d’ombres. Il s’agit pour
l’expression de leurs visages. Le plateau est recou- Satoshi Miyagi de lier plusieurs images différentes
vert d’un sol d’eau vers lequel se sont avancés à pas pour qu’elles se rassemblent dans la tête et l’imagina-
lents les comédiens qui vont jouer la tragédie. Cette tion du spectateur et permettent de faire ressortir la
eau, pour Satoshi Miyagi, c’est l’Acheron qui sépare richesse des personnages représentés pour en révéler
vivants et morts, ou, dans la tradition japonaise, le la véritable nature, éminemment complexe.
fleuve Sanzu que doivent traverser les morts pour
3. Sur les photographies retenues, la tension entre
rejoindre le monde des morts, appelé yomi, autre-
les deux personnages se ressent dans leurs positions
ment dit « source jaune ». L’au-delà, appelé senka
respectives. Dans la mise en scène d’Adel Hakim,
ou « en dessous de la source », sera dans la mise en
Créon est en fond de scène, dans l’encadrement de
scène de Miyagi le lieu du chœur, en fond de scène :
la porte, comme incapable d’accéder à Antigone qu’il
voix et instruments résonnent comme s’ils émanaient
a condamnée. Elle, à l’avant-scène, lui tournant le dos,
des âmes des morts. Sur ce lac calme, pour donner
s’offre aux yeux du spectateur et des dieux vers les-
un lieu aux corps flottants des vivants avant qu’ils
quels elle se tourne, en martyre d’une cause plus juste.
ne sombrent, des rochers sont disposés : ils seront
l’espace de la tragédie. Entre eux, comme une séparation sans retour, l’espace
On le voit, les deux mises en scène, par ces espaces vide avec son damier de lumière.
signifiants, donnent à la pièce de Sophocle une réson- Dans la mise en scène de Satoshi Miyagi, chaque per-
nance particulière à la fois atemporelle et ancrée sonnage a son espace. Au centre, la pierre surélevée
dans des histoires singulières qui donnent à voir son sur laquelle repose Antigone attire les regards et est
universalité. au cœur de la querelle qui oppose Créon et Tirésias
lors de la scène 1 de l’épisode 5 pour laquelle nous
2. Dans la mise en scène d’Adel Hakim, Antigone,
avons une photographie. Dans cette scène, c’est
vêtue d’une jupe noire et d’un sweat blanc à capuche
donc entre ces deux protagonistes que la tension est
de lycéenne lors de son entrée, revêt après son arres-
vive. Les ombres sont en cela significatives : Tirésias,
tation une robe blanche, longue et majestueuse,
à gauche, semble menacer un Créon dont on lit la
symbole de pureté et de sacrifice. Derrière elle, sur la
stupeur. Se joue là un affrontement entre la volonté
photographie, Créon apparaît dans un costume gris
des dieux qui s’expriment à travers Tirésias et la
clair, actuel, très strict, des hommes de pouvoir. Mais
volonté d’un homme de pouvoir trop plein d’orgueil.
il n’arbore aucun signe particulier de sa puissance.
Là encore, c’est une certaine sobriété qui domine et 4. Le dispositif scénographique très dépouillé et géo-
des costumes dont la blancheur permet d’attraper la métrique d’Yves Collet pour la mise en scène d’Adel
lumière. Dans la mise en scène de Satoshi Miyagi, on Hakim donne à la lumière une grande importance :
retrouve cette blancheur sur laquelle se concentre la c’est avec elle que se dessinent au plateau des espaces
lumière. Mais la représentation de chaque personnage signifiants. Les carrés de lumière, sur la photographie,
est multiple. D’abord, deux acteurs se partagent le évoquent ainsi les projections que pourraient laisser
rôle : l’un, dans la pénombre, le plus souvent assis passer les barreaux d’une prison à un moment où le
sur un petit tabouret, est la voix du personnage qui sort d’Antigone est scellé. À d’autres moments, une
résonne dans cette immense cour ; l’autre, vêtu de lumière bleu sombre fait écho à celle des soirs de
blanc, portant une perruque également blanche, est Jérusalem. Et la sobriété de ce dispositif a encore pour
son corps qui va donner à voir les brisures, les tensions, vocation de mettre en lumière, pleinement, le jeu des

acteurs pour faire confiance à sa puissance. De même, le poison (v. 7-13), la vertu (v. 13-15) puis son fils
le dispositif de Satoshi Miyagi, créé pour le palais des (v. 19-26) sont ainsi désignés comme ses interlocu-
Papes, repose sur un jeu d’ombres et de lumières : les teurs. Ce sont les différentes instances en jeu dans le
costumes blancs des comédiens qui sont les corps des meurtre annoncé. Ces interpellations ont aussi voca-
personnages captent la lumière et attirent le regard tion à rendre le monologue plus vivant et à éviter
du spectateur tandis que leurs ombres sont proje- toute monotonie. Le questionnement est d’abord
tées pour donner plus d’ampleur au jeu et lui confé- à l’intention du poison, moins instrument du crime
rer l’envergure gigantesque de cette tragédie dans un que véritable complice par un jeu de personnification :
jeu symbolique. Ainsi, le théâtre de Miyagi mêle-t-il trois questions se succèdent qui montrent son inquié-
différentes traditions : théâtre antique dans ce choix tude. Précédées d’une invocation lyrique (« Ô toi »),
du texte de Sophocle, théâtre nô dont Miyagi est un ces questions placent également le poison comme un
héritier, théâtre d’ombres et sa créativité propre que objet de jouissance et traduisent alors le trouble de ce
vient sublimer le travail de la lumière. personnage qui reporte son désir sur l’objet du crime.
Dans un cas comme dans l’autre, les jeux de lumière C’est même à un lien de fidélité qu’elle en appelle, qui
ont de quoi fasciner le spectateur : ils contribuent peut être aussi bien celui du vassal que de l’amant
à démultiplier les émotions qu’il peut ressentir en (v. 12 et 13). Dans un mouvement dont la symétrie
rendant mieux visibles celles propres aux personnages est évidente (« Et toi »), elle rejette à l’inverse tout
de la tragédie. ce qui pourrait la rattacher à son fils. C’est alors sa
5. Pour répondre à cette question, il importe surtout volonté qui s’affirme : « que me veux-tu » (v. 13) est
de laisser la place à la sensibilité de chaque élève qui renversé par « je ne veux point » (v. 16). Sa détermi-
pourra être touché par l’une ou l’autre des mises en nation à tuer et son obstination à se maintenir au
scène. Il s’agira alors d’inviter les élèves à reprendre pouvoir sont absolues et ne souffrent aucune remise
les éléments d’analyse comme point d’appui de leur en question, ni d’ordre moral (c’est sur ce plan que la
argumentaire pour exprimer leur perception, préciser question est posée avec l’évocation de la « vertu ») ni
leur jugement et expliciter les sentiments que leur d’ordre maternel (c’est à cet endroit que se manifeste
inspirent les choix qu’ils ont découverts. la « tendresse »). Le monologue révèle ainsi l’étendue
de la libido dominandi de ce personnage monstrueux.
PAGE 168 C’est peut-être à cet endroit aussi qu’elle place sa
libido sentiendi.
‹
▶▶
Pierre Corneille,
Rodogune, 1647
Objectifs
3. Lexique
Ce sont les vers 14 et 15 qui concentrent les termes en
lesquels Cléopâtre évoque l’amour maternel : « sotte
■■ Étudier un monologue classique. vertu », « tendresse dangereuse » et « importune »
■■ Analyser les modalités d’expression de la monstruo-
– les propos sont oxymoriques et heurtent l’enten-
sité d’un personnage sanguinaire. dement. Ils donnent à comprendre à quel point le per-
1. ENTRER DANS LE TEXTE sonnage est dénaturé. Elle cherche à mettre à distance
– v. 1-6 : la monstruosité d’une meurtrière avec violence une intériorité qui pourrait la détourner
– v. 7-13 (« … Me seras-tu fidèle ? ») : le poison, allié de son ambition politique et meurtrière : ce « retour
de Cléopâtre ridicule » est ainsi condamné dans un martèlement de
– v. 13 (« Et toi, que me veux-tu… »)-18 : la vengeance termes péjoratifs souligné par les jeux d’allitérations
nécessaire d’une mère dénaturée entremêlant les sons [s] et [t]-[d]. C’est sa volonté
– v. 19-24 : le renversement des valeurs, la haine meurtrière qui s’affirme contre tout sentiment.
comme vertu 4. Cléopâtre se place ici en ordonnatrice du destin
Le mouvement du texte est celui d’une gradation dans des autres, comme une divinité cruelle, maléfique
l’éthique de la monstruosité : le personnage, totale- et annonciatrice de la monstruosité qui va advenir.
ment dénaturé, se révèle effroyable à un degré tel « J’ai tout préparé », dit-elle au vers 5 : la suite du
qu’il lui fait perdre toute humanité. monologue manifeste son désir de puissance qu’elle
2. Dans son monologue, loin de parler pour elle- expose avec délice. Tuer, donc, annonce-t-elle dans
même, Cléopâtre questionne et adresse son propos : une formule catégorique à l’intention de son fils

Antiochus : « Aime mon ennemie, et péris comme absolue, plus nuancée. Il en est ainsi de Lucrèce : sa
lui. » Rythme binaire, allitération en [m] et assonance monstruosité est traversée par son amour maternel
en [ i ] contribuent à la rendre plus éclatante encore. véritable pour Gennaro et sa violence compensée par
Cette décision radicale de Cléopâtre est encore, sous une repentance sincère. Et son désir est bien d’œuvrer
la plume sentencieuse de Corneille, éclairée par la pour que la vie l’emporte. Ainsi, si Cléopâtre et Lucrèce
maxime finale (v. 27-28) qui confère à son propos les administrent le poison in fine, ces deux figures sont
marques d’une rationalité profondément terrifiante. éloignées à bien des égards.
5. SYNTHÈSE
Ce monologue, dans la pièce de Corneille, donne à ARTS DE LA SCÈNE
voir la monstruosité du personnage de Cléopâtre dans Dans cette mise en scène de Jacques Rosner, un des
toute son horreur, sans fard, sans aucune retenue. rares à s’être attaqué à cette pièce complexe que
Seule, elle peut ouvrir pleinement son cœur, révéler Corneille affectionnait tout particulièrement, c’est la
la noirceur extrême de son âme et livrer au specta- comédienne Martine Chevallier qui endosse le rôle
teur l’horreur de son projet politique qui repose sur de Cléopâtre. Dans un décor assez épuré de palais
des meurtres pleinement assumés. Le spectateur, seul oriental, en robe rouge, couleur de passion et de sang,
témoin, ne peut qu’être effrayé d’une telle violence : Cléopâtre est jouée avec la grandeur et la majesté
aucune raison, ni celle d’une mère blessée et jalouse ni des personnages avides de pouvoir et d’autorité qui
la raison d’État, ne saurait plaider pour Cléopâtre. Elle masquent ainsi l’étendue de leur ignominie. Pour ce
est un des personnages de théâtre les plus effroyables, faire, Martine Chevallier déploie son jeu avec une
car ses blessures ne sauraient pas même émouvoir le expressivité qui développe la folie du personnage
spectateur. dans ce qu’elle a de plus retors et dangereux. La pho-
tographie qui nous est proposée saisit la comédienne
ŒUVRE INTÉGRALE dans un mouvement dont on devine la puissance, qui
Lucrèce et Cléopâtre sont deux monstres sangui- oblige Antiochus à l’enserrer, la contenir, la contrôler.
naires : avides de sang, aux mains meurtrières, prêtes En vain. Repoussant Laonice, sa confidente, Cléopâtre
au pire pour se venger de qui les offense. Pourtant, échappe à tout contrôle, à toute raison. Dans un jeu
l’essentiel les sépare : Lucrèce, on peut le voir dès le qui la fait reculer, peu à peu, de l’avant-scène qu’elle
premier extrait (l. 8-9, p. 158), reporte sur l’héritage occupe lorsqu’elle entre sur le théâtre (à l’acte II)
familial sa monstruosité : ses crimes sont la consé- jusque sur son trône, au fond du plateau, avant d’être
quence de ce sang maudit. Rien de tel pour Cléopâtre sortie, mourante, par Laonice, Martine Chevallier tra-
qui a un goût presque charnel pour le pouvoir au verse la scène et les actes dans un mouvement qui
point qu’elle fait œuvre du pire machiavélisme pour donne à voir comment le personnage s’abîme peu à
le conserver : elle n’a pas révélé lequel de ses deux peu dans une turpitude de plus en plus effroyable.
jumeaux était l’aîné, espérant que leur rivalité ferait
leur perte ; elle n’accepte de leur céder de pouvoir que PAGE 169
contre le meurtre de sa rivale, Rodogune ; elle tue un
premier fils (et tout, dans le texte de Corneille, laisse à
penser que c’est de sa propre main) et s’apprête à tuer › Jean Racine,
Britannicus, 1669
Objectifs
le deuxième ; elle préfère mourir plutôt que de devoir ▶▶
renoncer au pouvoir. Pas la moindre trace d’amour ■■ Étudier une joute verbale.
■■ Identifier les enjeux politiques d’une tragédie
maternel chez elle (ce n’est qu’une « sotte vertu » bien
vite écartée), pas la moindre trace de sens moral : elle classique.
est, purement et simplement, un monstre, grande cri- 1. ENTRER DANS LE TEXTE
minelle qui ne recule devant aucune horreur, habitée Alors qu’il s’entretenait avec Junie en un échange où
par la seule haine. Si la violence d’un tel personnage elle lui intimait de fuir, car elle craignait pour sa vie,
a fasciné, Stendhal notamment qui compare la pièce Britannicus est surpris par Néron : aux pieds de sa
de Corneille aux tragédies de Shakespeare qu’il affec- bien-aimée, il est physiquement en position d’infé-
tionne, la pièce sera délaissée au xixe siècle et supplan- riorité. Pis encore, c’est dans le palais de Néron que
tée par la violence des drames romantiques, moins Racine situe la tragédie : les murs sont le signe de sa

puissance, de son autorité et d’une menace perma- politique fondée sur la violence. Néron ne répond pas
nente qui doit se faire sentir. C’est précisément ce que sur le fond, mais sur la forme, l’exercice du pouvoir,
Néron rappelle à Britannicus dans les premiers vers donc : à la violence s’ajoute le secret. « Imitez son
de l’extrait (v. 1-2). À cela s’ajoute encore la jeunesse respect », « imitez son silence » ordonne Néron dans
de Britannicus (« Vous êtes jeune encore », v. 10) à une structure en chiasme qui s’appuie également sur
laquelle le renvoie Néron, pourtant à peine plus âgé, l’antithèse entre « ce qu’elle en pense » avancé par
pour lui signifier qu’il doit d’abord s’instruire et se Britannicus et « elle se tait » mis en avant par Néron.
soumettre à son aîné. De la sorte, tout concourt à le Soulignant l’opposition entre les deux personnages,
placer sous la domination de l’empereur. cette antithèse révèle la conception que se fait Néron
2. Lexique de l’exercice du pouvoir : chacun doit se soumettre à
Le champ sémantique de l’obéissance : « que l’Empereur, en silence, quelles que soient ses actions.
l’on m’obéisse » (v. 1) ; « pour vous obéir » (v. 4) ; Dès lors, Britannicus met à distance son interlocuteur
« J’obéissais alors et vous obéissez. » (v. 8). et son ignominie en le désignant à la 3e personne. Il
La répétition du verbe obéir montre bien que la ques- lui avait rappelé sa filiation en le désignant sous le
tion de l’autorité politique est un aspect crucial, non nom de « Domitius » (v. 6) et, ce faisant, rappelait
seulement de l’extrait, mais plus généralement de qu’il est fils d’Ænobarbus et non pas de l’empereur
la pièce. L’enlèvement de Junie comme l’ordre qu’il Claudius. C’est son adoption, forcée par Agrippine,
a intimé à cette dernière d’écarter Britannicus sont qui a conduit Néron au pouvoir : il a tout des tyrans
les premiers gestes de la tyrannie de Néron, qui fait d’établissement. Interpellant Néron à la troisième
usage de la force pour imposer son autorité. Face à personne, Britannicus renvoie alors Néron à ce qu’il
son jeune frère, mais qui devrait être le souverain est en train de devenir : un tyran d’exercice. « Ainsi
légitime, Néron engage un bras de fer pour instaurer Néron commence à ne plus se forcer » : l’allusion est
ce rapport de pouvoir et le soumettre à l’obéissance sans méprise possible. Et Néron d’assumer : « Heureux
qu’il doit à l’empereur : « il faut qu’on me respecte ou malheureux, il suffit qu’on me craigne. » Et si lui-
et que l’on m’obéisse. » Reprenant Néron qui use de même se désigne à la troisième personne (c’est la
généralité avec l’indéfini « on », Britannicus les place figure de l’énallage), c’est précisément pour affirmer
« l’un et l’autre » dans un rapport d’égalité, balayant sa supériorité dans une formule caractéristique des
d’un même geste l’injonction d’obéir et la posture de grands hommes qui manifestent ainsi leur superbe à
défi de Néron (v. 3-4). Mais Néron ne cède pas et réaf- qui veut les entendre.
firme sa supériorité : « J’obéissais alors et vous obéis- 4. On parle de stichomythie lorsqu’il y a un échange
sez. » La formule résume à elle seule le basculement de répliques de même longueur, essentiellement
qui s’est opéré. Le temps où Néron se soumettait à brèves. Ici, dès le vers 3, on voit que la parole de
l’autorité paternelle n’est plus : il est relégué dans un chacun est équivalente. Quatre vers d’abord pour
imparfait duratif désormais révolu. Le pronom sujet chacun, puis deux et demi, puis un. Racine utilise les
de première personne est alors remplacé par celui de différentes modalités de la stichomythie pour faire
deuxième personne, désignant son interlocuteur dans de cet échange un véritable combat dont le rythme
un présent qui a valeur de vérité générale et dans un s’accélère à mesure que l’échange avance. La parole
emploi intransitif : obéir est désormais la posture que est alors de plus en plus vive, tendue, violente, et elle
doit adopter Britannicus vis-à-vis de Néron. s’échange comme des coups d’épée dans une joute
3. Dans ce passage qui lance la confrontation, c’est verbale où chacun cherche à l’emporter. Le duel verbal
donc la dimension politique qui est au premier plan. est accentué par un jeu de répétitions qui viennent
« Rome » et « Néron » répétés sont ainsi les termes marteler la parole autoritaire : l’obéissance, d’abord ;
qui renvoient à la sphère dans laquelle se joue le Rome ensuite ; Néron et son règne enfin.
duel. Ce sont également la conception de l’Empire 5. SYNTHÈSE
et celle de l’exercice du pouvoir qui opposent Néron Dans cette scène, l’unique scène qui l’oppose à
et Britannicus. En effet, les vers 12 à 18 mettent Britannicus, Néron s’exprime manifestement sans fard
en jeu deux conceptions de la relation entre Rome et commence à révéler au plein jour les marques qui
et l’Empereur. La question de Britannicus se pose font de lui un « monstre naissant », tel que le définit
comme une véritable provocation qui dénonce une Racine dans sa préface. Ironique (v. 10), autoritaire

par ses injonctions (« il faut », v. 2 ; des impératifs, « Je vais d’abord réformer la justice, après quoi nous
v. 17-18), son exigence d’obéissance, ses menaces, procèderons aux finances ». Et sa volonté est sans
l’Empereur expose sa conception du pouvoir et de appel : « Je veux tout changer, moi. » À cela, s’ajoute
son exercice. Faisant régner l’ordre par la crainte qu’il une violence verbale qui se fait entendre avec force :
inspire, imposant le silence pour mieux commettre « Merdre » déclare-t-il (l. 3) pour appuyer son propos ;
ses forfaits, c’est bien par la force qu’il veut désor- « bouffresque », adresse-t-il à sa femme (l. 16) qui
mais gouverner. La formule qui clôt l’extrait est en émet un commentaire désobligeant ; « Vous vous
cela éloquente. La fin de la scène viendra donner la fichez de moi », rétorque-t-il aux financiers (l. 30) qui
pleine mesure de sa violence et de sa cruauté : au le critiquent. Et pour finir, la violence est dans l’acte
rapt de Junie s’ajoute désormais l’emprisonnement même d’Ubu : c’est « à la trappe » qu’il condamne
de Britannicus, prélude de sa mise à mort. magistrats et financiers. Leur sortie est définitive, la
Mère Ubu le dit : « Mais enfin, Père Ubu, quel roi tu
ŒUVRE INTÉGRALE fais, tu massacres tout le monde. »
Dans les deux scènes, la tension est vive et l’oppo- 2. Dans le passage, l’opposition est frontale, par
sition radicale. Mais là où, dans le texte de Victor un refus très net de se plier aux injonctions d’Ubu :
Hugo, Lucrèce s’avance suppliante et en position de « Nous nous opposons à tout changement », disent
faiblesse vis-à-vis de Don Alphonse, ne parvenant pas « plusieurs magistrats » (l. 4) avant d’ajouter « Nous
même à faire entendre sa menace, dans la tragédie de nous refusons à juger dans des conditions pareilles »
Corneille, la joute qui oppose les deux frères se fait à (l. 11) ; « Il n’y a rien à changer », rétorquent les finan-
jeu égal : si Britannicus est d’abord surpris, il reprend ciers (l. 17). Face à l’intransigeance d’Ubu, ce sont
pied aussitôt pour se hisser à la hauteur de l’empereur. alors des récriminations à dimension hyperbolique
L’un comme l’autre cherche à dominer et y parvient qui se font entendre tour à tour chez les magistrats
sans que l’extrait ne livre un vainqueur et un vaincu. (l. 7 à 9) et nombre de protestations des financiers
Dans la confrontation entre Lucrèce et Don Alphonse, qui soulignent l’absurdité de la décision d’Ubu. Les
et la suite de l’acte le confirmera, la mère éplorée ne oppositions jouent ainsi sur deux tableaux : les unes
parviendra pas à faire émerger la force qui l’habite donnent la mesure du scandale et se situent sur le
d’ordinaire et a fait sa réputation pour imposer son plan moral ; les autres caractérisent l’acte au regard
autorité à Don Alphonse. Il sait trop bien ses crimes de sa pertinence dans la conduite de l’État et de sa
justesse. Mais ni la raison ni la morale n’atteignent
pour les craindre encore. C’est lui, donc, qui se fait
Ubu qui en est également dépourvu.
menaçant.
3. Mère Ubu, pour l’essentiel, questionne, commente
PAGE 170 et souligne la violence de Père Ubu. Mais elle contri-
bue également à discréditer ses actes dans un propos
indigné : « Eh ! que fais-tu, Père Ubu ? » (l. 13) ; « Mais
∞
▶▶
Alfred Jarry,
Ubu Roi, 1896
Objectifs
enfin, Père Ubu, quel roi tu fais ». Elle détourne alors
la monstruosité du roi pour en révéler sa nature bur-
lesque. En cela, elle semble finalement plus humaine
■■ Découvrir un théâtre parodique et burlesque. que Père Ubu alors même que c’est son désir qui a
■■ Analyser les marques de la satire.
conduit Ubu à assassiner le roi Venceslas de Pologne
■■ Étudier la violence du personnage éponyme.
et à prendre le pouvoir. Assoiffée de pouvoir comme
1. ENTRER DANS LE TEXTE l’est son modèle, la Lady Macbeth de Shakespeare,
Prenant comme source Macbeth de Shakespeare elle est également moins assoiffée de sang que
tout en faisant explicitement référence à Œdipe-roi celui qu’elle a poussé au crime – dans l’acte V, Lady
de Sophocle, Jarry crée un personnage burlesque et Macbeth a surtout un rôle de modératrice auprès de
tyrannique, grotesque et terriblement violent. La Macbeth. Et Mère Ubu joue également ce rôle : tem-
violence du Père Ubu se manifeste d’abord dans pérer la folie sanguinaire de Père Ubu. Il est vrai que,
l’annonce de son programme qui n’appelle aucune si elle l’a poussé à commettre son premier crime, c’est
discussion et se décline de manière autoritaire par d’abord pour « manger fort souvent de l’andouille » et
des changements radicaux. Les décisions prises en se « procurer un parapluie » (acte I, scène 1) : la trivia-
matière de justice et de finance sont catégoriques : lité du personnage se donne à voir à tous moments.

Ici, elle semble alors dépassée par l’ampleur du mas- est révélée dans toute sa monstruosité, sans limites
sacre qui risque d’écarter le Père Ubu de sa finalité et sans qu’aucune raison ne puisse s’opposer à son
première : s’il veut gouverner, c’est surtout pour étendue : son désir de puissance va de pair avec l’exer-
s’enrichir et non pour exercer quelque haute respon- cice de sa volonté. Vie et mort, il décide de tout et
sabilité que ce soit. « J’ai changé de gouvernement ses ordres s’exécutent aussitôt. Alors, malgré le rire,
et j’ai fait mettre dans le journal qu’on paierait deux l’univers qui s’ouvre sous les meurtres de Père Ubu a
fois tous les impôts et trois fois ceux qui pourront quelque chose d’un véritable cauchemar qui affleure
être signés ultérieurement. Avec ce système j’aurai en permanence dans ce renversement grotesque. Si
vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je Jarry le dévoile, nous invite à en rire, c’est bien que ce
m’en irai. » (acte III, scène 2) rire-là a la force de renverser les puissants pour révéler
4. Lexique l’étendue de leurs ridicules et empêcher quiconque de
Les termes incongrus sont « Merdre » (l. 3) et « bouff- leur accorder du crédit.
resque » (l. 16).
ŒUVRE INTÉGRALE
Ces deux termes sont caractéristiques du jeu que Jarry
opère sur le langage. Il utilise un langage familier, cru, Même si Hugo défend l’idée d’un mélange des genres,
mais en le décalant et cherche à provoquer le rire. Il d’une oscillation entre le burlesque et le sublime, sa
invente des mots pour inviter à associer des idées conduite du dialogue reste pleine de grandeur et par
en une seule injure et déploie sa fantaisie lexicale à endroit même d’une certaine solennité. C’est le cas
l’image d’un Rabelais moderne, mêlant archaïsmes quand Lucrèce découvre Gennaro (extrait 2, p. 159),
et tournures novatrices. Le langage est le lieu même lorsqu’elle supplie Don Alphonse « à genoux et à
du comique : impossible d’accorder quelque crédit à mains jointes » (extrait 4, p. 160) ou qu’elle cherche
ce roi qui en use ainsi. D’ailleurs, la dénomination des à susciter la pitié de Gennaro (extrait 5, p. 161). Dans
personnages est déjà un indice : les termes « Père » la colère des personnages, on peut relever des tour-
et « Mère » pour désigner le couple Ubu ajoutent au nures familières : Lucrèce désigne ceux qui l’ont outra-
grotesque et à la trivialité des personnages. gée de « populace » (extrait 3, p. 160, l. 6). On note
5. On l’a vu, la violence d’Ubu est sans bornes : ici, encore des images avilissantes : « on traîne dans le
il jette à la trappe magistrats et financiers qui s’op- ruisseau de votre ville la renommée de votre femme,
posent à lui ; au début de la scène (voir le texte com- déchiquetée à belles dents par l’injure et la calomnie »
menté p. 463), il avait demandé qu’on lui apporte « la (extrait 3, p. 160, l. 12-14). Mais on ne trouve pas dans
caisse à Nobles et le crochet à Noble et le couteau à son drame un langage si peu châtié qu’il ait pu faire
Nobles et le bouquin à Nobles » afin de « faire périr scandale comme ce « Merdre » qui a tant choqué la
tous les Nobles ». Accumulations, répétitions schéma- salle lors de la première représentation d’Ubu roi, le
tiques (« À la trappe, les magistrats », l. 12 ; « dans la 10 décembre 1896.
trappe, les financiers », l. 30-31), outrance des ordres
et de la violence : tout concourt à faire de cette scène ARTS DE LA SCÈNE
la manifestation de la tyrannie d’Ubu qui finit même Avec cette mise en scène de Jean-Pierre Vincent, la
par concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. pièce de Jarry fait son entrée à la Comédie-Française.
Mais, précisément, cette exagération est telle qu’elle C’est Serge Bagdassarian qui endosse le rôle-titre dans
empêche de le prendre véritablement au sérieux. un corps rond et bedonnant qui fait songer aux per-
D’autant que le langage employé sied assez mal à un sonnages d’ogres, plus proche de Gargantua que de
grand de ce monde qui resplendirait de monstruo- personnages véritablement sanguinaires. À ses côtés,
sité. Il n’a ni l’envergure de la Cléopâtre de Corneille Anne Kessler est une Mère Ubu fluette et énergique.
(extrait 3, p. 168) ni le cynisme de Néron peint par Tous deux jouent la pièce dans une interprétation
Racine (extrait 4, p. 169) : s’il en a la violence, il n’en qui laisse toute sa place à l’humour et l’insolence, à
a ni les usages ni le langage. Tyran grotesque, Ubu fait un burlesque régressif et joyeux qui a le goût de la
rire de sa monstruosité. transgression et de la liberté de qui dit « merdre ! » à
6. SYNTHÈSE l’ordre établi pour tout bouleverser. Pour Jarry, Ubu
C’est précisément par sa dimension burlesque que est aussi bien l’archétype du tyran et du bourgeois
le texte a la force d’une dénonciation : la tyrannie que celui de l’anarchiste avide de liberté. Ce sont ces

aspects que retient Jean-Pierre Vincent : pas d’actua- cette parole provocatrice qui est lancée comme un
lisation particulière, pas d’ancrage dans une époque appel. Les doubles marques de ponctuation soulignent
précise, mais une scénographie sobre et des costumes d’abord l’ironie cinglante du propos qui éclate dans
qui pourraient être ceux des périodes troubles des l’étonnement feint de l’orateur (« Comment ! », l. 14)
totalitarismes. Ainsi le ridicule est-il plutôt dans le et les questions rhétoriques (l. 14-18) qui appuient
décalage manifeste entre cette posture débonnaire de son propos en appellent à la connivence de l’audi-
Père Ubu, presque guindée de Mère Ubu et le jeu de toire (sur la scène comme dans la salle). Sa parole
massacre auquel ils vont se livrer en envoyant nobles, se remplit ensuite de l’enthousiasme de ceux qui
magistrats, financiers « à la trappe ». emportent les foules. Elle est catégorique et quasi
prophétique : « J’annonce ici même et à la minute, la
PAGE 171 fin de l’Empire britannique et le commencement du
Royaume indien ! » (l. 19-20) Ce verbe « annoncer » a
6
▶▶
Hélène Cixous, L’Indiade
ou l’Inde de leur rêve, 1987
Objectifs
une valeur performative : la parole vaut pour un acte.
Et sa réalisation est alors saluée par des exclamations
répétées dans un élan d’exaltation qu’il partage avec
son peuple : « Que quatre cents millions de cris de
■■ Découvrir une autrice contemporaine.
■■ Étudier la représentation théâtrale d’une situation
joie fassent trembler le ciel : we shall break your ears,
Britannia ! » De la colère provocatrice au cri de joie,
historique.
■■ Analyser un discours de libération.
la parole de Gandhi emporte l’auditoire devant un
Vice-Roi réduit au silence.
PARCOURS 1. COMPÉTENCES DE LECTURE 3. Ces mots ponctuent le discours que Gandhi adresse
1. Dans ce passage, le Vice-Roi cherche à contraindre au Vice-Roi. Ils sont le condensé des aspirations à
le peuple indien de rester sous la coupe de l’autorité l’indépendance : l’injonction lancée à la face des
britannique alors que la Seconde Guerre mondiale Britanniques et répétée à l’envi pour faire comprendre
sévit encore et que des mouvements d’indépendance leur détermination et le cri de ralliement des Indiens
opposent leur résistance à cet asservissement. Sa engagés dans cette lutte non-violence pour leur
parole se veut ferme et s’énonce comme un rappel à liberté. La répétition a un effet galvanisant et rassem-
l’ordre : « Je vous rappelle que nous sommes en guerre bleur : elle invite alors le public à s’impliquer, à parta-
et que vous êtes tous les sujets de Sa Majesté. » Il ger avec les comédiens qui jouent Gandhi, Kastourbaï,
scelle ainsi le sort de chacun par le lien qui l’unit à l’An- Nehru et tous les Indiens, cet élan libérateur qui est
gleterre en la personne du roi George VI (qui règne de au cœur du discours. Le théâtre propose de vivre
1936 à 1952). Sans nuances, qualifiant de « déserteur pleinement l’action et la situation : l’engagement des
et collaborateur du nazisme » celui qui chercherait comédiens, la force de leur parole, l’atmosphère très
à œuvrer pour l’indépendance de l’Inde, son propos singulière que met en place le théâtre du Soleil dans
finit même par être menaçant : « Choisissez : la prison ses textes et mises en scène sont autant d’éléments
ou le silence ! » Et encore : « plus-un-mot ! Ou vous qui engagent le spectateur à se laisser porter par le
verrez ! » Mais loin de convaincre, l’outrance de sa spectacle et en être partie prenante. Dans L’Indiade,
parole révèle sa vacuité : « Tout un peuple en prison, c’est dès le prologue que les spectateurs ont été
Votre Excellence ? C’est impossible ! » engagés à participer à un voyage dans l’espace et le
2. Grammaire temps qui s’opère grâce à cette aventure théâtrale :
Les marques de ponctuation qui dominent le passage un personnage, Haridasi, intervenant de la salle, les
sont essentiellement des points d’exclamation et d’in- a introduits dans l’univers qui va s’offrir à ses yeux.
terrogation. Toutes les prises de parole sont vives et 4. SYNTHÈSE
l’on ressent un mélange de tension et d’enthousiasme. Face à une parole creuse et autoritaire d’un Vice-Roi
Interrogations et exclamations, dans les propos du ridicule, la parole de Gandhi a la force de celle des
Vice-Roi, sont pour l’essentiel les marques de son orateurs qui parviennent à galvaniser les foules et
emportement, de son agitation, des menaces qu’il imposer leur autorité. Particulièrement éloquent, le
profère en vain lorsqu’Azad souligne l’absurdité de discours de Gandhi est construit en plusieurs étapes :
ses propos. Dans le discours de Gandhi, les modalités – adresse à Kastourbaï pour annoncer son appel à la
exclamatives et interrogatives révèlent la vivacité de révolte (l. 10-12) ;

– adresse au Vice-Roi interpellé vivement pour lui – les répétitions : « Quit India ! » ponctue le discours à
signifier que l’heure du départ des Anglais a sonné la manière d’une anaphore, « non-violence » et « non-
(l. 12-14) ; violemment » sont également répétés pour marquer
– présentation des arguments dans un propos plein les esprits ;
de sarcasme (l. 14-18) ; – l’hyperbole (l. 22-23) ;
– acte d’indépendance (l. 18-22) ; – la métaphore (l. 24-25).
– parole de liesse pour manifester l’exaltation de la On pourra alors exiger des élèves, en fonction de leurs
victoire à venir (l. 22-25) : il laisse l’auditoire sur cette facilités et difficultés et de la période de l’année où un
image de « l’Apocalypse » qui donne la mesure de la tel exercice est proposé, qu’ils reprennent plusieurs
révolution qui s’avance avec cette libération de l’Inde de ces figures et d’autres qui ont été rencontrées en
du joug britannique. cours d’année.
La parole de Gandhi, rythmée, imagée (voir le 2e point 3. Pour proposer de nouveaux arguments, on pourra
du parcours 2), emporte l’adhésion de tous. Si Haridasi inciter les élèves à se remémorer leur cours d’histoire
craint pour Gandhi (« Le Vice-Roi va le manger »), de troisième sur la décolonisation (ils ont pu faire
Nehru est déjà prêt à se lever pour répandre cette une étude de cas sur l’Inde quand d’autres auront
parole salvatrice et libératrice. travaillé sur l’Algérie ou un pays d’Afrique noire)
PARCOURS 2. COMPÉTENCES D’ÉCRITURE et à faire une recherche sur Gandhi et Nehru afin
d’identifier leurs combats majeurs. On pourra en
1. On incitera les élèves à dégager clairement les
particulier les faire réfléchir à la répétition de cette
différentes idées sur lesquelles repose le propos de
exigence de non-violence dans le propos de Gandhi :
Gandhi dans le texte écrit par Hélène Cixous. Trois
sans constituer un argument à proprement parler, cet
idées principales sont avancées dans le passage :
appel à la non-violence et à la désobéissance civile
– l’indépendance est inéluctable et rien ne justifie
est essentiel dans les actions menées. Cet appel à un
qu’elle soit encore retardée (l. 13-14) ;
retour de l’action (« L’action revient ! ») doit de toute
– les Indiens pacifistes étaient prêts à renoncer à la
évidence en tenir compte sans quoi il risquerait de
non-violence pour se faire alliés des Anglais, mais ces
dénaturer le combat de Nehru et Gandhi dans leur
derniers les rejettent (l. 14-17) ;
lutte pour l’indépendance. Enfin, on peut attendre de
– les Indiens sont humiliés par les Anglais et cela n’est
leurs recherches qu’ils identifient l’idée suivante : pour
plus supportable (l. 17-18).
Gandhi, et Nehru peut s’en faire l’écho, l’Inde ne peut
Le discours de Nehru qu’ils doivent écrire devra les
pas participer à une guerre qui vise à libérer un peuple
reprendre en les reformulant et pourra les étayer.
du joug nazi alors même que cette liberté est refusée à
2. À l’heure où les concours d’éloquence sont organi- l’Inde. On pourra alors demander aux élèves de filer la
sés de plus en plus souvent, y compris au collège où métaphore du propos de Nehru, « la liberté refleurit »,
ils ont pu s’y exercer, on pourra se saisir de l’exercice afin de lui conférer une dimension programmatique
pour que les élèves, en plus d’écrire le discours de en s’appuyant sur cette idée-là.
Nehru, viennent le prononcer devant leurs camarades.
Ils pourront alors mesurer l’importance d’un discours
ARTS DE LA SCÈNE
bien construit, rythmé et imagé. Les exercices 3, 4 et
5 de la page 407 (fiche 30 « Exposer et débattre ») Au théâtre du Soleil, lors d’une création, c’est l’en-
pourront les y aider. semble du théâtre qui est transformé : pour L’Indiade
Au préalable, on les invitera à identifier quelques effets ou l’Inde leur rêve, la salle où l’on se restaure avant le
du discours écrit par Hélène Cixous pour Gandhi : spectacle est repeinte aux couleurs de l’Inde et pré-
– les jeux de rythme : des phrases courtes et per- sente sur une fresque une carte de la région ; le bar
cutantes sont suivies de propos plus amples qui accueille les spectateurs en leur proposant des saveurs
emportent l’auditoire ; indiennes ; et, bien sûr, la scène évoque une Inde
– les questions rhétoriques qui ridiculisent le Vice-Roi « rêvée » par le marbre analogue à celui des tombeaux
et permettent de gagner la complicité des Indiens et mongols qui recouvre les murs et le sol. Le plateau,
du public (l. 14-18) ; transformé au gré des tapis en un espace ou un autre,
– l’hypotypose qui rend plus visible encore l’humilia- l’intérieur d’une maison, la place d’une ville, ne repré-
tion subie par les Indiens (l. 17-18) ; sente pas un lieu particulier, mais l’Inde dans son

entier. Rien de particulier, mais tout pour signifier. La un dictionnaire historique de la langue française pour
musique, créée par Jean-Jacques Lemaître, contribue à voir, dans le temps, comment le champ sémantique
transporter le spectateur dans les contrées indiennes a évolué. On recommande pour cela la consultation
en agissant sur l’imaginaire qu’elle convoque. Pour du portail lexical du centre national de recherche lexi-
jouer le spectacle, les comédiens se sont transfor- cale : https://www.cnrtl.fr/portail/ On pourra consul-
més pour ressembler aux figures qu’ils incarnent ou ter notamment les entrées de « lexicographie », qui
adopter faciès et allures de ceux que l’on croise dans permettent de circuler dans plusieurs dictionnaires,
les rues de Delhi ou Bombay. Ce sont donc également et l’approche étymologique.
les corps et gestes des comédiens qui créent l’Inde. 2. L’exercice d’un pouvoir admirable, dans les textes
Le maquillage est particulièrement travaillé jusqu’à de la séquence, se comprend en ces termes : justice,
transformer véritablement les comédiens en ceux droit, légitimité, morale, égalité, respect, liberté,
qu’ils représentent. Enfin, leurs costumes sont choisis non-violence.
à l’image des tenues que l’on porte communément L’exercice d’un pouvoir détestable, dans les textes de
dans l’Inde de la période de l’indépendance. Ainsi, la séquence, se comprend en ces termes : tyrannie,
comme on le voit sur la photographie, le comédien autoritaire, illégitime, usurpateur, abus, ambition,
chilien Andrés Pérez Araya ressemble à s’y méprendre orgueil, dominer, vengeance, braver, défier, injustice,
à Gandhi et Clémentine Yelnik à sa femme Kastourbaï. force, crainte.
Les autres comédiens ont maquillé leur peau et revêtu EXERCICE 3. Connotations
des costumes qui donnent à leur attroupement les Un ensemble de termes à l’axiologie positive et qui
allures de ceux créés par les Indiens qui sont venus pourraient être ceux désignant Gennaro, Antigone,
les écouter, en 1942. Britannicus, Gandhi, Nehru :
– termes qui soulignent les qualités morales et la
PAGE 172 vertu : magnanime, vertueux, généreux, clément,
digne, juste ;
– termes qui vont de pair avec l’héroïsme : glorieux,
LEXIQUE ET ÉCRIT D’APPROPRIATION valeureux, courageux, victorieux ;
– termes qui mettent en avant l’admiration suscitée :
Souveraineté et tyrannie admirable, grand.
Un ensemble de termes à l’axiologie négative, qui
EXERCICE 1. Suffixation et familles de mots pourraient être ceux désignant Lucrèce, Don Alphonse,
substantif substantif adjectif Créon, Cléopâtre, Néron, Père Ubu, le Vice-Roi :
– termes qui désignent une volonté de puissance :
royauté roi royal absolu, tyrannique, despotique ;
– termes qui renvoient à l’immoralité : cynique,
monarchie monarque monarchique machiavélique, orgueilleux, ingrat, perfide, calculateur ;
– termes qui expriment une caractérisation péjora-
souveraineté souverain souverain
tive : détestable, odieux, monstrueux.
empire empereur impérial EXERCICE 4. Polysémie et synonymie
despotisme despote despotique 1. Dans l’extrait du texte de Corneille, les mots
« colère » et « courroux » sont synonymes.
tyrannie tyran tyrannique Souffrir : supporter
Soin : souci, préoccupation
dictature dictateur dictatorial Fortune : destin, sort
Foi : fidélité, loyauté
EXERCICE 2. Champ sémantique et champ lexical Généreux : grand, noble
1. Pour ce premier point, on invitera les élèves à 2. Le mot « cœur », dans le vocabulaire cornélien,
se reporter aux différentes définitions du terme renvoie autant au siège du sentiment qu’au courage
« pouvoir » dans le dictionnaire qu’ils ont consulté. On du héros. Il est ainsi la marque profonde de la valeur
pourra prolonger l’exercice en les invitant à consulter héroïque.

Le mot « ardeur » renvoie à la vigueur, à la force de personnage qu’ils ont retenu. Pour rédiger leur note à
la jeunesse qu’exprime Rodrigue dans sa réponse à l’intention du comédien ou de la comédienne, on invi-
Don Diègue. Il est également le gage de son courage. tera les élèves à s’appuyer sur leur étude du texte de
Le mot « sang » renvoie par métonymie à la filia- sorte qu’ils identifient clairement les caractéristiques
tion : c’est un même sang qui coule dans les veines du personnage qu’ils retiennent. Il s’agira ensuite de
de Rodrigue et de Don Diègue. Le fils doit donc risquer dégager les attentes que l’on peut avoir pour une
de le verser pour venger son père. représentation, sur la scène, du personnage et de les
confronter aux qualités du comédien ou de la comé-
EXERCICE 5. Écrit d’appropriation
dienne qui a la préférence des élèves.
On pourra inciter les élèves à rechercher dans les
textes de la séquence des manifestations de cette ACTIVITÉ 4. Rédiger un discours
noirceur du tyran : l’âme aveugle est celle qui se Pour accompagner les élèves dans leur rédaction, on
ferme à toute considération pour autrui, qui rejette pourra au préalable les faire travailler sur le vocabu-
toute morale, qui exerce son pouvoir comme son bon laire de l’argumentation (fiche 10, p. 294-295), et sur
vouloir, usant de la force et suscitant la crainte. l’énonciation et la modalisation dans l’argumentation
(fiche 12 p. 298-299), en particulier si l’on n’a pas déjà
PAGE 173 traversé de séquences sur l’argumentation. On leur
rappellera la nécessité de soigner leur composition
et de rendre leur discours éloquent. Le travail sur le
LECTURES CURSIVES texte d’Hélène Cixous (extrait 6 p. 171) pourra, en la
matière, constituer un support précieux.
ACTIVITÉ 1. À la rencontre des metteurs en scène
Une note d’intention est, pour un metteur en scène, PAGES 174-175
un écrit dans lequel il présente ses partis pris de mise
en scène, qui peuvent être très concrets, matériels, et
explique son geste créateur. Elle précise aussi l’orien- HISTOIRE LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE
tation qu’il donne à sa mise en scène, l’interprétation
du texte retenu et sa vision pour la scène. Pour fami- Le drame romantique :
liariser les élèves avec cet écrit, a fortiori s’ils n’ont une révolution théâtrale
pas grande habitude des spectacles, on pourra les
aider dans la rédaction de leur note d’intention en 4. Pour préparer cet exercice, on demandera aux
les faisant travailler sur différentes notes d’intention élèves de faire une recherche sur Hernani et la que-
pour les mises en scène d’une même pièce. Ils pour- relle afin d’identifier les arguments des opposants et
ront alors dégager les attentes d’un tel écrit. Enfin, la des partisans de la pièce de Victor Hugo. Partant de
fiche 5 p. 222 et les exercices proposés p. 223 pour- là, ils pourront formuler reproches et défenses tout
ront leur permettre de se familiariser avec l’univers de en travaillant à la vivacité et au caractère polémique
la mise en scène et d’écrire leur note en réfléchissant des propos.
aux différentes questions qu’elle peut soulever. 5. Pour que la présentation de l’affiche soit plus
complète, on pourra demander aux élèves de faire
ACTIVITÉ 2. La parole théâtrale
une recherche sur Alphonse Mucha, artiste tchèque
Pour cette activité, on pourra inciter les élèves à
dont le style est emblématique de l’Art nouveau. On
reprendre ce qu’ils ont d’ores et déjà identifié en
pourra les inciter également à faire connaissance avec
étudiant les textes de la séquence : ce sera un point
Sarah Bernhardt, figure majeure de la scène théâtrale
d’appui pour sélectionner les citations et en dégager
du xixe siècle et du début du xxe siècle, grande tragé-
l’unité.
dienne que Victor Hugo appelait la « Voix d’or ». On
ACTIVITÉ 3. Représenter un personnage hors du pourrait s’étonner qu’elle joue ici un rôle masculin,
commun mais ce n’est pas la première fois pour elle. On pourra
On demandera aux élèves de choisir, parmi les comé- alors la comparer à l’actrice Suliane Brahim qui joue
diens et comédiennes qu’ils connaissent, pour leur Gennaro dans la mise en scène de Denis Podalydès
rôle au théâtre, au cinéma, dans une série, celui ou avec Guillaume Gallienne. L’analyse de l’affiche
celle qui leur paraît le mieux à même d’incarner le pourra mettre en évidence le côté sombre et songeur

du personnage que l’on peut supposer gentilhomme montrer l’étendue de l’horreur de ce qu’il a d’abord
par la qualité de son habit. On s’éloigne peut-être ici qualifié d’« exécrable ». Cette répétition a une valeur
de la fougue de Gennaro et rien ne donne de signe d’insistance qui donne des Borgia une image de
de la quête qu’il poursuit. grande débauche, renversant les interdits fondamen-
taux, bafouant toute morale et toute vertu attendues
PAGE 176 des grands de ce monde et n’ayant d’autre langage
que la violence destructrice et sanguinaire.
BAC Commentaire – Le terme « Orgia » signifie orgie. Cela rejoint ce
LE COMMENTAIRE PAS À PAS qu’Ascanio disait au sujet des dîners chez les Borgia :
Étape 1 « ce sont des débauches effrénées, assaisonnées
1. On pourra mettre en évidence la singularité de d’empoisonnements. » Si le vin coule à flots, il est
ce texte : s’il n’est pas seul sur scène, le personnage souvent de poison et de meurtre mêlé, et l’ivresse
semble néanmoins parler pour lui-même et la réplique s’accompagne de débordements licencieux qui asso-
s’apparente donc à un soliloque, proche du mono- cient luxure, adultère et inceste : après la conver-
logue, qui rend manifestes le désarroi et la colère du sation qu’ont tenue les compagnons de Gennaro,
personnage. cette « orgia » inscrite au frontispice du palais est le
symbole de toutes les débauches de Lucrèce Borgia.
Étape 2
– Jeppo et Gubetta le signifient à Gennaro : son geste
2. C’est une ponctuation expressive qui domine :
appelle un châtiment qui promet d’être une condam-
points d’exclamation et d’interrogation rendent
nation à mort. De fait, ce geste lie définitivement le
sensibles le désarroi de Gennaro, son tourment, ses
destin de Gennaro à Lucrèce qui va réclamer ven-
effrois, son emportement. Ils appellent un jeu vif du
geance. Il constitue, dans la construction de la pièce,
comédien dont la parole est pleine de fougue.
le nœud du drame.
– L’antithèse « il faut l’aimer ou la haïr » montre
bien la contradiction entre le sentiment ressenti par Étape 3
Gennaro lors de sa rencontre avec cette femme dont 3. On peut faire réfléchir les élèves à plusieurs problé-
il ignorait tout et celui que lui inspire Lucrèce Borgia matiques en fonction de leurs impressions de lecture
dont la réputation est effroyable. Le spectateur, lui, et du prisme à travers lequel on a abordé la scène en
a compris qu’elle est sa mère et qu’elle l’aime d’un cours. On peut centrer la problématique plus spécifi-
amour maternel sincère et profond. quement sur Gennaro :
– On trouve plusieurs effets condensés dans cette – Comment sont révélés les tourments de Gennaro ?
phrase : « Celle-ci m’obsède, m’investit, m’assiège ». – Quelle image du personnage ressort de ce passage ?
Le rythme ternaire, régulier, en quatre fois trois temps, On peut également focaliser l’étude sur la relation
font de ce propos un alexandrin blanc si l’on suit les entre Lucrèce et Gennaro :
règles de versification y compris pour le dernier mot : – En quoi le sort de Gennaro est-il intiment lié à
cela vient accentuer son importance. Qui plus est, Lucrèce Borgia ?
l’allitération en [m] appuyée par sa position en début – Comment Gennaro enchaîne-t-il son destin à celui
de verbes fait résonner le propos. L’énumération à des Borgia ?
laquelle s’ajoute un travail métaphorique prend une On peut enfin s’interroger sur la place spécifique que
dimension hyperbolique. Cette accumulation de pro- l’extrait occupe dans la construction du drame :
cédés est à la mesure du supplice que dit endurer – Comment s’opère le basculement de la pièce dans
Gennaro qui ne parvient à écarter Lucrèce de son ce passage ?
esprit. – En quoi l’emportement de Gennaro concourt-il à
– Lucrèce est comparée à un fantôme puis à un bouleverser le cours du drame ?
spectre. Si Gennaro explique que cette figure est 4. et 5. Les parties du commentaire dépendront de
d’abord lointaine, l’image du spectre qui vient le la problématique retenue par chaque élève. On veil-
hanter rend plus sensible encore sa souffrance en lera à ce qu’il organise son propos en équilibrant ses
l’assimilant à cette vision. parties et sous-parties et le précise en ressaisissant
– La répétition du mot « palais » et l’énumération l’ensemble des éléments identifiés au cours de la
de tous les compléments qu’il lui attribue visent à lecture.

Étape 4 lexical (plus riche et convaincant que le premier dic-
6. Pour l’introduction, on demandera aux élèves de tionnaire en ligne venu) : https://www.cnrtl.fr/portail/
s’appuyer sur leurs connaissances du drame roman- Lorsqu’on appelle sa compassion, le spectateur est
tique (en se référant aux pages 174-175), de Victor invité à ressentir les sentiments douloureux qui
Hugo (dont ils peuvent lire la biographie page 470) déchirent Lucrèce. Reste à définir dans quelle mesure
et de la pièce Lucrèce Borgia. Pour caractériser l’exil peut y parvenir.
trait, ils pourront tirer profit de la première étape On pourra inciter les élèves à relire précisément les
du travail avant de dégager la problématique qu’ils textes de la séquence consacrée à Lucrèce Borgia et à
auront retenue. Pour la conclusion, on leur rappel- reprendre les questions qui les invitaient, précisément,
lera la nécessité de ressaisir l’essentiel de leur lecture à s’interroger sur la réception des extraits et l’ambiva-
pour répondre à la problématique dégagée. Pour lence du personnage éponyme. On rappellera qu’un
leur ouverture, dans le cadre de l’étude de l’œuvre exemple n’est pas une citation posée abruptement,
dans son intégralité, on les invitera à préciser les mais que celle-ci doit être analysée afin d’éclairer
conséquences du geste de Gennaro telles qu’elles se l’argument avancé. On engagera aussi les élèves à
lisent dans le reste du drame. Si l’on étudie le texte rechercher, hors des six extraits présentés dans le
en réfléchissant à la figure du héros, on pourra alors manuel, d’autres situations du drame qui contribue-
ouvrir sur les caractéristiques du héros romantique ront à éclairer le sujet.
en s’appuyant sur celles qui ressortent de ce passage. Enfin, pour ce qui concerne le plan, celui proposé
page 177 est suffisamment guidé pour que les élèves
PAGE 177 puissent expérimenter le travail de rédaction de la
dissertation sans craindre d’être hors sujet. Pour les
BAC Dissertation
élèves les plus aguerris, on pourra proposer de réflé-
Pour réfléchir à ce sujet, on pourra tirer profit de la chir à une troisième partie qui viendrait approfondir la
piste de lecture 1 présentée p. 162 et des éléments réflexion. On se reportera alors aux éléments propo-
avancés dans la présente édition pour l’éclairer. On sés dans la présente édition pour la piste de lecture 1
travaillera à l’analyse du sujet en rappelant l’étymolo- de la page 162. La lecture de la fiche 43 page 446 sera
gie de la compassion qui renvoie à l’idée d’un partage une aide précieuse pour rédiger la dissertation et un
de la souffrance. Et on demandera aux élèves de faire travail sur les exercices des pages suivantes pourra
une recherche lexicale précise, par exemple en consul- permettre aux élèves d’acquérir des outils et des
tant le portail lexical du centre national de recherche réflexes pour mieux se familiariser avec cette épreuve.

séquence °
Le théâtre à l’épreuve de la folie
PRÉSENTATION ET OBJECTIFS Chacune de ces thématiques est abordée par le biais

DE LA SÉQUENCE d’un ensemble d’extraits à lire, qui trouvent leur pro-
longement dans un sujet de dissertation, suivant les
La séquence 8 aborde le thème de la folie au théâtre recommandations du programme et la logique des
tout en s’inscrivant dans une continuité chronolo- nouvelles épreuves de l’EAF qui incitent à dévelop-
gique avec les deux séquences précédentes, axées per la capacité des élèves à disserter sur une œuvre
sur la comédie du xviiie siècle et le drame romantique intégrale.
du xixe siècle. La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco Les prolongements artistiques et culturels per-
permet de découvrir le « Nouveau Théâtre », aussi mettent à l’élève d’envisager l’œuvre dans sa dimen-
appelé « théâtre de l’absurde », et de poursuivre l’ana- sion scénique à travers deux mises en scène aux choix
lyse des genres amorcée avec les œuvres des chapitres différents : il s’agit de réfléchir à la part de création du
précédents. Avec le thème de la folie et le Nouveau metteur en scène et à la notion d’écriture scénique.
Théâtre, l’accent est mis sur la dimension tragique Le groupement de textes complémentaires propose
du rire absurde. La double page d’histoire littéraire et un parcours à travers les siècles et les genres théâ-
artistique permet aux élèves de retenir l’essentiel à traux pour découvrir différents visages de la folie, de la
travers différentes activités qui peuvent nourrir son fureur de Médée au cri de Rabe Meier, en passant par
dossier personnel. la monomanie grotesque d’Harpagon et l’angoisse de
L’œuvre intégrale, La Cantatrice chauve d’Eugène Lorenzo avant le meurtre, le rire absurde de Beckett
Ionesco (1950), est l’une des œuvres embléma- et le rêve désespéré du roi Christophe ou celui brisé
tiques du Nouveau Théâtre. Elle est jouée sans dis- d’Ophélie. Avec le thème de la folie, c’est toute la
continuer au théâtre de la Huchette depuis 1957. fragilité et la dimension dérisoire de la condition
Le parcours proposé met l’accent sur le jeu avec les humaine qui apparaît, parfois dans un cri désespéré,
conventions théâtrales. Eugène Ionesco lui-même parfois dans un grand rire libérateur.
définit La Cantatrice comme une « anti-pièce ». La
didascalie initiale et le début de la scène 1 (extraits 1
PAGE 178
et 2) jouent sur la traditionnelle exposition. M. et
Mme Martin se retrouvent dans une parodie de scène
de retrouvailles (extrait 3). Les fables du Capitaine ŒUVRE INTÉGRALE
des Pompiers s’amusent aussi bien de la logique que
de la tradition du récit au théâtre (extrait 4). Enfin, le Eugène Ionesco,
faux dénouement ne permet aucune résolution, au La Cantatrice chauve, 1950
contraire (extrait 5).
Cette perspective d’étude de l’œuvre intégrale est ▶▶Objectif général
prolongée par un premier sujet de dissertation qui Savoir analyser une œuvre de manière transver-
■■
invite les élèves à mesurer la part de respect ou de sale en la considérant comme un tout signifiant et
transgression des règles et traditions théâtrales par cohérent.
Ionesco. Celui-ci est traité étape par étape dans la
double page finale consacrée au baccalauréat, qui
propose également en commentaire la fameuse
scène sur Bobby Watson.
⁄
▶▶
Un intérieur bourgeois
Objectifs
Outre le jeu sur les traditions, le parcours d’œuvre ■■ Travailler l’horizon d’attente à l’ouverture de la
intégrale (page 182) propose deux autres perspec- pièce.

tives d’étude : la satire des conventions sociales de la ■■ Rappeler les caractéristiques de la comédie en
bourgeoisie et la dimension tragique du rire absurde. faisant le lien avec les acquis du collège.

1. Il s’agit de travailler avec les élèves sur l’horizon par des claquements de langue. Nous sommes bien
d’attente créé par cette didascalie tout en amorçant évidemment dans une parodie de scène d’exposition
le travail sur la mise en scène. Le théâtre est un texte puisque nous n’apprenons rien d’essentiel. Pourtant,
qui ne s’accomplit pleinement que dans sa réalisation cette scène apporte des informations aussi bien sur
scénique. Il est important de stimuler l’imagination les relations entre les personnages que sur le ton de
des élèves. On peut notamment leur demander de la pièce : nous voici plongés dans le quotidien d’une
dessiner un schéma, ou encore de créer le décor avec famille anglaise dans laquelle la communication est
des éléments pris dans la classe, ou des élèves mimant plutôt dominée par une femme bavarde et un homme
la cheminée et l’horloge. taciturne. Le thème traditionnel du couple et le jeu
2. Les élèves devraient rapidement relever le carac- sur le langage annoncent la comédie.
tère étrange et saugrenu de la répétition de l’adjec- 3. Grammaire
tif qualificatif « anglais ». La première réplique de Mme Smith utilise le pronom « nous » et s’adresse
Mme Smith commence par la notation de l’heure en directement au public puisqu’elle dit des choses que
complète contradiction avec le nombre de sonneries son mari sait. À partir de la ligne 17, elle passe au
de l’horloge. La proposition des Polycandres souligne « tu » en s’adressant à son mari. Ionesco souligne ici
l’incongruité de cette ouverture par les costumes, les la double énonciation propre au théâtre : les person-
coiffures et les différentes postures chorégraphiées. nages parlent entre eux et les comédiens qui jouent
Les élèves devraient, en toute logique, s’attendre à ces personnages s’adressent au public. Ionesco joue
une comédie. On peut alors les inviter à se rappeler sur les codes et les détourne d’emblée.
leurs acquis de collège sur la comédie et ses carac-
téristiques. Ils peuvent par exemple créer une carte
ARTS DE LA SCÈNE
mentale en groupe.
Dans la mise en scène de Jean-Luc Lagarce, le couple
PAGE 179 Smith est assis côte à côte dans le jardin, tous deux
habillés comme pour sortir. Elle a la bouche ouverte,
¤
▶▶
La scène d’exposition
Objectifs
laissant supposer qu’elle est en train de parler, mais
regarde droit devant elle, si bien qu’elle semble
s’adresser au public. Son mari est tourné vers elle,
■■ Rappeler les fonctions d’une scène d’exposition en son journal grand ouvert. On n’est pas certain de ce
faisant le lien avec les acquis du collège. qu’il ressent, s’il l’écoute vraiment ou si elle l’agace.
■■ Repérer le jeu avec les conventions théâtrales.
On devine un gazon parfait, une maison à la façade
■■ Amorcer l’analyse des enjeux métathéâtraux de la
en bois blanc avec des petites fleurs roses assorties
pièce. au tailleur de Mme Smith. Tout est propre et rangé.
Néanmoins, on devine dans le fond de scène, à jardin,
1. Dans la continuité du rappel sur les caractéristiques
une boule rose, comme un ballon brillant ou une boule
de la comédie, il est demandé aux élèves de se rap-
de bowling. Dans ce décor si parfait, quelque chose
peler les caractéristiques et les fonctions d’une scène
semble déjà étrange.
de comédie. C’est la première convention théâtrale
que Ionesco détourne. La scène d’exposition remplace
le prologue antique et permet à travers une conver- PAGE 180
sation entre deux personnages de donner toutes les
informations dont le public a besoin pour comprendre
l’intrigue à venir en répondant globalement aux ques- ‹ Les époux Martin
Objectifs
tions traditionnelles : qui, où, quand, quoi, comment ? ▶▶
■■ Poursuivre l’analyse du détournement des conven-

2. Ici, on apprend ce que la famille Smith a mangé au
dîner. On peut supposer que Mary est la bonne. Un tions théâtrales.
■■ Étudier les ressorts comiques par le biais du jeu
élément est surprenant : Mme Smith a mangé plus
que M. Smith. L’autre annonce du dialogue est que théâtral.
la prochaine fois, elle donnera de meilleurs conseils à 1. Ionesco parodie ici la traditionnelle scène de recon-
la bonne. M. Smith, quant à lui, ne fait que répondre naissance qui fait partie des rebondissements et coups
SÉQUENCE 8 Le théâtre à l’épreuve de la folie | 181

de théâtre régulièrement utilisés dans les pièces de nécessaires y sont : l’auteur, le titre, le metteur en
théâtre comme dans les romans. Mais alors que, tra- scène, le lieu… Mais la police de caractères donne une
ditionnellement, deux personnages se découvrent ou impression de désordre ou de légère folie. Dans le
se retrouvent après des années de séparation, ici M. et même esprit, la pièce est constituée de phrases qui
Mme Martin se reconnaissent alors qu’ils sont arrivés ont du sens, mais qui, mises ensemble, créent un effet
ensemble, par le même train, pour voir leurs mêmes d’étrangeté qui déplace les habitudes du spectateur.
amis, après avoir quitté leur appartement. Coup de
théâtre dans la scène suivante : Mary nous annoncera Dossier personnel
qu’ils font erreur et qu’ils ne sont pas mariés !
On peut inviter les élèves à choisir un format original
2.Les répliques fonctionnent par jeu de répétition :
et à travailler à la mise en page autour de l’affiche
Mme Martin reprend précisément les termes de
qu’ils auront choisie. Ils appliqueront ainsi eux-mêmes
M. Martin entre la première et la deuxième réplique.
ce qui leur plaît le plus dans l’affiche et réfléchiront
Ensuite, ils reprennent en chœur des exclamations de
aux stratégies de communication visuelle.
surprise, mais jamais tout à fait la même. Le specta-
teur s’attend aux répliques jusqu’à la rupture de ton
quand la scène devient presque lyrique. PAGE 181
3. Sont à l’œuvre dans cet extrait le comique de
répétition, évidemment, mais aussi un comique de
situation et un comique de gestes : faire jouer la scène
∞
▶▶
Le dénouement
Objectifs
en insistant sur la didascalie et en demandant à un
élève de jouer la pendule peut permettre de bien faire ■■ Poursuivre l’analyse de la réflexion sur le langage à
percevoir tout le comique de la scène aux élèves. l’œuvre dans la pièce.
■■ Étudier le dénouement de la pièce.
›
▶▶
La fable du jeune veau
Objectifs
1. Au fur et à mesure du dialogue, les répliques ont de
moins en moins de sens, jusqu’à se réduire à une série
de sons qui, criés comme le demande la didascalie,
■■ Amorcer la réflexion sur la problématique du créent une cacophonie. Pourtant, peu à peu, celle-ci
langage dans la pièce. forme une phrase que tous les personnages répètent
■■ Aborder la question de la communication visuelle ensemble.
pour un spectacle. 2. On peut néanmoins repérer une certaine logique
1. Le relevé est aisé : « en conséquence » = consé- dans l’enchaînement des répliques. Les quatre pre-
quence ; « cependant » = opposition ; « comme » = mières sont une série de proverbes et de phrases
cause ; « non plus » = opposition ; « parce que » = toutes faites qui rappellent la méthode Assimil dont
cause ; « donc » = conséquence ; « alors » = consé- Ionesco s’est inspiré. L’enchaînement se fait ensuite
quence. Il n’y a clairement aucune logique dans le par une association de sons, puis la série des voyelles
propos du pompier : l’accumulation de connecteurs et l’ensemble des consonnes de l’alphabet. La dernière
logiques rend le propos illogique. phrase « c’est pas par là, c’est par ici » a un sens en
2. Le comique est surtout un comique de mots repo- soi, mais répétée en boucle et en criant, elle le perd
sant à la fois sur l’absurdité du propos, mais aussi sur complètement, à la manière des jeux enfantins qui
le jeu d’association d’idées entre « la mode » qui fait consistent à répéter un mot jusqu’à ce qu’il ne soit
penser à « la mode de Caen », une recette de cuisine plus que des sons.
des tripes. La référence aux fables de La Fontaine crée 3. Traditionnellement, une pièce doit s’achever et le
aussi une connivence avec le public en l’amusant par sort de tous les protagonistes doit être réglé. Dernière
le décalage créé : alors qu’une fable doit donner une convention avec laquelle Ionesco joue : alors qu’il ne
morale, ici les morales sont absurdes, et font rire par s’est rien passé pendant toute la pièce et qu’il n’y a
leur non-sens. donc pas de réelle fin, tout recommence, mais avec les
3. L’affiche est intégralement constituée de texte, Martin à la place des Smith. C’est toute la psychologie
montrant que le sujet principal de la pièce est le des personnages qui est ainsi remise en cause, et la
langage. En y regardant bien, toutes les informations notion de « rôle » qui est annulée. Ionesco propose

bien une « anti-pièce », remettant en cause toutes les b) Une autre logique
conventions théâtrales pour proposer un « Nouveau Néanmoins, on peut repérer une certaine logique dans
Théâtre ». l’enchaînement des répliques. Les quatre premières
sont une série de proverbes et de phrases toutes faites
ARTS DE LA SCÈNE
qui rappellent la méthode Assimil dont Ionesco s’est
inspiré. L’enchaînement se fait ensuite par une asso-
La tension finale est doublement perceptible, dans le ciation de sons, puis la série des voyelles et l’ensemble
face à face des deux personnages debout, mais aussi des consonnes de l’alphabet. La dernière phrase « c’est
dans la crispation des personnages assis, visiblement pas par là, c’est par ici » a un sens en soi, mais répétée
très mal à l’aise. en boucle et en criant, elle le perd complètement, à la
On pourrait presque croire que l’homme assis s’en- manière des jeux enfantins qui consistent à répéter un
fonce dans son siège. mot jusqu’à ce qu’il ne soit plus que des sons.
VERS LE BAC. Commentaire 2. Des « anti-personnages »
Dans le cadre d’un entraînement progressif à l’acqui- a) L’expression de la fureur
sition des compétences pour le commentaire à l’écrit, Si le propos semble n’avoir aucun sens, les didascalies
on peut décliner cet exercice selon le niveau de la induisent l’expression d’émotions : la surprise tout
classe en demandant soit un plan détaillé, soit le plan d’abord, quand tous « se taisent un instant, stupé-
et un ou deux paragraphes rédigés, soit le commen- faits » (l. 3), puis un certain « énervement » (l. 3) se fait
taire intégralement rédigé. sentir, le ton devient « glacial, hostile » (l. 5) et les per-
Proposition de plan : sonnages finissent « au comble de la fureur » (l. 32).
Dans Notes et contre-notes (1962), Ionesco explique Néanmoins, rien ne semble motiver ces émotions, qui
qu’il n’aime pas le théâtre. Voilà pourquoi il propose se vident ainsi de sens.
un « anti-théâtre », sous-titrant sa pièce La Cantatrice b) Des personnages interchangeables
Traditionnellement, une pièce doit s’achever et le sort
chauve (1950) « anti-pièce ». Dès l’ouverture, il
de tous les protagonistes doit être réglé. Dernière
s’amuse avec les conventions théâtrales qu’il détourne
convention avec laquelle Ionesco joue : alors qu’il ne
à loisir. Le public assiste aux échanges un peu fous de
s’est rien passé vraiment pendant toute la pièce et
six personnages : M. et Mme Smith, M. et Mme Martin,
qu’il n’y a donc pas de réelle fin, tout recommence,
Mary, la bonne, et le Capitaine des Pompiers. Malgré
mais avec les Martin à la place des Smith. C’est toute
l’apparent non-sens des dialogues, la pièce avance,
la psychologie des personnages qui est ainsi remise en
sans réelle intrigue certes, mais en suivant néanmoins
cause, et la notion de « rôle » qui est annulée.
une certaine linéarité. Il ne se passe rien vraiment,
il ne se dit rien vraiment, mais la pièce se déroule. 3. Un « anti-dénouement »
Comment clore alors cette pièce qui ne raconte rien a) « L’instant de la crise »
Selon Artaud dans Le Théâtre et son double (1938),
vraiment et dans laquelle il ne se passe pas grand-
« le théâtre comme la peste est une crise qui s’achève
chose ? Quel dénouement offrir à une « anti-pièce » ?
par la mort ou par la guérison ». Le dénouement
Ionesco poursuit l’« anti-dialogue » commencé dès
permet d’achever la pièce en résolvant le nœud, soit
le début de la pièce entre des personnages qui sont
de manière heureuse, comme dans les comédies, soit
plutôt des « anti-personnages » pour finalement nous
de manière terrible, comme dans les tragédies. Ici, le
proposer un « anti-dénouement ».
problème est qu’il n’y a pas de nœud. Mais tout est
1. Un « anti-dialogue » joué comme s’il s’agissait d’un moment crucial, au
a) Un apparent non-sens paroxysme de la tension dramatique. De nouveau,
Les premières répliques ne sont que des phrases Ionesco se joue des attentes du spectateur puisque
toutes faites, qui pourraient être issues de la méthode cette « crise » n’aboutit à rien : la lumière s’éteint, puis
Assimil, source de la pièce. Au fur et à mesure du dia- les cris cessent, et tout recommence.
logue, les répliques ont de moins en moins de sens, b) L’éternel recommencement
jusqu’à se réduire à une série de sons qui, criés comme La fin laisse entendre que toute la pièce va se rejouer
le demande la didascalie, créent une cacophonie qui à l’identique, avec les Martin à la place des Smith.
pourtant, peu à peu, forme une phrase que tous les Ultime pied-de-nez à la tradition : Ionesco vide sa
personnages répètent ensemble. pièce de tout sens et de toute linéarité. Mais cet

éternel recommencement peut aussi apparaître
– péripéties – les péripéties et
comme un épilogue lourd de sens : les person-
– coup de théâtre coups de théâtre n’en
nages, vidés de toute psychologie et de tout rôle,
et retournement de sont pas : le pompier
sont condamnés à revivre sans fin la même série de
situation n’a pas de feu à
faux événements, de dialogues insensés, de fausses
éteindre, la scène de
reconnaissances, jusqu’à de nouveau s’emporter « au
reconnaissance entre
comble de la fureur », puis tout recommencer. L’image
les époux Martin est
ainsi donnée de la condition humaine, condamnée
désamorcée par Mary,
à une vie vide de sens qui sans cesse recommence,
les retrouvailles entre
comme Sisyphe poussant son rocher, peut sembler
Mary et le pompier ne
éminemment tragique.
changent rien pour les
Quoi de mieux pour clore une « anti-pièce » qu’un
Smith et les Martin
« anti-dénouement » avec des « anti-personnages »
– dénouement qui – le dénouement
qui tiennent des « anti-dialogues » ? Jusqu’au bout, résout le nœud et ressemble bien à une
Ionesco se joue des traditions et des conventions, règle le sort de tous « crise », mais qui
qu’il juge dépassées, et propose ainsi un « Nouveau les personnages n’aboutit qu’à recom-
Théâtre ». mencer la pièce
PAGE 182 2. Les personnages ont 2. L’absence de

une psychologie et un sens des dialogues
rôle dans la pièce bien et l’échange final
PARCOURS D’ŒUVRE INTÉGRALE déterminés. des rôles vident les
personnages de toute
PISTE DE LECTURE 1 psychologie et de tout
rôle prédéterminé.
Une anti-pièce
▶▶Objectifs 3. Les dialogues 3. Les dialogues ne
Toute l’activité vise à faire le bilan des éléments permettent de faire servent à rien et
étudiés au fil des extraits des pages 178 à 181 tout en progresser l’action. semblent n’être qu’un
les complétant. L’objectif final est de préparer la dis- bavardage sans sens
sertation proposée page 199. Pour rendre le tableau fondé sur des phrases
un peu plus efficient, il peut être bon de demander toutes faites comme
dans la méthode
pour chaque réponse de la 2e colonne un exemple
Assimil.
précis issu de la pièce.
Composantes tradi- Détournement dans PISTE DE LECTURE 2

tionnelles d’une pièce La Cantatrice
Une satire de la société bourgeoise
1. Progression de 1. Pas de réelle ▶▶ Objectifs
l’intrigue par étapes : progression : Cette deuxième entrée dans l’œuvre invite à considé-
– scène d’exposition – la scène d’exposition rer La Cantatrice chauve comme une comédie inscrite
pour informer les ne nous apprend rien dans une longue tradition depuis Molière et le vaude-
spectateurs de la – plusieurs événe- ville. Les élèves ont généralement étudié au moins une
situation en cours ments semblent comédie de Molière au collège et connaissent donc la
– nœud : un problème pouvoir constituer un
dimension critique de ce genre théâtral. Il s’agit aussi
surgit, qu’il va falloir nœud, mais à chaque
de compléter le travail amorcé dans la séquence sur
tenter de résoudre fois ils sont vidés de
les types de comique en complétant avec le comique
leur sens (la mort de
de caractère notamment.
Bobby Watson, l’arri-
La notion de « conventions mondaines » sera certai-
vée des Martin, etc.)
nement à éclairer. De petits jeux de rôles peuvent

aider : mettez les élèves en situation d’un dîner, d’une du dîner et de la conversation gênée qui commence
réunion, du vernissage d’une grande exposition, etc. par l’évocation de la météo. Le dialogue qui s’ensuit,
Demandez-leur de faire appel à leur culture cinéma- donnant pour un fait extraordinaire d’avoir vu un
tographique et télévisuelle : ils ont tous déjà vu des homme lacer ses chaussures, dénonce avec humour
scènes de mondanités. l’inanité des conversations dans ce type de soirée.
En complément de la citation de l’auteur et de l’ana- Dans le même esprit, le début de la scène 11 parodie
lyse des extraits, il peut être utile de donner aux élèves l’usage du « bon mot », du « proverbe », qui émaille
la citation de Jean-Luc Lagarce issue de son entretien bien souvent ce type de conversation, où l’on essaie
avec Jean-Pierre Han en 1992 : « La Cantatrice chauve de briller en société. On peut aussi noter une critique
est une pièce sur l’absurde évidemment‚ mais le spec- de la bourgeoisie à travers cette parodie de mondani-
tacle que j’en ai tiré n’est pas si absurde que cela ‚ il tés dans leur rapport à la bonne Mary, qu’ils méprisent
est au contraire très logique. Le public paraît surpris de scène 9. De même, quand M. Smith attaque les Martin
sa cohérence. Il s’attend‚ la plupart du temps – j’ai pu au début de la scène 7, il se comporte comme un
le constater lors des débats que j’ai faits – à une pièce parfait goujat. Ainsi ces gens mondains que sont les
qui tiendrait de l’écriture automatique‚ ce qui n’est Smith et les Martin révèlent-ils la bêtise et la méchan-
pas faux pour la fin. En revanche les premières scènes‚ ceté profonde de la bourgeoisie.
les « grandes » premières scènes‚ entre Monsieur c. Les dialogues des premières scènes veulent dire
Smith et Madame Smith ‚ sont très cohérentes. J’en quelque chose. Chaque réplique est tout à fait logique
suis arrivé à la conclusion que les gens ne connais- et l’enchaînement, s’il rompt la logique, n’est toute-
saient pas bien cette pièce dont ils ont une idée a fois jamais fortuit d’une réplique à l’autre. Le dialogue
priori. Dans le spectacle que j’ai réalisé‚ le public rit progresse par reprises, répétitions, contradictions
beaucoup. Il est surpris de rire‚ parce qu’il pense que certes, mais il progresse. Une situation se dessine,
le climat d’une pièce de l’absurde est toujours gris ! » les rapports entre les personnages sont clairs : M. et
a. Au fil des scènes, la plupart des types de comique Mme Smith ont une bonne, qui était sortie, et qui les
sont utilisés : informe que leurs amis M. et Mme Martin sont là pour
– comique de mots, évidemment, puisque toute la dîner. Après l’épisode des fables, Mary demande à dire
pièce repose sur ce ressort (en particulier le début de son poème, ce que Mme Smith refuse, mais elle le fait
la scène 11 qui est une suite de phrases typiques des quand même. La scène 11 s’amorce en revanche par
méthodes de langues) ; une série de répliques qui ne semblent pas se répondre
– comique de situation avec la bonne Mary qui se les unes les autres, sauf parfois par association de
présente exactement à la manière de Mme Smith et sons ou d’idées ou par structure syntaxique. L’action
peut faire penser qu’elle va elle aussi nous raconter ne progresse plus : c’est la colère de la fin, qui n’est
toute sa journée dans les moindres détails, les Martin pourtant motivée par aucun élément, qui conduira au
à la porte, M. et Mme Smith affirmant qu’ils sont en dénouement (extrait 5 p. 181).
tenue de gala et qu’ils n’ont rien mangé alors que VERS LA DISSERTATION
la première phrase de Mme Smith était « Tiens, il Le sujet n’invite pas à mesurer la part de dénonciation
est neuf heures. Nous avons mangé de la soupe, du de la pièce : il demande « comment » Ionesco applique
poisson, des pommes de terre au lard, de la salade au le principe de Molière. On peut donc adopter un plan
lard » (scène 1) ; thématique en trois points qui peut soit constituer
– comique de caractère, avec M. Smith hurlant face l’ensemble du devoir, soit constituer une grande partie
à ses invités au début de la scène 7, puis la timidité dans un sujet de dissertation mettant en question la
des Martin, surtout de Mme Martin, qui empêche la dimension critique de la pièce.
conversation de vraiment démarrer ; Proposition de plan :
– comique de geste, à chercher dans les didascalies, Molière cherchait dans ses comédies à « châtier les
par exemple quand Mary éclate de rire, puis pleure, mœurs par le rire ». De manière générale, la comédie
puis sourit dans la scène 2, mais aussi dans la manière poursuit généralement un double but : divertir et
d’interpréter les « hm, hm » du début de la scène 7. faire réfléchir à la fois. Par la caricature et la satire, les
b. C’est bien évidemment la scène 7 qui parodie le défauts humains sont montrés sur scène à un public
plus les conventions mondaines avec la situation qui, riant de ce qu’il voit, est par la même occasion

invité à se regarder lui-même ensuite. Dans Notes quand on sonne à la porte sont aussi risibles que sans
et contre-notes (1962), Ionesco explique au sujet de fondement. Peu à peu, au cours de la pièce, le dia-
La Cantatrice chauve (1950) : « Il ne s’agit pas, dans logue se détraque, jusqu’à n’être plus qu’une série de
mon esprit, d’une satire de la mentalité bourgeoise phrases types et de proverbes, puis des sons inarticu-
liée à telle ou telle société. Il s’agit, surtout, d’une lés, dans la scène 11, avant que tous se taisent et que
sorte de petite bourgeoisie universelle, le petit bour- tout recommence, les Martin remplaçant les Smith, si
geois étant l’homme des idées reçues, des slogans, conformistes qu’ils en deviennent interchangeables.
le conformiste de partout : ce conformisme, bien Sous des airs de petite pièce absurdement drôle,
sûr, c’est son langage automatique qui le révèle. » La Cantatrice chauve propose une peinture acide
Comment Ionesco dénonce-t-il la mentalité de la de la petite bourgeoisie mondaine et conformiste,
petite bourgeoisie ? Comment la qualifie-t-il à travers dont les idées sont la plupart du temps des préjugés.
sa pièce ? Les dialogues inspirés des phrases toutes faites de
1. Une bourgeoisie très conformiste la méthode Assimil montrent l’inanité des relations
Le choix de situer sa pièce en Angleterre dans un mondaines et l’absence fondamentale de pensée et
appartement très « anglais » connote, selon un préjugé de réelle communication de ces gens, qui prennent
français sur les Anglais, un intérieur très « cosy » tenu pour des traits d’esprit ou des événements les plus
à la perfection, des personnages très polis, buvant du parfaites banalités.
thé et mangeant des petits gâteaux. L’ouverture de PISTE DE LECTURE 3
la scène 1 repose aussi sur des clichés : l’homme en
pantoufle fume sa pipe et lit le journal tandis que Une comédie tragique
madame bavarde. L’entrée de la bonne révèle la situa- ▶▶Objectifs
tion économique plutôt confortable du couple Smith Cette fois, il s’agit de montrer aux élèves que comique
qui met une distance avec leur employée : quand elle et tragique sont liés dans le « Nouveau Théâtre »,
veut dire à son tour une histoire, il n’en est pas ques- rompant avec la traditionnelle dichotomie des
tion. Non seulement Ionesco met en scène des per- genres. Les personnages sont comme des marion-
sonnages ridiculement conformistes dans leur habitat, nettes, les notions de psychologie du personnage et
tenue ou comportement, mais aussi dans leurs idées de rôles sont remises en cause, la temporalité linéaire
et leurs préjugés, notamment en termes de classes. est refusée, mais l’horloge sonne comme une force
2. Une bourgeoisie pleine de préjugés supérieure imprévisible et illogique, les personnages
Les Smith font preuve de mépris et de condescen- ne parviennent pas à communiquer et s’enfoncent
dance envers leur bonne, mais ils savent aussi critiquer dans la violence et les cris avant d’être happés par un
leurs semblables. Toute la conversation sur la famille éternel recommencement. La vision ainsi proposée de
de Bobby Watson est émaillée de réflexions diverses la condition humaine est profondément pessimiste
soit sur les choix personnels, soit sur le physique. et rappelle évidemment celle de Samuel Beckett
Même entre eux, les quatre personnages s’attaquent dans En attendant Godot ou Oh ! les beaux jours. Ce
en se fondant sur des idées reçues. Par exemple, sera l’occasion de faire un point sur le « Nouveau
dans la scène 7, M. Martin s’exclame : « Oh ! vous les Théâtre », souvent appelé « théâtre de l’absurde »,
femmes, vous vous défendez toujours l’une l’autre », qui naît après-guerre et témoigne d’un profond pes-
puis Mme Smith de s’exclamer : « Ah ! ces hommes simisme sur l’homme ainsi que d’un refus des règles
qui veulent toujours avoir raison et qui ont toujours traditionnelles et d’une vision positiviste de l’histoire.
tort ! » Ionesco s’amuse avec tous les clichés, sociaux, a. Le fait que les personnages soient interchangeables
culturels, sexistes. ou puissent tous s’appeler de la même manière est
3. Une bourgeoisie superficielle évidemment une critique de la tradition littéraire
Toute la pièce met en lumière l’inanité des conver- qui donne une psychologie au personnage, ce que
sations des personnages qui se parlent pour ne rien Ionesco et d’autres artistes refusent après-guerre
dire, à qui il n’arrive jamais rien, même s’ils essaient (pensons au Nouveau Roman et aux autres auteurs
de croire le contraire. Les moments de grande tension du Nouveau Théâtre). Mais, sur un plan symbolique,
dramatique comme la scène de reconnaissance entre c’est la notion même d’individu qui est ici remise en
les Martin ou la dispute pour savoir s’il y a quelqu’un cause. L’homme ne serait plus qu’un élément parmi

tant d’autres, interchangeable à loisir, sorte de pion connivence entre les personnages. Les révélations de
ou de marionnette dans un univers absurde. Mary sur les Martin qui ne seraient pas du tout mari
b. La pendule est un personnage à part entière dans et femme renvoient au genre du roman policier et
la pièce. Les coups qu’elle frappe expriment le plus créent une connivence avec le public cette fois. Mais
souvent une temporalité, même illogique, mais elle au-delà du rire, quelque chose d’angoissant émane
peut aussi intervenir dans les dialogues, et même de cette absence généralisée de sens. Les person-
connoter des émotions. Ainsi, dans la scène 1, elle nages échangent des propos sans jamais réellement
frappe 17 coups et Mme Smith s’écrit : « Tiens, il est communiquer ou se répondre. La scène de reconnais-
neuf heures ». Même si la temporalité est ici tout à sance des Martin n’en est pas une, Bobby Watson ne
fait farfelue, la pendule joue son rôle premier : indi- possède pas son propre nom, qu’il partage avec toute
quer l’heure. Dans la suite de la scène, lorsqu’il est sa famille, les fables ne délivrent aucune moralité…
Même le temps est détraqué. Il n’y a rien de tangible
question de Bobby Watson, les coups de la pendule
sur quoi s’appuyer, pas de grand principe organisa-
semblent cette fois interférer avec le dialogue :
teur. L’homme est finalement réduit à un état animal,
chaque fois qu’elle sonne, le dialogue reprend, mais
proche de l’objet, interchangeable comme un pion,
dans le sens inverse de ce qui était dit auparavant.
totalement seul dans un monde sans sens.
Dans la scène 11, elle participe de l’énervement des
personnages, comme si elle faisait partie du groupe : VERS LA DISSERTATION
« les coups que fait la pendule sont plus nerveux Selon les besoins pédagogiques, le sujet peut deman-
aussi », lit-on dans la didascalie. Cette pendule, simple der un paragraphe argumenté simple ou une argu-
élément de décor en apparence, est donc haute- mentation plus développée en plusieurs paragraphes.
ment symbolique : symbole d’une temporalité qui L’étude d’œuvre intégrale à travers les extraits et
se détraque, d’un sens qui se perd, et même peut-être les trois pistes de lecture dessinées dans la page
sorte de force magique influençant les personnages donnent suffisamment d’éléments pour construire
dans leurs émotions ou subissant leur influence, dans l’argumentation.
une frontière de plus en plus floue entre l’animé et Idées pour traiter le sujet :
l’inanimé, comme si les choses pouvaient devenir Certes :
comme les hommes, ou les hommes comme des – le jeu avec les règles et les traditions = dimen-
choses. sion ludique de la pièce qui déjoue les attentes du
spectateur
c. L’explosion de violence finale n’est objectivement
– personnages ridicules de bourgeois anglais au milieu
motivée par aucun fait concret, si ce n’est le provo-
de leur salon, correspondent à des clichés, enchaînent
cant « À bas le cirage ! » de M. Smith qui crée la stu-
les banalités = comique de caractère
péfaction. Néanmoins, des instants de tension entre
– dialogues absurdes, jeu sur les mots, contradictions,
les personnages sont perceptibles tout au long de la
associations d’idées = comique de mots
pièce entre ces personnages qui ne se comprennent
– fausses reconnaissances, fausses révélations, fables
pas et se parlent beaucoup pour ne pas se dire grand-
illogiques = comique de situation
chose, finalement. Cette absence évidente de com-
Mais :
munication empêche la résolution de ces tensions et – l’absence de sens peut sembler angoissant et terri-
des conflits sous-jacents. C’est aussi une image de ce blement effrayant
qui se produit quand on manque de mots : on crie. – la pendule a quelque chose d’inquiétant dans son
Il y a une forme d’animalité dans ces sons inarticu- imprévisibilité
lés et répétitifs. Les personnages, qui se contrôlaient – les moments de tension tout au long de la pièce qui
jusqu’alors, dans le respect des règles du savoir-vivre, aboutissent à une explosion de fureur montrent tout
explosent, perdent leur sang-froid, mais aussi ce qui le malaise des personnages
fait d’eux des êtres civilisés. On assiste à une sorte En fait :
de réaction primaire absurde, aboutissement absurde – parodie de théâtre qui dénonce les mondanités et
d’une intrigue absurde. le conformisme bourgeois
d. L’absence générale de sens peut paraître drôle – vision négative de l’humain réduit à des person-
au départ. Les fables du Capitaine des Pompiers nages privés de psychologie, interchangeables, avec
divertissent tout le monde et créent une sorte de le même nom, etc.

– éternel recommencement et absence totale de sens ACTIVITÉ 4. Pauvre Bobby !
= vision pessimiste et éminemment tragique de la ▶▶ Objectifs
condition humaine, réduit à une solitude intrinsèque, Le sujet est typiquement un sujet d’imitation. Ce
à l’absence de toute communication, de toute trans- travail peut tout aussi bien être mené en groupe que
cendance ou de toute valeur. seul, avec une dimension ludique au départ qui doit
déboucher sur une production littéraire fortement
PAGE 183 contrainte. En ouverture, on peut évoquer l’OuLiPo
afin de réfléchir à l’intérêt de créer des contraintes
Dossier personnel pour développer la créativité, et esquisser un lien avec
le théâtre classique et les règles, multiples, mais qui
ACTIVITÉ 1. Transposer la pièce dans un autre pays constituaient un défi passionnant pour les auteurs.
▶▶Objectifs
L’objectif de l’activité est de faire comprendre aux PAGES 184-185
élèves la logique à l’œuvre dans la didascalie initiale
de la pièce et de les amener à penser un début de mise
PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS
en scène avec un parti-pris précis. Il faut bien guider
les élèves sur des choix précis et clairs : plus la piste
de départ est simple, plus elle sera efficace. Les mises en scène de l’absurde
Ex. : les Italiens mangent des pâtes, parlent avec les
mains, sont passionnés de football et de romantisme ;
les Américains mâchent du chewing-gum et mangent
des hamburgers ; les Brésiliens dansent la samba,
⁄
▶▶
Une mise en scène en technicolor :
Jean-Luc Lagarce
Objectifs
jouent au foot et parlent en chantant, etc. ■■ Aborder La Cantatrice chauve dans sa dimension
ACTIVITÉ 2. Créer des bandes-annonces en jouant scénique.
■■ Réfléchir aux questions de mises en scène.
sur les registres et les références
▶▶ Objectifs TICE
L’enjeu de cette activité est de faire percevoir aux Les élèves trouveront aisément des exemples de
élèves l’humour jaune de la pièce, à la fois comique tableaux de Hopper. On peut notamment leur
et tragique, et l’importance du jeu avec les codes et montrer Cape Code Sunset (Coucher de soleil à Cape
les conventions. L’étape 2 ne doit donc pas éliminer Code), une huile sur toile de 1934. La maison rap-
l’étape 1 : même un clown peut être inquiétant… pelle assez clairement celle de la mise en scène. Il
faut la coupler avec la Villa Arpel de Mon oncle de
ACTIVITÉ 3. Rédiger une note d’intention de mise Tati. Des photos d’Élisabeth d’Angleterre en tailleur
en scène et chapeau rose éclairciront la référence des costumes
▶▶ Objectifs
des deux femmes. La maison trop petite fait penser à
Il s’agit d’amener les élèves à imaginer une mise Alice au pays des merveilles de Disney. Pour compléter
en scène et à justifier leurs choix dans une note ces pistes, notamment sur la question du feuilleton,
d’intention. on peut se fonder sur un autre extrait de l’entretien
Pour donner de l’inspiration aux élèves, on peut les de Lagarce et Han : « L’absurde aujourd’hui‚ ce sont
renvoyer aux notes d’intentions en ligne : les feuilletons télévisés auxquels vous ne compre-
– Pierre Pradinas (https://www.theatre-contempo- nez strictement rien si vous ne les regardez pas de
rain.net/spectacles/La-Cantatrice-chauve-17558/ manière régulière. Il faut vraiment être comme ma
ensavoirplus/idcontent/68718) grand-mère qui est accrochée au même feuilleton
– Françoua Garrigues (https://www.theatre-contem- depuis trois ans et qui donc, sait où en sont les per-
porain.net/spectacles/La-Cantatrice-chauve-3174/ sonnages. Sinon vous ne savez jamais où vous en êtes.
ensavoirplus/) Les gens se disent très souvent des choses comme
– Dossier pédagogique du théâtre du Lucernaire « je suis votre épouse » ou « on a bien mangé » ‚ ou
(http://www.lucernaire.fr/index. encore « vous et moi avons un enfant »‚ toutes choses
php?controller=attachment&id_attachment=108). qu’ils sont censés déjà savoir ! C’est donc débile et…

absurde. Mais le théâtre de l’absurde ne veut plus du teaser : https://www.theatre-contemporain.net/
dire grand-chose aujourd’hui, car désormais tout video/tmpurl_vGKesTnX). En même temps, il y a
le monde pratique le deuxième niveau de langage. quelque chose qui cloche avec ce décor qui sort du
Devant le spectacle‚ les adolescents vont dire‚ par cadre, quelque chose n’est pas à la bonne échelle.
exemple‚ « c’est mortel » pour dire que c’était for- 2. Si le décor de Pelly renvoie à des codes modernes
midable. Ça leur paraît évident de dire l’inverse de ce que l’on comprend, le papier peint et le mobilier sont
qu’ils pensent. Beaucoup de choses dans le spectacle plutôt datés des années 1970 et la porte blindée donne
fonctionnent de cette manière. Ce genre d’affirmation l’idée d’un monde extérieur dangereux. Laurent Pelly
d’une même idée‚ mais en négation‚ pour dire une évoque un rat, l’appartement donne sur des sacs pou-
seule et même chose est évident aujourd’hui alors belles : le monde des Smith refuse la réalité du monde
qu’il ne l’était pas à l’époque. C’est ça les absurdités du extérieur, qui est là pourtant. Comme si La Cantatrice
langage. C’est devenu un jeu. Les jeunes comprennent chauve nous proposait d’oublier le monde réel tout
cela facilement ; ils ne rient pas de la situation‚ ils rient en nous rappelant à quel point il est réel…
de ce qui se dit. »
ORAL
1. Les élèves trouveront aisément les couleurs domi- Les élèves ont carte blanche, mais les activités propo-
nantes : blanc, vert, rose, bleu, noir et orange. Bien sées depuis la page 183 ont concouru à cette étape
noter le tuyau d’arrosage jaune, les sièges marron, la finale : ils peuvent s’inspirer de la comédie classique,
boule rose sous le siège à jardin. Il s’agit à proprement de la commedia dell’arte, du cirque, du roman poli-
parler d’une mise en scène en « technicolor », comme cier, du sitcom américain des années 1950 comme
les sitcoms des années 1980 ou les premières photo- Lagarce, mais aussi des années 1990 voire 2000 avec
graphies en couleurs. Jean-Luc Lagarce travaille sur le Pelly, d’Edward Hopper, des dessins animés, des films
kitsch, notion à préciser. Ce peut être l’occasion d’un et documentaires à base de vidéo-surveillance, etc.
cours d’histoire des arts, par exemple sur la manière L’important est qu’ils travaillent sur deux éléments
dont Pierre et Gilles revisitent l’Antiquité, tout comme essentiels : le détournement d’une source et la dimen-
Ionesco revisite les codes traditionnels du théâtre en sion inquiétante, voire tragique, du comique.
les détournant.
2. Sources d’inspiration possibles : le sitcom améri-
cain (incluant le feuilleton policier, dont parle Lagarce GROUPEMENT DE TEXTES COMPLÉMENTAIRES
dans son entretien, et que le personnage de Mary et
Des personnages en proie à la folie
la référence à Sherlock Holmes dans la pièce auto-
risent), Edward Hopper, l’architecture moderniste
des années 1960, les dessins animés de Walt Disney, PAGES 186-187
le kitsch en général. De nouveau, il s’agit surtout de
demander aux élèves d’adopter un parti-pris clair et
de s’y tenir. Tout un travail sur l’art de la citation
en littérature et dans les arts en général peut être
⁄
▶▶
Pierre Corneille,
Médée, 1635
Objectifs
efficacement mené à cette occasion. ■■ Découvrir un personnage dominé par la fureur.
■■ Définir les notions de personnage tragique, d’hybris,
¤ Voir grand : la mise en scène

de Laurent Pelly
1. La partie en couleur n’occupe que la partie cen-
de terreur et de pitié.
■■ Aborder la question de l’adaptation d’un mythe
théâtral, ici en danse.

trale du plateau comme le montrent les fauteuils qui
dépassent de chaque côté. En même temps, c’est PARCOURS 1. Compétences de lecture
surtout le papier peint qui déborde du mur. On est 1. Entrer dans le texte
dans un décor hors-norme, hors-limite, à rebours Médée vient de tuer les deux enfants qu’elle a eus
du décor original dans le tout petit théâtre de la avec Jason, comme elle le dit clairement aux vers 2
Huchette. Alors que le théâtre de Poche historique à 4 : « Lève les yeux, perfide, et reconnais ce bras/ Qui
inclut l’idée d’un monde étriqué et étroit, à l’image t’a déjà vengé de ces petits ingrats ;/ Ce poignard que
peut-être des années 1950, ici Pelly renvoie à l’idée tu vois vient de chasser leurs âmes,/ Et noyer dans leur
du loft ultra-moderne, tout domotisé (voir la vidéo sang les restes de nos flammes ».

2. Grammaire pas la possibilité de contrer l’effroyable logique de
Médée insiste sur le fait qu’elle a tué ses enfants Médée, qui accomplit ici son destin d’héroïne tragique,
pour le « bonheur » de Jason. Elle lui permet ainsi de et suscite ainsi à la fois terreur et pitié, permettant
nier leur amour et d’épouser Créüse comme si elle la catharsis, la purgation des passions, préconisée par
et les enfants n’avaient jamais existé. Elle le nomme Aristote dans sa Poétique.
« heureux père et mari » (v. 6), « bienheureux amant »
(v. 13), l’invite à « [se] réjoui[r] » (v. 8) et à « cajoler [sa] ŒUVRE INTÉGRALE
maîtresse » (v. 13). Néanmoins, elle le nomme « cher Les dénouements des deux pièces se rejoignent par
époux » au vers 24, doublant ici l’ironie et lui rappelant la violence à l’œuvre. La folie est, dans les deux cas,
qu’il lui a été parjure. Son insistance sur le « bonheur » poussée à son paroxysme. La communication n’est
de Jason en parfaite contradiction avec l’horreur de plus possible. Mais alors que, dans La Cantatrice
l’acte qu’elle vient de commettre et des imprécations chauve, la folie se marque par le détraquement du
qu’il prononce montre toute l’amertume, la colère et langage, dans Médée, c’est Jason qui perd la parole
la déception d’une femme bafouée. Elle est aussi une et ne sait plus qu’insulter et ordonner l’attaque.
héroïne tragique qui accepte son destin, nommant Paradoxalement, la furie de Médée l’amène à une
« douceur » (v. 34) l’horrible malheur auquel la fatalité parfaite maîtrise du discours, qu’elle rend ironique.
l’a conduite, la rendant parricide, fratricide et finale- En revanche, son geste est terrible, comme les per-
ment infanticide. sonnages de La Cantatrice qui se déchaînent et crient.
3. L’ironie de Médée implique chez elle une distance Le côté animal des sons inarticulés des personnages
et une maîtrise de son discours que Jason n’a pas, d’Ionesco peut rappeler sur un mode grotesque
s’épuisant en vaines injures. La longueur des répliques l’animalité de Médée montrée par Preljocaj. Mais
montre aussi la domination de Médée, qui a le dernier le geste de Médée est sans retour possible : la pièce
mot et va jusqu’à parler d’elle-même à la troisième de Corneille donne à voir une journée fatidique. À
personne et à se comparer à « deux rois » (v. 37). l’inverse, La Cantatrice ouvre sur un horrible éternel
4. Le texte insiste beaucoup sur la vue : « lève les recommencement. Dans les deux cas, les pièces
yeux », « reconnais » (v. 2), « ce poignard que tu vois » montrent des personnages prisonniers de leur destin.
(v. 4), « vois les chemins de l’air » (v. 25). Médée ne PARCOURS 2. Compétences d’écriture
cesse de demander à Jason de la regarder, de regar-
der son crime, de la regarder s’envoler sur son « char 1. Voir la réponse à la question 3 du parcours 1.
tiré par deux dragons ailés », comme l’indique la 2. Les deux didascalies positionnent Médée en
didascalie. Par le jeu de la double énonciation, c’est hauteur, au-dessus de Jason, d’abord « en haut sur
surtout une manière pour Corneille d’insister sur un balcon » puis « en l’air, dans un char tiré par deux
la dimension éminemment spectaculaire de son dragons ailés ». Elle brandit un « poignard » (v. 4)
dénouement. L’invitation à « voir » vaut aussi bien recouvert du « sang » (v. 5) de ses enfants. La lon-
pour le personnage que pour le public, réuni dans le gueur des répliques et son ironie montrent qu’elle
theatron, étymologiquement « lieu d’où l’on voit » les domine l’échange. On peut imaginer une Médée toute
« monstres », c’est-à-dire ceux que l’on « montre ». puissante et effroyable, couverte de sang éventuelle-
5. Synthèse ment, ou au contraire dont seul le poignard est ensan-
Si l’accent est mis sur l’horreur de l’acte de Médée et glanté, montrant avec quel sang-froid elle a commis
sur sa puissance de sorcellerie, suscitant évidemment son crime.
la terreur, il n’en demeure pas moins que le vers 24 3. Lexique
souligne ironiquement que tout cela est une punition, Les élèves devraient naturellement insister sur le
un « blâme », que subit Médée. L’abandon et le parjure caractère monstrueux de Médée : « horrible »,
de Jason font d’elle une femme bafouée et désho- « effroyable », « terrible », « meurtrière », etc. Peu à
norée. Elle ne fait que pousser à leur ultime limite peu, il faut essayer d’amener les élèves à adopter son
les conséquences de l’acte de Jason : épouser Créüse, point de vue, ce qui la rend en même temps « misé-
c’est renier Médée et leur histoire d’amour, et donc rable », « pitoyable ». En effet, il faut tenir compte de
aussi le fruit de cet amour. Le manque d’arguments la trahison de Jason : elle est une femme « trahie »,
de Jason, réduit aux insultes, montre bien qu’il n’a « bafouée », « déshonorée ».

4. Il est aisé d’ouvrir sur d’autres héros tragiques, qui l’anime. On note des moments de tendresse : la
mais on peut également penser à des personnages danse devient alors plus souple, légère, dans une ges-
mythiques comme Dom Juan, Figaro ou Faust, par tuelle harmonieuse et aérienne, la musique accom-
exemple. Ne limitez pas les élèves. L’essentiel est pagne cette douceur. Mais, rapidement, les instants
qu’ils mènent un travail de qualification et de carac- de tension reviennent : le corps de la danseuse se
térisation précises et nuancées du personnage choisi crispe, elle apparaît comme une sorte d’animal, de
pour ensuite chercher à retranscrire tous les éléments prédateur, la musique joue sur les sons aigus et les
trouvés de diverses manières, scéniques notamment : dysharmoniques. Après le meurtre, Médée se couvre
le discours, évidemment, mais aussi le ton, la voix, le de sang et tient sa robe dans sa bouche, comme une
corps, le costume, la position dans l’espace, les dépla- louve qui aurait dévoré une proie, en l’occurrence ses
cements, etc. enfants, le fruit de son amour avec Jason. L’ultime
geste est très symbolique : elle peut se séparer à la fois
ARTS DE LA SCÈNE
de l’âme de ses enfants ou des restes de son amour,
qu’elle tenait bien serrés dans son poing.
Les deux photographies montrent différents aspects
de Médée. Évidemment, avec Preljocaj, c’est le carac-
PAGE 188
tère monstrueux et animal qui est mis en avant.
Toutefois, il convient de mettre cette image en
relation avec la vidéo : l’horreur du geste de Médée
va de pair avec sa souffrance. Avec Correia, Médée
¤
▶▶
Molière,
L’Avare, 1668
Objectifs
devient davantage la sorcière séductrice, qui domine ■■ Étudier une figure célèbre de monomaniaque.
par la parole et sa magie. Son médaillon est un ■■ Réfléchir à la représentation scénique de la folie.
cœur, ce qui souligne qu’elle est aussi une femme ■■ Comprendre la visée à la fois ludique et critique de
qui aime passionnément un homme qui la quitte. la comédie.

Pour ouvrir encore la réflexion, on peut montrer aux
élèves d’autres propositions de mises en scène, soit
Harpagon crie à la cantonade : il s’adresse à tous
au cinéma grâce à une comparaison des différentes
ceux qui pourraient l’entendre dans la maisonnée.
jaquettes du film Medea de Pasolini, soit en pein-
Mais assez rapidement, les déictiques « là » et « ici »
ture (fresques antiques de Pompéi et Herculanum,
(l. 4) sous-entendent que le comédien regarde des
Delacroix, Van Loo, Sandys, Safran, par exemple),
endroits du plateau ou de la salle : il peut aussi bien se
soit encore à travers ses réécritures comme Médée-
poser la question à lui-même que la poser en adresse
Kali de Laurent Gaudé (galerie-photo de la mise en
directe au public. C’est le jeu de la double énoncia-
scène de Margherita Bertoli au théâtre de Cergy :
tion. À partir de la ligne 6, il s’adresse à « [s]on pauvre
http://theatre95.com/site/galleries/medee-kali/),
argent, [s]on pauvre ami ». Ligne 12, l’adresse change
Médée de Max Rouquette (bande-annonce de la mise
à nouveau. Molière joue encore sur la double énon-
en scène de J.-L. Martinelli : https://www.theatre-
ciation, le personnage pouvant se parler à lui-même
contemporain.net/video/Medee-m-e-s-Jean-Louis-
ou au public, ce fameux « vous » qui n’est « per-
Martinelli-Bande-annonce) ou encore Manhattan
sonne » (l. 14). L’expression « que de gens assemblés »
Medea de Dea Loher (dossier très riche sur le site
(l. 19) peut tout aussi bien renvoyer à la liste des gens
du théâtre de La Colline : https://www.colline.fr/
de la maison qu’Harpagon vient de citer qu’au public,
spectacles/manhattan-medea).
idée renforcée par le nouvel usage du déictique « là »
TICE puis « là-haut » qui peut aussi bien renvoyer à l’étage
Angelin Preljocaj crée Le Songe de Médée en 2004 de la maison qu’aux différents balcons dans la salle.
à l’Opéra de Paris, avec Marie-Agnès Gillot dans le Le pronom « ils » reste ambigu ligne 24 (les gens de la
rôle de Médée, remplacée par Delphine Moussin ou maison ou les spectateurs des balcons supérieurs ?). Le
Émilie Cozette selon les représentations. Il propose dernier « vous » (l. 24) s’adresse clairement au public
un spectacle tendu sur une musique dissonante de – mais pourrait être une tournure de langage – et
Mauro Lanza. La danse est saccadée, douloureuse. le pronom « ils » dans l’expression « ils ont part sans
Médée apparaît dans un état visible de souffrance, doute au vol que l’on m’a fait » (l. 24-25) renvoie
partagée entre son amour pour ses enfants et la fureur a priori aux autres personnages : l’intrigue reprend.

2. La multiplication des phrases exclamatives et inter- scène. Une fois qu’ils donnent leur proposition, ne
rogatives montre toute l’agitation du personnage. Les pas hésiter à pratiquer ce que l’on appelle le « rejeu »
exclamations comme « hélas ! » ligne 7 soulignent en les invitant à prendre d’autres partis : s’asseoir ou
son désespoir. Les rythmes ternaires employés aux s’agenouiller, ou au contraire rester debout, arriver
lignes 7 à 12, les hyperboles et le vocabulaire de la depuis l’arrière du public… Bien insister sur le jeu avec
souffrance donnent une éloquence comique aux le public, c’est l’un des ressorts théâtraux les plus inté-
lamentations d’Harpagon. Les déictiques « là » et ressants de ce monologue, qui soutient tous les autres
« ici », la multiplication des adresses directes au public ressorts comiques.
sous-entend que le personnage court en tout sens. Au
début, la didascalie dit clairement qu’il « crie ». Les
Il s’agit ici d’un sujet très connu et classique, si bien
accumulations de coupables potentiels (l. 18-19) et
que les idées ne devraient pas être difficiles à trouver.
de gens de justice (l. 25-26) soulignent tout le désarroi
du personnage qui ne sait pas comment retrouver son L’enjeu surtout est de bien insister sur l’importance de
« pauvre ami ». développer les exemples. Voici un début de tableau
qui peut servir de base à l’exercice : demander aux
3. Harpagon arrive en criant des coulisses : selon le
élèves de trouver les arguments, puis seul ou par
choix du metteur en scène, son entrée se fera par
équipe, de chercher des exemples dans les textes
un côté ou par le fond de scène, par le public éven-
étudiés de l’année, ou les années précédentes, ou
tuellement. Il court, à n’en pas douter, puis parcourt
dans le manuel.
le plateau en tout sens, comme l’indiquent les déic-
tiques « là » et « ici » (l. 5), en continuant à « courir » Dimension ludique Dimension critique
(l. 5) très probablement. Dans son trouble, « il se de la comédie de la comédie
prend lui-même le bras », ce qui introduit une nou-
velle étape dans le monologue : la lamentation. Le 1. La comédie est un 1. Le rire n’empêche
comédien doit alors s’immobiliser, peut-être s’age- divertissement dont le pas la critique :
nouiller, s’asseoir, quoi qu’il en soit il doit montrer but est de déclencher – parodie
le rire. Pour cela, – satire
tout l’accablement du personnage. La question « Euh ?
divers ressorts sont – ironie
Que dites-vous ? » (l. 14) est une adresse directe au traditionnellement
public, qui réagit forcément à ce qu’il voit. Une nou- employés :
velle étape dans le monologue arrive grâce à l’injonc- – comique de mots
tive « Sortons » (l. 17) : le personnage se redresse et se – comique de situation
remet en action, il est bien décidé à mener l’enquête. – comique de geste
Il commence en épiant et écoutant le théâtre, comme – comique de
le montrent ses questions « De quoi est-ce qu’on parle caractère
là ? », « Quel bruit fait-on là-haut ? » et « N’est-il point
caché là parmi vous ? » (l. 22-24) À la fin, on peut 2. La comédie travaille 2. Offrir un miroir
sur la connivence avec aux spectateurs pour
imaginer qu’il quitte le plateau volontaire et décidé.
le spectateur leur faire prendre
4. On peut, comme on l’a vu dans la question précé- – personnages types conscience des défauts
dente, découper ce monologue en trois étapes cor- (les duos comiques, les du genre humain
respondant à trois types d’émotions : l’affolement, le personnages issus de – les personnages
désespoir, la détermination et la colère. la commedia dell’arte, types incarnent
etc.) souvent un trait de
5. Malgré tout, son excessivité dans le propos avec la
– situations types caractère, un défaut
personnification de l’argent, les hyperboles comme
– références et que l’on peut tous
« tout est fini pour moi » (l. 10), les accumulations, la citations avoir
multiplication des exclamations et interrogations, et – apartés et tout autre – situation du
son comportement très agité (il crie, court, se prend moyen pour briser le quotidien
le bras lui-même) en font un personnage grotesque. 4e mur – thèmes traditionnels
qui parlent à tout
ORAL
le monde (argent,
Il peut être intéressant de faire travailler les élèves famille, mariage…)
en binôme formé d’un acteur et un metteur en

cette fois les doutes du jeune homme qui espère que
3. La comédie se finit 3. Rendre le spectateur
les choses se dérouleront comme il le prédit, mais ne
bien, elle est optimiste acteur de son propre
peut en être certain. Un relevé exhaustif des formes
– l’art du coup de raisonnement
verbales et leur analyse, après lecture des fiches
théâtre – après le rire vient la
méthode des pages 386 à 389 sera l’occasion d’une
– les dénouements prise de conscience
leçon de grammaire. On peut demander aux élèves,
heureux – éviter le
dans la perspective de l’EAF, d’imaginer des questions
dogmatisme,
de grammaire sur ce point et de s’interroger mutuel-
permettre au
lement les uns les autres comme s’ils étaient à l’oral.
spectateur d’élaborer
sa propre réflexion 3. La multiplication des phrases exclamatives et
– la comédie se finit interrogatives (plutôt vers la fin du texte) montre
bien, preuve que l’on l’agitation du personnage. Les tirets, comme des
peut imaginer un parenthèses, montrent aussi à quel point ses idées
monde plus beau sont confuses : il ne cesse de changer d’idée, répétant
« non, non » à plusieurs reprises. Par ailleurs, il se parle
à lui-même, mais imagine aussi des échanges avec des
ARTS DE LA SCÈNE personnages absents comme Catherine, à la ligne 21.
Cette fois, les tirets sont des tirets de dialogue. Le
Le comédien montre tout le désarroi du personnage personnage est en proie à une agitation très forte qui
par l’état de son visage et de ses vêtements, couverts le fait presque délirer.
de terre, ce qui nous montre qu’il a retourné la terre
4. Le premier paragraphe du monologue est intéres-
du jardin à mains nues pour chercher sa cassette. Il est
sant à cet égard : la présence de la Lune, astre froid, lié
allé chercher son fusil et se dirige vers le public, visi-
à la mélancolie et à la mort dans l’imaginaire roman-
blement en s’adressant à lui, le regard perdu. Mais
tique, est immédiatement vidée de tout sens mys-
il n’est pas menaçant, il ne vise personne. Il est un
tique par le personnage qui se place sur le plan de la
homme aux abois, désespéré, qui ne sait comment
politique. La supposition « s’il y a quelqu’un là-haut »,
retrouver son argent.
à la ligne 5, met clairement en cause l’évidence
d’une présence divine ou d’une force supérieure. Ici,
PAGE 189 l’homme est seul et responsable de ses décisions.
5. Synthèse
‹
▶▶
Alfred de Musset,
Lorenzaccio, 1834
Objectifs
Musset propose ici un monologue exemplaire du
drame romantique. Toutes les émotions se mélangent
dans le cœur d’un jeune homme à la fois désabusé et
■■ Aborder le drame romantique. amer face à une humanité en laquelle il ne croit plus,
■■ Découvrir un héros ambigu.
qui a décidé de passer à l’action, mais qui tremble de
■■ Définir l’absurde.
son projet. Aucune divinité n’est là pour le guider, il
1. Entrer dans le texte est seul face à ses choix. C’est l’homme qui fait son
Le monologue constitue une pause dans l’action : il destin, prisonnier d’une société et d’une époque qui
est un moment d’introspection du personnage qui, soutient les tyrans ou se perd en un vain « bavardage
généralement, hésite ou se lamente. Ici, le monologue humain ».
montre toute l’hésitation du personnage, sur le point VERS LA DISSERTATION
de commettre un meurtre. Le sujet a pour objectif de définir le mot « absurde »,
2. Grammaire qui peut simplement renvoyer à l’idée d’illogisme
Globalement, Lorenzaccio parle au futur de l’indica- dans un sens courant, mais renvoie aussi à l’idée
tif, ce qui montre sa détermination. D’une certaine d’absence de sens, moral et spirituel.
manière, il est en train de répéter le meurtre comme Pistes de réflexion :
un comédien avant d’entrer en scène. Mais ces phrases Certes :
au futur alternent avec des interrogations ou des – Lorenzo pense que le meurtre d’Alexandre sera son
phrases au subjonctif et au conditionnel, montrant exploit : ce projet conduit toute sa vie et le motive.

On peut considérer qu’il donne du « sens » à sa vie. PAGE 190
– Lorenzo veut libérer Florence du joug d’un tyran :
il est donc motivé par des valeurs morales au nom
desquelles il se sacrifie.
– L’angoisse du personnage avant le meurtre, ses
›
▶▶
Samuel Beckett,
En attendant Godot, 1948
Objectifs
hésitations, son monologue pour se convaincre et se ■■ Compléter l’étude du Nouveau Théâtre.
donner du courage, montrent bien qu’il n’est pas un ■■ Réfléchir à la portée symbolique et philosophe de
meurtrier. Son acte est un choix difficile et réfléchi. l’absurde.

L’agitation du personnage peut le faire paraître fou,
mais en réalité c’est l’indice qu’il a conscience de la
Tout le texte n’est constitué que d’une seule phrase,
gravité de son projet.
coupée à la fin. Les élèves peuvent supposer qu’il ne
Mais :
s’agit que du début de la tirade de Lucky. Cela donne
– Musset choisit de réduire à néant les idéaux poli-
un effet de long et interminable flot de paroles pro-
tiques de son héros : son geste n’est pas compris de
noncé avec un « débit monotone » comme l’indique
ses contemporains et le duc Alexandre est simple-
la didascalie initiale et comme l’implique l’absence
ment remplacé par un autre tyran.
totale de ponctuation. On a ainsi l’impression d’une
– Il refuse toute gloire à Lorenzo = vision pessimiste
sorte de récitation d’un discours sans aucun sens qui
liée au désenchantement de la Révolution de 1830,
pourrait presque ne jamais s’arrêter.
idée que tout engagement politique est inutile.
– Dans l’extrait présenté, on comprend que Musset 2. Grammaire
refuse toute transcendance : l’homme est seul dans un Lucky multiplie les connecteurs logiques : « étant
monde qui n’est dominé par aucune force supérieure. donné » (l. 1), « mais » (l. 5 et 6), « pour peu que » (l. 7),
L’apparente folie du personnage montre surtout sa « assavoir » (l. 8), « mais », « et attendu d’autre part
très vive agitation avant de commettre un acte dont il que » (l. 10), « mais néanmoins » (l. 11-12), « assa-
ne connaît pas les réelles conséquences. Tout comme voir », « mais » (l. 15), « contrairement à » (l. 19),
Lorenzo, l’homme est seul face à ses choix, dont il « malgré » (l. 20), « et en même temps parallèle-
doit assumer les responsabilités. Il n’y a pas de force ment » (l. 22). Ces connecteurs démultipliés et uti-
supérieure pour guider son geste ou pour donner une lisés de manière absurde permettent une parodie de
valeur finale à son acte. Le choix de Musset de réduire discours scientifique ici noyé dans un amoncellement
ainsi l’acte de Lorenzo à un simple meurtre, qui n’aura d’idées et de propos. La présence des connecteurs ne
finalement tué un tyran que pour en laisser un second fait que souligner l’apparente absence de sens de ce
prendre sa place, entre en résonnance très forte avec monologue.
le théâtre de Beckett ou de Ionesco, où Godot n’ar- 3. En réalité, la tirade de Lucky a du sens :
rive jamais ou bien où, la pièce achevée, les Martin – lignes 1 à 10, à partir de « Étant donné » : le principe
prennent la place des Smith, et tout recommence. de l’existence de Dieu
– lignes 10 à 21, à partir de « et attendu d’autre part » :
ARTS DE LA SCÈNE
l’homme maigrit malgré les progrès de l’alimentation
et du traitement des déchets
L’acteur est éclairé par le dessus, avec une lumière très – lignes 22 à 28, à partir de « et en même temps
froide, comme si la Lune l’éclairait. Le jeu d’ombres parallèlement » : l’homme rapetisse malgré le sport
ainsi créé renforce le maquillage de l’acteur, qui et les antibiotiques
apparaît très pâle, au visage émacié, comme s’il était
malade. La crispation du visage et les poings fermés ORAL
montrent une forte tension et une possible résolution. Les jeux de répétitions et d’onomastique créent un
En revanche, le regard, perdu dans le vide, serait plutôt effet de bégaiement et fait entendre de nombreuses
l’indice d’une hésitation. références au bas corporel (« Acacacacadémie
d’Antrhopopopométrie », l. 12). Le début avec les
onomatopées « quaquaquaqua » peut faire penser à
un disque rayé ou au cri des oiseaux, comme l’onoma-
topée qui renvoyait au chant d’oiseaux en grec ancien
et qui a donné le mot « barbare ». L’idée du disque

rayé revient avec l’écho étrange ligne 15 « il est établi ments vus dans l’étude de La Cantatrice chauve et
tablitabli ». Cette tirade est un véritable défi à l’oral : il à les mettre en lien avec cet extrait d’En attendant
est en effet difficile de parvenir à la prononcer sans se Godot afin d’en faire des exemples argumentatifs, et
tromper, selon un débit régulier et monotone, tout en non pas seulement illustratifs.
respirant. Une astuce pourrait être de théâtraliser les Le théâtre de l’absurde, comme son nom l’indique, se
respirations : demandez aux élèves de lire en allant le fonde sur l’illogisme. Les dialogues comme les situa-
plus loin possible dans leur souffle avant d’inspirer de tions n’ont aucun sens. Par exemple, La Cantatrice
nouveau de manière très visible. Vous pouvez jouer chauve commence par l’exclamation de Mme Smith
aussi sur le débit : il doit être monotone, certes, mais « Tiens, il est neuf heures » alors que la pendule vient
rien n’indique à quelle vitesse le texte doit être dit… de sonner dix-sept fois. Ionesco s’amuse à créer des
4. Dans la première partie de la tirade de Lucky dialogues inspirés des phrases toutes faites de la
(l. 1 à 10), Dieu est présenté comme « personnel », méthode Assimil pour montrer l’inanité des rapports
« à barbe blanche », doué « de sa divine apathie sa mondains. Dans la pièce de Beckett En attendant
divine athambie sa divine aphasie », il « nous aime Godot, la longue tirade de Lucky mêle des mots inven-
bien à quelques exceptions près » et « souffre » avec tés à des mots savants dans une logorrhée continue,
ceux qui sont dans « le tourment » et qui « porte- un flot verbal en apparence délirant et parodiant le
ront l’enfer aux nues » encore « si calmes » pour le discours scientifique, ainsi vidé de son sens. Les intri-
moment. Beckett propose ici un condensé parodique gues n’ont pas davantage de sens : les personnages de
du discours chrétien dont le dieu bienveillant est aussi, Beckett attendent Godot, qui n’arrive jamais, quand
ici, un dieu silencieux et passif, qu’on ne voit pas, les personnages d’Eugène Ionesco font de toute bana-
qu’on n’entend pas, dans ces « nues […] si calmes ». lité un événement. La notion même de personnage
Il n’intervient donc pas dans les choses humaines, et est vidée de son sens : chez Ionesco, ils sont inter-
la science ne peut rien non plus puisque, malgré les changeables ou portent tous le même nom. Aucun
progrès de l’alimentation, du traitement des déchets, des personnages de Beckett n’a de réelle psychologie.
la pratique du sport et le développement des antibio- Les personnages du théâtre de l’absurde n’expriment
tiques, l’homme maigrit et rapetisse, ce qui devrait pas réellement d’émotion, mais se laissent aller à la
l’amener, à terme, à disparaître. violence et à l’agressivité. Dans un univers privé de
tout sens et de toute valeur, privé de toute possibi-
5. Synthèse
lité de communiquer et d’échanger, les personnages
Si, en apparence, cette scène peut sembler grotesque
semblent perdre tout contrôle et tout respect de
et absurde, elle cache en réalité un discours très pes-
règles élémentaires de civilisation.
simiste sur la condition humaine, condamnée à peu à
Mais cette absence de sens est lourde de significa-
peu disparaître, sans que Dieu ou la science ne puisse
tion. Après la Seconde Guerre mondiale, la Shoah,
l’aider. La logorrhée de Lucky, si elle peut faire rire
Hiroshima et Nagasaki, la guerre froide faisant peser
au début, laisse rapidement place à un sentiment de
sur le monde l’angoisse d’un nouveau conflit, il semble
malaise. Celui-ci est dû à un trop-plein de parole vide
difficile de croire qu’un dieu préside au grand ordon-
de sens, ou plutôt d’une parole dénonçant tous les dis-
nancement du monde dans une logique dont les voies
cours cohérents et logiques qui en réalité ne donnent
seraient impénétrables. L’homme est seul. Et l’homme
pas de solution. Lucky incarne une forme d’échec de
est un monstre. Le Nouveau Théâtre propose une
l’humanité qui tente par tous les moyens de donner
vision très pessimiste de la condition humaine. Le rire
du sens à ce qui n’en a pas.
de Beckett ou d’Ionesco est éminemment tragique.
VERS LA DISSERTATION En ôtant toute psychologie à leurs personnages, ils
Dans l’apprentissage progressif de la méthode de la les réduisent à l’état de fantoches, de marionnettes,
dissertation, le sujet ici proposé met l’accent sur le perdus dans un univers sans sens et réduits à échanger
paragraphe argumenté et la relation entre l’idée et des banalités sans jamais réellement se comprendre.
l’exemple. Le sujet sous-entend les axes des deux Sous l’apparent illogisme du discours de Lucky se
paragraphes : cache un propos tout à fait sensé sur Dieu qui n’inter-
1. un théâtre en apparence illogique vient pas dans les affaires humaines et laisse l’homme
2. une absence de sens lourde de signification. peu à peu disparaître. À la fin de La Cantatrice chauve,
L’idée est d’amener les élèves à exploiter les élé- tout recommence, avec les Martin à la place des
Smith : c’est Sisyphe remontant éternellement son des droits et de la liberté du peuple haïtien s’ensuit
rocher sans jamais atteindre le sommet. Le théâtre immédiatement d’une scène dans laquelle Christophe
de l’absurde défend donc une position philosophique se révèle colérique et brutal. L’intervention de son
pessimiste sur la condition humaine : l’homme est épouse paraît vaine quand on le voit ensuite avec son
seul dans un univers dénué de sens. porte-voix, obligeant ses sujets à travailler derrière lui
comme des forcenés… ou des esclaves. Marc Zinga
ŒUVRE INTÉGRALE
incarne bien la folie de Christophe, aveugle à la souf-
De nouveau, il s’agit de permettre aux élèves de faire france de son peuple, porté par des idéaux trop grands.
le lien entre les deux œuvres, La Cantatrice chauve 1. Entrer dans le texte
et En attendant Godot. Ils devraient aisément le faire Christophe s’adresse d’abord à Vastey, son secrétaire,
entre cet extrait et celui des fables qui multiplient qui est un métis, un « griffe » dans le langage haïtien.
les connecteurs logiques, mais aussi avec le dénoue- Quand il est pris d’hallucination, il se parle à lui-même
ment, qui joue sur les sonorités et les onomatopées, et à son « ennemi invisible ». Enfin, il s’adresse direc-
ou encore le tout début, qui sonne comme un flot tement à l’Afrique, personnifiée en une sorte de for-
de paroles sans intérêt simplement ponctué par un midable allégorie sous les traits d’une mère.
« claquement de langue » de M. Smith. Le langage est
2. Césaire insiste avant tout par la répétition du mot
le moyen pour l’homme d’organiser et de penser le
« nègre » à quatre reprises dans la première réplique
monde qui l’entoure. Souligner l’arbitraire du langage,
de Christophe. Le terme, dévalorisant d’un point de
c’est en montrer l’inanité, c’est montrer l’inanité des
discours religieux ou scientifiques, l’absence de com- vue colonialiste, est ici au contraire traité comme un
munication possible entre les hommes, et finalement titre de noblesse puisque Christophe « sacre nègre »
l’absurdité du monde et de la condition humaine. En Vastey, et que le mot « Nègre » prend ensuite une
prolongement, il peut être intéressant de renvoyer majuscule. L’adresse directe à l’Afrique, personnifiée
les élèves à la page d’histoire littéraire sur le Nouveau sous les traits d’une mère qui protège et lave son
Théâtre pages 196-197. « vieil enfant » souligne de nouveau l’importance des
origines africaines du peuple haïtien qui puise sa force
PAGE 191 et sa pureté dans ces origines.
3. Langue
∞ Aimé Césaire, La Tragédie du roi

Christophe, 1964
Objectifs
La langue de Césaire est une langue poétique qui
joue des sons et des rythmes. On a vu la répétition
▶▶
du mot « nègre » qui scande la première réplique.
■■ Découvrir un auteur francophone. L’épanorthose de la ligne 2 permet aussi de jouer sur
■■ Travailler sur un épisode historique peu connu en
les verbes « connu » et « vécu » et sur la répétition du
France pourtant liée à l’histoire d’Haïti. « non ». La répétition de « au nom » à la ligne 4 sou-
■■ Étudier la langue poétique d’Aimé Césaire.
ligne la sacralité du moment et la gradation dans un
TICE rythme ternaire des verbes « je te baptise, te nomme,
1. Aimé Césaire traite d’un épisode réel de l’histoire te sacre nègre » (l. 5) donne de l’emphase à la déclara-
d’Haïti. En 1791, les habitants de Saint-Domingue tion de Christophe. Le personnage est emporté dans
(qui deviendra ensuite Haïti) prennent à la lettre la un lyrisme qui traduit aussi son émotion. Les mêmes
Déclaration des droits de l’homme et se déclarent procédés sont à l’œuvre dans sa dernière réplique :
« libres et égaux en droits » aux Français colonisa- interpellation de l’Afrique puis répétition de « défais-
teurs. Mais, rapidement, la révolution qui avait donné moi/défais m’en/on se défait » (l. 21-22) et de « lave-
naissance à la première République noire laisse place moi » (l. 25). De nouveau, on repère une gradation aux
à la dictature de Dessalines. À la mort de ce dernier, lignes 23-24 avec « de mes nobles, de ma noblesse,
le pays est divisé entre deux chefs d’État potentiels : de mon sceptre, de ma couronne » qui, plaçant la
Alexandre Piéton et Henri Christophe. Christophe couronne en dernier, le débarrasse des oripeaux de
s’empare d’une partie de l’île et se proclame roi. la monarchie.
2. La bande-annonce montre comment, une fois le 4. Emporté par sa folie, transporté par la cérémonie
pouvoir obtenu, Christophe bascule dans la violence. vaudou et diminué par son attaque cérébrale, il décide
Le sacre de Christophe et son serment de préservation de se suicider d’une balle dans la tête.

5. Synthèse les deux points de vue, en proposant des arguments
Le roi Christophe est un personnage tragique, car il est pour et contre à chaque fois, mais sans se contredire.
victime de sa démesure et dépassé par son destin. Il Il faut bien les amener à nuancer leur propos et à le
ne s’accomplit pleinement qu’en acceptant l’issue iné- fonder sur des exemples précis. Ce peut être l’occasion
vitable de son règne : son échec et sa mort. L’écriture de faire un parallèle avec d’autres personnages tra-
poétique d’Aimé Césaire élève ce personnage histo- giques comme Sisyphe ou Œdipe pour bien montrer
rique au rang de mythe. aux élèves que tragique ne rime pas forcément avec
mort.
VERS LE COMMENTAIRE
L’exercice proposé demande aux élèves de reprendre
une bonne partie des éléments de réponses au ques- ARTS DE LA SCÈNE
tionnaire qui précède. L’objectif est de les amener à L’attitude et le rire de Marc Zinga montrent un
classer et ordonner leurs relevés pour en proposer une Christophe détendu et heureux, mais le sang sur sa
analyse qui en fasse des exemples argumentatifs. On tenue est inquiétant. Il y a un contraste très fort entre
sera particulièrement attentif à l’insertion des cita- la décontraction du personnage et les traces de sang
tions dans le propos et à la structuration globale du sur sa chemise. On peut penser à un meurtrier sangui-
paragraphe : idée directrice, exemples analysés issus naire sans scrupule, totalement dénué de sens moral,
du texte, phrase conclusive. hilare après l’horreur.
La langue de Césaire est une langue poétique qui
joue des sons et des rythmes. La répétition du mot PAGE 192
« nègre » scande la première réplique. Le terme,
dévalorisant d’un point de vue colonialiste, est ici au
contraire traité comme un titre de noblesse puisque
Christophe « sacre nègre » Vastey, et que le mot
6 ernard-Marie Koltès, Le Jour des
B
meurtres dans l’histoire d’Hamlet,
1974
« Nègre » prend ensuite une majuscule. L’épanorthose ▶▶ Objectifs
de la ligne 2 permet aussi de jouer sur les verbes ■■ Découvrir un auteur contemporain majeur.
« connu » et « vécu » et sur la répétition du « non ». La ■■ Aborder le mythe d’Ophélie et d’Hamlet.
répétition de « au nom » (l. 4) souligne la sacralité du
moment et la gradation dans un rythme ternaire des 1. Entrer dans le texte
verbes « je te baptise, te nomme, te sacre nègre » (l. 5) Ophélie est un personnage de la tragédie Hamlet
donne de l’emphase à la déclaration de Christophe. Le de Shakespeare que l’on retrouve dans de nom-
personnage est emporté dans un lyrisme qui traduit breuses œuvres littéraires et plastiques : les élèves ne
aussi son émotion. L’adresse directe à l’Afrique, per- devraient avoir aucun souci à retrouver son histoire.
sonnifiée sous les traits d’une mère qui protège et lave Son destin est annoncé à la ligne 17 : « Pucelle, tu es
son « vieil enfant », souligne de nouveau l’importance entrée, plus jamais tu ne sortiras ».
des origines africaines du peuple haïtien qui puise sa 2. Langue
force et sa pureté dans ces origines. Dans la dernière Ophélie parle de manière décousue, en phrases mini-
réplique, les jeux de répétition de « défais-moi/défais males. La ponctuation forte montre l’agitation de la
m’en/on se défait » (l. 21-22) et de « lave-moi » (l. 25) jeune fille, qui passe de l’interrogation à l’exclama-
rythment le propos de manière musicale. De nouveau, tion sans raison apparente. Toutefois, la répétition
on repère une gradation aux lignes 23-24 avec « de de « quelle honte » (l. 7 puis 24), avec l’affirmation
mes nobles, de ma noblesse, de mon sceptre, de ma « je termine », montre que la jeune fille suit une idée
couronne » qui, plaçant la couronne en dernier, le fixe. Derrière l’apparente folie de son discours, la jeune
débarrasse des oripeaux de la monarchie. fille est lucide.
3. Bernard-Marie Koltès, dans son souci de réécriture
ŒUVRE INTÉGRALE
et de condensation, exploite des particularités de la
Les deux dénouements sont tout aussi tragiques : pièce de Shakespeare et utilise la pantomime comme
l’essentiel réside dans l’argumentation. On peut pro- manière de révéler la vérité dans le jeu d’Ophélie. Elle
poser cet énoncé à l’écrit comme à l’oral, dans le cadre trace des larmes sur le visage de Gertrude, qui ignore
d’un débat. L’idée est d’amener les élèves à défendre que son nouveau mari est l’assassin de son premier

mari et sera bientôt celui de son fils. Voler la couronne scène semblent être posées de manière aléatoire. On
du roi révèle l’imposture de Claudius. peut supposer que cet espace, parce qu’il fonctionne
4. Synthèse par suggestion plutôt que représentation, permettra
Ophélie, dans sa folie, dépasse les limites et ne de déplacer l’action d’un lieu à l’autre. Rabe Meier
s’empêche plus de dire ou montrer ce qu’elle sait. est au centre. À jardin, cinq personnages sont regrou-
Paradoxalement, c’est dans la folie qu’elle acquiert pés. Un sixième se situe de l’autre côté, comme un
une réelle lucidité. La première réplique de Claudius contrepoint. Les instants de dialogue s’insèrent dans
est en ce sens révélatrice : il redoute Ophélie, il la narration. Le chœur est à la fois narrateur et per-
redoute qu’elle « répand[e] de dangereuses pensées ». sonnage, comme le chœur des tragédies antiques. Il
Le personnage qui perd le contrôle est aussi un per- est un groupe d’habitants de la ville qui cherchent à
sonnage qu’on ne contrôle plus. L’invitation insistante comprendre ce qu’il s’est passé.
de Claudius pour que Gertrude parle avec la jeune fille 1. ENTRER DANS LE TEXTE
montre sa tentative désespérée de la ramener à la La didascalie insiste sur la dimension chorale du texte,
raison, et au silence. B.-M. Koltès, avec Shakespeare, mais un chœur constitué de sept voix bien distinctes.
s’inscrit dans la tradition du fou et du bouffon, ces Chaque personnage, dans ces moments narratifs,
personnages dont les facéties révèlent les vérités qui prend en charge un segment du récit, voire d’une
dérangent. même phrase. Il s’agit d’une réactualisation du chœur
antique, qui parlait d’une seule voix dans un chant,
ŒUVRE INTÉGRALE
et dont seul le coryphée pouvait prendre la parole et
Les personnages de La Cantatrice relèvent de la même dialoguer avec les protagonistes. Cette fois, ce sont
logique : leurs propos en apparence sans cohérence les personnages eux-mêmes qui prennent en charge le
révèlent une profonde vérité, celle d’une humanité récit, ceux qui ont vécu l’histoire et qui se présentent
qui ne parvient pas à communiquer. comme des témoins.
2. Le découpage du texte peut être multiple, selon
ARTS DE LA SCÈNE l’interprétation de chaque segment. Le premier
segment est induit par la coupe de la ligne 4. Le deu-
Ophélie joue avec les lettres de son prénom. On peut
xième segment s’étend de la ligne 5 à la ligne 7 : le
voir dans ce jeu le caractère enfantin d’Ophélie, qui
jeu des répétitions crée une unité. La ligne 8 peut
n’est encore qu’une jeune fille n’ayant pas encore
être entendue comme un segment isolé ou rattaché
profité de la vie, une « pucelle » qui ne sortira pas du
à la suite jusqu’au blanc typographique. La question
château en femme. Le morcellement de son prénom
se pose à nouveau dès la ligne 15 : faudrait-il mettre
renvoie aussi au morcellement de son esprit, quand
un point, un point-virgule ou une virgule entre les
elle perd la raison à la suite du meurtre de son père.
lignes 15 et 16 ? Les lignes 17 à 26 peuvent être
ponctuées de manière variée, mais constituent une
PAGE 193
partie sur la découverte de la mutilation de Rabe. Les
lignes 27 à 30 racontent les soins. Les dernières lignes
‡
▶▶
Dea Loher,
Le Dernier Feu, 2011
Objectifs
constituent la chute sur le terrible silence de l’homme.
3. Langue
■■ Aborder une autrice du domaine étranger.
Il n’y a aucune ponctuation forte. En revanche, il y
■■ Étudier une écriture contemporaine.
a des virgules : chaque retour à la ligne a du sens et
crée un rythme particulier. On peut faire travailler
■■ Réfléchir à l’équilibre entre innovation et tradition.
les élèves sur la lecture orale à plusieurs, mais aussi
TICE seul, en respirant à chaque retour à la ligne, comme
Le plateau est nu, il n’y a pas de décor : tout se fait à dans l’écriture en versets. En parallèle, on peut faire
vue, même la régie. Les sept personnages sont tou- lire le prologue de Juste la fin du monde de Jean-Luc
jours en scène : selon le même principe que notre Lagarce, qui repose sur la même logique d’écriture
extrait, la narration se prend en charge à sept voix. (texte en ligne : https://www.theatre-contemporain.
Les différents objets disposés sur le plateau suggèrent net/textes/Juste-la-fin-du-monde/infos-texte/type/
une chambre, une salle de bain. Les chaises en fond de extraits/).

4. Aux lignes 12 à 15, l’évocation de l’éternel recom- Proposition de début de tableau :
mencement de la chute peut faire penser au mythe
Tradition Innovation
de Sisyphe, condamné à faire éternellement rouler
jusqu’au sommet d’une montagne un rocher qui 1. Dea Loher (p. 193)
redescendait chaque fois juste avant d’arriver au
but. Sisyphe a été condamné, car il avait déjoué la – chœur antique – écriture
mort, Thanatos. Rabe Meier crie, lui, parce qu’il a vu – tradition du récit contemporaine, sans
la mort aussi. ponctuation
5. De nouveau, comme avec le chœur, Dea Loher – succession de voix
reprend une tradition, celle du récit des événements – mélange dialogue et
violents et sanglants. Déjà pratiqué dans les tragédies narration
antiques, il s’agit cette fois surtout de la tradition du
2. Bernard-Marie Koltès (p. 192)
théâtre classique français respectant les règles de
bienséances (ne rien représenter sur scène qui pour- – réécriture du mythe – condensation du
rait choquer) et de vraisemblance (difficile de repré- d’Hamlet et Ophélie mythe
senter un homme qui se mutile chaque soir sur le – la relation entre – écriture nerveuse et
plateau). les générations, les tendue
6. Synthèse histoires de famille
Il peut être intéressant de vraiment laisser la parole
aux élèves. Le geste de Rabe Meier qui s’automutile 3. Eugène Ionesco (p. 178-185)
en se limant les doigts, comme s’il avait du sang sur
les mains ou s’il se punissait de ne pas avoir su ou pu – reprise de toutes les – jeu et
attraper l’enfant avant que la voiture ne le percute, traditions théâtrales détournement :
peut être sujet à diverses interprétations. Concernant Ionesco adopte les
le cri, on peut leur montrer le tableau de Munch et règles traditionnelles
de nouveau laisser libre cours à l’interprétation de pour les détourner
chacun. (progression de
l’intrigue, psychologie
VERS LA DISSERTATION des personnages,
Ce sujet se fonde notamment sur ce texte et celui
dialogues…)
de Bernard-Marie Koltès, qui propose une réécri-
ture d’Hamlet, ainsi que toute la dimension méta- 4. Emmanuel Darley (p. 151)
théâtrale de La Cantatrice chauve, qui joue avec les
traditions. Il serait intéressant d’inviter les élèves à – le monologue et – forme d’écriture
parcourir les autres séquences autour du théâtre, l’adresse directe au contemporaine
mais aussi à chercher dans leurs propres références spectateur – retours à la ligne
littéraires éventuelles, afin d’alimenter la réflexion. – le récit au théâtre comme des vers
Le sujet invite notamment à voir comment l’écriture – la relation entre – thème de la
contemporaine, tout en s’inscrivant dans la tradition les générations, les transsexualité
dont elle est l’héritière, parvient à renouveler l’écri- histoires de famille
ture théâtrale en proposant des formes originales. En
d’autres termes, il s’agit de réfléchir à la manière dont 5. Bertolt Brecht (p. 150)
toute création se trouve à la fois dans l’héritage du
– respect de l’ordre de – distanciation
passé et dans la proposition nouvelle et originale, dans
l’intrigue brechtienne : refus
l’imitation et dans l’écart.
– psychologie des de créer une illusion
personnages parfaite, nécessité de
– dialogues rappeler au spectateur
traditionnels qu’il est au théâtre et
le laisser actif

– angoisse ; affolement
6. Hélène Cixous (p. 171)
– délire ; aveuglement
– souffle épique – faits et personnages – hallucination
– éloignement historiques du – rage ; fureur
géographique : l’Inde, xxe siècle 2. Dans l’ordre de l’énoncé : délirant – enragé –
pays mythique, – enjeux politiques : maniaque – angoissé – extravagant – loufoque
comme Thèbes ou décolonisation et – inquiet – bizarre – affolé – halluciné – furieux –
Trézène, qui joue démocratie aveuglé – déraisonnable – incohérent
sur l’imaginaire du L’ensemble des personnages de La Cantatrice chauve
spectateur peuvent être caractérisés de loufoques et extrava-
– plaire (dimension gants. À la fin, leur colère peut aussi les faire paraître
spectaculaire) et enragés et délirants. Médée est une femme bafouée
instruire et furieuse. Harpagon appartient à la longue série de
personnages maniaques de Molière. Quand il pense
7. Joël Pommerat (p. 200-209) avoir perdu son argent, il s’affole et devient complè-
tement incohérent, prêt à se faire arrêter lui-même,
– tradition du conte – réécriture théâtrale dans un propos qui montre tout son caractère exces-
merveilleux – modernisation sif et déraisonnable. Lorenzaccio est très angoissé à
– violence et cruauté et déplacement quelques heures de passer à l’acte. On peut com-
– ironie et satire prendre qu’il hésite et soit inquiet des conséquences
de notre monde de son meurtre. Lucky est très bizarre, aussi bien dans
son attitude que dans son discours. Ophélie aussi est
8. Fabrice Melquiot (p. 215)
bizarre, ses gestes et propos semblent incohérents,
– référence à – création d’une sœur même s’ils révèlent des vérités. Le roi Christophe, lui,
Shakespeare fictive, comme l’avait d’abord aveuglé par ses grands idéaux et par l’aura
– conditions du déjà fait Virginia du pouvoir, finit par devenir complètement halluciné.
théâtre dans Woolf dans Une Rabe Meier, enfin, peut paraître le moins fou, mais
l’Angleterre Chambre à soi, mais son cri et son geste terrible relèvent clairement de la
élisabéthaine cette fois l’héroïne folie et de la fureur.
ne se plie pas aux EXERCICE 2. Expressions imagées
règles machistes de sa 1. Liste des expressions argotiques : avoir une araignée
société au plafond ; péter les plombs ; avoir un petit vélo dans
– personnage féminin la cafetière ; avoir une case en moins ; perdre le nord ;
et féministe être à l’ouest.
– innovation formelle : 2. Quelques autres expressions : perdre la boule ;
mélange de lettres et perdre les pédales ; péter un câble ; péter un boulon ;
de monologues travailler du chapeau ; être tombé sur la tête ; être
toc-toc ; être un agité du bocal ; marcher sur la tête ;
avoir un pet au casque ; etc. Ouvrez les propositions
PAGE 194
aux expressions argotiques d’aujourd’hui, que souvent
les élèves connaissent mieux que les adultes…
LEXIQUE ET ÉCRIT D’APPROPRIATION L’important est surtout de travailler sur une expres-
sion imagée pour l’étape 3 de l’exercice.
La folie EXERCICE 3. Étymologie
1. On peut inviter les élèves à rechercher les mots
EXERCICE 1. Classement et dérivation dans l’un des dictionnaires étymologiques accessibles
1. Du moins fort au plus fort : en ligne : www.littre.org ou bien www.cnrtl.fr.
– extravagance ; loufoquerie ; bizarrerie – galimatias : discours incohérent, confus, obscur ;
– inquiétude étym. incertaine : « Faut-il le rattacher au bas
– manie ; déraison ; incohérence latin ballimatia (DU CANGE, ballare), qui signifiait

cymbales ; vallematia, dans les gloses d’Isidore, EXERCICE 4. Antonymes et connecteurs logiques
chants et plaisanteries déshonnêtes ; du bas grec 1. illogique – déraisonnable – irresponsable – insensé –
βαλλισματιον, βαλληματιον, qui signifiait danse ? incohérent – incompréhensible – irrationnel
On a dit que galimatias venait de ce qu’un avocat,
2. Liste non exhaustive :
plaidant en latin pour Mathias, dans une affaire où il
s’agissait d’un coq, s’embrouilla au point de dire galli Connecteurs Sens
Mathias au lieu de Gallus Mathiae ; mais l’anecdote a
été inventée pour fournir l’étymologie. » (Littré) en premier lieu, pour début, ouverture,
– charabia : langue qu’on ne comprend pas ; étym. commencer, (tout) introduction
supposée : de l’arabe al-arabîya, « la langue arabe », d’abord
par l’intermédiaire de l’espagnol algarbía.
– pataquès : faute de liaison ; étym. supposée : « un en résumé, en fin, bilan, conclusion
plaisant était à côté de deux dames ; tout à coup il dernier lieu, en fin de
trouve sous sa main un éventail. – Madame, dit-il compte, en somme,
à la première, cet éventail est-il à vous ? – Il n’est dans l’ensemble, en
point-z-à-moi, monsieur. – Est-il à vous, madame ? définitive
dit-il en le présentant à l’autre. – Il n’est pas-t-à
d’une part… d’autre addition
moi, monsieur. – Puisqu’il n’est point-z-à vous et
part, de même, de
qu’il n’est pas-t-à vous, ma foi, je ne sais pas-t-à
plus, en outre, encore,
qu’est-ce ! L’aventure fit du bruit, et donna naissance
également, aussi, par
à ce mot populaire, encore en usage aujourd’hui »
ailleurs, et
(Domergue, Manuel des amateurs de la langue fran-
çaise, p. 465, cité par Littré). car, parce que, cause
– baragouin : façon de parler qui déforme tellement puisque, étant donné
les mots qu’on ne les comprend plus ; étym. : du bas que, comme,
breton bara, « pain », et gwîn, « vin », deux mots que sous prétexte que,
l’on entendait souvent dans la bouche des Bretons qui comme, du fait que,
ne parlaient le plus souvent pas français. de fait, en effet
– jargon : langage inintelligible pour la plupart des
gens, parfois par posture intellectuelle, pour paraître donc, aussi (inversion conséquence
plus intelligent qu’on ne l’est ; étym. fondée sur la du sujet), alors, en
racine onomatopéique garg- désignant ce qui vient conséquence, par
de la bouche et que l’on retrouve dans gorge ou conséquent, c’est
gargouille. pourquoi, d’où, ainsi
– lapalissade : expression d’une évidence ; étym. (inversion du sujet),
dérivée du nom du seigneur de La Palisse sur lequel on dès lors
avait écrit une chanson populaire remplie de vérités
dans ce but, à cette but
toutes plus évidentes les unes que les autres.
fin, pour que, afin que
– sophisme : raisonnement en apparence logique,
mais qui aboutit à une conclusion absurde ; étym. mais, or, cependant, opposition
grecque : sophisma, « habileté, adresse, invention néanmoins, pourtant,
ingénieuse, raisonnement séduisant, mais trompeur ». d’ailleurs, au contraire,
– aphorisme : phrase résumant en peu de mots une en revanche
pensée, une théorie ; étym. grecque : aphorismos,
« définition » certes, toutefois, bien concession
– logorrhée : flux de paroles inutiles ; étym. grecque : que, il est vrai que,
logos, « parole », et -rhée, « flux ». encore que, même si
2. On peut évidemment étendre la recherche au texte
ou bien… ou bien, alternative
de Samuel Beckett (p. 190) qui est en lui-même une
soit… soit…
logorrhée jargonneuse.

PAGE 195 sens », « situations imprévisibles », « personnages
déshumanisés », « cruauté », « perte des repères ».
Enfin, autour du pôle « condition humaine », on peut
LECTURES CURSIVES mettre : « rire tragique », « dérision », « désespoir »,
« solitude », « pas de transcendance », « néant ».
ACTIVITÉ 1. Fiches cliniques des patients
2. L’écrit d’appropriation reprend des schémas utilisés
L’objectif de cette activité est de garder trace sous
dans des pièces absurdes : Les Chaises, La Leçon ou
forme un peu ludique d’au moins trois personnages de
encore La Cantatrice chauve de Ionesco, mais aussi
la littérature française ou étrangère. La fiche clinique
les courtes pièces de Jean Tardieu regroupées dans
est une manière détournée de définir ce personnage
La Comédie de la comédie.
de manière assez précise et nuancée : en effet, on ne
peut pas mettre au même niveau la folie douce des
Smith et des Martin, la fureur de Médée et le désespoir PAGE 198
d’Ophélie ou de Rabe Meier. BAC Commentaire
ACTIVITÉ 2. Portrait chinois Introduction
Cette activité complète la première : cette fois, il s’agit Dans Notes et contre-notes (1962), Ionesco explique
de travailler par associations d’idées et en images. Les qu’il n’aime pas le théâtre. Voilà pourquoi il propose
légendes sont essentielles : les élèves apprennent ainsi un « anti-théâtre », sous titrant sa pièce La Cantatrice
à la fois à écouter leurs intuitions et à les exploiter en chauve (1950) « anti-pièce ». Dès l’ouverture, il
un propos plus raisonné. On travaille les compétences s’amuse avec les conventions théâtrales qu’il détourne
d’analyse, mais aussi celles de création et d’invention. à loisir. Le public assiste aux échanges un peu fous
de six personnages : M. et Mme Smith, M. et Mme
ACTIVITÉ 3. Scénographie et univers mental Martin, Mary, la bonne, et le Capitaine des Pompiers.
Le travail sur la scénographie est toujours très éclai- Dans la première scène, Mme Smith explique tout ce
rant pour les textes de théâtre, qui n’est complet qu’elle a mangé dans la journée, tandis que son mari
qu’avec l’imagination du lecteur ou la réalisation lit le journal et ponctue le dialogue de claquements
scénique pour le spectateur, comme l’explique très de langue. Par cette parodie de scène d’exposition,
bien Anne Ubersfeld. Créer un espace scénique sym- Ionesco donne le ton. Soudain, M. Smith annonce la
bolisant un espace mental permet de sortir du réa- mort de Bobby Watson, premier faux événement de
lisme et libère souvent l’imaginaire des élèves, qui la pièce. Comment Ionesco joue-t-il des conventions
font des propositions la plupart du temps très riches. en proposant ce faux nœud d’intrigue ? À travers un
Attention : le décor doit être pensé pour accueillir dialogue éminemment absurde, Ionesco propose une
des acteurs. parodie savoureuse des ressorts traditionnels des
intrigues théâtrales.
1. Un dialogue absurde
PAGES 196-197 L’exclamation de M. Smith au sujet de la mort de
Bobby Watson peut donner l’impression tout d’abord
qu’il s’agit d’un événement, mais en réalité il n’en est
rien. S’ensuit un dialogue totalement incohérent qui
aboutit à un véritable dialogue de sourds.
Le « Nouveau Théâtre »
a) Un faux événement
1. Pour créer cette carte mentale, on peut placer L’exclamation de M. Smith qui ouvre l’extrait inter-
au centre « Nouveau Théâtre » et disposer autour vient après un long silence. Depuis le début de la pièce,
trois premières bulles correspondant aux trois enca- seule Mme Smith parle ; M. Smith ne produit que
drés : « anti-traditions », « absurde », « condition des claquements de langue. Cette première phrase
humaine ». Autour de ces trois pôles, les mots en gras est donc déjà, en soi, un événement. L’expression de
peuvent constituer un deuxième niveau. Autour du surprise « Tiens » (l.1), renforcée par l’exclamation
pôle « anti-traditions », on peut mettre : « temps », « Mon Dieu » (l.2) dans la réponse de Mme Smith
« lieu », « action », « caractère », « langage ». Autour donne l’impression qu’il s’agit d’une véritable décou-
du pôle « absurde », on peut mettre : « absence de verte pour les personnages. Cela crée en outre une

rupture dans le long et insipide déroulement du récit c) Un dialogue de sourds
de la journée de Mme Smith. Le spectateur peut donc Dès le départ, M. et Mme Smith ne se comprennent pas.
légitimement croire que la mort de Bobby Watson Si Mme Smith réagit bien par la surprise à l’annonce
va déclencher le début de l’intrigue, comme cela se de la mort de Bobby Watson, ce qui est la réaction
fait traditionnellement. Mais, immédiatement, la attendue, M. Smith agit en contradiction totale avec
réplique de M. Smith désamorce la surprise de sa lui-même. Son exclamation inaugurale « Tiens » (l. 1)
femme qui à son tour affirme qu’elle n’est pas surprise sous-entendait qu’il découvrait la nouvelle dans le
du tout. Il s’agit donc d’un faux événement. La mort journal. Mais alors que son épouse marque elle aussi
de Bobby Watson, qui a eu lieu, nous l’apprendrons sa surprise, il lui demande pourquoi elle prend « cet
dans les répliques qui suivent, il y a « deux ans » (l. 4) air étonné » puisqu’ils ont « été à son enterrement il
ou « quatre ans » (l. 11), est en réalité un fait connu y a un an et demi » (l. 3-4). À la ligne 7, il affirme qu’il
de tous puisqu’il était même « le plus joli cadavre de n’a pas lu la nouvelle dans le journal, ce qui s’oppose
Grande-Bretagne » (l. 10). La mort de Bobby Watson parfaitement à sa première phrase, quand il dit que
ne peut donc pas être le nœud de l’intrigue : la scène « c’est écrit que Bobby Watson est mort » (l. 1). Enfin,
d’exposition, qui n’apprend rien vraiment aux specta- sa description de la femme de Bobby Watson aux
teurs, continue. Ionesco joue aussi bien avec les tra- lignes 23 à 25 se contredit parfaitement en quatre
ditions qu’avec les attentes du spectateur, qui peut phrases construites exactement de la même manière,
trouver ce début de pièce étrange, d’autant que le mais énonçant chaque fois le contraire, comme dans
propos commence à perdre de sa cohérence. un exercice de grammaire. L’influence de la méthode
b) Bobby Watson, un « cadavre vivant » Assimil, inspiration d’Eugène Ionesco pour écrire sa
Tout le dialogue repose sur des contradictions et pièce, est ici bien visible. Mme Smith n’est pas plus
des incohérences. Ionesco s’amuse particulièrement cohérente dans son discours. Après avoir marqué la
à confondre le mort et le vivant. En effet, M. Smith surprise, elle affirme qu’elle « [s]e rappelle » évidem-
explique que Bobby Watson était « un véritable ment que Bobby Watson est mort et qu’ils ont été
cadavre vivant » (l. 12) qui ne « paraissait pas son à son enterrement, et que c’est la surprise de son
âge » (l. 10-11) puisqu’après « quatre ans », il était mari qui l’a étonnée, ce qui ne correspond pas du
« encore chaud » (l. 11). Le fait d’être « si bien tout à sa question initiale : « quand est-ce qu’il est
conservé », comme dit Mme Smith à la ligne 9, en mort ? » (l. 2) Alors que c’est elle qui parle de Booby
faisait « le plus joli cadavre de Grande-Bretagne » Watson, l’épouse de Bobby Watson, elle demande à
selon M. Smith (l. 10). Même l’épouse de Bobby son mari s’il la connaît (l. 20) puis déclare qu’elle ne
Watson, qui porte son nom, est parfois prise pour l’a jamais vue (l. 22) alors qu’elle est allée à l’enterre-
son mari, comme si les vivants et les morts pou- ment, où M. Smith l’a vue, comme il le dit à la ligne 21.
vaient se confondre. Mais alors, la pensant morte, Tout ce dialogue ressemble à un dialogue de sourds.
les gens « lui présentent des condoléances » (l. 19), Pourtant, M. et Mme Smith font comme si de rien
ce qui bien évidemment n’a pas de sens puisque n’était et comme si tout était normal.
l’on présente des condoléances aux vivants. La Transition : Le spectateur assiste donc à l’annonce
deuxième incohérence majeure du dialogue est la d’un faux événement, qui aurait pu constituer le
temporalité. Toutes les indications de temps se départ d’une intrigue après la longue exposition de
contredisent : Bobby Watson est mort « il y a deux Mme Smith, mais il n’en est rien. Le dialogue autour
ans » et son enterrement a eu lieu « il y a un an et de la mort de Bobby Watson repose sur un mélange
demi » (l. 4), mais cela faisait « déjà trois ans » (l. 7) des temporalités et du mort et du vivant, dans une
qu’on avait parlé de sa mort alors qu’il était mort incohérence qui atteint même les personnages.
« quatre ans » (l. 11) auparavant. L’intervention de Ceux-ci ne semblent toutefois pas se rendre compte
la pendule, dont les coups sont aléatoires depuis le de l’absurdité de leurs propos. Ionesco s’amuse avec
début, soulignant l’absurde temporalité de la pièce, les codes et propose ici une scène éminemment
fait basculer le dialogue de nouveau du mort vers le parodique.
vivant : Bobby Watson semble être revenu à la vie et 2. Un dialogue parodique
préparer son mariage pour « le printemps prochain, Ionesco s’amuse avec les codes, notamment ceux
au plus tard » (l. 29). Rien ne fait vraiment sens dans de la conversation mondaine. Il dénonce ainsi une
ce dialogue qui s’apparente à un dialogue de sourds. certaine mentalité bourgeoise à travers deux per-

sonnages éminemment ridicules. Mais ce rire cache jeu de contradictions et d’associations d’idées ou de
un discours très sérieux sur l’homme et la condition sons. Derrière ce dialogue absurde et ces personnages
humaine. ridicules se cache en réalité un auteur qui tient indi-
a) Une parodie de dialogue mondain rectement un discours plus profond sur l’homme.
L’annonce de la mort de Bobby Watson indique au c) Une parodie des échanges humains
départ que M. Smith est en train de lire la rubrique M. et Mme Smith ne se comprennent pas, mais
nécrologique du journal. Les décès sont publiés font comme si de rien n’était. Leurs dialogues n’ont
chaque semaine ou chaque jour et sont souvent le aucun sens. Même la temporalité n’est plus linéaire.
sujet de conversations. On parle des morts comme L’intervention de la pendule semble modifier com-
l’on parle du temps. Les commentaires sur le physique plètement le dialogue, passant d’un échange sur la
de Bobby Watson, « le plus joli cadavre de Grande- mort de Bobby Watson et sa veuve à leur mariage
Bretagne » (l. 10), « si bien conservé » (l. 9) et « ne à venir. Ils ne semblent ressentir aucune émotion
paraiss[ant] pas son âge » (l. 10-11) sont typiques non plus. L’expression « La pauvre Bobby » (l. 13) est
des conversations mondaines, friandes de « potins ». vidée de toute compassion par l’absurdité apparente
On peut aussi imaginer qu’ils sont en train de parler du déterminant, soulignée par M. Smith immédiate-
d’une célébrité, puisqu’il s’agit du « plus joli cadavre de ment après. Mais même quand Mme Smith explique
Grande-Bretagne » : l’hyperbole et l’échelle nationale que « c’est à sa femme qu[« elle] pense » (l. 15), elle
peuvent sous-entendre que tout le monde en parlait n’exprime aucune tristesse réellement. Elle passe à un
dans le journal. Les commentaires sur le physique de discours informatif sur le nom des Bobby Watson et
l’épouse de Bobby relèvent de la même logique. Nous les confusions alors engendrées, sur un ton d’évidence.
assistons à une caricature de conversation mondaine Il n’est pas aisé de déterminer à qui elle s’adresse.
entre deux personnages qui s’ennuient. L’incohérence du dialogue autorise à penser qu’elle
b) Des personnages ridicules explique tout cela à son mari. Mais l’explication sur le
M. et Mme Smith se montrent ainsi sous un jour des cadavre de Bobby par M. Smith deux répliques aupa-
plus ridicules. Non seulement ils parlent de la mort ravant s’adresse plutôt aux spectateurs puisqu’elle
comme s’ils parlaient du temps, mais en plus ils font confirme le commentaire de Mme Smith sur l’éton-
preuve d’une parfaite mauvaise foi. Les contradic- nante conservation de Bobby. Les personnages ne se
tions dans leurs propos sont flagrantes, et chacun parlent donc pas vraiment. Ils échangent des propos
d’eux les souligne chez l’autre. Quand Mme Smith incohérents, s’attaquent à moitié, se détournent l’un
répond à l’annonce de la mort de Bobby Watson, on de l’autre pour parler au public. Dans ce monde vide
peut imaginer qu’il se tourne vers elle et s’adresse de sens dans lequel ils vivent, ils ne peuvent même
à elle sur un ton qui sous-entend qu’elle n’est pas pas s’appuyer l’un sur l’autre, puisqu’ils ne commu-
logique ou qu’elle n’a plus toute sa tête pour lui niquent pas. L’image des rapports humains ici mise
demander : « Pourquoi prends-tu cet air étonné ? en scène par Ionesco, si elle paraît drôle de prime
Tu le savais bien. » (l. 3) Ici, on peut supposer que abord, semble bien pessimiste et triste. Ces person-
Ionesco s’amuse encore avec les codes traditionnels nages ridicules dénués d’émotion ne sont peut-être
de la scène d’exposition qui veulent que les person- finalement pas plus vivants que Bobby Watson. De
nages échangent des informations qu’ils connaissent même que l’idée que l’on puisse confondre les gens
déjà, mais semblent les apprendre, afin de la partager qui portent le même nom ou les vivants et les morts,
avec le public. À la réplique suivante, Mme Smith fait si cocasse soit-elle, montre en définitive la dimension
preuve d’une mauvaise foi évidente et répond natu- dérisoire de l’homme.
rellement par l’attaque : « Je me suis rappelé tout de Conclusion
suite, mais je ne comprends pas pourquoi toi-même Ionesco tient un discours plus sérieux et plus grave
tu as été si étonné de voir ça sur le journal » (l. 5-6). qu’il n’y paraît. Sous des airs de saynète comique
L’allitération en [t] connote une certaine agressivité mettant en scène des personnages ridicules tenant un
dans le propos, à laquelle M. Smith répond de nouveau discours incohérent sur un faux événement, il parodie
par la plus parfaite mauvaise foi : « Ça n’y était pas sur les conversations mondaines de personnages vaniteux
le journal. […] Je m’en suis souvenu par association et de mauvaise foi, et révèle le caractère dérisoire
d’idées. » (l. 7-8) De nouveau, on peut repérer ici un des préoccupations humaines. Les personnages de
clin d’œil de l’auteur qui construit ses dialogues par La Cantatrice chauve sont finalement des fantoches

déshumanisés, incapables de communiquer, évoluant raconter des fables. La dernière scène voit le dialogue
dans un monde dénué de sens. Le comique de Ionesco se déliter de plus en plus jusqu’à l’explosion de fureur
est un comique terrible, un comique « sans issue », qui conduit les Smith et le Martin à hurler « c’est pas
« plus désespérant que le tragique » (Notes et contre- par là ! c’est par ici ! » (scène 11) avant un noir. Alors,
notes, 1962). tout recommence, les Martin ayant pris la place des
Smith. Il ne se passe donc rien dans La Cantatrice
PAGE 199 chauve : il n’y a ni début ni fin, simplement un éternel
recommencement pour des personnages eux-mêmes
BAC Disseration sur une œuvre intégrale interchangeables.
Introduction b) La psychologie des personnages
Dans Notes et contre-notes (1962), Ionesco explique Les personnages d’Eugène Ionesco ne semblent pas
qu’il n’aime pas le théâtre. Voilà pourquoi il propose posséder d’identité propre. Smith est l’un des noms
un « anti-théâtre », sous titrant sa pièce La Cantatrice les plus communs en Angleterre, Martin l’un des noms
chauve (1950) « anti-pièce ». Pourtant, cette « anti- les plus communs en France. Mary, ou Marie en fran-
pièce » est jouée tous les soirs depuis 1957 au théâtre çais, est le prénom féminin le plus répandu lui aussi.
de la Huchette à Paris. Des metteurs en scène comme Toute la famille de Bobby Watson s’appelle Bobby
Jean-Luc Lagarce, Pierre Pradinas ou Laurent Pelly se Watson, si bien qu’« on ne pouvait pas les distinguer
sont emparés de cette pièce absurde pour en propo- quand on les voyait ensemble » (scène 1). Le Capitaine
ser des spectacles hauts en couleur et modernes. Ils des Pompiers, quant à lui, n’est désigné que par sa
y ont donc trouvé une matière théâtrale à exploiter. fonction, il n’a pas de nom. Cette particularité des
Dans quelle mesure la pièce d’Eugène Ionesco est-elle personnages de Ionesco, interchangeables et sans
alors réellement une « anti-pièce » ? Nous essaierons personnalité propre, est bien mise en scène par Jean-
dans un premier temps d’expliquer les raisons pour Luc Lagarce qui donne le même costume aux deux
lesquelles Ionesco a sous-titré sa pièce « anti-pièce », couples, tout en jouant sur les physiques des comé-
puis nous chercherons les raisons pour lesquelles cette diens : Mme Smith est toute petite, Mme Martin est
pièce est toujours autant montée au théâtre. très grande, M. Smith est plutôt rond, M. Martin est
1. Une « anti-pièce » très mince. Cette absence de personnalité se double
Ionesco qualifie sa pièce d’« anti-pièce », car il d’une absence d’émotions et de réflexion. Les dialo-
détourne toutes les règles traditionnelles du théâtre, gues sont une accumulation de phrases toutes faites
aussi bien en matière de construction de l’intrigue, imitées de la méthode Assimil ou de clichés. Les seules
de psychologie des personnages que d’emploi du émotions que les personnages expriment sont l’aga-
langage. cement et la colère, à la fin bien sûr, mais déjà au cours
a) La construction de l’intrigue de la pièce. Dans la scène 7 par exemple, M. Smith
Toute la pièce repose sur le détournement des reproche aux Martin d’être en retard. Puis, quand on
schémas traditionnels de construction de l’intrigue. sonne à la porte mais qu’il n’y a personne, il se dispute
La scène d’exposition, par exemple, ne nous apprend avec sa femme. On a donc affaire à des personnages
rien. L’annonce de la mort de Bobby Watson, qui totalement déshumanisés qui ne parviennent pas à
pourrait constituer un événement et éventuellement communiquer.
le début d’un nœud d’intrigue, se révèle une fausse c) L’emploi du langage
annonce puisqu’il est mort depuis « deux ans » ou Traditionnellement, au théâtre, l’action avance grâce
« quatre ans » (scène 1). La scène de reconnaissance aux dialogues. Eugène Ionesco explique dans Notes et
des Martin survient dès la scène 4 alors que, tradi- contre-notes que l’idée de La Cantatrice chauve lui est
tionnellement, ce type de scène met fin aux péripé- venue alors qu’il essayait d’apprendre l’anglais avec la
ties dans un retournement de situation qui permet le méthode Assimil. Il s’est inspiré de ces phrases toutes
dénouement. De plus, Mary, la bonne, nous apprend faites sans réelle connexion entre elles pour créer sa
dès la scène 5 qu’en réalité, les deux époux ne se sont pièce de théâtre. Les dialogues dans La Cantatrice
pas reconnus et qu’ils ne sont pas ceux qu’ils croient. chauve semblent n’avoir aucun sens. En réalité, en
L’arrivée d’un nouveau personnage dans la scène 7, y regardant de plus près, ils avancent et progressent,
le Capitaine des Pompiers, ne crée finalement aucun mais selon une logique qui n’est pas linéaire : ils pro-
événement majeur : les personnages ne font que se gressent par contradiction, associations d’idées ou de

sons, série de proverbes et phrases toutes faites. Par personnage. On peut penser aux comédies de Molière
exemple, dans le dialogue entre M. et Mme Smith sur ou de Marivaux. La crise finale est une caricature de
la mort de Bobby Watson (scène 1), le dialogue pro- la « catastrophe » des tragédies antiques, au moment
gresse par contradictions. À la fin de la fable du jeune où la crise touche à son paroxysme. Mais cette fois, la
veau (scène 8), le dialogue progresse par associations crise ne résout rien, elle n’aboutit qu’au recommen-
d’idées : « les circonstances à la mode » amène « à la cement de la pièce, les Martin remplaçant les Smith.
mode de Caen » qui amène « comme les tripes ». La Toute La Cantatrice chauve repose ainsi sur un détour-
scène 11 est une série de phrases toutes faites et de nement des schémas traditionnels auxquels le spec-
slogans, comme « À bas le cirage » qui déclenche la tateur est habitué. Ionesco s’amuse ainsi à créer une
furie finale. Mais l’habileté de Ionesco réside dans le connivence avec le public dont il déjoue les attentes.
fait que, malgré tout, une histoire se dessine souvent, b) La connivence avec le spectateur
notamment grâce aux réactions des personnages. De Toute la pièce repose sur un détournement des
plus, si l’on y regarde de près, au sens littéral, chaque conventions théâtrales. Poussées à l’extrême, elles
phrase a du sens. Au spectateur de se laisser porter deviennent visibles et conscientes pour le public, qui
au gré de ces dialogues sans y chercher un message alors en mesure toute l’absurdité. Comment imagi-
précis, clair et explicite, d’accepter le temps de la ner en effet que des personnages se rappellent l’un
représentation de se laisser emporter dans un univers à l’autre ce qu’ils savent déjà ou que les apartés ne
étrange et un peu fou. soient entendus que du spectateur ? Ionesco crée ainsi
Transition : La Cantatrice chauve est donc bien une une connivence avec le spectateur qui prend plaisir
« anti-pièce » dans le sens où elle s’oppose à toutes les à reconnaître les schémas de l’illusion théâtrale tra-
conventions théâtrales. Toutefois, ce refus des règles ditionnelle et à les voir ainsi ridiculisés. Mais il prend
n’en fait pas moins une pièce de théâtre qui est jouée aussi plaisir à observer ces étranges personnages que
sans discontinuer depuis 1957 à Paris. Ionesco a créés pour lui. Si leurs propos sont consti-
2. Une pièce éminemment théâtrale tués de phrases toutes faites et de clichés, ils cor-
La Cantatrice chauve est une pièce éminemment théâ- respondent eux-mêmes à des clichés. La didascalie
trale jouée sans interruption depuis sa création, car initiale repose quasiment exclusivement sur l’idée
elle révèle les conventions théâtrales en les poussant qu’un Français se fait d’un « intérieur bourgeois
à l’extrême, créant une connivence avec le spectateur anglais, avec des fauteuils anglais » et d’un couple
et proposant finalement un Nouveau Théâtre. « anglais ». Monsieur lit le journal, tandis que Madame
a) Révéler les conventions théâtrales raccommode des chaussettes. Les dialogues entre
Dans la tradition d’autres auteurs de théâtre avant les Smith, puis avec les Martin et le Capitaine des
lui comme Molière ou Marivaux, Ionesco dénonce Pompiers imitent les conversations mondaines des
les conventions théâtrales dont il démonte les res- milieux bourgeois : Ionesco nous donne ici la satire
sorts. Il les rend évidentes en les poussant à l’extrême. « d’une sorte de petite bourgeoisie universelle, le
Par exemple, la scène d’exposition dans laquelle petit-bourgeois étant l’homme des idées reçues, des
Mme Smith nous présente le menu de son dernier slogans, le conformiste de partout ». Le public rit de
repas afin de donner aux spectateurs des informations ces Anglais ridicules, mais la fin de la pièce qui fait que
sur la situation en cours est parfaitement saugrenue. tout recommence, cette fois avec les Martin, consti-
Mais si l’on y pense, il s’agit bel et bien de ce qu’il tue un dernier pied de nez de Ionesco à son public.
s’est passé peu de temps avant le lever de rideau. En effet, si Smith est l’un des noms les plus courants
Dans le même esprit, la scène de la reconnaissance en Angleterre, Martin est l’un des noms les plus cou-
des Martin est tout à fait absurde puisqu’ils vivent rants en France. On pourrait donc imaginer que tout
ensemble et sont venus par le même train. Ionesco recommence, mais cette fois dans un « intérieur bour-
s’amuse à la faire durer par un jeu de questions et geois français, avec des fauteuils français ». Dans le
de réponses systématiques et mécaniques souligné respect de la tradition du theatrum mundi, le théâtre
par les répétitions de « comme c’est curieux ! » Il met de Ionesco nous offre une image de notre réalité et
cette fois en évidence l’invraisemblance à l’œuvre nous invite à nous regarder nous-mêmes. Ionesco ne
dans de nombreuses comédies traditionnelles dont rejette donc pas le théâtre, il propose simplement d’en
le dénouement repose sur un retournement de situa- renouveler les codes et les modalités, pour créer un
tion lié à la révélation de la véritable identité d’un Nouveau Théâtre.

c) Un Nouveau Théâtre sens où tout se mélange et se répète traduisent une
Déjà dans les années 1920, certains dramaturges vision très pessimiste de la condition humaine. Tous
bousculaient les règles du théâtre traditionnel, dans la ces personnages qui ne parviennent pas à communi-
lignée du théâtre de l’Œuvre de Lugné-Poe et d’Alfred quer, qui n’ont rien à se dire, qui ne parviennent pas à
Jarry. Après-guerre, ces tentatives isolées deviennent s’entendre et qui ne parlent tous ensemble finalement
plus systématiques et l’on parle alors de Nouveau que dans la fureur donnent l’image d’une humanité
Théâtre. Ionesco est l’un des premiers à proposer dérisoire et risible.
de renouveler le théâtre en rompant avec toutes
les règles usuelles : temps, lieu, action, caractères, Conclusion
langage. Dans La Cantatrice chauve, nous l’avons vu, Eugène Ionesco, avec La Cantatrice chauve, crée
il ne se passe rien, la pendule sonne de manière illo- donc bien une « anti-pièce » dans le sens où il prend
gique, les personnages sont interchangeables, dénués à rebours les règles du théâtre traditionnel et en
d’émotion et ne parlant que par phrases toutes faites joue pour mieux les dénoncer. Mais sa démarche,
et par clichés. La seule réelle émotion qu’ils expriment loin d’être une négation du théâtre, est au contraire
tous ensemble est la fureur, mais une fureur vaine qui un renouvellement du théâtre. À la manière d’Ada-
n’aboutit qu’au recommencement de la pièce. Ionesco mov ou de Beckett, il rompt avec les règles tradition-
conduit le langage à son extrême limite en « poussant nelles du théâtre et une vision optimiste de l’homme,
à fond […] les clichés les plus éculés du langage de tous inadmissible après les atrocités de la Seconde Guerre
les jours » afin « d’atteindre à l’expression de l’étrange mondiale. Ce Nouveau Théâtre offre une vision pes-
où [lui] semble baigner toute l’existence » (Notes et simiste de l’homme et de ses croyances, le réduisant
contre-notes). Ces dialogues absurdes tenus par ces à son indicible solitude et au rire, mais un rire terri-
personnages déshumanisés dans un univers dénué de blement tragique.

séquence ·
Héroïnes rebelles au théâtre
OBJECTIFS ET PRÉSENTATION grammes l’y invitent, de multiplier les perspectives

DE LA SÉQUENCE d’étude transversale de l’œuvre, moyen pour l’élève
de se l’approprier d’une façon plus globale, en com-
Le premier objectif de la séquence consiste à faire
plément bien sûr des lectures de détail proposées par
découvrir aux élèves des personnages de théâtre
le professeur.
hors norme : de jeunes héroïnes qui, par leurs choix,
Les prolongements artistiques et culturels per-
défendent leur opposition aux normes sociales, leur
mettent une réflexion sur la mise en scène et la dra-
différence, leur droit au repli et à la souffrance même,
maturgie propres à Joël Pommerat.
comme dans Cendrillon de Joël Pommerat, ou encore
Le groupement de textes complémentaires,
leur droit à l’égalité avec les hommes.
« Héroïnes de théâtre anticonformistes », propose
L’étude de Cendrillon conduit aussi à définir et à inter-
d’élargir l’horizon d’étude de la séquence à travers
roger le genre particulier du conte théâtral, qui se
un corpus de textes du théâtre occidental du xviie au
développe avec Joël Pommerat dans une modernité
xxie siècle : théâtre classique avec Molière et Racine,
et une force à même de toucher les jeunes lycéens.
théâtre élisabéthain avec Shakespeare, théâtre du
Enfin, cette séquence a bien sûr également pour
xviiie siècle avec Le Barbier de Séville, théâtre moderne
ambition de confronter en permanence le texte et la
avec Mademoiselle Julie, et pour finir un texte
représentation, l’écriture dramatique et ses possibles
scéniques, en particulier à travers un certain nombre contemporain de Melquiot qui fera écho au texte de
de mises en pratique simples, même en classe entière. Shakespeare.
La double page d’histoire littéraire et artistique
permettra de souligner les principales ruptures ins- PAGE 200
taurées par le théâtre contemporain, de l’évolution
formelle de l’écriture théâtrale à celle des lieux de
représentation. ŒUVRE INTÉGRALE
La séquence commence par l’étude de l’œuvre inté-
grale de Cendrillon de Joël Pommerat, emblématique Joël Pommerat,
des nouvelles formes théâtrales contemporaines.
Pièce « tout public », elle résonne différemment
Cendrillon, 2011
chez un enfant, un adolescent et un adulte, mais les
thématiques et les questions multiples qu’elle met en
jeu (le deuil, la famille recomposée, la construction
⁄ Une histoire
d’il y a très longtemps
1. Dans cet extrait, on peut repérer les éléments sui-
de soi, l’acquisition de l’autonomie, la recherche du
bonheur…) trouveront à coup sûr un écho fort chez les vants, qui évoquent le conte :
élèves, en particulier si l’étude du texte est associée – l’ancrage temporel dans un passé indéfini et loin-
régulièrement, comme la séquence le suggère, à la tain (« une histoire d’il y a très longtemps », l. 1-2 ;
captation de la mise en scène de Joël Pommerat, qu’il « Tellement longtemps que… », l. 2). L’emploi de
est très facile de se procurer. l’imparfait et du plus-que-parfait de l’indicatif est
La séquence se termine par deux exercices d’entraîne- également attendu dans ce contexte (« Quand elle
ment à l’écrit du baccalauréat, un commentaire d’un était encore presque une enfant » l.8 ; « avait connu
extrait de Cendrillon, et une dissertation sur l’œuvre un très grand malheur. », l. 9) ;
intégrale, ces deux sujets étant traités dans la double – un récit mettant en jeu des relations familiales, ce
page qui clôt la séquence. qui constitue aussi un marqueur attendu du conte
Les trois parcours d’œuvre intégrale offrent la traditionnel (« une très jeune fille », l. 5 ; « la mère
possibilité au professeur, comme les nouveaux pro- de cette très jeune fille », l. 10-11) ;

– même si la prolepse n’est pas habituelle en début orale contemporaine relâchée : « T’as une grosse
de conte, le malheur annoncé de l’héroïne, et la mise montre toi dis donc ! » (l. 1) ;
en valeur de l’élément perturbateur sont également – le vocabulaire est très souvent clairement familier :
symptomatiques de l’univers du conte (« avait connu « Ça c’est marrant » (l. 8) ; « T’es débile ou quoi »
un très grand malheur », l. 9 ; « Un jour, la mère de (l. 11) ; « olé ! olé » (l. 18).
cette très jeune fille était tombée très malade », l. 10). 2. On ressent d’emblée la méfiance et l’hostilité des
2. Grammaire deux sœurs vis-à-vis de Sandra. La première réplique
L’adverbe de négation « ne » devrait apparaître sous de Sœur la petite, associée à la didascalie moqueuse
sa forme élidée : « Ce n’est pas si simple de parler ». « se retenant de rire » (l. 1), le met clairement en
Sa suppression sert essentiellement à ancrer davantage avant : « T’as une grosse montre toi dis donc » (l. 1).
le récit de la narratrice dans l’oralité. Là où le conte Le père quant à lui est en position de retrait, dans
traditionnel fait disparaître l’instance narratrice une soumission très forte à sa femme, cherchant à
derrière la troisième personne, l’impersonnel (« Il était empêcher sa fille de poser problème : « Pose ce sac
une fois »), Joël Pommerat souligne au contraire la on te dit ! » (l. 28). On peut aussi citer la didascalie
présence de la narration, qui devient un personnage, de la ligne 19.
la voix de la narratrice prenant donc la parole à la La très jeune fille s’oppose violemment à son père
première personne et rendant acceptable, dans la dès qu’il relativise l’importance du souvenir de sa
langue parlée contemporaine, l’absence du premier première femme : « Qu’est-ce que tu racontes toi ?
adverbe de négation. T’es débile ou quoi ? » (l. 11). Dès le départ, on peut
3. Il peut être judicieux ici de ne pas révéler aux élèves sentir le reproche implicite que Sandra fait à son père
les choix de mise en scène faits par Joël Pommerat, de s’être si vite remarié, et de vouloir laisser dans
et de les laisser imaginer tous les possibles : présence l’ombre le passé familial. Vis-à-vis de sa belle-mère,
d’une comédienne parlant en direct, voix off associée l’évocation insistante de sa mère disparue révèle un
à des images vidéoprojetées, projection du texte désir de provocation évident de la part de Sandra.
associée à la voix off d’une comédienne, etc. Enfin, la belle-mère se positionne comme une figure
On pourra éventuellement, à la fin de l’étude de de mégère régissant l’univers familial et ne supportant
l’extrait, leur montrer les choix de l’auteur : une voix pas la contestation : « Dis donc, c’est comme ça que
off, avec un accent italien, associée à un homme sur tu parles à ton père ?! » (l. 12). On peut aussi relever
scène qui se livre à une « traduction simultanée » les didascalies qui traduisent son hostilité croissante
dans une sorte de langage des signes de ce que dit la vis-à-vis de Sandra : « crispée » (l. 8) ; « outrée »
narratrice, et une vidéoprojection d’un fond nuageux (l. 12) ; « Elle explose » (l. 35).
animé, sur lequel apparaissent certains mots présents
dans l’extrait (comme « imagination », l. 9). 3. Sandra s’affirme d’emblée dans une attitude de
provocation vis-à-vis de sa belle-mère lorsqu’elle
montre les photos de sa mère à ses deux demi-sœurs
PAGE 201
(l. 15-16), ou lorsqu’elle refuse de poser son sac. (l. 27,
l. 36-41). La sonnerie de la montre, associée à la mère
¤ Une nouvelle famille
1. Lexique
de la très jeune fille, est également un élément de
provocation fort, puisqu’elle intervient à deux reprises
(l. 9 et l. 33).
Il s’agit d’un passage qui se situe dans un registre
courant, en particulier lorsque la belle-mère évoque
PAGE 202
solennellement l’accueil de Sandra et de son père
(l. 21-22). Cependant, le registre familier l’emporte
régulièrement sur le registre courant :
– on retrouve ici les élisions du premier adverbe
‹ L’affrontement
de négation : « Ma mère m’a demandé de jamais ORAL
arrêter » (l. 5) ; On peut très bien envisager cette activité en classe
– plusieurs pronoms personnels sont également entière, soit dans la salle de cours habituelle,
élidés, ce qui est caractéristique d’une expression moyennant un petit réaménagement de l’espace, soit
SÉQUENCE 9 Héroïnes rebelles au théâtre | 209

dans une salle plus grande et plus adaptée. L’exercice chaussures blanches très classiques, sa coupe au carré,
permettra très vite de placer d’abord les élèves en accentuent l’image de raideur qu’elle renvoie à toute
position de lecteurs à voix haute, puis de les mettre en la famille.
jeu. On peut envisager de diviser la scène en 2 parties Les deux sœurs ont quant à elles des robes identiques,
pour permettre à chaque groupe d’essayer différents assez démodées, renvoyant à une image de jeunes
personnages. filles bien sages (qu’elles ne sont pas !).
On peut même envisager de demander aux élèves Sandra porte une robe blanche assez courte, en
d’apprendre leur rôle et de le rejouer devant leurs dentelle très féminine, qui contraste avec ses
camarades pour la séance suivante. chaussures noires assez ordinaires, C’est l’une des
1. Tout comme dans la scène 5, le premier élément dernières fois où l’on verra Sandra avec cette robe ;
créateur de tension, ce sont les interruptions que elle portera ensuite des vêtements usés et ternes, qui
Sandra impose au discours de la belle-mère, que l’on la rapprocheront de la « souillon » du conte d’origine.
perçoit dans les didascalies : « La très jeune fille lève la Enfin, le père revêt quant à lui un costume gris étriqué
main » (l. 12) ; « ne pouvant s’empêcher de raconter » et très démodé, qui le place clairement en position
(l. 19) ; « Elle se tait puis reprend » (l. 20) ; « La montre d’infériorité par rapport à sa femme.
de la très jeune fille se met à sonner » (l. 30-31). La position des comédiens dans l’espace introduit
Mais ce sont bien sûr les allusions à sa mère disparue également une valeur symbolique forte :
qui vont attiser la tension et l’explosion finale : « Ma – les deux sœurs sont souvent près de leur mère,
mère était sortie… » (l. 16) ; « Elle était fort énervée collées l’une à l’autre, ce qui les met clairement en
ce jour-là… » (l. 19) ; « C’était rare pourtant qu’elle position de soutien de la belle-mère. Elles restent
s’énerve ma mère… » (l. 21). immobiles durant toute la scène ;
On voit aussi à travers l’attitude du père que ce sont – le père est isolé à cour, en retrait, à l’image de ce
bien ces allusions à sa mère, que Sandra devrait taire, qu’il représente dans l’organisation familiale ;
qui provoquent la colère de la belle-mère : « Le père – Sandra est au premier plan, mais isolée à jardin, en
fait signe à sa fille de se taire » (l. 20) ; « Le père fait position d’accusée face au père, mais surtout face à
un geste de menace à sa fille (l. 22). la belle-mère. Elle ne bouge pas durant la scène ;
Sandra, par une attitude à la fois provocatrice et – la belle-mère fait essentiellement face à Sandra, au
autodestructrice, se dresse face au pouvoir de sa belle- premier plan. C’est le personnage qui bouge le plus,
mère et le fait vaciller, introduisant un haut degré de elle invective Sandra par les mots, mais aussi par ses
tension dramatique. déplacements.
On pourra terminer cette étude de la mise en scène
2. L’adverbe « évidemment » est répété deux fois
par une réflexion sur le jeu des comédiens, qui souligne
par la belle-mère, puis repris une fois par le père.
ce que les autres éléments vus précédemment disent
Il souligne la relation de soumission du père à sa
déjà : il s’agit d’une scène d’affrontement violent, dans
nouvelle femme, ainsi que le pouvoir de la mère qui
laquelle la belle-mère humilie Sandra, prend le parti de
instaure à elle seule les lois « évidentes » qui doivent
ses filles et ridiculise le père relégué à un rôle de simple
régir le fonctionnement de la famille.
commentateur. La colère et les hurlements finaux de
la comédienne jouant la belle-mère contribuent bien
ARTS DE LA SCÈNE sûr à créer un sentiment d’effroi et de malaise.
Le professeur pourra souligner avec les élèves, une fois
projeté l’extrait vidéo, la simplicité de la scénographie : PAGE 203
un plateau vide et, comme seuls éléments de décor,
un lustre et une surface lointaine sur laquelle est
projetée un motif pouvant suggérer un papier peint
de salon.
› L’apparition de la fée
1. L’attitude désinvolte de la fée (arrivée tonitruante),
On pourra aussi évoquer l’éclairage, une lumière sa tenue (« allure plutôt négligée », l. 6), ainsi que son
blanche, assez froide, qui détache les cinq personnages langage relâché (« La fée de toi ! Ta fée quoi ! », l. 12 ;
nettement d’un fond assez obscur. Pour ce qui est « Ben oui, ça arrive ! », l. 14, etc.) invitent davantage
des costumes, la robe droite de la belle-mère, ses à imaginer une fée « contemporaine », habillée avec

des vêtements assez ordinaires et banals. On imagine PAGE 204
donc une fée dont les pouvoirs ne sont pas soulignés
par l’iconographie classique des contes de fées (robe
lumineuse, baguette, chapeau, etc.). ∞ Révélations
1. Par la transformation du nom de l’héroïne de
2. La très jeune fille préfère cultiver sa solitude, qui lui
permet de se concentrer sur le souvenir de sa mère. « Cendrier », terme utilisé par les deux sœurs et la
L’arrivée de la fée est donc un élément perturbateur belle-mère, en « Cendrillon », utilisé par le prince,
dans sa vie de recluse dormant dans une cave. Elle Sandra gagne une reconnaissance et une identité
s’adresse à la fée sur un mode assez agressif : « T’es nouvelle, débarrassée de la honte et de l’humiliation
qui » (l. 7) ; « J’ai jamais demandé à avoir une fée qu’elle devait subir jusque-là.
moi » (l. 17). Ce passage marque le point de bascule symbolique
3. Les éléments de la parodie sont assez évidents : à partir duquel Sandra (on remarquera bien sûr la
– la fée ne ressemble pas à une fée, elle parle proximité phonétique entre « Sandra », « Cendrier »
vulgairement (l. 29), elle se plaint de sa vie et de son et « Cendrillon ») refuse de continuer à être humiliée
immortalité (l. 30 à 33), elle ne ménage pas la très par sa belle-famille. La méprise du prince est aussi
jeune fille (l. 18) ; un clin d’œil à l’origine littéraire du conte. En effet,
– la très jeune fille n’accueille pas favorablement la référence à la cendre est présente dans le nom du
l’arrivée de la fée, contrairement à ce qui se produit personnage français « Cendrillon », mais également
dans le conte traditionnel. dans la version allemande des frères Grimm
Cet extrait construit donc un portrait très singulier (« Aschenputtel », Aschen signifiant « cendres » en
du personnage de Cendrillon. Loin d’être accablée par allemand).
le sort, on la voit s’enfermer volontairement dans la En passant du statut d’objet dégradant, le cendrier,
solitude et la douleur, refusant toute aide extérieure. à celui d’une jeune fille qui sort des cendres pour
C’est par cette attitude au départ très négative et s’épanouir, Joël Pommerat retrouve ici le lien avec
destructrice que s’affirme la rébellion du personnage. l’origine populaire du conte, même si le destin qu’il
Derrière la parodie se dessine donc le portrait d’un attribue à son héroïne n’est pas le mariage avec le
personnage très fort, qui s’impose la souffrance et prince.
l’humiliation, qui s’accuse presque de la mort de sa 2. La très jeune fille passe tout d’abord par une
mère, avant de réussir, par la suite, à surmonter le périphrase, « Parce que ta maman, parce que ta mère,
deuil, et à rediriger toute cette énergie et cette révolte son cœur il bat plus » (l. 5), pour annoncer au prince
vers la recherche du bonheur. la terrible nouvelle. De cette relative mise à distance
4. Grammaire de la cruelle réalité, elle passe ensuite à l’évocation
On peut relever entre autres : directe. Elle finit par utiliser à deux reprises le participe
– les élisions de pronoms personnels (« T’es qui ? », passé « morte » (l. 6, 7), puis encore trois fois (l. 15,
l. 7) ; 17, 18).
– des tournures familières, caractéristiques d’une À ce stade de la pièce, la très jeune fille semble avoir
expression orale relâchée (absence de verbe par compris, grâce à la rencontre du prince, qui lui offre
exemple, l. 12) ; une sorte de miroir pour comprendre son propre
– l’absence du premier adverbe de négation (« Ca se trouble, que son deuil était démesuré, sa souffrance
demande pas ! », l. 18) ; et sa tristesse injustes, et qu’elle devait pour honorer
– l’absence d’inversion du sujet dans les phrases le souvenir de sa mère non pas renoncer à la vie,
interrogatives (l. 20-21) ; mais au contraire retrouver l’élan vital et le goût
– l’absence du pronom impersonnel « Il » (l. 30). du bonheur.
C’est donc avec un certain détachement et une
Dossier personnel
grande simplicité qu’elle peut évoquer la mort, celle
de la mère du prince, et celle de sa propre mère,
On pourra retrouver un résumé bien conçu en page 11 parce qu’elle a fini par accepter la vérité douloureuse
de ce document : https://www.theatre-contemporain. de la disparition définitive d’un être cher, vérité qui
net/images/upload/pdf/f-7ee-57290c311d53b.pdf n’empêche pas de vivre, comme elle le pensait

jusque-là. L’obsession de l’être disparu ne le fait pas PAGE 205
revenir, et le mensonge que la très jeune fille s’est
imposé à elle-même (le malentendu du début de
la pièce) est finalement presque le même que celui
que ses proches prodiguent au prince (sa mère est
§ Une dénouement
en deux temps
1. Pour définir le genre du conte théâtral, on pourra
toujours vivante) et auquel il veut bien croire. retenir les éléments suivants :
3. Grammaire – la présence d’une instance narrative, ici sous la
Les phrases exclamatives dominent dans ce passage, forme de la voix de la narratrice. La narration fait
et traduisent tout à la fois l’émotion et l’importance partie intégrante du conte théâtral, elle a sa voix, elle
de la révélation que la très jeune fille fait au prince. peut même être jouée par un personnage qui assume
Elles expriment peut-être aussi sa volonté de ce statut de conteur (comme dans un autre conte
« réveiller » la conscience du prince, et par là-même théâtral de Joël Pommerat, Pinocchio) ;
sa propre conscience pour affronter et accepter ce – le cadre narratif du conte théâtral est compatible
que tous les deux savaient au fond d’eux-mêmes avec le schéma narratif et le schéma actanciel que
sans vouloir vraiment se l’avouer. Ces phrases la plupart des élèves connaissent, et qu’ils peuvent
exclamatives sont donc indissociables d’une prise réactualiser à l’occasion (situation initiale/situation
de conscience. finale ; adjuvants/opposants, etc.) ;
– le merveilleux est présent dans le conte théâtral,
Dossier personnel ici à travers une fée maladroite certes, et dont les
pouvoirs magiques importent moins que sa capacité
Dans la présentation de l’exercice, on pourra insister à révéler la très jeune fille à elle-même ;
sur la possibilité dans le monologue de justifier les – enfin, on peut aussi faire référence à la visée morale
révélations précédentes faites par la très jeune fille. et didactique du conte littéraire. Si le conte de Perrault
Parmi les arguments possibles figurent : ou celui des frères Grimm mettaient l’accent sur
– la volonté de faire éclater la vérité et de faire sortir le triomphe de la bonté et de la simplicité sur la
le prince du mensonge dans lequel on le maintient ; méchanceté et l’artifice, la version de Pommerat met
– la nécessité pour la très jeune fille d’affronter elle- bien davantage en valeur le besoin d’introspection,
même la réalité, en acceptant pour la première fois l’acceptation du réel, et la recherche de l’autonomie
que sa mère est morte : « Elle est morte et c’est de la pensée, ce qui en fait un conte pleinement
comme ça ! Elle va pas revenir ma mère ! Et elle contemporain.
est morte ! Comme la tienne ! Et rien ne pourra y 2. Grammaire
changer ? Non rien » (l. 18-19). On peut relever : « Alors » (l. 1, 5 et 8) ; « Comme »
On pourra aussi attendre des élèves qu’ils aient (l. 1) ; « Mais » (l. 3 et 6) ; « Ainsi » (l. 10) ; « Et » (l. 11).
recours au registre tragique, et que le monologue Ces connecteurs peuvent indiquer une relation de
soit délibératif, présentant par exemple l’intérêt cause (« comme »), de conséquence (« ainsi » ou
d’accepter la vérité plutôt que de demeurer dans le « alors », l. 5 et 8), d’addition (« et ») d’opposition
mensonge. (« mais »), de liaison (« Alors l. 1). Ils témoignent
On attendra aussi qu’un lien clair soit établi entre le donc d’une organisation précise de la pensée, ainsi
monologue et le dialogue qui le précède. que d’une dramatisation du discours qui envoie les
signes de la conclusion du conte, avec son cortège
ARTS DE LA SCÈNE de moments attendus : l’explication de ce que l’on
ne comprenait pas jusque-là et l’enchaînement des
Cet exercice présente l’avantage de ne pas nécessiter faits vers le dénouement.
l’apprentissage d’un texte.
Les élèves volontaires pourront donc très simplement, VERS LE BAC. Commentaire
par leurs regards, leur tenue de corps et leurs Introduction
déplacements signifier la progression de la scène. Les dernières scènes de Cendrillon de Joël Pommerat
Faire travailler cette improvisation par plusieurs duos font écho aux premières, en reprennent la trame pour
successifs enrichira la compréhension des enjeux conduire les personnages et la narratrice jusqu’au
dramaturgiques. terme du récit. Les deux dernières scènes proposent,

conformément au modèle littéraire du conte, une
ARTS DE LA SCÈNE
résolution de l’intrigue, mais se resserrent également,
comme au début de l’œuvre, sur l’instance narrative, Sur la photographie, on voit la très jeune fille qui
qui occupe une place essentielle tout au long de la danse avec le prince. La lumière colorée, mais
pièce. Ce dénouement original pourra être étudié également les costumes, confèrent un esprit de fête
en abordant tout d’abord l’intérêt du récit, puis les à cette danse. La très jeune fille porte la robe qu’elle
modalités d’une résolution heureuse. a choisie pour aller au bal, une ancienne robe ayant
1. L’intérêt du récit appartenu à sa mère. En la portant pour danser,
– les marques de la narration et du conte ; elle dépasse en quelque sorte le deuil qu’elle s’était
– le champ lexical du dénouement ; imposé jusque-là. Les mouvements vifs du très jeune
– la progression du discours de la narratrice ; prince, qui apparaissait auparavant très engoncé dans
– l’apostrophe du public ou du lecteur (par l’emploi son costume et dans ses propos, traduisent pour lui
de la deuxième personne du pluriel notamment) ; également une libération physique et morale.
– la création d’un effet de suspense (à la fin de la
ligne 11, que le dialogue qui suit finira par lever). PAGE 206
2. Une résolution heureuse
– le rôle du dialogue des lignes 15 à 19 ;
– l’intérêt d’une scène « rejouée » mais avec un autre PARCOURS D’ŒUVRE INTÉGRALE
sens ;
– les didascalies qui mettent en avant la fête, la danse Joël Pommerat,
et l’intensité de la libération éprouvée par les deux
personnages (l. 20-21) ;
Cendrillon, 2011
– l’écart entre la résolution proposée par Joël PISTE DE LECTURE 1
Pommerat et celle des contes traditionnels.
Une héroïne rebelle
Conclusion
1. Pour ce qui est des didascalies, le moment où la
Le conte traditionnel se termine par la résolution de
très jeune fille sort l’album photo familial (l. 15-16)
l’intrigue, et parfois par une morale (voir les Contes
est très provocateur, car elle impose ainsi à la belle-
de Perrault). Cendrillon de Pommerat reprend ce
mère le souvenir de sa mère disparue. Élément
modèle et le dépasse. La scène du malentendu est
aggravant, la très jeune fille « se dirige vers les deux
en quelque sorte « rejouée » pour permettre la
sœurs » (l. 16) pour les prendre à partie. Lorsque la
libération définitive de la très jeune fille du poids
belle-mère lui demande de poser son sac, même si
de sa culpabilité. Par ailleurs, Pommerat accorde une
la reprise est justifiée, la très jeune fille tient tout de
place très particulière à l’instance narrative, qui, tout
même à affirmer son identité à travers son prénom
comme au début de la pièce, est bien là pour jouer
(« rectifiant », l. 25).
son rôle de voix du récit, mais qui est aussi présente
Les dialogues, quant à eux, traduisent également le
pour elle-même, comme un personnage, dont on suit
refus de la très jeune fille de se conformer à la loi de
le cheminement parallèle à celui des personnages
sa belle-mère, en particulier avec le refus de poser son
de la pièce.
sac, qui occupe toute la fin de la scène (l. 24 à 41).
Dossier personnel 2. La très jeune fille ne semble sensible ni à l’autorité
de la belle-mère ni à celle de son père. L’affrontement
Pour aider les élèves dans leur travail, on peut au se joue tout à la fois à travers son attitude et à travers
préalable travailler avec eux sur la scénographie, les dialogues. Attitude paradoxale qui consiste à
l’univers sonore et les costumes, à partir du site s’infliger des tâches indignes, dont personne ne
Canopé, très riche, et accessible gratuitement après veut, ce qui revient à attirer l’attention sur elle et à
création d’un compte par l’enseignant : https:// provoquer l’agacement de tout le monde (l. 13-16).
www.reseau-canope.fr/edutheque-theatre-en-acte/ Pour ce qui est des dialogues, l’absence de réaction
pistes-pedagogiques/mise-en-scene/cendrillon-1/ de Sandra aux injonctions de son père (l. 21) et sa
joel-pommerat-1/joel-pommerat.html fausse innocence (l. 29), lorsqu’elle affirme avoir

oublié qu’elle ne devait pas parler de sa mère, à la soumission, accentue encore son isolement et
sont autant de moyens de provoquer encore la son repli sur elle-même. Même son père ne parvient
belle-mère. plus à la soutenir et à l’aider.
En cherchant l’affrontement avec la belle-mère, – Par cette attitude et l’isolement qui en découle,
Sandra conteste la suprématie de cette dernière, qui Sandra va comprendre peu à peu sa méprise
s’impose à ses filles et à son mari essentiellement par concernant la mort de sa mère, et se libérer.
la parole. Par rapport à son père, comme on l’a vu, les 2. La transformation du personnage naît aussi de
provocations de Sandra ont probablement à voir avec facteurs extérieurs
le voile d’oubli qu’il veut jeter sur sa vie d’avant. En – La rencontre avec la fée va bousculer le personnage,
l’affrontant, Sandra ravive constamment le souvenir l’amener à sortir de sa chambre et de son univers
de sa mère disparue, que son père préférerait occulter, ménager, et lui faire oublier par moments l’impératif
au moins en apparence, devant sa nouvelle femme. catégorique du souvenir de sa mère. L’esprit ouvert sur
3. Face à la fée, la très jeune fille ne semble pas le monde, la très jeune fille comprendra que le deuil à
impressionnée, ni par les conditions de son arrivée accomplir est une étape nécessaire à sa libération.
(l. 7), ni par son statut de fée (l. 15). Elle refuse – La rencontre avec le prince, sorte d’alter ego
même assez vite l’idée d’obtenir un secours extérieur, souffrant de la même illusion volontaire, lui permettra
préférant cultiver sa solitude triste : « J’ai jamais d’ouvrir définitivement les yeux sur son sort.
demandé à avoir une fée moi » (l. 17). Même face à La transformation de la très jeune fille correspond
l’immortalité de la fée, l’héroïne ne semble pas plus donc en réalité à un véritable parcours initiatique.
impressionnée que cela : « Vous êtes immortelle ou En traversant l’épreuve du deuil, puis d’une douleur
quoi ? » (l. 34). qu’elle s’impose violemment, la très jeune fille
4. La très jeune fille, contrairement aux adultes qui comprend peu à peu son erreur et son entêtement. Les
entourent le prince, pense que le mensonge n’est rencontres successives du prince et de la fée finissent
jamais protecteur, et que la volonté de repousser de lever le voile sur le malentendu qui l’empêchait
l’aveu de la mort de sa mère est une source de de retrouver la voie du bonheur. Elles lui permettent
souffrance. C’est pour cela que la révélation qu’elle enfin de sortir de son repli, et de pouvoir à son tour
lui propose est assez brutale, mais salvatrice. Elle lui aider les autres (en l’occurrence le prince) dans leur
déclare trois fois que sa mère est morte « depuis dix reconstruction.
ans » (l. 5-6), s’en excuse à peine (l. 7-9) PISTE DE LECTURE 2
VERS LA DISSERTATION Un conte théâtral

Dans Cendrillon de Joël Pommerat, la très jeune 1. Parmi les éléments renvoyant à l’univers du conte,
fille est à bien des égards un personnage théâtral on pourra notamment relever :
atypique. Là où la révolte se traduit normalement – le lexique : variante de l’expression « Il était une
par une forme d’insoumission aux forces s’opposant fois » (« Je vais vous raconter une histoire d’il y a très
à l’épanouissement du héros, la très jeune fille adopte longtemps ») ;
au contraire une posture de passivité apparente. Sa – les personnages : référence fréquente à l’univers
révolte passe en effet dans un premier temps par familial, au cœur de la plupart des contes ;
un zèle dans l’obéissance et l’humiliation qui se – les lieux : référence à des « pays lointains »,
transforme paradoxalement en mode de résistance. conformément à l’indétermination spatio-temporelle
Mais la révolte du personnage est aussi liée à des des contes traditionnels ;
causes extérieures, et à deux rencontres essentielles, – les temps verbaux : récit au passé, imparfait
celle de la fée et celle du Prince. dominant.
1. La soumission et la révolte comme étapes Malgré ces caractéristiques attendues du conte, la
nécessaires à la transformation spécificité de la pièce de Joël Pommerat tient surtout à
– Par sa soumission apparente à la dictature familiale la personnification de l’instance narratrice, qui devient
exercée par la belle-mère, la très jeune fille s’isole et, une voix et un personnage de l’histoire, personnage
d’une certaine manière, peut se concentrer sur elle- qui s’adresse directement aux lecteurs/spectateurs au
même et sur ses pensées. présent. On peut aussi noter l’annonce d’une sorte de
– La révolte, paradoxalement associée chez l’héroïne réflexion philosophique qui motive le début du récit :

« Dans l’histoire que je vais raconter, les mots ont failli Cependant, l’auteur n’a de cesse, et en particulier
avoir des conséquences catastrophiques ». dans le dénouement, de brouiller les pistes, et de
2. Le recours au récit présente les avantages suivants : délibérément vouloir laisser le spectateur dans le
– il permet régulièrement de faire des ellipses, d’accé- doute : « Comme je vous l’ai dit pour commencer, je
lérer le temps, et d’avancer plus vite qu’une intrigue ne me rappelle plus si cette histoire est la mienne ou
où la « fable » doit être nécessairement intégrée aux bien l’histoire de quelqu’un d’autre » ; « j’ai vécu plein
dialogues ; d’événements impossibles à raconter ».
– le récit peut créer des effets de suspens, relancer La voix de la narratrice est un espace de projection
l’intérêt du spectateur pour l’intrigue, notamment au mentale, une instance qui n’est pas représentée peut-
moyen de prolepses assez brèves ; être justement pour laisser la possibilité au spectateur
– la présence d’une narratrice crée d’emblée une de se la représenter, et d’imaginer ce qu’elle pourrait
connivence avec le public ou le lecteur, un lien qui être. Dans la mise en scène de Joël Pommerat, la
entretient la captatio benevolentiae, et joue sur la narratrice a un accent étranger, elle semble parler de
double énonciation ; très loin, on ne la voit pas, on ne voit que les traces
– le récit permet également un regard réflexif sur que semblent laisser ses paroles à travers les gestes
les personnages, les situations, avec un regard que fait l’homme présent sur scène. Il semble donc
extérieur. Dans un texte théâtral plus classique, seul que la narratrice ne soit qu’une manière de faire entrer
le monologue permet d’aller aussi loin dans cette les spectateurs dans l’univers du conte, par un biais
réflexivité. sensible et spirituel. Elle est un moyen de remettre
D’un autre point de vue, Joël Pommerat utilise un récit au cœur du théâtre l’indétermination caractéristique
« augmenté » par le théâtre qui permet : d’un personnage que l’on ne s’imagine qu’à partir de
– une matérialisation physique, par le biais du corps la lecture du texte, que seul le lecteur peut imaginer
des comédiens, de la matière narrative ; et voir par sa construction mentale personnelle. C’est
– un naturel, un développement plus vivant dans la donc l’espace du fantasme et de l’imaginaire qui est
voix de personnages ; sollicité par cette indétermination.
– une ouverture plus facile du conte à un contexte
contemporain, parce qu’il repose essentiellement sur VERS LA DISSERTATION
des dialogues et sur l’oralité. On pourra reprendre, en plus du texte suggéré, une
partie des réponses précédentes, en suivant par
3. La fonction de la narratrice ne se limite pas à poser
exemple ce plan
le cadre spatio-temporel et l’intrigue. La narratrice
intervient, prend parti (« L’hiver était arrivé, et rien 1. Le récit a un rôle de complément du dialogue
n’évoluait dans cette maison », p. 59.) pour faire avancer l’intrigue
La narratrice interprète également les réactions des – Le récit intervient pour introduire une ellipse dans le
personnages. On est donc loin d’une pure objectivité déroulement de l’action dialoguée. Il maintient ainsi
(« La nouvelle foudroya la future femme du père de la continuité de l’intrigue pour le spectateur, tout en
la très jeune fille. Elle mit du temps à se remettre de permettant d’avancer plus vite dans l’évolution des
cette émotion »). personnages et de l’action.
– Le récit a aussi une fonction dramatique qui lui est
4. Comme on l’a vu plus haut, la narratrice est comme
propre dans Cendrillon. Il dynamise l’intrigue par sa
un métapersonnage : elle est à la fois un personnage,
récurrence, crée des temps de suspens de l’action.
et en même temps le personnage dont la voix semble
être à l’origine du conte, de l’intrigue, et de tous les – [Voir réponse à la question 2, troisième point]
autres personnages. 2. Le récit a une fonction d’enrichissement
On peut bien sûr faire des hypothèses sur l’identité du dialogue théâtral, et permet de projeter
de la narratrice : un regard réflexif sur les personnages et sur
– elle serait une descendante de Sandra ; l’intrigue
– elle serait l’âme de Sandra s’adressant au public – La narration est personnifiée dans Cendrillon. Il n’y
depuis les « limbes » ; a donc pas une séparation aussi nette entre dialogues
– on pourrait même imaginer qu’elle soit la voix et récit.
d’une ou de la fée du conte, si l’on s’appuie sur son – [Voir réponse à la question 2, quatrième point]
immortalité. – [Voir réponse à la question 3]

– L’identité indéterminée de la narratrice développe reprendre en main : « Fais des efforts […] Trouve une
l’imaginaire du spectateur [voir réponse à la prestance ! Mets de l’énergie en toi ! […] Je dis ça, c’est
question 4]. pour ton bien ». Et même si cet intérêt pour la très
jeune fille s’exprime maladroitement et traduit son
PISTE DE LECTURE 3
sentiment de supériorité, il confère au personnage
Un parcours initiatique une certaine subtilité. Car la belle-mère connaîtra une
1. Au début de la pièce, la très jeune fille est dans une tragédie presque plus grave que celle de Sandra, celle
attitude de soumission à la douleur. Elle n’envisage de la perte de son amour-propre après le désaveu
la mort de sa mère que comme une épreuve, et c’est du prince. Au fond, la brutalité avec laquelle la belle-
pour cette raison qu’elle interprète mal les paroles mère traite toute sa famille n’est que l’aveu d’une
de la mourante. Pire, elle semble vouloir porter la grande faiblesse, celle d’une personne qui ne se sent
responsabilité de la mort de sa mère, et même celle de pas aimée, et qui ne sait pas aimer. À la fin de la pièce,
la « deuxième mort » de sa mère, celle qui surviendrait pas d’affrontement ultime donc entre la très jeune
si elle laissait « passer plus de cinq minutes sans fille et la belle-mère, mais un effondrement de cette
penser à [elle] » (Première partie, scène 2). dernière dans la folie et la désillusion.
Elle refuse donc le deuil de sa mère, et préfère 3. Grâce à la fée, la très jeune fille va accepter de
imaginer que, tant qu’elle pensera à elle, sa mère sortir, d’aller au bal, d’enlever son corset orthopédique
restera « en vie dans un endroit secret invisible tenu et d’aller danser. La fée est un personnage essentiel
par des oiseaux » (Première partie, scène 2). au renouveau de la très jeune fille. À travers ses
À la fin de la pièce, après avoir accepté la mort et maladresses, son allure de fée de pacotille, elle va
entrepris le travail de deuil, elle peut donc la revoir provoquer sans cesse la très jeune fille, et finir par
grâce à la fée, et cette fois entendre (en réalité lui révéler que sa mère est morte (Deuxième partie,
comprendre) ce que sa mère voulait lui dire : que la scène 11). Cette révélation conduira Sandra à accepter
mort ne doit pas priver les vivants de leur vie, qu’elle le deuil, et à entraîner à sa suite le prince dans le jeu
doit être acceptée et convertie en souvenir heureux des révélations.
pour ceux qui restent (« Mais à partir de ce jour,
4. La très jeune fille va peu à peu passer d’un
quand elle pensait à elle, c’était de la force qu’elle
ressentait », Deuxième partie, scène 14). stade d’enfant inconsolable, s’enfermant dans une
construction trompeuse (elle veut croire que sa mère
2. La relation de la très jeune fille avec son père
reste vivante dans un monde intermédiaire), à une
est assez complexe. Sandra dénonce presque en
libération progressive et à une acceptation du deuil,
permanence la volonté d’oubli du père, elle lui
pour finalement accepter la possibilité du bonheur,
reproche finalement d’avoir fait son deuil, et de
qu’exprime par exemple la danse dans le dénouement.
vouloir reconstruire sa vie. Dans la deuxième partie,
Pour étayer la réponse, on peut s’appuyer particuliè-
scène 4, le père avoue à sa fille : « j’ai carrément
rement sur ce que dit la narratrice :
l’impression que je suis devenu invisible ». De fait, il
– première partie : scènes 2, 3, 9
n’apparaîtra plus dans la pièce, et il sera seulement
– deuxième partie : scènes 13, 14 et 15.
question de lui dans le dénouement : « De ce jour, la
très jeune fille partit de cette maison avec son père » 5. On peut par exemple proposer les étapes suivantes
(Partie 2, scène 13). On peut donc supposer qu’une dans l’évolution de la très jeune fille :
réconciliation a lieu entre le père et la fille. Dès lors, – un très grand malheur
une autre vie, plus sereine, est possible pour tous les – un malentendu
deux : « quelque temps plus tard, son père se remaria – une jeune fille écrasée par la culpabilité
mais cette fois avec une femme moins désagréable ». – l’affrontement avec la nouvelle famille
Quant aux relations avec la belle-mère, elles se situent – la rencontre de la fée
d’emblée, comme on l’a déjà vu, sur le plan de l’affron- – le bal
tement. Mais l’un des mérites de Joël Pommerat – la rencontre du prince
consiste à n’avoir pas fait de la belle-mère une – l’acceptation de la vérité
« marâtre » uniforme dans ses pensées et dans son – la révélation faite au prince
caractère. En réalité, elle est presque sincère lorsqu’elle – une scène revécue et salvatrice
conseille à Sandra (Première partie, scène 11) de se – la libération et l’accomplissement
VERS LA DISSERTATION Activité 4
La dissertation proposée ici fait l’objet d’une étude Pour la définition et les objectifs d’une note
plus complète page 221. d’intention : http://www.ac-grenoble.fr/audiovisuel/
articles.php?lng=fr&pg=31
PAGE 207
Dossier personnel PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS
Pour chacune des étapes, on pourra accompagner les

élèves en leur conseillant des références ou des sites PAGE 208
à consulter.
Joël Pommerat, un auteur et un metteur
Activité 1
en scène
Le costume de théâtre possède deux fonctions
essentielles, une fonction référentielle (univers 1. Joël Pommerat ne sépare pas le travail du
spatio-temporel, univers social, etc.) et une fonction scénographe et celui de l’éclairagiste. Pour lui, la
symbolique, qui peuvent se combiner. On veillera à ce lumière sculpte autant l’espace que peut le faire un
que les élèves aient bien conscience de ces fonctions décor. Dans Cendrillon, l’élément scénographique le
pour éviter des choix qui ne seraient que subjectifs plus important est un panneau de plexiglas qui sert
et/ou faits selon des critères uniquement esthétiques. de surface de projection pour les vidéoprojecteurs.
Dans les mises en scène de Joël Pommerat, on
Pistes pour l’étude du costume de théâtre :
trouve rarement des éléments de décor massifs. La
http://cache.media.eduscol.education.fr/file/Francais/
lumière constitue donc la plupart du temps l’élément
06/0/RESS-FR-LGT-Theatre_Piste_7_374060.pdf
scénographique principal.
Activité 2
2. On perçoit sur le document 1 la focalisation
Afin de les aider à répondre, il peut être intéressant
forte de la lumière, et la découpe extrêmement
d’inciter les élèves à lire l’intégralité du conte dans la
précise du personnage par le faisceau lumineux,
version de Perrault, puis de Grimm.
comme si le comédien était scindé en deux, une
Activité 3 part d’ombre, une part de lumière, à l’image de la
On peut conseiller aux élèves de relire ce que Joël complexité du personnage du présentateur dans Je
Pommerat dit du conte à la page 206, dans la rubrique tremble (1&2). Dans le document 4 p. 208, la lumière
Vers la dissertation. qui éclaire les comédiens à jardin se confond avec
On pourra orienter la réflexion des élèves au moyen celle du vidéoprojecteur à cour, donnant l’illusion
des pistes suivantes : d’une simultanéité du passé et du présent. Sur le
– Cendrillon fait appel à une culture commune aux document 4 page 209, les effets de lumière visent à
adultes et aux enfants. Le conte représente donc créer une atmosphère de magie, au moment où la fée
un moyen de les réunir dans une même expérience cherche un costume pour la très jeune fille.
artistique, même si les degrés de compréhension de
3. Dans le document 4, par le jeu de placement des
l’œuvre varient en fonction des âges ;
comédiens et une installation technique très précise,
– Joël Pommerat réactualise les personnages du conte,
le spectateur a l’illusion que les personnages sont
les adapte au monde contemporain et à l’évolution
dédoublés. Mais les comédiens éclairés à jardin
de la structure familiale (avec le thème de la famille sont bien réels, tandis que ceux que l’on voit à cour
recomposée entre autres) ; apparaissent par le biais d’une image vidéoprojetée.
– le conte se veut intemporel et universel, et celui
4. On pourrait imaginer un véritable dédoublement
de Pommerat le confirme. Il peut toucher toutes les
des personnages avec quatre comédiens au total, ou
catégories de lecteur ou de spectateurs ;
bien encore la séparation en deux temps distincts de
– la famille, toujours au cœur du conte, est un prisme
la scène avec la fée et celle de la « vision ».
permettant une réflexion plus large, permettant
de comprendre le fonctionnement des individus ORAL
(comment, entre autres, peut-on se (re)construire Pour ouvrir le débat, on proposera aux élèves de
après l’expérience du deuil et de la séparation ?). définir oralement les termes suivants :

– spectacle ; Aux vers 12, 16, 25 et 26, les répliques des deux
– théâtre (chercher la pluralité des sens de ce mot) ; personnages se distribuent sur un même vers, ce qui a
– texte littéraire. pour conséquence d’accélérer le rythme de l’échange
de paroles.
PAGE 209 Les éléments de la contradiction sont également
présents dans les deux textes, par exemple « Oui/
Mettre en scène un personnage Hélas, non » dans le texte de Molière (v. 27-28). Dans
de conte : la fée le texte de Shakespeare, on peut trouver des couples
1. Dans le texte de Perrault, le surnaturel se manifeste de mots en opposition (« vie »/« Mourir » ; « courtois
par l’intervention magique de la fée qui, au moyen de ie/dédain »). Dans le texte de Shakespeare, la virtuosité
sa baguette, transforme des haillons en vêtements verbale de Béatrice et de Bénédict se retrouve
somptueux. également dans certaines formules comparatives
Dans le texte de Pommerat, les bruits, la fumée, les (l. 12-13/l. 19), qui placent clairement les échanges
gestes de la fée, bien qu’approximatifs et caricaturaux, dans le domaine du trait d’esprit et de la joute verbale.
constituent un clin d’œil aux manifestations du Les nombreux termes péjoratifs utilisés dans les
surnaturel dans les contes traditionnels. deux textes vont également dans le sens de l’idée
d’un duel. Dans le texte de Molière, « Chez vous le
2. Dans la version de Perrault, la fée s’exprime dans
mariage est fâcheux et pénible » ; « traîtresse » ;
un langage courant à soutenu (« Eh bien ! voilà de
« impertinente ». Dans le texte de Shakespeare,
quoi aller au bal : n’es-tu pas bien aise ? ». Elle est
« Madame Dédain » ; « coups de griffe » ; « une
gracieuse dans ses gestes « Sa marraine ne fit que la
bête dotée de la vôtre ».
toucher avec sa baguette… »
La fée de Pommerat est vulgaire (l. 13), a recours à un 2. Dans le texte de Molière, Agnès avance ses
registre de langue familier, et semble très maladroite arguments avec précision et conviction, opposant la
dans ses gestes. manière dont Horace lui représente le mariage (v. 1-3
et v. 6-11) au mariage « fâcheux » et « pénible »
3. La fée de Joël Pommerat apparaît dans une version
que lui propose Arnolphe. Elle ose affirmer son amour
minimaliste, avec des vêtements plutôt ordinaires.
« Oui je l’aime. » et le confirmer juste après « Et
Seuls ses gestes et ses paroles attestent de son statut
pourquoi s’il est vrai, ne le dirais-je pas ? ». Elle répond
de fée. La fée de Benjamin Lazar est lumineuse, sa robe
point par point à tous les arguments avec un esprit
blanche est éclairée et paraît somptueuse.
qu’on ne lui avait jamais vu manifester jusque-là : « Le
4. Cet exercice peut être très ludique pour les élèves, moyen de chasser ce qui fait du plaisir ? », jusqu’au
qu’ils soient bons dessinateurs ou non. On peut « Hélas, non. » final qui met fin à toute suspicion de
d’ailleurs leur proposer en exercice de substitution de sentiment pour Arnolphe.
composer le costume de la fée à partir de découpages Quant à Béatrice, c’est elle qui ouvre les hostilités
effectués dans des revues. en se moquant de l’inconsistance de Bénédict (l. 1).
Elle retourne systématiquement les arguments de
PAGE 210 Bénédict contre lui-même, comme aux lignes 4-5,
10-11, 16-17 ou 19. Il est peu courant au début du
xviie siècle de voir une femme jouer d’esprit contre un
GROUPEMENTS DE TEXTES COMPLÉMENTAIRES homme avec autant de pugnacité.
3. Dans la mise en scène de Stéphane Braunschweig,
⁄ Molière,
L’École des femmes, 1662
Arnolphe tend un doigt menaçant à quelques
centimètres du visage d’Agnès, qui tient la tête
¤ William Shakespeare,
Beaucoup de bruit pour rien, 1600
légèrement en retrait. Ce geste menaçant est redoublé
par le jeu de reflet que permet la scénographie (plaque
de plexiglas). Dans la mise en scène de Didier Bezace,
PARCOURS 1. Compétences de lecture Arnolphe est plus grand qu’Agnès, qui a les pieds dans
1. Dans les deux extraits, les dialogues sont assez une trappe de scène, ce qui la place de fait à un niveau
courts, la parole fuse de part et d’autre. C’est inférieur à celui d’Arnolphe. Ce choix scénographique
particulièrement le cas dans le texte de Molière. instaure une position oblique des regards, et une

supériorité d’Arnolphe, qui peut regarder Agnès vers – un homme et une femme s’affrontent à propos des
le bas, tandis qu’elle est obligée de lever la tête pour métiers, dont certains ne pourraient être pratiqués
soutenir son regard. que par des hommes ou que par des femmes.
4. SYNTHÈSE 2. On pensera à rappeler aux élèves quelques
Dans les deux cas, on pourra insister sur la contestation caractéristiques du registre comique : comique de
du pouvoir masculin, mis à mal dans les deux œuvres, gestes, de situation, de mots, effets de répétition,
et qui devient un élément comique. Mais ce sont double énonciation permettant au public d’en savoir
surtout la construction du discours, les mots d’esprit, plus que le ou les personnages, etc. On incitera
et le jeu du chat et de la souris qui se mettent en également les élèves à rédiger quelques didascalies
place dans les deux scènes qui en font le piquant et permettant d’accentuer le comique de la scène.
le ressort comique. On peut aussi les renvoyer à la page 226 du manuel.
ŒUVRE INTÉGRALE
1. On pourra demander aux élèves, pour les entraîner,
Dans les deux extraits des pages 210-211, les jeunes
de rédiger un paragraphe autour de ces arguments et
filles sont dans une position d’insoumission aux
de ces exemples :
hommes. La très jeune fille de Cendrillon, qui s’oppose
– thèse : Le théâtre est un genre approprié pour
pourtant à de nombreux personnages dans la pièce,
mettre en scène l’affrontement de deux personnages
n’est pas dans une position de défi face au prince. Elle
➞ La nature même de texte dialogué s’y prête : le
est dans un moment de confidence et d’altruisme,
théâtre est le genre du dialogue par excellence. Il
lorsqu’elle révèle au prince une vérité qu’il ne voulait
permet donc de confronter directement les différents
pas admettre jusque-là.
points de vue incarnés par les personnages.
Ex : L’École des femmes de Molière met en scène la
ARTS DE LA SCÈNE lutte entre Arnolphe et sa pupille. Arnolphe défend une
Comme on l’a vu plus haut, les deux mises en scène conception autoritaire, passéiste et humiliante des
soulignent l’affrontement entre les personnages. relations entre un mari et sa femme, vision contestée
À chaque fois, l’expression du comédien jouant par Agnès qui valorise le sentiment amoureux.
Arnolphe est sans équivoque : visage crispé, regard ➞ Le théâtre est un genre littéraire destiné à être
mauvais et menaçant, geste de la main témoignant lu ou à être joué. La possibilité de jouer le texte, et
d’une certaine colère, voire d’une violence possible donc d’incarner des idées différentes dans le corps
(la main droite de Pierre Arditi). des comédiens introduit une force d’authenticité au
Mais pour ce qui est de la scénographie et des discours et concrétise la dualité de l’échange.
costumes, là où Didier Bezace fait le choix d’un ancrage Ex. : Ça ira, fin de Louis de Joël Pommerat propose
cohérent avec l’époque de Molière (jusqu’aux bas de aux spectateurs une expérience immersive dans la
Pierre Arditi), Stéphane Braunschweig situe quant à pensée et les débats révolutionnaires qui ont animé
lui L’École des femmes dans le monde contemporain. la France à la fin du xviiie siècle. Les idées se succèdent,
Arnolphe est en costume-cravate, élégant et sans défendues avec âpreté par des personnages dont les
fantaisie, là où Agnès est habillée comme pourrait propos correspondent à des discours historiques.
l’être une adolescente aujourd’hui, soulignant l’écart – antithèse :
d’âge entre les deux personnages, et inscrivant donc ➞ D’autres genres permettent tout aussi bien
davantage la pièce dans un contexte qui pourrait l’affrontement ou la confrontation de personnages.
rappeler la polémique autour du #MeToo. Le roman peut mettre en scène l’opposition entre des
personnages aux visées divergentes.
PARCOURS 2. Compétences d’écriture Ex : On peut penser, entre autres, à la lutte entre
1. Les élèves ne devraient pas manquer de sujets Milady de Winter et d’Artagnan dans Les Trois
d’inspiration. On peut néanmoins si nécessaire les Mousquetaires de Dumas.
orienter vers ces deux pistes : ➞ Le roman permet en outre de suivre l’affrontement
– un homme et une femme, contemporains de de personnages sur de plus longues périodes que le
Molière, s’affrontent pour savoir s’il faut donner aux théâtre, dont l’intrigue est souvent concentrée sur
femmes la même éducation qu’aux hommes ; une durée plus courte.

Ex : L’affrontement épique entre Javert et Jean Valjean tout le sang que vous m’avez donné ») ou d’opposition
dans Les Misérables de Hugo, s’étire sur plusieurs comme l’antithèse (« respectant le coup ») ;
dizaines d’années. – le pathétique qui se dégage du discours d’Iphigénie
devant son père, discours sans haine, qui laisse
PAGE 212 apparaître toute sa noblesse d’âme, et rend d’autant
plus cruel son sacrifice.
‹ Racine,
Iphigénie, 1674 ŒUVRE INTÉGRALE
1. ENTRER DANS LE TEXTE La relation de la très jeune fille avec son père dans
Iphigénie est au courant du projet de son père. Cendrillon est très éloignée de celle qu’Iphigénie
Elle s’adresse à lui calmement (« Cessez de vous entretient avec le sien. Là où l’héroïne de Racine se
troubler », v. 2 ; « D’un œil aussi content », v. 6), caractérise par le respect, la soumission et la réserve, la
dans le but d’infléchir sa décision, mais dans le respect très jeune fille imaginée par Joël Pommerat provoque
de son autorité. souvent son père, à qui elle reproche implicitement
2. Iphigénie se présente dans une attitude de d’avoir oublié sa première femme et qu’elle ne
soumission et d’acceptation de l’autorité de son père ménage pas dans sa nouvelle vie.
(« Ma vie est votre bien, vous voulez le reprendre »,
v. 4). Cependant, elle ne cache pas sa surprise devant ARTS DE LA SCÈNE
l’empressement de son père qui souhaite se plier à Dans sa mise en scène d’Iphigénie (2018), Chloé
l’oracle (v. 21-23). Elle cherche donc à plaider pour sa Dabert situe l’action sur un terrain militaire. On
vie, en s’appuyant sur la souffrance que sa disparition voit en arrière-plan du matériel de camouflage, et
provoquera chez sa mère et chez son fiancé Achille Agamemnon a lui-même un costume ressemblant
(v. 31). à un uniforme militaire. Les costumes sont
3. Grammaire contemporains. La comédienne semble vouloir
Autre ordre possible : « Je saurai, victime obéissante, caresser le visage de son père, geste que ce dernier
tendre s’il le faut une tête innocente au fer de repousse. On peut lire la douleur dans l’expression
Calchas ». de la comédienne, et ce qui pourrait être de la gêne
L’organisation de la phrase voulue par Racine met ou du regret chez Agamemnon. La mise en scène
en valeur le statut de victime de l’héroïne, en isolant de Chloe Dabert souligne donc davantage les liens
« tête innocente » en position finale au vers 9. affectifs entre le père et la fille, passant sous silence
4. Parties suggérées : la distance respectueuse que pourrait laisser attendre
– vers 1 à 11 : l’affirmation de la fidélité d’Iphigénie le texte de Racine.
à l’autorité paternelle ;
– vers 12 à 17 : un témoignage d’amour filial ; PAGE 213
– vers 18 à 23 : la surprise d’Iphigénie face à la décision
de son père ;
– vers 24 à 31 : le destin d’Iphigénie est aussi lié à ses
proches.
› Beaumarchais,
Le Barbier de Séville, 1775
On perçoit une progression « douce », Iphigénie Rosine possède une lettre compromettante dans
n’étant pas dans une position de rébellion, mais plus laquelle le comte Almaviva lui déclare son amour.
dans une protestation de surprise sincère et émue, Le trouble de Rosine se révèle notamment lorsque
face à la décision de son père. Bartholo s’absente un instant (l. 24-25) Bartholo sait
4. SYNTHÈSE que la lettre est compromettante, ce qui motive son
Les caractéristiques tragiques de cette tirade sont : insistance (« billet, qui sans doute est une missive de
– le champ lexical de la victime soumise à son quelque amant », l. 17).
destin (« soumis » ; « victime obéissante » ; « tête 2. Les didascalies sont essentielles, comme souvent
innocente » ; « respectant le coup » ; « menacée ») ; dans le théâtre de Beaumarchais. Elles donnent ici
– La présence d’un certain nombre de figures des indications de déplacement et d’actions à faire
d’amplification comme l’hyperbole (« Vous rendre pour les comédiens, comme au moment où Bartholo

part fermer la porte et revient : « revenant » (l. 27). 5. SYNTHÈSE
Elles révèlent surtout le subterfuge par lequel Rosine L’affrontement entre les deux personnages révèle la
va intervertir deux lettres pour duper Bartholo, par volonté de Bartholo d’avoir une emprise absolue sur
exemple au moment où Rosine effectue la substitution Rosine, dont il veut contrôler la vie, les fréquentations
entre les deux lettres : « Elle fait l’échange, et met la et les actions en la traitant donc comme une
lettre du cousin dans la pochette, de façon qu’elle sorte prisonnière. L’affirmation du droit « du plus fort »
un peu », l. 25-26). (l. 29) est là pour le rappeler. Cet affrontement
Ici, Rosine ne se sontente pas de faire l’échange entre révèle aussi la jalousie féroce du barbon, ce que laisse
les deux lettres, elle met en avant la lettre qui doit entrevoir par exemple une expression comme « une
la disculper aux yeux de Bartholo, et agit comme un missive de quelque amant » (l. 17).
metteur en scène qui prépare le regard du public, dans Rosine, quant à elle, rejette cette emprise. Elle refuse
une malicieuse mise en abyme. de donner la lettre à Bartholo, et se révolte contre
3. Avant de profiter d’un moment où Bartholo a le dos sa volonté de domination. (« j’en suis plus révoltée
tourné pour placer une lettre inoffensive à la place encore » ; « ce n’était pas pour vous donner le droit
de celle qui serait compromettante pour elle (l. 25), de m’offenser impunément »). Il s’agit d’un moment
Rosine use du discours pour repousser la demande crucial de la pièce où Rosine prend conscience de son
de Bartholo : enfermement et de la cruauté du traitement que
– elle reproche à Bartholo d’abuser de son autorité Bartholo lui inflige.
en cherchant à lire son courrier privé (l. 5-7) ; VERS LE BAC. Commentaire
– elle le menace de quitter la maison (l. 18) ; Pour répondre, on peut s’appuyer sur les éléments
– une fois que l’échange de lettres a été fait, elle suivants, à compléter par les éléments de réponse
continue à aiguiser la jalousie de Bartholo (l. 28-30) aux questions de cette page :
afin de le ridiculiser lorsqu’il se rendra compte de sa – Rosine a conscience qu’elle doit occuper Bartholo
méprise. pour gagner du temps. Elle parle donc et le fait
La résistance de Rosine s’appuie sur des procédés parler. Cela ce traduit notamment par l’emploi de
rhétoriques et stylistiques : questions rhétoriques (« Pourquoi vous donnez-vous
– par des questions rhétoriques (l. 5-6 ; l. 14-15) ; […] », l. 5-6). Ce discours de la femme offensée a
– par le parallélisme de la construction (« Si c’est pour conséquence de retarder l’action que Bartholo
jalousie, elle m’insulte ; s’il s’agit de l’abus d’une pourrait entreprendre pour lire la lettre ;
autorité usurpée, j’en suis plus révoltée encore », – elle cherche également à détourner l’attention de
l. 6-7). Bartholo, en ne parlant plus de la lettre, mais en plaçant
La résistance est aussi marquée grammaticalement : le dialogue sur le terrain des règles de comportement
– par la récurrence des subordonnées hypothétiques, entre un homme et la femme qu’il courtise : « Si c’est
parfois accompagnées de menaces (l. 6-7, l. 9-10, jalousie, elle m’insulte […] révoltée encore », (l. 6-7) ;
l. 18-19) ; « Si je me suis modérée […] m’offenser impunément »
– par l’emploi du futur exprimant la volonté ferme de (l. 9-10) ;
Rosine : « Vous ne le verrez pas » (l. 18) ; « C’est ce – lorsque Bartholo s’éclipse un instant pour aller fermer
qu’il faudra voir » (l. 21). la porte, Rosine saisit l’occasion et profite de cette
4. Grammaire opportunité pour agir : « Pendant qu’il y va » (l. 24).
On identifie quatre propositions dans la phrase : Elle fait preuve ici, derrière une apparente candeur
« Si c’est jalousie, » ➞ Proposition subordonnée (« Ah ciel ! Que faire ? », l. 24), d’un pragmatisme
« elle m’insulte ; » ➞ Proposition principale et d’une réactivité surprenantes (« Mettons vite à la
« s’il s’agit de l’abus d’une autorité usurpée, » place la lettre de mon cousin », l. 24-25). Elle va même
➞ Proposition subordonnée jusqu’à entretenir la jalousie de Bartholo, dans le but
« je suis plus révoltée encore. » ➞ Proposition de se disculper, en choisissant de laisser dépasser la
principale lettre de substitution de la pochette : « donnons-lui
La présence d’un point-virgule crée une césure forte beau jeu à la prendre » (l. 5) ; « Elle fait l’échange,
dans la phrase, ce qui permet de justifier la présence de et met la lettre du cousin dans la pochette, de façon
deux propositions principales. Les deux subordonnées qu’elle sorte un peu. » (l. 25-26). On assiste presque
sont des subordonnées circonstancielles de condition. à une inversion du rapport de force ici. Le maître qui

exerçait son pouvoir sur sa pupille trop candide est ici 3. Dans un premier temps, Julie soigne Jean (l. 2 à
lui-même dupé par un savant stratagème ; 4), mais cette situation est l’occasion pour elle de
– une fois le piège tendu au jaloux, Rosine continue le se rapprocher physiquement de lui (l. 5 à 8). C’est
même jeu qu’avant, comme si le danger était toujours ce qu’indique la didascalie des lignes 5 et 6, « (Elle
aussi réel : « De quel droit s’il vous plaît ? » (l. 28) ; le prend par le bras, le fait asseoir, lui saisit la tête, la
– entre sa stratégie verbale et sa réactivité lors de la penche en arrière et essaye d’enlever la poussière avec
sortie momentanée de Bartholo, Rosine lui oppose son mouchoir.) ». Les gestes de Julie s’accompagnent
donc une résistance tout à fait surprenante, et qui ensuite d’un discours que l’on pourrait considérer
contraste avec le caractère du personnage au début comme admiratif vis-à-vis de la force physique de
de la pièce. Cette résistance intelligente, face à la Jean (« Ma parole. Il tremble ce grand gaillard solide !
prévisibilité de Bartholo, constitue donc un ressort […] Et avec des bras pareils ! », l. 8). Cette légère ironie
théâtral comique très fort dans cette scène. vise à intimider Jean, à le provoquer pour qu’il réagisse
aux tentatives de séduction de Julie.
ŒUVRE INTÉGRALE Lorsque Jean la met en garde (« Attention, je ne suis
Face à la contrainte, Rosine adopte une stratégie à qu’un homme. », l. 11 ; « « Bon, mais ce sera votre
la fois offensive et défensive. Elle accuse Bartholo de faute », l. 18), Julie va plus loin dans la provocation :
s’immiscer dans sa vie privée, mais elle se défend aussi la répétition de l’expression « Baisez-moi la main »
en cherchant à tromper Bartholo, parce qu’elle n’a (l. 15 et 17), la volonté de pousser Jean dans ses
pas respecté ses recommandations (ne communiquer retranchements par ses questions (« Si quoi ? » ; « Ce
avec personne sans son accord). serait peut-être vous ? », l. 19 et 25) sont autant de
Dans la scène 10 de la première partie de Cendrillon, la défis lancés à Jean, qui jouent sur les clichés masculins
très jeune fille quant à elle subit certes la loi de fer que du désir. La métaphore du feu (l. 21) évoque le
la belle-mère est en train d’imposer à la famille, mais cliché du danger de la séduction. Cette métaphore
elle cherche aussi régulièrement, consciemment ou est reprise plus loin, avec l’expression « matières
non, à provoquer sa nouvelle famille en faisant sonner inflammables » (l. 23-24). Jean semble donc ici se
sa montre, en parlant de sa mère, ou en montrant son défendre en se dédouanant des conséquences de la
album de famille aux deux sœurs. séduction qu’entreprend Julie, comme si elle en était
la seule responsable. Ce comportement présage de la
suite de l’intrigue, Jean n’assumant pas pleinement
PAGE 214
une relation qu’il a pourtant lui aussi provoquée.
Julie poursuit ses moqueries lignes 27-28 (« Quelle
∞ Auguste Strindberg,
Mademoiselle Julie, 1888
incroyable présomption ! Un Don Juan peut-être ! »).
Là encore, elle cherche presque à ridiculiser Jean pour
le faire réagir, invoquant le mythe du séducteur par
Sous prétexte d’aider Jean à se débarrasser d’une excellence, celui de Don Juan. Les phrases exclamatives
poussière qu’il a dans l’œil, Julie entre en contact soulignent cette intention provocatrice.
physique avec lui, le touche, et tient des propos Finalement, cette série de provocations de la part de
aguicheurs. Ainsi, elle s’empresse d’abord de vouloir l’héroïne aboutit au geste de Jean qui veut l’embrasser
le soigner pour une poussière dans l’œil (« Faites voir (« Jean s’approche hardiment et tente de la prendre
ce que vous avez dans l’œil », l. 1). Elle va jusqu’à par la taille pour l’embrasser. Julie le gifle » l. 30-31).
s’attribuer la responsabilité de cette « douleur » (« La La gifle qui clôt cette séquence apparaît contradictoire,
manche de ma robe a dû vous égratigner l’œil », l. 4). comme si Julie cherchait plus à vérifier son pouvoir
Mais très vite, comme en attestent de nombreuses de séduction et de désir qu’à vraiment engager
didascalies, elle entre en contact physique avec lui une relation. Elle traduit aussi le tourment et les
(« Elle le prend par le bras […] », l. 5-8).) hésitations d’un personnage qui séduit un homme
2. Grammaire par désœuvrement, qui provoque sa propre chute tant
Le mode verbal utilisé est l’impératif (« Faites », l. 1). son malaise est grand. La dernière réplique de l’extrait
Il traduit d’emblée que c’est Julie qui prend l’initiative (« Sérieux ! ») est désarmante pour Jean et pour le
et cherche à séduire Jean en lui suggérant de se lecteur : on ignore si elle s’applique à la gifle ou au
rapprocher d’elle. « sérieux » que Julie souhaite conférer à leur relation.

4. SYNTHÈSE théâtre devient un moyen de représenter un état de
Par son attitude de séduction ouverte vis-à-vis d’un la société à une époque donnée, ici la France du début
homme, Julie est en rupture avec les normes sociales des années 1970.
de son époque. Une femme ne peut exprimer son b) Cela permet une identification plus forte des
désir dans le cadre de la société bourgeoise suédoise spectateurs
de la fin du xixe siècle. Elle agit donc comme une Dans La Réunification des deux Corées de Joël
héroïne anticonformiste, même si elle ne mesure Pommerat, les personnages peuvent renvoyer le
probablement pas les conséquences de ses actes dans spectateur à des situations courantes, qui peuvent
un monde où le pouvoir des hommes sur les femmes avoir un écho plus fort, comme dans la scène du
est encore très prégnant. rendez-vous entre l’instituteur et les parents d’un
élève.
c) Tous les comportements humains sont intéressants
Le théâtre classique – tragique ou comique – met
à explorer au moyen du théâtre, y compris ceux de
en scène des personnages exceptionnels par leur
personnages médiocres
noblesse, leur cruauté, leur ridicule ou leurs passions
Les deux personnages principaux de En attendant
excessives. Peu à peu, à partir de la deuxième moitié
Godot de Beckett, bien que n’ayant aucun but précis,
du xviiie siècle, mais surtout à partir de l’époque
et vivant dans un désœuvrement triste, renvoient
romantique, des personnages ordinaires apparaissent
pourtant l’image d’une humanité désenchantée, qui
au théâtre. Au xxe siècle, le théâtre de l’absurde en
ne parvient plus à croire en elle-même.
particulier, fait émerger des personnages presque
Comme les personnages de roman, les personnages
inconsistants, et fantômatiques, redéfinissant la
de théâtre présentent au lecteur ou au spectateur
notion de héros théâtral. Un personnage de théâtre
un reflet de la société. S’ils peuvent être animés de
doit-il donc être exceptionnel pour être intéressant,
sentiments nobles, ou être au contraire exceptionnels
et que peuvent apporter des personnages plus
dans la cruauté, apparaissant comme des modèles
ordinaires ?
ou des contre-modèles, les personnages de théâtre
1. Un personnage de théâtre doit être peuvent aussi susciter l’intérêt du lecteur par leur
exceptionnel banalité, et engager ainsi une identification plus forte
a) Par son esprit ou ses valeurs morales avec les spectateurs.
Dans Ruy Blas de Hugo, le valet de Don Salluste
devient Premier ministre grâce à ses qualités morales ŒUVRE INTÉGRALE
et intellectuelles. Et même s’il est manipulé par son
Il existe en apparence peu de points communs entre la
maître, il n’en demeure pas moins brillant par son
très jeune fille et Julie, du fait de leur différence d’âge.
éloquence face à la cupidité des conseillers du roi,
La très jeune fille ne cherche pas à séduire, même
notamment dans sa fameuse tirade de l’acte III,
en allant au bal. Elle souhaite surtout échapper à la
scène 2.
tristesse et à la solitude qu’elle s’est imposée pour
b) Par sa capacité à bouleverser l’ordre établi
cultiver la mémoire de sa mère. Julie quant à elle
Béatrice, dans Beaucoup de bruit pour rien, ou Julie
cherche maladroitement à échapper à son milieu et
dans Mademoiselle Julie remettent en cause les
à aller vers les autres.
représentations traditionnelles de la femme dans la
Néanmoins, ces deux personnages de théâtre se
société.
caractérisent par leur détermination face aux autres,
c) Par sa capacité à résister aux épreuves et à affronter
qui va jusqu’à les rendre étranges et énigmatiques
son destin
aux yeux de leur entourage.
On peut penser à Iphigénie qui, bien qu’acceptant
son sort dans la pièce de Racine, tente néanmoins
d’infléchir la décision de son père. ARTS DE LA SCÈNE
2. Mais un personnage de théâtre peut aussi être La mise en scène de Christian Schiaretti reconstitue
plus ordinaire un intérieur suédois de la fin du xixe siècle. On
a) Cela confère à la pièce un certain réalisme distingue une table et un comptoir rouges. Les
Dans Par-dessus bord de Michel Vinaver, la plupart costumes se réfèrent plutôt à l’époque de la pièce.
des personnages sont des employés de bureau ; le Ils soulignent la différence de statut social des deux

personnages principaux : Julie porte des bottines, une connard de Burbage », l. 12). Mais d’un point de vue
belle robe verte, et Jean porte une sorte de livrée. Le lexical, les références aux modes de vie (« coches »),
jeu des comédiens est également révélateur : Julie aux lieux (« près du Globe ») ou aux personnages
a les pieds posés sur la table et observe Jean qui est historiques (« Burbage » ; « William ») situent bien
assis et nettoie des bottes. On remarque cependant évidemment le texte au xvie siècle.
que le metteur en scène a souhaité introduire une 4. SYNTHÈSE
différence d’âge entre les personnages, là où les Eileen aspire à être considérée autant que les
protagonistes de la pièce de Strindberg sont plutôt hommes. Elle cherche à être reconnue comme femme
d’un âge proche. de lettres, dans un univers et à une époque où cela
semble inaccessible. Le texte met également l’accent
PAGE 215 sur sa volonté d’indépendance matérielle (« J’ai
une chambre à moi », l. 1 ; « je gagne ma vie, à ma
6 Fabrice Melquiot,
Eileen Shakespeare, 2009
manière », l. 15) et affective (« Lire pour me sauver »,
l. 3). Eileen affectionne la solitude (« je m’assois et je
lis, les coches se vident », l. 6-7) et l’observation de
L’héroïne n’a de cesse dans cette lettre d’affirmer son ses contemporains ((« j’aime tellement regarder les
indépendance, matérielle et intellectuelle : elle dit coches des rivières », l. 3-4).
posséder une chambre, ce que le pronom personnel Elle semble très érudite (« Dante, je n’avais jamais lu
« moi » souligne particulièrement (« J’ai une chambre Dante. Et Ronsard ! »l. 7), érudition qu’elle met à profit
à moi », l. 1), ainsi que tout le nécessaire pour mener dans son écriture (« Ur-Hamlet est un prince qui finit
une vie indépendante (« De quoi dormir (…) lire roi, un prince hanté, mais dans ce que j’écris, il n’est
aussi », l. 2-3). encore qu’un enfant », l. 10-11). Elle va jusqu’à vouloir
Elle souligne néanmoins aussi la difficulté pour une bousculer les codes sociaux liés à l’identité sexuelle
femme de percer dans le milieu littéraire londonien : en affirmant sa volonté d’« être un homme » (l. 17)
« Les actrices n’existent pas. Les femmes n’existent pour pouvoir entrer dans un théâtre.
pas » (l. 15-16).
2. Grammaire
Plan possible :
Dans cette phrase, on peut distinguer :
– une proposition indépendante : « Je m’assois » ; 1. Un personnage de théâtre défend avant tout
– une proposition indépendante juxtaposée à la ses propres idées
précédente : « les coches se remplissent » ; a) Il peut, à travers des tirades et des monologues
– une nouvelle proposition indépendante juxtaposée développer amplement ses arguments.
à la précédente : « je m’assois » ; b) Le théâtre est un genre où les dialogues permettent
– une proposition indépendante coordonnée à la la confrontation des arguments.
précédente : « et je lis » ; c) La présence d’un public crée une connivence entre
– une dernière proposition indépendante juxtaposée : le personnage et les spectateurs, l’incitant à confier
« les coches se vident ». régulièrement ses pensées.
On peut donc ici parler de parataxe. 2. Le théâtre permet de défendre des arguments
3. Du point de vue stylistique, on peut par exemple universels
relever l’ancrage contemporain à travers la syntaxe de a) La fiction dramatique ne s’oppose pas à la vérité
la phrase analysée dans l’exercice précédent. On peut des arguments
pour cette phrase parler de style coupé. Certaines b) L’affrontement des personnages crée une forme
phrases sans verbe conjugué accentuent cette de réflexion qui les dépasse
impression de liberté du style : « Lire pour me sauver » c) La présence du public lors des représentations
par exemple (l. 3). L’écriture porte aussi les marques confère au théâtre une dimension universelle (voir la
de l’énonciation orale, alors qu’il s’agit d’une lettre : fonction politique du théâtre grec).
« Et Ronsard » (l. 7) ou « […] l’imbécile ! » (l. 8). Enfin, Exemple de paragraphe possible autour de la thèse
la vulgarité assumée de l’insulte à propos de Burbage « Un personnage de théâtre, bien que fictionnel, peut
participe plutôt d’une licence contemporaine (« ce exprimer des arguments universels »

Le personnage, qu’il soit romanesque ou théâtral, PAGE 216
naît certes de l’imagination d’un écrivain, mais il se
construit à partir de valeurs et de modèles qui sont LEXIQUE ET ÉCRIT D’APPROPRIATION
bien réels. La dimension fictionnelle du personnage
n’est donc pas contradictoire avec la force des idées La révolte et l’anticonformisme
qu’il peut porter.
Dans Eileen Shakespeare, bien que l’héroïne soit une EXERCICE 1. Synonymes
pure fiction, William Shakespeare n’ayant pas eu de Pour cet exercice, on n’attend pas forcément une
sœur dramaturge, elle développe des arguments pour réponse figée, plusieurs termes parmi ceux proposés
faire valoir le droit des femmes à la liberté de créer, pouvant correspondre aux héroïnes de la séquence.
droits qui sont universels. Il s’agit donc plus d’expliquer et de commenter chacun
Le personnage de théâtre partage par ailleurs avec des termes avec les élèves, et ce faisant, de les faire
les personnages de roman d’autres caractéristiques revenir sur leur compréhension de l’œuvre intégrale
lui permettant de porter un discours qui dépasse et des textes du groupement complémentaire.
ses seules préoccupations personnelles. Parce Par exemple, pour L’Ecole des Femmes : « désobéis-
qu’il est une création émanant de l’esprit d’un sante » et « insoumise ». Agnès, pour la première fois,
écrivain, le personnage est porteur des idées, des affirme face à Arnolphe son refus de l’autorité, et son
contradictions, et des questions de son créateur. Par droit à la liberté. Elle le fait d’autant plus aisément que
leur confrontation au sein d’une même œuvre, les l’amour d’Horace lui paraît plus légitime que l’enfer-
arguments des différents personnages contribuent mement auquel Arnolphe souhaite la condamner.
donc à construire une réflexion complexe, qui EXERCICE 2. Dérivation
reflète à la fois ce que chacun d’eux peut penser Rébellion : se rebeller Mutin : se mutiner
individuellement, mais qui tisse également une Insurrection : s’insurger Soulèvement : se soulever
pensée plus universelle, qui serait comme la
résultante des pensées individuelles. EXERCICE 3. Donner un titre
Ce phénomène est particulièrement frappant dans 1. La possibilité pour les élèves de puiser dans leur
Ça ira, fin de Louis de Joël Pommerat. Dans cette connaissance des séries devrait être stimulante pour
pièce, les personnages révolutionnaires et contre- eux.
révolutionnaires défendent leurs arguments, mais On peut proposer :
ce n’est que le spectateur qui peut, dans une sorte Révolte : Indiana de Georges Sand. On peut aussi citer
d’expérience de synthèse théâtrale, élaborer une le cycle de romans Hunger Games et leur adaptation
vision plus globale de l’histoire. au cinéma, œuvres connues de la plupart des élèves.
Refus : Au théâtre, on peut penser au mythe d’Anti-
ŒUVRE INTÉGRALE gone, dans ses versions antiques ou plus contempo-
raines. On peut, pour le cinéma, citer par exemple Erin
Dans Cendrillon, la très jeune fille lutte avant tout
Brockovich de Steven Soderbergh, qui met en scène
contre elle-même, contre sa propre tendance
un personnage refusant la loi du silence, et qui lutte
à l’autodestruction, à la culpabilité. Jusqu’à la
pour dénoncer un scandale sanitaire.
rencontre de la fée et du prince, elle s’empêche de
Résistance : Lucie Aubrac, Ils partiront dans l’ivresse (on
vivre pleinement, de rechercher le bonheur auquel
peut penser aussi à l’adaptation cinématographique,
elle estime ne pas avoir droit. D’une manière
Lucie Aubrac)
moindre, elle est aussi en lutte contre sa belle-mère,
Insubordination : L’insubordination à un système
qui chercher à faire disparaître le souvenir de sa
de domination masculine avec le personnage de la
mère, et contre son père qui, pour ne pas contrarier
Marquise de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses.
sa seconde femme, cherche à oublier sa vie passée
et sa première femme. EXERCICE 4. Locutions et expressions
Eileen Shakespeare est engagée dans une lutte 1. Liberté de langage/liberté d’esprit/prendre des
plus générale, une lutte idéologique et sociale, libertés/agir en toute liberté, etc.
revendiquant le droit pour une femme d’écrire et de 2. Cette expression est d’origine biblique (« Pourquoi
pouvoir pratiquer toutes les professions exercées par mettre le pot de terre avec le pot de fer ? S’il le heurte
les hommes. il se brisera. » L’Ecclesiaste, chapitre 13). L’expression

a été reprise et popularisée par la fable de La Fontaine femme : De nos jours, on met davantage en valeur le
« Le Pot de terre et le Pot de fer ». Elle signifie que le progrès technologique, l’hyperconnexion et les mul-
plus faible finit toujours par être battu par le plus fort. tiples formes de socialisation numérique. Au risque de
3. En lutte contre les contraintes liées à sa condition. paraître marginale, je préfère quant à moi m’insur-
Dans le droit féodal, le « ban » est un exil prononcé ger contre certaines de ces évolutions qui cachent
par proclamation. Une personne en rupture de ban en réalité, sous couvert de liberté, des formes de
refuse de se soumettre à cet exil. L’expression signifie soumission.
souvent plus généralement « en rupture » avec les Exemple d’argument possible développé par le second
règles liées à sa condition ou à son statut. personnage : Vous vous complaisez dans une posture
de résistance, mais vous vous trompez de cible. Plutôt
EXERCICE 5. Étymologie
que de passer pour une excentrique aux yeux de votre
On pourra apprendre aux élèves à utiliser cet outil en
entourage, vous devriez au contraire utiliser tous ces
surlignant la partie « étymologie/histoire » à l’aide
progrès technologiques pour affirmer vos idées et
des menus déroulants proposés par le site (en haut
votre personnalité.
à gauche).
Rebelle : du latin rebellis, « qui recommence la EXERCICE 8. Écrit d’appropriation
guerre ». On attend dans les trois parties de l’exercice que
Titres de film : Rebelles (2019) la situation de l’héroïne, en particulier par rapport
Excentrique : du latin médiéval excentricus, « qui est à d’autres personnages, ou par rapport à un cadre
hors du centre ». social, soit bien définie.
Titre de film : Eternal Sunshine of the spotless Mind À titre d’exemple, on peut imaginer une jeune femme
(2004). se rebellant contre la société de consommation.
Atypique : du latin typus « modèle », le préfixe « a » On rappellera ce qui peut être attendu du point de
indiquant la négation. vue de l’énonciation pour le monologue : marques
Titre de film : Little Miss Sunshine (2006) de la subjectivité, lyrisme, questions rhétoriques, etc.
Indocile : du latin indocilis, « difficile à instruire ». Exemple d’un extrait de monologue : Pensez-vous
Titre de film : Les Femmes du Bus 678, Wadjda (2012) que nous puissions continuer longtemps encore à agir
EXERCICE 6. QCM comme si nous ne savions pas ? Croyez-vous que la
a. Sandra est une jeune fille obstinée qui parvient consommation sans limite soit le seul horizon possible
pourtant à dépasser sa douleur. pour l’humanité ? Est-ce une planète dépouillée,
b. Beatrice ne cesse de se quereller avec Bénédict par désertique, et vidée de sa substance et de ses richesses
ses railleries. que vous souhaitez laisser en héritage aux générations
c. Agnès laisse entendre avec espièglerie à Arnolphe futures ? Non ! Je ne crois pas, et je pense même
qu’elle est amoureuse d’un autre homme. qu’au fond de vous, vous savez très bien qu’il n’est
d. Rosine use de tous les stratagèmes pour empêcher plus possible de continuer à consommer selon ce
Bartholo de lire la lettre. modèle économique.
e. Iphigénie tente de dissuader son père de se confor-
mer à la volonté de l’oracle. PAGE 217
f. Dans le conte des frères Grimm, le personnage de
Cendrillon invoque l’arbre pour qu’il lui procure des
habits de bal. LECTURES CURSIVES
Dossier personnel
Dossier personnel
On veillera, pour accompagner les élèves, à rendre ACTIVITÉ 1. La playlist de vos lectures
les arguments de la femme plus concrets, afin qu’ils Proposez aux élèves de bien indiquer le titre du
portent sur des améliorations possibles de la marche morceau ainsi que son interprète.
du monde (lutte pour plus de tolérance, lutte en Si le travail est fait sous forme numérique, un lien vers
faveur de l’environnement, réduction des injustices…). la musique en ligne peut être ajouté.
Exemple d’argument possible développé par la Propositions pour cette playlist :

– Cendrillon de Joël Pommerat : Les Quatre Saisons, On peut également trouver le questionnaire original
de Vivaldi « L’Hiver » accompagné des réponses de Proust ici :
– L’École des femmes de Molière : Poupée de cire, http://clg-rostand-orleans.tice.ac-orleans-tours.
poupée de son de Serge Gainsbourg, interprétation fr/eva/ sites/clg-rostand-orleans/IMG/pdf/Le_
de France Gall Questionnaire_de_Proust.pdf
– Beaucoup de bruit pour rien de Shakespeare : Water
ACTIVITÉ 5. Transformer un personnage de
Music, de Haendel cinéma en personnage de théâtre
– Iphigénie de Racine : Arvo Pärt, Tabula rasa Les élèves peuvent aussi enrichir leur écrit d’un
– Le Barbier de Séville de Beaumarchais : Le Barbier de croquis, et de liens vers les extraits musicaux qu’ils
Séville de Rossini souhaitent associer à leur projet de mise en scène.
– Mademoiselle Julie de Strindberg : Façades de Philip Si l’on choisit le personnage d’Erin Brockovich par
Glass exemple, dans le film de Steven Soderbergh, on peut
– Eileen Shakespeare de Fabrice Melquiot : Obsé- isoler la scène de l’entretien d’embauche de l’héroïne
duction de Henri Torgue/Serge Houppin dans le cabinet d’avocats. On peut imaginer facile-
ACTIVITÉ 2. Mettre en scène un personnage de ment la mise en scène de l’échange tout à la fois tendu
jeune fille révoltée et comique entre l’employeur et la future employée,
On peut aussi suggérer aux élèves un univers vidéo, notamment par l’utilisation de jeux de lumière foca-
des lumières particulières, et un type de jeu pour les lisant l’attention sur les deux personnages, les isolant
comédiens. Pour aider les élèves, on peut leur proposer du reste de plateau qui pourrait rester dans le noir.
de regarder des extraits de mise en scène que l’on Une partition sonore assez rythmée pourrait ponctuer
aura sélectionnées pour eux grâce aux outils du site : certains moments de la scène.
https://www.reseau-canope.fr/edutheque-theatre-
en-acte/, qui permet entre autres de comparer des PAGE 219
mises en scène différentes de la même scène d’une
œuvre théâtrale.
ACTIVITÉ 3. Réaliser une bande-annonce
de lecture, ou book trailer
De nombreux sites proposent des démarches
Du théâtre classique
détaillées et des exemples de réalisation : au théâtre contemporain
http://cdi.ac-amiens.fr/IMG/pdf/fiche_de_
1. On pourra proposer par exemple :
presentation_du_projet.pdf
– pour des personnages/figures, d’autres pièces de
http://www.cndp.fr/crdp-toulouse/spip.php?
Pommerat comme Je tremble (1&2)
rubrique3230
https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/
https://www.reseau-canope.fr/savoirscdi/
Je-Tremble-2/
cdi-outil-pedagogique/conduire-des-projets-
– pour l’évolution des lieux de représentation, le
realiser-des-activites-pedagogiques/bases- théâtre de rue, et par exemple la compagnie 26 000
dinitiatives-pedagogiques/initiatives-pedagogiques/ couverts.
le-book-trailer.html – pour illustrer 11 septembre 2001, on peut penser à
https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p1_1651497/ « New York, New York », chanson chantée par Liza
creer-des-book-trailers-pour-encourager-la-lecture- Minnelli, choix retenu par le metteur en scène :
personnelle https://www.theatre-contemporain.net/video/
http://www.lycee-international.ac-versailles.fr/spip. 11-septembre-2001-Bande-annonce-1-3006
php?article469
2. On peut proposer la version instrumentale ou
https://padlet.com/
chantée par Liza Minelli de « New-York, New-York ».
anne_solange_je_drimille/87d6j494qf8e
C’est d’ailleurs le choix fait par Arnaud Meunier dans
ACTIVITÉ 4. Votre personnage préféré sa mise en scène. On peut le justifier par le décalage
Lien vers le questionnaire de Proust : https://www.library. que la musique peut créer entre le tragique de la
illinois.edu/rbx/kolbproust/proust/qst/ situation à la suite des événements du 11 septembre

2001, et la magie de New-York, ville du show-biz, ville deviennent concrets dans l’espace scénique (comme
de lumière et ville d’espoir pour tous les migrants à le mot « imagination »).
travers son histoire, au xxe siècle notamment. 2. Une pièce à la frontière de l’enfance
3. On veillera ici à ne pas d’emblée ancrer le dialogue et du monde adulte
dans le paroxysme de l’affrontement, mais à cher- a) Un parcours initiatique (on peut s’appuyer sur
cher une progression dans la tension dramatique. On l’évolution de Sandra)
peut, bien sûr, à un moment ou à un autre, faire lire b) Une pièce qui s’adresse autant à des enfants qu’à
la scène 16 de l’acte III d’Une Maison de poupée aux des adultes
élèves. c) Une pièce qui propose une vision de ce que signifie
« être adulte » (dans la pièce, Sandra devient adulte
PAGE 220 en renonçant à la souffrance permanente, mais la
belle-mère reste une enfant dans son égocentrisme
BAC Commentaire et son refus d’admettre la réalité).
Plan possible pour ce commentaire :
1. Un drame du malentendu
MÉTHODES
a) La parole rapportée de la mère, source du malen-
tendu (l. 1-6)
b) L’interprétation des paroles de la mère par la très PAGES 222-223
jeune fille (l. 8-14) FICHE 5
c) Les conséquences du malentendu (l. 23-36)
Le vocabulaire de la mise en scène
2. Entre récit, théâtre, et conte
a) Le rôle de la narratrice (l. 15-21 et 23-36) : une voix  Visualiser le théâtre
qui décrit et commente l’action dramatique a. Les flèches désignent, partant de la flèche la plus
b) L’univers du conte (contexte familial, héroïne basse à gauche et en tournant dans le sens des
confrontée à une épreuve, etc.) aiguilles d’une montre : avant-scène, côté jardin, fond
c) Une dramaturgie originale (les dialogues de théâtre de scène, côté cour, plateau.
sont « enrichis » par la présence d’une narration b. Stéphane Braunschweig explique que le décor est
adressée aux spectateurs. Les spectateurs sont des- à la fois « moderne et monastique ». Les murs de cinq
tinataires des dialogues, mais aussi d’un discours et mètres de haut et les petites fenêtres en hauteur et à
d’une réflexion sur les personnages). barreaux donnent le sentiment que la famille est pri-
sonnière de cette maison, symbole de la folie d’Orgon.
PAGE 221 La référence à la religion est essentielle dans cette
pièce qui dénonce les faux dévots, et de manière
BAC Dissertation sur une œuvre intégrale générale toute personne manipulant les esprits par
Plan détaillé possible pour cette dissertation : un discours spirituel.
c. Le décor moderne est une manière de montrer
1. Une pièce à la frontière du réel et de
toute l’actualité de la pièce de Molière. L’écran plat
l’imaginaire
peut nous faire réfléchir à l’importance des médias
a) Un ancrage réaliste : la famille recomposée, la dif-
et des réseaux sociaux dans la construction de l’opi-
ficulté du deuil, l’adolescence, etc.
nion aujourd’hui. Le rapport de fascination qu’Orgon
b) L’imaginaire et le merveilleux : univers du conte (la
a pour Tartuffe et le thème du fanatisme renvoient
fée, le prince, la marâtre, etc.).
aujourd’hui à une triste actualité.
c) La représentation de cette frontière : la mise en
scène, décrite en partie dans les didascalies, suggère  Imaginer le décor et les personnages
à de nombreuses reprises la porosité entre le réel et Il faut bien rappeler l’importance du schéma, de la
l’imaginaire (scènes de cauchemar de Sandra, scène mise en espace et de la mise à échelle. Quand on
de la mort de la mère vue, puis « corrigée » dans le pense à une scénographie, il faut la penser avec les
dénouement). On peut aussi évoquer, si on élargit la comédiens, leurs entrées et sorties, la possibilité de
réflexion à la mise en scène de J. Pommerat, l’utilisa- se déplacer… Il faut aussi penser à l’équilibre et à la
tion de la vidéoprojection pour projeter des mots, qui répartition des éléments dans l’espace. Cette didas-

calie est théâtralement très équilibrée. Un détail qui poursuite qui continue. Bouzin traverse le premier le
a néanmoins son importance : l’auteur utilise non pas fond en courant, puis, successivement, le général et
« jardin » et « cour », mais « gauche » et « droite ». Chenneviette.
Se place-t-il du point de vue du spectateur ou du Georges Feydeau, Un Fil à la patte, 1894.
comédien ? Samuel Beckett étant d’origine anglaise, Évidemment, les élèves ne proposeront pas les
il adopte la convention anglaise qui veut que l’on se mêmes, mais cela permet de voir précisément où
place toujours du point de vue du spectateur et que il en manque. Il est essentiel de leur signaler que
l’on utilise les mots « left » et « right ». l’ointroduction de l’exercice donne des précisions de
 Imaginer le décor et les personnages décor : il faut donc les exploiter. Un petit rappel sur
La note d’intention est un texte qui décrit et explique le vaudeville et ses codes, les quiproquos, les portes
qui claquent et autres éléments typiques, peut être
les choix de scénographie. Pour plus de facilité, on
une introduction intéressante à l’exercice d’écriture.
peut demander aux élèves de réaliser un schéma,
Après la confrontation des différentes propositions,
comme dans l’exercice 2.
on peut distribuer aux élèves la version de Feydeau
 Imaginer le ton et les gestes et la leur faire jouer ou bien leur montrer l’extrait
Voici le texte entier de Feydeau : correspondant dans la mise en scène de Jérôme
La Baronne. – Eh bien ! venez donc Bois-d’Enghien ! Deschamps (en ligne : https://www.youtube.com/
Qu’est-ce que vous faites ? (Montrant Bouzin qui est watch?v=OJqvFzen4Lg).
allé se placer par habitude de bureaucrate derrière la a. Les didascalies internes reposent surtout sur les
table de droite.) Monsieur vous attend pour lire le adresses. Le démonstratif « voilà » à la première ligne
contrat ! indique que Cléanthis montre Iphicrate et Euphrosine
L e G énéral (apercevant Bouzin et bondissant). à Arlequin, ou au public. L’utilisation du pronom per-
– Boussin ! sonnel de 2e personne ligne 6 indique qu’elle interpelle
Bouzin. – Le général ici ! sauvons-nous ! directement Iphicrate et Euphrosine. L’exclamation
Poursuite autour de la table en va-et-vient, en sens « Ah ! Nous y voici ! » amorce une nouvelle étape de
contraire de la part du général et de Bouzin, puis en la tirade de Cléanthis. Le propos se veut plus géné-
faisant le tour complet de la table au milieu du tumulte ralisant et s’ouvre aux « Messieurs les honnêtes gens
général. du monde » (l. 12), expression qui renvoie aux per-
Le Général (faisant la chasse à Bouzin). – Boussin ici ! sonnages de la pièce, mais aussi et surtout au public.
Encore Boussin ! Attends, Boussin ! C’est oun homme Enfin, quand elle évoque les « pauvres gens », elle
morte, Boussin ! inclut Arlequin avec elle.
Bouzin s’est sauvé par la droite, en faisant tomber au b. La note à l’attention des comédiens doit évidem-
passage la chaise, qui est près de la porte, dans les ment tenir compte des indications sous-entendues
jambes du général. Le général l’enjambe. par le texte, mais aussi imaginer le jeu de tous les
La Baronne (dans le tumulte général). – Eh bien ! personnages. Les costumes et accessoires doivent
qu’est-ce qu’il y a ? Où vont-ils ? bien être précisés et justifiés : tout fait sens au théâtre.
Lucette. – Ne craignez rien, Madame ! Courez, de
Chenneviette… séparez-les. PAGES 224-225
De Chenneviette. – J’y vole ! FICHE 6
Pendant ce dialogue très rapide au milieu du brouhaha
général, ce qui en fait presque une pantomime, Bouzin
L’énonciation au théâtre
s’est sauvé par la droite en faisant tomber au passage  Identifier les types de répliques
la chaise qui est à droite de la porte, dans les jambes du et leur fonction
général. Le général enjambe la chaise, Bois-d’Enghien, a. La première réplique est un extrait de tirade :
qui s’est précipité, tient le général par une basque de Antiochus avoue son amour à Bérénice qui, elle,
son habit. Chenneviette, qui s’est lancé à son tour, aime Titus, l’ami d’Antiochus, qu’elle ne pourra jamais
enlève à bras-le-corps Bois-d’Enghien qui lui obstrue épouser, car il est empereur et elle n’est que reine.
le passage, le rejette derrière lui et se précipite à la Le deuxième extrait est une série de trois apartés,
poursuite. – Affolement des personnages qui restent. aisément reconnaissables à la didascalie « à part ». Le
Un instant après, on aperçoit dans le second salon la troisième extrait est constitué d’une simple réplique
Méthodes | 229
dans laquelle Mme Smith parle de ce qu’elle a mangé : b. La stichomythie rend le dialogue plus tendu en
on est typiquement dans un dialogue. accélérant l’échange. L’émotion est renforcée par les
b. Dans le texte A, Antiochus annonce à Bérénice exclamations et le retardement de la réponse d’Aga-
qu’il s’en va. La fonction de ce type de réplique est memnon aux questions empressées d’Iphigénie, qui
de faire progresser l’intrigue. La série d’apartés du ne se doute de rien, bien au contraire.
texte B crée une connivence avec le public auquel les c. La dernière réplique d’Agamemnon est absolument
personnages s’adressent directement, comme si les terrible par sa brièveté, l’emploi du futur de l’indi-
autres ne pouvaient pas les entendre. Le texte C est un catif, l’insistance sur le lien de parenté et le terme
extrait de la première scène de La Cantatrice chauve : « Adieu » : la sentence de mort est prononcée.
comme dans toute scène d’exposition traditionnelle,  Comprendre un double-sens comique
cette réplique est purement informative. Mais Ionesco
a. Il s’agit d’une scène d’exposition, comme l’indique
joue avec les codes puisque les informations qui nous
le paratexte. De plus, les personnages échangent des
sont données ne servent à rien pour comprendre la
informations.
suite de l’histoire.
b. On apprend, dans l’ordre, que :
 Analyser un double-sens tragique – Octave est amoureux ;
a. Lucrèce prononce deux vœux dans cette scène, – son valet s’appelle Sylvestre ;
et ce sera l’inverse qui se réalisera : elle mènera son – son père vient d’arriver, il était absent ;
fils à sa propre perte, empoisonné d’abord, matricide – ce père a décidé de marier son fils ;
ensuite. Ce n’est qu’en la tuant qu’il découvrira la – avec la fille de Géronte ;
vérité. Hugo se plaît à souligner l’ignorance et l’aveu- – qui se trouve à Tarente ;
glement de Lucrèce par la présence derrière elle des – ces informations viennent de l’oncle d’Octave ;
deux hommes masqués, qui sont en réalité Rustighello – qui a reçu une lettre du père d’Octave.
et Don Alphonse, l’époux de Lucrèce. c. Molière s’amuse ici d’une convention théâtrale qui
b. Le personnage de Lucrèce est associé tradition- veut que, dans la scène d’exposition, les personnages
nellement au meurtre et à l’inceste. Elle appartient évoquent leur situation afin d’informer les specta-
aux figures monstrueuses de l’histoire. La scène 3 de teurs : c’est la double-énonciation. Ici, Octave sait
l’acte I, partie 1, la révèle sous un jour plus humain : déjà tout et ne fait visiblement que répéter ce que
celui d’une mère qui regrette de ne pas avoir pu élever Sylvestre vient de lui dire. Le comique du dialogue
son fils. Le fait qu’elle ôte son masque est hautement est souligné notamment par la répétition du « oui »
symbolique : derrière lui se cachent une femme, et de Sylvestre, qui ne peut rien répondre d’autre à la
une mère qui pleure son fils. L’émotion de Lucrèce est question complètement fermée d’Octave « Tu viens
telle qu’elle en oublie toute prudence et ne se rend d’apprendre au port que… ? »
pas compte qu’on l’observe. Les deux hommes sym-  Analyser un double-sens comique
bolisent d’une certaine manière le destin de Lucrèce,
a. La présence de Figaro et de Suzanne crée un effet
qui prie pour que son fils l’aime et soit heureux alors
de mise en abyme : le public voit des personnages
qu’il la tuera après avoir été empoisonné par ses
qui regardent d’autres personnages agir sans savoir
soins, sans qu’elle le veuille. Son amour l’aveugle et
qu’ils sont épiés. Figaro et Suzanne commentent ce
la mènera à sa perte, emportant cet enfant si chéri.
qu’ils voient par des apartés adressés aux spectateurs,
Victor Hugo offre ainsi une image plus nuancée de
comme s’ils faisaient partie de la scène.
Lucrèce. Le spectateur ne peut qu’être touché par les
b. Dans la scène 7 de l’acte V, le Comte croit parler à
larmes de cette femme et conscient du danger qui la
Suzanne. En réalité, il s’agit de la Comtesse : les deux
guette, sans pouvoir la prévenir. Victor Hugo respecte
femmes ont échangé leurs costumes. Le spectateur
ici la tradition aristotélicienne du héros tragique, qui
le sait, mais ni le Comte ni Figaro ne le savent. Figaro,
suscite à la fois terreur et pitié, permettant ainsi à la
lui, a décidé de prendre Suzanne et le Comte en fla-
catharsis d’opérer.
grant délit. Il est donc caché, ce que le spectateur
 Repérer un double-sens tragique sait, de nouveau, mais ce que le Comte et les deux
a. Iphigénie croit qu’elle va pouvoir assister à un femmes ignorent. Enfin, bien sûr, le spectateur connaît
sacrifice et se réjouit d’avance d’assister à une telle les plans du Comte qui pense avoir un rendez-vous
cérémonie. galant avec Suzanne. Le spectateur est ainsi placé en

position de complice de chacun des personnages. modernisé qui rappellerait qu’aujourd’hui encore on
Il assiste, caché dans l’ombre, à toute la scène, relayé peut être vaniteux et fanfaron.
théâtralement par Figaro et Suzanne qui épient eux
 Repérer les ressorts comiques
aussi leurs maîtres. La mise en abyme ainsi créée
a. Le texte A repose sur un comique de mots, plus
donne l’illusion au spectateur d’appartenir lui-même à
précisément un quiproquo : Rose ne comprend pas
la scène par le truchement des personnages placés en
que les Hébrides sont des îles et pense que son
spectateurs. Mais Beaumarchais laisse tout le plaisir
maître lui demande où sont des objets de la maison.
de l’omniscience à son public, qui sait tout et voit ainsi
Le texte B repose sur plusieurs ressorts comiques.
des personnages croyant savoir ne pas tout savoir en
Tout d’abord sur un comique de caractère : Harpagon
réalité, des personnages croyant voir quelque chose
est « l’Avare », archétype de tous les avares obsédés
qu’ils ne voient pas en réalité.
par l’argent. Ses exclamations hyperboliques et mul-
tiples interrogations participent de ce comique de
PAGES 226-227
caractère grâce au comique de mots. Son agitation,
FICHE 7 jusqu’à prendre sa propre main en croyant tenir son
Le registre comique au théâtre voleur, crée un comique de geste. On imagine qu’il
court dans tous les sens comme le sous-entendent
 Identifier un personnage type
les déictiques « ici » et « là » et, plus explicitement
a. Tout le propos de Matamore est hyperbolique. Les encore, la répétition du verbe « courir ». Le texte C
exclamations du premier vers sont un indice de son présente un duo typique : le maître et le valet. Le
emportement. La liste des exploits de Matamore est maître se lamente et le valet répète exactement ce
impressionnante et dépasse le niveau humain puisqu’il que vient de dire son maître, mais en les rabaissant
commande « aux Trois Parques », sœurs de la mytho- à des réalités prosaïques. On a donc ici un comique
logie grecque qui filaient, tissaient puis coupaient le fil de mots fondé sur la répétition et le décalage.
de la vie. Il utilise comme arme « le foudre » de Jupiter
et ses soldats sont les « destins » L’opposition entre  Repérer les ressorts comiques
le singulier, qui le désigne, avec la multiplication des a. Tout le dialogue repose sur l’apparente logique
pronoms de première personne et le renforcement des fables racontées et leur absurdité profonde : les
par l’adjectif « seul », et les pluriels, qui désignent affirmations sont sans lien entre elles, si ce n’est éven-
ses ennemis, augmente ses mérites. On observe tuellement par association d’idées. Les personnages
aussi une progression des ennemis, de plus en plus sont très sérieux et commentent chaque histoire, la
nombreux : il s’agit d’abord de simples « murailles », complétant parfois, ce qui évidemment renforce la
puis d’« escadrons » puis d’« armées » entières et de dimension absurde du dialogue.
« mille ennemis ». À l’inverse, sa force réside dans « le b. On peut imaginer le Pompier très fier de lui et les
seul bruit de [s]on nom », son « courage » et enfin son autres personnages autour de lui extrêmement atten-
« souffle », comme s’il était lui-même une divinité. tifs, fascinés même.
b. Matamore essaie de se faire passer pour un com- c. La scène des fables dans La Cantatrice chauve
battant hors pair, un héros mythologique, mais on repose sur différents ressorts comiques. Le premier
comprend assez vite que son héroïsme est effecti- est la situation : le Capitaine des pompiers se présente
vement légendaire, mais pas au sens où il l’entend, chez les Smith et leur propose de leur raconter des
lui. Le récit de ses exploits est bien peu crédible, et fables, ce qui surprend de prime abord. Le deuxième
l’on comprend vite qu’il n’est qu’un soldat fanfaron. ressort est alors un comique de mots : les fables
c. Pour créer Matamore, Corneille s’est inspiré du racontées regorgent de connecteurs logiques, mais se
personnage du Capitan dans la commedia dell’arte, révèlent totalement absurdes. Les Smith et les Martin
héritier du miles gloriosus des comédies de Plaute. Le ne semblent pas du tout se rendre compte de l’illo-
Capitan porte un chapeau à grande plume, un masque gisme des récits, qu’ils commentent et complètent de
à grand nez et une très longue épée, aussi exagérée manière tout aussi absurde, par association d’idées. Le
qu’inutile puisqu’il ne pourrait même pas la faire sortir dernier ressort comique est le comique de caractère :
de son fourreau. Les propositions de costume peuvent le Capitaine des Pompiers est très fier de raconter ses
donc suivre différentes inspirations : la tradition du fables, qu’il expose sur un ton péremptoire. Les Smith
Capitan, un costume du xviie siècle ou un costume et les Martin sont très sérieux quant à eux.
Méthodes | 231
 Comprendre la visée à la fois ludique exemple dans Le Médecin volant, Le Médecin malgré
et critique lui, Monsieur de Pourceaugnac ou encore Le Malade
a. On peut distinguer trois conversations. La première imaginaire. Ce qui est paradoxal, c’est que Molière fait
est entre les trois femmes Nicole, Anne et Yvette qui preuve d’une solide culture médicale : il ne critique pas
parlent du fait qu’Yvette s’est retrouvée seule dans sans s’être documenté. Par exemple, dans Monsieur
l’ascenseur avec M. Célidon (l. 1 à 3). En parallèle, de Pourceaugnac, la démonstration du médecin
Jaudouard est en train de licencier Guillermo (l. 4 à correspond précisément à la définition clinique de
10, puis l. 23 à 26). La conversation entre les trois l’hypocondrie. Les élèves n’auront aucune difficulté à
femmes reprend ensuite, mais cette fois au sujet du trouver des informations et des images sur le rapport
courrier d’une certaine Mme Lebarrieux qui envoie son de Molière à la médecine. On peut néanmoins leur
Cosson à réparer après que son mari le lui a « envoyé indiquer le site www.toutmoliere.net, très fourni et
à la tête ». bien documenté.
b. Les ressorts comiques ici utilisés sont les comiques
de mot et de situation. Michel Vinaver joue avec la PAGES 228-229
polyphonie pour faire entendre plusieurs voix de FICHE 8
manière concomitante, aussi bien celles des diffé-
rents employés de l’entreprise que celle de la cliente
Le registre tragique au théâtre
Mme Lebarrieux. La lettre de cette dernière, écrite  Repérer la présence de la fatalité
de manière fort naïve, voire fautive, est drôle. Les a. Antigone est la fille de Jocaste et Œdipe, la sœur
trois femmes qui discutent entre elles sont drôles d’Étéocle, Polynice et Ismène. Son oncle est Créon,
dans la situation même qu’elles créent. Le dialogue il est le frère de Jocaste. Il a un fils, Hémon, fiancé à
entre Jaudouard et Guillermo constitue toutefois un Antigone. Après le suicide de Jocaste et l’exil d’Œdipe,
contrepoint qui invite à ne pas totalement prendre les deux frères Étéocle et Polynice se disputent le
la scène à la légère. trône de Thèbes. Étéocle chasse Polynice qui revient
c. Des sujets sérieux sont en effet abordés ici de assiéger Thèbes. Les deux frères s’entretuent. Créon
manière plus ou moins directe et explicite. Il s’agit ordonne alors d’ensevelir Étéocle, mais pas Polynice,
tout d’abord de la question du chômage avec le qu’il considère comme un traître. Antigone s’élève
licenciement de Guillermo. La dispute que décrit contre la volonté de son oncle et réclame une sépul-
Mme Lebarrieux évoque les violences conjugales. ture pour son frère. Créon s’obstine et déclare que
Enfin, même si c’est dit de manière très implicite, le toute personne qui enterrera Polynice sera condam-
début du dialogue entre les trois femmes à propos de née à mort. Antigone brave l’interdit et tente de
M. Célidon accostant Yvette dans l’ascenseur soulève recouvrir le corps de son frère de terre. Prise sur le fait,
la question du harcèlement au travail. elle est condamnée à être emmurée vivante. Elle se
pend avec sa ceinture. Hémon, son fiancé, se suicide et
 Comprendre la visée à la fois ludique Eurydice, la femme de Créon et mère d’Hémon, se tue
et critique à son tour. Le prologue annonce la révolte d’Antigone,
a. Molière critique abondamment la médecine de son qui bravera seule son oncle, et sa mort finale.
temps à travers ses pièces. L’extrait de Dom Juan de b. Le tragique repose sur la notion de fatalité : le héros
la page 146 en est un parfait exemple. Sganarelle, qui est aux prises avec un destin qu’il ne maîtrise pas et
n’y connaît rien en médecine, passe pour un savant qu’il doit accomplir afin de devenir pleinement un
juste parce qu’il en porte la tenue, illustrant l’adage héros tragique. L’issue est généralement connue. Le
inversé qui voudrait que « l’habit fasse le moine ». plaisir de la tragédie ne repose pas sur le suspense,
Molière reprend en réalité une critique traditionnelle mais plutôt sur l’art de raconter le jour où tout bascule
des médecins, issues aussi bien de la farce que de et où la fatalité s’accomplit. Par ailleurs, dans le cas
la commedia dell’arte que de la littérature savante : de la réécriture d’Anouilh, l’accent est ainsi mis sur
Rabelais ou Montaigne se moquent des médecins la révolte d’Antigone, celle qui « dit non », celle qui
de leur temps, par exemple. Molière pense, comme résiste, au prix de sa vie, alors même qu’elle sait
Gassendi, qu’il vaut mieux laisser la nature faire. Pour qu’elle va mourir. À la création d’Antigone au théâtre
lui, les médecins sont des charlatans. On rencontre de l’Atelier à Paris en 1944, un tel récit ne pouvait que
de nombreux médecins ridicules dans ses pièces par résonner dans les esprits.
 Analyser l’expression de la souffrance le confirme au vers 40. Le changement de pronom,
a. Dorval est seul et se lamente. Les nombreuses passant du « il » au « vous », indique aussi que Don
interrogations et exclamations montrent toute l’agi- Salluste s’adresse alors enfin à Ruy Blas, qui le défie.
tation du personnage en proie à un émoi très fort. b. La note peut être rédigée de manière individuelle,
L’opposition entre le bonheur (« bonheur », l. 13 ; mais on peut aussi imaginer un travail à plusieurs,
« favorisés du ciel », l. 15) et le malheur (« malheu- avec mise en voix et en jeu, expérimentations de diffé-
reux », l. 1 et 10 ; « infortune », l. 11 ; « tristes mortels, rentes solutions avec prise de note, comme dans une
misérables jouets des événements », l. 12) ainsi que véritable mise en scène. Des extraits des notes de mise
l’opposition entre la sagesse (« honnêteté », l. 5 ; en scène de Jean-Louis Barrault pour Phèdre (Seuil) ou
« vertu », l. 13 ; « âme pure », l. 14 ; « vertueuse et tran- quelques extraits d’Elvire Jouvet 40 (en ligne : https://
quille », l. 16 ; « raisonnable et sensible », l. 17-18) et www.youtube.com/watch?v=E-3csrQu5yI) peuvent
la déraison (« passion secrète », l. 2 ; « insensée », l. 3 ; être proposés.
« désordre », l. 5) montrent tout le tourment du per-  Étudier un personnage qui suscite terreur
sonnage. L’interpellation de Dieu, celui qui « condui[t]
et pitié
tout » (l. 18), sous-entend la présence d’une force a. Ce sont les dieux qui ont provoqué tout le malheur
supérieure, comme la fatalité ou une malédiction. Il d’Oreste : il appartient à la famille maudite des
cherche un responsable à son malheur qui ne soit pas Atrides, fils de Clytemnestre et d’Agamemnon, frère
lui, mais tout de suite se reprend : « je ne sais pas où d’Iphigénie. Il les loue, car il prend conscience de toute
j’en suis » (l. 19-20). Ses appels vains à Charles, à deux l’ironie cruelle dont ils ont fait preuve à son égard, lui
reprises, montrent aussi l’isolement du personnage, faisant espérer d’être enfin aimé de celle qu’il aime
qui se sent perdu et malheureux. depuis toujours. Il fait preuve de la même ironie, mais
b. Les didascalies soulignent à la fois l’agitation du une ironie amère.
personnage qui « appelle comme un forcené » (l. 6-7) b. L’ironie d’Oreste souligne l’extrême malheur dans
et « crie » (l. 20) et son abattement quand il « se ren- lequel il se trouve et « passe [s]es espérances » (v. 1).
verse dans un fauteuil » (l. 8) et « s’abîme dans la Il utilise de nombreuses hyperboles comme « au
rêverie » (l. 9). Diderot, dans ses Entretiens sur Le Fils comble des douleurs » (v. 4), « du malheur un modèle
naturel explique l’importance de transmettre l’émo- accompli » (v. 7), « mon sort est rempli » (v. 8). La
tion en créant sur scène des tableaux, à la manière vision finale des « ruisseaux de sans » (v. 15) achève
du peintre Greuze. de montrer sa souffrance : il devient fou.
 Analyser l’expression de la souffrance c. Oreste suscite à la fois terreur et pitié. Issu d’une
a. Au début de son monologue, Ruy Blas s’adresse à famille maudite, amoureux d’une jeune femme qui ne
Dieu. Puis une didascalie au vers 11 indique qu’il se l’aime pas en retour, il est victime d’un destin qui le
parle « à lui-même » : on peut donc supposer que le dépasse. Mais même si l’amour peut être un moteur,
jeu et l’adresse change, le ton et la hauteur de voix il ne peut être une raison pour un régicide. Oreste,
aussi. Au vers 17, quand il s’exclame « Je deviens fou, même s’il est victime, a choisi d’écouter Hermione
ma raison se confond ! », il faut montrer le désarroi et de tuer Pyrrhus. Il est donc responsable en partie
du personnage, sans forcément pour autant commen- de son malheur.
ter. La didascalie « il rêve » (v. 18) suivie de l’hypo-
typose au vers 28 donne l’impression que Ruy Blas PAGES 230-231
voit vraiment l’horreur qu’il décrit, dans une sorte de FICHE 9
vision hallucinée. Les didascalies ensuite indiquent
clairement le jeu : il se tourne vers Don Salluste et se
Les enjeux de la parole au théâtre
jette à ses pieds. La réplique de Don Salluste s’adresse  Repérer l’étape de l’intrigue
au public, en aparté. Le jeu de nouveau ensuite est a. et b. L’extrait A est une scène d’exposition. Le
bien indiqué par les didascalies. Toutefois, le vers 37 premier indice est donné par le paratexte. Par ailleurs,
amorce un changement non seulement dans la les personnages parlent au futur de l’indicatif et se
posture (il est dit que Ruy Blas se relève), mais aussi disputent sur le fait qu’il y aura la guerre ou qu’ils
dans le ton, la voix, l’expression du visage. L’aparté de parviendront à l’éviter. C’est évidemment la pièce qui
Don Salluste adressé au public et marquant sa surprise dira qui d’Andromaque ou de Cassandre avait raison.

L’extrait B est un coup de théâtre : Tartuffe, sûr de taisent, attendent une réponse de l’autre. Tout le
lui, a fait venir l’Exempt pour faire arrêter Orgon. Il ne dialogue semble voué à l’échec, il n’avance pas. À
s’attend évidemment pas à ce que l’Exempt l’arrête, la question initiale « Alors ? » (l. 1), H. 2 n’apporte
lui. C’est ce qui va permettre de sauver la famille aucune réponse, concluant par « Non… vraiment
d’Orgon de l’extrême péril dans lequel celui-ci l’avait rien… Rien qu’on puisse dire… » (l. 16-17). C’est
jetée. comme si les mots échouaient dans leur rôle d’ex-
pression, comme si les personnages étaient inca-
 Analyser un retournement de situation
pables de communiquer, et donc de se comprendre.
Dans la scène présentée à la page 139 du manuel,
Les deux amis s’éloignent : même quand ils essaient
on voit que Cléanthis prend le pouvoir, car c’est elle
de parler, ils n’y arrivent pas.
qui a la parole. Euphrosine perd peu à peu de son
assurance quant à elle. Dans sa première réplique,  Étudier la progression de l’argumentation
elle s’indigne et reproche à Trivelin de lui imposer a. Dans la scène 8 de l’acte III, Néron surprend Junie
le discours de Cléanthis sur elle : « Quel discours ! dans les bras de Britannicus. Les deux frères s’af-
Faut-il que vous m’exposiez à les entendre ? » (l. 1) frontent verbalement. Néron commence par rappe-
Sa deuxième intervention montre qu’elle fait preuve ler à Britannicus qu’il lui doit obéissance. Britannicus
d’un peu plus d’humilité, notamment à l’aide de la lui rappelle en retour qu’ils ont grandi dans le même
formule de politesse « je vous prie, Monsieur » (l. 31). palais, et qu’alors, c’était lui, Britannicus, qui était l’hé-
Sa troisième intervention montre du « petit embar- ritier. Néron ironise sur ce renversement de situation
ras », comme dit Trivelin ligne 39, ce qui montre et propose à Britannicus d’apprendre à obéir, s’il ne
qu’elle est touchée par ce qu’il se passe, ce qui peut l’a pas appris enfant. Britannicus aimerait savoir qui
laisser supposer que la leçon va faire son œuvre. À le lui apprendra : Rome, d’après Néron. Mais alors,
l’inverse, Cléanthis parle de plus en plus, sa parole se Britannicus demande si Rome acceptera de cautionner
libère, comme son statut. Elle prend de l’assurance et tous les crimes de Néron, qui commence déjà à se
s’affirme. Ainsi assiste-t-on à un renversement des comporter en tyran, comme le montre l’accumulation
forces en présence. des crimes : « l’injustice et la force,/L’emprisonnement,
le rapt et le divorce » (v. 13-14). Néron prétend que la
 Comprendre les termes du conflit
ville ne se mêle pas de sa vie privée et que Britannicus
a. Les personnages sont confrontés à la question de
devrait faire de même, mais Britannicus répond qu’il
savoir si l’on peut tuer des innocents au nom d’une
a tort, que l’« on sait ce qu’elle en pense » (v. 17), ce
cause, aussi grande soit-elle. Le deuxième problème,
qui amène Néron, à court d’arguments, à ordonner
que soulève Stepan, est de trahir tous ceux qui se
à Britannicus de se taire. Cette fois, c’est Britannicus
sont investis dans la lutte, parfois au péril de leur vie.
qui se permet d’ironiser et de faire remarquer à Néron
b. L’ensemble des répliques sont constituées de
qu’il se révèle sous son vrai jour : un tyran. Néron ne
phrases interrogatives. Seul Voinov prononce des
s’en cache pas et passe à la menace : il ne veut plus
phrases déclaratives, mais c’est pour dire qu’il « ne
entendre Britannicus. Ce dernier lui rappelle qu’au
sai[t] pas », deux fois.
moment où Néron est monté sur le trône, tout le
 Étudier la progression de l’argumentation monde voyait en lui un grand empereur. L’ironie, évi-
a. H. 1 voudrait comprendre pourquoi H. 2 s’est demment, pointe toujours dans ses propos. Néron
éloigné de lui, mais H. 2 refuse de répondre, ou tout conclut alors qu’il n’a pas besoin que le peuple l’aime :
du moins semble ne pas pouvoir expliquer : « c’est plus il lui suffit « qu’on [l]e craigne » (v. 22).
fort que [lui] », ce n’est « rien qu’on puisse dire ». Tous b. La question de l’homme qui abuse de son pouvoir
deux affirment souffrir de la situation. est aisément transférable dans le monde d’au-
b. Dans le dialogue extrait de Pour un oui, pour un jourd’hui, aussi bien le monde politique que celui de
non de Nathalie Sarraute, la première caractéristique l’entreprise, ou même de l’école, de la famille… Il faut
d’écriture notable est le nombre de points de sus- bien insister sur les silences : le conflit racinien est
pension. Ces points de suspension se trouvent aussi un conflit verbal qui se joue aussi dans les silences
bien au cœur des répliques qu’à la fin. On a l’impres- et la tension qu’ils peuvent créer. Le jeu du corps, les
sion que tout le dialogue hésite, que les blancs sont regards, les petits gestes, avec les mains par exemple,
multiples. Les personnages cherchent leurs mots, se sont autant d’indices à travailler.

CHAPITRE 3
La littérature d’idées et la presse
du xixe au xxie siècle

Objectifs
Les Instructions officielles fixent plusieurs objectifs :
– approfondir l’éducation aux médias et à l’information en ouvrant une perspec-
tive littéraire et historique sur les caractéristiques de la littérature d’idées et sur
le développement des médias de masse ;
– poursuivre le travail de formation du jugement et de l’esprit critique ;
– dégager la visée d’une argumentation, en déterminer les présupposés et l’ins-
crire dans un courant de pensée plus large, qui l’étaye et lui donne sens.
Les Instructions officielles précisent que les « parcours construits par le professeur
ménagent une place à la découverte de l’histoire des idées, telle qu’elle se dessine
dans les grands débats sur les questions éthiques ou esthétiques. Ils prennent
en compte l’influence des moyens techniques modernes de communication de
masse, du xixe siècle à nos jours. Ils peuvent en seconde s’appuyer sur des textes
et documents appartenant à des formes et genres divers : chanson ou poème à
visée argumentative, récit, roman, discours, article, essai, plaidoirie, etc. »
Le corpus attendu est le suivant :
– l’étude d’un groupement de textes autour d’un débat d’idées, du xixe au
xxie siècle, au choix du professeur, par exemple sur les questions éthiques, sociales
ou sur les questions esthétiques liées à la modernité (batailles et procès littéraires,
histoire de la réception d’une œuvre artistique, etc.) permettant d’intégrer l’étude
de la presse et des médias ;
– la lecture cursive d’articles, de discours ou d’essais.
Conformément aux programmes, chaque séquence est construite autour d’un
parcours chronologique, chacun abordant une question qui peut intéresser les
élèves : la construction de l’opinion publique (séquence 10), le rapport entre
l’homme et la nature (séquence 11), la place de la beauté dans notre société
(séquence 12). Les groupements de textes complémentaires abordent des ques-
tions à chaque fois plus spécifiques, qui permettent d’approfondir un débat lié
au parcours chronologique. Chaque séquence invite à la lecture de textes variés
sur le plan générique, que ce soit dans le domaine de la littérature d’idées (essais,
discours, récit, etc.) ou dans celui de la presse (lettres ouvertes, tribunes, édito-
riaux, etc.).
Les prolongements artistiques et culturels approfondissent les débats dans des
domaines artistiques différents, tout particulièrement celui des arts plastiques.
Trois fiches de méthode développent les connaissances utiles dans le domaine
de l’argumentation
235
séquence ⁄‚
La fabrique de l’opinion
OBJECTIFS ET PRÉSENTATION
DE LA SÉQUENCE PARCOURS CHRONOLOGIQUE
Cette séquence se construit autour d’un parcours

Mobiliser l’opinion publique
chronologique qui embrasse la totalité de l’objet
d’étude, tant du point de vue générique, puisqu’il PAGE 236
croise littérature d’idées et presse, que du point de vue
chronologique, puisque les textes vont du xixe siècle Plantu, 10 janvier 2015
au début du xxie siècle. Intitulé « Mobiliser l’opinion ▶▶ Objectifs
publique », ce parcours amène les élèves à réfléchir à ■■ Analyser un dessin de presse et sa visée.
■■ Comprendre comment le dessinateur réactualise
la façon dont les journalistes (pour Zola et Camus éga-
lement écrivains), utilisent leur plume pour changer un tableau célèbre et lui redonne sens à travers des
la société en pesant sur la construction de l’opi- événements contemporains.
nion. Beaucoup s’indignent, tous argumentent pour 1. Le dessin de Plantu publié le 10 janvier 2015 reprend
convaincre du bien-fondé des causes qu’ils défendent, le tableau d’Eugène Delacroix intitulé La Liberté
qui touchent toutes à la question fondamentale de la guidant le peuple, peint en 1830 et exposé aujourd’hui
liberté. Les pages d’histoire littéraire sont consacrées au musée du Louvre. On retrouve les principaux per-
à la presse : elles mettent en perspective la question sonnages du tableau, notamment la femme aux seins
technique (de l’imprimerie, la diffusion, etc.) avec celle nus, allégorie de la Liberté, comme l’indique le titre
de la diffusion des idées et de l’information du public, du tableau, et le peuple. Les armes présentes sur le
autant de questions centrales pour la « fabrique de tableau sont remplacées par des crayons verts, qui
l’opinion ». tranchent dans un dessin globalement noir et blanc.
La réflexion engagée par le parcours chronologique On trouve en bas à droite le slogan qui a émergé à
se poursuit avec la question plus spécifique du dessin la suite des attentats, « Je suis Charlie », qui marque
de presse et de la caricature dans le cadre des pro- la solidarité de tous avec l’hebdomadaire satirique
longements artistiques et culturels. Les élèves sont et ses journalistes. Ainsi, le dessin semble nous dire,
incités à s’interroger sur le pouvoir de l’image, en lien comme le tableau de Delacroix qui représente l’assaut
notamment avec le dessin d’ouverture du parcours final lors des journées révolutionnaires de 1830, que
chronologique, véritable réécriture du célèbre tableau le peuple entre en résistance, que chacun se saisit des
de Delacroix La Liberté guidant le peuple par Plantu, crayons qui ont remplacé les armes.
au lendemain des attentats de janvier 2015 contre le 2. Le dessin met en avant les éléments en couleur,
journal satirique Charlie Hebdo. soit les crayons et le drapeau français, le rouge étant
Le groupement de textes complémentaires traite également celui du bonnet phrygien porté par la jeune
de la question de l’abolition de la peine de mort, qui femme du peuple qui est l’allégorie de la Liberté. Le
a beaucoup été débattue aux xixe et xxe siècles, et qui vert est couramment associé à l’espoir. La colombe
reste d’actualité dans un certain nombre de pays, représente la paix : on voit qu’elle porte elle aussi un
comme le montre le dernier texte. Les élèves liront crayon vert. On note enfin que la souris, véritable
également des textes fondamentaux, écrits par de mascotte de Plantu, souvent présente sur ses dessins,
grands écrivains comme Hugo ou Camus. Les pages porte elle aussi un crayon vert. Il s’agit donc d’un
de lexique et d’écrits d’appropriation conduisent manifeste pour la liberté des dessinateurs et pour la
les élèves à s’approprier davantage la séquence, en liberté d’expression.
prenant à leur tour l’initiative de l’écriture de nou- 3. Le message de Plantu est un message de solida-
veaux textes et la lecture d’œuvres complémentaires. rité : le tableau de Delacroix représente le peuple dans
SÉQUENCE 10 La fabrique de l’opinion | 237

toutes ses composantes, à l’assaut d’un pouvoir qu’il hostile à la révolution de 1789. Il s’agit là clairement
veut renverser. Le dessin figure également tout un d’une injure et d’une attaque.
peuple qui prend les armes à sa façon, ici des crayons. 4. Le rôle de la presse est d’être indépendant du
Plantu souligne l’entrée en résistance face à ceux qui pouvoir et, cet extrait le montre, de s’y opposer si
veulent faire taire la liberté de la presse, la satire du nécessaire. Lamennais, pour exprimer cette idée,
dessin de presse et la voix des caricaturistes. utilise une métaphore militaire pour évoquer les
journalistes, « soldats de la presse » (l. 12). L’attaque
PAGE 237 dont ils font l’objet les « désarme » (l. 13). Ils doivent
pouvoir être « dévoués à la défense des libertés de
⁄
▶▶
Félicité Robert de Lamennais,
Le Peuple constituant, 1848
Objectifs
la patrie » (l. 12). On comprend donc que la presse
joue sur le terrain politique, en profitant de la liberté
d’expression.
■■ S’interroger sur la liberté de la presse et son rapport 5. SYNTHÈSE
au pouvoir. Finalement, le pouvoir politique s’attaque à la presse
■■ Étudier un texte polémique. parce que celle-ci lui est hostile. Au moment où
1. ENTRER DANS LE TEXTE s’installe un régime jugé liberticide par l’auteur, pour-
Le nouveau régime, c’est-à-dire la République, tant appelé « république », la presse a pour rôle de
demande aux journaux une caution financière : pour dénoncer les dérapages, les lois injustes et les traite-
Lamennais, c’est la fin de son journal. En effet, la ments inhumains. Le pouvoir, par le cautionnement,
subordination du droit de publier à cette garantie empêche les journaux les plus modestes de poursuivre
revient à faire taire les pauvres, comme l’auteur le leur publication.
signale à la fin du dernier paragraphe, à la modalité VERS LE BAC. Essai
exclamative : « silence aux pauvres ! » (l. 38) Mais ce Les élèves doivent s’interroger sur les relations entre la
n’est pas la seule attaque que Lamennais dénonce : les presse et l’argent. Ils penseront sans doute spontané-
« porteurs » (l. 34) et les « vendeurs » (l. 35) ont aussi ment à la question de la dépendance actuelle des jour-
été, en province, soumis à des pressions. L’objectif est naux à de grands groupes industriels et financiers, et
clair : « à tout prix nous réduire au silence » (l. 36). donc aux problèmes d’interdépendance qui peuvent
2. Le nouveau régime, pour Lamennais, est liberticide : se poser. Mais le texte de Lamennais pose un autre
– il n’a rien de démocratique ; soumis au « pouvoir problème, qui peut se présenter aujourd’hui encore
militaire » (l. 3), il est même tyrannique, comme avec la question des taxes : celui de l’argent réclamé
l’indique le chiffre des prisonniers (l. 4) ; par le pouvoir, au xixe siècle, par le cautionnement.
– il est dictatorial : il n’existe plus de justice (l. 6-7), L’essai à proposer pourrait développer les idées
il n’y a plus de jugement et des mesures arbitraires suivantes :
d’exil sont prononcées ; – différentes formes de financement sont possibles :
– la liberté de réunion est remise en cause (l. 7) ; l’achat par les lecteurs, la publicité, mais aussi les sub-
– la liberté de l’information est attaquée à travers la ventions de l’État et des groupes financiers auxquels
presse (l. 8), soumise au cautionnement ; les journaux appartiennent ;
– la garde nationale est « désarmée » (l. 9). – certaines formes de financement jettent le doute
3. Lamennais utilise un ton très polémique pour sur la liberté d’expression des journalistes ;
dénoncer la République. Tout d’abord, il s’attaque très – la presse n’est jamais complètement indépendante :
directement au pouvoir en place, à travers l’évocation il faut qu’elle soit financée.
du nouveau régime, installé depuis février 1848 à la
suite d’une nouvelle révolution. Le ton est polémique. PAGE 238
En effet, l’auteur nie à ce nouveau régime son carac-
tère républicain à deux reprises : « ce que nous voyons,
ce n’est pas la république, ce n’est même rien qui
ait un nom » (l. 1-2) ; « non encore une fois, ce n’est
¤
▶▶
Émile Zola,
« J’accuse », 1898
Objectifs
pas la république » (l. 10-11). Au contraire, il renvoie Découvrir un texte fondateur de l’engagement des
■■
le nouveau régime à la « réaction » (l. 11), courant écrivains.
238 | La littérature d’idées et la presse du xixe au xxie siècle

■■ Comprendre comment Zola interpelle le président la provocation en appelant presque de ses vœux un
de la République, mais surtout cherche à mobiliser procès et donc une enquête (l. 19 et 20).
l’opinion publique. 6. SYNTHÈSE
■■ Étudier le registre polémique.
Le journal L’Aurore publie ici un violent pamphlet
1. ENTRER DANS LE TEXTE contre le pouvoir en place, en particulier le conseil
Le titre de l’article est aujourd’hui synonyme de la de guerre, soutenu par des experts et différents jour-
révolte contre toutes les formes de pouvoir injuste. naux. En donnant la parole à Zola, qui s’adresse au
Sa force tient à la fois à sa brièveté, deux syllabes, président de la République Félix Faure, le journal met
à la place de la première personne du singulier, qui pleinement en œuvre la liberté d’expression : il permet
marque un engagement fort de l’énonciateur, mais à une voix discordante d’avoir un réel écho.
aussi peut-être à la sonorité frappante des termes.
VERS LE BAC. Essai
2. L’extrait étudié comprend de multiples accusations, La question posée laisse la possibilité aux élèves de
présentées avec rigueur dans chaque paragraphe, qui répondre par la négative. Ils peuvent en effet consi-
commence pour plusieurs par « j’accuse ». Ainsi, Zola dérer que la prise de position ne relève pas du champ
attaque : journalistique. Pour autant, c’est une réalité et le jour-
– les « experts en écritures », accusés d’avoir produit nalisme d’investigation a une place importante dans
de faux rapports (l. 2) ; notre pays. Ils peuvent par exemple développer les
– la presse, pour avoir manipulé l’opinion (l. 6-7) ; idées suivantes, à l’appui d’une réponse positive :
– la justice, et plus précisément le conseil de guerre, – la presse est libre et peut enquêter sur tous les
pour ne pas avoir respecté le droit, à deux reprises sujets ;
(l. 7-10). – la presse a aujourd’hui encore un grand pouvoir,
3. Zola défend dans son article « la vérité et la justice » malgré les supports numériques ;
(l. 12). Il évoque aussi la « lumière » (l. 13). En effet, – la multiplicité des formes journalistiques permet
l’histoire de Dreyfus est celle d’une injustice, d’une aujourd’hui à toutes les voix de se faire entendre.
accusation et d’une condamnation construites sur une
collusion entre le nationalisme et l’antisémitisme. En HISTOIRE DES ARTS
s’engageant personnellement, Zola fait entendre une La caricature est construite en deux vignettes. Sur
voix qui fait autorité. la première, une famille semble être autour de la
4. Grammaire table pour un repas et s’interdit d’évoquer l’affaire
L’énonciation est d’abord marquée par l’omnipré- Dreyfus. Sur la seconde, le texte qui accompagne le
sence du « je », qui renvoie ici directement à Émile dessin semble être un constat, et donc un commen-
Zola, l’auteur de l’article. Zola prend position per- taire. Cette caricature révèle l’aspect clivant du sujet,
sonnellement et violemment en s’opposant à des puisqu’il entraîne une bagarre générale. Cela souligne
personnes, mais aussi à es journaux dont il donne qu’à l’époque, l’affaire Dreyfus a profondément divisé
le titre, des institutions, comme le conseil de guerre. le pays. Aujourd’hui encore, on rappelle régulièrement
L’ensemble prend la forme d’une lettre, comme le la violence de la condamnation injuste de Dreyfus à
montre la formule finale adressée au président de propos d’autres affaires judiciaires.
la République : « Veuillez agréer, monsieur le pré-
sident, l’assurance de mon profond respect » (l. 22). PAGE 239
S’agissant d’une publication dans un journal, on parle
de « lettre ouverte ».
5. L’engagement de Zola est personnel du point de
‹
▶▶
Pierre Bourdieu,
Sur la télévision, 1996
Objectifs
vue de l’énonciation, mais aussi du point de vue juri-
dique comme le montre le paragraphe qui va des ■■ Comprendre la notion de « fait divers ».
■■ S’interroger sur la place du fait divers dans l’infor-
lignes 11 à 13. Il y reconnaît les conséquences juri-
diques de ses accusations. Il sait qu’il s’expose à des mation et sa réception par le public.
poursuites aux titres des « articles 30 et 31 de la loi 1. ENTRER DANS LE TEXTE
sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de La Une du Petit Journal daté du 25 août 1907 com-
diffamation » (l. 11-13). Zola va même plus loin dans prend trois parties qui peuvent toutes attirer l’œil :

trois portraits en haut de page, un corps découpé en lement avec les émotions, le fait divers fait consensus,
morceaux dans la seconde partie, et un titre qui expli- intéresse tout le monde et ne nous dit rien. Il émeut
cite la scène sanglante : « Le crime de Monte-Carlo tout un chacun, sans l’informer.
– Une femme coupée en morceaux ». Les portraits
VERS LE BAC. Essai
peuvent laisser penser à une triangulation amou- La question posée interroge au fond les élèves sur
reuse (le mari, la femme et la maîtresse), le crime la « respectabilité », pour reprendre le terme de
est sanglant et spectaculaire, le corps est éparpillé. Bourdieu (l. 3), du fait divers. L’ensemble de la page
Le lecteur est d’emblée frappé par l’histoire que le fera probablement pencher vers une réponse néga-
journal racontera. tive. On peut néanmoins attendre une réponse plus
2. L’organisation de la page semble assez narrative et nuancée, empruntant un plan concessif. Par exemple :
l’on peut dire que cette Une raconte une histoire. La – certes, le fait divers est un des constituants de
partie haute présente les protagonistes de l’histoire, l’information. Il intéresse le public, le tient parfois
deux femmes et un homme. La partie basse le résultat en haleine pendant des années, voire des décennies
du crime : un corps ensanglanté, éparpillé. Le choix (exemple du meurtre du petit Grégory en 1984) ;
de la Une est donc de donner à voir la monstruosité – pourtant, le fait divers ne fait qu’illustrer l’horreur
du crime, de ne rien épargner au lecteur et même, dont est capable l’être humain et ne nous informe
au contraire, d’exposer l’horreur. On comprend alors de rien ;
qu’une Une telle que celle du Petit Journal choisit – en outre, ce type d’« information » ne s’adresse qu’à
l’angle du spectaculaire pour vendre. nos émotions, sans nous faire forcément réfléchir. On
On trouve de nombreuses Unes qui pourraient être peut donc s’interroger sur la question de la « fabrique
comparées à celle-ci sur le site de la BnF (gallica.fr). de l’opinion », avec le fait divers.
3. Cette une fait bien « diversion » au sens défini par HISTOIRE DES ARTS
Bourdieu. Elle est bien « omnibus » : elle fait consensus
et le crime sera unanimement condamné. Comme Il s’agit ici de faire réfléchir à l’évolution de la Une au
xixe siècle. L’exposition virtuelle « La presse à la Une »
l’entend Bourdieu, cette information n’a en soi rien
d’intéressant, d’important : on n’y apprend rien de sur le site de la BnF peut nourrir ce travail : http://
nouveau sur la nature humaine et ce crime n’appelle expositions.bnf.fr/presse/expo/salle1/index.htm
pas de débat. La Une du Petit Journal donne à voir immédiatement
l’histoire que le quotidien raconte. Elle est un vrai
4. Le dessin permet de représenter ce qui ne pourrait atout commercial : nul besoin de lire pour comprendre
l’être autrement. En effet, la morale et le droit interdi- que l’on va avoir affaire à une histoire sanglante, à
raient la représentation du crime par la photographie. un crime qui met en jeu trois personnes. Il faut aussi
Le dessin de presse s’autorise, au contraire, beaucoup noter que cette Une est en couleur, ce qui permet au
de choses. Tout d’abord, il pallie, au xixe siècle, l’ab- dessinateur de représenter le sang, le corps démem-
sence de possibilité technique de représenter le réel. bré. En cela, cette page est commerciale parce qu’elle
Mais, une fois la photographie au point, il conserve s’adresse à l’émotion, aux affects du lecteur, ce qui
cette capacité de montrer l’horreur avec un filtre. est toujours plus direct que d’essayer de toucher son
Certains journaux à sensation ou fondés plus que intelligence ou sa raison.
d’autres sur l’image montrent beaucoup, mais le
respect de la dignité humaine, encadré par le droit, PAGE 240
pose des limites. Le dessin, lui, peut se permettre
d’aller plus loin, fonctionnant autrement.
5. SYNTHÈSE
›
▶▶
Albert Londres,
Au bagne, 1924
Objectifs
La lecture de la Une du Petit Journal et l’éclairage de
Pierre Bourdieu soulignent que le fait divers s’adresse ■■ Comprendre comment Albert Londres cherche à
d’abord à nos émotions, nos sentiments, et non pas mobiliser l’opinion publique contre une injustice.
■■ Analyser un genre de la presse : le reportage.
à notre raison. Il s’agit de marquer, de choquer, de
heurter et donc de détourner de l’information plus 1. ENTRER DANS LE TEXTE
fondamentale, celle qui s’adresse à notre intelligence Les élèves peuvent se reporter aux définitions des
et qui crée le débat. Au contraire, en jouant essentiel- tonalités aux pages 414-415 du manuel, partie

Méthode. À la lecture du texte d’Albert Londres, le gulier (l. 1, 4 et 15), puis en utilisant le pronom indé-
lecteur ressent de la terreur et de la pitié, ce qui s’ins- fini « on » à plusieurs reprises, à partir de la ligne 8.
crit dans une tonalité tragique. En effet, le bagne est Le pronom « on », mais aussi les deux occurrences
représenté comme une « usine à malheur » (l. 17), qui du pronom personnel « vous » (l. 13) permettent de
« broie » les bagnards, à l’instar du destin ou de la partager avec le lecteur les sensations que Londres
fatalité dans la tragédie, implacable comme le sou- ressent sur place et qui font la subjectivité du texte : il
ligne l’incise « c’est tout » (l. 18). Ce n’est malgré tout cherche à exprimer l’« atmosphère » (l. 8) de Cayenne
pas la mort qui attend le bagnard, c’est l’image de la et surtout à la faire partager au lecteur.
décomposition qui domine : Cayenne est « une ville 5. Albert Londres semble vouloir d’emblée bousculer
désagrégeante » (l. 9), elle « réduit à rien » (l. 9), le les certitudes, comme le montre la deuxième phrase,
bagne « broie, c’est tout, et les morceaux vont où ils dont le ton est très péremptoire et qui vaut comme
peuvent » (l. 18). On retrouve ici la force tragique : un avertissement avant une démonstration : « Il faut
les bagnards sont prisonniers d’une machine qui les vous dire que nous nous trompons en France » (l. 2).
dépasse et qu’ils ne peuvent contrôler. Il commence par une leçon de géographie : le bagne
2. Albert Londres choisit le format du reportage est situé dans les « îles du Salut » (l. 4). Ensuite, il
pour dénoncer le bagne, mais il ne se contente pas présente surtout le bagne comme une institution
de décrire ce qu’il voit : il apporte un commentaire injuste : « Le bagne n’est pas une machine à châtiment
qui apparente finalement son texte à un éditorial. En bien définie, réglée, invariable ». Elle est au contraire
effet, il multiplie les attaques contre les conditions soumise à l’arbitraire (voir réponse 2) et la discipline
inhumaines de détention des bagnards. y est « incertaine » (l. 23). Cela remet en question
Les trois premiers paragraphes narrent le voyage l’image du bagne, associée à un châtiment juste, une
de Londres vers le camp : il décrit l’atmosphère organisation implacable qui encadre fermement les
qu’il perçoit et précise les lieux. Ce sont les idées de prisonniers. Là, rien ne semble organisé ni propre à
décomposition, associées aux rapaces du troisième permettre une quelconque repentance.
paragraphe, qui dominent. 6. SYNTHÈSE
À partir de la ligne 16, la description du bagne rejoint Ce texte a pu peser sur l’opinion publique parce qu’il
l’atmosphère mise en place : Londres présente le montre la réalité du bagne, qui est un lieu éloigné,
bagne comme régi par l’arbitraire. Ainsi, le bagne situé en Guyane. Albert Londres le présente de façon
est comparé à une machine qui n’est pas « définie, subjective et éloquente comme une institution inhu-
réglée, invariable » (l. 16), c’est une usine « sans plan maine qui broie les hommes au lieu de les redresser,
ni matrice » (l. 17), sans « gabarit » (l. 17), la discipline au sens propre comme au sens figuré.
y est caractérisée d’« incertaine » (l. 23). Les articles publiés par Albert Londres ont conduit le
L’extrait est donc un violent réquisitoire contre l’arbi- gouvernement de l’époque à reconsidérer le bagne
traire du bagne, qui nourrit un traitement inhumain de Cayenne et à le fermer.
des prisonniers.
3. La thèse soutenue par Albert Londres dans cet Le commentaire pourrait développer l’idée principale
extrait n’est pas explicite. On peut néanmoins dire suivante – le texte d’Albert Londres est un réquisi-
qu’il s’agit d’un texte argumentatif qui défend une toire – et adopter le plan :
idée phare : le traitement des bagnards est inhumain. 1. Londres s’implique personnellement dans son texte
Les arguments sont divers : (voir réponse 4)
– on se moque des bagnards par l’appellation des îles 2. Il présente le bagne comme une institution inhu-
(l. 4-5) ; maine (voir réponses 1, 2 et 3)
– le bagne n’offre pas de seconde chance aux condam- 3. Il veut convaincre ses lecteurs et modifier leur
nés : elle les détruit (l. 16-18). image du bagne (voir réponses 5 et 6)
4. Grammaire
HISTOIRE DES ARTS
Albert Londres nous livre ici un reportage : il est allé
lui-même visiter le bagne et l’on trouve dans le texte La photographie représente des bagnards dans leur
trace de ce voyage. Tout d’abord, il raconte l’histoire univers quotidien : ils portent tous une tenue qua-
qu’il a lui-même vécue, à la première personne du sin- siment identique, faite de pantalons et de chemises

assez sommaires, certains sont torses nus, tous sont 3. Le ton adopté par Camus est tragique. Il évoque la
coiffés de chapeaux et semblent marqués par le soleil. trajectoire suicidaire que prend l’humanité à plusieurs
Ils prennent la pause : il est évident que la scène n’a reprises. « Le dernier degré de sauvagerie » (l. 10), le
rien de naturel, les hommes ne sont pas pris sur le vif, « suicide collectif » (l. 11), la « rage de destruction »
au travail. Cela nous permet d’affirmer que la photo- (l. 14), les « déchirements de la violence » (l. 15), le
graphie nous dit beaucoup du quotidien des bagnards, « meurtre organisé » (l. 17) sont autant d’expressions
par ce qu’elle ne montre pas. On peut lire en creux la qui montrent que la tragédie est totale et collective,
difficulté des travaux, physiques, ici peut-être dans incontrôlable. Pourtant, l’humanité peut encore se
une mine ou en tout cas dans le travail de la pierre. On sauver elle-même en choisissant de mieux utiliser la
comprend aussi les conditions climatiques intenses : le science. L’ouverture de l’éditorial est néanmoins assez
soleil, la chaleur. L’arrêt sur images, en quelque sorte, nihiliste : « Le monde est ce qu’il est, c’est-à-dire peu
surligne la pénibilité du travail le reste du temps. de choses ». L’emploi du présent de vérité générale
et l’énonciation font sonner cette phrase comme une
PAGE 241 maxime, qui sera confirmée par le texte qui suit.
4. Albert Camus condamne l’exploitation militaire
∞
▶▶
Albert Camus,
Combat, 1945
Objectifs
de l’arme nucléaire. Il ne rejette pas la découverte
scientifique, qui peut faire l’objet d’une « utilisation
intelligente » (l. 11). Il est néanmoins assez défaitiste
■■ Comprendre le point de vue de Camus, après en jugeant que l’utilisation qui a été faite de la bombe
Hiroshima. nucléaire n’a rien de surprenant (l. 18).
■■ Analyser un éditorial et l’engagement d’un écrivain.
5. SYNTHÈSE
1. ENTRER DANS LE TEXTE Camus s’engage tout d’abord en tant que journaliste.
La thèse est explicite dans le texte et introduite par Il s’oppose à ses collègues et donne une sorte de leçon
la formule « nous nous résumerons en une phrase » de déontologie avec la dernière phrase du texte, qui
(l. 9) : « la civilisation mécanique vient de parvenir est comme une définition du journalisme : « Les
à son dernier degré de sauvagerie » (l. 10). Il s’agit découvertes doivent être enregistrées, commentées
d’une condamnation très nette de l’utilisation de selon ce qu’elles sont, annoncées au monde pour que
l’arme nucléaire à Hiroshima. l’homme ait une juste idée de son destin » (l. 19-20).
Le rôle de l’information est donc d’éclairer les indivi-
2. Camus s’insurge contre les réactions de la presse
dus, de les aider à mieux comprendre le monde qui les
internationale (« des journaux américains, anglais
entoure. En présentant le bombardement d’Hiroshima
et français », l. 6), au lendemain de l’explosion de
par un prisme déformant qui occulte l’essentiel, les
la bombe à Hiroshima. Ainsi, l’adjectif « élégantes »
dizaines de milliers de morts, la presse ne dit rien des
qui caractérise les « dissertations » de la presse est
enjeux liés au nucléaire. Camus ne s’engage pas seu-
à prendre comme une marque d’ironie : il n’y a rien
lement d’un point de vue professionnel, mais aussi
d’élégant à discuter d’un acte aussi meurtrier. Camus
du point de vue humain et presque philosophique.
condamne la désinformation à l’œuvre, la presse évo-
La première phrase du texte, « Le monde est ce qu’il
quant « la vocation pacifique » (l. 8) de la bombe et
est, c’est-à-dire peu de choses », est bien une réflexion
son « caractère indépendant » (l. 8-9), alors même que
sur l’homme et l’ensemble de cet extrait interroge
les alliés sont de facto soumis au pouvoir américain.
l’humanité sur la responsabilité qu’elle prend dans
Camus raille le ton des journaux : les « commentaires
sa propre destruction, son « suicide collectif » (l. 11).
enthousiastes » (l. 4) et aussi leur façon d’aborder le
sujet, avec le verbe dépréciatif « se répandre » (l. 7). VERS LE BAC. Essai
On comprend que le ton employé et plus largement L’essai pourra suivre ce plan :
l’approche ironiquement élogieuse des journalistes, 1. La recherche, par essence, se confronte à l’inconnu :
qui n’abordent que la prouesse technique, le « ballon encadrer et contrôler semblent impossible
de football » (l. 6), choquent Camus qui souligne, lui, la 2. En revanche, en amont des découvertes, une
ville « totalement rasée » (l. 5), le « suicide collectif » réflexion éthique et morale est indispensable
(l. 11) maintenant possible, la « rage de destruction » 3. L’humanité doit pouvoir décider collectivement de
de l’homme (l. 14), le « meurtre organisé » (l. 17). ce qui est possible et de ce qui est souhaitable : tout ce

qui est scientifiquement possible n’est pas souhaitable États-Unis, la mise en perspective commence dès la
pour le bien et le bonheur de la société ligne 7. Colombani explique en quoi cette « opéra-
tion de guerre » (l. 14) va marquer l’histoire, comme
HISTOIRE DES ARTS le montre la comparaison avec la chute du mur de
L’image représente une partie du mémorial de la Berlin (l. 11) et le passage à l’an 2000 (l. 11). Avec
paix d’Hiroshima. Le Dôme de Genbaku est le seul cette « journée du 11 septembre » (l. 9), l’humanité
bâtiment à ne pas avoir été complètement détruit est entrée « dans une nouvelle ère » (l. 9), « un siècle
par la bombe. Il a été conservé tel qu’il était après nouveau s’avance » (l. 13) marqué par la technologie.
l’explosion, à l’état de ruine. Sa présence, entre les Si Colombani parle bien de « guerre », la fin de son
arbres au premier plan et les bâtiments reconstruits éditorial est consacrée à démontrer qu’il ne s’agit pas
et modernes de l’arrière-plan, est symbolique : cette de celle, très attendue, entre le Sud et le Nord (l. 19),
structure ressemble à un squelette ; elle rappelle de entre les pauvres et les riches. Il nie le caractère social,
façon très forte la destruction opérée par la bombe. en quelque sorte, de cette guerre qui opposerait les
riches oppresseurs aux pauvres opprimés, où il voit
PAGE 242 une « injure aux pauvres ! » (l. 22) Sans nommer les
forces en présence, il désigne une « folie meurtrière »
6
▶▶
Jean-Marie Colombani, « Nous
sommes tous américains », 2001
Objectifs
(l. 19) et leur objectif : « rayer [notre monde] de la
carte » (l. 19).
4. SYNTHÈSE
■■ Comprendre un éditorial. Cet extrait est bien construit en deux temps : il dit la
■■ Analyser comment le journaliste peut mettre l’évé- solidarité, avec un titre, « Nous sommes tous améri-
nement en perspective pour dépasser l’émotion et cains » qui est explicité dans le premier paragraphe.
l’immédiateté. Mais l’article ne s’arrête pas à l’émotion : il cherche
à mesurer la dimension historique de l’événement
et pressent que ce qui se passe relève de la guerre.
Les mots utilisés par Jean-Marie Colombani ne sont
pas « pauvres » et valent bien mieux que le silence VERS LE BAC. Essai
ou, pire, la violence qui répondrait à la violence. L’essai doit illustrer la thèse suivante : « la presse peut
L’expression de la solidarité, « nous sommes tous nous aider à surmonter le traumatisme des atten-
américains ! » (l. 2) est un acte fondamental et pro- tats ». La formule interrogative « en quoi » n’appelle
fondément humain. Avec ces mots simples, la solida- pas de discussion de cette thèse. Il faut donc analyser
rité peut être exprimée avec des individus dont nous la place de la presse dans la nécessaire opération de
sommes éloignés, au moins géographiquement, sinon « résilience » qui permet de dépasser un traumatisme.
socialement, mais auxquels nous pouvons parfaite- Les élèves pourront développer les idées suivantes :
ment nous identifier. – la presse permet l’expression d’informations objec-
2. Grammaire tives, qui mettent l’émotion à distance ;
Les trois propositions connaissent la même structure : – les témoignages que les journalistes recueillent
l’expression de la première personne qui engage celui apportent de nouvelles clés de compréhension, à
qui parle, le choix de l’auxiliaire « être » qui dit l’iden- mi-chemin entre explication et émotion ;
tité entre le « je » et l’attribut qui suit, et donc des – les journalistes mettent les événements en pers-
attributs qui désignent des appartenances diverses pective : ils précisent leurs causes, les inscrivent dans
(à une ville, pour rappeler la solidarité avec les une chaîne historique, dessinent leurs conséquences.
Allemands ; avec les Américains, pour dire la solidarité
HISTOIRE DES ARTS
au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 ;
avec les dessinateurs de Charlie Hebdo et l’ensemble La Une du journal Le Monde daté du 13 septembre
du journal, en janvier 2015). À chaque fois, la formule (et donc publié le 12 septembre au soir) est très
est courte, lapidaire et fait mouche : elle surligne nettement occupée par la photographie, centrée en
l’identité absolue entre le sujet et son attribut. haut de page, du quartier de Manhattan en feu, à la
3. Si le premier paragraphe exprime bien la compas- suite des attentats. On voit clairement la statue de
sion du journaliste et la solidarité de tous à l’égard des la Liberté, les tours du World Trade Center sont à

l’arrière-plan. Cette photographie donne le sentiment Page 244
que c’est tout le quartier qui est touché et non les 1. Les dessins de Henri Meyer et André Gill s’attaquent
seules tours. Cette globalisation est aussi à l’œuvre à deux écrivains : Victor Hugo pour le premier et Émile
dans le titre « L’Amérique frappée, le monde saisi Zola pour le second. En 1868, Hugo est un grand écri-
d’effroi », qui rappelle au passage qu’il y a eu quatre vain, auteur de Notre-Dame de Paris, publié en 1831.
attentats simultanés sur le territoire américain. Le En 1876, Zola, quant à lui, a tout juste publié les six
substantif « effroi » définit l’effet des attentats sur premiers romans de la série des Rougon-Macquart, et
ses spectateurs. ce sera le septième, L’Assommoir, qui en fera définiti-
En somme, on voit que le journal a choisi la concision vement un auteur marquant son siècle.
et la formule-choc pour relater un événement histo-
2. Victor Hugo se présente assis sur la façade de
rique hors-norme. Elle le montre, de loin, avec une
la cathédrale Notre-Dame à Paris, entre les deux
photographie qui exprime le chaos sans le montrer
tours. Le titre attribué par Meyer à ce dessin est « Le
de façon précise ou voyeuriste.
Géant » : l’auteur est en effet plus grand que l’édifice
religieux et l’on perçoit au-dessous de lui de toutes
PAGE 243 petites personnes. Le dessin est certes satirique, mais
aussi élogieux : la grandeur de Hugo ne fait aucun
Dossier personnel doute et il a volontiers accepté la caricature, comme
le montre l’autorisation qui est signée de sa main en
ACTIVITÉ 1. Découvrir l’opinion publique dessous du dessin.
dans la presse aujourd’hui Le dessin de Zola est sans doute plus critique : l’au-
L’activité proposée doit permettre aux élèves de teur est représenté assis sur ses livres, les premiers
manipuler des versions « papier » des journaux. On des Rougon-Macquart, et sa méthode de travail est
pourrait choisir de leur donner accès à la presse en illustrée par la présence d’une loupe et de pincettes
ligne, mais l’exercice de lecture serait tout à fait dif- qui rappellent son caractère scientifique. Il s’agit là
férent. Cette activité conduit les élèves à approfon- d’un portrait à charge, la méthode de Zola étant ici
dir les différents genres de la presse par la sélection caricaturée.
d’articles. Ils sont capables de distinguer un article 3. Ces deux caricatures reconnaissent d’abord l’impor-
qui explique un événement d’un autre qui formule tance des deux écrivains, et Hugo a autorisé la publi-
et défend une opinion. cation de la première, comme il l’a d’ailleurs toujours
ACTIVITÉ 2. Mobiliser l’opinion publique dans une fait. Le dessin de Meyer est même très élogieux, la
tribune position de Hugo assis sur la cathédrale étant moins
La « tribune » offre un espace d’expression à un indi- une forme de critique qu’un hommage par la com-
vidu qui n’est pas forcément journaliste. Le sujet paraison. En revanche, le dessin de Zola, alors que ce
conduit les élèves à s’interroger sur l’ambition des dernier n’a pas encore acquis le statut de chef de file
filles et l’égalité entre les hommes et les femmes. Ils du naturalisme et d’auteur majeur de la littérature
peuvent s’appuyer sur l’article extrait du Monde mis française, est plus critique. Mais Zola a connu des
en regard sur la page 243, mais aussi effectuer une critiques bien plus violentes que celle-ci.
autre recherche. On pourra poursuivre l’analyse par la visite de l’expo-
sition virtuelle de la Bibliothèque nationale de France
consacrée aux portraits de Zola : http://expositions.
PAGES 244-245
bnf.fr/zola/portraits/intro.htm
Page 245
PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS 1. Le dessin de Lucille Clerc est un message d’espoir.
Il présente une organisation temporelle, comme le
Le pouvoir de la caricature soulignent les trois substantifs yesterday, today et
▶▶ Objectifs tomorrow, « hier », « aujourd’hui » et « demain ».
■■ Comprendre la visée de la caricature. Si le crayon est aujourd’hui cassé, il sera de nouveau
■■ Interroger la question de la liberté de la presse à opérationnel demain, comme hier. Le dessin de
travers la question de la caricature. Philippe Geluck est différent : il assimile les attentats
contre l’hebdomadaire Charlie Hebdo aux attentats utilisant la modalité interrogative (l. 1), en exigeant
du 11 septembre 2001. Les tours du World Trade leurs explications (l. 2) et en allant jusqu’à leur donner
Center sont représentées par deux crayons, entou- l’ordre de répondre (« qu’ils donnent leurs raisons »,
rés d’une gomme et d’un aiguise-crayon. La date l. 4). La suite du texte est tout aussi polémique, dans la
renvoie explicitement à l’hebdomadaire satirique. mesure où Hugo reprend les arguments des partisans
Geluck, avec ce dessin, se concentre sur l’événement de la peine de mort et leur répond par des contre-
en caractérisant l’attentat avec la comparaison qu’il arguments d’une grande efficacité.
opère. L’expression « 11 septembre des dessinateurs » 2. Victor Hugo soutient l’abolition de la peine de mort.
a par la suite été employée. Sa thèse n’est pas explicite, mais l’attaque des parti-
2. Les trois dessins illustrent les difficultés rencon- sans ne laisse pas de doute sur les idées qu’il défend.
trées par les dessinateurs : Clerc et Geluck rendent Il n’est pas du côté de ceux qui sont « pour la peine
hommage à Charlie Hebdo et, ce faisant, rappellent les de mort » (l. 1), ni de ceux qui la disent « nécessaire »
dangers encourus par les caricaturistes. Cabu pose sur (l. 5).
la couverture d’un ouvrage une question qui tient lieu 3. Grammaire
également de titre « Peut-on encore rire de tout ? » La Le lecteur peut être sensible à la place de l’interroga-
réponse est unanimement non. Les religions, les mili- tion dans le texte. Les questions permettent à Hugo :
taires, les médecins, la justice et d’autres institutions
– d’interroger la partie adverse : « À quoi bon la
sont représentées et semblent partager cette idée :
mort ? » (l. 7) ;
on ne peut pas rire de tout. Ce n’est évidemment pas
– de faire entendre les arguments de la partie adverse :
l’opinion de Cabu.
« vous objectez qu’on peut s’échapper d’une prison ? »
3. Emmanuel Pierrat, dans un article qui s’interroge (l. 7-8) ;
sur les limites de la caricature, souligne dans un – de répondre aux objectifs de la partie adverse sur le
premier temps les effets négatifs qu’elle peut avoir : mode de la question rhétorique : « Si vous ne croyez
« diviser, blesser, provoquer » (l. 3). La mort des dessi- pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-
nateurs de Charlie Hebdo peut même interroger sur la vous avoir des ménageries ? » (l. 8-9) et donc de les
nécessité même de l’existence de la caricature. Pierrat tourner en ridicule.
rappelle pourtant son caractère « essentiel » (l. 12) lié La voix des adversaires, vers la fin du texte, s’exprime
à la liberté d’expression. On comprend alors pourquoi aussi à la modalité exclamative, comme si ceux-ci
la caricature est si importante dans une démocratie : s’énervaient de l’argumentation de Hugo : « Il faut
elle est le signe d’une expression libre, la possibilité faire des exemples ! » jusqu’à « imiter ! » (l. 17-20).
d’attaquer tout le monde et d’en rire prouve qu’il n’est
4. Les arguments de la thèse adverse sont exprimés
pas d’exception à la liberté.
selon des modalités diverses, tant et si bien que le
texte semble vraiment polyphonique. On retrouve la
GROUPEMENT DE TEXTES COMPLÉMENTAIRES voix des partisans de la peine de mort pratiquement
citée :
– « – parce qu’il importe de retrancher de la com-
PAGE 246 munauté sociale un membre qui lui a déjà nui et qui
pourrait lui nuire encore » (l. 5-6) ;
⁄ Victor Hugo,
Le Dernier Jour d’un condamné, 1832
Objectifs
– « il faut que la société se venge, que la société
punisse » (l. 10-11) ;
▶▶
– « il faut faire des exemples ! il faut épouvanter par
■■ Analyser une argumentation contre la peine de le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui
mort. seraient tentés de les imiter ! » (l. 17-18)
■■ Étudier le registre polémique.
Au premier argument, Hugo répond par la prison à
1. ENTRER DANS LE TEXTE perpétuité ; au deuxième argument, il avance l’idée
Le ton utilisé par Hugo est résolument polémique. que la punition relève de Dieu et la vengeance de
Il s’adresse directement aux partisans de la peine de l’individu ; quant à l’argument de l’exemple, force est
mort, qu’il appelle les « criminalistes » (l. 3), juristes de constater que le spectacle de la mort n’a jamais
spécialistes des affaires criminelles. Il les provoque, en empêché le crime.

5. SYNTHÈSE Cette loi, qui est l’une des plus anciennes de l’huma-
L’efficacité de cette préface réside dans sa construc- nité, renvoie pour Camus à la nature, aux « forêts pri-
tion : Hugo reprend les arguments de ses adversaires, mitives » (l. 11). Autrement dit, la peine de mort est
les cite et, sur un ton polémique, y répond point par une des dernières traces de notre caractère primitif,
point dans un discours efficace et convaincant, et ce de notre comportement originel.
d’autant plus qu’il propose des alternatives comme 2. Camus s’efforce de montrer dans cet extrait que
« la prison perpétuelle » (l. 7). la peine de mort est pire que le meurtre. En effet, le
VERS LE BAC. Essai crime exprime « une pure violence » (l. 19), alors que
La question posée pour l’essai appelle un développe- la peine de mort ajoute à cette violence « un règle-
ment dialectique, même si l’exemple de Hugo montre ment, une préméditation publique et connue de la
bien que la parole des écrivains compte dans le débat future victime, une organisation » (l. 16-17).
public, dans la construction de l’opinion. 3. Grammaire
Les élèves pourront utiliser les exemples suivants : L’extrait de l’essai de Camus n’est pas ici rédigé à la
– la voix des artistes est toujours singulière : ils sont première personne ; l’auteur n’y prend pas directe-
connus du plus grand nombre et recourent à des ment position. Au contraire, il emploie la première
formes artistiques qui attirent le public ; personne du pluriel qui renvoie ici au collectif, à
– les artistes se saisissent souvent des injustices, ils l’ensemble de la société et qui inclut le lecteur dans
œuvrent pour le progrès de la société ; la réflexion pour mieux le faire adhérer à la thèse
– cependant, on peut aussi considérer que le champ défendue. C’est le cas, par exemple, dans la dernière
artistique est du domaine du divertissement et phrase du premier paragraphe : « Nous avons tous
trouver inopportun de donner la parole aux artistes connu ce mouvement, souvent par notre honte, et
pour qu’ils discutent de la marche de notre société. nous connaissons sa puissance ». Ainsi, Camus fait de
la pulsion qui consiste à réclamer pour le coupable le
HISTOIRE DES ARTS
même sort que la victime une expérience universelle
Il est intéressant de voir que Hugo s’est exprimé et bien compréhensible. Ainsi, il prépare le lecteur à
dans de nombreuses formes littéraires, mais aussi la suite de sa démonstration, qui s’oppose ferme-
par le dessin. Celui-ci est très sombre. Il présente au ment à la loi du talion et, partant, à la peine de mort.
second plan ce que l’on devine être une guillotine et En dehors de l’introduction d’une concession avec
au premier plan, en blanc, la tête d’un homme qui « admettons », le texte ne comprend pas de trace de
vole. Ses traits évoquent la douleur. Les couleurs très l’énonciateur, ce qui renforce son objectivité.
sombres expriment ici la souffrance : nulle vie sur ce 4. La loi du talion apporte un élément précieux de
dessin, ni humaine ni autre. Le ciel est manifestement compréhension pour le lecteur. Camus donne ici
vide, lui aussi très sombre. une explication à l’instinct primitif qui veut que le
On note au premier plan en bas le titre du dessin, crime soit puni par un crime identique, ce que l’on
Justitia, qui peut évoquer une signature. La justice retrouve dans l’expression populaire « œil pour œil,
serait alors l’artiste qui représente la scène. dent pour dent » ou dans le texte de Camus dans la
phrase sous la forme d’une énumération qui est aussi
PAGE 247 une gradation : « Qui m’a fait mal doit avoir mal ; qui
m’a crevé un œil doit devenir borgne ; qui a tué doit
¤
▶▶
Albert Camus, « Réflexions
sur la guillotine », 1958
Objectifs
mourir » (l. 3-4). Or, c’est à partir de cette définition
que Camus montre que cette « loi » n’est pas digne
de l’être humain : d’une part, elle est « de l’ordre de
■■ Lire l’extrait d’un essai sur la peine de mort. la nature et de l’instinct » (l. 5-6), d’autre part elle ne
■■ Comprendre une argumentation fondée sur une parvient pas au but de la loi, qui est de « corriger »
comparaison avec la loi du talion. (l. 8) la nature.
1. ENTRER DANS LE TEXTE 5. Camus pense que la peine capitale est pire que le
Albert Camus aborde la question de la peine de mort crime. Pour lui, le fait que l’exécution soit préméditée
par une comparaison avec la loi du talion, qui prévoit (l. 16, 19, 20), la souffrance du criminel qui attend son
comme châtiment un crime identique à celui commis. heure (l. 16-17), l’« espérance » (l. 32) qui peut encore

se présenter sont une « torture » (l. 32) qui engendre PAGE 248
des « souffrances morales plus terribles que la mort »
(l. 28). Le châtiment n’est pas à la hauteur du délit, il
est plus terrible encore. ‹ obert Badinter, Débat relatif au
R
projet de loi portant abolition de la
peine de mort, 17 septembre 1981
6. SYNTHÈSE
Camus déploie dans cet extrait une démonstration ▶▶ Objectifs
rigoureuse et convaincante. Il ne s’implique pas per- ■■ Étudier un discours contemporain majeur.
■■ Analyser l’argumentation mise en œuvre par
sonnellement, il avance des éléments d’explication
et essaie surtout de comprendre la position de ceux l’orateur.
qui sont pour la peine de mort. Ainsi, le recours à la 1. ENTRER DANS LE TEXTE
concession, à la ligne 12, qui donne à entendre une Le ministre de la Justice et garde des Sceaux Robert
voix différente de celle de Camus, puis les réponses Badinter reproche à la France le retard qu’elle a pris
données offrent au texte une tournure polypho- au sujet de l’abolition de la peine de mort. Son dis-
nique qui en fait un argumentaire équilibré, prenant cours montre que cette situation est paradoxale,
en charge toutes les opinions. En effet, dans l’esprit alors même que le pays a été un modèle sur d’autres
d’une partie de l’opinion publique, du temps de Camus sujets comme la torture (l. 5 et suivantes) et l’escla-
comme aujourd’hui, il pourrait être « juste et néces- vage (l. 9-10).
saire de compenser le meurtre de la victime par la
2. Pour Badinter, la grandeur de la France vient de ce
mort du meurtrier » (l. 12-13). L’auteur répond à cet
qu’elle a ouvert la voie sur plusieurs sujets :
argument en définissant la peine capitale non seu-
– à propos de la torture, qu’« elle a été la première en
lement comme un meurtre, mais aussi comme un
Europe » (l. 5) à abolir ;
meurtre prémédité et donc plus grave « que le crime
– à propos de l’esclavage, dont elle « a été parmi les
de pure violence » (l. 19).
premiers pays du monde » (l. 9) à voter l’abolition.
VERS LE BAC. Contraction de texte À son sujet, Badinter est très élogieux : il évoque « sa
Plan du texte : puissance » (l. 2), « l’éclat des idées, des causes, de la
1. Premier paragraphe générosité » (l. 3), son « génie national » (l. 16) et « les
– Un constat : importance de la vengeance, loi du plus grandes voix » (l. 17) qui l’honorent.
talion 3. Badinter propose une argumentation en trois
– Or la loi du talion relève de la nature et non de la loi. temps :
– Conséquence : la loi du talion nous renvoie à des – de la ligne 1 à la ligne 8 : éloge de la France et rappel
origines primitives. des combats gagnés pour le progrès et contre les pra-
2. Deuxième paragraphe tiques barbares que sont la tortue et l’esclavage ;
– Concession : faut-il compenser le meurtre par le – de la ligne 9 à la ligne 15 : expression d’une incom-
meurtre ? préhension au sujet du retard pris pour l’abolition de
– L’exécution capitale est un meurtre prémédité, la peine de mort ;
organisé. La préméditation rend le meurtre plus grave – de la ligne 16 à la fin : tentative d’explication de ce
encore. retard et constat d’une incompréhension.
– Donc les deux meurtres ne sont pas comparables.
3. Troisième paragraphe 4. Langue
– On considère que l’exécution peut être un meurtre Les trois premiers paragraphes sont marqués par
sans souffrance. la personnification initiale de la France, en position
– Mais on ignore la souffrance causée par la peur, de complément du nom « marche » (l. 1). Les para-
l’attente. Le condamné à mort n’ignore rien de ce graphes suivants forment une anaphore, chacun
qui va lui arriver. commençant par « La France ». Ces trois premiers
– On lui ment même parfois pour atténuer sa paragraphes forment un éloge du pays, à travers le
souffrance. rappel de combats qui l’honorent. L’auditeur, puisqu’il
s’agit bien d’un discours, comprend l’admiration de
Badinter pour le pays et se trouve d’autant plus fondé
à partager l’étonnement de l’orateur face à la question
de l’abolition de la peine de mort.

5. Badinter s’appuie, dans son dernier paragraphe, b) Ils doivent être à l’écoute de tous les individus et
sur des écrivains, Camus et Hugo (l. 20-21) et des dégager un intérêt général, des points de progrès qui
hommes politiques, Gambetta, Clemenceau et Jaurès font consensus
(l. 21-22). L’orateur prend appui sur ses illustres pré- 2. Pourtant, c’est aussi aux hommes politiques de
décesseurs contre la peine de mort. On peut parler faire progresser et d’élever l’opinion publique
ici d’argument d’autorité : Badinter convoque des a) Ils peuvent prendre de la hauteur et faire des pro-
hommes qui ne sont pas contestables et qui ont positions qui dépassent les intérêts individuels
œuvré pour la liberté. L’emploi de la question rhé- b) Ils doivent mettre en perspective leur action, sur
torique (l. 21-22) pèse également : elle présente le plan historique notamment
l’énoncé comme incontestable (« Comment, dans
cette enceinte, ne pas penser… » rappelle à chaque PAGE 249
député son devoir au regard des hommes politiques
qui l’ont précédé).
6. SYNTHÈSE
Le discours de Badinter marque les esprits pour
›
▶▶
Collectif, « Luttons pour l’abolition
totale de la peine de mort », 2012
Objectifs
plusieurs raisons. D’abord, il inscrit la question de ■■ Comprendre que la question de l’abolition de la
l’abolition de la peine de mort dans une trajectoire peine capitale est toujours d’actualité.
historique qui la rend inéluctable. La France a aboli ■■ Analyser une argumentation qui tend vers l’universel.
la torture, puis l’esclavage, mais elle a pris un retard 1. ENTRER DANS LE TEXTE
incompréhensible sur la peine de mort. Ensuite, de Cette tribune est signée par six ministres des Affaires
grands esprits l’ont réclamée, en vain jusqu’ici. Ce étrangères européens. Intitulée « Luttons pour l’abo-
sont des autorités reconnues, des hommes qui pèsent lition totale de la peine de mort », elle entend inciter
dans l’histoire du pays : « Tous se sont levés. Tous ont les pays qui ne l’ont pas encore fait à abolir la peine
soutenu la cause de l’abolition » (l. 22-23). La répéti- de mort et ainsi tendre vers une abolition universelle.
tion de « tous » invite à un nouvel élan. Cette initiative est très utile : d’après le ministère des
Ainsi, les députés sont amenés à s’inscrire dans le Affaires étrangères, « À ce jour, 106 États ont aboli
sillage de leurs prédécesseurs, Gambetta, Clemenceau la peine de mort pour tous les crimes, 9 l’ont abolie
et Jaurès. Quant à l’opinion publique, qui ne vote pas pour les crimes de droit commun, et 29 respectent
la loi, elle doit réfléchir à cette « marche de la France » un moratoire sur les exécutions, soit 144 États au
(l. 1) qui fait sa grandeur. total. En revanche, la peine de mort est toujours appli-
VERS LE BAC. Essai quée dans 55 États et territoires. » (Source : https://
La question posée s’inspire du contexte politique www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-
de la peine de mort sans s’y référer et sans exclure de-la-france/droits-de-l-homme/peine-de-mort/
d’autres thèmes ou problématiques. On le sait : l’opi- la-peine-de-mort-dans-le-monde/)
nion publique n’était pas favorable à cette abolition, 2. Les signataires de la tribune avancent quatre argu-
pourtant le pouvoir politique a proposé et voté cette ments contre la peine capitale et pour son abolition
loi qui était présente dans le programme électoral de dans le premier paragraphe de l’extrait :
François Mitterrand en 1981. Aujourd’hui encore, il – la peine de mort est une pratique inhumaine (l. 2-3) ;
arrive que la question de la peine de mort soit débat- – elle peut s’appliquer par erreur et est irréversible
tue en ce qui concerne certains crimes. (l. 3-5) ;
Pour autant, la représentation nationale, les députés – elle ne prévient pas les délits (l. 7-8) ;
sont l’émanation du peuple et doivent porter sa voix. – elle n’apporte pas de réparation aux victimes (l. 8-9).
On saisit bien qu’il y a ici un paradoxe dont l’essai 3. Les auteurs de la tribune en appellent à des valeurs
pourra rendre compte. complémentaires : ils évoquent à deux reprises
Proposition de plan détaillé : la « dignité » (l. 2 et 22), nécessaire à la condition
1. L’action politique doit s’appuyer sur les membres humaine. Pour eux, l’exécution d’un individu est
d’une communauté et ses aspirations incompatible avec cette dignité. Par ailleurs, ils se
a) Les politiques sont élus : ils représentent toute une placent dans le cadre des « droits de l’homme » (l. 1).
communauté Ainsi, c’est une certaine conception de l’homme qui

sous-tend cette tribune, fondée sur le respect de – en conclusion, chacun doit agir contre la peine de
chaque individu. La question de la justice et de la mort et pour la dignité humaine.
possibilité d’une erreur, dans le premier paragraphe,
rappelle aussi le caractère humain et donc faillible du PAGE 250
jugement. Une certaine idée de l’égalité et de l’huma-
nité se dégage donc de cette tribune, à la fois humble
et pragmatique. LEXIQUE ET ÉCRIT D’APPROPRIATION
4. Langue
Les auteurs de cette tribune publiée par le quoti- L’écriture journalistique
dien Le Monde en 2012 emploient, mais très peu, le et l’expression de l’opinion
pronom personnel « nous ». Il marque le caractère col- EXERCICE 1. L’expression de l’opinion
lectif de l’engagement des signataires, mais peut aussi 1. Je crois, j’imagine, je considère, j’estime, je trouve…
inclure le lecteur. Pour autant, la majorité du texte ne 2. D’après moi, selon moi, à mon sens…
comprend pas de trace des locuteurs et des destina- 3. Absolument, totalement, complètement, tout à
taires, ce qui dépersonnalise le propos. De nombreuses
fait, incontestablement, certainement…
phrases sont énoncées au présent de vérité générale,
4. Cet exercice est à mettre en lien avec la seconde
ce qui implique le caractère universel et admis de
partie de l’oral des Épreuves anticipées de français. La
nombreuses propositions, par exemple :
lecture de la fiche 50 du manuel de l’élève (p. 465-
– « La peine capitale est incompatible avec le respect
467) pourra être un appui.
des droits de l’homme » (l. 1) ;
– « L’exécution de personnes innocentes suffit à vider EXERCICE 2. Nuancer un point de vue
la peine capitale de toute légitimité » (l. 6) ; a. L’accident est probablement dû au mauvais état
– « La peine de mort n’empêche pas les délits d’être du véhicule.
commis » (l. 7). b. Il est possible que les écrans nuisent à la santé des
On note enfin que la tribune ne s’appuie sur aucun enfants comme des adultes.
exemple particulier, ce qui accentue son caractère c. Albert Londres serait un grand journaliste.
universel. d. Le changement climatique est vraisemblablement
5. SYNTHÈSE irréversible.
La tribune publiée dans Le Monde est très utile : elle EXERCICE 3. Comprendre une dépêche
rappelle les fondements de l’abolition de la peine de 1. Les deux premiers paragraphes sont liés par l’ex-
mort et les valeurs qu’elle défend. Par ailleurs, les pression de la cause : le deuxième explique le premier.
signataires nous rappellent que la situation française En effet, les jeunes manifestent (constat du premier
n’est pas universelle : le combat contre la peine de paragraphe) à l’appel de Greta Thunberg et de son
mort n’est pas gagné. mouvement (deuxième paragraphe). La relation
VERS LE BAC. Contraction de texte causale est ici implicite.
Plan du texte : Le lien entre le deuxième et le troisième paragraphe
– thèse : la peine de mort ne respecte pas les droits est un lien d’opposition, explicité par la conjonction
de l’homme ; de coordination à valeur adversative « Mais ». En effet,
– arguments contre la peine de mort : le mouvement est différent en France, d’une ampleur
• elle est dégradante et ne respecte pas la dignité bien moindre.
humaine, 2. Le deuxième paragraphe nuance la dépêche pour
• elle est irréversible, or une erreur de jugement est deux raisons : d’une part, la manifestation est d’une
possible, ampleur modeste ; d’autre part, les slogans mélangent
• elle n’empêche pas les délits, la cause écologique et la protestation contre le capital
• elle n’apporte pas de réparation aux victimes ; (« taxe un banquier », l. 14 ; « moins de riches », l. 15).
– par conséquent, tous les pays doivent abolir la peine 3. La mobilisation est importante et hebdomadaire à
de mort, même si l’évolution est lente ; l’étranger, à la suite de l’appel de Greta Thunberg et
– pour cela, l’information joue un rôle prépondérant de son organisation contre l’inaction climatique. Elle
en aidant l’opinion publique à comprendre les enjeux ; reste pourtant timide à Paris, avec quelques centaines

seulement de jeunes manifestants. Vendredi, ceux-ci
Dossier personnel
ont défendu des slogans pour le climat et contre le
capitalisme. (49 mots). 1. Les recherches peuvent se fonder sur trois sites :
EXERCICE 4. Écrit d’appropriation – le site du ministère des Affaires étrangères : https://
1. On rappelle les attendus du genre journalistique www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-
de la dépêche. Il s’agit notamment de répondre de-la-france/droits-de-l-homme/peine-de-mort/
autant que possible aux questions essentielles résu- la-peine-de-mort-dans-le-monde/
mées par le sigle « QQOQCCP », pour « Qui ? Quoi ? – le site d’Amnesty International : https://www.
Où ? Quand ? Comment ? Combien ? Pourquoi ? » La amnesty.org/fr/what-we-do/death-penalty/
dépêche est le plus souvent un texte objectif, qui livre – le site de la Documentation française : https://
une information brute qui sera par la suite commen- www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/abolition-
tée. Elle est produite par des agences, organisées au peine-mort/peine-mort.shtml
nveau mondial. 2. Les arguments développés pourraient être les
Qui : les partisans de Nelson Mandela et ceux de suivants :
l’Inkatha, traditionalistes zoulous – la peine de mort est une pratique inhumaine,
Quoi : des violences à la suite des premières élections dégradante ;
libres – elle peut s’appliquer par erreur et est irréversible ;
Où : en Afrique du Sud – elle ne prévient pas les délits, ne joue pas son rôle
Quand : en 1994 d’exemple.
Comment : la photographie montre des hommes
armés, des photographes sur une scène qui ressemble PAGES 252-253
à une scène de guerre
Les élèves pourraient se renseigner davantage sur cet
épisode de l’histoire de l’Afrique du Sud pour préciser HISTOIRE LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE
leur dépêche.
2. Il convient ici de rappeler les caractéristiques du Histoire de la presse
genre de l’éditorial : 1. On essaiera de sensibiliser les élèves à la lecture
– l’éditorial est un texte d’opinion, subjectif ; « linéaire » de la presse, article par article, et à la
– il est argumentatif : son auteur défend le plus lecture « hypertextuelle », qui engage davantage
souvent une thèse ou une opinion ; le lecteur à une série de prises de décisions qui
– l’éditorial est souvent court et en bonne place dans construisent son parcours, de lien en lien.
le journal (parfois en Une). Il engage tout le journal, 2. Les dépêches d’agence sont accessibles sur la page
même s’il est signé d’une « plume » reconnue de d’accueil. Il s’agit le plus souvent de la reproduction
l’équipe journalistique. des dépêches de l’Agence France-Presse.
Le texte des élèves doit marquer un engagement
contre les violences et exprimer un appel au calme.
PAGE 254
Du point de vue énonciatif, le texte doit se présenter
comme étant écrit par un journaliste. BAC Contraction
EXERCICE 5. Écrit d’appropriation Les chaînes d’info continue créent un rapport cyclique
La photographie qui sert de point d’appui à cet écrit à l’événement alors que le temps de l’actualité est
d’appropriation est certainement connue des élèves : linéaire. Par la répétition, elles imposent une vérité.
elle a beaucoup été partagée sur les réseaux sociaux, Mais ce sont surtout les journalistes qui sont les pre-
présentée comme une des preuves les plus mar- miers spectateurs de ces chaînes. Ils ont alors une
quantes du réchauffement climatique. relation indirecte au réel et ils vivent l’événement à
On rappelle aux élèves ce qu’est une tribune, soit un travers un récit et des stéréotypes qui formatent déjà
texte d’opinion rédigé par une personne extérieure au l’information. Avec les mêmes expressions, images
journal. Elle défend une thèse, dans un texte qui peut et idées reçues, celle-ci est uniformisée, plus encore
revendiquer sa subjectivité. sous l’effet du numérique et du référencement. Cette

évolution touche également la presse écrite, qui utilise Enchaîné comme le média numérique Mediapart ont
les mêmes mots-clés et se contente parfois aussi de révélé de nombreuses « affaires » et de nombreux
copier directement ce qu’elle voit. Ainsi, les journa- hommes politiques ont dû abandonner leurs mandats
listes, comme les médiaconsommateurs, restent eux une fois leur comportement délictueux révélé. Une
aussi à la surface de l’événement. (119 mots) émission comme Cash Investigation, dirigée par Élise
Lucet, s’est spécialisée dans le « monde merveilleux
PAGE 255 des affaires », selon l’expression de la journaliste.
En cela, la presse et les journalistes nous aident à
BAC Essai mieux comprendre la vie politique et économique, à
La presse ne se limite plus aujourd’hui à la seule saisir les enjeux qui sous-tendent les décisions géopo-
vente d’exemplaires « papier ». Au contraire, avec le litiques et donc nous permettent de construire notre
développement du numérique, les sites Internet et propre opinion. Mais ces médias sont rares et doivent
les applications dédiées sur les téléphones portables, être recherchés. Ils peuvent ne pas nous suffire.
les chaînes d’information continue, la presse et les En effet, les chaînes d’information continue, les sites
journalistes sont aujourd’hui avec nous au quotidien et les applications sont bien souvent alimentés de
et l’information nous arrive le plus souvent instanta- la même façon : par la reproduction des dépêches
nément. Il faut même faire beaucoup d’efforts pour d’agence (en France, le plus souvent l’AFP). Donc
y échapper. Cette présence signifie-t-elle que nous tous les médias véhiculent la même information de
sommes sous influence ? Dans quelle mesure la presse la même façon. Cela a pour conséquence la rareté
et les journalistes nous aident-ils à construire notre du commentaire construit, complet et contradictoire.
propre opinion dans les débats qui animent notre Les « éditorialistes » ou « chroniqueurs » que l’on voit
société ? de plus en plus sur les écrans se contentent le plus
Nous verrons que la presse et les journalistes jouent souvent de donner une opinion. Rares sont ceux qui
un rôle de premier plan aujourd’hui, mais aussi que livrent une analyse détaillée parce que les formats
construire une opinion uniquement à partir de ce qui leur sont offerts ne le permettent pas. La presse
canal d’information pourrait brimer notre liberté. numérique, Mediapart par exemple, peut se le per-
Comme le montrent plusieurs textes du corpus mettre. Elle publie des enquêtes longues, fouillées,
« Mobiliser l’opinion publique », la presse joue un et n’est pas limitée dans son entreprise.
rôle de premier plan dans les sociétés démocratiques. On peut aussi ressentir le besoin de lire des ouvrages
En effet, elle est une émanation directe de la liberté parfois plus spécialisés, sur des sujets techniques
d’expression. Elle permet des prises de position qui notamment. La transition écologique est une ques-
peuvent s’opposer au pouvoir en place, à une déci- tion qui anime notre société : comment consommer
sion de justice contestable, comme le montre l’article mieux ? Quelle énergie choisir demain ? Quelles
« J’accuse » d’Émile Zola. Partant, elle peut jouer un sources favoriser ? Si l’on veut, par exemple, com-
rôle en touchant l’opinion publique et en changeant prendre tous les enjeux du développement de l’éner-
le cours de l’histoire. Aujourd’hui, que ce soit en gie éolienne, il faut se référer à des ouvrages qui font
version « papier » ou en ligne, la presse en France est autorité. On peut alors mieux prendre position dans
pluraliste : tous les courants politiques sont repré- un débat qui parfois peut nous toucher directement.
sentés et tout un chacun peut croiser les opinions, En somme, la presse et les journalistes nous per-
se nourrir d’idées contradictoires et accéder à une mettent bien de réfléchir aux débats qui animent
pensée complexe. notre société. Ils produisent une information pluraliste
La presse joue encore dans notre pays un rôle de et contradictoire, peuvent remettre en question les
premier plan par son travail d’investigation. En cela, pouvoirs politiques et économiques, sensibiliser l’opi-
elle est bien un contre-pouvoir ou un quatrième nion publique. Mais nous pouvons aussi avoir le besoin
pouvoir, pour reprendre l’expression consacrée. Ces d’approfondir et de choisir des supports différents, qui
dernières années, l’hebdomadaire satirique Le Canard développent une analyse plus nourrie encore.

séquence 4
⁄⁄
Se défi
Le libérer
écologique
de l’emprise familiale et sociale
OBJECTIFS ET PRÉSENTATION l’élève. Il se termine par un sujet de type bac techno-

DE LA SÉQUENCE logique avec une contraction et un essai.
Le premier objectif de la séquence est de faire com- PAGES 256-257

prendre l’influence de la littérature et de la presse
sur l’opinion publique. Le thème de l’écologie est très
actuel et parlant pour les élèves. Le corpus de textes PARCOURS CHRONOLOGIQUE
du xixe au xxe siècle permet de mettre en perspective la
réflexion sur les rapports entre l’homme et la nature, L’homme est-il maître de la nature ?
de faire apparaître des continuités et des héritages
dans la pensée. Il s’agit aussi de montrer les apports
de la littérature à ce débat : porteuse d’une vision ori-
⁄ Charles-Marie Leconte de Lisle,
« La forêt vierge », 1862
ginale du monde, la parole singulière des écrivains est
capable d’amener le lecteur à repenser véritablement ¤ Xavier Jouvelet, « Lettre à ma zonie »,
1992
sa place dans le monde. Le premier corpus est centré
sur la question de la civilisation quand elle s’oppose
à la nature, le second traite de la condition animale :
‹ Raoni Metuktire, « Il faut que
les Européens mangent ce qu’ils
produisent sur leur propre sol », 2015
les deux invitent à redéfinir la manière dont l’homme ▶▶ Objectifs
se perçoit dans le monde. ■■ Problématiser la séquence avec les élèves.
Ensuite, la séquence vise à amener les élèves à ana- ■■ Comparer des textes de genres différents portant
lyser les différentes stratégies argumentatives pos- sur un même thème.

sibles, à en apprécier les atouts. Le corpus est en effet
1. Ce poème barbare de Leconte de Lisle célèbre l’im-
composé de textes de formes très variées (poèmes,
mensité verticale de la forêt vierge, « Cette forêt sans
extraits de presse, romans, nouvelles, essais, science-
fin » qui « S’enfonce puissamment dans les horizons
fiction, nouvelle fantastique, autobiographie…). De
bleus ». La métaphore des horizons bleus désigne le
nombreux textes sont mis en lien avec des illustra-
ciel, que la cime des arbres assaille de ses « feuillages
tions afin d’inciter les élèves à comparer les différents
houleux ». La deuxième strophe amplifie encore cette
langages artistiques et de leur faire prendre conscience
idée d’immensité, et célèbre également son ancien-
de la visée souvent argumentative des images, qu’il
neté, qui remonte aux temps immémoriaux (« mille
leur faut apprendre à décrypter. Les questionnaires
ont pour objectif d’analyser les effets de l’argumen- fois séculaire ») qui ont précédé la présence humaine
tation directe et indirecte sur le destinataire. sur la Terre : « l’homme n’était pas né/ Qu’elle emplis-
Enfin, la séquence cherche à travailler les compé- sait déjà (...)/ Un large pan du globe ». Enfin, dans la
tences en expression orale et écrite des élèves : de troisième strophe, Leconte de Lisle fait de la forêt le
nombreuses activités leur proposent de pratiquer vénérable témoin des bouleversements géologiques :
l’écriture argumentative et le débat oral. Il s’agit de « Elle a vu tour à tour jaillir des continents/ Et d’autres
préparer les épreuves du bac : l’écriture argumentative s’engloutir au loin. »
prépare à la dissertation et à l’essai, les débats à l’oral 2. Le refrain « Amazonie ozone mise à mort » est
de première et au grand oral de terminale. construit sur le procédé de la paronomase, puisque
Conformément à l’esprit des nouveaux programmes, les sonorités du mot « Amazonie » sont reprises en
le chapitre se termine sur des activités pour travailler chiasme dans le début de l’expression « ozone mise
la langue (lexique et écrit d’appropriation sur l’écolo- à (mort) ». On peut noter que le titre de la chanson
gie), des propositions de lectures cursives accompa- repose également sur un jeu de mots : « Lettre à ma
gnées d’activités pour nourrir le dossier personnel de zonie ».

3. Le chef Raoni, qui s’est déplacé en personne alors la comparaison avec l’hôtel suggère une nature bien-
qu’il avait plus de 85 ans à la Conférence mondiale veillante, accueillante, hospitalière (elle leur fournit
sur les changements climatiques du Bourget en 2015, de quoi vivre). La bienveillance des dieux est sensible
reproche aux « industries minières, agricoles et de dans l’existence paisible et joyeuse que mènent les
l’énergie » de mettre en danger la forêt amazonienne, deux amants à l’écart de toute civilisation (« jamais
et il accuse « les grands propriétaires fonciers » d’être les merveilles de l’ancien monde n’ont approché de
responsables de la déforestation dans le but d’étendre ce monument du désert »).
les surfaces cultivables, et les accuse de « dévers(er) 2. On peut relever trois métaphores : « cette draperie
des pesticides, qui se retrouvent dans les rivières » […] longs voiles » (l. 14-15), « une foule de papillons
dont les indigènes boivent l’eau. […] vient s’accrocher à ces mousses, qui produisent
4. Le lien entre ces trois textes est la forêt vierge. Ces alors l’effet d’une tapisserie en laine blanche, où
textes donnent de la forêt vierge, et plus particulière- l’ouvrier européen aurait brodé des insectes et des
ment de la forêt amazonienne, une vision contrastée, oiseaux éclatants » (l. 15-18), « ce grand cèdre, que
entre admiration et désir de protection. Le premier le château aérien bâti sur ses branches allait flottant
texte la présente comme une immense étendue avec les oiseaux et les voyageurs endormis sous ses
végétale vénérable car très ancienne, ses « feuillages abris, que mille soupirs sortaient des corridors et
houleux » trouvent un écho dans « la mélodie du feuil- des voûtes du mobile édifice […] ce monument du
lage » du texte 2. Le poète et le chanteur célèbrent la désert » (l. 21-24). Ces métaphores ont pour but de
forêt vierge dont les feuilles constituent en quelque révéler la splendeur de la nature, présentée comme
sorte un instrument de musique. Mais cette idéali- une œuvre d’art. Chateaubriand relativise ainsi la
sation ne tient pas face aux agressions dont la forêt supériorité prétendue de la civilisation sur la nature.
amazonienne est victime, comme le souligne le refrain Ces métaphores peuvent aussi laisser penser qu’il y a
de Xavier Jouvelet, « Amazonie ozone mise à mort », un « grand artisan » derrière ce chef-d’œuvre naturel,
qu’annonce la sentence suivante : « Sans forêt il n’y Dieu ou le « Grand Esprit » (l. 19).
a plus d’air pour personne ». Le chef Raoni lui aussi 3. Lexique
dénonce les dangers dont la forêt est victime, et cible Le vocabulaire lié aux sens est très abondant dans le
les responsables de la déforestation. texte. Le champ lexical de la vue domine avec les nom-
breuses couleurs (« mauves bleues », l. 3-4 ; « graines
PAGE 258 rouges », l. 5 ; « mousse blanche », l. 12 ; « mouches
brillantes », l. 16 ; « perruches vertes, de geais d’azur »,
›
▶▶
François-René de Chateaubriand,
Atala, 1801
Objectifs
l. 16) : il transforme la description en tableau pitto-
resque. On relève également le sens du toucher et de
l’ouïe avec la « chaleur » (l. 10), « les vents » (l. 21) et
■■ Découvrir le mythe de l’âge d’or. les « mille soupirs » (l. 23). Pour Atala et Chactas, la
■■ Analyser la dimension argumentative d’un texte nature est une source d’émerveillement et de plaisir,
narratif. comme un paradis terrestre. On trouve d’ailleurs le
1. ENTRER DANS LE TEXTE mot « merveille » à plusieurs reprises sous des formes
Le mythe de l’âge d’or est un mythe antique qui cor- différentes, comme un polyptote : « merveilleuse »
respond au premier des trois âges de l’humanité (or, (l. 6), « les merveilles » (l. 24). Étymologiquement, le
argent, bronze) : à l’âge d’or, les dieux vivent parmi mot est lié à l’admiration, il peut également suggérer
les hommes qui n’ont pas à travailler car la nature la dimension presque surnaturelle de cette beauté
produit seule, la paix et la concorde règnent. Ce naturelle (« vous croiriez voir un fantôme », l. 14).
mythe antique présente des similarités avec le mythe 4. L’auteur souligne de plusieurs manières le bonheur
biblique du jardin d’Éden, le paradis terrestre où de la vie sauvage. Dans les lignes 3-5, on remarque
vivent Adam et Ève avant d’en être chassés. Le texte l’équilibre de la construction syntaxique de la phrase :
de Chateaubriand est une réécriture de ces mythes, le texte tend vers une prose poétique. Les nombreux
car Chactas et Atala vivent au sein d’une nature pluriels, parfois renforcés par des hyperboles (« mille
luxuriante présentée par une métaphore comme de soupirs », l. 23) ou par des accumulations (l. 15-16)
« riantes hôtelleries, préparées par le Grand Esprit » : donnent l’impression de profusion. Enfin, la nature
SÉQUENCE 11 Le défi écologique | 253

semble personnifiée, par exemple avec l’expression entendait les sons d’une musette/dont jouait un char-
« la nudité d’une savane » (l. 13) : ce procédé invite à meur bien pensant./Pendant que la lune reflète/Sur
regarder autrement la nature, pas seulement comme les fleurs, les arbres verdoyants,/Les fauves serpents
un décor, mais comme une personne digne d’intérêt prêtent l’oreille/Aux airs gais de l’instrument. »
en elle-même.
5. SYNTHÈSE PAGE 259
L’éloge de la nature présent dans ce texte peut se
lire comme une annonce de l’apologie du christia-
nisme que Chateaubriand développera dans Le Génie
du christianisme en 1802. La vie simple en harmonie
∞
▶▶
Victor Hugo, « Ce que vous
appelez… », 1893
Objectifs
avec la nature, la contemplation des merveilles natu- ■■ Découvrir la force de persuasion de la poésie.
relles dans lesquelles se reconnaît le « Grand Esprit » ■■ Réfléchir aux méfaits de la civilisation.
sont présentées comme une sorte d’utopie paisible

et enchanteresse qui contraste avec le souvenir très PARCOURS 1. Compétences de lecture
récent et traumatisant pour l’auteur de la Révolution 1. L’illusion de l’œuvre civilisatrice est dénoncée par
française. Dans une certaine mesure, ce texte est une les modalisateurs en vérité : « vous croyez civiliser ».
utopie qui critique en creux la société française. Victor Hugo oppose le mot « ce que vous appelez dans
votre obscur jargon :/ Civilisation » (le mot est mis
VERS LE BAC. Essai
ironiquement en doute par le rejet) et la réalité qu’il
On pourra proposer le plan suivant :
recouvre : une œuvre de massacre et de destruction
1. Le retour à la nature peut apparaître comme une
dénoncée par les verbes « enfiévrez » (qui renvoie à
folle utopie dans une civilisation fondée sur la techno-
une maladie), « troublez », « violez », « chassez ».
logie et habituée à un grand confort matériel.
De même, la seconde strophe est structurée par
2. Néanmoins, s’inspirer de la nature pour repen-
l’opposition entre le discours direct des civilisateurs
ser la vie moderne apparaît comme le moyen de
se déprendre de la vie artificielle de la société de (v. 22-29) et les effets néfastes de l’action des colo-
consommation et de lutter contre ses dérives. nisateurs soulignés par l’antithèse entre « homme
lion » et « homme ver », ou l’opposition entre l’inof-
HISTOIRE DES ARTS fensif « tomahawk » et le meurtrier « revolver ». Un
registre polémique dénonce les méfaits de la civili-
À la fin du xixe siècle, un courant qualifié de naïf
sation : l’auteur emploie des mots aux connotations
(environ 1885-1930) prit forme, notamment autour
très péjoratives (« cupidité », v. 17 ; « dur, cynique »,
de la figure d’Henri Rousseau. Né en 1844, il montra
v. 18 ; « idolâtre du dieu dollar », v. 19), des antithèses
son talent pour les arts durant toute sa scolarité
qui soulignent le contraste entre l’avant et l’après,
et remporta des prix pour sa musique. Malgré ses
par exemple « l’esclavage étonné servant la liberté »
capacités, ses parents ne purent lui payer une école.
(v. 22). Alors que les colonisateurs présentent leur
Autodidacte, il apprit à dessiner et à peindre, puis
œuvre comme un progrès (v. 28), l’auteur montre
consolida ses connaissances à l’aide de professeurs
comment à leur contact les hommes libres s’avi-
talentueux. L’omniprésence du vert, dans d’infinies
nuances, est encore renforcée par l’utilisation de cou- lissent, à l’aide de la métaphore du serpent (v. 16,
leurs complémentaires pour le serpent orange dans les v. 33).
hautes herbes, ou encore les fruits dans l’arbre. Cela 2. Grammaire
crée l’impression d’une harmonie presque irréelle, Victor Hugo sépare le groupe nominal habituel « la
comme dans un rêve, d’autant que la perspective ou forêt vierge » en deux groupes, en substantivant
la profondeur de champ sont inexistantes. La présence l’adjectif « sa vierge, la forêt ». Cette construction a
incongrue de la femme sur son sofa, du joueur de pour effet de créer une ambiguïté sémantique dont
musette ou de la Lune en plein jour peut faire penser joue l’auteur : l’expression « violer sa vierge » peut
qu’il s’agit d’un rêve de la femme endormie, ce qui est s’entendre au sens propre et au sens figuré, comme si
confirmé par le court poème rédigé par le Douanier la forêt était personnifiée ou transformée en une sorte
Rousseau pour accompagner son tableau : « Yadwigha de nymphe ou de divinité profanée. La construction
dans un beau rêve/s’étant endormie doucement/ grammaticale crée donc une syllepse.

3. SYNTHÈSE la paix…) et la vie d’un écrivain majeur de la littérature
L’auteur interpelle directement les colons américains, française, afin qu’il s’incarne et constitue un repère
par des apostrophes et par un discours où perce son dans l’histoire littéraire.
indignation, marquée par les phrases exclamatives. Il
les invite à se remettre en question (v. 4) et les inter- PAGE 260
roge sur le sens du mot « civilisation » utilisé comme
un prétexte pour justifier des exactions. Il révèle au
contraire l’œuvre destructrice accomplie : destruction
des milieux naturels (v. 9-14), destruction de la dignité
6
▶▶
Alphonse Daudet,
Wood’stown, 1873
Objectifs
du peuple indien métamorphosé par le contact avec la ■■ Découvrir le registre fantastique.
richesse (v. 15-22). Les Indiens perdent leur innocence ■■ Comprendre la dimension argumentative d’une
et leur fierté, d’où la comparaison avec Adam (v. 15) : nouvelle.

les colons détruisent une seconde fois le paradis ter-
restre dans lequel vivaient encore les Indiens.
Le titre anglais choisi par Daudet renvoie à la coloni-
PARCOURS 2. Compétences orales sation américaine, mais il n’est pas tout à fait formé
1. Le poème doit être lu sur un ton indigné et décla- selon les règles grammaticales (wood’s town), peut-
matoire. Les phrases exclamatives révèlent en effet être pour attirer l’attention sur l’ambiguïté du génitif :
l’indignation de l’auteur, de même que le registre on peut en effet le traduire de façon objective « la ville
polémique (voir parcours 1) indique que ce poème de bois » ou « en bois », ou de manière subjective
est un réquisitoire contre les colons américains. « la ville du bois », « la ville de la forêt » comme si
L’utilisation du discours direct, le choix de l’alexan- celle-ci en était la propriétaire. La nouvelle complète
drin (ample et emphatique à la fois) et le parcours exploite cette ambiguïté.
de Victor Hugo lui-même, célèbre pour ses discours 2. Dans le premier paragraphe, Daudet personnifie
à la Chambre, confirment cette lecture. la forêt par des hypallages (« une masse sombre et
2. Au vers 2, il faut faire la diérèse sur « civilisati- menaçante ») ou en plaçant la forêt comme sujet de
on » pour arriver au bon nombre de syllabes pour verbes : « c’était la forêt qui regardait », « elle avait
l’alexandrin. Ce procédé signale une certaine ironie tout fourni ». Il lui prête enfin des sentiments humains
de V. Hugo sur ce mot déjà placé en rejet. (puisqu’il « quelle rancune terrible elle gardait contre cette ville
pense au contraire qu’il s’agit d’une destruction plutôt de pillards ! » Cette personnification introduit le sur-
que d’une œuvre civilisatrice) naturel dans le texte, puisque la forêt cherche à se
venger et à reconquérir sa place. Il s’agit aussi pour
3. Hugo emploie de nombreux pronoms de la deu- Daudet de changer la vision des hommes sur la nature
xième personne du pluriel : « ce que vous appelez ». Ce et de la montrer comme un organisme vivant qui doit
pronom au fonctionnement nominal désigne directe- être respecté et pas seulement exploité comme une
ment les Américains et tous les peuples colonisateurs ressource (l. 5-9).
(v. 2-3) : ils sont ainsi mis en accusation par le poète.
3. Grammaire
Quand l’auteur leur prête la parole, on remarque
Le verbe est conjugué à l’imparfait de l’indicatif, troi-
dans leurs propos une opposition entre « nous » (et
sième personne du pluriel, à la voix pronominale. Le
les autres désignés à la troisième personne par un
choix de la voix pronominale est intéressant à com-
substantif très dévalorisant « ces brutes » (v. 23). La
menter : on devrait normalement utiliser des verbes
lecture peut s’appuyer sur ces interpellations pour
passifs pour les choses inertes ou considérées comme
marquer les mouvements du texte.
telles comme les « branches ». Daudet n’emploie pas
La lecture produite par les élèves pourra être compa-
non plus la voix active qui dirait que la végétation est
rée à la lecture du texte par un comédien.
devenue un sujet complet. La voix pronominale est
TICE une forme de voix moyenne entre les deux, qui trans-
Cette activité peut être proposée en prolongement crit la mise en mouvement, l’animation progressive
pour élargir les perspectives et faire découvrir aux de la forêt. Elle assure une certaine ambiguïté, car la
élèves à la fois les autres combats menés par Hugo phrase « les branches se joignaient » peut à la fois se
(contre la peine de mort, la misère, pour l’éducation, lire comme une description d’un état ou comme une

action. Le choix de cette forme verbale crée donc le 2. Une ville qui fait de la place à la nature (couloirs
doute dans l’esprit du lecteur : il est naturel que la verts, îlots naturels, limitation de l’étalement urbain)
végétation pousse, en particulier la végétation tropi-
TICE
cale (et les habitants s’en amusent sans s’inquiéter,
Les élèves doivent s’inspirer des lignes 11 à 25. On
l. 18), mais ici, le rythme de croissance est tellement
pourra proposer en différenciation la boîte lexicale
rapide qu’il devient étrange, anormal.
suivante : s’introduire – se couler – se glisser – tapis-
4. Les sentiments des habitants envers la forêt ser – submerger – se répandre – s’étendre – ensevelir
s’inversent au cours du texte. Au début, la ville est – engloutir.
« insolente », voire indifférente à la forêt qui l’entoure,
occupée à commercer (« une activité fiévreuse circula
PAGE 261
dans tous ses quartiers »). Le lendemain de l’orage, « la
ville en se réveillant eut un cri de stupeur » : le surnatu-
rel fait irruption dans le réel. Néanmoins, l’ambiguïté
créée fait que ce premier signe de la reconquête est
‡
▶▶
Marguerite Yourcenar,
Souvenirs pieux, 1974
Objectifs
vu comme un phénomène naturel qui « amusa sans
inquiéter ». Le polyptote sur le mot « inquiéter » qu’on
■■ Découvrir le genre autobiographique.
■■ Réfléchir à la notion de progrès.
retrouve à la ligne 26 sous la forme de l’adjectif verbal
« cela devenait inquiétant » montre l’évolution qui se 1. ENTRER DANS LE TEXTE
produit dans les réactions des habitants. Les habitants L’auteur laisse apparaître de la nostalgie : la demeure
prennent conscience de la nature « extraordinaire » de de la gravure a disparu, comme « l’ancien village ».
la croissance de la végétation. L’adjectif « étonnée » Cette nostalgie est sensible dans les temps employés :
(l. 29) peut se comprendre au sens fort et étymolo- le plus-que-parfait signale un temps complètement
gique du mot « frappée par la foudre », comme si la révolu. La comparaison des lignes 22 à 24 souligne
foule comprenait enfin la portée de « l’orage venu de la différence entre un naguère, si imparfait fût-il, et
la mer » (l. 11). La dernière ligne du texte montre la aujourd’hui.
bascule qui s’est opérée : « l’on s’aperçut avec terreur 2. Le domaine est comparé à un « pur-sang […] réduit
que depuis deux jours le demi-cercle verdoyant s’était à l’état de haridelle avant [d’être envoyé] à l’équarris-
beaucoup rapproché ». Les habitants, qui ignoraient seur » (l. 10-11). Cette comparaison entre le végétal
la forêt aux alentours au début du texte ont pris et l’animal est intéressante : elle montre comment les
conscience du danger. Au début du texte, « c’était la hommes exploitent jusqu’au dernier souffle la nature,
forêt qui regardait », à la fin, le regard s’est inversé. et comment ils dégradent les choses autour d’eux :
5. SYNTHÈSE le pur-sang en haridelle, les parterres et le parc en
La nouvelle de Daudet peut se lire comme un apo- square, voire le parking (l. 13). L’équarrisseur sym-
logue qui joue du fantastique pour faire réfléchir le bolise la mort pour le pur-sang, comme la terre est
lecteur. Le fait que le lecteur doute entre l’explica- « tuée par l’industrie ».
tion rationnelle (la croissance très rapide de la jungle 3. Grammaire
tropicale) et l’irrationnel (la vengeance de la forêt) Il s’agit d’une forme particulière de négation. L’emploi
l’amène à s’interroger sur la manière dont il considère de la forme tonique de l’adverbe « non » associé au
son environnement comme une ressource naturelle à forclusif « pas » remplace la forme habituelle avec les
son entière disposition. La phrase « Tout Wood’stown deux adverbes qui encadrent le verbe : « je ne regret-
était fait avec sa vie à elle » invite à considérer la forêt
tais pas ». Cela permet de renforcer et de préciser
comme un organisme vivant, et l’irruption du surna-
l’objet de la négation (qui sinon peut être ambigu)
turel a pour effet que les habitants de Woods’town
portant ici sur l’objet du verbe « regretter ». Cette
regardent et considèrent enfin la nature autour d’eux
formule est construite en corrélation avec la conjonc-
qu’ils ignoraient jusqu’alors.
tion de coordination « mais ». Ce renforcement de la
VERS LE BAC. Essai négation est un procédé rhétorique : l’épanorthose.
On pourra proposer le plan suivant Sa présence souligne la portée argumentative de ce
1. Une ville économe en ressources (énergie, circuits texte autobiographique où le moi et sa formation ne
courts, réduction des déchets et des pollutions) sont pas au centre.

4. Dans la dernière partie du texte, Yourcenar compare
HISTOIRE DES ARTS
les anciens villageois de Flémalle et les citadins de son
époque. Elle remarque comme point commun l’uti- Banksy est une figure du mouvement du street art.
lisation de la Meuse comme un dépotoir : tous les Cet art se développe sous une multitude de formes
hommes « souillent » la nature (l. 18) et « abusent (graffitis, pochoirs, affiches, pastels sur murs ou trot-
d’elle ». Néanmoins, elle remarque que les dégâts toirs…) dans des endroits publics ou dans la rue. Les
provoqués par l’homme ont été accrus par les progrès artistes revendiquent une forme d’art éphémère et
techniques : « ils n’y déversaient pas des tonnes de gratuite car ils dénoncent la marchandisation de l’art
sous-produits nocifs ou même mortels ». La pollu- et plus généralement les valeurs de la société. Leurs
tion est à la fois plus conséquente en quantité (le œuvres, engagées, ont souvent une valeur subver-
quantificateur « des tonnes » s’oppose au « contenu sive. Banksy joue de l’environnement dans lequel il
de leurs pots de chambre ») et plus forte en qualité (la réalise ses œuvres. Ici, il choisit un pan de mur qui
gradation qualifie les produits sans doute chimiques reste debout au milieu des décombres. Le message
« nocifs ou même mortels » et contraste avec les élé- inscrit en rouge sang rappelle qu’autrefois, avant les
ments naturels jetés autrefois, urine ou carcasses). Le constructions, il y avait des arbres. L’enfant qui écrit
parallélisme des deux dernières phrases juxtaposées ce message symbolise l’innocence. Il représente aussi
souligne cette différence : « ils avaient à l’excès tué Banksy lui-même qui réalise la peinture. Le message
des bêtes sauvages et abattu des arbres […] un monde a un double sens du fait de l’environnement : il peut
où les animaux et les arbres ne pourront plus vivre ». aussi suggérer la vanité de toutes ces constructions.
La construction en parataxe rend plus forte l’opposi- Tout est détruit : cette maison pour laquelle on a
tion implicite entre les deux propositions juxtaposées. détruit les arbres est détruite à son tour. Si le cycle se
5. SYNTHÈSE poursuit, il risque de ne plus rester que des décombres.
Ce texte est une critique du monde industriel
moderne qui se déroule en plusieurs temps. Dans le PAGE 262
premier paragraphe, M. Yourcenar décrit son trajet
et sa traversée de la ville industrielle qui se distingue
par sa laideur : « une interminable rue de faubourg
ouvrier, grise et noire, sans une herbe et sans un
8
▶▶
Stefan Wul,
Niourk, 1957
Objectifs
arbre ». Les différentes formes de négation (pré- ■■ Découvrir le genre de la science-fiction.
fixes, préposition) révèlent la nature invivable de tels ■■ Analyser la visée argumentative de la science-fiction.
lieux présentés comme un enfer (l. 7). La référence à 1. ENTRER DANS LE TEXTE

Baudelaire (« quand le ciel bas et lourd pèse comme Les élèves devraient évidemment répondre non à
un couvercle ») révèle le spleen que ressent l’auteur cette question qui a pour objectif de les faire se pro-
dans ces environnements artificialisés. La disparition jeter dans le texte et de leur faire prendre conscience
de la demeure familiale lui inspire ensuite une médi- de la nature post-apocalyptique de ce qui reste de
tation sur l’aggravation de la pollution liée à l’indus- New York. Pour justifier leur réponse, les élèves pour-
trie moderne en comparant les anciens villageois qui ront citer la radioactivité, la froideur des mécanismes
avaient vue sur la Meuse et « l’industrie lourde » qui inhumains et le désert humain.
rejette désormais dans le fleuve « des tonnes de sous-
2. On découvre la ville du point de vue de l’enfant
produits nocifs ou même mortels ».
noir dont on connaît les sentiments (« il s’étonna de
VERS LE BAC. Contraction ne plus pouvoir faire un pas en avant », l. 1-2). On
Beaucoup de domaines finissent, comme celui de ne dispose d’abord d’aucune information autre que
Flémalle, réduits en square ou parkings et la terre ce que voit et comprend l’enfant, ce qui permet de
disparaît au profit de l’industrie qui la fait mourir. ressentir ce qu’éprouve le personnage en arrivant
Autrefois, les villageois polluaient aussi et rejetaient dans un lieu inconnu, de montrer l’étrangeté des lieux
dans le fleuve leurs déchets, mais le progrès tech- révélée par un regard naïf et étranger. À partir de la
nique aggrave désormais la quantité et la nocivité de ligne 22, le narrateur élargit sa focalisation et révèle ce
la pollution au risque d’empêcher toute vie naturelle. qu’il sait. La reprise anaphorique « il ignorait » est un
(57 mots) moyen à la fois de révéler ce que le lecteur a besoin de

savoir et de continuer à insister sur l’incompréhension 3. La fiction permet d’incarner des concepts, des idées
de l’enfant. (L’Homme qui plantait des arbres)
3. Lexique
Les deux mots ont la même origine étymologique, PAGE 263
le grec méchané. « Mécanisme » est une formation
savante, « machine » le résultat d’une formation
populaire (palatalisation du son [k] devant la voyelle
ouverte [a]). Le champ lexical de la machine est
·
▶▶
Giono, L’Homme qui plantait
des arbres, 1973
Objectifs
enrichi par les mots suivants : « mécaniques » (l. 2), ■■ Découvrir un texte manifeste.
« contrôle électronique » (l. 5-6), « roulement métal- ■■ Analyser l’efficacité argumentative d’un texte
lique » (l. 12), « humanoïde », « voix monotone et narratif.

inhumaine » (l. 21), « dispositifs compliqués » (l. 23), 1. ENTRER DANS LE TEXTE
« machines de triage » (l. 25), « robots » (l. 26), « cir- Elzéar Bouffier a consacré sa vie à planter des arbres,
cuits » (l. 28), « fonctionnaient » (l. 28), « la pile » comme le met en valeur le titre du livre. Pour ce faire,
(l. 30). La ville est présentée comme une ville déshu- il a changé de métier (l. 4-6). Giono s’est inspiré pour
manisée où les machines ont remplacé les hommes, écrire d’un personnage réel : John Chapman, né dans le
un univers froid et peu accueillant. Massachusetts dans les dernières années du xviiie siècle
4. Les machines fonctionnent seules et ne sont pas et mort en 1855, devenu inoubliable sous le nom de
capables de prendre en charge l’enfant noir comme il Johnny Appleseed, « Jeannot Pépin-de-Pomme »,
le faudrait : « une voix anonyme lui parla en phrases pour avoir pendant quarante ans (le temps qu’Elzéar
hachées, mécaniques ». Elles le font souffrir (l. 21) au Bouffier passe à planter les glands est comparable,
lieu de l’accueillir, ce ne sont plus que des « pièges trente-six ans, de 1910 à 1945) distribué des pépins
et des embûches ». En outre, les machines semblent de pomme aux pionniers de la vallée de l’Ohio, de
fonctionner de façon autonome au début du texte, l’Indiana et de l’Illinois et avoir ainsi contribué à
mais leur raison d’être a disparu avec le départ des changer en vergers la région qui s’étend de l’Ohio
hommes (l. 22-23, l. 27) et surtout, sans leur interven- au lac Michigan.
tion, elles s’épuisent, à l’image de la pile (l. 30-33). La
2. Le récit se situe à la fin de la Première Guerre
comparaison entre les robots, symbole de futurisme
mondiale. Contrairement au narrateur, le berger
et de modernité (surtout en 1957), et « des armures
n’a pas été mobilisé car il avait dépassé cinquante
du Moyen Âge » est comique : elle les renvoie en
ans : « il ne s’était pas du tout soucié de la guerre ».
arrière.
Ce cadre est important car l’action d’Elzéar Bouffier
5. SYNTHÈSE contraste d’autant plus avec l’œuvre destructrice de
Ce texte a une visée argumentative car il dénonce la guerre, rappelée à plusieurs reprises, par exemple à
le nucléaire dont la découverte est récente en 1957. la ligne 1 « j’avais vu mourir trop de monde pendant
C’est en effet à cause de la radioactivité que la ville de cinq ans » ou aux lignes 12 à 14. Alors qu’à Verdun
New York a été désertée par les hommes « depuis des (cité à la ligne 20), tout a été détruit, pendant ce
siècles ». Les systèmes de protection et de contrôle à temps, le berger a replanté une vaste forêt de « onze
l’entrée apparaissent dérisoires. L’auteur critique éga- kilomètres de long et trois kilomètres dans sa plus
lement les risques liés à la mécanisation excessive du grande largeur ». Pacifiste, Giono dénonce la guerre
monde : la ville apparaît en effet comme complète- et en particulier la guerre industrielle : « quand on se
ment déshumanisée et froide, la nature en a com- souvenait que tout était sorti des mains et de l’âme de
plètement disparu (et l’entrée de l’ours est interdite, cet homme – sans moyens techniques – on compre-
l. 4-5, l. 16-17). nait que les hommes pourraient être aussi efficaces
VERS LE BAC. Essai que Dieu dans d’autres domaines que la destruction. »
On pourra proposer les sous-parties suivantes : 3. Grammaire
1. La fiction permet au lecteur de s’identifier, ce qui Aux lignes 8-14, le paragraphe débute avec la pre-
le remet ensuite en question (Woods’town) mière personne du singulier (« moi », l. 8 ; « j’étais »,
2. L’imagination permet d’extrapoler à partir du réel l. 9) ou du pluriel (« nous », l. 10). Le passage au
pour mieux le comprendre (Niourk) pronom indéfini « on » marque la généralisation

du propos et associe le lecteur à la réflexion. Cette par rapport aux impressionnistes : Van Gogh fait
généralisation est confirmée par le passage d’un des touches plus longues qui s’apparentent à des
vocabulaire très concret et précis pour décrire une traits. Aucun n’est droit, les traits semblent onduler
forêt particulière (« sa forêt », l. 10) à un vocabulaire voire tourbillonner dans les feuillages, ce qui donne
plus abstrait « la destruction » et à des articles définis l’impression que les arbres sont animés et presque
pluriels qui englobent la totalité d’une catégorie (les vivants, comme des personnages (on pourra mettre
hommes », l. 13). Le changement de pronom révèle en relation avec la dernière phrase du texte de Giono
un raisonnement de type inductif : Giono part d’un « ils étaient tendres comme des adolescents et très
exemple particulier pour en tirer une loi générale. décidés »). Enfin, l’utilisation des couleurs met les
4. Le narrateur est surpris de voir comment l’obs- arbres en valeur : leur vert est décliné dans les prairies
tination solitaire d’un homme peut triompher du ou les champs, la couleur ocre de la terre composée
malheur général. Le berger est transformé en héros. de nuances d’orange est une couleur complémentaire
L’admiration se remarque aux mots à valeur lau- du vert.
dative (« le spectacle était impressionnant », l. 9 ;
« admirables bosquets », l. 18), aux modalisateurs PAGE 264
axiologiques comme « avec juste raison » (l. 21). Des
hyperboles grandissent le résultat obtenu : la forêt
s’étend « à perte de vue » (l. 15-16), il faudrait des
« cyclones » (l. 23) pour détruire la forêt. L’anaphore
⁄‚
▶▶
Sylvain Tesson,
Dans les forêts de Sibérie, 2011
Objectifs
sur le pronom « il » (l. 3-7) met en valeur l’acti- ■■ Découvrir le genre de l’essai.
vité bienfaisante du berger, présentée comme une ■■ Comprendre la redécouverte de la nature et de la
« œuvre » (l. 17). simplicité.

5. SYNTHÈSE 1. ENTRER DANS LE TEXTE
Le titre de l’ouvrage est déjà à lui seul un manifeste : Les élèves pourront débattre à partir de cette ques-
l’homme reste anonyme, mais la relative détermi- tion : le texte présente de façon méliorative cette
native ressemble presque à une épithète homérique. retraite en Sibérie qui permet de se concentrer sur
Dans le texte, on a vu de quelle manière le narra- l’essentiel, la cabane étant qualifiée de « royaume
teur exprimait son admiration pour l’action d’Elzéar de simplification ». Mais tous ne seront peut-être
Bouffier. Giono oppose les destructions liées aux deux pas convaincus par ce mode de vie spartiate, coupé
guerres mondiales et l’activité patiente et obstinée de tout mode de communication, éloigné de la vie
du berger qui construit une œuvre : la véritable civi- urbaine.
lisation est de planter des arbres bien plus que les 2. Le premier argument développé par S. Tesson est
« moyens techniques » qui ont conduit aux massacres. que cette vie, plus frugale, permet de limiter son
On ressent dans le texte l’apaisement du soldat empreinte écologique. Cette idée se trouve exprimée
passé par Verdun qui retrouve, après la barbarie et le dans la métaphore « l’existence est une grivèlerie » :
vacarme du front, une « âme » (l. 12) et le « silence » nous vivons en profitant des ressources naturelles
dans la forêt plantée par Elzéar. « sans payer l’addition à la planète ». Les multiples
formes de négation (le groupe prépositionnel « sans
HISTOIRE DES ARTS
laisser de trace », l. 9 ; le pronom « rien », l. 11 ; les
Quand Van Gogh arrive à Paris en 1886, les impres- adverbes de négation « ne pas peser trop à la surface
sionnistes organisent leur dernière exposition et com- du globe », l. 12) insistent sur ce souci de ne pas
mencent enfin à être acceptés. Il intègre très vite leurs « souiller » la Terre, perçue comme un don sacré.
idées et ce tableau de 1889 montre comment il les En outre, la vie dans la cabane apparaît comme un
dépasse. Comme chez les impressionnistes, la nature progrès parce qu’elle libère de tout ce qui est acces-
est le sujet principal du tableau : le personnage est au soire et permet une vie plus saine, comme insistent
second plan, vu de dos, alors que les arbres occupent les trois phrases construites de manière parallèle aux
le premier plan (au moins pour celui de droite). La lignes 14 à 16. Il résume cette idée dans la dernière
touche décompose les couleurs, les nuances de vert phrase du texte : « la forêt resserre ce que la ville
notamment. Mais cette touche a changé de nature disperse » dans une formule rendue frappante par

l’antithèse entre le mouvement de dispersion et de PAGE 265
resserrement.
3. Grammaire Dossier personnel
C’est une phrase averbale, le verbe d’état « être » est

On pourra laisser les élèves choisir l’activité qui leur
sous-entendu. Le sujet est « la cabane », « royaume
plaît. Elles ont pour objectif de les amener à relire les
de simplification » est attribut du sujet. La phrase est
textes étudiés afin qu’ils se les approprient et de leur
elle-même réduite à l’essentiel, comme l’est la vie
faire développer des compétences langagières orales
dans la cabane, simplifiée.
(activités 2 et 4) et écrites (activités 1 et 3).
4. SYNTHÈSE
S. Tesson présente la nature comme si elle était
sacrée, d’où la référence à Élisée Reclus ou l’emploi PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS
de mots tels que « souiller » (l. 13), « une liturgie »
(l. 24). Il dénonce la manière dont la vie en ville et
PAGE 266
le progrès coupent l’homme de la nature et le « dis-
persent » (l. 26). Il valorise au contraire la vie simple La condition animale
et frugale dans une cabane qui permet de mettre en
conformité ses « actes et [ses] idées » sur la décrois- 1. Reine polyglotte et cultivée, Marie Leszczynska,
sance. La vie en cabane permet à la fois de limiter son épouse du roi Louis XV s’adonne volontiers à la pein-
impact écologique et de redécouvrir véritablement ture. L’une des pièces de son appartement intérieur
la nature : « libéré de la télévision, il découvre qu’une à Versailles a d’ailleurs été aménagée en atelier.
fenêtre est plus transparente qu’un écran ». Son pinceau est alors guidé pendant une quinzaine
d’années par son « teinturier », Étienne Jeaurat, tandis
VERS LE BAC. Commentaire qu’elle est conseillée par le peintre Jean-Baptiste
Les sous-parties pourront développer les points sui- Oudry. Entre autres œuvres, est attribuée à la sou-
vants : limiter l’empreinte écologique ; une vie recen- veraine cette copie fidèle d’un tableau d’Oudry, La
trée sur l’essentiel. Ferme. L’ensemble de la composition dégage un senti-
ment de sérénité, même si, au premier plan à gauche,
HISTOIRE DES ARTS
un chien vient de saisir dans sa gueule un canard
L’œuvre proposée, Matière rose, matière verte, montre sauvage imprudent, provoquant la panique chez les
la proximité entre l’homme et la nature avec le paral- congénères du volatile qui s’apprêtent à reprendre
lélisme construit dans le titre. Visuellement, l’artiste leur envol pour fuir le danger. Mis à part cette saynète
joue de l’aspect des racines de l’arbre et de la position qui anime le tableau, cette ferme constitue une repré-
dans laquelle il a placé son figurant : la tête étant sentation idéalisée de l’exploitation agricole. Il semble
cachée entre les bras, on a d’abord du mal à l’identique le peintre ait voulu rassembler toutes les sortes de
fier comme un homme ; il apparaît donc comme une bétail, bovin, ovin et caprin, dans une belle harmonie,
« matière rose » aussi désordonnée que les racines. autour d’une petite pièce d’eau qui constitue le centre
Voici comment l’artiste explique, sur son compte de la cour de cette ferme. Ce tableau évoque ainsi
Facebook, le titre de son œuvre : « le mot «matière» ces tableaux du jardin d’Éden faisant coexister paci-
a été choisi spécifiquement pour faire penser au fiquement toutes les espèces de la création, dont le
cerveau, dont l’arbre reproduit la forme, et à sa tableau de Jan Brueghel l’Ancien et Pierre Paul Rubens,
matière grise. Dès lors, se pose la question de ce qu’est Le Jardin d’Éden et la chute de l’homme, constitue un
la matière rose, et de ce qu’est la verte. Serait-ce les bel exemple (voir p. 269).
sièges d’une intelligence sensuelle pour l’une ? Et La nature édénique accueille également les chevaux et
celui d’une intelligence végétale pour l’autre ? Et les hommes du tableau de Gauguin intitulé Le Cheval
leur union ? En suivant cette voie, ce que représente blanc. L’œuvre ne restitue pas une scène réelle, mais
potentiellement cette photographie, c’est l’alliance une vision imaginaire et synthétique d’un paysage
de l’intelligence instinctive des hommes à celle de la tahitien. Le cheval blanc au premier plan, dont la robe
nature, un super cerveau (il est effectivement gigan- se teinte du vert de la végétation, a donné son titre
tesque par rapport au nôtre) dont on voit la produc- au tableau. Il boit, campé au milieu d’un ruisseau qui
tion : un pilier qui jaillit vers le ciel ! » traverse la composition de haut en bas. Cet animal

solitaire a probablement un sens symbolique lié aux de son tourment, entre le poids de sa charge et la vio-
croyances des Tahitiens sur le passage des âmes dans lence des coups de fouet de son maître (v. 3 à 6). Puis
l’autre monde. La couleur blanche en Polynésie est le narrateur souligne l’acharnement impitoyable du
liée à la mort et au culte des dieux. Derrière l’animal roulier, par des parallélismes de structure (v. 10 et 11).
sacré, deux cavaliers nus s’éloignent en chevauchant Le mot « coups » est répété trois fois entre les vers 7
à cru leurs montures. Une impression de sérénité et 18, dont deux en emploi métaphorique et hyper-
paradisiaque émane de cette composition devenue bolique qui en accentuent la violence : « le roulier
une véritable icône. n’est plus qu’un orage de coups » (v. 7) et « les coups
2. La principale différence dans le traitement des furieux pleuvent » (v. 18). Les réactions du cheval sus-
animaux entre les deux tableaux tient à ce que l’un citent la compassion : « le cheval, tremblant, hagard,
présente une scène agricole tandis que l’autre a estropié,/Baisse son cou lugubre et sa tête égarée »
une portée plus allégorique. Les relations entre les (v. 12-13), et enfin « Il tombe, et le voilà brisé sous le
animaux et les humains apparaissent par conséquent brancard » (v. 20).
plus fusionnelles dans le tableau de Gauguin, et plus
utilitaires dans celui de Marie Leszczynska. Il suffit, PAGE 267
pour s’en convaincre, d’observer les chevaux dans
chacun des tableaux. Ceux de Leszczynska, domes- Entre idéalisation et dénonciation
tiqués, sont harnachés et servent d’animaux de trait, 1. Cette « scène de la vie quotidienne » peut choquer
tandis que ceux du tableau de Gauguin, même s’ils le spectateur car elle représente l’égorgement d’un
servent de monture, n’en paraissent pas moins sau- cochon. En outre, cette action constitue le principal
vages et libres : ils ne portent aucun harnachement centre d’intérêt du tableau, puisqu’elle occupe le
visible et celui qui donne son titre à l’œuvre, le cheval premier plan et mobilise deux personnages. L’homme
blanc au premier plan, ne supporte aucun cavalier et est en train de saigner l’animal en lui plantant un
boit paisiblement dans le cours d’eau qui l’abrite. Par couteau dans la carotide, et la femme récupère le sang
ailleurs, les styles picturaux et les choix de cadrage qui coule dans une sorte de poêle à long manche, sans
sont très différents. L’œuvre de Marie Leszczynska doute pour en faire du boudin. La souffrance de l’ani-
présente une composition classique, en plan large, mal se lit dans sa gueule ouverte qu’on imagine hur-
qui embrasse tout un paysage dans des tons et une lante, et dans son œil mi-clos, sans doute sous l’effet
touche assez naturaliste, tandis que Gauguin propose de la douleur. Ce qui peut surprendre enfin, dans cette
une composition plus resserrée, dont le ciel et l’hori- enluminure du xvie siècle, c’est qu’elle banalise cette
zon sont absents. Quant à la palette de Gauguin, elle scène en la situant parmi d’autres actions de la vie
est plus évocatrice que naturaliste. quotidienne au village, telle que la cuisson du pain, à
Le ciel et l’horizon sont absents de ce lieu clos. Les laquelle se livrent l’homme et la femme qui occupent
verts, du vert prairie à l’émeraude, et les bleus pro- le deuxième plan, ou encore le pétrissage de la farine,
fonds contrastent avec des orangés, des roses et les représenté à l’arrière-plan droit. On peut rapprocher la
teintes cuivrées de la peau des cavaliers. Le comman- scène centrale de ce tableau d’une œuvre méconnue
ditaire de la toile, un pharmacien de Tahiti, n’a pas du peintre Jean-François Millet, un tableau intitulé Les
apprécié l’audace chromatique du peintre. Il a refusé Tueurs de cochon, conservé au musée des Beaux-Arts
la toile sous prétexte que le cheval était trop vert. du Canada à Ottawa. Jean-François Millet, fondateur
3. La scène décrite suscite la pitié et l’indignation de l’école de Barbizon et précurseur de l’impres-
du lecteur. Le narrateur semble prendre le lecteur à sionnisme, figure parmi les plus grands peintres du
témoin par le biais de l’interrogation des deux pre- xixe siècle. Le monde rural dans lequel il a passé son
miers vers « quelle est donc la loi formidable qui enfance constitue son sujet de prédilection. Ayant
livre/L’être à l’être », qui se mue en phrase excla- lui-même participé aux travaux des champs, il connaît
mative « et la bête effarée à l’homme ivre ! » pour très tôt les gestes du paysan qu’il va plus tard repro-
mieux frapper l’auditoire. Les deux protagonistes sont duire sur ses toiles avec une précision ethnographique.
campés avec un certain manichéisme : un bourreau, 2. Les animaux de la ferme de Mr Jones sont victime
« l’homme ivre », et sa victime, « la bête effarée ». La de maltraitance. Tout d’abord, c’est la faim qui les
scène nous est d’abord décrite du point de vue de la pousse à enfoncer la porte de la resserre pour « four-
victime innocente, perdue, qui peine à saisir la cause rager dans les huches et les boîtes à ordures ». Le nar-

rateur précise que ces animaux sont « des affamés »,
et les nomme « les meurt-la-faim ». Une telle situa- GROUPEMENT DE TEXTES COMPLÉMENTAIRES
tion ne peut que susciter la compassion du lecteur,
qui va considérer avec sympathie, d’un œil complice,
La condition animale
leur révolte face à la violence dont ils sont victimes.
En effet, ces animaux affamés reçoivent « une volée
PAGE 268
de coups ». C’est là que se déclenche une révolte
unanime et spontanée. Le narrateur prend évidem-
ment parti pour les animaux et nous incite à faire de
même, en présentant les hommes comme les « bour-
⁄ Maupassant,
Histoire d’un chien, 1881
reaux » des animaux, qui ont pris l’habitude « de les
Les élèves pourront ressentir de la surprise face à l’im-
maltraiter, de les rosser à qui mieux mieux ».
probable coïncidence qui frappe la fin de ce texte, et
3. Cette œuvre constitue une des nombreuses instal- du dégoût à la lecture de la description de la charogne.
lations de Dismaland, un parc d’attractions éphémère Le personnage de François suscite la pitié du lecteur,
que Banksy a créé avec une cinquantaine d’artistes car il est d’abord contraint de se débarrasser de sa
entre août et septembre 2015 dans la station balnéaire chienne par son maître, ce qui suscite chez lui une telle
de Weston-super-Mare, en Angleterre. Dismaland, culpabilité qu’il en devient littéralement « malade »
dont le nom est un mot-valise composé de dismal « pendant un mois » (l. 1). Lorsqu’il retombe par
(« lugubre ») et land (« pays »), constitue une version hasard sur le cadavre de son chien, il est « effaré,
sinistre de Disneyland. Banksy le décrit comme « un bouleversé comme devant un miracle » (l. 11-12),
parc à thème familial inadapté aux enfants ». L’ironie « pris d’une peur folle » qui le conduit à « erre(r) tout
est la figure du décalage. Dans cette œuvre, le déca- le jour ». Une telle réaction, à nouveau, ne peut que
lage grinçant s’instaure par la présence inattendue susciter la compassion du lecteur.
de ce boucher tout de blanc vêtu, tel un ouvrier du
2. La coïncidence surprenante qui constitue la chute
secteur agroalimentaire, en lieu et place d’un cheval
de cette nouvelle est la découverte par François du
de bois de cet attrayant manège enfantin lumineux
cadavre de sa chienne Cocote qu’il avait noyée un
et coloré. Ce dernier inquiète par son accoutrement,
mois et demi plus tôt, à « soixante lieues » de là
notamment le masque et la charlotte qui cachent son
(l. 11-15).
visage, et surtout par le long couteau qu’il tient dans
la main gauche. On remarque qu’il trône sur un tas de 3. Lexique
cartons sur lesquels est imprimé le mot « lasagne » en Les participes passés employés comme adjectifs
lettres majuscules, ce qui fait écho au cheval de bois « effaré, bouleversé » expriment l’intensité du choc
pendu, tête en bas, au plafond du manège derrière le ressenti par François. De même, le nom « miracle »
protagoniste, comme une carcasse de viande dans un et le groupe nominal « apparition vengeresse », qui
abattoir. On peut supposer que l’artiste dénonce ainsi confèrent à l’événement une dimension surnaturelle,
le scandale de la présence de viande de cheval dans permettent de comprendre l’état d’esprit du cocher.
des lasagnes certifiées pur bœuf en 2013. Ce dernier semble totalement saisi par la violence de
cet événement, qui fait naître en lui une « peur folle »
TICE
(autre groupe nominal significatif).
De nombreux artistes contemporains abordent le
thème de la condition animale. On pourra suggérer 4. Le personnage de François suscite la pitié, la com-
aux élèves de s’intéresser à des œuvres comme Born passion du lecteur. Il apparaît comme une victime des
to be wild (né pour être sauvage) de la Canadienne événements, d’abord parce qu’il a dû se séparer de
JULY i, à l’œuvre du Portugais Bordalo II, Fox (renard), Cocote pour respecter l’ordre de son maître, ensuite
et aux installations de ROA. parce que sa culpabilité est telle qu’elle le fait tomber
Pour chacune des œuvres qu’ils auront choisies, les malade, puis manquer de devenir fou lorsqu’il croise
élèves pourront répondre aux questions suivantes : le cadavre de sa chienne.
Quelle réaction cette œuvre peut-elle susciter chez le 5. La visée de cette nouvelle est clairement énoncée
spectateur ? Que dénonce-t-elle ? Quels liens pouvez- dans la phrase de conclusion. Il s’agit pour Maupassant
vous établir entre le sujet représenté et le support de soutenir le projet de création de la Société pro-
choisi par l’artiste ? tectrice des animaux, « une espèce d’hospice, et un

refuge où les pauvres chiens sans maître trouveraient Microcosmos de Claude Nuridsany et Marie Pérennou.
la nourriture et l’abri, au lieu du nœud coulant que leur Outre les films de fiction, les documentaires peuvent
réserve l’administration » (voir « Contexte »). également sensibiliser le grand public à la cause
6. SYNTHÈSE animale. Dès 1949, par exemple, Georges Franju
Cette nouvelle dénonce la maltraitance animale réalise Le Sang des bêtes dans les abattoirs parisiens
ordinaire à la fin du xixe siècle, époque à laquelle de Vaugirard. Il y montre, d’un œil factuel, l’omnipré-
les propriétaires de chiens n’hésitaient pas à aban- sence de la violence entre ces murs et ouvre la voie à
donner voire à tuer les animaux dont ils ne vou- de nombreux documentaires qui dénonceront la mal-
laient plus. D’autres nouvelles de Maupassant, telles traitance animale. Ainsi, le documentaire Blackfish de
Mademoiselle Cocotte (réécriture de l’Histoire d’un Gabriela Cowperthwaite prend sa source dans un fait
chien), Un fou ? et Pierrot abordent également ce divers qui s’est déroulé en février 2010. Au cours d’un
thème de la maltraitance animale. La spécificité de spectacle au parc d’attractions aquatiques Seaworld,
l’Histoire d’un chien réside peut-être dans l’efficacité en Floride, Tilikum, une femelle orque de six tonnes,
de sa chute, inattendue et lourde de conséquences, attaque mortellement Dawn Brancheau, une dres-
qui repose sur une malencontreuse coïncidence. Cette seuse confirmée, sous les yeux des spectateurs. Le
nouvelle campe également bien le personnage de documentaire dénonce les conditions de captivité de
François en l’inscrivant précisément dans son milieu cet animal sauvage enlevé à son milieu naturel pour
social, en vertu de l’écriture réaliste ou naturaliste qui le divertissement.
caractérise cette époque. Autre exemple, Adieu veau, vache, cochon, couvée
est un documentaire français réalisé par Béatrice
VERS LE BAC. Essai Limare, diffusé en juin 2012 et avril 2013 sur la chaîne
L’essai peut porter sur la question suivante : quels sont France 3. Il traite des « usines à viande » qui mettent
les meilleurs moyens de sensibiliser le grand public à en œuvre les techniques les plus efficaces et les plus
la cause animale ? rentables pour produire les animaux nécessaires à
Il pose en particulier la question de la fiction littéraire notre immense appétit de viande, et pose ainsi la
et cinématographique, qui en effet peut constituer un question des limites de l’élevage industriel.
bon moyen de sensibiliser le grand public à la cause On peut en conclure que les œuvres de fiction,
animale. La nouvelle de Maupassant, l’Histoire d’un comme les documentaires, peuvent concourir à la
chien, en est évidemment un très bon exemple, par sensibilisation du public à la cause animale selon leurs
la force de sa chute comme par sa visée qu’expli- propres moyens.
cite le dernier paragraphe. D’autres nouvelles de
Maupassant, telles Mademoiselle Cocotte (réécriture TICE
de l’Histoire d’un chien), Un fou ? et Pierrot abordent Le spot est fondé sur un montage en chiasme : la
également ce thème de la maltraitance animale. première partie montre un homme détachant un
Victor Hugo, dans Mélancholia, dénonce les mauvais chien abandonné dans la forêt et le ramenant dans
traitements qu’un cheval de trait subit de la part de son foyer, puis un fondu au noir précise « Nous
son maître, ce roulier qui « n’est plus qu’un orage de aurions aimé vous raconter cette histoire/Mais voici
coups/Tombant sur ce forçat qui traîne les licous/ la réalité ». On assiste alors à la même séquence,
Qui souffre et ne connaît ni repos ni dimanche ». Plus composée des mêmes plans, mais montés dans l’ordre
près de nous, Jean-Christophe Rufin, dans Le Parfum inverse, comme en miroir. L’homme ne sauve pas le
d’Adam (2007), illustre le martyre des animaux de chien pour le reconduire dans son foyer, il quitte son
laboratoire. foyer et va l’attacher à l’arbre dans la forêt. C’est l’his-
On pourra ajouter à ces exemples des récits comme Le toire d’un abandon.
Lion, de Joseph Kessel, ou encore Croc-Blanc et L’Appel
de la forêt de Jack London, qui écrit ses ouvrages du PAGE 269
point de vue des animaux. Ces œuvres ont toutes trois
été adaptées au cinéma, ce qui peut constituer une
transition vers le septième art. Lui aussi permet de
sensibiliser un large public à la cause animale, à travers
¤ Milan Kundera, L’Insoutenable
légèreté de l’être, 1982
des films aussi différents que L’Ours de Jean-Jacques « Le droit de tuer un cerf ou une vache, c’est la seule
Annaud, Sauvez Willy de Simon Wincer, ou encore chose sur laquelle l’humanité toute entière soit una-

nimement d’accord, même pendant les guerres les du tableau, les chiens ont beau aboyer, les canards
plus sanglantes », telle est la première phrase du qui les toisent n’en ont cure. Aucun animal ne semble
texte. Bien entendu, cette phrase se veut polémique, en craindre un autre, il n’y a pas de proie ni de pré-
exagérée, comme le marque l’hyperbole qui anime dateur, tous appartiennent à une sorte d’harmonie
toute la fin de la phrase, dans les expressions sui- universelle.
vantes : « humanité toute entière » ; « unanimement Mais une telle harmonie n’est pas durable. En effet,
d’accord » ; « guerres les plus sanglantes ». Cette Ève, qui vient de cueillir la pomme, tend ce fruit
apparente unanimité sanguinaire est évidemment défendu de la connaissance à son compagnon. La
battue en brèche par certaines cultures, comme celle scène se déroule sous le regard attentif du serpent
de l’Inde et de ses célèbres « vaches sacrées » que enroulé autour de la branche surplombant le couple.
les hindous respectent et ne tueraient pour rien au Ce dernier s’apprête à commettre le péché originel qui
monde. L’exemple de la part croissante des végéta- précipitera sa chute, annoncée dans le titre du tableau.
riens et des militants opposés à la chasse dans les
sociétés occidentales permet également de nuancer PAGE 270
l’affirmation de Kundera.
2. L’hypothèse d’un « visiteur venu d’une autre
planète » permet au narrateur de développer un
raisonnement par l’absurde. Il imagine ainsi que cet
‹ Jean-Christophe Rufin,
Le Parfum d’Adam, 2007
extraterrestre aurait reçu pour commandement de Le registre dominant de cet extrait est le registre
régner « sur les créatures de toutes les autres étoiles » pathétique. La scène tout d’abord suscite la pitié :
afin de remettre en question l’apparente « évidence ce petit singe coiffé d’électrodes, qui ne peut s’en
de la Genèse », qui veut que l’humanité ait reçu de libérer, tente de s’enfuir, mais tombe sur le carrelage
dieu le droit de dominer les animaux. où il gît puis se relève, fait deux pas et retombe sur
Cette hypothèse lui donne l’occasion d’imaginer, le côté. La façon dont le narrateur rend compte de la
sur le mode comique, la situation malcommode de réaction de Juliette envers la détresse du petit ouistiti
l’homme asservi et même consommé par cet extra- renforce également le pathos de l’extrait : « elle se
terrestre dominateur, présentant « (trop tard) ses sentit moins assurée face à la détresse de cet être si
excuses à la vache » pour les mauvais traitements familier », et surtout le passage suivant, « C’était un
qu’il lui a fait subir. apitoiement ridicule, elle le savait, un apitoiement sur
3. Grammaire elle-même avant tout. Mais il n’y avait rien à faire :
Le présent du dernier paragraphe a une valeur de ce petit singe exprimait toute la solitude et toute la
vérité générale. Il s’agit pour le narrateur d’affirmer souffrance qu’elle reconnaissait depuis des années
sa conviction profonde. Celle-ci se marque non seule- comme siennes. C’était la même souffrance qui l’avait
ment dans ce temps dominant du présent, mais aussi conduite jusque-là (...) ». Les termes « détresse »,
dans des termes évaluatifs comme « vraie » (l. 10) et « apitoiement », « souffrance » sont éloquents, tout
« véritable » (l. 11). comme le regard du ouistiti, que le narrateur décrit
4. SYNTHÈSE comme « habité d’épouvante et de douleur ». Cet
La thèse du narrateur peut être résumée ainsi : ce animal est une figure pathétique.
n’est pas parce que l’humanité est plus forte que les 2. Dès sa première apparition, le ouistiti présente
animaux que cela lui donne le droit de les maltraiter. une attitude humaine, puisqu’il tient « ses longs bras
croisés sur le ventre ». Dans la dernière phrase éga-
HISTOIRE DES ARTS
lement, le singe adopte une démarche bipède, ce qui
Ce tableau présente Adam et Ève juste avant la chute, le rapproche de l’humain : « le petit singe rassembla
dans un Jardin d’Éden où humains et animaux vivent ses forces et se dressa sur ses pattes de derrière. Il
en parfaite harmonie. La faune y est totalement idéa- fit deux pas vers la sortie puis, d’un coup, tomba sur
lisée, puisque par exemple à droite du tableau, les le côté comme un jouet renversé. » Enfin, l’assimila-
fauves s’ébattent et se battent à deux pas d’un bœuf tion des électrodes à « la couronne de plumes d’un
qui semble totalement paisible, et des oiseaux qui ne chef indien » contribue également à l’humanisation
songent pas même à s’envoler. De même, au centre du ouistiti.

3. Le narrateur insiste sur la « coiffe d’électrodes » PAGE 271
car elle constitue le symbole de la maltraitance dont
est victime l’animal de laboratoire. Elle peut rappe-
ler la couronne d’épines posée sur la tête du Christ
avant sa crucifixion et ainsi renforcer cette image de
› Ovide, Les Métamorphoses,
ier siècle avant J.-C.
martyre. L’animal porte « en lui les instruments de sa Pythagore use de nombreux procédés rhétoriques
torture », comme le souligne le narrateur, qui exprime pour interpeller son auditoire. Tout d’abord, il
ici les pensées de Juliette par le biais de la focalisation s’adresse directement à lui par le biais des nombreux
interne. L’assimilation des électrodes à la « couronne pronoms de la deuxième personne du pluriel « vous »,
de plumes d’un chef indien », de façon assez dérisoire puis du singulier « tu » à partir de la ligne 13). Il insiste
et ironique, renforce le pathos de la scène en assimi- sur cette prise à partie grâce à l’anaphore de « vous
lant l’animal martyr à une figurine, un jouet d’enfant, avez » dès les premières lignes du texte. L’interjection
tout comme la comparaison de sa chute finale à « Hélas ! » est un autre moyen d’interpeller l’auditoire
celle d’« un jouet renversé ». Le singe est le jouet des en lui signifiant son dépit et sa réprobation, ce que
scientifiques, qui l’ont utilisé pour leurs expériences renforce la modalité exclamative, puis les questions
et dont il conserve les traces, sous la forme dérisoire rhétoriques des lignes 12 à 16, qui prennent à parti
et sublime de cette coiffe d’électrodes. l’auditoire et le mettent face à ses responsabilités.
4. Grammaire 2. Lexique
Une première marque du discours indirect libre dans Dès la première phrase, l’orateur accuse ses contem-
les lignes 20 à 23 est l’incise « elle le savait », qui porains de « souiller » leurs corps « de mets abo-
prouve que les propos rapportés peuvent constituer minables ». C’est le régime carnivore que blâme
les pensées, ou le discours intérieur de Juliette. C’est Pythagore. Il constitue un « crime », consistant à
donc elle-même qui juge son apitoiement ridicule, et « broyer d’une dent cruelle les affreux débris de (s)
non le narrateur, qui se contente ici de rapporter le es victimes » pour satisfaire les « appétits déréglés »
jugement de son personnage. Dans la phrase suivante, d’un « estomac vorace ». Le lexique péjoratif allie des
le segment initial, « mais il n’y avait rien à faire » termes connotant la souillure, c’est-à-dire l’impureté
constitue également une marque du discours indirect matérielle, charnelle. Il s’agit pour ainsi dire d’une
libre, car il contient une forte trace d’oralité. C’est, en mise en garde prophylactique, hygiéniste : la viande
quelque sorte, ce que Juliette pourrait « se dire ». Cela est un poison, une ordure qui a pour effet de « souiller
constitue donc la suite de ce discours intérieur dont (les) corps ». Lorsque Pythagore énonce la formule
le narrateur se fait le simple transcripteur. Par le biais « appétits déréglés », il recourt à des termes scien-
du discours indirect libre, les voix de Juliette et celle tifiques dans le but de présenter le régime carnivore
du narrateur s’enchevêtrent. On parle d’ailleurs à ce comme un dérèglement physiologique. Il tend ainsi à
propos de « superpositions de voix », ou encore de prouver que l’humain qui se nourrit de chair animale
« polyphonie », qui crée une impression de proximité adopte l’instinct des « animaux d’une nature cruelle
entre le narrateur et son personnage. et féroce », bref, qu’il se comporte en bête sauvage.
5. La souffrance du ouistiti suscite l’identification de Ce faisant, il commet un crime contre la nature et ses
Juliette. Elle retrouve en lui « toute la solitude et toute bienfaits. Le terme juridique de « crime », répété deux
la souffrance » qui l’a conduite dans ce laboratoire, et fois dans l’extrait, notamment à sa toute fin, constitue
ressent « un apitoiement sur elle-même ». le point culminant de la diatribe.
6. SYNTHÈSE 3. SYNTHÈSE
Ce petit ouistiti au « regard habité d’épouvante et de La thèse de Pythagore est la suivante : manger de la
douleur » incarne le martyre des animaux de labora- chair est un crime contre nature.
toire. L’ensemble de la scène est pathétique. L’animal
HISTOIRE DES ARTS
porte « en lui les instruments de sa torture ». Sa coiffe
d’électrodes, qui rappelle la couronne d’épines posée L’intensité dramatique de cette scène de chasse tient
sur la tête du Christ avant sa crucifixion, renforce en premier lieu à son sujet. La lecture du tableau
l’image du martyre. Son humanisation et l’identifi- donne une première impression de complexité, du
cation de Juliette renforcent l’impact de l’extrait. fait des nombreux personnages en mouvement dont

l’action dépasse le cadre. Rubens essaie de composer Les mots en gras correspondent aux textes de la
une scène la plus élaborée possible, présentant le plus séquence.
large panel d’attitudes et d’émotions de toutes sortes,
EXERCICE 3. Antonymes
sans perdre en unicité et en clarté. Huit hommes et
cinq félins sont engagés dans un combat. Un cheval Calme Agitation
gris pommelé se cabre au milieu de la composition.
Le traitement des couleurs ajoute à l’intensité drama- Calme – paix – Agitation – anima-
tique de la scène. Rubens juxtapose des tons chauds et quiétude – repos tion – bouillonnement
froids, couleurs primaires et leurs complémentaires. La – sécurité – sérénité – effervescence –
tonalité du tableau est dorée, mais les couleurs sont – tranquillité mouvement – remue-
intenses, le ciel est bleu vif, le paysage passe du vert ménage, tohu-bohu
au premier plan au bleu à l’horizon. Cette intensité est – turbulence
renforcée par la juxtaposition des couleurs primaires
Tesson Daudet
et de leurs complémentaires, par exemple le rouge de
la tunique du cavalier oriental de gauche répond au
EXERCICE 4. Synonymes
vert de celui de droite. Par ailleurs, Rubens joue sur les
Bruissement – murmure – chuchotement – bourdon-
contrastes entre tonalités chaudes et froides : le rouge
et les bruns du premier cavalier oriental s’opposent nement – bruit – brouhaha – chahut – tapage – tinta-
aux couleurs froides du cavalier central (gris, blanc et marre – tumulte – vacarme – cacophonie
vert). L’ocre clair de la partie en bas à gauche s’oppose Clair-obscur – fluorescent – phosphorescent – éclairé
aux tons froids et sombres de la partie en haut à droite – luminescent – lumineux – brillant – étincelant –
du tableau. incandescent – illuminé – éclatant – flamboyant
– éblouissant
PAGE 272 EXERCICE 5. Étymologie
1. éco- : du grec oikos, « la maison ». -logie : du grec
logos, « la science, la raison, l’étude, le discours »
LEXIQUE ET ÉCRITS D’APPROPRIATION 2. Écologiste, écologiquement, écologue, agroécolo-
gie, écologique
EXERCICE 1. Étymologie 3. Biologie (étude du vivant), géologie (étude de la
1. Urbain, urbaniste, urbanisme, urbanité. Rural, rura- Terre et du sol), vulcanologie (étude des volcans),
lité, rustique, rusticité, ruralisme. éthologie (étude du comportement des animaux),
2. Rurbanisation : urbanisation lâche des zones rurales hydrologie (étude des eaux)
à proximité de villes dont elles deviennent les ban-
lieues. Périurbanisation : urbanisation étendue à la EXERCICE 6. Constituer un réseau de mots
périphérie des villes, près des campagnes. Erreurs d’orthographe à corriger dans la copie : mises
en place, les risques, extinction, le pétrole, présentes,
EXERCICE 2. Préfixation des espèces animales éteintes, n’attendons.
Éloignement Déplacer – déporter – dévier Les élèves pourront modifier le vocabulaire pour éviter
la répétition du mot « détruire » à l’aide de l’exercice 2
Action Détruire – déforestation – dégra- notamment.
inverse dation – déboiser – dénaturer
– déneiger – défolier – défricher PAGE 274
– dépeupler - dépollution
BAC Contraction
Mouvement Dévorer – dévaler – dégouliner –
de haut en dévaluer – déglutir Cyril Dion, Petit manuel de résistance
bas contemporaine, 2018
Nous vivons dans un siècle marqué par des progrès
Valeur Détremper – désolé – dessicca-
sans précédent dans toute l’histoire de l’humanité. Au
intensive tion – dépérir
cours des cent dernières années, notre espérance de

vie a considérablement augmenté, et la population Une activité fébrile et irréfléchie détraque et perturbe
mondiale a triplé. Certains prédisent même l’avène- le climat. Nos instincts destructeurs éliminent, chaque
ment imminent de l’homme augmenté, vanté par les année, un millier d’espèces et provoquent une réduc-
transhumanistes, qui pourrait égaler les dieux. tion de l’indispensable biodiversité. Gaspillant sans
Pourtant, un tel optimisme semble bien excessif, compter les combustibles fossiles que la nature a mis
si l’on considère tous les maux qui accablent notre des millions d’années à fabriquer à partir de l’énergie
planète. La malnutrition et la pénurie d’eau potable du Soleil, l’homme ne sait pas quelle sera demain sa
touchent plus de 10 % de la population mondiale, source d’énergie. Les progrès de son extraordinaire
l’accès aux soins et aux ressources est si inégalitaire technologie spatiale et informatique ont donné
que la mortalité infantile atteint des proportions naissance à la mondialisation des échanges écono-
alarmantes dans les pays sous-développés. La nature miques, mais l’émergence de ce grand marché ne fait
n’est pas mieux lotie, entre la pollution des océans, la que produire chômage et misère. L’homme semble
déforestation et la disparition de nombreuses espèces incapable de profiter de ce qui devrait être un bienfait
animales. (126 mots) économique. Alors que, plus que jamais, la solidarité
s’impose pour gérer la planète, l’individualisme est
PAGE 275 devenu la valeur culte. L’argent semble être plus
important que l’être humain.
BAC Essai Voilà bien des raisons de douter du progrès et de
Faut-il encore croire au progrès ? l’homme. Et pourtant ! Si l’on y regarde de plus près,
Longtemps, l’idée de progrès s’est imposée comme un le niveau de vie s’est élevé dans toutes les régions du
mythe fondateur et incontesté de la modernité, repo- monde, l’espérance de vie augmente de deux mois
sant sur la croyance dans le déploiement conjoint et par an, le nombre de morts dû aux guerres a forte-
inexorable de la science et de la raison dans l’histoire. ment diminué. Les progrès de la science nous donnent
Élaborée dès la Renaissance et portée en étendard lors aujourd’hui tous les moyens de relever les grands défis
des Lumières, l’idée de progrès de l’humanité a semblé du monde. Comme nous avons résolu la pollution
se matérialiser à partir de la Révolution comme la de l’atmosphère par le plomb ou la déchirure de la
promesse d’une marche inexorable de l’humanité couche d’ozone causée par les CFC, nous pouvons
vers le mieux, par le biais des découvertes scienti- résoudre la question du gaz carbonique et du climat.
fiques et de l’essor de la raison. Cependant, l’idée de Nous pouvons minimiser les effets des catastrophes
progrès a fait l’objet d’une profonde remise en cause à naturelles. Comme nous avons su passer de la civi-
partir du xxe siècle, du fait de la disjonction manifeste lisation du charbon à celle du pétrole, nous saurons
entre progrès scientifique et progrès de l’humanité : organiser la civilisation de l’hydrogène. Contrairement
le progrès technique et scientifique semble s’être à ce qu’affirment les Cassandre de la démographie,
retourné contre les principes éthiques et moraux qu’il la population mondiale va progresser jusqu’à un
était supposé accomplir. La question se pose avec plus maximum de 8,5 milliards d’humains en 2030, puis
d’acuité que jamais : faut-il encore croire au progrès ? elle décroîtra. Les extraordinaires découvertes de la
Avec son productivisme aveugle et son égocentrisme, biologie permettront d’éradiquer les maladies les plus
l’homme menace aujourd’hui les équilibres essentiels graves.
de la planète. La pollution des cours d’eau, des océans, L’humanité aura-t-elle la sagesse, et surtout le courage,
de l’atmosphère semble augmenter inexorablement. d’organiser notre planète plus harmonieusement ?

séquence ⁄¤
La beauté culturelle
OBJECTIFS ET PRÉSENTATION 1. Le sonnet représente l’allégorie de la beauté :

DE LA SÉQUENCE l’isotopie de la froideur cruelle (« pierre », v. 1 ;
« mon sein où chacun s’est meurtri », v. 2 ; « ainsi
La séquence 12 invite à un débat d’idées sur la beauté, que la matière », v. 4) et altière (« mes grandes atti-
culturelle, car née des canons dictés par la société. tudes », v. 9) traverse le poème. La personnification
Les textes et les œuvres choisis émanent de l’argu- de la beauté se réalise par le biais de la 1re personne
mentation directe (presse, essai, discours épidictique) du singulier (le pronom « je » en reprise anapho-
et indirecte (roman, poème). Pour prendre part au rique, 4 fois), mais aussi par les formules exclama-
débat, la séquence propose d’analyser et de pratiquer tives et l’expression des sentiments (« je hais », v. 7).
l’argumentation sous forme de plaidoyer, dissertation, Cependant, le recours à une formulation négative
contraction de texte ou essai. des sentiments au vers 8 traduit l’imperméabilité
Le parcours chronologique propose de réfléchir au de cette beauté qui souligne à maintes reprises sa
diktat de la beauté à travers un traitement allégo- supériorité orgueilleuse sur les poètes, ces « dociles
rique (Baudelaire), symbolique (Zola) ou sociologique amants » (v. 13). La beauté est présentée comme
(S. de Beauvoir, J.-F. Dortier, M. Chollet, Y. Le Hénaff, triomphante comme le suggère l’apostrophe mépri-
Martine Fournier). Il met en évidence le triomphe de sante « ô mortels ! » (v. 1). Le caractère monumental
l’artifice sur le naturel féminin (mais aussi masculin) : de la beauté est renforcé par les comparaisons avec
la beauté culturelle s’appuie sur des impératifs liés à la la statuaire des vers 1, 5 et 10. Les zeugmas « rêve de
coquetterie, au maquillage, à la chirurgie esthétique. pierre » (v. 1) « fiers monuments » (v. 10), en alliant
L’étude des textes et des images (d’Ingres à Orlan) l’abstrait à la matière, participent de cette allégori-
illustre à la fois la relativité des critères de la beauté sation. La beauté est à la fois associée à l’éternité, à
à travers les époques et les pays, mais aussi l’univer- l’infini (« Je trône dans l’azur comme un sphinx incom-
salité de canons esthétiques. pris », v. 5), mais aussi à la pureté comme le montrent
Le groupement de textes complémentaires propose le parallélisme hyperbolique du vers 6 : « J’unis un
des écrits sur l’éloge paradoxal qui, depuis l’Antiquité cœur de neige à la blancheur des cygnes » ou l’expres-
(Gorgias de Léontium) ou la Renaissance (Du Bellay), sion « de purs miroirs » (v. 14). Le vers 7, « Je hais
est un exercice rhétorique. L’éloge paradoxal aspire à le mouvement qui déplace les lignes », peut-il faire
surprendre dans une démarche appréciée des poètes allusion aux préférences esthétiques du critique d’art
Baudelaire ? Dans son Salon de 1846, Baudelaire écrit :
maudits (Rimbaud) ou des surréalistes (Breton).
« La peinture n’est intéressante que par la couleur et
la forme » (chap. XIII). Défenseur de L’Enterrement à
PAGE 276 Ornans de Courbet, il s’oppose à l’absolutisme aca-
démique du beau, qui doit être personnel : « L’artiste,
le vrai artiste, le vrai poète, ne doit peindre que selon
PARCOURS CHRONOLOGIQUE qu’il voit ou qu’il sent » (chap. IV). Ainsi, la beauté
froide « parnassienne » (on pense à la « Vénus de
Le diktat de la beauté Milo » de Leconte de Lisle) et académique représen-
tée dans le sonnet de Baudelaire peut correspondre
⁄ harles Baudelaire, « La Beauté »,

C
Les Fleurs du mal, 1857
Objectifs
précisément à ce qu’il rejette…
2. La contemplation de la beauté par les poètes se
▶▶
réalise dans la souffrance, rendue par l’allitération
■■ Découvrir une allégorie en poésie.
en [r] du premier quatrain – « mortels », « rêve de
■■ Appréhender la beauté comme sujet d’inspiration pierre », « meurtri tour à tour », « inspirer », « amour »,
poétique. « Éternel », « matière » – et dans le premier tercet

– « l’air d’emprunter aux plus fiers monuments », enluminures persanes. Mais elle ne correspond pas
« Consumeront leurs jours en d’austères études ». vraiment aux canons de la beauté des femmes de
Comme l’enjoignent les Parnassiens (selon leur l’époque – plus plantureuses. L’exotisme des acces-
théorie de l’art pour l’art) ou, avant eux, le poète soires et des velours reflète la mode orientalisante
classique Boileau, il faut sans cesse remettre l’ou- du premier xixe siècle romantique. Commandé par la
vrage sur le métier afin de ciseler le vers selon les sœur de Napoléon, Caroline Murat (1782-1839), reine
canons de la beauté poétique, comme le sculpteur. Le de Naples, ce tableau a été critiqué au salon de 1819 :
mot « poète » à la césure du vers 3 reprend l’indéfini la peinture de David, respectueux de la vraisemblance
« chacun » (v. 2), qui est le sujet d’une proposition rela- anatomique, lui a été préférée.
tive dépendant du mot « sein ». La hiérarchie gram-
maticale reprend la hiérarchie de la beauté dominant PAGE 277
le poète. La contemplation de la beauté conduit-elle à
l’aphasie du poète ? On repense au mythe de Sémélé
mourant après avoir contemplé la gloire de Jupiter.
Dans le 3e tercet s’opère l’association définitive entre
¤ J ean-François Dortier, « La tyrannie
de la beauté », Sciences humaines,
n° 195, juillet 2008
la grandeur de la beauté (évoquée par l’ampleur de ▶▶ Objectifs
l’alexandrin au vers 10) et l’infériorité du poète (sug-
■■ Comprendre le schéma argumentatif d’un article
gérée par le rythme 4/8 du v. 9 et les termes péjoratifs
de sociologie.
du v. 11). L’allitération en [s] du vers 12 (« fasciner ces
■■ Distinguer la différence entre thèse/argument/
dociles amants ») pourrait rappeler le pouvoir hypno-
tique d’une beauté « serpentine ». exemple.
Les critères universels de la beauté physique sont : un
HISTOIRE DES ARTS
petit nez, de grands yeux, les traits « enfantins », un
Jean Auguste Ingres, La Grande Odalisque, 1814 visage de forme ovale sans bajoues et aux pommettes
▶▶ Objectifs saillantes qui se distingue par sa symétrie. Les rides,
■■ Analyser une image et son effet. grimaces, boutons, taches ou une mauvaise implan-
■■ Montrer le lien entre représentation artistique et tation dentaire, l’extrême maigreur et l’obésité sont
société. universellement considérés comme des défauts.
1. Le mot « odalisque » désigne une esclave de l’em- 2. « La beauté est injuste », selon Jean-François
pire Ottoman, au xixe siècle, au service des femmes Dortier, car elle crée des inégalités liées à une hié-
d’un harem, en particulier du harem du sultan. rarchie instituée par la société entre les beaux et les
L’odalisque dans les beaux-arts, est une femme de laids. De plus, les enquêtes sociologiques confirment
harem représentée nue, allongée sur un lit, ou vêtue que l’adage du « kalos k’agathos » (« beau et bon »
de légers voiles. ou « l’homme de bien » expression utilisée notam-
2. La pose lascive de la jeune femme, son regard iro- ment par Xénophon dans La Cyropédie, 4, 3, 23) est
nique posé sur le spectateur (presque en posture de toujours d’actualité.
voyeur), ses cheveux brillants et lissés partiellement 3. L’importance de la beauté dans notre société est
cachés par un turban, les bijoux et l’éventail de plumes liée, depuis des siècles, à la présence de stéréotypes :
effleurant sa jambe représentent une invitation à la le beau est assimilé au bien (intelligence, gentillesse,
sensualité. Ce tableau pourrait, en raison de la pré- santé, sympathie) et le laid au mal. La jeunesse est
sence de plusieurs matières douces (plumes, velours) ainsi plébiscitée ; elle seule peut excuser la rondeur des
représenter une allégorie du toucher. corps, féminins ou masculins, exposés par la peinture,
3. Ingres a privilégié la beauté à la vraisemblance la photographie, la mode.
anatomique puisqu’il a rajouté trois vertèbres à 4. La beauté est un sujet de débat en raison de l’édi-
l’odalisque. Les courbes de la hanche soulignées par fication de critères de physical attractiveness, que
le bras et la position anatomiquement invraisem- confirment les expériences et qui perdurent selon les
blable de la jambe gauche révèlent la place accordée époques et les cultures malgré quelques variations
au dessin. Cette beauté sinueuse pourrait avoir été (la rondeur qui peut être plutôt valorisée à condition
inspirée par la peinture maniériste et peut-être les que la personne soit jeune, l. 19). La deuxième raison
SÉQUENCE 12 La beauté culturelle | 269

présidant au débat autour de la beauté réside dans « astre » (l. 1). Ceci est corroboré par la métaphore
la croyance en l’analogie entre la beauté et la bonté filée (« divinité », l. 1 ; « une espèce d’idole », l. 4 ;
ou l’intelligence (l. 32). « les attributs et le piédestal de sa divinité », l.16).
L’éblouissement (« éblouissante », l. 4 ; « le miroite-
VERS LE BAC. Contraction de texte
ment de toutes les grâces », l. 2) de cette apparition
Le plan de la contraction devra suivre celui du texte
s’accompagne de l’allusion au point de vue admiratif
de J.-F. Dortier à savoir :
des spectateurs, renforcée par une tournure superla-
1. La démonstration expérimentale de l’existence de
tive (« l’objet de l’admiration et de la curiosité la plus
critères de beauté
vive que le tableau de la vie puisse offrir au contem-
2. La présentation des critères de beauté universelle
plateur », l. 3-4). Baudelaire évoque également le
3. La jeunesse et la bonne santé comme éléments
pouvoir aliénant qu’elle manifeste, bien rendu par la
nécessaires et suffisants
voix passive (« préside à toutes les conceptions du
4. Une variation spatio-temporelle du jugement sur
cerveau mâle », l. 1 ; et « les destinées et les volontés
la beauté toute relative
5. Les préjugés moraux liés à la beauté que l’opinion suspendues à ses regards », l. 5). L’évocation du plaisir
commune relie à la bonté et à l’intelligence que provoque sa beauté est esthétisée, sublimée : on
ne parle pas de corps féminin, mais de beauté qui
Contraction proposée englobe corps et toilette ; la « peinture du plaisir »
L’existence de critères de beauté universelle qui est réalisée par le poète et l’homme « dans la rue, au
subsument les modes historiques et sociales a été théâtre, au bois… jouit, de la manière la plus désinté-
démontrée expérimentalement ; la technique du ressée, d’une toilette savamment composée » (l. 20).
morphing permet d’ailleurs d’affiner la définition des
Les éléments laudatifs sont également rendus par les
canons esthétiques. La finesse de traits bien dessinés,
zeugmas (« La femme est sans doute une lumière,
la symétrie et la jeunesse d’un visage sont unanime-
un regard, une invitation au bonheur », l. 12 ; « une
ment plébiscitées.
harmonie générale », l. 13) et par l’énumération de ces
En effet, la jeunesse – assimilée à la bonne santé – par-
« attributs divins » (l. 12 à 18) qui semblent doués de
ticipe de la beauté de corps féminins même ronds…
vie : « le métal et le minéral qui serpentent autour de
et la musculature masculine (jeune ou mature, de
ses bras et de son cou, qui ajoutent leurs étincelles
l’Antiquité au xvie siècle) est jugée harmonieuse.
au feu de ses regards, ou qui jasent doucement à ses
Cependant, même si les critères évoluent avec le
oreilles. » (l. 16-18). Les allitérations en [s] (« mous-
temps et les sociétés, les imperfections dermato-
seline, « gazes », « serpents ») ou en [f] (« étoffes »,
logiques ou dentaires ne constitueront jamais des
« feu ») pourraient évoquer le frou-frou de la robe
normes esthétiques.
par le biais d’une harmonie imitative qui rappelle les
Le problème est que l’opinion commune relie la
synesthésies poétiques de Baudelaire. Seuls, les sens
beauté à la bonté et à l’intelligence, ce qui crée iné-
– intellectuels - de la vue et de l’ouïe sont requis ;
luctablement des injustices. Ce phénomène s’applique
aucune allusion au toucher, à l’odorat et au goût, dans
également à la laideur, associée à la méchanceté.
cet éloge de la beauté féminine. Cette longue phrase
est bien structurée par des connecteurs logiques
PAGE 278 (« surtout », l. 13 ; « non seulement », l. 13 ; « mais
aussi », l. 14) ce qui souligne la volonté démonstra-
‹
▶▶
Charles Baudelaire,
Le Peintre de la vie moderne, 1863
Objectifs
tive de Baudelaire ; elle peut d’ailleurs se lire comme
une période oratoire avec l’acmé « l’harmonie géné-
rale » (l. 13) et l’apodose s’amenuisant comme le
■■ Découvrir un texte argumentatif écrit par un poète. bruit discret des boucles d’oreilles (« qui jasent dou-
■■ Analyser la modernité de la thèse.
cement à ses oreilles », l. 14) Les accessoires féminins
1. ENTRER DANS LE TEXTE sont donc « in-corporés » à la femme et font naître
L’introduction laudative de la femme s’appuie sur l’harmonie.
l’anaphore des présentatifs (« c’est »). Ces derniers Le lecteur peut penser à la théorie métaphysique
confèrent à son arrivée une modalité épiphanique de l’Être dans cette allusion à la « totalité indivi-
comme le soulignent les expressions : « l’appari- sible » (l. 22). La beauté est donc sublimée, mais
tion d’une beauté » (l. 19) d’une « divinité », d’un aussi artificielle, voire rationalisée : « une toilette
savamment composée » (l. 19). D’ailleurs, l’expres- la femme dans le cadre de la vision du spectateur
sion savante et latine « mundus muliebris » confère ébahi. La progression thématique éclatée fragmente la
une dimension scientifique au propos, renforcée par vision dans un tableau baroque où les centres d’intérêt
la distanciation opérée par l’expression « l’étude de sont multiples.
cet être énigmatique ». Cependant, Baudelaire livre 4. SYNTHÈSE
quelques critiques qui édulcorent l’éloge ou du moins L’ évocation encomiastique de la femme a une
le repositionnent : « une espèce d’idole, stupide peut- fonction dilatoire : il s’agit de retarder (et d’intro-
être, mais éblouissante » (l. 5). Cette phrase lui a- duire) « certaines questions relatives à la mode et à
t-elle été inspirée par Marivaux, au début de La Vie de la parure ». La thèse de l’auteur est présentée à la
Marianne (1742) : « Nous autres jolies femmes, car ligne 9 : « Tout ce qui orne la femme, tout ce qui sert
j’ai été de ce nombre, personne n’a plus d’esprit que à illustrer sa beauté, fait partie d’elle-même » autre-
nous, quand nous en avons un peu : les hommes ne ment dit la parure est essentielle à la féminité. Il argu-
savent plus alors la valeur de ce que nous disons ; en mente en affirmant que les artistes, poètes, hommes
nous écoutant parler, ils nous regardent, et ce que sont séduits par la composition « corps-parure » et
nous disons profite de ce qu’ils voient » ? non seulement par l’anatomie objective de la femme
Les modalisateurs (« une espèce de », « peut-être » comme le montrent les lignes 6-9 (« ce n’est pas un
et à la ligne 6 « dis-je ») traduisent l’incertitude du animal dont les membres, correctement assemblés,
jugement personnel de Baudelaire qui use de présen- fournissent un parfait exemple d’harmonie ; ce n’est
tatifs négatifs : « Ce n’est pas, dis-je, un animal… » ; même pas le type de beauté pure, tel que peut le
« ce n’est même pas le type de beauté pure » (l. 5-7). rêver le sculpteur dans ses plus sévères méditations »).
Le refus d’animaliser la femme et de la réduire à une
définition bio-mécanique (« dont les membres, cor- VERS LE BAC. Essai
rectement assemblés, fournissent un parfait exemple Sujet : Selon vous, la beauté peut-elle s’accommoder
d’harmonie », l. 6) est complété par la négation du d’une part d’artificialité ?
corps idéal de la statuaire (grecque) respectant les Introduction
proportions du nombre d’or. Le charme de la femme Les symbolistes et décadents rejettent la nature pour
réside non dans sa perfection physique, mais dans l’artifice ; ils s’intéressent à une beauté travaillée, bien
l’harmonie de sa parure. La description baudelai- éloignée des idéaux classiques. Dans ses Curiosités
rienne de la beauté féminine est donc référentielle esthétiques, publiées en 1868, Baudelaire donne d’ail-
(sur l’importance des accessoires), symbolique (la leurs cette définition : « Le beau est toujours bizarre ».
femme-déesse) et ornementale (il s’agit de livrer Ceci pourrait conduire à s’interroger sur la dichoto-
une belle description au lecteur à la fois poétique et mie entre beauté naturelle et beauté artificielle. Une
argumentative). beauté naturelle peut-elle exister ? La beauté peut-
2. Baudelaire interpelle son lecteur (résolument elle s’accommoder d’une part d’artificialité ? Cette
masculin) par des questions rhétoriques : « Quel interrogation conduit à réfléchir à la dimension pure-
poète… ? » (l. 18), « Quel est l’homme… ? » (l. 19). Il ment physique et esthétique de la beauté ; cependant,
recourt fréquemment à des aphorismes conjugués au l’adage grec « Kalos k’agathos » (« Beau et bon »)
présent gnomique qui fondent leurs effets d’interpel- renseigne sur le lien très fort existant entre l’aspect
lation du lecteur sur la répétition et les parallélismes physique et le mental. En fait, il s’agit de démontrer
de construction : « C’est plutôt une divinité […] C’est que la beauté est à concevoir comme une « image » :
[…] ce n’est pas […] », mais aussi « Tout ce qui orne celle que donne à voir la femme ou l’homme sur son
la femme, tout ce qui sert à illustrer sa beauté, fait physique, mais aussi son caractère. Pour autant, l’arti-
partie d’elle-même » (l. 9). La critique contenue dans fice peut-il se concevoir comme un masque cachant
l’expression « ineptes calomnies dont l’accablent cer- la vérité de l’être ? Réfléchir à la beauté invite aussi à
tains amants très équivoques de la nature » (l. 26) se questionner sur la vérité de l’être.
peut aussi être dirigée vers le lecteur. 1. L’être et le paraître : la beauté nécessairement
3. La progression éclatée des lignes 12-18 décri- artificielle
vant tous les attributs de la femme (« mousseline », a) Une société de l’image (trafiquée ou pas)
« gaze », etc.) s’étire sur une longue phrase dont b) Les préjugés sociaux sur la beauté
l’ampleur syntaxique reproduit la place occupée par c) L’industrie de la beauté

2. Une beauté naturelle est-elle possible ? comme le montrent l’isotopie de l’ichtyologie qui
a) La mode du « nude » traverse l’extrait : « la fadeur des saumons, la vio-
b) Une beauté « écologique » lette musquée des éperlans, les âcretés des harengs
c) Bas les masques : accepter ses défauts et des raies » (l. 14-15), « une évaporation d’algues
3. Vers un équilibre : une beauté « réaliste » vaseuses » (l. 16), « un pêcheur de sardines » (l. 18) et
a) Vers une nouvelle définition de la beauté et du l’allusion à son lieu de travail, les Halles, qui envahit
charme : l’harmonie corps/esprit peu à peu son univers domestique : « relevée d’une
b) « Beau et bon » ? pointe de la puanteur des Halles » (l. 9).
c) Le choix des artistes : privilégier l’esthétique pour 2. Tous les sens sont requis pour décrire le corps de
atteindre la Vérité. la poissonnière ; le point de vue, interne et subjectif
(« il croyait voir », l. 7), est celui d’un homme maigre,
HISTOIRE DES ARTS Florent, marqué par la grandeur de Louise (« corps puis-
G. Klimt, Portrait de Sonia Knips, 1898 sant », « colossale », « très lourd », « géante », l. 2-3).
▶▶ Objectifs Par un effet de synesthésie, l’odorat semble lié au
■■ Découvrir une œuvre de l’Art nouveau. toucher : « une haleine de santé qui lui passait sur
■■ Analyser les procédés picturaux du portrait.
la face, chaude encore, comme relevée d’une pointe
de la puanteur des Halles », « un parfum persistant,
Afin de peindre des femmes de la haute société
attaché à la peau d’une finesse de soie » (l. 8-10).
viennoise, Gustav Klimt a opté pour des toiles grand
Le parfum devient même un fluide (« un suint de
format. La beauté sophistiquée de la femme est
marée coulant des seins superbes », l. 10) auquel
rendue par le caractère vaporeux des gazes et étoffes
Louise oppose la solution inefficace des « huiles aro-
de la robe qui rappellent à maints égards la manière
matiques » (l. 12) : l’expression synthétise elle-même
de Turner, de Rembrandt (la collerette du Portrait de
les deux sens. Cette synesthésie contribue à exagérer
Johannes Wtenbogaert, ministre Remonstrant, 1633)
l’odeur et à métamorphoser la femme en poisson vis-
ou celle des impressionnistes français. La ceinture met
queux. La « finesse de soie » de sa peau qu’on pourrait
en valeur la finesse de la taille de la femme et la colle-
trouver aristocratique (ce que corrobore l’expression
rette (rappelant les fraises de la Renaissance) accen-
« bras royaux », l. 11) a une explication très pragma-
tue la blancheur du teint , rehaussé cependant par le
tique : elle est l’effet du contact prolongé avec les
léger incarnat des lèvres et des joues que rappellent
acides gras des poissons (de même que les mains des
les rares touches de vermillon du carnet et des fleurs
pêcheurs travaillant les foies de morue). Le présentatif
du bouquet. Les camaïeux de blanc (robe, visage,
(« c’était », l. 10), les expansions, longues et variées,
fauteuil) sont assimilés à la pureté et à la richesse.
caractérisant le parfum (l. 10-12), le parallélisme
La beauté sophistiquée de la femme est également
presque antithétique (« mettant un arôme rude dans
rendue par sa pose qui simule le naturel : la position de
son odeur de femme », l. 12) et l’hyperbole (« relent
sa main pourrait indiquer un mouvement arrêté (elle
trop fort », l. 20) assimilent la femme à l’odeur des
semble s’apprêter à se lever, mais se ravise à la vue du
poissons d’une façon inéluctable, car biologique ou
peintre qui semble ici livrer un cliché, un instantané à
biochimique : « le sang ramenait jusqu’au bout des
la manière d’un photographe). Pour séduire, l’artificiel
membres la fadeur des saumons », (l. 14).
se déguise en naturel.
Mais l’odeur peut aussi se rendre « visible » comme
dans les lignes 15-16 : « le balancement de ses jupes
PAGE 279
dégageait une buée ; elle marchait au milieu d’une
évaporation d’algues vaseuses ». Enfin, le parfum de
›
▶▶
Émile Zola, Le Ventre de Paris,
chap. 3, 1873
Objectifs
la femme s’exprime par des notations gustatives : « la
fadeur des saumons » (l. 14), « les âcretés des harengs
et des raies » (l. 15), « trop salée » (l. 20). L’allitération
■■ Les procédés de l’argumentation directe. en [r] dans l’expression « les âcretés des harengs et des
■■ Analyser le rapport entre le physique et la profession.
raies » (l. 15) complète par le son la mention gusta-
1. ENTRER DANS LE TEXTE tive et olfactive. La force de l’empreinte olfactive de
Le corps de la Belle Normande est associé à sa Louise (on peut relever ici l’emploi décalé de l’adjectif
profession de poissonnière et au milieu océanique « musquée » (l. 14) qui ne s’applique habituellement

pas aux poissons, mais aux mammifères) rend compte du contact des « poitrines grasses » (l. 4), à la « peur »
de la beauté singulière, car ichtyologique de la femme d’être écrasé par Louise et à une « souffrance » née
telle qu’elle est vue par Florent. On peut presque de l’inconfort (l. 19). Ces sentiments ont une valeur
parler ici d’une beauté « professionnelle », mais elle programmatique et seront confirmés par la suite : en
est rendue esthétique par la comparaison finale très effet, l’intrigue du Ventre de Paris peut se résumer à
visuelle : « son grand corps de déesse, sa pureté et sa la victoire des « gros » sur les « maigres », la victoire
pâleur admirables, comme un beau marbre ancien des nantis sur les laissés-pour-compte… « Incommodé
roulé par la mer et ramené à la côte dans le coup de par le souffle fort » de Louise, Florent semble se
filet d’un pêcheur de sardines. » Cette comparaison, fermer à toutes les sensations ; ses capteurs olfactifs
si elle contient une réification implicite et misogyne semblent saturés (« les sens révoltés par les après-
du corps féminin (« un beau marbre ancien roulé »), midi de la poissonnerie », l. 19) et dans la proposition
reproduit, par son rythme binaire, le flux et le reflux de de la ligne 20 qui fait allusion à tous les sens : « il
la mer, mouvement qui peut également se retrouver la trouvait irritante [toucher], trop salée [goût], trop
dans les deux propositions de la ligne 13 : « dès que amère [goût], d’une beauté trop large [vue] et d’un
la fraîcheur du bain s’en allait, le sang ramenait… » relent trop fort [odorat] », la répétition de l’intensif
3. Les deux personnages sont opposés par leur « trop » souligne le dégoût de Florent. Cependant, la
gabarit : aux rondeurs colossales de Louise s’oppose description encomiastique de la beauté de Louise des
la maigreur de Florent (« ses coudes aigus, ses épaules lignes 11 (« des seins superbes, des bras royaux, de
sèches », l. 4 ; « ses os de maigre », l. 5 ; « s’amincis- la taille souple » , l. 11 ; « son grand corps de déesse,
sait encore », l. 6). L’opposition s’exprime aussi dans sa pureté et sa pâleur admirables, comme un beau
le parallélisme syntaxique : « Elle lui semblait colos- marbre ancien », l. 17) semblent désamorcer l’affir-
sale » (l. 3)/« il reculait ses coudes aigus » (l. 4). La mation de la ligne 19 : « il ne la désirait point ». Les
parataxe adoptée par Zola marque également l’oppo- lignes 19-20 peuvent se concevoir comme du discours
sition entre les deux personnages. indirect libre : Florent tente de se convaincre qu’il ne
désire pas Louise.
4. Grammaire
Les valeurs de l’imparfait dans l’extrait de Zola. VERS LE BAC. Commentaire
On a souvent résumé l’intrigue du Ventre de Paris
Valeurs de
Citations par la victoire des « gros » sur les « maigres » autre-
l’imparfait
ment dit : la victoire des nantis sur les laissés-pour-
« semblait », l. 3 ; C’était », Valeur compte. Cette opposition apparaît dans l’extrait. Les
l. 10 ; « dégageait », l. 15 ; descriptive deux personnages sont opposés par leur gabarit : aux
« marchait », l. 16 ; « était », rondeurs colossales de Louise s’oppose la maigreur
l. 16 de Florent (« ses coudes aigus, ses épaules sèches »,
l. 4 ; « ses os de maigre », l. 5 ; « s’amincissait encore »,
« s’entrebâillait, croyait Valeur itérative l. 6). Le parallélisme syntaxique : « Elle lui semblait
voir… », l. 7 ; « se lavait… marquant colossale » (l. 3)/« il reculait ses coudes aigus » (l. 4)
s’en allait… ramenait », l. 13 l’habitude s’appuie sur une parataxe qui souligne encore plus
sèchement l’opposition entre les deux personnages.
« approchait », l. 1 ; Valeur narrative :
Cette opposition annonce la suite du roman : l’auto-
« sentait », l. 2 ; « reculait », récit d’une action
rité de Louise sur Florent et la discussion entre Claude
l. 4 ; « avaient », l. 5 ; (plutôt lente)
et Florent sur la « série d’estampes » représentant la
« baissait… s’amincissait », dans le passé.
« bataille des gras et des maigres ».
l. 6 ; « souffrait… désirait »,
l. 19 ; « trouvait », l. 20
PAGE 280
5. SYNTHÈSE
Le texte mêle les points de vue omniscient et interne,
celui de Florent comme le suggèrent les modalisa-
teurs : « il sentait » (l. 2) ; « elle lui semblait » (l. 3) ;
∞
▶▶
Simone de Beauvoir,
Le Deuxième Sexe, 1949
Objectifs
« il croyait voir » (l. 7). Florent est en proie à « un ■■Analyser les procédés rhétoriques d’un discours
certain malaise » (l. 3), « l’angoisse » née de la peur féministe.

■■ Comprendre le rôle des exemples pour convaincre ter l’indignation du lecteur devant autant de cynisme.
ou persuader. S. de Beauvoir recourt à une hypotypose qui réifie
1. ENTRER DANS LE TEXTE la femme des lignes 16-22. La question rhétorique
Simone de Beauvoir évoque la « femme charmante » « Un si fugitif miracle – et si rare – mérite-t-il qu’on
manifestant une coquette féminité et qu’appellent de perpétue une situation qui est néfaste pour les deux
leurs vœux tous les nostalgiques d’une époque désor- sexes ? » (l. 26) interroge directement le lecteur et
mais révolue : celle où la femme, tel « un totem » propose l’argument de la fugacité (renforcé par les
devait « s’exhiber dans toute sa splendeur » (l. 16). intensifs « si ») des triomphes féminins (le temps
À cet avers public correspondait le revers domestique : d’une soirée). L’emploi de la tautologie « l’épouse, la
la banalité de « l’épouse et de la maîtresse » (l. 24). maîtresse parlent comme tout le monde, avec leur
2. La thèse de S. de Beauvoir est contenue dans cette bouche : leurs paroles valent tout juste ce qu’elles
formule imagée : « Un si fugitif miracle – et si rare valent » détruit la portée argumentative des nostal-
– mérite-t-il qu’on perpétue une situation qui est giques du « charme féminin ».
néfaste pour les deux sexes ? On peut apprécier la 4. Outre les clichés des hommes rétrogrades (« la
beauté des fleurs, le charme des femmes et les appré- même », l. 7 ; « son sel poignant », l. 7 ; « charme
cier à leur prix ; si ces trésors se paient avec du sang ou féminin », l. 13 ; « femme charmante », l. 16), les
avec du malheur, il faut savoir les sacrifier. » (l. 26-27) comparaisons (« objet bien plus exaltant que les
Cette dernière phrase fonctionne comme un syllo- peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de
gisme qu’on pourrait reformuler ainsi : saltimbanques, enseignes, enluminures populaires qui
• Majeure : Les femmes se sacrifient (1-2) affolaient Rimbaud », l. 17-18), les métaphores sau-
• Mineure : Or les trésors sont aux femmes (3-1)
grenues et ridicules (« elle est aussi le totem planté
• Conclusion : Donc les trésors doivent être
au cœur de la brousse africaine ; c’est un hélicoptère
sacrifiés (3-2)
et c’est un oiseau », l. 21), le recours à la voix passive
La femme ne doit plus se contenter d’être une image
(« parée des artifices les plus modernes, travaillée
rayonnante, le temps d’une soirée ou d’une réception,
selon les techniques les plus neuves », l. 19), les énu-
elle doit aussi conquérir une « égalité économique et
mérations anachroniques (« elle arrive du fond des
sociale » (l. 4). N’en déplaise à certains hommes qui
âges, de Thèbes, de Minos, de Chichen Itza », l. 20)
regrettent la situation antérieure.
soulignent l’aliénation de la femme-objet sous le
3. Simone de Beauvoir use d’arguments historiques à regard masculin. La période oratoire de la ligne 23
la faveur d’une analogie polémique ; elle compare ces à 24 : « Les hommes tendent des mains avides vers
hommes qui regrettent l’émancipation des femmes le prodige [protase et acmé à « prodige »] ; mais dès
aux adeptes de l’esclavagisme : « Il est vrai qu’en
qu’ils s’en saisissent, celui-ci s’évanouit [apodose] »
supprimant les marchés d’esclaves, on a assassiné
reproduit l’ascension puis la déchéance de la femme
les grandes plantations si magnifiquement parées
qui, telle Cendrillon, retourne après les douze coups
d’azalées et de camélias, on a ruiné toute la délicate
de minuit devant ses fourneaux. Et elle pourrait rap-
civilisation sudiste » (l. 10-12). Elle recourt ici à l’ironie
peler aussi le jugement de Marianne dans La Vie de
et à l’antiphrase en feignant d’adopter (« il est vrai »),
Marianne de Marivaux : « Nous autres jolies femmes,
comme le fit Montesquieu dans « De l’esclavage des
car j’ai été de ce nombre, personne n’a plus d’esprit
nègres » (De l’esprit des lois, 1748), le point de vue de
que nous, quand nous en avons un peu : les hommes
l’esclavagiste. Le rappel nostalgique des castrats (l. 13)
ne savent plus alors la valeur de ce que nous disons ;
concourt à tourner en dérision les adeptes du beau né
en nous écoutant parler, ils nous regardent, et ce que
du sacrifice. Cette autre concession : « Je conviens que
c’est être un barbare que de ne pas apprécier les fleurs nous disons profite de ce qu’ils voient. »
rares, les dentelles, le cristal d’une voix d’eunuque, le Et Marivaux nous apprend ensuite qu’une jolie femme
charme féminin... » (l. 14) et le recours aux citations que la vérole défigura devint, pour les hommes, une
de l’opinion publique (« la même », l. 7 ; « son sel « babillarde incommode »…
poignant », l. 7 ; « charme féminin », l. 13 ; « femme 5. Grammaire
charmante », l. 17) représentent des stratégies argu- Les valeurs du présent dans l’extrait de Simone de
mentatives qui persuadent puisqu’elles peuvent susci- Beauvoir :

PARCOURS 1. Compétences de lecture
Citations Valeurs du présent
1. La thèse défendue par Mona Chollet est présente
« s’exhibe », (l. 16) ; Présent de narration dans la phrase des lignes 14-18 : « Le poids de l’his-
« est un objet », (l. 16) ; toire aboutit même à ce que des normes qui nuisent
« elle arrive », (l. 19) ; objectivement à la majeure partie de la population
« tendent », (l. 23) ; – parce qu’elles la disqualifient et la mènent à des
« s’en saisissent… pratiques autodestructrices – puissent être présentées
s’évanouit », (l. 23) comme des traits culturels et identitaires typiques. »
L’histoire est donc instrumentalisée (par les firmes
« il semble », (l. 3) ; Présent d’énonciation occidentales ?). Ainsi, dans un dessein de mondialisa-
« il est vrai », (l. 10) ; tion, s’opère en Inde la valorisation du teint clair, légi-
« je conviens », (l. 14) ; timée par des arguments d’ordre mythologique (« les
« on peut apprécier », dieux à la peau claire », l. 3), sociologique (« qu’un
(l. 27) teint pâle indiquait le rang social d’une femme n’ayant
« obtiennent », (l. 2) ; Présent de vérité pas besoin de travailler aux champs », l. 4), historique
« encouragent », (l. 3) ; générale (« le colon blanc », l. 8), esthétique (le teint blanc des
« est possible… n’est actrices). Cette valorisation du teint clair est à appré-
pas désirable », (l. 6) ; hender comme une violence faite aux populations
« ont intérêt », (l. 8) ; locales pour imposer une norme. L’exception média-
« versent », (l. 9) ; tisée des mannequins à la peau foncée démontre bien
« est », (l. 20) ; que celle-ci ne constitue pas la norme.
« c’est » (l. 21) ; 2. De fait, ici, les exemples possèdent une valeur argu-
« parlent… valent », mentative intrinsèque : on peut les classer en argu-
(l. 25) ; ments d’ordre mythologique (« les dieux à la peau
se paient », (l. 28) ; claire », l. 3), sociologique (« qu’un teint pâle indiquait
« il faut », (l. 29) le rang social d’une femme n’ayant pas besoin de
travailler aux champs », l. 4), historique (« le colon
VERS LE BAC. Contraction de texte blanc », l. 8), cinématographique (le teint blanc des
Même si les hommes voient des avantages à l’éman- actrices) et médiatique (les mannequins asiatiques
cipation de la femme qui peut lui permettre d’aspirer en couverture du Vogue).
au même statut professionnel que le leur, certains 3. Grammaire
regrettent l’époque où elle se contentait de briller en « Ainsi, la présence, en septembre 2011, de six manne-
société. Or, il fut un temps où l’on regretta également quins asiatiques à la une du Vogue chinois constituait
les services rendus par les Noirs… un petit événement puisqu’au cours de l’année pré-
Ainsi, les hommes ne voyaient en « la femme char- cédente, les blondes aux yeux clairs, mannequins ou
mante » qu’une icône réifiée, artificielle, bientôt stars hollywoodiennes, avaient raflé huit couvertures
rattrapée par son inéluctable condition dépendante, sur douze. »
servile et domestique. Même s’il est légitime d’ap- PARCOURS 2. Compétences d’écriture
précier un tel charme, le caractère fugace de ses 1. En vue de célébrer la diversité de la beauté, il est
triomphes ne justifie pas la réification et l’asservis- possible de reprendre, comme le fait Mona Chollet,
sement de la femme. des arguments-exemples :
– d’ordre mythologique : Vénus, déesse de l’Amour
PAGE 281 et de la Beauté avait une coquetterie dans l’œil, doux
euphémisme signifiant qu’elle… louchait ;
§ Mona Chollet,
Beauté fatale, 2012
Objectifs
– d’ordre sociologique : la mode des cheveux blancs,
le succès du mannequin Winnie Harlowe, atteinte
▶▶ pourtant du vitiligo qui la défigure, le film Trop belle
■■ Comprendre la démonstration d’un texte polémique. pour toi de B. Blier (le personnage joué par Depardieu
■■ Étudier un essai. délaisse sa très belle, mais froide épouse, interprétée

par Carole Bouquet, pour une femme de ménage, volontiers critiquée par l’opinion commune comme
laide, mais pétulante, sous les traits de J. Balasko) ; une pratique de « falsification » (l. 4) qui peut « par-
– d’ordre historique : l’évolution des canons de la ticiper à construire des complexes » (l. 18) tout en
beauté (les femmes rondes de Renoir ou Rubens), étant « porteuse de rêves » (l. 22) : cette expression,
l’émancipation féminine (texte de S. de Beauvoir) et ambiguë, peut être appréhendée selon un mode aussi
le refus de réifier la femme, dénoncer l’eugénisme péjoratif que laudatif.
raciste et délétère (un personnage devenu handicapé 3. Grammaire
du film d’Andrew Niccol, Bienvenue à Gattaca, se Les valeurs du présent dans l’extrait de Yannick Le
suicide, car il ne répond plus aux critères physiques) ; Hénaff.
– d’ordre médical : les dangers physiques liés à la
standardisation de la beauté (par exemple : gavage Citations Valeurs aspectuelles
des jeunes filles en Mauritanie, bandage des pieds en
« il en est ainsi », (l. 1) ; Présent de vérité
Chine, etc.) ;
« il faut », (l. 1) ; générale
– d’ordre esthétique : selon Baudelaire (Le Peintre de « n’est pas », (l. 2) ;
la vie moderne, p. 278), la beauté et le charme féminin « le rappelle », (l. 4) ;
sont liés à la parure et, pour les surréalistes comme « est » (l. 10) ;
Breton (L’Amour fou, p. 289), la beauté est « convul- « n’est qu’un… », (l. 14) ;
sive » donc décalée, originale et en mouvement. « elle dissipe », (l. 16) ;
2. Le plaidoyer pourra suivre le plan suivant : « elle participe », (l. 17) ;
1. Accepter qu’il n’existe pas une beauté absolue, mais « est », (l. 22) ;
des manifestations très diverses de beauté « croient », (l. 22) ;
2. …est un des moyens de vivre plus heureux… « adonnent », (l. 23) ;
3. …et d’atteindre un nouvel idéal esthétique ? « expliquent », (l. 23)
« ont été régulièrement Passé composé itératif
PAGE 282 stigmatisées », (l. 3) ; et accompli
« a longtemps été
‡ annick Le Hénaff, « Chirurgie

Y
esthétique et beauté : le corps à l’état
naturel est un fantasme », 2013
soupçonné », (l. 4) ;
« se sont attachées »,
(l. 11)
▶▶ Objectifs « on parle », (l. 4) ; Présent itératif
■■ Analyser les procédés rhétoriques du paradoxe. « qui parle… ne triche
■■ Comprendre l’effet d’un argument historique. pas », (l. 6)
1. ENTRER DANS LE TEXTE « dénonçait », (l. 8) Imparfait d’aspect
Pour Y. Le Hénaff, « le corps à l’état naturel est un borné et accompli
fantasme. Il est en grande partie le produit de notre
« est-elle », (l. 15) ; Présent d’énonciation
culture » (l. 9-10), ou, autrement formulé dans une
« nous devons », (l. 18)
formule marquante, brève et exclamative : « pour
être naturel, il faut travailler la nature même ! » « pourrait », (l. 20) Conditionnel présent
(l. 1). L’homme, à toutes les époques et dans toutes marquant le potentiel
les sociétés, lui a appliqué des techniques intrusives « laissent », (l. 24) Présent de
(« tatouage, piercing, scarification », chirurgie esthé- narration à valeur
tique) ou non (« musculation, coiffe, habillement », programmatique
cosmétiques).
2. « Au cours de l’Histoire, les modifications à visée 4. L’argument d’autorité réside dans cette phrase,
esthétique ont régulièrement été stigmatisées », tirée d’un constat à la fois sociologique et ethnolo-
constate Y. Le Hénaff, dans les premières lignes de son gique : « Toutes les sociétés se sont en effet attachées
texte (l. 2-3). Les marqueurs temporels (« Au cours de à le transformer par le biais de tatouage, piercing,
l’Histoire », « régulièrement ») renforcent le participe scarification, musculation, coiffe, habillement, alimen-
péjoratif « stigmatisées ». La chirurgie esthétique est tation, etc. La chirurgie esthétique n’est qu’un avatar

supplémentaire » (l. 11-14). Le deuxième argument de la beauté (émanant du corps et de la parure de
d’autorité concerne le bien-être moral : la chirurgie la femme). Cependant, la parure et les bijoux sont
esthétique « dissipe les souffrances » (l. 16) et « est également des signes extérieurs de richesse et n’abo-
porteuse de rêves » (l. 22). lissent donc pas les différences sociales. Le recours
5. L’auteur implique son lecteur en recourant à l’excla- à la chirurgie esthétique, technique très coûteuse
mation (l. 1-2) qui pourrait suggérer l’étonnement du évoquée par le texte de Y. Le Hénaff (p. 282), associe
lecteur face au paradoxe énoncé sur le naturel obtenu de nouveau la beauté à la notion de caste ou classe
par l’artificiel, la question rhétorique de la ligne 15 et sociale privilégiée.
la récurrence du pronom de la 1re personne (l. 16, 18). La présentation des « critères de beautés universels »
donnée par le texte de J.-F. Dortier (p. 277) corro-
6. SYNTHÈSE bore le pouvoir transculturel de la beauté, affirmé par
La conclusion n’apporte pas vraiment de résolution S. Chauveau. D’après le préjugé répandu, « ce qui est
ou de certitudes, mais peut se lire comme une fin beau est bien », la niaiserie d’un homme ou d’une
ouverte quant aux conséquences du développement femme sera gommée par sa beauté (comme nous le
de la chirurgie esthétique. Elle correspond bien au cou- montre J.-F. Dortier). On retrouve aussi ce jugement
ronnement présent dans les péroraisons de discours : dans La Vie de Marianne de Marivaux : « J’ai vu une
« Ses promesses laissent entrevoir l’espoir d’une vie jolie femme dont la conversation passait pour un
meilleure au-delà d’une apparence retouchée » (l. 24). enchantement, personne au monde ne s’exprimait
VERS LE BAC. Dissertation comme elle ; c’était la vivacité, c’était la finesse même
Sujet : « Rien n’est plus insolent, voire plus arrogant qui parlait : les connaisseurs n’y pouvaient tenir de
que la beauté ! Elle ne respecte ni caste, ni classe plaisir. La petite vérole lui vint, elle en resta extrê-
sociale, ni race, ni culture. » Commentez cette cita- mement marquée : quand la pauvre femme reparut,
tion de Sophie Chauveau, (D)écrire la beauté en vous ce n’était plus qu’une babillarde incommode. Voyez
aidant des textes du corpus. combien auparavant elle avait emprunté d’esprit de
Cette dissertation pourra s’appuyer sur des exemples son visage ! »
d’héroïnes ou de héros modestes qui, par leur beauté Si les termes « d’insolence » ou « d’arrogance » tra-
ou leur charme, sont parvenus à s’affranchir de leur duisent une attitude provocatrice, volontaire et déli-
condition et à gravir les échelons de la société, tels bérée de la beauté de s’affranchir des codes sociaux
que : Georges Duroy (Bel-Ami, Maupassant), Julien ou culturels, Gorgias plaide, sans son éloge paradoxal
Sorel (Le Rouge et le Noir, Stendhal), Valmont (Les (p. 286), pour une innocence de la beauté : Hélène
n’a pas voulu la guerre de Troie et ne maîtrise pas les
Liaisons dangereuses) et le comte Henry de Marsay
effets de sa beauté.
(très bel homme lui-même) qui, dans La Fille aux yeux
d’or de Balzac, tombe sous le charme de la jeune et HISTOIRE DES ARTS
modeste Paquita Valdès…
On peut également évoquer la thèse de Mona Chollet Le projet artistique d’Orlan
(p. 281) selon laquelle la beauté (communément ▶▶ Objectifs
associée au teint clair) standardisée par l’Occident ■■ Découvrir le body art.
■■ Comprendre la dimension philosophique et éthique
veut imposer ses canons esthétiques au monde : la
beauté, effectivement, ne « respecte » ni « les races » du positionnement d’un artiste.
(attention à l’emploi de ce terme qui ne s’applique pas On peut lire avec profit :
habituellement aux hommes !) ni les cultures, mais – l’interview d’Orlan publié sur le site du Monde où
leur « fait violence » en raison des effets délétères du elle évoque le body art (« art charnel ») : https://
blanchissement de la peau par exemple. www.lemonde.fr/vous/article/2004/03/22/orlan-
Le sonnet de Baudelaire « La Beauté » (p. 276) peut artiste-mon-corps-est-devenu-un-lieu-public-de-
illustrer « l’arrogance » et l’insolence de la beauté, debat_357850_3238.html ;
évoquées par S. Chauveau. De même, la froideur – l’article de M. Coulombe, « La maïeutique du corps :
se dégage de la description des Vénus de Mérimée rencontre avec Orlan », Poïétique de l’urgence, n° 60,
(p. 284) et du parnassien Leconte de Lisle (p. 284). décembre 2002, janvier–février 2003, disponible en
Le deuxième extrait de Baudelaire (La Peintre de la vie ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/etc/2002-
moderne, p. 278) propose une définition personnelle n60-etc1121115/35304ac.pdf.

PAGE 283 le diable, le pervers, le malade ; elle est maléfique et
entraîne répulsion et crainte. » (Dortier, p. 277)
Dossier personnel – « Jeanne avait l’allure d’un grand cygne éthéré, une
langueur imperceptible dans le regard, une incom-
ACTIVITÉ 3. Rédigez un article de réflexion
mensurable mélancolie. » (Foenkinos, p. 285)
sur l’ouverture du thème
– « Ô beaux cheveux d’argent mignonnement retors !
Problématique possible : Il s’agira de démontrer
– Ô front crêpe et serein ! Et vous face dorée ! »
que les critères de la beauté masculine sont mus par
(Du Bellay, p. 287)
le « symbole », la raison ; la beauté agit comme une
– « – Et tout ce corps remue et tend sa large croupe
projection et le reflet d’une idée ou d’une valeur. La
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus. » (Rimbaud,
beauté masculine est plus « réfléchie » que la beauté
p. 288)
féminine, qui obéit plus à la fantaisie qu’à la raison.
– « La beauté convulsive sera érotique-voilée, explo-
Plan proposé : sante-fixe, magique circonstancielle ou ne sera pas. »
1. Une beauté martiale liée à la classe sociale (Breton, p. 289)
a) Le modèle de l’éphèbe grec et le Kalos k’agathos
b) La beauté comme distinction aristocratique PAGE 284
c) Les incontournables signes extérieurs de richesse
2. Vers une féminisation de la beauté masculine ?
a) La figure du dandy PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS
b) La culture et la mode gay : féminisation ou
masculinisation ? Les Vénus de la littérature
c) Un homme qui accepte la notion de beauté artifi-
cielle, technique 1. Points communs entre les trois Vénus de la sta-
tuaire et celles présentées dans les textes de Mérimée
3. Une beauté « raisonnable » ou standardisée ?
et Leconte de Lisle.
a) Une volonté de perfection depuis les Grecs et
Voir le tableau 1 de la page suivante.
l’homme de Vitruve
b) Sculpter et rationaliser son corps 2. Rapport entre la description de la Vénus de Milo
c) La beauté masculine « symbolique » (Louvre) et de La Vénus d’Ille (Mérimée).
Voir le tableau 2 de la page suivante.
ACTIVITÉ 4. Réagir à partir d’une photographie
Mérimée montre une belle connaissance de la sta-
Pour rédiger leur texte argumentatif qui défend tous
tuaire grecque même s’il ne cite pas de nom d’artiste
les types de physique, les élèves pourront s’appuyer
afin de ne pas livrer un commentaire trop expert qui
sur ce choix de citations issues du corpus :
ne sied pas au genre de la nouvelle. On retrouve l’ar-
– « La technique est-elle donc à notre bénéfice ? Dans
chéologue dans la notation des traces dorées sur la
le cadre de la chirurgie esthétique, elle dissipe des souf-
tête et la précision des notations référentielles.
frances (certains d’entre nous éprouvant d’importants
complexes), en même temps qu’elle participe (énième 3. Pour imaginer les réactions des spectateurs dans
paradoxe) à les construire. » (Le Hénaff, p. 282) un écrit d’appropriation, il convient de s’appuyer sur
– « Elle lui semblait colossale, très lourde, presque les réactions d’Antoine décrites par Foenkinos dans
inquiétante, avec sa gorge de géante. » (Zola, p. 279) Vers la beauté (le titre souligne le pouvoir d’attraction
« Ni les freluquets, ni les obèses ne sont jamais pris du tableau) : « Antoine serait happé par la force de ce
comme étalons de beauté. […] L’appréciation de la tableau. Jeanne lui faisait survoler les heures. Il conti-
beauté varie bien selon les époques et les cultures. nuait parfois à lui parler, comme à une confidente. »
Mais cette variation se fait autour de quelques attrac- (l. 12-13). Ce pouvoir d’attraction pourra être expli-
teurs esthétiques. Jamais l’on ne verra des dents mal qué : est-il dû aux yeux mats, sans reflet, d’un bleu
plantées, des boutons sur le visage, une grimace, glacier ou bien à l’inclinaison de la tête qui confère une
des rides, des taches comme canons de beauté. » certaine douceur à la pose de Jeanne ? Le fait qu’elle
(Dortier, p. 277) joigne les mains accentue la courbe décrite par ses
– « De tout temps, l’imaginaire de la laideur fut formes dont son ventre de femme enceinte… Un effet
associé au mal, en correspondance avec les monstres, de mansuétude se dégage du tableau.

Vénus de Vénus de Vénus de
Citations
Willendorf Rodin Milo
« le haut du corps nu » (Mérimée) et « fière et nue »

x x x
(Leconte de Lisle)
« la draperie qui couvrait la partie inférieure du corps »

x
(Mérimée)
« La chevelure, relevée sur le front » (Mérimée) x
« La tête, petite comme celle de presque toutes les statues

x
grecques, était légèrement inclinée en avant. » (Mérimée)
« Ce n’était point cette beauté calme et sévère des

x
sculpteurs grecs » (Mérimée)
« marbre sacré » (Leconte de Lisle) x
« Déesse irrésistible au port victorieux » (Leconte de Lisle) x
« Ô Vénus, ô beauté, blanche mère des Dieux ! » et « pieds

x x
blancs » (Leconte de Lisle)
« Un flot marmoréen inonde tes pieds… » (Leconte de Lisle) x
« Déesse aux larges flancs ! » (Leconte de Lisle) x x
Vénus de Milo (Louvre) La Vénus d’Ille (Mérimée)
« Sa physionomie altière, l’harmonie des traits « Ce n’était point cette beauté calme et sévère des
du visage, son impassibilité, sont empreintes sculpteurs grecs »
de l’esthétique du ve siècle av. J.-C. »
« La coiffure et la délicatesse du modelé des chairs « C’était bien une Vénus, et d’une merveilleuse
évoquent les créations de Praxitèle, sculpteur beauté. Elle avait le haut du corps nu, comme les
du ive siècle av. J.-C. » anciens représentaient d’ordinaire les grandes
divinités. »
« La chevelure, relevée sur le front, paraissait avoir
été dorée autrefois. »
« La déesse est saisie dans l’instantané, le glisse- « La tête, petite comme celle de presque toutes
ment du vêtement sur les hanches provoquant les statues grecques, était légèrement inclinée en
le serrement des jambes. » avant. »
« sculpteurs grecs, qui, par système, donnaient à
tous les traits une majestueuse immobilité. »

PAGE 285 hommes », « régnait sur toutes choses »). Le recours
au pluriel (« multitude de corps, une foule de guer-
HISTOIRE DES ARTS riers animés de grandes passions en vue de grandes
Amedeo Modigliani, Portrait de Jeanne actions », l. 9) s’appuie sur la récurrence d’adjectifs
Hébuterne, 1919 comme « grandes » (l. 10), « immense » (l. 11) redou-
▶▶ Objectifs blant la puissance d’Hélène. Le corrélatif ternaire au
■■ Analyser le maniérisme de Modigliani. pluriel : « aux uns… aux autres… à d’autres » (l. 11-12)
■■ Décrire l’effet d’un tableau sur les spectateurs.
qui se subsume dans l’indéfini « tous » (« ils étaient
tous venus », l. 13) accentue une occupation de
« Jeanne, écrit Foenkinos (l. 10), avait l’allure d’un l’espace syntaxique, mais aussi géographique par les
grand cygne éthéré, une langueur imperceptible dans admirateurs de la beauté universelle d’Hélène.
le regard, une incommensurable mélancolie. » La tête
inclinée de Jeanne Hébuterne dans le tableau exposé 3. Les relations de causalité (« car », l. 3), d’addition
à Kurashiki accentue la langueur et la mélancolie (« en plus », l. 8), de conséquence (« donc », l. 19
et correspond mieux à la description de Foenkinos. et 30), de restriction (« or », l. 29), d’ordre (« pour
Pour définir l’âme de ses modèles, leur regard voilé, commencer », l. 19 ; « en premier », l. 25), impliquant
Modigliani parle de leur « expression de muette une alternative (« ou », l. 22-24), structurent son dis-
acceptation de la vie ». La longueur du cou peut rappe- cours. Gorgias s’arrête même pour justifier le plan de
ler dans les deux tableaux celui du cygne (Modigliani son écrit : « Dans le présent discours, je sauterai donc
représente toujours ainsi la tête des femmes) et le cette époque pour commencer tout de suite le dis-
visage allongé de Jeanne contribue à cet étirement cours même que je m’apprête à faire et je vais exposer
rappelant « un grand cygne ». les raisons pour lesquelles il était naturel qu’Hélène
s’en fût à Troie » (l. 18-21).
PAGE 286 4. SYNTHÈSE
Les dernières phrases du texte apparaissent comme un
syllogisme imparable cherchant à disculper Hélène :
GROUPEMENTS DE TEXTES COMPLÉMENTAIRES « Le plus fort dirige, le plus faible suit. Or, un dieu est
plus fort que les hommes par sa force, sa science et
L’éloge paradoxal tous les avantages qui sont les siens. Si donc c’est
contre le Destin et contre Dieu qu’il faut faire porter
⁄
▶▶
Gorgias de Léontium,
Éloge d’Hélène, ive siècle av. J.-C.
Objectifs
l’accusation, lavons Hélène de son ignominie. » Que
l’on pourrait simplifier ainsi :
• Majeure : Le fort domine les faibles. (1-2)
■■ Découvrir l’un des premiers éloges paradoxaux de • Mineure : Or le Destin est fort (3-1)
l’Occident. • Conclusion : Donc le Destin domine les faibles (3-2)
■■ Analyser la puissance argumentative d’un texte écrit
Ce syllogisme se distingue par l’absence d’Hélène ;
par un sophiste de l’Antiquité grecque. c’est le Dieu ou le Destin qui est la cause des maux.
1. ENTRER DANS LE TEXTE Hélène n’est pas responsable de sa beauté (léguée
Les conséquences de la beauté d’Hélène sont pré- par ses parents) et en allant à Troie, elle a suivi les
sentées à la ligne 9 : « à elle seule, pour son corps, « arrêts du Destin, ou les arrêts des dieux ou les
elle fit s’assembler, multitude de corps, une foule décrets de la Nécessité ». Notez le rythme de la gra-
de guerriers animés de grandes passions en vue de dation destinée à souligner la force de la pression
grandes actions. » dont fut victime Hélène qui a fait preuve de piété
2. L’opposition du singulier et du pluriel célèbre la en suivant la volonté divine. La liberté que s’octroie
distinction d’un seul être exceptionnel (Hélène) sur Gorgias (« je sauterai donc cette époque », l. 19) sous
la foule de ses anonymes admirateurs. Hélène (« la prétexte d’éviter la redondance (« Dire ce qu’ils savent
femme dont je parle », l. 1) se distingue de la foule à ceux qui savent peut bien les persuader, mais ne
par sa beauté (« au premier rang parmi les premiers peut les charmer.», l. 17), redondance exprimée par
des hommes et des femmes », l. 2). Cet élitisme est une tautologie, ne trompe personne. Il s’agit d’éviter
d’ordre atavique (comme le montrent les expres- de mentionner la séduction de Pâris par Hélène, cou-
sions pour évoquer son père : « le plus puissant des pable d’adultère.

cette fois le désespoir et la colère). Le diadème, le
ŒUVRE INTÉGRALE
soleil levant nimbant sa chevelure couronnée de
La femme vue par Baudelaire et la peinture nuages tels des rayons lui confèrent une aura royale.
de Morgan, Hélène de Troie, 1898 On retrouve donc dans ce tableau les caractéristiques
Les citations suivantes du Peintre de la vie moderne de de la peinture préraphaélite ainsi définies : « La vivacité
Baudelaire (p. 278) peuvent s’appliquer à la représen- de la composition, le caractère humain des portraits
tation d’Hélène de Troie par De Morgan : (les peintres s’étant pris pour modèle l’un l’autre),
– « une divinité, un astre, qui préside à toutes les le soin minutieux du détail, le symbolisme et l’éclat
conceptions du cerveau mâle ; c’est un miroitement chaleureux des couleurs, issus de la technique de la
de toutes les grâces que la nature a condensées dans fresque » (Mary Gardner Bennett, « Préraphaélites »,
un seul être » (l. 1) ; Encyclopedia Universalis en ligne).
– « C’est une espèce d’idole, stupide peut-être, mais
éblouissante, enchanteresse, qui tient les destinées PAGE 287
et les volontés suspendues à ses regards » (l. 4) ;
¤
– « elle est surtout une harmonie générale, non Joachim du Bellay,
seulement dans son allure et le mouvement de ses « Ô beaux cheveux d’argent… », 1556
membres, mais aussi dans les mousselines, les gazes, ▶▶ Objectifs
les vastes et chatoyantes nuées d’étoffes dont elle
■■ Approfondir les procédés de l’éloge paradoxal.
s’enveloppe, et qui sont comme les attributs et le
■■ Analyser les effets de l’ironie et de l’antiphrase.
piédestal de sa divinité » (l. 13) ;
– « dans le métal et le minéral qui serpentent autour 1. ENTRER DANS LE TEXTE
de ses bras et de son cou, qui ajoutent leurs étincelles Le poète veut faire ressortir les défauts et la laideur
au feu de ses regards, ou qui jasent doucement à ses de la vieille femme décrite, mais en les présentant
oreilles » (l. 16). sous une forme rappelant l’éloge avec les anaphores
de l’interjection « ô », les points d’exclamation et les
HISTOIRE DES ARTS adjectifs dont la charge laudative est immédiate-
Evelyn De Morgan, Hélène de Troie, 1898 ment désamorcée par une autre expansion nominale
péjorative.
▶▶ Objectifs
■■ Découvrir les codes de la peinture préraphaélite. 2. Grammaire
■■ Analyser le lien entre la mythologie et la peinture. Les apostrophes saturent le poème ; elles sont réguliè-
Sur le site de la fondation de la peintre préraphaélite rement introduites par l’interjection « ô », marqueur
Evelyn De Morgan, on peut lire : « Cette toile repré- habituel de la prière et de l’adoration et s’appuient
sente Hélène en innocente jeune femme, entourée sur la deuxième personne du pluriel : « Et vous face
par les colombes de la paix et les roses blanches dorée » (v. 2) ; « Qui d’un large repli retrousses tes
d’Aphrodite), tandis qu’elle se regarde dans un miroir deux bords ! » (v. 4) ; « Qui faites… » (v. 6) ; « Et vous
portant l’image d’Aphrodite » (http://www.demorgan. jambe… » (v. 10).
org.uk/helen-troy). 3. Le paradoxe (celui de célébrer la laideur) naît
Cette peinture valorise donc l’innocence d’Hélène des antithèses puisque les beaux cheveux sont
aux pieds nus (pour montrer sa fragilité) à l’instar de « d’argent » (blancs !) et « mignonnement retors »
l’éloge paradoxal de Gorgias. (le laudatif précède le péjoratif : on retrouve tout ce
Hélène est ici plus symbolique que stéréotypée : fonctionnement à l’échelle du poème). Il est aisé de
elle apparaît à la fois comme une allégorie de la paix relever les paires d’antithèses : « crêpe »/« serein »
(entourée de colombes), mais aussi comme une allé- (v. 2) ; les « beaux yeux » sont voilés par la cataracte
gorie de la coquetterie féminine comme le montrent (« cristal », v. 3) ; la bouche « honorée » est grande et
les bijoux, le miroir avec la déesse de la beauté, le ridée (« large repli », v. 4) ; les « belles dents » sont
diadème, le plissé savant de sa tunique rose et le geste noires (« d’ébène », v. 5). Du Bellay a quand même
désinvolte de la main pour tenir ses cheveux (geste réussi l’exploit d’employer 7 fois l’adjectif « beau »
qu’on retrouve également dans un autre tableau dans un poème qui décrit… une vieille femme à la
d’E. De Morgan, Cassandra, 1898, mais qui montre laideur repoussante !

4. La description est bien ordonnée : il évoque d’abord
HISTOIRE DES ARTS
la tête (cheveux, front, visage, yeux, bouche, dents), la
poitrine, les mains et les jambes. Il l’arrête à l’évoca- Quentin Metsys, Une vieille femme grotesque,
tion du sexe féminin (v. 11) pour « re-célébrer » dans 1525-1530
le dernier tercet le corps dans sa globalité. ▶▶ Objectifs
5. SYNTHÈSE ■■ Analyser le grotesque dans un tableau.
Le comique naît des antiphrases : « précieux trésors » ■■ Percevoir l’implicite dans les arts.
(v. 5) pour désigner les dents noires et « l’âme éna- Les grotesques (mot apparu à la fin du xve siècle donc
mourée » pour évoquer leur effet sur les spectateurs. quasiment contemporain de Joachim Du Bellay)
Le comique réside aussi dans un langage décalé désignaient les décorations couvrant entièrement
comme celui des formules héroï-comiques : « Ô gorge les murs des maisons romaines enterrées (et donc
damasquine en cent plis figurée ! » qui évoque, avec semblables à des grottes), du ier siècle av. J.-C. Ce
des mots rares et épiques, les varicosités et les rides décor (dont celui de la Domus aurea) se compose
du décolleté de la vieille (l’expression « en cent plis « d’architectures illusionnistes, de scènes à person-
figurée » ressemble à une épithète homérique). Le nages, de paysages, d’enroulements de feuillages qui
comique de mots s’entend dans les rimes « gras- remplacent les colonnes, de candélabres formés de
sette » et « grossette ». Du Bellay adresse également tempietti, de baldaquins composés d’enroulements
un clin d’œil amusé et grivois à son public : « ce que de feuilles et de fleurs, de figures fantastiques, mi-
je ne puis honnêtement nommer ! » (v. 11, désignant humaines, mi-animales, qui naissent des feuillages. »
le sexe féminin). La parodie du blason s’exprime au (Peter Fuhring, « GROTESQUES, histoire de l’art »,
vers 6 : « Et vous, beaux grands tétins, dignes d’un si Encyclopædia Universalis en ligne) Ces motifs non
beau corps ! » qui fait allusion à l’épigramme érotique naturalistes furent critiqués par les tenants d’un art
de Marot (1535) : « Le beau tétin ». rationnel ou classique dont Vitruve, dans son traité
VERS LE BAC. Commentaire sur l’architecture (ier s av. J.-C).
Quelques éléments de réflexion pour un ou plusieurs Les procédés du grotesque employés par Metsys
paragraphes de commentaire sur le grotesque : sont l’exagération des rides, de la laideur des traits
« Le mot « grotesque » vient de la découverte des (oreilles, calvitie naissante, verrue, seins flétris),
grottes creusées par les archéologues du xve siècle de l’inélégance des gestes. Tout le portrait semble
pour déterrer la Domus aurea de Néron, dont l’orne- invraisemblable, ce qui est renforcé par l’ambiguïté
mentation bizarre où s’enchevêtrent, dans un mou- sexuelle : cette « vieille femme » ressemble en fait
vement fantastique, les arabesques des végétaux, des plutôt à un homme !
animaux et des chimères, inspira la pittura grottesca
de la Renaissance. » (« GROTESQUE, littérature », PAGE 288
Encyclopædia Universalis en ligne). Pour Véronique
Klauber (ibid.), « l’inanité des paroles, (…) est un
thème récurrent du grotesque, mais il ne s’agit nul-
lement d’une critique du langage : irrépressibles, les
‹
▶▶
Arthur Rimbaud,
« Vénus anadyomène », 1870
Objectifs
mots sont dans leur effervescence, la métaphore de ■■ Parodier un mythe.
la lutte dérisoire menée contre le réel qu’ils tentent ■■ Comprendre l’écriture polémique d’un poète maudit
de contenir. » Chez Du Bellay, on retrouve cette et symboliste.

effervescence dans la cascade de l’interjection « ô ».
Et l’inanité des paroles résulte des antiphrases et de PARCOURS 1. Compétences de lecture
l’ironie : les mots ne veulent plus rien dire et désignent 1. Le titre du poème de Rimbaud « Vénus anadyo-
le contraire de ce qu’ils entendent habituellement. mène » est issu du grec ancien anaduomenè, « surgie
Et d’ailleurs, le grotesque « prête à rire par son côté vers le haut », c’est-à-dire « sortie des eaux » ou
invraisemblable, excentrique ou extravagant », ce « surgie des eaux ». Le topos présent dans ce poème
qui caractérise également le sonnet de Du Bellay. est la naissance de Vénus ; celui-ci peut se retrouver
L’invraisemblable anime l’ironie ; l’excentricité se de façon indirecte dans l’apparition de la femme char-
déploie au gré des antithèses. mante dans les textes de Baudelaire (« La Beauté »,

v. 5, p. 276 ; Le Peintre de la vie moderne, l. 13, p. 278), Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;
Zola (l. 16, p. 279), Leconte de Lisle (v. 6, p. 284). Pour – Et tout ce corps remu(e) et tend sa large croup(e)
montrer que la scène mythologique est défigurée, on Bell(e) hideusement d’un ulcèr(e) à l’anus.
peut comparer le poème de Rimbaud à la notice des- 2. Habituellement, dans les poèmes, les enjambe-
criptive de La Naissance de Vénus de Botticelli : ments doivent se lire comme si les mots étaient
« Vénus elle-même est d’apparence inhumainement collés à la suite. Mais, dans le cas de « Vénus ana-
virginale dans le tableau, sans aucune trace ni imper- dyomène », les enjambements servent à instaurer
fection sur le corps ou le visage, avec la peau laiteuse un très court silence à chaque mot rejeté en tête de
et d’une blancheur éclatante. Botticelli a utilisé des vers : par exemple, les expressions comme « Horrible
contours sombres autour du corps de la déesse pour étrangement » et « Belle hideusement » sont ainsi
la faire ressortir plus facilement de l’arrière-plan et mises en valeur.
pour contraster avec sa peau blanche. Ses cheveux
sont longs et libres, dans le style en vogue pour les
femmes de l’époque quand le tableau fut peint. Exemple d’introduction
Curieusement, Vénus est nue, avec seulement sa « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je
chevelure couvrant sa féminité, au contraire des l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. » écrit Rimbaud
représentations drapées des personnages féminins dans le prologue d’Une saison en enfer (1873). Les
pendant le Moyen-Âge. » (http://www.oeuvres-art. poètes maudits à l’instar de Rimbaud et Baudelaire
com/naissance-venus.html) nourrissent un rapport ambigu et original à la beauté.
Ainsi, Baudelaire « veut extraire la beauté du mal »
2. La baignoire est comparée à un « cercueil vert en fer
dans son recueil Les Fleurs du mal et déclare dans ses
blanc », ce qui en dit long sur la volonté macabre qui
Curiosités esthétiques (1868) : « Le beau est toujours
anime le poète. La Vénus peut rappeler un vampire.
bizarre ». Cette conception tranche avec la beauté
3. Grammaire classique, admiratrice de l’Antiquité. C’est ainsi que
Les adverbes contribuent à l’exagération de la carica- Rimbaud, dans son poème au titre très antiquisant
ture : « fortement » (« pommadés »), « assez » (« mal « Vénus anadyomène », livre une parodie grotesque
ravaudés ») et s’intègrent parfois à des oxymores du topos de la naissance de Vénus et raille le goût
destinés à surprendre le lecteur par la modernité de bourgeois pour les scènes mythologiques, qui sont
la vision : « Horrible étrangement » ; « Belle hideuse- autant d’occasions de voir des femmes nues. Dans ce
ment ». Notons que ces expressions se trouvent paral- poème, la Vénus est une prostituée. Quel est l’effet
lèlement à l’attaque d’un vers : elles peuvent rappeler de ce poème sur le lecteur ? En fait, l’efficacité du
le titre de Baudelaire, Les Fleurs du mal (1840) et la texte réside dans la maîtrise rimbaldienne de l’éloge
fascination des poètes maudits pour les charognes, paradoxal qui s’appuie sur trois principes : le pastiche
la laideur… d’une scène mythologique empreinte de beauté, le
PARCOURS 2. Compétences d’oral culte du paradoxe et la cruauté d’une représentation
polémique.
1. Les « e » muets et sonores dans le poème de
Rimbaud :
PAGE 288
Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une têt(e)
De femm(e) à cheveux bruns fortement pommadés HISTOIRE DES ARTS
D’une vieille baignoir(e) émerge, lent(e) et bêt(e),
Otto Dix, Femme ivre, 1922
Avec des déficits assez mal ravaudés ;
La visite de l’exposition Van Gogh, à Dresde, en
Puis le col gras et gris, les larges omoplat(es)
1912, incite Otto Dix, à se rapprocher du mouve-
Qui saillent ; le dos court qui rentr(e) et qui ressort ;
ment expressionniste. Cette influence de Van Gogh
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;
le conduit à réfléchir au traitement des couleurs, des
La graisse sous la peau paraît en feuilles plat(es) ;
effets de lumière afin de traduire subjectivement le
L’échin(e) est un peu roug(e), et le tout sent un goût dynamisme vital de la nature. Sa lecture des Nietzsche
Horribl(e) étrangement ; on remarque surtout lui fait concevoir le monde à la croisée de violentes
Des singularités qu’il faut voir à la loup(e)... forces opposées : la Vie et la Mort, Éros et Thanatos,

que nous pouvons retrouver dans son tableau de le zeugma (« beauté convulsive ») et les associations
1922, Femme ivre. incongrues d’adjectifs reliés par un tiret. Breton
La cruauté de la représentation s’appuie sur les cou- devient presque un créateur (poieitès) de mots en
leurs plaquées sur la toile, sans réel souci de la ligne initiant ces hapax.
et du dessin : le bleu létal du visage, le blanc cadavé- 2. La notion d’antithèse est à lier au concept d’asso-
rique des bras se mélangent avec le rose du corsage ciation de réalités distinctes présentées par Breton
qui est contaminé par le bleu débordant également dans son Manifeste du surréalisme (Folio essais,
sur le jaune du turban. Ce bleu renvoie à la mort et 1990, p. 48) : « Si l’on s’en tient, comme je le fais,
à la putréfaction qui semble commencer à décom- à la définition de Reverdy, il ne semble pas possible
poser le corps de la femme alcoolique. Cet aspect de rapprocher volontairement ce qu’il appelle « deux
de cadavre est renforcé par les dents déchaussées, réalités distantes ». Le rapprochement se fait ou ne se
les marques macabres du visage et les yeux fermés fait pas, voilà tout. Je nie, pour ma part, de la façon la
également bleuis. La posture avachie de la femme plus formelle, que chez Reverdy des images telles que :
souligne son laisser-aller. Et ce ne sont pas les acces- Dans le ruisseau il y a une chanson qui coule
soires de coquetterie féminine, turban et collier (eux- ou :
mêmes contaminés par le bleu de la putréfaction), qui Le jour s’est déplié comme une nappe blanche
lui redonneront une dignité, désormais détruite par ou :
le mortel alcoolisme. Le monde rentre dans un sac
offrent le moindre degré de préméditation. Il est
PAGE 289 faux, selon moi, de prétendre que « l’esprit a saisi les
rapports » des deux réalités en présence. Il n’a, pour
›
▶▶
André Breton,
L’Amour fou, 1937
Objectifs
commencer, rien saisi consciemment. C’est du rap-
prochement en quelque sorte fortuit des deux termes
qu’a jailli une lumière particulière, lumière de l’image,
■■ Découvrir l’esthétique surréaliste. à laquelle nous nous montrons infiniment sensibles.
■■ Analyser les procédés argumentatifs d’un texte
La valeur de l’image dépend de la beauté de l’étincelle
manifeste. obtenue. »
■■ Comprendre l’effet d’un texte polygénérique.
Et ainsi, la thèse contenue dans la dernière phrase :
1. ENTRER DANS LE TEXTE « La beauté convulsive sera érotique-voilée, explo-
Ce texte contient des passages argumentatifs (1er et sante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera
dernier paragraphe), narratifs (ancrés dans une réalité pas » (l. 22) ou dans les lignes 3-5 (comme le souligne
spatio-temporelle comme le souligne la répétition de le modalisateur « selon moi »), est bâtie sur des anti-
la date : « le 10 avril 1934 », l. 6 et 14) et descriptifs thèses d’où semble jaillir l’étincelle évoquée dans le
(l. 14-17). Il présente également de beaux passages manifeste. En effet, le zeugma allie la beauté (à la fois
poétiques : le marqueur temporel astrologique (« en abstraite et conçue comme statique) à la convulsion
pleine occultation de Vénus par la lune », l. 6), la et est développé par l’explication pseudo-mathéma-
définition vague (« La servante est assez jolie : poé- tique de la ligne 4 (« rapport réciproque qui lie l’objet
tique plutôt. »), la confusion des éléments solides et considéré dans son mouvement et dans son repos ») ;
liquides (« une très fine chaîne retenant trois gouttes cette opposition statique/cinétique se retrouve dans
claires », l. 15), l’association inattendue d’un objet ter- l’antithèse « explosante-fixe » (l. 22). Le surréalisme
restre et d’un phénomène céleste (« la coïncidence de recherche le merveilleux derrière le réel comme le
ce bijou et de cette éclipse », l. 17), les jeux de mots montre l’antithèse : « magique-circonstancielle »
homophones (« Ici, l’Ondine » et la réponse exquise, (l. 22). L’association « érotique-voilée » (l. 22) peut
enfantine, à peine soupirée, parfaite : « Ah ! Oui, on le être à la fois antonymique (l’érotisme est ostentatoire
fait ici, l’on dîne ! », l. 19-20). Enfin, la dernière phrase et provocateur) et synonymique (l’érotisme pour plus
du texte (« La beauté convulsive sera érotique-voi- d’efficacité suggère la beauté des formes sous des
lée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne tissus quasi transparents). Enfin, « la coïncidence de
sera pas », l. 22), si elle a la force d’un manifeste avec ce bijou et de cette éclipse » (l. 17) surprend à cause
l’injonction catégorique et pragmatique du futur, pré- du rapport d’échelle complètement antithétique (un
sente néanmoins une certaine poésie sensible dans empan du millimètre aux années-lumière !).

3. Ce texte peut se lire comme la réécriture héroï- (bien au contraire) la portée argumentative du texte
comique (consistant à traiter un sujet vulgaire en et lui permet à la fois de convaincre et de persuader
style noble) d’une scène triviale : un déjeuner dans le lecteur.
une brasserie (l. 10-13). La description du bijou de la
servante se fait à l’aide d’une très longue expansion HISTOIRE DES ARTS
nominale (« retenant trois gouttes claires, gouttes Claude Cahun, Self-portrait, 1927
rondes sur lesquelles se détachait à la base un crois- ▶▶ Objectifs
sant de même substance pareillement serti », l. 15) ■■ Analyser une image surréaliste.
qui contraste avec la petitesse de l’objet décrit (« une ■■ Établir des liens entre les procédés surréalistes, lit-
très fine chaîne », l. 15). Ceci ne laisse pas de rappe-

téraires et artistiques.
ler l’emphase du registre épique qui se déploie dans
l’accès de la chaîne de la servante à une dimension « Sous ce masque un autre masque ; je n’en finirai pas
cosmique : « la coïncidence de ce bijou et de cette de soulever tous ces visages », écrit Claude Cahun
éclipse » (l. 17), renforcée par l’image du « croissant » dans Aveux non avenus, « essais-poèmes » autobiogra-
(de lune ?) à la ligne 16. phiques accompagnés de dix photomontages réalisés
avec Marcel Moore (Suzanne Malherbe, sa compagne)
4. SYNTHÈSE
et publiés en 1930. Dans ses autoportraits dominent
Rappelons la définition du mot magie.
l’androgynie et la figure du double. Le maquillage du
« Étymologiquement, la magie désigne l’art des
Self-portrait semble souligner les signes d’une fémi-
mages, caste sacerdotale des Mèdes, qui cultivaient
nité coquette voire hypersexualisée : les cœurs dessi-
l’astrologie et autres sciences ésotériques. Mais le mot
nés sur les joues et la cuisse, les accroche-cœurs des
a pris un sens plus vaste pour désigner les croyances
cheveux, la bouche très rouge et une autre bouche
et les pratiques qui ne rentrent pas dans les rites des
dessinée sous la poitrine accompagnant l’injonction
cultes organisés et qui supposent la croyance en une
« Don’t kiss me ». On retrouve le paradoxe et l’anti-
force surnaturelle immanente à la nature. » (R. Alleau,
thèse surréaliste chers à Breton qui écrit dans son
R. Bastide, « Magie », Encyclopædia Universalis en
Manifeste du surréalisme :
ligne)
« C’est du rapprochement en quelque sorte fortuit
Le mot « magique » employé par Breton à la ligne 22
des deux termes qu’a jailli une lumière particulière,
s’oppose à l’adjectif « circonstancielle » qui implique
lumière de l’image, à laquelle nous nous montrons
un ancrage dans le réel. Par sa poésie et son imaginaire
infiniment sensibles. La valeur de l’image dépend de
surréalistes, Breton transforme une scène triviale en
la beauté de l’étincelle obtenue. »
un moment magique qui naît de la confusion entre :
Le rapprochement incongru (surréaliste) entre l’artiste
les états liquides et solides (« une très fine chaîne
qui pose et les deux poids où sont écrits les noms
retenant trois gouttes claires », l. 15), les échelles
des personnages d’Hergé, Totor et Popol participent
terrestres et célestes (« la coïncidence de ce bijou et
de cette esthétique surréaliste. L’originalité du Self-
de cette éclipse », l. 17), les réalités triviales et leur
portrait réside aussi dans le message (répulsif) adressé
transfiguration poétique (« l’on dîne »/« l’Ondine »,
au spectateur que C. Cahun fixe droit dans les yeux :
l. 19-20).
« I am training/Don’t kiss me. » Cet autoportrait
VERS LE BAC. Commentaire moderne montre l’artiste à la recherche d’elle-même ;
Paragraphe d’analyse littéraire la représentation pleine de singularité et d’excentri-
La thèse d’André Breton adopte une forme surréa- cité exprime visuellement cette volonté de dépasser
liste. Elle présente des antithèses [cf. réponse à la les genres sexuels. « Neutre est le seul genre qui me
question 2] et s’appuie sur un mélange de styles convienne toujours », affirmait-elle.
d’écriture : avec un marqueur autobiographique de
ŒUVRE INTÉGRALE
la 1re personne (l. 1-5), une formulation mathéma-
tique (« rapport réciproque qui lie l’objet considéré La longue phrase des lignes 15-23, extraite du
dans son mouvement et dans son repos », l. 4) et des Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir (p. 280)
fulgurances poétiques (comme l’expression même de pourrait convenir par ses allusions et métaphores
« beauté convulsive »). Ainsi, Breton réussit à exprimer à la fois hétéroclites et iconoclastes, presque sur-
sa thèse « à la manière » surréaliste qui ne gâte pas réalistes, qui dénoncent la réification d’une femme

hypersexualisée : « Quand elle s’exhibe dans sa splen- 2. Qualificatifs pour les personnages du corpus.
deur, la « femme charmante » est un objet bien plus
exaltant que les « peintures idiotes, dessus de portes, Personnages Qualificatifs
décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enlumi-
« La Beauté » de élancée, svelte, mince
nures populaires » qui affolaient Rimbaud ; parée
Baudelaire (p. 276),
des artifices les plus modernes, travaillée selon les
la Vénus de Milo
techniques les plus neuves, elle arrive du fond des
de Leconte de Lisle
âges, de Thèbes, de Minos, de Chichen Itza ; et elle
(p. 284), la Vénus d’Ille
est aussi le totem planté au cœur de la brousse afri-
de Mérimée (p. 284),
caine ; c’est un hélicoptère et c’est un oiseau ; et voilà
Hélène de Gorgias
la plus grande merveille : sous ses cheveux peints, le
(p. 286)
bruissement des feuillages devient une pensée et des
paroles s’échappent de ses seins. » Les Vénus de Leconte anadyomène
Et « les paroles s’échappent de ses seins » évoquées de Lisle (p. 284) et de
par Beauvoir peuvent correspondre à la phrase écrite Rimbaud (p. 288)
sur la poitrine de Claude Cahun (qu’on peut compa-
rer à l’actuel mode de communication des Femen…). La Belle Normande de imposante, colossale,
Zola (p. 279) robuste, plantureuse,
PAGE 290 corpulente
Florent de Zola maigre, malingre,

LEXIQUE ET ÉCRIT D’APPROPRIATION (p. 279) chétif
Le portrait physique La femme selon imposante

Beauvoir (p. 280) et
EXERCICE 1. Préfixation et suffixation Baudelaire (p. 278)
1. Corporatiste – corporationniste – incorporé – cor-
pulent – corpusculaire – incorporel – incorporel La vieille de Du Bellay dodue, enrobée,
2. Les mots « incorporéité » et « incorporalité » sont (p. 287) corpulente
synonymes. La Vénus de Rimbaud dodue, cacochyme
EXERCICE 2. Polysémie (p. 288)
2. Baudelaire applique dans cet écrit satirique sur
« l’immortel Cupidon des confiseurs » (Baudelaire, EXERCICE 4. Expressions mythologiques
op.cit.), le sens propre des termes (en italiques dans le sur le corps
texte original de Baudelaire), car il critique ici la molle Sens mythologique et actuel des expressions (voir le
et paradoxale obésité du fils de la déesse de la beauté, tableau page suivante).
telle qu’elle s’affiche sur les tableaux du salon 1859. EXERCICE 5. Articles et expansions nominales
EXERCICE 3. Connotations péjoratives 1. Ce portrait semble fragmenté du fait de la pro-
et mélioratives gression thématique éclatée puisque le thème est la
1. Classement des adjectifs. tête (« physionomie ») et les sous-thèmes : les yeux,
lèvres, chevelure, teint, visage. Balzac a choisi de
Connotations Connotations privilégier les couleurs : « feu », « rougeur », « noir »,
péjoratives mélioratives « blanc » qu’il développe avec la métaphore des
fleurs humaines. La combinaison des articles définis
Maigre, massif, imposant, colossal,
et indéfinis souligne le souci de Balzac de personna-
malingre, chétif, hâve ferme, élancé, svelte,
liser la description (« une délicieuse rougeur ») ou de
blafard, cacochyme, mince, callipyge,
lui conférer une dimension plus universelle que peut
égrotant, valétudinaire anadyomène, robuste,
imaginer le lecteur (« le feu de leurs yeux »).
dodu, étiolé, trapu, plantureuse, gracile
2. Les procédés d’écriture qui traduisent l’enthou-
enrobé
siasme du narrateur sont les substantifs mélioratifs

Expressions Mythologie Sens actuel
Un adonis Adonis est le fils de Cinyras, roi de Chypre, et de Très bel homme
sa propre fille Myrrha. Doté d’une grande beauté,
Adonis fut aimé d’Aphrodite qui l’envoya dans un
coffre en bois à Perséphone pour que celle-ci le garde
en sécurité, Perséphone s’en éprit et le disputa à
Aphrodite.
un pygmalion Sculpteur à Chypre, Pygmalion tomba amoureux de sa Personne amoureuse d’une
création, Galatée, une statue rendue vivante grâce à autre et qui la conseille pour
Aphrodite, la déesse de l’amour. la conduire au succès
une force Le demi-dieu Hercule, fils de Zeus et d’Alcmène, réalisa Une force colossale
herculéenne 12 travaux dont certains demandèrent une force
surhumaine : tuer l’hydre de Lerne, le taureau de Crète,
le lion de Némée, capturer la biche aux pieds d’airain
ou nettoyer les écuries d’Augias…
beau comme Apollon, dieu grec des arts, du chant, de la musique, de Une beauté masculine
Apollon la beauté masculine, de la poésie et de la lumière irradiante
une voix de Stentor, le crieur de l’armée des Grecs lors de la guerre Une voix puissante
stentor de Troie
des yeux de lynx Lyncée, pilote du navire Argo lors de l’expédition des Une excellente acuité
(Lyncée) Argonautes. Capable de voir à travers les nuages, les visuelle
murailles, les bois et rochers, il pouvait également
distinguer ce qui se passait au ciel et dans les enfers
une voix de Dans L’Odyssée, les Sirènes, par leurs chants, tentent Les voix de la tentation
sirène d’attirer Ulysse et ses compagnons pour provoquer
le naufrage de leur bateau. Ulysse ordonne qu’on
l’attache au mât et ses compagnons se bouchent les
oreilles avec de la cire.
une maladie Du nom de Vénus, déesse de l’amour Une maladie sexuellement
vénérienne transmissible
le talon d’Achille La mère d’Achille, Thétis, plongea son enfant, dans le Le point faible
Styx, l’un des fleuves des Enfers, pour lui assurer une
invulnérabilité, mais son talon, par lequel le tenait
Thétis, ne fut pas trempé dans le fleuve.
un supplice de Tantale offrit aux dieux lors d’un banquet son propre Éprouver la faim ou une
Tantale fils Pélops. Seule Déméter ne se rendit pas compte envie qui ne peut être
de la ruse et avala un bout de l’épaule. Zeus ordonna satisfaite
à Hermès de ramener l’enfant des Enfers et de
remplacer son épaule par un morceau d’ivoire. Les
dieux condamnèrent Tantale à passer l’éternité dans
le Tartare : affamé et assoiffé, il ne peut ni se nourrir ni
étancher sa soif malgré la proximité du fleuve et des
fruits qui reculent quand il se penche.

un satyre Créatures hybrides mi-hommes, mi-boucs, souvent Un pervers ou un obsédé
ithyphalliques et formant le cortège de Dionysios ; ils sexuel
aiment pourchasser les nymphes.
un rire De l’adjectif grec sardánios, néologisme dans L’Odyssée Spasme prolongé des
sardonique d’Homère pour indiquer le rire forcé d’Ulysse, après muscles de la face qui
qu’il a esquivé une patte de bœuf lancée par Ctésippe. semble produire un sourire
malveillant. Symptôme de
la crise tétanique et de la
maladie de Wilson
un protée Protée, dit « le Vieillard de la mer », pouvait se Personne qui change
métamorphoser en toutes sortes de choses. facilement d’aspect,
d’humeur, d’opinion, qui
joue toutes sortes de
personnages
Également le nom d’un
amphibien aveugle
naître de la Sémélé, enceinte de Dionysos, demande à contempler Se croire supérieur aux
cuisse de Jupiter Zeus, le père de son enfant, dans toute sa gloire. autres
Incapable de supporter cette vue, Sémélé périt. Zeus
tire alors son fils du ventre de sa mère et, s’entaillant
la cuisse, y installe l’enfant pour mener sa gestation à
terme
mithridatiser Mithridate Eupator (108-63 av. J.-C.), roi du Pont Immuniser contre un
(le Pont-Euxin est le nom antique de la mer Noire), poison, un produit toxique
menacé par les meurtriers de son père Antiochos, par accoutumance et
acquit une connaissance parfaite des poisons et des augmentation de la
antidotes, et en absorba plusieurs régulièrement en tolérance à l’ingestion
petites quantités afin de s’immuniser totalement progressive de ce produit
contre leurs effets.
méduser Méduse, femme à la chevelure de serpents, pétrifiait Pétrifier quelqu’un, le laisser
de son regard les mortels qui osaient l’affronter. Persée sans voix
réussit à la tuer en utilisant son bouclier, donné par
Zeus, comme miroir.
une chimère Créature monstrueuse mi-chèvre, mi-lion, à la queue Un rêve inaccessible
de serpent.
un marathon Nom de la bataille contre les Perses qui eut lieu dans la Une course de fond de
plaine de Marathon en 490 av. J.-C.. Le Grec Phidippidès 42 km
parcourut 240 kilomètres pour prévenir les Spartiates Une épreuve très difficile
que les Perses avaient débarqué à Marathon
le lit de Procuste Lit inventé par le brigand Procuste : il y allongeait ses Mutilation d’une œuvre ou
victimes et coupait tout ce qui dépassait. d’un projet pour les rendre
conformes à un modèle.
un rire jovial Rire de Jupiter (Jovis) Rire d’une gaieté
communicative

un écho La nymphe Écho, amoureuse de Narcisse, qui dépérit Une réverbération du son
de ne pouvoir saisir son reflet son reflet dans l’eau,
dont il tomba amoureux.
chauve comme Du nom du dramaturge grec dont la calvitie fut la Sans aucun cheveu
Eschyle cause de sa mort : un aigle prit son crâne pour un
rocher et y fit tomber une tortue.
un brouet De Sparte, ville grecque, connue pour la rigueur de ses Aliment détestable et peu
spartiate mœurs et de son mode de vie. consistant
Le fait de n’aboutir à rien
un argus Argos Panoptès, le gardien aux cent yeux, était chargé Homme clairvoyant, qu’on
par Héra, de garder Io, jeune fille transformée en n’abuse pas, qui ne s’abuse
génisse et aimée par Zeus. pas lui-même
Périodique indiquant la cote
des voitures d’occasion
tels que « le feu », « délicieuse », « lustré », « distin- Sont-elles fondées sur la morale, la religion, l’esthé-
guée », « belles », « magnifiques » qui contrastent tique, le médical, l’économique ou l’idéologie poli-
avec les adjectifs péjoratifs désignant les visages des tique ? Il s’agira de démontrer que le fait d’associer des
autres physionomies : « ternies, vieillottes, crochues, valeurs à la beauté physique relève d’un dangereux
grimaçantes ». L’énumération concernant le physique culte de l’image et de l’apparence qui révèle un dys-
des jeunes aristocrates parisiens est plus longue que fonctionnement de la société.
l’expansion nominale concernant les physionomies 1. Valeurs communément associées à la beauté
des autres. physique
a) Valeurs morales : gentillesse (Dortier, p. 277),
PAGE 292
volonté de puissance (Baudelaire, p. 276 ; Leconte
BAC Contraction de texte de Lisle, p. 284 ; Le Portrait de Dorian Gray de Wilde,
Sophie Chauveau, (D)écrire la beauté, 2016 p. 291), pureté et innocence (Gorgias, p. 286 ;
Foenkinos, p. 285 ; Zola, l. 17, p. 279)
Proposition de contraction :
b) L’intelligence ? Dortier l’affirme (l. 36, p. 277,), mais
Les hommes considèrent volontiers la musculature
d’autres contestent ce point (Beauvoir, l. 25 p. 280 et
comme un ingrédient fondamental à leur harmonie
Baudelaire, l. 4, p. 278)
anatomique. Or, la puissance que lui associaient les
c) Reflet d’une bonne santé : la force (Fournier, p. 283
Romains était liée au culte de la guerre qui était le but
et Chauveau, p. 292), l’athlète (Chauveau, p. 292)
de l’homme libre. L’art du xvie au xviiie siècle représente
et valorise des hommes plus élégants et urbains que 2. Les dérives de cette association
puissants et guerriers. Actuellement, la beauté mascu- a) La beauté artificielle : Le Hénaff (p. 282) et L’Ève
line est avant tout celle du sportif – nouveau guerrier future de Villiers de l’Isle-Adam (p. 291)
des stades –- qui suscite l’admiration des supporters b) La mondialisation et la standardisation des canons
comme celle des artistes. (79 mots) de la beauté : par les firmes de cosmétiques (Chollet,
p. 281) ou les logiciels de retouche d’images.
PAGE 293 c) La beauté et la tentation eugénique (film Bienvenue
à Gattaca de Niccol, p. 291)
BAC Essai
3. L’art pour lutter contre les dérives ?
Sophie Chauveau, (D)écrire la beauté, 2016 a) La métamorphose satirique du laid en beau par
Sujet : Quelles valeurs peut-on associer à la beauté l’art : Du Bellay (p. 287) et Rimbaud (p. 288)
physique ? b) L’alliance romantique du grotesque et du sublime
Si les Grecs associaient le bien au beau selon le prin- ou la beauté paradoxale des surréalistes (Breton,
cipe philosophique du Kalos k’agathos, il semble que p. 288)
notre société soit encore attachée à ce principe. Mais c) Le body art (Orlan, p. 282), mais aussi la sculpture
quelles valeurs peut-on associer à la beauté physique ? du corps par le sport.

réjouissance solitaire, mais il est surtout un moyen… »
MÉTHODES d. La phrase C peut être reformulée en commençant
par une réfutation : « Vous ne pouvez pas m’empêcher
de penser ! »
PAGES 294-295
e. Des arguments logiques peuvent être ajoutés au
FICHE 10 texte D : la peine de mort n’est pas dissuasive, le droit
Le vocabulaire de l’argumentation à la vie est un droit humain fondamental, punir le
crime par le crime est une contradiction, la société
 Identifier les caractéristiques du héros doit montrer une autre voie que celle de la violence.
traditionnel
a. Le texte développe le thème du voyage. La thèse de  Comprendre et mettre en œuvre
l’auteur consiste à affirmer que le voyage ne permet les stratégies argumentatives
plus l’évasion. Son argument est que la colonisa- a. Simone de Beauvoir défend l’idée que les femmes
tion sauvage par la civilisation occidentale a détruit doivent être les égales des hommes, quitte à perdre
la beauté et l’innocence de tous les endroits de la le charme qui peut constituer leur attrait.
planète, les uniformisant également. Ainsi, partout b. L’autrice commence par réfuter l’argumentaire
où l’homme se rend, il n’est plus confronté qu’à sa adverse avec la négation (« Cet argument n’est pas
propre image et aux conséquences néfastes de son nouveau », l. 8). Elle emploie la concession (« Il est vrai
modèle de société. que… », l. 10 ; ou « Je conviens que… », l. 15), mais de
b. Lévi-Strauss présente une série d’exemple de la façon ironique.
ligne 1 à la ligne 7. Il énumère des zones géogra- c. À partir de la ligne 16, elle fait l’éloge de « la
phiques appartenant à différents continents ayant été femme charmante » avec le comparatif de supério-
dénaturées par l’expansion du modèle de civilisation rité (« plus exaltant que », l. 17), par l’énumération de
occidental. différentes civilisations où elle est célébrée (l. 20-21),
c. D’autres exemples peuvent être proposés : l’urba- en employant des métaphores (« c’est un oiseau »,
nisation des terres agricoles ou l’uniformisation des l. 21) ou le superlatif (« voilà la plus grande merveille »,
modes de consommation avec des enseignes com- l. 22).
merciales qui se répandent dans tous les pays par d. Simone de Beauvoir s’applique à montrer cepen-
exemple. dant qu’il s’agit d’une illusion à partir de la ligne 24,
d. Des contre-arguments peuvent être opposés : avec le verbe « s’évanouit », ou avec la comparaison
des zones sont protégées avec des parcs naturels ; « comme tout le monde ». L’expression « un si fugitif
des militants veillent au respect des écosystèmes miracle » résume bien l’idée qu’il s’agit de peu de
et s’engagent dans des associations dont le but est chose et que l’on peut donc le sacrifier, ce que vient
de préserver les équilibres naturels ; la diversité des affirmer la dernière phrase.
coutumes maintient toujours des différences entre e. Le paragraphe de commentaire peut reprendre
les hommes. les réponses aux questions en soulignant l’idée que
le texte est marqué par une progression efficace : il
 Comprendre et mettre en œuvre
est construit en partant des objections, pour ensuite
les stratégies argumentatives
les réfuter et enfin pour mieux affirmer la thèse qui
a. Dans l’extrait A, Diderot cherche à convaincre
ponctue l’extrait.
en avançant un argument logique. Dans l’extrait B,
Camus commence par réfuter avec la négation « n’est  Connaître les genres de l’argumentation
pas », puis démontre sa thèse en employant des rela- a. Il s’agit d’un éloge funèbre. Ce genre consiste à
tions logiques comme la conséquence (« donc »). prononcer un discours en mémoire à une personne
Dans l’extrait C, Sand emploie la concession. Dans décédée, ici Émile Zola.
l’extrait D, Hugo persuade par l’accumulation. b. Anatole France souligne les qualités de l’écrivain. Il
b. La phrase A peut être reformulée pour persuader emploie des adjectifs mélioratifs (« bon », « grandes »,
en employant la première personne (« Je pense »), ou « moral »), des hyperboles (« la forme colossale »,
différents procédés d’insistance comme l’anaphore. « profondément »). Il lui attribue de grandes valeurs,
c. La phrase B peut être réécrite pour introduire une comme l’« optimisme », la « foi obstinée au progrès »,
concession : « Certes l’art peut parfois constituer une la « bonté ». Il souligne enfin la grandeur de l’homme

et de l’œuvre, tous deux engagés pour construire une  Traiter l’information, de la dépêche
société plus juste et pour combattre ce qui la dégrade, à l’article
comme le montre la dernière phrase, ample et forte. Parmi les titres proposés, plusieurs pistes peuvent être
 Connaître les genres de l’argumentation suivies pour les rendre accrocheurs :
a. Maupassant défend l’idée que l’abandon des – Un ticket de loterie à 1,5 milliard de dollars !
animaux est une action condamnable. – L’empire du Soleil levant à la conquête de la Lune
b. Il s’agit d’une argumentation indirecte, car le récit – Le rideau se lève sur les livres en compétition
permet de toucher les émotions du lecteur. Celui-ci  Organiser et présenter l’information
peut s’identifier au personnage et ressentir comme Pour cet exercice, il peut être intéressant de faire
lui un bouleversement face à la situation à laquelle il observer aux élèves les choix éditoriaux opérés en
est confronté. L’auteur insiste d’ailleurs avec l’emploi fonction des catégories d’informations retenues :
d’adjectifs forts : « effaré, bouleversé » (l. 11). Les deux politique, société, culture, faits divers…
derniers paragraphes mettent en perspective le récit
 Distinguer les genres de la presse
pour en expliciter la morale.
a. L’article est un extrait d’une tribune. Le journa-
liste défend un point de vue sur un sujet de société.
PAGES 296-297
Il emploie la première personne du pluriel : « nous
FICHE 11 subissons ».
Le vocabulaire de la presse b. Le journaliste aborde la question de la liberté
et des médias d’expression comme l’indique le titre, et s’attache à
montrer les obstacles à son développement, parmi
 Identifier les sources de l’information lesquels le règne des opinions avec l’émergence des
a. La dépêche répond aux questions de référence : elle réseaux sociaux, vague qu’il qualifie d’« obscuran-
explique le sujet (« quoi ? ») en précisant qu’il s’agit tisme » et à laquelle il oppose le rôle du journalisme,
de la « cli-fi », elle situe le lieu et le moment de son qui est de porter le savoir, les faits, la culture.
actualité (« quand et où ? ») avec la mention de la c. L’auteur affirme son engagement avec l’expres-
Foire du livre de Francfort, elle en explique les causes sion du devoir dans le dernier paragraphe : « est à ».
(« pourquoi ? ») avec les conséquences du réchauffe- Il donne la direction à suivre avec l’expression du but
ment climatique, et elle présente une personne qui (« pour ») et dégage de grandes valeurs (« la compré-
pratique ce genre littéraire (« qui ? ») en citant l’es- hension du monde », « la culture générale », le « savoir
sayiste américaine Elizabeth Rush. Enfin, elle montre porteur de responsabilité »). La dernière expression
comment ce genre est pratiqué (« comment ») dans résume avec force et concision la thèse : « libres de
le dernier paragraphe, avec l’idée que l’imaginaire, lié penser ».
à l’écriture de la fiction, peut susciter l’empathie. d. Plusieurs dessins de presse revendiquent la liberté
b. Le style reste objectif : la dépêche n’est pas signée, d’expression des médias, produits notamment au
l’énonciateur ne marque pas sa présence, les sources
moment des attentats contre les journalistes du
sont citées et ne sont pas commentées.
journal Charlie Hebdo en 2015.
c. Une recherche sur le site de l’Agence France Presse
permet de se renseigner tout d’abord sur son histoire :  Distinguer les genres de la presse
l’agence Havas, première agence de presse interna- a. Albert Londres traite le thème du bagne de Cayenne.
tionale, est créée en 1835 ; l’année 1940 marque la b. L’article témoigne d’un travail d’investigation,
fondation de l’Agence française indépendante (AFI) puisque le journaliste se rend sur place et décrit ce qu’il
à Londres, qui devient l’AFP en 1944 ; en 1954, le observe : la capitale, mais aussi les lieux qui abritent
Parlement adopte le statut de l’AFP, lui garantissant réellement le bagne (Saint-Laurent-du-Maroni et les
son indépendance, son autonomie financière et son îles du Salut). Il décrit ensuite le fonctionnement du
implantation dans le monde. Son activité consiste à bagne et ce qu’il y voit, notamment la différence de
collecter, vérifier et diffuser les informations de façon traitement entre les « Matelots, garçons de famille,
neutre et objective, afin qu’elles soient utilisées par porte-clés, et autres combinards », qui sont avantagés,
tous les médias. et les autres.
Méthodes | 291
c. Albert Londres affirme son point de vue. Il exprime  Interpréter la modalisation
d’abord ses impressions (« on serait bientôt réduit dans l’argumentation
à rien si on y demeurait », l. 9), emploie des méta- a. L’énonciatrice marque sa présence dans le texte
phores pour traduire ses émotions (« C’est une usine avec l’emploi de termes péjoratifs pour désigner l’atti-
à malheur », l. 17), et recourt à des termes expressifs tude des hommes envers les animaux, ainsi qu’avec
(« Elle les broie », l. 18) pour marquer son indignation. l’énumération « l’ignorance, l’indifférence, la cruauté »
d. Le titre est accrocheur, car il est bref, indique l’idée qui traduit son jugement. Elle s’inclut dans ces actions
de ce qu’il se passe réellement dans un bagne avec avec le pronom personnel « nous » : « si nous n’avions
l’emploi de la préposition « au ». pas pris l’habitude ».
e. Cet article est un reportage : le journaliste enquête, b. Elle implique le lecteur pour mieux le convaincre
se rend sur le terrain, observe et interroge, puis écrit avec l’impératif de la première personne du pluriel
pour rendre compte de son investigation. qui ouvre les deux premières phrases de l’extrait
(« Révoltons-nous », « Rappelons-nous »). Elle reprend
PAGES 298-299 ce procédé à la fin du texte pour engager le lecteur à
l’action : « changeons » et « améliorons ».
FICHE 12 c. Elle donne cependant une dimension plus uni-
L’énonciation et la modalisation verselle à son propos en employant le singulier
dans l’argumentation (« l’ignorance », « l’homme », « la vie »), ce qui donne
une valeur générale aux termes employés. Les mots
 Analyser l’énonciation employés sont peu caractérisés et donc plus univer-
dans l’argumentation sels : « quelconques dictatures », « des bêtes ».
a. Cet extrait est un discours de Victor Hugo. Il situe d. La première personne du singulier peut être
le moment de l’énonciation au xixe siècle, qu’il pré- employée par exemple : « Je trouve que nous devons
sente comme un siècle de lumière, de raison et de agir ».
progrès qui s’oppose à l’institution de la peine de
mort. Il s’adresse aux échafauds avec l’apostrophe de  Interpréter la modalisation
la ligne 11, qui deviennent une allégorie de la peine dans l’argumentation
de mort et de ceux qui la défendent. a. Baudelaire fait l’éloge de la beauté. Il emploie des
b. Victor Hugo implique ses auditeurs en employant hyperboles (« une divinité, un astre », l. 1), des méta-
la première personne du pluriel (« nous avons » puis phores (« miroitement de toutes les grâces », l. 2),
« nous sommes » répété en anaphore). Il répète éga- le superlatif (« l’admiration et de la curiosité la plus
lement l’expression « Nous sommes le peuple ». Il vive », l. 3), des adjectifs mélioratifs (« éblouissante,
renforce ainsi son argumentation puisqu’en faisant enchanteresse », l. 4 et 5). À l’inverse, il blâme ceux
l’éloge de ce peuple nouveau, par exemple avec l’énu- qui critiquent « l’art de la toilette ». Il qualifie ainsi
mération d’adjectifs mélioratifs aux lignes 7 et 8, il péjorativement ces propos d’« ineptes calomnies »,
incite les lecteurs à s’impliquer dans cet élan vers expression renforcée par l’antéposition de l’adjectif.
une nouvelle justice. L’opposition entre l’ombre et la Le terme « équivoque », qu’appuie l’adverbe « très »,
vise à critiquer leur position.
lumière, à la fin du texte conduit également le lecteur
b. Les phrases interrogatives contribuent à argumen-
à prendre parti.
ter puisqu’elles stigmatisent ceux qui ne prendraient
 Analyser la modalisation pas de plaisir à apprécier la beauté féminine. En ce
dans l’argumentation sens, elles prennent la forme de questions rhétoriques
a. Maupassant critique la guerre et exprime son point qui permettent de convaincre.
de vue. Il emploie la première personne (« Quand c. Pour le paragraphe de commentaire, les réponses
j’entends »), il emploie un lexique expressif (« effare- aux questions précédentes peuvent être reprises. Il est
ment », « abominable »), ainsi que des phrases inter- possible d’ajouter les éléments qui associent la femme
rogatives et des questions rhétoriques. à son artifice, par exemple à la ligne 9 : « Tout ce qui
b. On observe un contraste entre les deux dernières orne la femme, tout ce qui sert à illustrer sa beauté,
phrases : la première met en évidence la cruauté et fait partie d’elle-même ». De même, les liens entre
l’ampleur du massacre. La seconde souligne son inu- l’art et la beauté peuvent être évoqués, par exemple
tilité, renforçant la critique de l’absurdité de la guerre. avec la présence des termes « poète » ou « peintre ».

 Employer l’énonciation et la modalisation b. Cependant, il adresse également des reproches à
dans l’argumentation la France à partir du cinquième paragraphe. Il met
a. Robert Badinter exprime son admiration pour la en évidence son retard face à cette question de
France. La première phrase, isolée, marque la gran- l’abolition de la peine de mort (« un des derniers
deur du pays, ce qu’amplifie la personnification : pays », l. 12) et il suggère la honte qu’il en ressent
« Je regarde la marche de la France ». L’anaphore avec l’incise « et je baisse la voix pour le dire ».
« La France est grande » initie les paragraphes deux c. Il implique ses auditeurs : il passe du « je » au
et trois. Des énumérations recensent ses qualités : « nous » (l. 15), puis au « vous » (l. 19) pour inter-
« l’éclat des idées, des causes, de la générosité » (l. 3). peler directement le rapporteur de la commission
Il attribue cette grandeur à l’entreprise courageuse qui des lois.
a consisté à abolir l’esclavage.
Méthodes | 293
La poésie
CHAPITRE 4
du Moyen Âge au xviiie siècle


Objectifs
Les Instructions officielles fixent deux objectifs principaux :
– poursuivre la sensibilisation des élèves aux forces d’émotion du poème ;
– contextualiser la lecture de la poésie, en donnant aux élèves des repères sur
son histoire, ses continuités, ses évolutions et ses ruptures, du Moyen Âge au
xviiie siècle.
Les Instructions officielles précisent que les « parcours construits par le profes-
seur ménagent une large place à la découverte des mouvements esthétiques,
artistiques et culturels avec lesquels la poésie entre en résonance. »
Le corpus attendu est le suivant :
– l’étude de textes rassemblés autour d’un thème ou d’une forme poétique,
entre le Moyen Âge et le xviiie siècle ;
– la lecture cursive d’au moins un recueil ou d’une section de recueil.
Des approches artistiques ou un groupement de textes complémentaires, par
exemple autour des mouvements de la fin’amor, de l’humanisme, de la Pléiade,
de la préciosité, du classicisme, pourront éclairer et enrichir le corpus.
Conformément aux programmes, chaque séquence est construite autour d’un
parcours chronologique qui embrasse tout l’empan chronologique de l’objet
d’étude. La séquence 13 aborde la poésie par le biais du rire et du sourire, la
séquence 14 s’interroge sur les « personnages mythologiques et symboliques »,
tandis que la séquence 15 traite du thème traditionnel des « temps de la vie ».
Les trois parcours sont enrichis par des prolongements artistiques et culturels.
Les groupements de textes approfondissent les problématiques des parcours.
Trois fiches de méthode développent les connaissances utiles dans le domaine
de la poésie et de la versification.
295
séquence ⁄‹
« Vivre en poésie » : rimeur… ou rimailleur !
OBJECTIFS ET PRÉSENTATION – soit s’appuyer sur le rapport entre écriture et chant

DE LA SÉQUENCE poétiques, à partir des connaissances acquises tout
au long du parcours et qui mettent en perspective
La séquence 13 se présente comme la première la dimension musicale du poème : sont ainsi jetées
séquence du manuel consacrée au genre poétique.
les bases d’une réflexion sur la particularité d’un
Si elle s’appuie sur les acquis et prérequis du collège,
genre qui ne se distingue de la musique qu’au cours
en prolongeant le développement de leur sensibilité
du xive siècle. Le prolongement artistique et culturel
au travail de la langue qu’impose la versification, elle
contribue à cerner cette dimension ;
propose d’emblée aux élèves d’être plongés dans la
– soit parcourir un corpus de textes complémentaires
contextualisation qui s’impose à la lecture de textes
qui souligne l’attachement du poète à sa condition
poétiques. Ainsi, le thème choisi, le « métier » de
si particulière que le parcours de lecture a mis en
poète, présenté suivant un parcours diachronique
évidence. Les dimensions comiques et satiriques du
mettant en perspective le regard du poète sur sa
regard du poète sont ainsi soulignées à partir de textes
propre vie et sur le monde qui l’entoure, permet
qui s’étendent de l’Antiquité à nos jours, conformé-
de montrer aux élèves la continuité et les ruptures
ment au nouveau programme du lycée : « peuvent
au sein du genre poétique quant aux conditions
s’ajouter des groupements de textes complémen-
de production d’un poème, à partir d’un axe qui se
taires, correspondant à des questions littéraires
dégage du corpus choisi : la légèreté et la distance
posées par les œuvres et parcours au programme, et
que le poète parvient établir avec les difficultés de son
qui gagnent à être approfondies par l’analyse d’ex-
choix de vie, de sa condition et de sa position sociale.
traits d’autres œuvres, à quelque époque qu’elles
Finalement, qu’est-ce que « vivre en poésie » ? Cet
appartiennent ».
axe conduit les élèves à percevoir les caractéristiques
des registres comiques et satiriques, aux fondements
de notre littérature, de Rutebeuf aux poètes classiques PAGES 304-311
du xviie siècle. Il permet ainsi d’entrer par le biais d’un
registre dominant pour en saisir ses caractéristiques
essentielles et se les approprier. Le parcours de lecture PARCOURS CHRONOLOGIQUE
constitué de manière chronologique, conformément
aux préconisations des nouveaux programmes de Chanteur de rimes,
seconde (« des parcours qui prennent la forme de
groupements de textes organisés de façon chrono-
drôle de métiers !
logique, pour les genres poétiques et la littérature
d’idées. »), a pour ambition de montrer le travail du PAGE 304
poète sur la langue, à la fois comme jeu formel et
témoignage d’une virtuosité dans l’usage des mots,
par exemple à travers la forme de la ballade en réac- ⁄ Rutebeuf,
La Griesche d’hyver, vers 1260
Objectifs
tion à la fin’amor chez Charles d’Orléans, ou dans ▶▶
l’usage habile des rimes équivoquées du poème de ■■ Entrer dans la séquence à partir d’un extrait de
Clément Marot dans sa requête financière, ou encore l’œuvre du poète considéré comme le premier trou-
dans le sonnet inachevé de Saint-Amant. badour à intégrer la dimension comique que peut
La séquence propose par ailleurs, pour compléter prendre l’écriture poétique, avec la distance du regard
ce parcours, un prolongement artistique et culturel qu’il a sur sa propre destinée.
(p. 312-313) et un groupement de textes complé- ■■ Souligner d’emblée la dimension musicale de l’écri-
mentaires (p. 314-316). L’élève pourra donc : ture poétique.
SÉQUENCE 13 « Vivre en poésie » : rimeur… ou rimailleur ! | 297

■■ Montrer les difficultés de la position sociale du Les élèves peuvent relever des éléments iconogra-
poète troubadour, loin du monde aristocratique de phiques liés à l’insouciance : les personnages lèvent
la fin’amor. leur coupe et témoignent ainsi d’une certaine joie de
1. ENTRER DANS LE TEXTE vivre qui doit être associée à l’absence de « venin ni
Le poète souligne les aléas de la vie de poète, en de fiel » du poème de Rutebeuf. Ils semblent attablés
fonction du cycle des saisons. Il compare sa situation dans une auberge, en écho à la taverne du poème de
à celles d’éléments de la nature (l’osier, l’arbre du Villon. Dans la chanson de Villon, l’idée de dépenser
verger, l’oiseau) et montre ainsi que l’activité poé- son bien à la taverne est illustrée de manière explicite.
tique, le chant (comme celui de l’oiseau) sont soumis Si Rutebeuf souligne la pauvreté de la condition du
au cycle naturel et qu’il doit donc naturellement subir poète, celle-ci ne vient-elle pas du fait qu’il a dépensé
la pauvreté associée à l’hiver, comme période durant ce qu’il avait acquis en chantant pendant l’été (« l’été
laquelle il ne peut que produire un chant plaintif. La je chante », v. 6) ? On pourra prolonger cette idée en
fin de l’extrait, en lien avec le titre du dit, semble mettant en lien l’ouverture des Fables de La Fontaine :
annoncer un dénuement complet, privilégiant la la cigale chante en été, pleine d’insouciance, et en
saison hivernale, malgré le chant estival qui a précédé, paie le prix en hiver. Sa situation de dénuement (« Se
comme si le destin s’abattait sur le poète. Enfin, dans trouva fort dépourvu/Quand la Bise fut venue », en
ce court extrait, le poète se défend d’être aigri par la lien avec la « Griesche d’hiver ») est un clin d’œil.
vie et de chanter sous l’effet de l’amertume ; il s’en Enfin, l’idée de fatalité, de destin de la vie du poète
amuse même en affirmant ne pas même posséder « ni comme étant écrit, sans que l’on puisse rien y changer
venin ni fiel » tellement son dénuement est complet. (« tout va son cours », v. 12 du texte 1 ; et « De toute
2. La manière dont le poète présente les tracas de son manière le profit ira, écoutez bien,/Tout aux tavernes
quotidien peut faire sourire : et aux filles », v. 13-14 du texte 2, à propos de la
– par l’usage de la référence à la mouche qui pique, vie des faiseurs de rimes en particulier) se fait écho
faisant du poète la victime d’un insecte plutôt gros- dans la représentation d’une scène où les personnages
sier, qui s’acharne sur lui, quelle que soit la saison ; semblent s’abandonner à leur joie sans préoccupation
– en jouant sur l’opposition marquée entre été/ de l’avenir.
hiver, mouche blanche/mouche noire, je chante/je
me lamente, qui aboutit finalement au dénuement PAGE 305
total (« il ne me reste rien sous le ciel ») ;
– par l’usage des hyperboles « au premier gel », « rien
sous le ciel » ;
– par l’usage de la comparaison de la vie du poète à
¤ F rançois Villon, « Ballade de bonne
doctrine, à ceux de mauvaise vie »,
1461
celle de plantes ou d’animaux : il ne semble pas plus ▶▶ Objectifs
armé que ces animaux et plantes pour faire face aux
■■ Percevoir comment le regard du poète propose
difficultés des changements de saison ;
une vision des vices de sa société avec le recul qui
– par l’ironie que l’expression du premier vers
exprime : « bien à point ». caractérise les registres satirique et didactique et la
La légèreté du chant qu’apportent le rythme régulier tonalité ironique.
■■ Comprendre le fonctionnement d’une forme fixe
et la forme courte des strophes contribue par ailleurs
à faire sourire, comme le veut la forme que Rutebeuf avec répétition (refrain dans la ballade) : effet musical/
propose pour la première fois dans notre littérature : dimension comique. On notera en particulier l’ironie
la complainte. de Villon que permet la forme interrogative du refrain
de la dernière strophe : la forme affirmative du refrain
de l’envoi confirme son aspect didactique.
HISTOIRE DES ARTS
■■ Montrer que la progression du poème, qui part d’ac-
▶▶Objectif tivités considérées comme condamnables vers celles

■■Souligner le lien entre la vie poétique et la légèreté considérées comme honnêtes, prend la dimension
du ton de la complainte de Rutebeuf et l’image d’une d’une critique sociale qui englobe la majorité de la
vie liée à la joie et la musique illustrée par la miniature population médiévale, et en particulier la paysannerie
et décrite dans le poème de Villon. décrite dans la 3e strophe.
298 | La poésie du Moyen Âge au xviiie siècle

■■ Montrer comment le poète s’intègre ici dans la vers 15 et 27 (« Écoutez bien », « portez »). Cette
société et fait référence à son activité poétique ; opposition dans l’utilisation des impératifs traduit
l’autodérision qui peut en découler (strophe 2). l’idée que, quelle que soit l’activité à laquelle se livrent
1. ENTRER DANS LE TEXTE les personnes interpellées (idée concessive des pre-
Le vers répété dans le texte « Tout aux tavernes et aux miers impératifs), elles devront se plier aux règles que
filles » montre que, selon le poète, la société médié- dénonce Villon (valeur didactique : conseil). Cette dis-
vale se livre à des plaisirs condamnés par la morale, tinction de la valeur modale de l’impératif montrera
en particulier la morale religieuse. aux élèves le lien avec le titre : il s’agit de donner des
règles de vie (doctrine) à ceux qui mènent une vie
2. La strophe 1 fait référence aux activités malhon-
condamnable (visée du texte). On fera ainsi remar-
nêtes et condamnables par la justice.
quer toute l’ambiguïté du poème et l’ironie de Villon,
La strophe 2 fait référence au monde de la jonglerie,
du jeu, du puy, du spectacle de rue. qui inclut de manière indirecte avec la 3e strophe les
La strophe 3 fait référence à la paysannerie, présentée activités de la paysannerie parmi les gens de mauvaise
comme honnête au regard des précédentes. vie : ne croient-ils pas être honnêtes ?
On fera remarquer aux élèves que les clercs sont habi- Cette dernière question permet de faire naître le
lement exclus de cette description de la population : débat parmi les élèves : l’ensemble des questions a
« Si tu n’as pas fait assez d’études » (v. 20). permis de proposer une lecture fine du texte et de
contextualiser la lecture. Certains se contenteront de
3. Le poète évoque son activité poétique au premier
souligner l’aspect immoral du message didactique,
vers de la deuxième strophe :
d’autres au contraire verront l’ironie qui sous-tend
« Rime, raille, joue des cymbales et de la flûte ».
cette ballade ou rappelleront le contexte d’une société
C’est précisément ce que fait Villon dans ce poème.
médiévale liée à la morale religieuse pointée du doigt
Il évoque ensuite des « sots déguisés sans vergogne »,
comme hypocrite par le poète. D’autres enfin sorti-
qui montrent toute l’autodérision présente dans cette
ront de ce contexte pour trouver dans cette ballade
strophe : Villon s’inclut dans la société qu’il décrit.
une leçon épicurienne, qu’il faudra amender afin d’évi-
4. Lexique ter les contresens.
Le vocabulaire péjoratif de la strophe témoigne de la
dimension critique du poème : les termes et expres- VERS LE BAC
sions « sots », « sans vergogne » et « joue des tours Cet exercice proposé en début de séquence permet
et trompe » montrent ici que le poète dénonce ces aux élèves de se familiariser avec l’étude linéaire,
activités. étape incontournable du commentaire et méthode
« butin », « profit » et « gain » sont les trois termes désormais proposée à l’oral.
à repérer. Chacun de ces termes est en lien avec – Du vers 1 au vers 8 (1re strophe) : la société hors-la-loi
l’activité (ce qu’il faudra faire remarquer aux élèves). – Du vers 9 au 16 (2e strophe) : la société des arts et
La place stratégique du mot au milieu du vers qui spectacles
précède le refrain permet d’introduire ce refrain : la – Du vers 17 au 24 (3e strophe) : la société paysanne,
fin de l’avant-dernier vers est ainsi introduite avec tout aussi concernée
ses variantes. Cette remarque permet de montrer – Du vers 25 au vers 28 : un conseil ironique
le jeu de la variété d’une strophe à l’autre, mise en
relief par la répétition du refrain qui suit. On pourra HISTOIRE DES ARTS
plus facilement alors interpréter le sens du poème
et l’idée de fatalité que cherche à dénoncer Villon
▶▶ Objectifs
(dimension didactique du poème). La forme fixe de
■■ Créer dans l’imaginaire des élèves des références
la ballade contribue ainsi à jouer avec la langue et à liées à la société médiévale et au contexte d’écriture :
délivrer de manière habile le message didactique et le jeu poétique, le monde de la jonglerie, les puys, etc.
■■ Initier les élèves à la notion de grotesque (appro-
satirique.
À l’accumulation des verbes à l’impératif des fondi dans d’autres textes de la séquence, en lien avec
strophes 2 (« Rime, raille, joue » ; « Fais », « joue » le mouvement baroque).
Monte » ; « Gagne ») et 3 (« Laboure, fauche » ; Le personnage est une créature monstrueuse et dif-
« Soigne et panse ») répondent les impératifs des forme, ce qui le rend ridicule. La partie inférieure,

qu’on ne peut identifier à l’anatomie d’aucun animal, ainsi son « cœur » de lui-même, ce qui lui permet de
et qui donne une allure d’autant plus monstrueuse créer une certaine distance avec ce qui représente
et ridicule au personnage, ne semble pas propice, au dans le moi du poète ses sentiments liés à l’amour, le
vu de la position et de la taille des pattes, au mou- cœur symbolisant ce sentiment. Il s’agit de montrer
vement. Les disproportions de la partie humaine – le les fondements de l’amour courtois, mis à mal ici.
cou à rallonge, tendu de manière disgracieuse, l’enver- Par ailleurs, la question doit permettre aux élèves de
gure des bras créant un faux équilibre – accentue cet cerner le personnage en tant que personnage en lien
aspect ridicule ; de même, les vêtements pendent de avec les comptes : une sorte d’expert-comptable de
manière étrange et la couleur verte attire l’œil sur l’amour. Cette perception peut s’appuyer sur l’analyse
cette étrangeté. On fera remarquer aux élèves qu’il du lexique.
s’agit de critères qui rejoignent le registre grotesque. 2. Lexique
Les gestes du personnage eux aussi le rendent si parti- « Amour » est un nom propre, car il est présenté lui
culier et le rapprochent du monde décrit dans la deu- aussi comme un personnage : la lecture de ce poème
xième strophe : la sonneuse des cloches qui rameute permet de saisir l’importance de la figure allégorique
la population pour les convier au spectacle de rue. dans les œuvres poétiques du Moyen Âge.
On peut aussi rapprocher l’image d’une racoleuse, en 3. Le poète au contraire s’étonne de l’absence de
écho au refrain du poème. « bénéfice » (v. 36). Son cœur lui révèle qu’Amour ne
Enfin, les cloches peuvent aussi sonner comme un lui a finalement rien rapporté : « Amour trompe les
avertissement : il y a lieu alors d’établir un parallèle gens » (v. 37). On pourra insister auprès des élèves
avec l’aspect didactique du poème et son refrain sur la distinction entre le cœur et Amour, qui n’est
qui se veut moralisateur. On fera alors attention au parfois pas évidente. Ainsi, les révélations du cœur
message délivré par la ballade. permettent au poète de blâmer Amour et donc l’acti-
vité poétique liée à l’amour courtois.
PAGE 306 4. Grammaire
Dans le refrain de l’envoi, ce n’est plus le cœur mais
‹ Charles d’Orléans,
« À l’heure des comptes », 1464
Objectifs
Amour le sujet/agent, ce qui fait en quelque sorte le
sel de ce poème : c’est bien Amour qui est coupable,
▶▶
mais le ton employé est ici mis en relief par ce jeu
Les textes 3 et 4 se font écho pour montrer comment sur le refrain. Cette remarque permet de montrer la
l’un des thèmes fondamentaux de l’écriture poétique, dimension comique et plaisante du poème.
l’amour, peut être traité avec légèreté et humour. Au 5. SYNTHÈSE
cœur de la poésie du Moyen Âge, l’amour devient Dans cette ballade, Charles d’Orléans nous propose
ici l’objet d’une critique mise en relief par le jeu de une vision de l’amour à contre-courant de la poésie
l’écriture poétique : la métaphore du bilan comptable courtoise du Moyen Âge. Le poète, dans sa maturité,
(texte 3) ou le jeu des rimes (texte 4) montrent la fait le bilan du service d’amour auquel il s’est livré (il
capacité des poètes à rire de ce si noble et riche sujet avait évoqué son entrée au « service d’amour » au
poétique qu’est l’amour. Les élèves peuvent ainsi début de sa vie de poète, quand il décide de se lancer
constater le recul que parvient à prendre le poète sur dans l’écriture poétique). Son regard distant, que lui
son activité. permet l’aliénation du cœur, l’invite à dresser un bilan
1. ENTRER DANS LE TEXTE négatif de son activité poétique, mais il l’évoque de
Le cœur du poète parle et agit. Certains passages manière allégorique, en s’amusant à déguiser ce rejet
du poème font état d’une véritable conversation du « service d’amour » sous le masque de l’argent et
entre le poète et le cœur (verbes de parole et dis- des comptes, et en filant par conséquent la méta-
cours indirect de la première strophe) ; le cœur par phore du « service » (emploi, activité poétique).
ailleurs se déplace, effectue des recherches dans Histoire des arts
« ses papiers », s’inquiète pour son interlocuteur (« Il Cette peintrue a pour objectif de montrer aux élèves
dit que trop de peine j’aurais », v. 27), lit et fait des l’héritage et les variantes du message allégorique qui
comptes (v. 28-31). On pourrait penser que le poète fonde la ballade de Charles : l’évaluation des bénéfices
se dédouble, dans une forme d’aliénation. Il distingue qu’apporte l’amour.

PAGE 307 Dossier personnel
› Alphonse Allais,
« Complainte amoureuse », 1883
Les élèves ont l’occasion ici de s’inspirer des quatre
premiers textes de la séquence pour exploiter la tona-
lité comique dans un travail d’écriture : il s’agit d’un
Les rimes du poème sont fondées sur les terminaisons écrit d’appropriation qui sert de bilan à ce moment
du passé simple de l’indicatif en « -is » et « -ûtes » du parcours chronologique.
puis sur celles de l’imparfait du subjonctif « -isse », Celui-ci prendra appui en particulier sur les textes 3
« ussiez » et « - assiez », alternant les personnes de et 4 pour traiter le thème imposé : l’amour qui fuit,
conjugaison « je » et « vous ». La répétition de ces comme l’enluminure semble l’illustrer.
terminaisons, peu en usage dans la langue courante, De l’image au texte, les élèves doivent montrer leur
ainsi que leurs sonorités particulières, donnent une capacité à interpréter les images : le personnage
dimension comique au poème, malgré la souffrance allégorique qui déploie ses ailes, l’homme qui chante
qu’il est censé exprimer. son amour, la dame qui s’enfuit... La situation finale,
2. Grammaire imposée par la phrase « C’est alors qu’elle s’enfuit ! »,
Le mode subjonctif ici utilisé exprime le regret dans le doit permettre aux élèves de respecter le ton léger et
passé. La tournure impersonnelle « Fallait-il » répétée comique de la production (une anecdote « drôle »). La
à trois reprises permet de l’introduire. Il s’agit de sou- syntaxe simple des phrases imposée par le sujet doit
ligner le regret qu’exprime le poète d’avoir rencontré aider les élèves à construire des étapes claires d’un
son interlocutrice (avec les conséquences de cette schéma narratif équilibré : l’absence de césure dans
rencontre), cause de sa souffrance actuelle. la bande illustrée pourra faire l’objet d’une remarque
3. Le dernier mot du poème est le verbe assassi- et d’un travail préparatoire pour isoler chaque scène.
ner au subjonctif imparfait : la sonorité du mot, sa On attirera l’attention des élèves sur le fait que les
graphie en font une sorte de conclusion à l’image du couleurs des vêtements changent, ce qui peut gêner
poème. En effet, il exprime l’idée de la souffrance à l’identification des personnages. Comment interpré-
son paroxysme (la mort du poète provoquée par la ter ce changement de couleur ? À débattre avec la
personne aimée) de manière particulièrement drôle. classe ! On insistera en particulier sur le personnage
On peut ici montrer aux élèves l’effet de pointe. allégorique (Amour avec ses ailes), sur la dimension
orale de la relation amoureuse (chant du troubadour)
4. À travers ce poème, la femme aimée apparaît
pour établir un bilan sur l’amour courtois et son trai-
comme cruelle, froide, méprisante, dure et peu à
tement comique.
l’écoute du poète : « Beauté féroce » (v. 2), « air froid »
(v. 5), « cruauté » (v. 8), « dureté » (v. 12), « dédain »
(v. 9). Les élèves pourront ici établir une passerelle PAGE 308
avec l’idée de la soumission à la domina (la dame
étymologiquement, la maîtresse) de l’amour cour-
tois, définie à la page précédente avec le poème de ∞ Clément Marot,
« Petite épître au Roi », 1518
Charles d’Orléans.
5. SYNTHÈSE
Le récit de la rencontre amoureuse, ses conséquences,
§
▶▶
Pernette du Guillet,
« À un sot rimeur », 1545
Objectifs
les regrets qui s’ensuivent : tout participe à exprimer ■■ S’inscrivant dans la progression de la séquence, les
les malheurs que provoque la rencontre amoureuse, trois extraits de poème rassemblés sur ces deux pages
mais le jeu de la versification et de la rime en parti- doivent permettre aux élèves de cerner ce que peut
culier, qui conduit le poète à utiliser des formes ver- représenter de manière pragmatique le « métier » de
bales étranges à l’oreille, transforme cette complainte poète, artiste et artisan du langage, dont le salaire
d’amour en jeu poétique. La pointe en particulier met dépend de la générosité du seigneur bienfaiteur.
en relief cet effet comique. ■■ Ainsi, les textes 5 et 6 témoignent de la virtuosité
de ces techniciens de la langue, mais ils rappellent

par la même occasion les difficultés qu’éprouvent ces
virtuoses pour vivre de leur art. Dépendant d’un bien-

faiteur issu de l’aristocratie, ils doivent être en mesure lien entre l’action de rimer (v. 17 : 3 verbes différents)
de louer ces seigneurs protecteurs et de montrer leur et ce qu’elle rapporte.
« polyvalence professionnelle » en maîtrisant diffé-
rents genres s’ils veulent tirer au mieux profit de leurs
Deux axes sont proposés, qui permettent aux élèves
compositions – ce dont ne se sent pas capable Paul
de prendre en compte la nécessité de bien distinguer
Scarron dans le texte 7.
les éléments à relever. On pourra par ailleurs lier les
1. ENTRER DANS LE TEXTE axes dans un projet de lecture qui soulignera le lien
Les élèves doivent dès cette première question cerner entre les deux axes : le comique au service de la visée
ce qui sous-tend ce poème : Clément Marot s’adresse du texte et sa dimension argumentative.
au roi pour lui demander un soutien financier, en tant
EXEMPLE DE PLAN
que protecteur des arts, et des poètes en particulier,
le souverain étant lui-même « rimeur ». 1. Un poème qui formule une requête
2. Cette question conduit les élèves à cerner le jeu des a) les caractéristiques du texte argumentatif
rimes équivoquées. Ils peuvent par ailleurs remarquer – présentation du schéma argumentatif
le jeu lexical effectué sur le mot « rime », en lien avec Une situation à plaindre : pauvreté du poète et
l’activité de poète : faiseur de « rimes ». Les deux pre- concurrence à laquelle il doit faire face (captatio).
mières questions permettent d’aborder le thème de la Comparaison avec situation bien plus enviable du roi,
technique : l’écriture poétique relève-t-elle seulement avec éloge sous-jacent. Nécessité de se livrer à cette
d’une maîtrise technique, en lien avec le thème de la activité, qui doit être son seul plaisir. Requête en appe-
séquence et la formulation « drôle de métier » ? lant la générosité du roi au regard du travail fourni
Le jeu lexical de la dérivation, sur lequel s’appuient par la rime. Généralisation à partir de son exemple :
les textes 5 et 6, est ici relevé par les élèves. Ils per- leçon au service de la poésie. ➞ Le roi a tout intérêt
çoivent d’une part toute la richesse de la langue et à donner une suite favorable à sa requête.
voient ainsi le technicien en exercice, et d’autre part – les connecteurs logiques, témoins d’une démons-
constatent la licence poétique qu’illustrent les néolo- tration : « car » (2 occurrences), « si » (ainsi), « afin
gismes permis dans un contexte très particulier : celui qu’ », « tant qu’ »
de l’instauration d’une langue officielle, enjeu majeur b) un autoportrait qui déclenche la pitié (dimension
des réflexions littéraires au sein de la Brigade puis de pathétique) avec lexique de la pauvreté
la Pléiade, au cœur du xvie siècle. c) une activité dure et intense (répétition des mots
3. Grammaire construits sur le mot rime), dont le poème sert d’illus-
Noms : rimeur/rimailleur/rimaille/rimette/rimaillerie/ tration : le poète prouve ses compétences par l’écri-
rimasse. Verbes : rimer/rimasser/rimacher/rimonner ture de ce poème
La répétition des sons de la racine du mot crée un effet 2. Un poète qui s’amuse et se moque de lui-
comique (comique de mots), ce qui rend le poème même pour déclencher l’empathie
plus efficace dans le cadre de la requête qu’il formule a) les rimes équivoquées et le jeu sur le sens
(dimension argumentative) ; on perçoit par ailleurs jeu lexical de la dérivation qui donnent une vision à la
une certaine virtuosité dans le maniement des mots fois péjorative et drôle de l’activité poétique.
(là encore, dimension argumentative : le poète fait b) du pathétique au comique : un regard sur soi peu
montre de son savoir-faire ; enfin, cette répétition glorieux (« rimailleur »), image du gueux industrieux
permet d’insister sur l’activité du poète, donnant et vagabond ; exagération et grossissement du trait,
l’impression qu’il ne peut se soustraire à cette acti- hyperboles, intensifs.
vité, qui pour lui est son seul moyen de subsister : cet
effet sert là aussi le sens du poème). PAGE 309
4. SYNTHÈSE
Le travail de la rime permet au poète de vivre et de se
nourrir (v. 10-11) ; il se dit pauvre (v. 8) et seule son
activité de « rimeur », déclinée sous des appellations
‡ Paul Scarron,
« À Monsieur du Pin », 1665
diverses (péjoratives ou mélioratives), lui rapporte des Le titre est « Ode burlesque ». L’adjectif signale
biens : on relèvera en particulier les trois derniers vers d’emblée le registre dans lequel s’inscrit le poème.
qui sonnent comme une épitaphe et qui soulignent le Les notions de ton et de registre, liées à l’effet que

provoque le texte sur son lecteur, sont par cette mettre le don attendu en échange. La recherche des
question soulevées et conduisent les élèves à revoir élèves doit les conduire à trouver dans l’antonomase
le sens du mot « burlesque ». On l’associera au registre « mécène » l’idée de propagande d’un côté et de pro-
comique, pour montrer l’intention de l’auteur d’aver- tection de l’autre. On soulignera l’aspect culturel et
tir son lecteur : sa requête financière indirectement artistique lié à la notion de mécénat à travers l’objet
adressée au roi emprunte la voie de l’humour. qui permet l’échange de don : le livre. Quelques détails
2. Au vers 7 et 8, le poète rappelle à son interlocuteur, mettent en relief par ailleurs l’intérêt du maître des
Monsieur du Pin, qu’il est difficile, pour un homme lieux pour la culture et les arts (objets au fond dont
dans une situation financière telle qu’il est sur le point manuscrit, finesse des vêtements, ports élégants…).
de mendier, de se moquer des autres. Cette question
permet d’évoquer l’un des principes de la comédie PAGE 310
classique : se moquer des vices de la société, en par-
ticulier à travers l’œuvre de Molière.
3. « Notre Roi » (v. 9), « sa Majesté » (v. 3) et « Grand
Roi » (v. 15) ; il cherche à obtenir « Quelque bienfait
8 Saint-Amant,
« Fagoté plaisamment… », 1629
▶▶ Objectifs
considérable » (v. 14) ; le roi, présenté comme un Le sonnet de Saint-Amant permet de compléter ce

valeureux guerrier (comparaison avec Achille), a parcours de lecture sur le métier de poète en dres-
le pouvoir de changer la triste situation (« pauvre sant une image de l’activité poétique s’inscrivant
Diable ») dans laquelle se trouve le poète : il lui suf- dans l’esthétique baroque. Le poète se présente dans
firait d’un petit geste (associé à l’aumône donnée au l’acte même de création, de production. Il compose
mendiant avec l’évocation de l’action de mendier) un sonnet, forme fixe par excellence, qui impose
pour transformer de manière considérable (« res- des règles précises sous une forme condensée. Ces
susciter la joie ») cette situation présentée comme contraintes sont ainsi vécues avec difficulté par l’arti-
pathétique. Cela ne coûterait rien au roi, mais cela san du langage. C’est pourquoi se dégage de ce poème
apporterait beaucoup au poète (v. 15-16). le poncif qui habite l’esprit baroque : une volonté de
4. SYNTHÈSE se libérer du joug des contraintes et des difficultés que
Le poète est ici présenté comme un homme dont la représente le travail poétique de la langue. Les élèves
fortune dépend du seigneur bienfaiteur et de son bon perçoivent toute la fantaisie qui habite le propos et
vouloir. C’est sa pauvreté qui est mise en avant, au entendent l’appel à la liberté que lance Saint-Amant.
point qu’il ne peut même plus se moquer des autres. Le poète rejette le caractère industrieux de l’activité
Les louanges adressées au roi sont un moyen de trans- poétique évoqué dans des poèmes précédents. Il
mettre sa requête. s’amuse, et par le biais d’une sorte d’insolence, son
invitation finale à achever le poème implique tout
HISTOIRE DES ARTS
autant le lecteur du xviie siècle que l’élève du xxie siècle.
Cette enluminure de manuscrit, qui représente une
Le poète compose un sonnet. Il est dans son grenier.
scène de présentation d’œuvre à une époque très
proche de celle de Pernette du Guillet et de Clément 2. Grammaire
Marot, illustre les pratiques que suivent les écrivains Les verbes sont conjugués au présent de l’indica-
de la période. Les tenues vestimentaires, le cadre et tif. C’est un présent d’énonciation, qui représente
les éléments de décor, très riches, inscrivent la scène le moment où il parle, donc en plein acte de com-
dans le milieu aristocratique. Les élèves font ainsi le position. Le lecteur a ainsi l’impression de vivre
lien avec la dimension financière que revêt le système l’expérience au plus près. Il suit de cette manière les
du mécénat. Par ailleurs, à la dimension financière fantaisies du poète et perçoit ses difficultés.
s’ajoute la dimension sociale et politique. Le person- 3. Le poète semble plongé dans un monde de rêverie
nage qui représente le seigneur, isolé sur le lit riche- et de fantaisie ; ce monde se manifeste à travers les
ment paré, domine la scène par sa position, tandis que références à des animaux exotiques ou imaginaires
l’auteur du livre révèle sa dépendance par sa position (« Simonnet », v. 1 ; « sansonnet », v. 5, « coqueci-
symétrique agenouillée, en position de soumission grues », v. 9), mais se révèle par ailleurs une forme de
et d’attente. Au centre se trouve l’objet qui doit per- folie à travers l’évocation d’un accoutrement loufoque

et débraillé et une position sans cesse en déséqui- possibilités beaucoup plus larges : le sonnet de Saint-
libre (« Pied chaussé l’autre nu, main au nez, l’autre Amant, le surréalisme
en poche » », v. 2 ; « le saut du sansonnet », v. 5 ; « à 3. Des contraintes mêmes dans la liberté la plus
cheval », v. 9). grande
4. SYNTHÈSE a) Vers libres, prose poétique et poèmes en prose ne
Le poète joue avec son lecteur en dressant un por- signifient pas écrire ce que l’on veut : les images, la
trait de lui-même ridicule et loufoque, en qualifiant musicalité
sa production de « sonnet grotesque » ainsi qu’en b) Même dans les formes les plus libres, il existe des
l’interpellant (« Nargue », v. 11) et en l’invitant de contraintes. Ex. : le cadavre exquis, des règles malgré
manière légère et quelque peu insolente à achever tout
lui-même son sonnet.
VERS LE BAC. Dissertation HISTOIRE DES ARTS
Dans une séquence construite à partir d’un parcours Saint-Amant qualifie son poème de « grotesque »
de lecture, le sujet de dissertation ne peut porter que (v. 8). Les élèves sont invités à chercher la définition du
sur une œuvre intégrale. Mais le travail de réflexion mot. L’objectif principal de cette activité réside ainsi
et la méthodologie restent très proches d’autant que dans la maîtrise de ce ton/registre/genre à partir d’un
le sujet s’appuie sur la citation d’un vers d’un poème support iconographique contemporain de l’époque du
que les élèves auront étudié au préalable. La lecture du poème de Saint-Amant, dans l’étendue chronologique
sujet doit donc prendre en considération le contexte du programme. Le grotesque, bien souvent associé à
de la citation : l’esthétique baroque. Le sujet, de type l’esthétique romantique, trouve pourtant son origine
dialectique (on renverra l’élève à la fiche 40 p. 440 : au xvie siècle lors des découvertes archéologiques
De l’analyse du sujet au plan de dissertation), conduit de la Renaissance. Il s’agit de dessins, peintures ou
l’élève à confronter ou à rapprocher deux conceptions
sculptures représentant des formes, des personnages
de la création poétique : le travail de la langue comme
bizarres, qui prêtent à rire par leur côté invraisem-
activité industrieuse, pénible, difficile (« ronger ses
blable, excentrique ou extravagant ; le terme fait
ongles »), mais aussi comme moment de rêverie et
ensuite son entrée dans le vocabulaire littéraire pour
de fantaisie. L’intérêt ici est de montrer que l’un et
évoquer un style bouffon, caricatural, cocasse, comme
l’autre, dans la syntaxe de la phrase, ne s’opposent
le montrent les propos du poète qualifiant son sonnet
pas. Leur juxtaposition rend le rapport logique impli-
de grotesque. C’est bien ce lien entre représentation
cite et permet donc l’ouverture après le traditionnel
iconographique et expression littéraire que peuvent
OUI/NON dialectique.
percevoir les élèves en relevant tous les détails qui
PLAN POSSIBLE font des personnages représentés sur l’aquarelle des
1. Composer un poème, c’est « ronger ses personnages grotesques : tailles disproportionnées,
ongles » visage déformé, nez allongés ridicules, accessoires et
a) Par définition, la poésie est une activité d’écriture tenues excentriques et extravagantes, costumes liés
liée à des contraintes : la forme versifiée (ballade, certainement au monde du théâtre.
sonnet…)
b) C’est la contrainte qui donne de la valeur à la PAGE 311
création : technique et maîtrise nécessitent labeur
et travail Dossier personnel
c) La poésie est aussi une activité professionnelle :
elle ne doit pas être associée nécessairement au loisir, Activité 1
mais est un moyen de subsister ; le parcours de lecture Les élèves sont invités à revenir sur la notion de rimes
le montre équivoquées. La 1re étape leur permet de vérifier s’ils
2. Composer un poème, c’est « rêver » en ont bien saisi les caractéristiques, en isolant les
a) Historiquement : les Muses/l’inspiration, communi- deux couples de rimes non équivoquées : v. 15-16
cation avec un ailleurs, privilège du poète (=> Histoire chez Clément Marot et v. 7-8 chez Pernette du Guillet
des arts p. 324) (textes 5 et 6 p. 308). Puis la seconde étape les conduit
b) Le rêve efface les frontières du réel et donne des à faire des choix personnels à partir d’un travail de

recherche, qu’ils seront susceptibles de justifier à Il soulève chaque caillou pour voir ce qu’il y a en
l’épreuve orale du bac. dessous » et « Je suis parmi tant d’autres un simple
Activité 2 chercheur de phases/Je retourne toutes les phrases
Cette activité orale entre pleinement dans les recom- en secouant mon esprit/Je traque la moindre rime
mandations des nouveaux programmes. Les deux et j’en rêve même la nuit/ Je soulève chaque syllabe
textes se prêtent particulièrement au travail sonore pour voir ce qu’il y a en dessous ».
que constitue la lecture d’un poème : rimes équivo- Le slammeur se compare à un chercheur d’or à la
quées et répétition du mot rime conduisent les élèves recherche de pépites : on attend donc des élèves qu’ils
à jouer sur les sonorités et à les associer au sens. relèvent différents éléments évoqués dans l’analogie.
Les idées principales du slam mettent ainsi en évi-
Activité 3
dence la notion de travail, sa dimension laborieuse,
Il s’agit d’épitaphes, courts textes qui figurent sur
mais aussi ce besoin de rechercher des mots, de les
les monuments funéraires pour présenter, évoquer, ausculter, de les travailler, comme un matériau, afin
caractériser la vie du défunt. Ces textes s’adressent de composer une œuvre en « or » – le poème. Les
en général au passant. Ici, il s’agit des épitaphes du textes 5, 6 p. 308 et 8 p. 310 sont ainsi convoqués.
« feu évêque d’Orléans » (texte 1 v. 2) et de Jean Serre Les élèves peuvent aussi trouver des références aux
(texte 2 v. 2) tirées de L’Adolescence Clémentine (6e et quatre textes du corpus de textes complémentaires
10e épitaphe de la section « Épitaphes »). Le premier (p. 314-317) qui mettent en évidence l’idée que le
est un certain Jehan Lévêque qui est en réalité un poète ne peut s’empêcher de se livrer à son activité
moine paillard. Le second est surnommé « le fou de poétique (« Être poète coûte que coûte ! ») : cette idée
Notre-Dame ». Ce dernier est qualifié de « gentil se retrouve dans le slam de Grand Corps Malade.
fallot », ce qui donne de lui une image ridicule. La 2e étape conduit l’élève à développer ses propres
L’activité proposée permet de montrer le traitement compétences d’écriture à travers un exercice contrai-
comique d’événements sombres proposés par le gnant : il doit veiller à ne pas dépasser les 142 carac-
poète, puisque ces deux très courts poèmes évoquent tères du tweet ; il doit par ailleurs trouver un système
la mort de personnages historiques ; cette dimension analogique (comparaison), à partir d’un travail d’ac-
comique s’appuie sur le travail de la langue et le sens tualisation en se référant à une activité laborieuse,
de mots, à travers les jeux des mots et rimes équi- qui nécessite de la recherche, de la précision et de
voquées. Les élèves perçoivent ainsi la distance que l’observation, voire de la manipulation. Ces caracté-
parvient à prendre le poète face aux peines et aux ristiques pourront être présentées en classe lors d’une
difficultés du quotidien. introduction du travail.
Dans un travail d’appropriation, les élèves sont
amenés ensuite à travailler eux-mêmes sur les PAGES 312-313
sonorités et la versification, en adoptant le registre
comique, à partir de leur propre connaissance. On
pourra les accompagner en trouvant des exemples PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS
de noms illustres qui pourraient permettre de créer
des rimes équivoquées : François Mitterrand/mythe
ou mite errant ; Rousseau/roux sot, etc. L’énoncé « qui
La destinée d’un poète,
ne soit pas une personnalité contemporaine » permet le mythe d’Orphée
d’éviter des références actuelles, en particulier poli- ▶▶Objectifs
tiques, mais pas seulement.
Ce prolongement se situe à cheval entre les par-
Activité 4 cours de lecture et le groupement de textes complé-
Il s’agit dans cette activité d’actualiser aux yeux de mentaires. Dans l’esprit des nouveaux programmes
l’élève le travail de la langue effectué par le poète. (Objectifs « construire une culture littéraire commune,
On pourra s’appuyer sur les vers suivants du slam de ouverte sur les autres arts »), il permet de familiariser
Grand Corps Malade. les élèves avec la figure orphique, que le monde poé-
« Il est parmi tant d’autres un simple chercheur d’or/ tique considère à l’origine de la poésie, et de leur faire
Il retourne toutes les rivières en secouant son tamis/ prendre conscience de la diffusion non seulement
Il traque la moindre lueur, il en rêve même la nuit/ à travers le temps, mais aussi à travers différentes

formes artistiques, des grands mythes littéraires et tion syntaxique de l’expression de la conséquence
culturels hérités de l’Antiquité. avec l’intensif « si » (« si suave que… et que… ») ;
Ainsi, les textes du document 3 exposent aux élèves – la mosaïque et le tableau de Boucher jouent tous
les sources littéraires antiques parmi les plus célèbres deux sur l’organisation et le cadrage (voir Fiche 36,
de la narration du mythe (dont le poème de Boèce, p. 426, L’étude de l’image) : le personnage d’Orphée se
auteur incontournable durant la période médiévale situe au centre de l’image et les animaux sont placés
et certainement vecteur fondamental de la diffusion en bordure de l’image et en cercle autour du person-
du mythe) ; les œuvres iconographiques (document 1 nage central ; leurs regards convergent vers Orphée
et 4) datant du xviie siècle s’inscrivent quant à elles et ils paraissent tournés vers celui-ci, qui est assis sur
dans l’étendue chronologique du programme et per- une sorte de podium (siège ou rocher) lui permettant
mettent aux élèves de percevoir le continuel échange de dominer les autres personnages représentés. Ces
d’un support artistique à l’autre. Le document 2 éléments soulignent le pouvoir du poète sur la nature
constitue enfin un support didactique et scientifique et le monde qui l’entoure.
qui permet de montrer aux élèves quelle perception
3. Dans le document 1, les représentations icono-
de la figure orphique s’est finalement constituée à
graphiques donnent à voir un personnage central
l’époque contemporaine et permet ainsi d’actualiser
en mouvement vertical, le regard ou le visage entier
dans l’esprit des élèves ce mythe antique fondamen-
tal. Les questionnaires des deux pages sont orientés tourné vers le ciel, et qui semble ainsi s’élever vers le
dans ce sens : mettre en évidence les passerelles géné- ciel. Dans le tableau de Nicolas Boucher, les effets de
riques (d’un art à un autre) et diachroniques de la lumière et de contraste soulignent cette communi-
diffusion du mythe. cation avec le divin, symbolisant l’inspiration venue
C’est la fatalité du destin d’Orphée qui constitue des dieux et conférant un caractère divin au poète.
le lien avec le thème de cette séquence sur la vie ORAL
du poète. Son activité poétique comporte en effet Le sujet du débat permet aux élèves de rendre expli-
difficultés et dangers, mais elle n’est pas un choix : cite le lien entre le prolongement artistique et culturel
le poète est poète malgré lui, malgré les malheurs et le thème de la séquence. On attend des élèves qu’ils
auxquels il s’expose. Son talent lui donne le pouvoir confrontent leurs opinions autour de la pratique de
de plaire et de charmer (le bienfaiteur pour les poètes l’écriture poétique, comme à la fois source de peines
de la séquence/les créatures des enfers pour le mythe) et plaisirs, de biens matériels et de besoins, mais aussi
sans pour autant lui permettre de mener une vie pai- comme nécessité ou simple loisir. On pourra, pour
sible et heureuse.
les encourager dans leurs réflexions et la production
Une autre caractéristique du mythe mise en relief
d’idées, évoquer des situations qui pourraient les
dans ce prolongement artistique et culturel permet
conduire à composer eux-mêmes un poème (histoire
de contribuer et de compléter les connaissances des
d’amour, message de requête ou récit d’une anecdote
élèves sur le genre poétique selon les préconisa-
sur le journal du lycée…).
tions du programme : l’association entre d’une part
le pouvoir d’Orphée sur le monde qui l’entoure et
d’autre part la musicalité de la poésie, à travers la pro- PAGE 313
duction naturelle (la voix) et artificielle (l’instrument). 1. Les trois documents appartiennent à des époques
Cette double dimension de la création poétique fait différentes afin de mettre en évidence la transmis-
l’objet par ailleurs d’une mise au point dans la suite sion du mythe d’une époque à une autre. Les élèves
de la séquence page 321. naviguent ainsi entre les époques et le type de support,
1. On peut relever trois types d’éléments à la fois de l’Antiquité virgilienne au xviie siècle de Rubens, en
représentés sur les documents iconographiques passant par la période de transition entre Antiquité et
(doc. 1) et dans le texte de Grimal (doc. 2) : les Moyen Âge que constitue l’époque de Boèce.
animaux, l’arbre et la cithare ou la lyre. 2. Cette confrontation de deux sources littéraires du
2. Le pouvoir du poète se traduit de différente manière mythe est l’occasion pour les élèves d’approfondir et
selon les documents : consolider leurs connaissances culturelles et de cerner
– le texte de Grimal recourt à des effets stylistiques, similitudes et différences dans le travail de réécriture
notamment l’hyperbole, qui s’appuie sur la construc- qui permet la transmission du mythe.

Personnages communs aux deux textes : Cerbère au tions que les élèves ont pu relever dans leur travail
triple mufle/le gardien aux trois têtes ; Ixion (et sa de recherche.
roue) ; les pâles Euménides/les déesses vengeresses Le premier travail d’écriture donne à l’élève l’occasion
(on notera que les serpents homicides ne sont pas des de mieux cerner les exigences du travail de réécri-
personnages à part entière, mais qu’ils composent la ture et de transmission d’un mythe en respectant les
coiffure des Euménides). caractéristiques d’écriture d’un registre et d’un genre
Personnages présents dans un seul récit : Éole chez identifiés qu’il a déjà rencontrés dans son parcours
Virgile ; Tantale, Tityos et Hadès ou Pluton (« le juge scolaire (la poésie lyrique), différent de celui de la
des ombres ») chez Boèce. séquence : il voit ainsi qu’un genre n’est pas limité à
3. Le pouvoir d’Orphée est mis en relief dans ces un registre. Il fixe le lien entre le mythe d’Orphée et
deux récits à l’aide des réseaux lexicaux d’une part : la notion de lyrisme, lien que la séquence suivante
la suspension de tout mouvement, de toute activité du manuel (séquence 14, p. 324-343) permettra de
pourtant célébrée pour son caractère éternel, l’im- consolider.
mobilisme ; d’autre part par l’usage de la négation Le second travail d’écriture s’inscrit dans le prolon-
qu’on retrouve dans les deux récits : « ne… plus » (v. 7 gement du débat oral proposé à la page précédente
chez Virgile, et v. 7 et 11 chez Boèce), donnant une (Oral, p. 312), comme bilan de ce prolongement :
dimension temporelle à cette négation, en lien avec le passage à l’écrit doit s’appuyer sur les opinions
l’idée d’un temps qui s’arrête ; enfin, en évoquant un exposées par la classe dans le débat oral en les orga-
Orphée victorieux (« vainqueur du noir trépas », v. 8 nisant et en se les appropriant. La forme de l’article
chez Boèce ; et « Nous sommes vaincus dit/Le juge permet de varier le type de productions au long de
des ombres », v. 12-13 chez Boèce). la séquence.
4. Il s’agit ici de l’histoire d’Orphée et d’Eurydice,
dont l’un des épisodes a été exposé aux élèves dans PAGES 314-317
le document 3 (les enfers). Des éléments du tableau
symbolisant les enfers et évoqués dans les récits du
document 3 le prouvent et permettent de guider GROUPEMENTS DE TEXTES COMPLÉMENTAIRES
les élèves : le couple de dieux Hadès et Perséphone
(Pluton et Proserpine) ainsi que le chien à trois têtes « Être poète, coûte que
gardien des enfers Cerbère.
Ils peuvent s’appuyer par ailleurs sur l’encart qu’ils ont
coûte ! »
lu à la page précédente du prolongement (« Orphée
En complément du parcours de lecture, le corpus de
aux enfers »). Le dossier personnel viendra compléter
textes ici proposé permet de focaliser l’attention des
cette découverte du mythe.
élèves sur l’un des moteurs de la création poétique
Dossier personnel exprimée par les poètes eux-mêmes : cette néces-
sité d’écrire et de « vivre en poésie », expression qui
Le travail de recherches doit permettre aux élèves de constitue le titre de la séquence. Les élèves auront
consolider les connaissances acquises dans le prolon- pu voir à travers le parcours de lecture ce qu’était la
gement artistique et culturel ici proposé. Il s’appuie vie d’un poète, ses compétences dans la maîtrise de
sur les deux épisodes les plus célèbres associés à la la matière verbale et sa possible musicalité, les tracas
figure orphique et les conduit à découvrir le travail et les difficultés qu’il rencontre au quotidien dans son
d’interprétation de ces épisodes du mythe : après activité, le travail et la dépendance qu’elle imposait,
avoir eu l’autorisation de ramener dans le monde des les conditions matérielles d’un tel choix de vie. Ils
vivants Eurydice, Orphée se retourne pour la regarder ont perçu en même temps la distance que les poètes
malgré l’interdiction et perd ainsi définitivement sa étaient en mesure de garder avec cette situation, en
bien-aimée ; son corps est ensuite déchiqueté par les soi peu digne d’envie, à travers le registre comique
Furies jalouses, en proie à la folie face à la fidélité commun à chacun des textes du parcours. C’est à
d’Orphée, et sa tête, qui flottait au bord de l’eau, partir d’un registre aux effets similaires que ce corpus
est finalement récupérée par les Muses. On pourra est constitué – registre qu’on pourrait inclure dans le
confronter en classe les très nombreuses interpréta- registre comique, et qui s’appuie sur les mêmes qua-

lités de mise à distance et d’observation : le registre portrait terriblement moqueur de cet homme prêt à
satirique (voir les pages 320-321 sur l’histoire litté- mourir tant qu’il demeure poète. Les élèves prennent
raire et artistique). Déjà présent dans le texte 2 du ainsi conscience dans cette entrée en matière de la
parcours, il est ici pleinement illustré dans les textes 1, verve qui caractérise le genre satirique et de la dis-
2 et 3 de ce corpus. Quant au texte 4 qui conclut la tance nécessaire qu’il réclame : Horace n’est-il pas
séquence, il donne un écho contemporain par la voix lui-même cet homme furieux qui attaque sans répit
d’une poétesse très active de nos jours dans la promo- et ne laisse sa proie qu’une fois « gorgé de sang » ? Les
tion de la création poétique et musicale : pétillant et élèves perçoivent ainsi toute la dimension polémique
plein de légèreté, il évoque la nécessité de conserver de la satire.
cette joie de vivre que permet l’écriture poétique, 1. ENTRER DANS LE TEXTE
même dans le moment le plus craint de notre exis- Si l’extrait évoque au premier abord « le malheureux
tence : la représentation de sa propre mort. Ce texte en proie à la jaunisse et à la gale » (l. 1), c’est pour
bilan donne à voir aux yeux des élèves l’image d’un introduire par un système comparatif l’activité poé-
genre littéraire léger et plaisant, souvent perçu par tique et le poète qualifié d’« insensé » (l. 2).
ceux-ci comme complexe, lointain et inaccessible.
2. Le poète est « redouté » et « évité » par le sage
(l. 1-2), « tourmenté » et « poursuivi » par les enfants
PAGE 314 (l. 3), puis fui par les « ignorants et les savants »
(l. 18-19). Est ainsi soulignée la place du poète dans
⁄ Horace, Art poétique,
ier siècle avant J.-C.
Objectif
la société : un homme étrange, marginal, sujet aux
moqueries, et rendu furieux par son activité, à l’op-
▶▶
posé de la sagesse et de la modération, mais aussi
Ce premier texte du corpus permet d’entrer dans le tenu à l’écart des « savants et ignorants » : isolé dans
thème de la séquence par la voix d’Horace qui a eu sa quête.
une influence considérable sur les poètes de l’éten-
3. Le poète est comparé à un ours (l. 17) puis à une
due chronologique du programme. L’Épître aux Pisons,
sangsue.
appelée plus communément Art poétique, demeure,
La première comparaison souligne son agressivité,
dans l’esprit de la Renaissance et du xviie siècle, le
l’intensité de sa fureur et le danger qu’elle peut
modèle à suivre.
représenter pour le monde qui l’entoure ; la seconde
Cette œuvre métapoétique, composée en vers (même
montre sa persévérance et sa détermination furieuse
si ici elle est traduite en prose), a par la suite été imitée
à attaquer autrui jusqu’à s’en débarrasser.
par les théoriciens et poètes français qui établirent
les grands principes des mouvements littéraires et 4. Lexique
culturels de cette époque : si c’est en prose que Du Champ lexical de « forcené »
Bellay, avec la Pléiade (voir p. 361, « la Pléiade et Les élèves peuvent, après avoir cherché la définition
l’imitation »), reprend les idées du poète latin dans du mot, classer les termes et expressions relevés selon
sa Défense (1549), l’Art poétique (1671) de Nicolas les valeurs sémantiques portées par ce mot :
Boileau est cette fois composée en vers à la manière – la folie : « fureurs fanatiques » et « insensé » (l. 1),
de l’œuvre d’Horace. Et Verlaine, deux siècles plus « fou » (l. 17) ;
tard, s’en souviendra en nommant « Art poétique » – l’absence de mesure et l’exagération : « hurle » et
l’un des poèmes qui lui permet d’illustrer les principes « s’égosille » (l. 4) ;
esthétiques prônés par le mouvement symboliste en – la détermination : « s’acharne » (l. 14), « s’agrippe »
train de naître. Les élèves découvrent ainsi l’héritage (l. 19).
sur lequel s’appuient les poètes de notre histoire 5. Grammaire
littéraire. Le futur, identifié par les élèves, est employé pour
Mais au-delà du didactisme esthétique qui habite évoquer une action qu’Horace veut montrer comme
l’œuvre et qui décrit, dans ces derniers vers de l’œuvre, inévitable. Cet emploi permet de donner un carac-
la folie ou plutôt la fureur du poète, c’est à travers le tère certain aux propos qu’il tient dans ce portrait :
regard satirique d’Horace que les élèves sont invités il met en évidence d’une part la détermination du
à entrer dans la séquence : le poète latin, considéré poète, d’autre part l’impossibilité pour les autres de
comme le père de la satire, s’amuse et dresse un le détourner de son activité.
6. SYNTHÈSE TICE
Il s’agit ici de montrer aux élèves que ces vers consti- Les élèves sont invités par cette activité à retrou-
tuent la conclusion de l’œuvre et de montrer ainsi ver d’eux-mêmes différents mythes et allégories
que le ton satirique a pour visée de faire réfléchir et dont l’interprétation rejoint celle de la « légende
de prévenir ses destinataires : les frères Pison, qui d’Empédocle » et rappelle le comportement du
veulent être poètes. Après avoir érigé des règles et poète décrit par Horace : Icare, la boîte de Pandore,
livré des conseils, Horace dresse du poète un portrait la tour de Babel. On les invite par la suite, à l’aide
satirique, afin qu’il prenne conscience du danger que des ressources TICE, à vérifier et à consolider leurs
représente la vie de poète : il le montre comme un connaissances des mythes évoqués en évoquant
homme gagné par la fureur, en proie aux dangers similitudes et différences d’un mythe à l’autre, en
d’une vie marginale et va jusqu’à évoquer son suicide. affinant l’interprétation.
Il le caractérise comme un forcené que personne ne
peut aider ni détourner de sa folie. Enfin, il le décrit PAGE 315
comme s’attaquant aux personnes qu’il rencontre, ce
¤
qui là encore peut lui causer des torts. Mathurin Régnier,
« À monsieur de Motin », 1603
HISTOIRE DES ARTS
En reprenant les notions abordées dans l’analyse du
La fresque de Luca Signorelli représente Empédocle texte 1, l’étude du texte 2 trouve toute sa cohérence
cherchant à observer l’Univers par une sorte de trappe dans le cheminement du corpus : ici, il s’agit d’illustrer
qui donne sur le ciel. Le peintre de la Renaissance, en l’une des principales caractéristiques de l’activité poé-
pleine période humaniste, s’inspire ici de la « légende tique mises en avant par Horace. En effet, cet extrait
d’Empédocle » (l. 9 du texte d’Horace) : la soif de de la Satire IV de Mathurin Régnier donne à voir un
savoir du poète, que rien ne détourne de sa quête. Le poète qui ne peut se détourner de sa destinée de
peintre n’a pas choisi de représenter le volcan et les poète. Cette « passion (…) si extrême » (v. 16) est ici
sandales du poète mais une simple trappe, rendant énoncée par un locuteur qui cette fois s’exprime à la
l’allégorie moins explicite. On pourra s’appuyer sur 1re personne et permet d’établir un véritable témoi-
le caractère dangereux du comportement d’Empé- gnage justifiant les propos d’Horace. Cette dimension
docle, en particulier dans l’analyse de la composition autobiographique donne plus de force à ce constat et
du tableau : justifie de manière cohérente le choix de la progres-
– centré sur la trappe, qu’on associera au cratère du sion des textes du corpus aux yeux des élèves.
volcan ; Par ailleurs, les élèves découvrent une forme poétique,
– effets de perspective et de profondeur, créés par la la satire, qui imite celle des Satires d’Horace, et sera
représentation du rebord rouge ; reprise quelques années plus tard par Boileau. C’est
– les couleurs en contraste (le noir inquiétant de l’es- l’occasion pour eux de mieux cerner cette forme/ce
pace sur lequel s’ouvre la trappe, en contraste avec la genre poétique et le registre qui y est associé, support
dorure rassurante du reste de la fresque) ; du corpus et omniprésent dans la suite de la séquence
– la position en déséquilibre du personnage, repré- (voir Vers le bac p. 322).
senté en diagonale, à la croisée des lignes d’enca-
drement perpendiculaires représentant la stabilité ; 1. ENTRER DANS LE TEXTE
l’envergure des bras, qui dessine une ligne brisée. Le poète évoque son enfance. Le poème s’apparente
On observe par ailleurs son attitude : son visage, qu’on à un texte autobiographique, car l’auteur évoque sa
ne voit qu’en partie, est tourné vers cet univers mys- propre vie et en particulier son enfance, période de
térieux qui l’attire ; le coude, qui touche à peine le la vie qui constitue très souvent le motif d’un récit
rebord et annonce une probable chute ; la main qui autobiographique.
semble indiquer que le personnage vient de lâcher le 2. Le père du poète cherche à le détourner de l’acti-
rebord de la trappe malgré le danger. vité poétique, mais il n’y parvient pas. L’usage répété
Sont ainsi révélés la détermination d’Empédocle dans du verbe « perdre » montre le peu d’intérêt des
sa quête de savoir et les dangers auxquels il s’expose : conseils et remontrances du père. Il permet d’évo-
on retrouve ici des caractéristiques du comportement quer de manière plaisante la situation en jouant sur
du poète selon Horace. les deux expressions « perdre de vue » et « perdre la

mémoire ». Ce jeu témoigne de la distance qu’im- connaissance ». Les expressions « préscience » et « si
posent le registre et l’écriture autobiographique : c’est claires connaissances » désignent le père comme celui
ici la voix de l’adulte qui s’exprime et qui semble juger qui détient la vérité sur l’avenir. Ces propos consti-
avec amusement ce jeune homme qui n’écoute pas tuent un commentaire du poète au sein de son récit
les conseils paternels. autobiographique composé ici sous la forme d’une
3. Grammaire satire.
« bien que » (v. 3 et 15) et « mais » (v. 13 et 20) sont
VERS LE BAC. Plan possible
répétés à deux reprises. « si » (v. 7) porte lui aussi une
valeur concessive. L’opposition et la concession sont 1. La figure du père et l’aspect autobiographique
très présentes dans cet extrait, car le poète adopte a) Les caractéristiques du récit autobiographique :
une attitude à l’inverse de celle attendue et réclamée le thème de l’enfance ; les temps du récit au passé ;
par son père. Les conseils du père, jugés raisonnables le personnage enfant et le narrateur adulte ; les
par le poète adulte, ne sont pourtant pas suivis par commentaires au présent/la distance du regard de
l’enfant. l’adulte ; le discours direct : des mots qui marquent
4. L’extrait commence par une observation person- b) Le rapport père/fils conflictuel : des conseils aux
nelle : les deux premiers vers (dont le sens est com- ordres/modes verbaux ; le lexique de la violence dans
plexe et nécessite la lecture de la note) rappellent que les paroles du père ; l’expression de l’opposition et de
Mathurin Régnier a soumis son jugement au ciel, se la concession ; un enfant rêveur incrédule et têtu face
dédouanant ainsi de toute responsabilité quant à son à un père aux pensées matérielles
choix de vie. Cette observation pourrait constituer c) Le regard de l’adulte : des conseils d’un père à ceux
une première justification à sa désobéissance. Mais d’un dieu ; un jugement finalement bienveillant,
on relèvera les deux causes invoquées de manière rendu possible par la distance que permet le récit
explicite par le poète. autobiographique
Tout d’abord, la « passion » qualifiée de « si extrême » 2. Le rapport qu’entretient le poète avec
(v. 16), dont il ne peut se détourner : devenir poète. Il l’écriture poétique
semble habité par une force supérieure, puissante au a) Une passion plus forte que tout : destinée imposée
point que la voix paternelle n’a aucun pouvoir sur lui. par le ciel ; gradation dans les voix d’autorité ; absence
Cette voix paternelle est ensuite remplacée par une de logique dans l’expression de la concession et de
autre voix, transcendante, celle de son « Démon », l’opposition
qui n’a plus autorité sur lui. Et dans une progression b) Des conditions d’écriture pénibles : isolement, éga-
en gradation, c’est enfin la voix d’un dieu qui est rement, cadre naturel déplaisant
convoquée. Le présent de vérité générale (v. 16-18) c) Un rapport ambigu avec la Muse : le ton d’un
donne valeur d’autorité à sa justification. Le propos homme résigné (fatalité) ; une Muse qui enseigne
use par ailleurs de l’hyperbole, en particulier avec le malgré tout/l’accès à un monde mystérieux/le privi-
vers maxime qui conclut cette première justification, lège du poète ; le poète adulte finalement en train de
« Et l’homme croit à peine aux paroles d’un Dieu » composer son poème.
(v. 18), plaçant cette passion au-dessus d’autres
paroles transcendantes.
HISTOIRE DES ARTS
Une deuxième justification s’appuie sur l’incapacité
du poète à garder en tête les préconisations du père : Par le titre que le peintre donne à son tableau, ce
l’enfant poète se présente comme rêveur et ne par- dernier rend explicite la visée de son œuvre : montrer
vient pas à retenir « les discours » du père. L’absence l’indigence dans laquelle vit le poète. Les élèves
physique du père est ici convoquée, par jeu verbal sur peuvent relever ici différents éléments :
le verbe « perdre » (voir réponse précédente). – le lieu lui-même, une mansarde avec une petite
5. SYNTHÈSE fenêtre difficile d’accès et ne répandant la lumière
Mathurin Régnier semble, avec son regard d’adulte, que sur une partie du lieu, les murs nus et dégradés,
approuver l’opinion du père ; on le remarque dans les le parapluie ouvert qui semble protéger le poète d’une
deux vers suivants (v. 11-12) : « Je ne sais, mon ami, éventuelle fuite dans la toiture, l’absence de sommier
par quelle préscience/Il eut de nos destins si claire et de lit (le poète semble dormir à même le sol) ;

– le désordre qu’on peut associer à l’absence de et se trouvent plongés dans un milieu littéraire que
meubles de rangement : le poète ne peut ranger ses les nouveaux programmes invitent à découvrir : les
livres ni ses vêtements qui pendent ci et là ; poètes à l’époque du classicisme. C’est ici le monde
– le poète est obligé de composer dans son lit, n’ayant de la critique littéraire, des salons et des grands débats
pas de bureau, des livres lui servant de table basse que l’élève est amené à découvrir à travers son illus-
pour poser son encrier ; tration la plus marquante : la satire.
– seul élément de mobilier, le lit, où il semble can- Cette étape permet aux élèves de se confronter
tonné, n’ayant pas d’autres choix. ensuite à l’exercice de commentaire du baccalauréat
La composition du tableau crée un effet de resser- qui conclut la séquence (BAC. Commentaire, p. 322).
rement : le personnage apparaît comme replié à 1. ENTRER DANS LE TEXTE
l’intérieur d’un espace compressé par les lignes de L’adverbe « alors » revêt une valeur temporelle (et
structure du tableau (le mur à droite et le poêle à non consécutive) : elle permet de désigner une cir-
gauche, qui semble le comprimer, ses genoux étant
constance particulière, sans être forcément unique,
repliés). Ces effets de structure soulignent le manque
puisque le poète évoque davantage ici une situation
d’espace de la pièce et nous présentent un personnage
qui se répète (présent d’habitude/itératif). L’adverbe
vivant à l’étroit, plié dans son lit trop petit. Aucun
fait cependant ici référence à un moment particulier :
signe d’aisance ne vient contredire cet effet : absence
le moment où il compose des satires. La répétition de
de nourriture (flacon et assiettes vides), d’ornements.
l’adverbe permet de souligner le caractère très parti-
Les seuls objets que possède le poète sont finalement
culier de cette situation (l’écriture d’une satire) et, de
ses vêtements et les objets liés à son activité poétique
manière implicite, écarte les autres circonstances liées
et artistique (livres, papiers, encrier, violon au mur),
à la composition de formes poétiques différentes.
preuve que c’est pour lui la seule source de revenus
Ainsi, par cette répétition, le poète insiste sur l’idée
– bien modeste, semble-t-il.
qu’il ne se sent poète que lorsqu’il écrit des satires, ce
qui implique par conséquent qu’il n’a aucune appé-
PAGE 316 tence ou ne se reconnaît du moins aucun talent pour
les autres formes poétiques.
‹ Nicolas Boileau,
Satire VII, 1666
Dans le prolongement des textes 1 et 2 du corpus,
2. « Mes mots », « Ma main », « Ma plume », « Mes
vers » fonctionnent par métonymie et par synec-
doque. Ils sont tous sujets grammaticaux et agents
les élèves sont désormais invités à aller à la rencontre
de l’action verbale, ce qui a pour effet de présenter
d’un extrait de l’œuvre qui est considérée comme
Boileau comme subissant plus qu’agissant. Il ne s’agit
l’aboutissement ou le modèle de satire à la française,
pas pour l’auteur de se dédouaner de toute respon-
les Satires de Nicolas Boileau, chantre du classicisme.
sabilité (attention au contresens dans l’esprit des
Ils maîtrisent désormais la notion de genre satirique et
élèves) : le satiriste assume pleinement ses attaques.
en apprécient ici les spécificités à l’aide des connais-
Mais Boileau cherche ainsi à signifier à son lecteur
sances acquises par les lectures des textes 1 et 2 :
qu’il n’a pas choisi d’être satiriste : il paraît comme
ton plaisant, à la manière d’une conversation, ver-
entraîné, malgré lui, dans cette activité de création
sification classique, à travers les courts extraits d’un
texte long appelé satire ; ils retrouvent par ailleurs poétique limitée au genre de la satire, dans lequel il
dans cet extrait plus complexe l’un des deux aspects trouve toute son inspiration.
évoqués par le texte 1 d’Horace et illustré par le 3. Si, au vers 26 est évoquée la mort comme coup
texte 2 : cette passion dévorante de composer des du sort, en opposition à une vie longue et paisible,
poèmes satiriques et dont rien ne peut les détourner. pour montrer que sa passion, la poésie satirique,
Ils découvrent ici le deuxième aspect, que le texte 2 s’exprime dans toutes les conditions, les deux der-
n’abordait pas : la satire composée ad personam, niers vers au discours direct prononcés par un « on »
celle qui attaque de manière mordante des person- indéfini sonnent comme une véritable mise en garde :
nalités – littéraires en général – contemporaines et les victimes de ses satires pourraient bien vouloir se
qui donne lieu à des comparaisons avec le monde venger « Et garde qu’un de ceux que tu penses blâmer/
animal dans le texte 1 p. 314 (« ours » et « sangsue »). N’éteigne dans ton sang cette ardeur de rimer. » C’est
Enfin, ils perçoivent les enjeux de l’écriture satirique bien à la mort par vengeance que le poète s’expose.

4. La phrase qui s’étend des vers 25 à 30 repose sur sonore (« le bruit sourd/que fait la terre ») qui par-
une construction syntaxique complexe, qui permet ticipe de cette liaison évoquée dès les premiers vers.
d’évoquer toutes sortes de conditions d’écriture : la Si le bruit est qualifié de « sourd », c’est que cette
durée de la vie, les lieux, les conditions matérielles, décomposition s’étale dans la durée sans que l’oreille
l’état d’esprit. Ces conditions sont exposées pour la humaine en perçoive le son.
plupart dans un système binaire d’opposition qui 4. Grammaire
permet de parcourir toutes possibilités. Le rythme Le poème commence par l’expression « je veux », sur
s’accélère et l’énumération finale appuie l’effet laquelle repose la structure syntaxique du poème ;
d’attente pour enfin aboutir au verbe principal de la cette expression de la volonté nous fait donc entrer
phrase. Est ainsi mise en relief la fin de la phrase en dans le poème en imitant les paroles d’une dernière
clausule (verbe principal) « je veux faire des vers », qui volonté, après un titre évocateur « vœux pour une
traduit pleinement l’idée générale du propos : ce désir mise en bière ». L’expression de cette volonté est
immodéré de composer ses satires qui trouvent leurs ensuite exprimée à nouveau par le parallélisme de
cibles parmi les poètes contemporains. construction et la répétition anaphorique « je veux »
5. SYNTHÈSE (v. 1 et 2), puis dans les deux paragraphes suivants
Nicolas Boileau semble à la fois subir sa destinée « item je veux » . Ils constituent les verbes principaux
de satiriste et y trouver un accomplissement. S’il ne de chaque paragraphe. On pourra noter que le dernier
contrôle pas cette manie de critiquer les poètes de son paragraphe ne fait pas apparaître le verbe vouloir,
époque, il semble y trouver son compte et s’épanouir mais soit il dépend syntaxiquement du paragraphe
dans cette activité à l’exclusion de toute autre. précédent (« je veux des papillons […] », v. 11) ; « […]
fifres, tambours », v. 17), soit le vers 14 sous-entend
PAGE 317 avec l’usage du terme « item » l’expression « je veux »
qui n’est pas répétée.
› Odile Caradec, « Vœux

pour une mise en bière », 1996
5. SYNTHÈSE
Les vœux de la poétesse ont certainement pour but
d’empêcher d’associer la mort à l’idée d’un arrêt,
Le ton est surprenant, car le titre annonce une mise d’un terme contre lequel on ne pourrait lutter. Au
en bière, moment lugubre et macabre, et le sujet du contraire, elle souhaite qu’on poursuive après son
poème exprime des vœux du futur défunt, évoqué enterrement toute activité liée au chant, à la musique
ici sur un ton léger et plaisant. Les images, le type et à la poésie, qu’elle paraît elle-même poursuivre
de vers, le lexique aux connotations mélioratives, la post mortem avec l’évocation du violoncelle-cercueil.
musicalité du texte contribuent en effet à exprimer Les éléments de procession (« clown », « alleluiah »,
une forme de joie (« joyeuseté de la vie », v. 15) pour « trompettes » de la première strophe ; « papillons »,
de telles circonstances. « potirons avec des lumières dedans » de la troisième
2. La poétesse souhaite que son violoncelle lui tienne strophe et les « fifres et tambours » de la dernière
lieu de cercueil (« bière »). La forme de l’instrument strophe) contribuent à créer cette impression. Ainsi,
semble s’y prêter et la poétesse justifie ce souhait par la mort est présentée comme un événement joyeux :
le fait que l’instrument fut durant son existence un les réseaux lexicaux de la musique et de la joie per-
compagnon très fidèle et très proche (idée de temps mettent de nous plonger dans une ambiance festive
et proximité physique). Elle veut donc que cette fidé- pour un événement de deuil et font du futur enter-
lité et cette proximité perdurent : « qui tant chanta rement une fête. Enfin, l’évocation matérielle du
contre mon ventre ». On peut y voir un moyen pour corps qui se décompose est elle-même connotée de
lutter contre l’idée même de la mort comme un arrêt, manière positive (« ensuite en bonne douce terre »,
une fin. v. 10) et sa décomposition participe de cet hymne à la
3. Le caractère musical de la poésie est souligné par la joie (trois derniers vers). Ce poème s’apparente ainsi
construction des deux premiers vers, qui associent les à un « devoir de mémoire » comme la poétesse le
musiciens et les poètes. L’usage du vers libre permet souligne elle-même « afin que nul n’oublie » (v. 14) et
ce rapprochement. La décomposition du corps, asso- la nature elle-même est convoquée pour y contribuer
ciée au processus de digestion, revêt un caractère en digérant le corps de manière sonore.

l’effet de la musique produit par le violoniste. La
HISTOIRE DES ARTS
danseuse et le musicien sont associés et semblent
La scène représentée dans ce tableau est intitulée Le faire corps, comme on a pu le montrer à la question
Café américain. Différents éléments permettent de précédente. Cette fusion, la convocation des éléments
créer l’impression de joie et de fête. On pourra relever extérieurs pour participer à la fête se retrouvent ainsi
en particulier : dans les deux œuvres : la procession, la nature qui
– une scène de danse, que confirme la présence du participent ensemble à la fête chez Caradec, avec les
musicien violoniste en arrière-plan ; énumérations et les effets de répétition.
– les couleurs chaudes de la robe qui frappent le
TICE
regard d’emblée : le violet au centre réhaussé par le
Il s’agit du Testament de Villon, œuvre majeure du
contraste entre le haut du tableau aux couleurs claires
poète satirique. Le rapprochement entre l’œuvre de
et le bas du tableau aux couleurs sombres ;
Villon et celle de Caradec repose sur la forme du tes-
– les effets de mouvement de la robe et du person-
tament : la répétition de l’expression juridique consa-
nage féminin qui occupe la majorité de l’espace :
crée item qui permet de faire succéder les éléments
l’art cubiste qui s’exprime sous le pinceau de Severini
légués sous la forme de strophes composées en vers.
permet de traduire ces mouvements. Un pan de la
Il s’agit de montrer aux élèves les procédés de réécri-
robe vient ainsi se lever et forme un pli en parallèle
ture : Odile Caradec imite le procédé célèbre de Villon,
avec l’envergure des bras, donnant dynamisme et
composé plusieurs siècles auparavant, en prenant la
sensation de mobilité. Les diagonales ainsi formées,
même distance par rapport à l’événement qui motive
le coude et le bras du musicien et de la danseuse par
l’écriture du poème, la mort du poète, pour le traiter
ailleurs replié, sa tête et celle penchée du musicien
avec humour ou sous un aspect plaisant. Du Moyen
dans le sens de cette même diagonale confirment
Âge à l’époque contemporaine, la poésie a ce pouvoir
cette impression de mouvement. Enfin, cette dia-
de transformer la vision du moment le plus redouté
gonale semble emporter aussi le spectateur plus
par les hommes : leur propre mort.
sombre en arrière-plan : le bras de la danseuse
épouse la forme de son épaule ;
PAGE 318
– les effets de fusion que permet de créer l’art cubiste,
qui échappe aux règles de la représentation réaliste,
en effaçant et en brouillant la séparation entre les
éléments représentés : les vêtements et les corps
semblent se mêler pour participer ensemble à cette
fête. La robe se mêle ainsi aux vêtements du musicien
Richesse et pauvreté
et les membres inférieurs des personnages sont indis- EXERCICE 1. Préfixation et suffixation
tincts. Le visage du spectateur est lui-même imprégné 1. Voir le tableau ci-dessous.
de la couleur blanche de la robe qui se diffuse ;
2. Suffixe des noms de la 2e colonne : -eur/-té/-esse
– le regard et la position de la danseuse apparaissent
Préfixe des verbes : a-/ap-/en-
comme une invitation à danser destinée au spectateur
Suffixe des noms de la 4e colonne : -issement
du tableau.
Suffixe des adverbes : -ement
On retrouve les éléments de la fête : musique et
danse. On rapprochera en particulier la dimension 3. « Agrandir » et « appauvrir » ne fonctionnent pas
sonore qu’intègre la représentation iconographique de la même manière lors de la préfixation : « appau-
avec le violon : si le personnage danse, c’est sous vrir » double la consonne initiale du radical, ce qui
adjectif nom verbe nom adverbe
grand grandeur agrandir agrandissement grandement
pauvre pauvreté appauvrir appauvrissement pauvrement
riche richesse enrichir enrichissement richement

n’est pas le cas pour « agrandir ». Il s’agit d’une des EXERCICE 4. Connotations et champs lexicaux
difficultés de l’orthographe en français, héritée du 1. Défaut physique, corporel, en lien avec la santé ou
latin : en fonction de la préposition latine (ad ➞ l’hygiène : sans-dent, pouilleux
consonne en plus, a ➞ pas de consonne en plus en Aspect : va-nu-pieds, famélique
français, car cette deuxième préposition s’adapte au Faim : meurt-de-faim, crève-la-faim, famélique
mot qu’elle préfixe en latin, soit a, soit ab en fonction Socio-économique, lié directement à l’argent : gueux,
de la lettre initiale du radical, consonne ou voyelle). sans-le-sou, dans la disette, à sec, chiche
Le préfixe « en- » ne pose pas de difficultés ortho- On peut faire remarquer que ce classement n’est pas
graphiques. figé et qu’au contraire, on utilise ces termes dans
4. Grandeur/agrandissement ; pauvreté/appauvrisse- des contextes qui changent leur valeur sémantique.
ment ; richesse/enrichissement. Le préfixe évoque le L’exemple de « sans-dent » peut être convoqué : il est
résultat d’une action définie sémantiquement par la utilisé dans un contexte socio-économique à l’heure
base (le radical, ici l’adjectif). Cette action est signifiée actuelle.
à partir du verbe formé sur le radical. Ex : l’agrandis-
2. Rutebeuf évoque la saison hivernale : le froid, le
sement est le résultat de l’action de grandir, formé
vent, la nature dépouillée, associés à la pauvreté.
sémantiquement à partir de l’adjectif « grand ».
3. Les poèmes de Clément Marot (texte 5 p. 308) et
EXERCICE 2. Préfixation de Paul Scarron (texte 7 p. 309) et dans la moindre
1. Décharné : préfixe « dé- » ; radical « -charn-- » ; mesure de Pernette du Guillet (texte 6 p. 307). Tous
terminaison du participe passé les trois évoquent l’état de pauvreté du poète : Marot
2. Désargenté ; démuni ; dépourvu ; dénudé ; dénué à travers sa demande adressée directement au roi ;
On notera la particularité du dernier, participe passé Scarron, de même, mais indirectement ; Pernette du
encore en usage du verbe « dénuer » : ce verbe est Guillet en s’adressant à un poète et lui rappelant le
peu usité sinon sous sa forme au participe passé. peu de bien qu’on gagne à être « rimeur ».
« Dénuder » et « dénuer » ont la même étymologie
(latin denudare), mais chacun a connu une évolution EXERCICE 5. Écrit d’appropriation
différente sémantiquement. L’exercice d’écriture permet aux élèves d’utiliser
les connaissances lexicales acquises au cours de
EXERCICE 3. Connotations péjoratives la séquence. On pourra évaluer les compétences
et mélioratives suivantes :
– Crésus : « être riche comme Crésus » signifie être – lexique de la richesse et de la pauvreté ;
très riche. Les valeurs positives ou négatives portées
– dérivation, suffixation, préfixation, jeux sur la
par ce mot sont difficilement identifiables : il s’agit
langue.
davantage de mettre en avant la quantité, en fonction
Il nécessite en outre un travail de recherches qui
du contexte.
les conduit à découvrir les jeux poétiques, tout en
Ex : Que Crésus soit riche ne l’a pas rendu heureux
s’appuyant sur des auteurs qu’ils ont rencontrés dans
➞ négatif
la séquence, ce qui complète leur connaissance d’his-
Être riche contribue au bonheur, car cela soulage de
toire littéraire.
certaines difficultés ➞ positif
Par ailleurs, l’énoncé « suggère » des idées de formes
– Nabab : homme qui vit dans la richesse, de manière
particulières rencontrées dans la séquence, qui pour-
faste. Évoque des Européens qui ont acquis des
ront faire l’objet d’une valorisation (en fonction des
richesses dans les colonies d’Orient (Inde). La dimen-
pratiques, les formes n’étant que « suggérées »).
sion fastueuse porte des valeurs plutôt négatives,
associée à l’ostentation ou à l’excès.
– Nanti : qui ne manque de rien, riche, valeur péjora- PAGE 322
tive, associée à l’idée de privilèges
BAC Commentaire
– Richard : le suffixe « -ard » apporte une valeur péjo-
rative à l’adjectif « riche » Boileau, « À son esprit », 1668
– Rentier : qui touche une rente, peut prendre une ▶▶ Objectifs
valeur péjorative, associé à l’idée que la richesse Au cours de ce chapitre, les élèves ont pu se familia-
obtenue n’est pas le fruit d’un travail riser avec le registre comique et satirique et analyser

sous la conduite du professeur des textes poétiques Coup de pouce 1 : faire le point sur les échos évoqués
d’auteurs qui peuvent être considérés comme diffi- ci-dessus ;
ciles, en particulier en raison de l’étendue chronolo- Coup de pouce 2 : le poète s’adresse à son esprit. On
gique imposé par le programme. Il s’agit donc ici de les leur propose de trouver des termes qui permettent de
rassurer et de leur montrer qu’ils ont pu développer le désigner dans le travail du commentaire : « interlo-
des compétences dans l’exercice d’analyse littéraire cuteur », « destinataire »… Puis à partir de ces préci-
qui leur seront très utiles dans l’optique de l’EAF sions, on peut faire percevoir le ton polémique avec
l’année suivante, avec un extrait : lequel s’adresse Boileau à ce dédoublement du « je »
– qui reprend un des auteurs rencontrés dans le qui parle. Pour déceler le ton polémique, on relèvera
chapitre, Nicolas Boileau (texte 3 p. 316) : la langue par exemple :
poétique du satiriste, ses pointes, le jeu du rythme – « répondez un peu » (v. 1), « dites-moi » (v. 3) qui
et des rimes, les références à l’actualité mais aussi aux témoignent de l’agressivité de Boileau vis-à-vis de son
termes traditionnels de la mythologie gréco-latine interlocuteur dans des formules traditionnelles de la
associés à la poésie (les Muses, le Parnasse, coup de conversation ;
pouce 3), sur le ton de la conversation, comme le – la série de questions rhétoriques vers 1 à 6, qui, par
réclame le genre satirique ; l’effet d’accumulation, crée l’impression d’une attente
– qui reprend le procédé allégorique du dialogue impatiente d’une réponse qui ne peut pas venir.
avec son esprit (texte 3 p. 306, Charles d’Orléans) : Cette agressivité du ton polémique, dans la veine
l’échange fictif avec un dédoublement du moi, qui satirique, est ainsi soulignée pour dégager le sens de
peut provoquer des difficultés de compréhension, la conversation : l’esprit de Boileau a-t-il le droit de
lui dicter des vers ? C’est vers cette reformulation du
en particulier dans cet extrait, où l’élève doit bien
sujet du poème que l’analyse du registre polémique
identifier qui parle à qui (coup de pouce 1 et 2,
doit conduire les élèves.
question 2). Ici, le « je » qui parle n’est pas celui qui
compose, mais il subit l’inspiration de son esprit, le En fonction du niveau de classe
destinataire du poème, seul responsable des vers En fonction du niveau de la classe, les coups de pouce
que Boileau compose. On notera d’ailleurs la pointe suivants peuvent être traités en groupe classe.
finale, sur laquelle le satiriste achève sa satire : il se Coup de pouce 3 : cette aide proposée permet aux
condamne au silence dès lors qu’il engage à nouveau élèves de bien cerner le reproche que Boileau adresse à
sa responsabilité dans l’écriture de ses vers (v. 23-26) ; son esprit, prétendre écrire des vers. Elle paraît néces-
– qui reprend un des thèmes qu’ils ont déjà abordé, saire, car le sens du vers expliqué (v. 6) est difficile à
puisque l’extrait de la satire proposé ici exprime cer- comprendre, et du sens de ce vers découle celui des
vers suivants (v. 7 à 10), plus faciles à « déchiffrer ».
taines idées de Paul Scarron dans son « Ode burlesque
Les élèves comprennent ainsi par étapes ce qui se
à Monsieur du Pin » (texte 7 p. 309) ainsi que le thème
cache derrière le mot « aplani » et perçoivent le sens
général du groupement de textes « être poète, coûte
de la métaphore qui s’appuie sur l’idée du style élevé
que coûte ! » (p. 314-317) : l’incapacité ou l’impos-
et du style bas (épique/comique) en parallèle avec la
sibilité de composer d’autres types de vers, en par-
montagne et la plaine. On pourra reprendre ensuite
ticulier des vers qui rapporteraient bien davantage,
aisément l’analyse du lexique du haut et du bas
par exemple des louanges au roi… On retrouve par
(« vole »/« rampe », v. 8 et 10 ; le verbe « tombe »), qui
ailleurs dans plusieurs des poèmes du chapitre l’image
met en lien la qualité des vers et la gloire des poètes.
du poète condamné à écrire des vers satiriques, en
Enfin, « dans la lange » (v. 10) doit être reconnu
particulier dans le premier extrait de Boileau, mais comme relevant du bas, représentant celui qui ne
aussi chez Horace (texte 1 p. 314). maîtrise pas l’écriture poétique (l’Abbé de Pure).
Le travail en amont Coup de pouce 4 : l’analyse des temps verbaux et
Ainsi, à partir des connaissances et compétences des modes aide les élèves à cerner la tournure que
acquises au cours du chapitre, les élèves sont à prend le poème. Du reproche, Boileau passe à une
même de se confronter à l’exercice du commentaire suggestion ou à une hypothèse (qu’il sait impossible,
en s’appuyant sur les coups de pouce et la rubrique puisque Boileau se condamne à la fin de son poème
« pas à pas ». On pourra par exemple commencer par au silence). Ce coup de pouce a l’avantage de bien
un travail en classe. faire comprendre aux élèves que l’analyse de faits de

langue conduit à cerner du sens. En effet, ils repèrent : dissertation sur œuvre au programme. Ainsi, c’est bien
– l’usage de l’impératif, qui ne fait pas état d’une le parcours de lecture qui est ici interrogé, en lieu
réalité constatée, mais qui s’emploie comme mode et place d’une œuvre intégrale. Ce choix limite les
exprimant le conseil, la suggestion (« osez », v. 14) ; références et donne un cadre restreint à la probléma-
– l’usage du conditionnel, qui propose une hypothèse, tisation, mais il est davantage le reflet de la situation
elle aussi éloignée de la réalité (« vous verriez », v. 16 ; des élèves le jour de l’examen. Les élèves développent
« vendrait », v. 18). ainsi des compétences qui les préparent à l’épreuve.
Les élèves pourront ensuite reformuler la suggestion À première vue, il paraît évident que la banalité du
et l’hypothèse (dresser des louanges au roi, espérer quotidien ne peut être source d’inspiration pour le
une récompense) sans tomber dans la paraphrase. Ces poète, comme le prouve l’origine de l’écriture poé-
idées leur sont rendues familières par l’analyse des tique qu’on évoque traditionnellement : le poète
textes du corpus et du parcours de lecture. est inspiré par les Muses et Apollon. C’est ce que
On demandera ensuite aux élèves de trouver ce qui nous rappelle Mathurin Régnier, dans ses Satires,
ramène l’esprit du poète à la réalité. On pourra s’ap- lorsqu’il raconte comment les Muses l’ont détourné
puyer sur le connecteur « Mais » (v. 19). du chemin que lui conseillait son père. Plutôt que
Les élèves en autonomie de suivre un chemin banal, celui du quotidien,
Ce travail en amont conduit à conclure la lecture du espéré par son père, le poète sort de la voie tracée
poème en laissant les élèves cerner d’eux-mêmes et fréquentée pour se retrouver seul, inspiré par les
l’autodérision qui l’habite et que révèlent les derniers Muses à travers ses rêves. Il en va de même pour
vers (v. 19-26) plus explicitement : le retour à la réalité le poète Saint-Amant qui prend à partie le lecteur
va de pair avec la fin du dialogue où le « je » reprend la en se plaignant de ne pas trouver la rime, dans un
main (« je pense », v. 20 ; « Mais pour Cotin et moi », sonnet célèbre, « Fagoté plaisamment… » : quittant
v. 23) et avoue son manque de talent, qui l’empêche sa plume, Saint Amant nous laisse chercher nous-
de composer autre chose que de la satire (« amour de mêmes le dernier vers du poème sous prétexte que,
blâmer », v. 24). Le sens du poème étant alors levé, les pour achever son poème, son esprit vagabonde trop.
élèves cernent le sel de la pointe : une condamnation Ce qu’il a sous les yeux ne lui suffit pas, semble-t-il
au silence (v. 26) puisque Boileau ne peut s’empêcher nous dire, il a besoin de choses nouvelles, inconnues,
de composer des satires. ce qui pousse ce « paresseux » à abandonner son
NB : on n’hésitera pas à proposer une explicitation des activité de composition ! Ainsi, l’inspiration poétique
vers 21-22, dans lesquels Boileau justifie sa condition se puise non dans ce qui est présent sous nos yeux,
inexorable de satiriste par son manque de talent, à mais dans notre imaginaire et dans ces rêves qu’on
l’aide d’un commentaire qu’on pourra traduire par associe depuis l’Antiquité aux Muses. Les peintres
« tous les poètes n’ont pas le talent pour composer du xviie siècle, comme Nicolas Poussin dans son
une épopée ». Cet argument a déjà été étudié dans le tableau L’Inspiration poétique, le signifient eux aussi
coup de pouce 2 et rencontré dans le texte 7 p. 309 en représentant le poète écrivant sous la dictée du
(Scarron). dieu Apollon, en présence de l’une des Muses.
Par ailleurs, l’écriture poétique semble, par son statut
PAGE 323 spécifique, détournée de sujets triviaux, éloignée de
la banalité : si l’homme s’exprime par le chant poé-
BAC Dissertation tique, c’est bien qu’il vit un moment exceptionnel,
On propose ici un exemple de dissertation qui s’appuie digne d’être exposé dans un poème. Ainsi, si l’on en
sur des références issues de la séquence. Cette rédac- vient à composer un poème, à choisir d’écrire sous
tion prend appui sur les consignes de la rubrique « pas la contrainte de règles particulières, à procéder par
à pas » et sur les coups de pouce. Elle ne contient pas images, c’est pour exprimer des sentiments forts,
d’introduction ni de conclusion, qui feront l’objet d’un des sentiments inconnus, qu’on ressent en dehors
travail spécifique à part. Les élèves ont pour support du quotidien : des moments où l’amour nous gagne,
les fiches méthode 40 à 42 qui les aideront dans leur où la jalousie nous assaille, où la colère nous fait
travail. Le choix de ne se référer qu’aux documents de sortir de nos habitudes… Une situation de rupture
la séquence permet de donner à l’exercice les mêmes par exemple : Alphonse Allais en témoigne, lui qui va
types de contraintes que celui imposé par l’EAF : la jusqu’à s’en moquer en composant un poème après

une rupture (fictive ?), dans lequel le thème tradi- qui se présente à lui un objet de poème, comme le
tionnel du chant de plainte amoureuse est parodié font les poètes satiristes : puisant dans les mœurs de
à l’aide des jeux sur les rimes et sur la conjugaison leurs contemporains observées au quotidien le sujet
des verbes. Cette parodie nous prouve bien que la de leur poème, ils s’en inspirent, pour les dénoncer et
poésie est en général consacrée à ces moments forts les corriger. C’est bien dans ce qu’ils voient tous les
de notre existence, où l’on ressent des sentiments jours devant leurs yeux qu’ils puisent leur inspiration.
exceptionnels qu’on a besoin d’exprimer. N’est-ce pas C’est au tout-venant que s’en prend le poète satiriste
justement la définition du lyrisme, qu’on associe à la forcené d’Horace à la fin de son Épître aux Pisons. Les
figure d’Orphée, figure représentative de la poésie ? vers d’Horace, à l’origine du genre, ont ainsi montré
Son amour pour Eurydice ne revêt-il pas un caractère l’exemple aux poètes tels que Mathurin Régnier ou
exceptionnel, qui le conduit jusqu’aux enfers pour lui Nicolas Boileau, auteurs de Satires qui exposent une
permettre de le vivre à nouveau ? vision critique de leur société au quotidien, pleine
Cependant, si la création poétique est traditionnelle- d’humour et d’ironie.
ment liée, par sa dimension musicale (à l’origine sans Or, assurément, ce recul, cette distance qui les carac-
distinction avec le texte même), au lyrisme hérité de térisent leur permettent de proposer une image
la figure d’Orphée et de sa lyre, elle n’a cependant pas renouvelée du quotidien : dans leur désir de corriger
comme seul ressort le lyrisme et il existe bien d’autres les vices des hommes et souvent en les moquant,
sujets poétiques que l’expression des sentiments qui ces poètes ne se contentent pas de les exposer tels
nous assaillent. Car le poète est avant tout un homme quels, mais en font un objet poétique à l’aide de leur
qui vit son quotidien : son regard s’ouvre chaque jour pouvoir qui transforme ce quotidien en source d’ins-
sur le monde qu’il a devant les yeux et cet objet- piration. En témoignent d’autres poètes, tel Charles
monde (étymologiquement ce qui est placé sous nos d’Orléans, dans son bilan sur son activité poétique :
yeux), il ne peut s’empêcher de le voir au quotidien. sa vie au « service d’Amour » donne à son occupation
Aussi ressent-il le besoin d’en parler, sans pour autant quotidienne, l’amour, la forme allégorique qui a habité
que ce quotidien relève de l’extraordinaire, bien au toute la poésie courtoise. Le poète troubadour fait de
contraire. C’est bien le quotidien du poète, au rythme son quotidien, le chant d’amour, un véritable objet
des saisons, que semble nous exposer Rutebeuf dans poétique qu’il renouvelle chaque jour avec ses vers et
sa « Griesche d’hyver », où le froid, la faim, le dénue- son chant. Charles d’Orléans en a fait les frais, semble-
ment lui procurent le sujet de sa complainte : « L’été je t-il dire avec humour dans sa ballade « Un jour avec
chante/l’hiver je pleure ». L’usage du présent de vérité mon cœur devisais… » au moment de faire le bilan.
générale tout au long de son poème permet d’évo- Et certes il n’est pas aisé de « vivre en poésie » pour le
quer une situation qu’il vit tout au long des saisons poète, mais la création poétique et sa condition font
et qui provoque son besoin de chanter son poème. Il de son quotidien un objet sur lequel lui seul semble
en va de même pour Paul Scarron, qui se plaint de sa pouvoir prendre de la hauteur : à lui de s’en servir pour
pauvre condition dans son « Ode à Monsieur du Pin » : livrer à ses contemporains cet autre regard, quand
s’adressant de manière indirecte au roi, il évoque sa bien même lui aussi fait partie du monde qu’il décrit.
situation indigente, lui qui ne se sent pas en mesure de Ainsi, Villon propose une leçon digne des poètes sati-
composer des œuvres bien plus fructueuses comme ristes sur les pratiques quotidiennes de ses contem-
des comédies. Avec humour, certes, il rend compte porains, mais c’est une leçon qui témoigne d’une
de son quotidien et décrit sa situation au jour le vision en surplomb, que les hommes ordinaires ne
jour, la nécessité pour un poète de vivre des dons voient pas forcément d’eux-mêmes. Son regard de
et bienfaits de ses protecteurs, et en particulier du poète lui permet de leur faire ouvrir les yeux sur leur
roi. De même, Clément Marot adresse sa « demande manière de vivre… et de s’amender. N’est-ce pas ce
de subvention » à François Ier et compose sa « petite que recherche Villon en rappelant sur un ton comique
Épître au Roi » dont il espère tirer quelque chose… Il que les paysans, à l’honnête activité quotidienne, eux
s’agit bien pour le poète d’exposer ses petits tracas aussi travaillent pour finalement donner leur salaire
quotidiens, ses difficultés, qui deviennent le sujet de « Tout aux tavernes et aux filles » ? Lui seul avec
ses poèmes : à lui, par son talent et sa maîtrise du le recul de son regard particulier est capable de le
verbe, de le faire fructifier ! Or ce talent, cette virtuo- voir. Ainsi voit-on bien que le regard du poète crée,
sité, ne les doit-il pas à sa capacité à trouver dans ce propose du nouveau à partir du quotidien et du banal,

de l’extraordinaire à partir de l’ordinaire, et peut tout ou ce sens qui lui confère tout ce pouvoir magique
autant s’inspirer du quotidien. de la poésie. Il ne s’agit pas cependant d’une simple
Mais finalement, la création poétique est-elle affaire technique sans quoi le simple technicien-artisan du
de l’objet qu’elle a sous les yeux ou du sujet qu’elle mot, le rimailleur, serait lui aussi un artiste, comme
traite ? N’est-elle pas plutôt liée plus simplement à le triste personnage à qui s’en prend Pernette du
une forme de langage particulier qui traduit ce regard Guillet dans son poème moqueur « À un sot rimeur
subjectif sur le monde ? Si Clément Marot parvient à qui trop l’importunait d’aimer ». Il s’agit bien plutôt
évoquer ses difficultés et ses besoins du quotidien de traduire par le langage et les mots une autre
avec tant de réussite, n’est-ce pas avant tout à l’aide vision du monde, de procéder par images, en faisant
de sa capacité à travailler la langue, à jouer avec la par exemple de l’amour ou de ses états d’âme des
matière verbale, plutôt que sa situation de poète et personnages allégoriques (l’Amour, le Cœur) comme
sa pauvreté ? La création poétique ne doit-elle pas Charles d’Orléans, ou en transformant son violon-
tout simplement être considérée comme un travail celle en cercueil chantant, comme Odile Caradec
d’écriture, d’expression, de musicalité, quel que soit dans son poème « Vœux pour une mise en bière »,
le sujet du poème ? Au poète de rimer, de versifier, prolongeant ainsi jusqu’après la mort le miracle de
de travailler le mot pour lui donner cette sonorité la poésie.

séquence ⁄›
Personnages mythologiques
et symboliques en poésie
OBJECTIFS ET PRÉSENTATION PAGE 324

DE LA SÉQUENCE
HISTOIRE DES ARTS
La séquence 14 propose un parcours chronologique
autour de poèmes essentiellement lyriques qui uti- Nicolas Poussin, L’Inspiration du poète,
lisent les figures de la mythologie, les personnages 1629-1630
symboliques ou allégoriques, à des fins émouvantes. 1. La composition du tableau met en valeur les per-
Le titre de la séquence est centré sur le rôle, sur les sonnages qui occupent presque tout le champ de la
effets de ces figures, afin de souligner le lien entre représentation. Au nombre de cinq, ils sont placés
poésie et images. La variété des genres poétiques symétriquement autour de la figure centrale qui est
présents (ballade, dizain, sonnet, élégie...) permet le dieu Apollon : on le reconnaît à ses attributs tradi-
d’étudier le lien entre une forme choisie et un dis- tionnels, la lyre et des lauriers qui couronnent sa tête
cours ayant une visée « é-mouvante » au sens éty- en signe de noblesse victorieuse. Autour de ce per-
mologique (qui fait surgir l’émotion). sonnage apparaissent deux figures qui l’encadrent
Le premier corpus rassemble des poèmes du de façon symétrique, et deux figures d’angelots qui
Moyen Âge au xviiie siècle, dans lesquels la figure sont en symétrie axiale autour du poète, du bas à
mythologique ou symbolique permet au « je » poé- gauche vers le haut à droite du tableau. Le person-
tique d’exprimer ses espoirs (Charles d’Orléans, nage féminin à gauche est la muse Calliope, muse
La Retenue d’amour), ses peurs et désirs (André de l’éloquence et de la poésie héroïque. La figure
Chénier, « Comme un dernier rayon », mais aussi du poète est ainsi démultipliée : le jeune homme
deux sonnets de Maurice Scève et Louise Labé), ou qui écrit sous l’impulsion du dieu des arts, de la
encore son intériorité (« Las, où est maintenant ce lumière et du soleil est un jeune poète qui sera cou-
mépris de Fortune ? », J. Du Bellay). L’étude des ronné sous peu. En effet, l’angelot semble déposer
tableaux représentant des idées, valeurs ou émo- sur sa tête une couronne de laurier, le jeune poète
tions personnifiées s’associe à celle des textes pour regardant ce chérubin adopte un regard qui s’élève,
rappeler le fait que la poésie est un genre fondé sur inspiré. Devant elle, un putto (angelot nu et ailé)
un langage suggestif, imagé et sur une expressivité porte un livre et une couronne de laurier. On peut
forte : l’extrait de Jean de Meun, tiré du Roman de penser qu’il s’agit de la représentation d’Éros, dieu
la rose en sera l’illustration. de l’amour, sous la forme d’un chérubin ailé. Des
Le second corpus vise à élargir la question de la ouvrages sont posés au sol, avec des inscriptions qui
représentation autour de créatures légendaires, elles- permettent de les identifier : Ilias (L’Iliade d’Homère),
mêmes capables de revêtir une dimension symbo- Odyssea (L’Odyssée d’Homère) et Aeneidos (L’Énéide
lique : la vipère et le phénix pour l’évocation de la de Virgile).
passion (« Dans le cœur de ma dame demeure une 2. Ce tableau montre les multiples sources d’inspira-
vipère », une ballade de G. de Machaut, « Comme le tion du poète : l’amour occupe une place qui élève le
seul phénix... », sonnet d’A. Jamyn), le dragon et la poète au-dessus des hommes, avec Éros et la repré-
chimère pour le tragique d’une condition humaine sentation sensuelle de Calliope ; cette muse repré-
aux prises avec ses propres erreurs sur elle-même sente l’éloquence et la poésie héroïque : le poète doit
(sonnet « La Chimère » d’A. Samain et fable en vers, puiser dans la tradition antique, avec les références
« Le Dragon à plusieurs têtes... », J. de La Fontaine). à Homère.
SÉQUENCE 14 Personnages mythologiques et symboliques en poésie | 319

⁄
▶▶
Charles d’Orléans,
La Retenue d’amour, xve siècle
Objectifs
et 20 (« Que pourrait faire de plus la belle/Que de
se donner tant de mal pour vous ? »), une question
rhétorique rappelle l’évidence et l’intensité de l’amour
■■ Étudier une fonction principale de l’allégorie : la dra- entretenu ; dans les vers 23 (« Pensez donc à bien
matisation de l’émotion, de l’intériorité. l’aimer ») et 26 (« Il faut bien chérir la dame »), une
■■ Aborder le genre musical médiéval de la ballade.
phrase injonctive permet à l’amant de consolider ce
pacte d’amour, en faisant écho au sentiment exprimé
Le texte présente l’intérêt de montrer la fonction
par le cœur.
émouvante de l’allégorie, qui permet une dramatisa-
tion du théâtre intérieur, agité de l’individu amoureux. 5. SYNTHÈSE
L’amour courtois se trouve ainsi mis en scène dans un Le poème se présente sous la forme d’un débat inté-
dialogue lyrique entre le poète et son double incarné rieur : l’allégorie du cœur se retrouve face à l’amant,
par le « cœur ». Les effets musicaux de la ballade les deux voix convergeant pour affirmer l’engagement
soutiennent ici la mise en scène d’une voix lyrique amoureux et l’impatience des retrouvailles avec la
dispersée dans plusieurs instances. dame aimée. Le texte se présente explicitement
sous la forme d’un dialogue, qui dédouble la voix de
l’amant en faisant entendre son cœur, comme si le
Le dialogue dans cette ballade présente deux inter-
discours amoureux laissait entendre d’une part les
locuteurs, dont l’un fait partie de l’autre. Il s’agit
turpitudes de l’amant qui a besoin de se rassurer (le
du poète face à son cœur, désigné par les groupes
doute de l’attente, strophe 1), et d’autre part les échos
nominaux « l’amant » et « le cœur ». Le poème s’ins-
d’un amour fort (répétition du serment d’amour dans
crit donc dans la tradition du lyrisme médiéval, dans
les strophes 2 et 3).
lequel les relations amoureuses sont représentées
comme fondées sur le mérite, la mise à l’épreuve, la
fidélité et la foi. Cette situation de dialogue est origi- PAGE 326
nale, car l’allégorie du cœur permet d’extérioriser les
sentiments de l’amant, qui se livre à un débat intérieur
mis en scène et en voix. ¤
▶▶
Jean de Meun,
Le Roman de la Rose, vers 1275
Objectifs
2. La nouvelle est révélée dans les vers 12 et 13 :
« elle arrive par la mer ». On peut faire le lien avec
■■ Comprendre la force imageante, impressionnante
la biographie de Charles d’Orléans, poète en exil de l’allégorie au Moyen Âge.
■■ Analyser le rôle didactique, moral de l’allégorie.
qui attendait de pouvoir retourner dans le royaume
de France et de revoir son épouse. Cette illusion de À travers cet extrait d’un poème du patrimoine, on
lecture autobiographique décrit un « je » poétique perçoit ici à quel point l’allégorie en tant que per-
en situation d’attente, attente que sa « loyauté » lui sonnification de valeurs, d’émotions, est importante
permet d’affronter. au Moyen Âge, dans la construction du discours qui
3. Grammaire veut frapper l’imagination pour instruire et éduquer.
La proposition subordonnée est la suivante : « qui 1. ENTRER DANS LE TEXTE
fait loyalement son devoir » (vers 9, 18 et 27). On Les maux qui naissent sur Terre sont nombreux, la
remarque que la « dame » (v. 26), l’« amie » (v. 8) sont personnification est visible grâce aux majuscules
des désignations de l’amante, antécédent du pronom qui animent ces vices ou ces malheurs identifiés :
« qui » (forme de pronom sujet). Dans le vers 17, c’est « Orgueil » (v. 1), « Convoitise et Avarice » (v. 3),
cette fois le nom « Amour » qui est l’antécédent du « Pauvreté » (v. 5), « Larrecin » (v. 12). On note que
pronom « qui » (« qui fait loyalement son devoir »). la première partie du poème énumère la naissance
La subordonnée, placée traditionnellement derrière le de ces maux rendus impressionnants et frappants
nom qu’elle complète, est ainsi mise en valeur car elle pour l’esprit, grâce à l’allégorie, tandis que la deu-
constitue le refrain des strophes. Elle est rejetée en xième partie du poème évoque les conséquences de
dernier vers de chaque strophe, et ponctue le discours ces malheurs.
d’attente par une formule d’espoir et de fidélité. 2. Les conséquences sont elles aussi nombreuses : à
4. L’amant prend une voix de conseil, face au cœur qui partir du vers 18, le chaos est décrit dans l’énumé-
répète son engagement amoureux : dans les vers 19 ration de termes au pluriel (« médisances, rancunes

et haines », v. 19). À partir du vers 22, la cupidité est VERS LE BAC. Commentaire
évoquée sans être nommée (arracher les « métaux » On peut percevoir dans la consigne deux points
précieux du sol, vers 25 ; et provoquer l’envie : « les importants à analyser à partir du texte. Tout d’abord,
gens devinrent envieux », v. 26). On constate donc il s’agit de montrer en quoi l’allégorie est un élément
que les maux humains rejaillissent sur le monde, de mise en récit et de mise en scène de la naissance
dégradé lui aussi (avec l’image d’une terre pillée de du mal. Ensuite, on peut voir le lien entre les effets
ses ressources). impressionnants du récit et l’orientation morale de
3. Grammaire ce dernier : il s’agit d’étudier en quoi ce récit exprime
Les verbes d’action présents sont les suivants : « vint » le côté néfaste des vices.
(v. 2 et 19), « firent sortir » (v. 5), « amena » (v. 12),
HISTOIRE DES ARTS
« se répandirent » (v. 17), « tirèrent » (v. 22). Ces
verbes de mouvement animent les vices listés, font Jérôme Bosch, « La Colère », Les Sept Péchés
d’eux des acteurs principaux dans la naissance du mal capitaux et les Quatre Dernières Étapes
sur Terre. La majuscule présente dans la désignation humaines, vers 1500
des vices, les verbes de mouvement, contribuent à 1. La violence du détail de cette œuvre repose essen-
créer la personnification des vices. On remarque que tiellement sur la situation représentée, et sur des
cette personnification produit un effet de dramatisa- objets symboliquement associés à la violence. Dans
tion dans le récit de la naissance du mal sur Terre, mais son ensemble, la scène renvoie à la vie rurale, avec
elle associe aussi ce mal à l’être humain, induisant un des personnages du peuple : une femme qui porte
regard moral sur la nature humaine, faillible, fautive une coiffe semble lutter contre un ivrogne (ses joues
et mauvaise. rosies, le pichet de métal qu’il tient à la main laissent
4. On rappellera que la ponctuation n’est pas un signe penser à un état d’ivresse) ; le visage d’un homme vêtu
que l’on peut commenter de manière technique avant d’une robe de moine exprime de l’agressivité. Cette
le xviiie siècle : imprimeurs et typographes s’emparent agressivité est par ailleurs dirigée vers l’homme qui
de cette technique parfois malgré les auteurs, l’édition brandit une lame face à la femme : le moine est lui
des textes ne devient scrupuleuse avec la ponctua- aussi armé d’une arme en métal, et d’un mobilier en
tion qu’à partir du moment où la littérature devient bois posé sur sa tête, évoquant la folie.
moins déclamatoire ; cependant, la virgule au sein 2. Dans l’œuvre de Jean de Meun, nous avons vu que
des vers a un effet signifiant : nombre de phrases du le récit de la naissance du mal est dramatisé, mis en
poème obéissent à un rythme accumulatif, faisant scène de façon impressionnante, et à travers une
s’enchaîner des vers dans un récit impressionnant. liste de tous les vices dont l’être humain peut être
Les phrases du poème sont les suivantes : vers 1 à victime. Dans l’œuvre de Bosch, la violence est elle
8, 9 et 10, 11 et 12, 13 à 25. On note deux phrases aussi montrée comme agissante à travers des êtres
courtes qui expriment une certaine tension, tandis humains, elle semble plus quotidienne et incarnée
que les deux phrases très longues mettent en scène dans l’homme directement : la scène n’est pas gran-
des actions successives et multiples, comme si le mal diose, mais plutôt prosaïque, elle associe la colère à
appelait le mal. une scène du quotidien. On peut ainsi dire que le récit
5. SYNTHÈSE de Jean de Meun est plus expressif, même si le tableau
On peut dire que ce récit a une visée morale : d’une de Jérôme Bosch propose une représentation de la
part, il s’agit d’un récit dramatique, qui enchaîne colère en mouvement.
les actions dans une certaine tension ; d’autre part, TICE
il sert un objectif moral : en décrivant les agisse- Le site du musée du Prado présente l’intérêt de
ments du mal en action de manière forte, il sert montrer une dizaine d’œuvres de Jérôme Bosch : on
de tableau repoussant pour l’imaginaire du lecteur repère rapidement les titres de ces œuvres, empreints
(pour l’auditeur de l’époque, dans une culture de la d’une dimension chrétienne. La fiche technique qui
transmission orale des œuvres au Moyen Âge). Le présente les Sept Péchés Capitaux et les Quatre
mal agissant à travers ces multiples représentations Dernières Étapes humaines indique un sens de lecture
allégoriques n’a que des effets négatifs sur l’homme de l’œuvre magistrale : provoquer le dégoût ou le rejet
et sur le monde. du Mal, faire peur pour montrer le sort infernal réservé

aux âmes pécheresses, et donner l’espoir d’un paradis rialise ou concrétise l’angoisse de mort en la donnant
acquis pour les bons croyants. On peut parler d’œuvre à voir au lecteur.
didactique, moralisante.
Le discours poétique occupe deux fonctions du
PAGE 327 langage dans ce texte. D’une part, l’écriture poétique
exprime l’émotion ressentie, l’angoisse et le désespoir.
‹ ndré Chénier, « Comme un dernier

A
rayon, comme un dernier zéphyre… »,
1794
Les allégories présentes, la puissance d’un discours
adressé directement au présent, et la ponctuation
expressive du poème témoignent de cette capacité
▶▶ Objectifs du poème à traduire une intériorité bouleversée.
■■ Étudier la dimension expressive des figures symbo- D’autre part, l’écriture permet aussi d’exprimer une
liques (celle de la mort). révolte face à la mort mise en procès. Des vers 16 à
■■ Analyser un poème élégiaque.
21, le « je » rend hommage à sa « plume » (v. 16), qui
1. ENTRER DANS LE TEXTE laisse trace de son existence et de l’injustice vécue :
Le début du poème associe l’acte d’écrire à un instant des vers 22 à 32, Chénier trouve du réconfort dans
crucial, celui de la mort attendue. L’expression en tête l’écriture, et se désigne comme faisant partie du camp
de vers « au pied de l’échafaud » (v. 3) est explicite des « justes massacrés » (v. 31).
et fait se rejoindre l’écriture poétique et l’histoire : en
1794, Chénier attend son exécution. HISTOIRE DES ARTS
2. Le passage du temps est évoqué dans le groupe Jérôme Bosch, La Mort de l’avare, vers 1510
nominal « l’heure en cercle promenée » (v. 5). La per- 1. On retrouve une œuvre de Jérôme Bosch. Le tableau
sonnification du temps en marcheur qui accomplit se lit de bas en haut, dans un mouvement escaladant,
une « route » (v. 7) de « soixante pas » évoque aussi le avec des plans successifs. Au premier plan, on dis-
passage des heures et prolonge la première périphrase tingue des vêtements et une lance avec un casque
de l’« heure ». abandonnés : l’avare en train de mourir abandonne ses
La mort est désignée par les périphrases suivantes : biens terrestres. Un personnage infernal (petit démon
« le sommeil du tombeau » (v. 9), « le noir recruteur ailé) fait partie des éléments infernaux présents, qui
des ombres » (personnification allégorique de la mort entourent le personnage pour l’emporter aux Enfers.
venue en personne chercher le poète). Au second plan, un homme muni d’un chapelet pour
3. Grammaire donner les derniers sacrements à l’avare détient aussi
Le premier temps repérable est le présent : de vérité des clés, devant un coffre plein. On voit l’homme jeter
générale pour le vers 2 (« anime »), puis d’énoncia- des pièces d’or que de petits êtres monstrueux récu-
tion (« j’essaye encor », v. 3), car le poète évoque une pèrent. Au troisième plan, l’avare désigné dans le titre,
situation vécue et adressée au lecteur dans le présent pâle, se voit dérober son sac de pièces par une créa-
de l’écriture. On retrouve ce présent d’énonciation ture infernale aussi, tandis qu’un squelette vêtu d’un
entre les vers 15 et 25. drap, image de la Grande Faucheuse, lui rend visite
Des vers 5 à 16, le poète alterne des hypothèses et (il entre par une porte dérobée au fond) pour venir le
leurs conséquences grâce à des formes du subjonctif, chercher : sa flèche pointe vers l’avare. En arrière-plan,
et au futur : le « je » se projette dans la mort avec sur la gauche, un Christ représenté sur un vitrail dirige
angoisse. sa lumière divine sur la victime, pour l’aider dans cette
Enfin, on remarque qu’entre les vers 26 et 32, le poète épreuve, mais l’homme ne sera pas sauvé : les rideaux
renvoie son discours vers une projection de la mort : rouges (évoquant l’enfer) et une créature infernale le
le subjonctif plus-que-parfait « eût tari » (v. 28) et le surplombent et l’enferment.
conditionnel présent « resterait » (v. 30) expriment 2. La mort, dans ce tableau, est incarnée dans la figure
cette angoisse imaginée. du squelette, mais cette figure est accompagnée d’un
4. SYNTHÈSE décor symbolique : la couleur rouge des tissus pré-
Les figures allégoriques animent l’attente et la mort sents évoque l’enfer, les créatures infernales aussi.
comme des dangers se rapprochant du poète. En en La couleur cadavérique du squelette, blanchâtre, sa
faisant des forces vivantes, agissantes, le poète maté- forme extrêmement allongée et inquiétante en font

un personnage important dans la construction de fonction de complément circonstanciel du verbe « a
l’œuvre : il fait face au personnage de l’avare. jointe », la conjonction « que » ne sert alors que de
pur outil de subordination, elle n’a pas de fonction.
PAGE 328 4. On peut proposer la version suivante :
« Tu me feras errer, comme Hécate,
›
▶▶
Maurice Scève, « Comme Hécate
tu me feras errer… », 1544
Objectifs
Vif et mort parmi les ombres pendant cent ans.
Comme Diane, tu me feras me retirer au ciel,
D’où tu descendis en des obstacles mortels.
■■ Étudier le rôle des figures mythologiques dans la Comme si tu régnais dans les ombres infernales,
poésie lyrique du xvie siècle. Tu amoindriras ou augmenteras mes peines. »
■■ Aborder une figure mythologique ambiguë : Diane- La syntaxe (place des mots) contribue au niveau
Hécate. de langue présent, soutenu, que les noms au pluriel
« encombres » et le verbe « accroîtras » confirment.
Les comparaisons du destinataire du discours avec 5. SYNTHÈSE
des divinités sont présentes dans les vers 1 (« Comme Dans ce dizain, les références à des divinités de la nuit,
Hécate », déesse de la Lune), 3 (« Comme Diane », de la magie, permettent au « je » poétique de dresser
déesse de la chasse), 7 (« Comme Lune »). La dernière le portrait de l’être aimé : toute-puissante vis-à-vis
comparaison instaure un lien entre la femme aimée du poète, Délie contrôle son destin et ses émotions.
et l’image d’une reine puissante, avec la comparai-
son « comme régnante aux infernales ombres » (v. 5),
dans laquelle on peut voir une allusion à Perséphone.
∞ Maurice Scève, « Diane on voit
ses deux cornes jeter... », 1544
Objectifs
Le sonnet répète en écho l’évocation d’une divinité ▶▶
redoutée, liée à la nuit. ■■ Comparer la figure de Diane avec le poème précé-

dent : toute-puissance et beauté de la déesse.
2. Le poète se décrit errant en enfer : la coordina-
■■ Se familiariser avec le langage poétique de la poésie
tion des adjectifs « vif » et « mort » (v. 2), associée à
du xvie siècle.
l’hyperbole « cent ans » (v. 2), décrit le poète comme
une victime. Le pluriel « mes peines » (v. 6) contribue à 1. La comparaison avec la déesse Diane associe l’appa-
l’image pathétique du « je » poétique, tout comme la rition de la Lune dans son cycle à la contemplation
comparaison « comme Lune infuse dans mes veines » de la beauté du visage de l’être aimé, sans cesse
(v. 7), dans laquelle le complément circonstanciel renouvelée selon le poète. L’association entre Diane
laisse imaginer un enfer psychologique, incarné jusque et l’être aimé s’exprime dans la comparaison impli-
dans la chair et dans l’esprit du poète : il s’agit de cite de l’anaphore « et toi » (v. 3 et 6), dans la rime
l’envoûtement de l’amour. synonymique « jeter/forjeter » (v. 1 et 3).
3. Grammaire 2. Dans le dizain 22, Scève mêle les images de Diane
Le mot « que » possède plusieurs classes gramma- et d’Hécate, faisant de ces deux déesses une seule
ticales : on le retrouve dans les deux derniers vers image paradoxale : maléfique et bénéfique à la fois.
du dizain, dans deux emplois différents. La première Le champ lexical de la peine file le premier dizain, alors
occurrence commence le vers, « qu’Amour a jointe » que le dizain 176 explore plutôt le pouvoir mystérieux
et enchanteur de Diane. Ce dizain est plus sensuel que
(v. 9) : il s’agit du pronom relatif « que » sous sa
le dizain 22, qui est élégiaque.
forme syncopée « qu’ » devant voyelle. Ce pronom
relatif a fonction d’être complément d’objet du verbe TICE
« joindre » (Amour a joint Délie), il introduit la pro- Gustave Moreau, Jupiter et Sémélé, 1889-1895
position subordonnée relative « qu’Amour a jointe à – L’œuvre représente Jupiter, sur la cuisse de qui
mes pensées vaines » pour décrire Délie. repose le corps de la terrienne Sémélé, son amante
La deuxième occurrence est inscrite dans un système morte foudroyée de l’avoir vu. Les divinités encadrent
corrélatif, qui associe l’adverbe « si » et la conjonc- le couple, elles semblent innombrables, mais on
tion « que » pour exprimer la conséquence : « si fort repère : une femme berçant une épée ensanglantée,
que Mort jamais ne l’en délie ». La proposition subor- qui symbolise la mort ; une autre femme, figure de la
donnée « que Mort jamais ne l’en délie » occupe la Douleur, avec un lys blanc ; le dieu Pan accompagné

d’un aigle, symbole de Jupiter. Hécate est l’une des 3. Le pronom « je » apparaît dans une situation de
divinités représentées en bas à gauche du tableau, laisser-aller, d’abandon : « J’allais rêvant » (v. 4). Le
avec un regard foudroyant : elle incarne elle aussi un « je » poétique surprend Diane, sa solitude dans la
royaume des ténèbres inquiétant, car la mort a saisi forêt est dangereuse : le sujet se retrouve en effet
Sémélé de manière foudroyante. « sans arc » et « sans carquois », en position de fra-
– Hécate apparaît avec son attribut, une lune sur- gilité. L’apostrophe « compagne » fait du « je » poé-
montant sa tête. Elle est une figure ailée, symbole tique un sujet féminin, qui explique la raison de son
divin. errance : l’amour l’a touchée et l’a vaincue ; le dernier
– La représentation du Corrège est tout à fait diffé- vers du sonnet, pointe finale brutale, exprime cet aveu
rente : bien que l’on retrouve le symbole de la lune en (« me fit cent et cent brèches », v. 14).
diadème, et un mouvement du tableau vers le haut 4. Grammaire
qui évoque une divinité céleste, la déesse semble sen- La subordination domine dans le deuxième quatrain
suelle et correspond aux canons de beauté de son
et le premier tercet qui expliquent les circonstances
époque : une blancheur de marbre, la blondeur des
de la rencontre entre le « je » et la déesse (« quand
cheveux, des vêtements en drapés sensuels. Moreau
j’ouïs », v. 5 ; « Qui m’appela », v. 6 ; « Qui de ton arc »,
choisit de représenter le côté maléfique et inconnu
v. 10). Ces propositions donnent un contexte et des
d’Hécate, sorcière redoutée, alors que Le Corrège en
précisions dans le dialogue entre les deux person-
fait une divinité à l’image de l’idéal de beauté de la
nages. À l’inverse, la coordination a une fonction qui
Renaissance.
n’est pas informative, mais plutôt expressive : dans
le dernier tercet, les propositions sont enchaînées et
PAGE 329
liées par la conjonction de coordination « et », utilisée
en anaphore (v. 12, 13, 14). La conjonction crée un
6
▶▶
Louise Labé, « Diane étant en
l’épaisseur d’un bois… », 1555
Objectifs
effet d’accélération du discours, qui accentue la chute
pour exprimer la blessure sidérée du « je ».
■■ Étudier la construction du sonnet lyrique et sa situa- 5. SYNTHÈSE
tion de discours adressé. Ce sonnet développe tout d’abord une image de
■■ Analyser une figure de la mythologie comme inter-
l’amour associé à la chasse, un danger qui place le
locutrice de la femme poète. sujet en situation de difficulté, s’il n’est pas « armé ».
Cette métaphore filée permet de rendre expressive la
douleur du coup de foudre, par le biais d’un topos litté-
La déesse s’adresse au « je » poétique qui raconte
raire traditionnel au xvie siècle. L’originalité du sonnet
un souvenir passé. La déesse apostrophe le « je » en
de Labé fait de l’amour une situation dans laquelle le
l’appelant « Nymphe étonnée ». L’expression renvoie
sujet se sent perdu et dans une autre réalité : l’errance
à une jeune fille faite pour l’amour, et à une divinité de
dans le bois est l’image de cet abandon de soi.
la nature. La déesse interpelle le personnage pour que
le « je » se place sous son signe, sous sa protection, VERS LE BAC. Dissertation
dans « l’épaisseur d’un bois » (v. 1). On peut proposer un plan thématique qui fera de
2. Lexique Diane une alliée du « je » poétique (une déesse qui
La métaphore filée de la chasse est présente dans transcende l’amour dans le dizain 22 de Scève, une
le sonnet, avec le nom « bois » (v. 1), « bête » divinité qui symbolise la beauté et le désir amou-
(v. 2), « arc » et « carquois » (v. 8), « proie » (v. 10), reux dans le dizain 176, mais aussi une interlocutrice
« flèches » (v. 12), « tirant » (v. 14). Cette métaphore qui permet au « je » d’exprimer ses émotions dans
est celle de l’amour qui peut laisser démuni, qui blesse le sonnet de Labé). Dans le deuxième temps de la
et attaque par surprise. La référence mythologique à composition, on peut suggérer un renversement de
Diane, déesse de la chasse, mais aussi divinité fémi- cette vision positive de Diane : elle est tout d’abord
nine désirée (dans le mythe d’Actéon notamment), une puissance redoutée et mystérieuse dans les deux
contribue à dresser cette analogie, d’autant plus que dizains de Scève ; elle exprime un amour passionné qui
la tradition pétrarquiste du xvie siècle développe le obsède ou fait souffrir (dizain 176 et sonnet de Labé) ;
topos de l’amour comme une guerre qui blesse phy- et enfin elle incarne symboliquement l’amour perçu
siquement le cœur et l’esprit. comme une chasse (sonnet de Labé).

en est la preuve. L’anaphore « où » exprime aussi une
HISTOIRE DES ARTS
perte de repères : le poète semble avoir perdu son ins-
Le Titien, Diane et Actéon, 1556 piration, il se décrit dans une situation d’impuissance.
1. Diane est le personnage qui apparaît offensé à 2. Le poète, à la recherche de la gloire (« Cet honnête
droite du tableau. Une servante à la peau noire et désir de l’immortalité », v. 3), trouve cette dernière
un chien symbole de l’amour fidèle se trouvent à ses grâce à ses poèmes. Or, l’inspiration lui fait défaut :
côtés. On reconnaît la déesse à son diadème lunaire, elle est désignée par les périphrases « cette honnête
qui apparaît au-dessus de son visage, qu’elle masque flamme » (v. 4, pour évoquer l’ardeur d’écrire), « ces
par pudeur et par colère. Face à elle se trouve Actéon. doux plaisirs » (v. 5, la création aisée rendait le poète
2. Dans le mythe d’Actéon, le personnage, élevé par heureux), par le groupe nominal « divine ardeur », ou
le centaure Chiron qui lui enseigne l’art de la chasse, encore dans la figure personnifiée des « Muses » (v. 6).
surprend Diane (Artémis pour les Grecs) dans la mon- 3. Grammaire
tagne, alors que la déesse se baigne avec ses com- L’adverbe « maintenant » se trouve dans le premier
pagnes. La déesse, outrée d’avoir été surprise nue, alexandrin, puis en première position du premier
le métamorphose en cerf et les chiens d’Actéon, le tercet. Cet adverbe renforce la situation de com-
prenant pour un gibier, le pourchassent et le dévorent. munication, il crée l’illusion que le poète s’exprime
On peut faire un lien avec le sonnet de Louise Labé, dans l’instant présent, pour adresser directement son
qui évoque un chasseur perdu dans les bois, à cause désespoir et toucher davantage.
de l’amour. Le sujet du mythe est masculin (Actéon 4. Les places de la première personne :
pris de désir pour la déesse Diane), alors que le sonnet – dans le vers 8, le pronom personnel est sujet du
de Labé fait du « je » poétique une « compagne » de verbe « menais » ;
la déesse. – dans le vers 9, le pronom « moi » apparaît dans un
3. L’intensité du désir est exprimée par la métaphore complément du nom (« maîtresse de moi ») qui fait
filée de la chasse, par l’anaphore « et » et par la pointe du poète un être qui subit ;
finale du sonnet qui accentue la brutalité de la bles- – dans le vers 10, le déterminant « mon » pour dési-
sure d’amour. Dans le tableau du Titien, le désir amou- gner « mon cœur » localise la douleur du poète, une
reux est perçu comme un scandale, un interdit bravé souffrance psychologique et affective, qui le rend
plutôt qu’une blessure : le peintre a représenté le passif : « regrets qui m’ennuient » ;
moment de la rencontre entre Actéon et Diane qui se – le pronom « m’ », forme syncopée de « me », a pour
trouve offensée. Le désir se traduit par des symboles fonction d’être complément d’objet : entre le vers 8 et
de représentation, par le rouge des drapés, des corps le vers 11, la première personne reste omniprésente,
dénudés et multiples de femmes qui accompagnent sa fonction syntaxique (sujet puis COD du verbe)
Diane elle-même nue au bain, dans la forêt (le lieu est exprime l’évolution de sa situation de détresse.
le symbole d’un instinct, d’une pulsion qui s’exprime). 5. SYNTHÈSE
Entre le poète et les Muses, la relation est celle d’une
PAGE 330 allégeance : le poète évoque de manière nostalgique,
au passé, son inspiration par les Muses, qui lui per-
‡ J oachim du Bellay, « Las, où est
maintenant ce mépris de Fortune »,
1558
mettait d’être maître de son écriture : la métaphore
de la danse, dans le vers 8, traduit cette relation har-
monieuse. La perte de l’inspiration fait disparaître
▶▶ Objectifs les Muses du discours poétique, dès le vers 6, pour
■■ Étudier un discours métapoétique dans lequel la laisser place à la figure de Fortune, placée sous le signe
figure allégorique incarne le manque d’inspiration. de l’instabilité et du hasard. Le premier vers, sous la
■■ Aborder le rôle culturel de la mythologie dans le
forme d’une question courte, exprime un constat
courant de la Pléiade. amer, qui est ensuite répété dans la phrase décla-
1. ENTRER DANS LE TEXTE rative du vers 9. Le dernier vers fait des Muses des
Les phrases interrogatives dominent dans les deux êtres « étranges », éloignés du poète qui se trouve
quatrains, soulignant le désarroi du poète qui crie sa envahi par un sort malheureux accablant. L’opposition
détresse : la première interjection « Las » (hélas, v. 1) entre les Muses et la Fortune permet à Du Bellay de

développer un lyrisme élégiaque qui met en scène les roman, pour faire émerger le choix d’un personnage
affres de la création. en particulier.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857
PAGE 331 Dans un recueil volumineux comme celui des Fleurs
du mal, on peut même sélectionner une section du
Dossier personnel recueil ou donner une liste de titres parmi lesquels
choisir, pour guider les élèves.
ACTIVITÉ 1. Raconter la naissance du Bien
Les trois poèmes doivent être recopiés de manière
On attend une relecture attentive du texte de Jean
à être présentés de façon esthétique, et le discours
de Meun, qui permettra d’y retrouver les procédés de
personnel porté sur chaque poème doit en éclairer
dramatisation du récit (verbes d’action, énumérations,
le sens, expliquer les émotions qu’il provoque, les
passé simple de narration).
impressions données au lecteur, l’imaginaire person-
Les vertus, qualités, valeurs liées au Bien doivent
nel qu’il suscite chez l’élève.
figurer dans le récit, personnifiées.
Louis Aragon, Les Yeux d’Elsa, 1942
ACTIVITÉ 2. Rédiger un hymne adressé à un héros L’éloge est un genre fondé sur l’admiration, l’exal-
ou une héroïne d’aujourd’hui tation, l’amour : on conseillera aux élèves de cibler
Le choix du sujet qui sera décrit doit être cohérent une valeur forte que l’être choisi représente, pour la
avec le héros ou l’héroïne choisi(e) : les qualités pre- décliner à travers des exemples, mais aussi à travers
mières de ce héros doivent se retrouver dans le por- des images et des procédés lyriques (la répétition,
trait fait. l’anaphore, le rythme croissant d’un vers).
Les procédés de l’éloge sont à mobiliser : vocabulaire
laudatif, métaphores positives, mais aussi présence
du « je » qui exprime ce qu’il ou ce qu’elle ressent. PROLONGEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS
ACTIVITÉ 3. Diane chasseresse

PAGE 332
Le site Larousse permet de percevoir le personnage de
Diane sous les représentations multiples qui en sont Au Moyen Âge, un Mal monstrueux
faites dans l’histoire de l’art : à partir de recherches
documentaires sur la naissance de Diane, on peut se 1. Dante utilise la première personne pour créer une
servir de l’iconographie autour de Diane pour illus- illusion référentielle, comme si le narrateur du récit
trer les différents savoirs qui entourent cette déesse était l’auteur. Le personnage se retrouve dans un lieu
italique, qui possède cependant des correspondantes élevé, puisqu’il évoque la « hauteur » (v. 11) du mont
dans la mythologie grecque. qu’il gravit. Dans l’extrait, le lieu est peu décrit, mais
il est empli d’animaux redoutables : un « lion » (v. 2),
À LIRE, À VOIR une « louve affamée » (v. 6) désignée aussi par la
Marion Zimmer Bradley, périphrase « la bête aux approches funèbres » (v. 15).
La Trahison des dieux, 1997 2. Tout d’abord, l’œuvre de Parcher laisse apparaître au
L’argumentation doit développer le portrait du héros premier plan deux personnages, un homme d’Église,
choisi, de son parcours, pour en tirer les raisons pour un évêque (d’après son vêtement et ses attributs :
lesquelles ce héros serait un modèle. Les arguments un manteau rouge, une tiare, la crosse épiscopale).
peuvent puiser dans l’expérience personnelle de Le personnage (le titre de l’œuvre nous apprend qu’il
l’élève, mais être aussi des arguments plus généraux, s’agit de saint Augustin) fait face à une créature qui
soulignant l’utilité, l’exemplarité, les atouts d’un tel possède un caractère maléfique : créature hybride et
héros pour la société et pour le monde. anthropomorphique, cette bête ailée est cornue (une
Laurent Gaudé, La Mort du roi Tsongor, 2002 caractéristique du Diable). Le décor qui se trouve der-
Le choix d’un personnage peut se faire par une argu- rière le saint permet la construction de la perspective :
mentation centrée sur le personnage lui-même, sur le point de fuite du tableau montre des personnages
ses qualités et sur les choix qu’il fait, sur les émo- assistant à la scène.
tions qu’il procure au lecteur. On peut aussi inciter les Dans le tableau de Bosch, au contraire, les êtres
élèves à argumenter en comparant les personnages du humains ont presque disparu : seuls quelques corps

difformes sont jetés dans des chaudrons bouillants. tableau sont construites autour de la tête de Méduse :
L’œil est surtout attiré par une gueule béante (avec le peintre a choisi de multiplier le nombre de serpents
un effet de mise en abyme : une bouche dans la qui forment la chevelure de la Gorgone en peignant
bouche, qui avale des corps ailés, monstrueux). On des corps de reptiles en mouvements, agités, torves.
retrouve cette gueule comme dupliquée dans le 4. On peut contextualiser la scène pour donner des
haut du tableau. Au tout premier plan, on distingue éléments de narration, qui devront être dramatisés
des humains enchaînés conduits au supplice par des grâce à des procédés pathétiques ou tragiques (hyper-
créatures infernales. La surcharge d’éléments dans le boles, antithèses, verbes de mouvement). Il s’agit
tableau de Bosch sature l’œil pour créer une vision d’un épisode religieux (provenant de L’Évangile selon
d’horreur. Matthieu) : Hérode, roi cruel, ordonne le meurtre de
3. Dans les trois œuvres, l’évocation de l’Enfer est tous les enfants de moins de deux ans dans la région
impressionnante : pour ce faire, la représentation de Bethléem. Hérode redoutait la concurrence d’un
recourt à des personnages devenus des créatures, roi des Juifs annoncé par les Mages peu après la nais-
des monstres (créatures hybrides pour Parcher et sance de Jésus. L’épisode évoque un imaginaire de
Bosch ; ou extraordinaires, chez Dante). Le Mal prend cruauté concernant le sort réservé aux victimes, de
une forme animée, vivante, entre l’humain et le jeunes enfants.
monstrueux.

PAGE 333
Le spectacle du Mal à l’âge baroque Le poète face aux créatures

1. Les antithèses présentes dans le poème d’Agrippa légendaires
d’Aubigné sont : « vains » et « agréables » (v. 1 et 2) ;
« plaisir » et « peine » (v. 11) ; « clartés » et « obscu- PAGE 334
rités » (v. 9 et 12) ; « bien » et « mal » (v. 22 et 24).
À travers le thème baroque du rêve comme illusion
trompeuse, Agrippa d’Aubigné décrit une huma- ⁄ uillaume de Machaut, « Dans le cœur
G
de ma dame demeure une vipère… »,
xive siècle
nité qui se laisse séduire par ses sens (« arrière de
moi, vains mensonges », v. 1), et qui ne sait fixer ses ▶▶ Objectifs
désirs. Ainsi, le poète décrit une nature humaine liée ■■ Aborder la notion de bestiaire médiéval.
■■ Étudier la dimension symbolique des créatures du
au Mal (« un dangereux animal », v. 21), dépourvue
de sagesse. scorpion, de la vipère et du basilic.
■■ Analyser une ballade évoquant les tourments de la
2. Le passage du temps, mais aussi l’illusion des sens,
sont lisibles dans l’iconographie symbolique. Trois passion.
objets sont juxtaposés et peints en gros plan : 1. ENTRER DANS LE TEXTE
– une fleur évanescente dans un vase renvoyant des La première strophe de la ballade évoque les trois
reflets ; créatures dangereuses qui composent le visage de la
– un crâne humain luisant ; dame : une vipère dans le cœur, un scorpion dans
– un sablier rempli, avec un reflet visible sur le verre. la bouche, un basilic dans le regard. Leur piqure ou
La vanité est un genre traditionnel en peinture, qui blessure est douloureuse, mortelle.
recourt à des représentations symboliques de la mor- 2. La ballade, genre poétique fondé sur une forte musi-
talité humaine. Il s’agit d’une peinture à dimension calité, permet à Guillaume de Machaut d’exprimer la
morale. souffrance de la passion amoureuse : l’organisation
3. La Tête de Méduse de Rubens est composée de des strophes joue de la présence d’un refrain appelé
manière à provoquer l’effroi : « envoi », « Ces trois-là m’ont tué, et elle, que Dieu la
– la tête décapitée du personnage mythologique garde. » Dans ce vers, Machaut peut exprimer un dis-
apparaît en gros plan dans le champ de l’image ; cours élégiaque (une plainte) et lyrique (un serment
– les contrastes chromatiques jouent sur le rouge et le d’amour fidèle). Les trois strophes permettent au
blanc pour exhiber une tête de cadavre. Les lignes du discours de progresser par ailleurs :

– le premier huitain fait le portrait de la dame, cruelle, séquence. On peut proposer un plan en deux parties
à travers l’image des trois créatures ; et deux sous-parties :
– le deuxième huitain renforce la douleur exprimée, 1. L’allégorie permet une mise en scène des émotions
la dame est décrite dans toute sa cruauté, à travers exprimées dans le poème.
les allégories du Dédain et du Refus ; a) Dieux et allégories illustrent un pouvoir que les
– enfin, le dernier huitain permet au poète de s’adres- hommes subissent (Guillaume de Machaut).
ser directement à l’Amour, pour décrire l’amour b) L’allégorie peut extérioriser le sentiment intérieur
comme un supplice face auquel la mort est plus du « je » (Charles d’Orléans).
désirable.
2. L’allégorie développe un imaginaire à partir
3. Grammaire d’images narratives, elle explicite les notions abs-
Aux vers 17 et 18, deux subordonnées conjonctives traites en jouant de l’image.
(« qu’elle m’a fait maint mal », « que je suis sien pour a) L’allégorie personnifie une entité abstraite, qui
toujours ») s’enchaînent, pour compléter le verbe devient un personnage adjuvant ou opposant dans
« savoir ». La subordonnée circonstancielle « que je un récit dramatisé (Du Bellay/Labé).
le veuille ou non » (vers 18) indique une opposition b) L’allégorie a une fonction didactique et morale
(« que » = même si, bien que). (Jean de Meun).
Aux vers 19 et 20, trois propositions subordonnées
circonstancielles à valeur temporelle (« quand tu PAGE 335
fuis », « et que Loyauté s’esquive », « et que Pitié ne
se soucie pas de l’éveiller ») sont coordonnées ; elles
contribuent à renforcer la plainte du poète.
Au vers 23, la proposition subordonnée relative
¤
▶▶
Amadis Jamyn,
« Comme le seul Phénix… », 1575
Objectifs
« qui me déchire le cœur », qui occupe la fonction ■■ Analyser la figure du phénix, symbole de résurrection.
de complément de l’antécédent « regard », permet ■■ Analyser le lien entre les métaphores poétiques (le
de conclure le portrait de la dame avec un effet de feu) et les figures symboliques (le phénix, Prométhée)
bouclage (on retrouve le motif du regard cruel de la dans l’expression de la passion amoureuse.
dame de la première strophe).
4. Pour matérialiser sa souffrance et ne pas accabler La métaphore filée du feu, image de la passion amou-
la dame, le « je » poétique désigne les attitudes qui reuse, est présente dans le poème : « feu » (v. 4, 7),
le blessent : le « Dédain », le « Refus » (deuxième « flambeau » (v. 9), « s’embrase » (v. 10).
strophe). Cependant, dans la dernière strophe, le « je »
2. Dans le vers 11, le « je » poétique se compare à
recourt à des ressources utiles à l’amant fidèle : il
Prométhée, Titan qui déroba le feu à Zeus. Le point
invoque « Amour », « Loyauté » et « Pitié » pour être
commun établi est celui du « larcin », du vol : de la
soutenu dans son épreuve.
même manière que le Titan vola le feu aux dieux pour
5. SYNTHÈSE le donner aux hommes, le poète semble être puni
Le poète évoque la passion, un amour intense, qui fait éternellement de contempler l’objet de son amour,
souffrir et qui tourmente : qui lui brûle le cœur et le corps.
– l’envoi de la ballade exprime l’allégeance du poète
3. Grammaire
dévoué à sa dame, dans la tradition de l’amour
Entre les vers 9 et 14, une seule phrase est construite.
courtois ;
Les vers 9 et 10 coordonnent deux propositions indé-
– les allégories concrétisent les épreuves qu’il affronte,
pendantes (« La flamme du Phénix vient du flambeau
en figures du mal qui le font souffrir et lui font endurer
des cieux », « la mienne s’embrase au soleil de vos
un supplice.
yeux »), et le vers 11 contient une proposition subor-
Enfin, la présence de l’amour et de la loyauté sou-
donnée relative (« Où je commets larcin comme fit
lignent l’intensité de cet amour, faisant de l’amant
Prométhée ») dont l’antécédent est le nom pluriel
une personne fidèle et engagée par un serment.
« yeux ».
VERS LE BAC. Dissertation Le deuxième tercet coordonne les deux propositions
Le sujet, thématique, consiste en une synthèse, que principales précédentes (v. 9 et 10), avec deux autres
l’on peut construire en parcourant les textes de la propositions : « aussi j’en suis puni d’un mal conti-

nuel » (v. 12) et « Car Amour me déchire toujours PAGE 336
d’une main indomptée » (v. 13-14). On remarque
qu’une proposition subordonnée est de nouveau
présente, mais elle ne suit pas son antécédent cette
fois : elle est insérée dans la proposition principale
‹ J ean de La Fontaine, « Le Dragon
à plusieurs têtes et le Dragon à
plusieurs queues », 1668
« Car Amour [qui se change en un Vautour cruel] ▶▶ Objectifs
me déchire toujours d’une main indomptée ». Cette ■■ Étudier la relation entre le récit et sa morale impli-
subordonnée a pour antécédent le nom « Amour », cite.
avec un pronom relatif « qui » qui occupe la fonction ■■ Étudier la fonction argumentative de la créature du
de sujet du verbe « change ». dragon, dans une fable politique.

Cette longue phrase amplifie la plainte du discours
amoureux, créant un effet de crescendo.
La première phrase expose une situation : un repré-
4. Chaque strophe de ce sonnet possède une forte sentant de l’Empire turc, accueilli chez un hôte alle-
cohérence : mand, pense que le royaume turc est plus puissant
– le premier quatrain établit la comparaison avec le que celui d’Allemagne. L’enjeu est celui d’une rivalité
Phénix (l’oiseau ramasse du bois pour brûler) ; politique, d’une argumentation sur l’art de gouverner.
– le deuxième quatrain explicite et fait aboutir la com-
2. Les vassaux de l’empereur sont nombreux : « des
paraison (le comparé est le « je », qui contemple les
dépendants » (v. 5). Ces vassaux avaient leur auto-
beautés de l’être aimé et en est brûlé) ;
nomie : chaque vassal possédant son royaume prête
– le premier tercet reprend la métaphore du feu et
allégeance à l’empereur, sans diminuer son pouvoir.
de la brûlure pour dessiner le portrait d’une victime
Cependant, le pouvoir des vassaux semble trop fort
tragique de l’amour, avec l’ajout de la comparaison
pour l’homme turc.
à Prométhée ;
– enfin, le dernier tercet prépare la pointe finale du 3. Grammaire
sonnet, qui exprime une acmé (le point culminant) Les valeurs du présent dans cette fable sont les
de la souffrance. suivantes :
– « dit l’Histoire » (v. 2), présent d’énonciation : le
5. SYNTHÈSE
conteur face à son public raconte cette fable ;
La créature légendaire du Phénix est connue pour
son destin tragique et à la fois magnifique : il renaît – « a », « sont » (v. 5 et 6), présent de description,
toujours de ses cendres, symbolisant un animal quand le personnage évoque l’art de gouverner de
majestueux, grandi dans sa destruction. L’image ainsi son empereur ;
donnée de l’amour est celle d’un amour vif, beau, qui – vers 9 à 12, présent d’énonciation dans le dialogue
est infini malgré ses turpitudes, qui augmente avec des personnages ;
les difficultés aussi, tout en faisant souffrir l’amant. – le verbe « est » (« est vraie », v. 12) relève du présent
de description ;
VERS LE BAC. Commentaire – « commence » (v. 15), « se présente » (v. 22),
La problématique propose d’analyser tout d’abord « passe » (v. 25) sont des présents de narration : le
l’image du feu, en l’associant au discours sur l’amour. Chiaoux raconte un fait passé en le dramatisant ;
Un plan envisageable serait le suivant : – « je crois » (v. 16), « je soutiens » (v. 27), présents
1. Un sonnet qui dresse l’autoportrait d’un « je » d’énonciation ;
martyr – « on s’effraie » (v. 26-27), présent de vérité générale.
a) l’image du feu dévorant le « je » La Fontaine exploite le présent de vérité générale dans
b) la comparaison tragique avec le Phénix : mort et la fable pour instruire son lecteur, mais il invente aussi
beauté associées un récit vif et mis en scène grâce au présent de nar-
c) la comparaison avec Prométhée : une victime ration et au présent d’énonciation.
impuissante 4. Le Chiaoux utilise l’image de l’hydre (monstre doté
2. Un sonnet sur la passion amoureuse de plusieurs têtes et un corps, la tête représentant
a) l’élucidation de la comparaison Phénix/« je » le siège de la pensée, du pouvoir) et celle du dragon
b) un amour sensuel (monstre possédant une tête, mais plusieurs queues :
c) un amour supplice un seul chef à qui obéissent non pas des vassaux, mais

des subordonnés). Il préfère l’image du dragon, où le sions « le beau monstre à la démarche louche » (v. 3),
pouvoir n’est incarné que par un seul chef, à qui sont « la bête » (v. 9) et le pronom féminin « elle » (v. 11).
soumis les autres. Le dernier vers « De votre empereur L’homme qui la suit est appelé « l’homme » (v. 2), de
et du nôtre » place l’empereur allemand en premier manière définie, mais généralisante à la fois ; puis il
dans la comparaison, ce qui laisse deviner qu’il est devient « sa proie » (v. 9, outre le pronom « il »). La
l’exemple de l’hydre (raconté en premier dans le récit relation entre les deux personnages est donc fondée
du Chiaoux). Au contraire, le portrait du dragon arrive sur une prédation, et sur le mystère.
en deuxième position dans le récit, comme l’allusion 2. Grammaire
à l’empereur turc dans le dernier vers. Les adjectifs présents sont : « beau » (v. 3), « menteur »
5. SYNTHÈSE (v. 4), « larges » (v. 4), « vieille » (v. 5), « fixe, insensible
L’anecdote des deux dragons oppose deux types de et farouche » (v. 6), « terrible » (v. 10), « ouverte »
représentation du pouvoir. L’une est décentralisée, (v. 14). Les propositions subordonnées relatives sont :
féodale (les vassaux prêtant allégeance à un empereur « où tout dort » (v. 1), « qui porte un ciel menteur
qui ne trouve sa puissance que dans l’association) ; dans ses larges yeux d’or » (v. 4), « qu’il touche » (v. 7),
l’autre est centralisée et forte (un seul chef gouverne, « dont le sang coule à flots sur la terre » (v. 12).
de manière absolue, comme Louis XIV à l’époque de On propose une répartition qui souligne d’un côté
La Fontaine). l’impression d’inquiétude qui imprègne la scène, et
d’un autre côté la beauté mystérieuse présente aussi
dans le poème.
Les trois mots-clés de la citation sont à mettre à
l’épreuve : 3. Dans les deux quatrains, la chimère est poursuivie
par l’homme qui est le sujet des actions. L’homme
1. Une définition de la fable comme une histoire allé-
semble accomplir une quête en allant à la rencontre
gorique, métaphorique, assortie d’une morale
de cette créature.
a) le fonctionnement métaphorique de la fable
Dans les deux tercets, l’attaque de la chimère et son
b) la morale qui conclut l’élucidation de la métaphore
pouvoir sur l’homme sont racontés et décrits : la bête
2. L’« histoire allégorique » ne peut-elle être symbolise un inconnu qui mêle la peur, la mort, la
« action » ? beauté.
a) Cette « histoire » comporte de l’action, un art du
récit, grâce à la mise en abyme de l’action dans la 4. SYNTHÈSE
parole On peut proposer une interprétation ambiguë de
b) La dimension argumentative de cette fable inverse la pointe finale du sonnet. En effet, le sourire de
en effet le schéma narratif habituel, pour privilégier l’homme n’est pas cohérent avec l’atmosphère de
la leçon donnée sur l’art de gouverner : la morale mort qui règne dans le sonnet ni avec la mise à mort
l’emporte sur l’art du récit. du personnage lui-même. Cependant, cet homme a
obtenu ce qu’il cherchait, en accomplissant une quête,
PAGE 337 en contemplant dans les yeux de la chimère quelque
chose d’indicible.
›
▶▶
Albert Samain,
« La Chimère », 1921
Objectifs
ORAL
Un poème, par ses ressources langagières (sonorités,
rimes, rythmes, images) peut dire l’indicible, ce que
■■ Aborder un poème symboliste, caractérisé par une l’homme ne comprend pas, dans un langage détourné,
utilisation suggestive, mystérieuse de la chimère. dévié de son utilité ou de sa clarté efficace première.
■■ Étudier un poème allégorique de la condition
humaine. HISTOIRE DES ARTS
1. ENTRER DANS LE TEXTE La chimère sculptée est un monstre, une créature

La chimère affronte un homme désirant la voir, la hybride faite d’une partie du corps et d’une tête
suivre : ce personnage évoque Bellérophon, le meur- de lion, d’une autre partie de son corps de chèvre,
trier de la chimère dans la mythologie. Pourtant, et d’une queue de serpent. Dans le poème, Samain
Samain inverse le mythe, faisant de la chimère un s’appuie sur les connaissances mythologiques du
objet de désir. La créature est désignée par les expres- lecteur (la chimère évoquée correspondant à la sculp-

ture), il ne décrit pas la créature de manière animale, EXERCICE 4. Synonymes
mais plutôt mystérieuse (faisant le lien avec le nom 1. Le bien-être désigne un état agréable de confort, le
« chimère » aujourd’hui : une illusion étrange). Le terme est associé à des sensations physiques.
caractère hybride et donc étrange de l’animal est Le calme correspond plutôt à un état, une atmosphère
souligné par la sculpture, alors que le poème est plus associés au silence, à l’équilibre de la personne qui
suggestif. n’est pas agitée.
La placidité est un état de calme extrême, qui ne laisse
PAGE 338 ressurgir presque aucune émotion.
Le bonheur est un état d’équilibre harmonieux.
La quiétude est un synonyme de sérénité : un état où
LEXIQUE ET ÉCRITS D’APPROPRIATION le sujet est bien avec lui-même surtout.
La tranquillité équivaut au calme, mais le terme
L’expression du bien et du mal possède aussi une dimension temporelle : la tran-
EXERCICE 1. Champs lexicaux quillité se situe dans un temps au repos.
Les expressions qui ne font pas partie du champ lexical L’équilibre évoque un rapport à soi-même qui n’est
du bien sont : pas sujet à des bouleversements, à des émotions
– « le mal », antonyme du thème ; fortes et instables.
– « une action estimable », car seul l’adjectif « esti- 2. Dans un ordre d’intensité approximatif (certains
mable » devrait faire partie du champ lexical ; termes sont proches, et l’on peut considérer que l’état
– « un héros », car ce groupe nominal semble trop de « sidération » ou le fait d’être « prostré » sont
éloigné du thème du bien ; moins forts que ce qu’évoque l’adjectif « terrifiant ») :
– « il fut sauvé ». En effet, cette phrase entière ne inquiet – soucieux – apeuré – anxieux – stressant –
peut pas faire partie du champ lexical, même le verbe tourmenté – horrible – terrifiant – sidéré – prostré
« sauver » est trop éloigné du thème ; EXERCICE 5. Périphrases axiologiques
– « s’engager » peut être accepté, si on le prend dans
un sens militant et moral à la fois. Personnages Périphrases
EXERCICE 2. Classez les termes d’un champ lexical Bayard Chevalier sans peur et sans
On rappelle que la classe grammaticale définit l’iden- reproche (bien)
tité grammaticale du mot, qui ne peut pas changer.
On ajoute à ce champ lexical les termes en italique Louise La Vierge rouge (ambiguïté,
dans le tableau. Michel entre le bien et le mal, avec le
rouge du sang révolutionnaire)
Adjectifs Verbes Noms Adverbes
Robespierre L’Incorruptible (bien)
mauvais, damner crime, vicieuse-
cruel haïr, enfer, ment Marat L’Ami du peuple (bien)
odieux, torturer perversion atrocement,
égoïste châtiment, malhonnê- EXERCICE 6. Expressions autour du mot « mal »
erreur tement être mal à l’aise : être gêné
aller de mal en pis : se dégrader, se détériorer
EXERCICE 3. Le vocabulaire axiologique du bien penser à mal : vouloir faire le mal
et du mal avoir le mal du pays : être déraciné, se sentir exilé
1. Les paires d’antonymes sont : vice/vertu ; bien/mal ; se donner du mal : fournir des efforts
admirable/honteux ; bienveillant/maléfique ; bienfait/ prendre son mal en patience : attendre
préjudice. dire du mal : médire
2. Avec le radical « bien » : le « bien-fondé » de quelque être mis à mal : être insulté, bafoué, abimé
chose, sa raison d’être légitime ; le « bien-être », avoir du mal : avoir des difficultés
le confort. Avec le radical « mal » : le « mal-être », être mal en point : être malade, fatigué
situation de détresse affective ou psychologique ; la
« malnutrition », le fait de manger de façon malsaine.

EXERCICE 7. Le champ lexical du mal ciser en quoi la vision du monde de l’auteur le fait
réfléchir sur tel ou tel sujet). La justification peut être
a b subjective si l’élève prend appui sur des expériences
personnelles. Le critère esthétique peut aussi être
dépravé corrompu
pertinent : la poésie est un genre où l’indicible, les
sectaire intolérant impressions peuvent avoir place.
2. Les quatre auteurs balaient le programme (Moyen
cupide avide d’argent Âge-xviiie avec des prolongements vers les xixe et xxe-
xxie siècles) : Machaut incarne la lyrique courtoise
vénal qui se laisse acheter au mépris de la
(pas de mouvement littéraire à proprement parler),
morale
Jamyn possède un style qualifié de baroque, l’écriture
irascible qui s’emporte facilement didactique de La Fontaine le place dans le courant
classique, tandis que Samain appartient au symbo-
lisme. On peut demander quelques grandes dates de
chaque siècle, avec les régimes politiques en place.
1. Les procédés d’opposition du bien et du mal dans
le tableau : ACTIVITÉ 2. Relisez la fable de La Fontaine p. 336
– la composition symétrique de l’œuvre, qui met en 1. La description a lieu en deux temps : celle du
opposition un chevalier et une créature infernale ; premier dragon, l’hydre (v. 14), et celle du dragon à
– l’opposition des couleurs, le bleu du bien et le rouge une seule tête (v. 21 et 22). Le dialogue, quant à lui,
du mal pour le vêtement des deux jeunes filles ; occupe la quasi-intégralité du poème (v. 4 à la fin).
– la construction narrative et verticale de l’œuvre, qui Dans la fable, qui comporte 28 vers, La Fontaine pri-
raconte un combat, puis au sommet la victoire du bien vilégie donc le dialogue, pour renforcer la dimension
(à gauche) et la détresse face au mal (sur la droite, argumentative de son récit. La description cherche
la jeune fille est enlevée par une figure diabolique) de son côté à donner à imaginer les deux créatures,
dans une perspective chrétienne (Dieu au centre, en pour les opposer. Dialogue et description soutiennent
tant que juge). donc l’argumentation.
2. Les critères d’évaluation rappellent que : 2. On rappellera des critères d’évaluation liés aux
– le texte doit comporter une dimension argumenta- consignes : les personnages de fiction peuvent être
tive, opposant le bien et le mal ; humains, mais les deux personnages principaux seront
– le texte doit être expressif et manifester les hésita- des animaux dotés de parole sans doute ; la ques-
tions du « je », face à des allégories qui incarnent le tion précédente incite les élèves à recourir à l’art de
bien (Justice, Morale, Amour, Générosité par exemple) la description et à celui du dialogue pour porter un
et le mal (on peut reprendre la liste des vices men- regard critique sur l’arrogance (le terme, dans son sens
tionnés par Jean de Meun : Avarice, Cupidité, Envie, de prétention, inclut aussi des attitudes moralement
Jalousie, Égoïsme, Égocentrisme... et demander aux contestables, comme le mépris ou l’égocentrisme).
élèves de nommer les défauts caractéristiques d’une ACTIVITÉ 3. À la rencontre des créatures
époque). médiévales
1. Le site de la BnF présente un bestiaire large : on
PAGE 339 invitera les élèves à observer le bestiaire, la symbo-
lique de chaque animal, mais surtout à observer le
bestiaire des créatures fantastiques (phénix, griffon,
LECTURES CURSIVES basilic, faune, cynocéphale).
2. Les recherches peuvent être menées par mots-clés
Dossier personnel sur les sites de référence suivants :
www.ipoesie.org
ACTIVITÉ 1. Comparer les poèmes sur les
poesie.webnet.fr
créatures de légende
1. L’argumentation des élèves peut se développer de ACTIVITÉ 4. Écriture personnelle
différentes façons : le choix d’un poème peut être 1. On peut guider le choix de la créature en faisant
justifié par des éléments d’analyse (l’élève peut pré- faire une recherche sur les légendes liées à ces per-

sonnages : Orphée aux enfers ou les douze travaux Marie-Claire Bancquart, Violente Vie, 2012
d’Héraclès pour Cerbère ; la mort d’Orion donnant Les poèmes de Marie-Claire Bancquart présentent
nom à une constellation ; le Minotaure, Thésée et la particularité d’être lyriques, ils ne possèdent pas
Ariane ; Œdipe et les énigmes de la Sphinge ; le combat une rhétorique exhibée : le choix des poèmes doit
de Persée et Méduse. pouvoir être justifié par une analyse fine, et les images
2. La recherche documentaire peut être guidée par en rapport ne doivent pas correspondre seulement
des sites fiables, outre les ressources offertes par les au niveau du thème. On préfèrera par exemple des
dictionnaires : associations poèmes/œuvres fondées sur une vision
– mythologica.fr du monde ou sur une sensibilité communes.
– larousse.fr
Pour les consignes d’écriture, on guidera les élèves PAGE 342
en leur indiquant :
– qu’il faut trouver une situation d’énonciation, une BAC. Commentaire
mise en contexte qui justifie le récit de la créature Voltaire, Poème sur le désastre de Lisbonne, 1756
face à un destinataire inventé ; Introduction
– qu’il s’agit de trouver un moyen d’introduire des élé- Dramaturge, romancier et poète du xviiie, incarnation
ments d’autoportrait, sans construire nécessairement du siècle des Lumières, Jean-Marie Arouet publie ses
un paragraphe artificiel de pure description. œuvres sous le pseudonyme de Voltaire. Alors que
La cohérence du texte est fondée sur une « atmos- le séisme de Lisbonne de 1755 provoque des ravages
phère », une « émotion » : on peut cibler le type d’at- considérables et des milliers de morts, l’auteur, bou-
mosphère ou d’émotion en donnant des exemples leversé, réagit à travers un texte : le Poème sur le
(macabre, mystérieuse, inquiétante, exaltée, désastre de Lisbonne. Discours en vers fondé sur une
sereine...). interrogation concernant les causes du Mal, le texte
est à la fois une peinture chaotique de l’événement
À LIRE, À VOIR et une remise en cause de l’existence d’un Dieu tout-
Jean de La Fontaine, Fables, 1668-1694 puissant. Afin d’étudier en quoi l’évocation drama-
On peut conseiller le livre VII qui est varié et facile tique du Mal permet au poète de se révolter contre
d’accès. Un parcours rapide des titres avec les élèves le sort, nous aborderons avant tout l’expression de
peut les guider, pour déterminer les types de clas- la colère du poète face à l’incompréhensible, pour
sements opérables (personnages humains, non étudier ensuite l’expression de son désespoir.
humains ; mythologiques ; animaux, symbolique 1. Un poème de révolte contre le Mal
animale présente). a) La situation de communication est rhétorique : le
Le lien entre le titre des fables et la morale, que les poète se met à la place du possible lecteur, et assume
élèves doivent pouvoir repérer, est à effectuer pour aussi une prise de parole personnelle.
justifier la réponse à la question « quels sujets le livre (jeu des pronoms, mise en abyme de la parole dans
aborde-t-il essentiellement ? » le vers 1, questions présentes)
Victor Hugo, La Fin de Satan, 1886 b) Voltaire dresse une vision du monde chaotique,
Commenter un vers revient à décrire sa construction, où tout est détruit
à repérer les éléments d’interprétation intéressants, (champ lexical de la destruction, énumérations, réfé-
les effets de style, à expliciter le sens des vers. rences mythologiques pour évoquer un fait divers)
Les élèves peuvent tout à fait relever plusieurs vers c) Le discours est rhétorique : Voltaire dramatise sa
ensemble, si pour eux l’ensemble fait sens. prise de parole pour crier sa colère
Patrick Suskind, Le Parfum, 1985 (procédés d’insistance, vocabulaire de la violence,
On doit travailler les sens de l’adjectif « humain » phrases négatives, présent de vérité générale)
avant de répondre : il s’agit d’interroger des catégories 2. Un poème désespéré, qui interroge l’existence
telles que humain/inhumain (monstrueux, physique- de Dieu
ment et moralement, cruel), humain/animal, humain/ a) La colère est remplacée par le désarroi du poète
surhumain (exceptionnel, héroïque) ou sous-humain (éléments pathétiques dans le texte, questions qui ne
(immoral, anti-héros). sont pas rhétoriques)

b) Le poème exprime son incompréhension aussi En voici un exemple :
(vers 12 à 14 notamment) On peut par ailleurs dire que la figure allégorique ou
c) la question de l’existence de Dieu est soulevée mythologique a un rôle important dans un poème. En
comme une contradiction logique avec le constat du effet, cette dernière peut avoir une fonction didac-
pouvoir du Mal (vers 16 à 18 et 20-21, évocation tique, comporter une dimension instructive ou mora-
de Dieu) lisante. En d’autres termes, le poète peut utiliser les
ressources symboliques de l’image pour marquer les
Conclusion
esprits, proposer une vision du monde orientée vers
Au terme de ce parcours, on pourra donc souligner que
les valeurs de son époque et de sa culture. Ainsi, la
Voltaire a investi le genre poétique pour servir l’effi-
figure de Fortune, présente dès le Moyen Âge dans
cacité de son discours : la véhémence, l’expressivité
la poésie lyrique, traduit l’idée d’un destin humain
du Poème sur le désastre de Lisbonne soutiennent les malmené : quand Joachim du Bellay, dans Les Regrets,
émotions violentes de l’auteur, et sa remise en ques- déplore son sort en se plaçant sous la domination de
tion. Il est à noter, par ailleurs, que Voltaire définit « Fortune », il développe un chant élégiaque qui rap-
ainsi le déisme : la croyance en un dieu créateur du pelle la modestie nécessaire au poète aussi bien qu’à
monde n’est pas croyance en une figure de démiurge tout être humain face au destin incontrôlable. Dans le
omnipotent. Au contraire, Dieu laisse l’homme seul sonnet « Las, où est ce mépris de Fortune », Du Bellay
face à la violence du sort. regrette un temps révolu, lorsqu’il pouvait créer facile-
ment, alors que son présent est marqué par le manque
PAGE 343 d’inspiration. Quand le poète affirme « Maintenant
la Fortune est maîtresse de moi » (v. 9), il constate
BAC Dissertation
que la recherche de la gloire reste un leurre, puisque
Le plan détaillé étant proposé aux élèves, on peut, cette dernière n’est pas toujours assurée. L’exemple
si on souhaite prolonger le travail méthodologique du poème de Du Bellay rappelle donc que l’allégorie
en écriture, leur donner un paragraphe en exemple incarne symboliquement un pouvoir, une force, une
rédigé et commenté (II, b : la figure allégorique valeur ; elle donne forme à des abstractions dont les
comme morale). hommes ont besoin pour se situer dans le monde.

séquence ⁄∞
Les temps de la vie
mée, mais la déploration est évitée. De plus, la douleur

PARCOURS CHRONOLOGIQUE elle-même devient une source d’inspiration. Cela est
perceptible notamment avec la rime équivoque « dire/
d’ire » : la poétesse dit l’ire, c’est-à-dire la douleur.
PAGE 344
Ainsi, la douleur est sublimée dans le rondeau à la fois
parce qu’elle est exprimée par le biais de la poésie et
⁄
▶▶
Christine de Pisan, « Je ne sais
comment je dure… », avant 1430
Objectifs
de la plainte élégiaque, mais également parce que
la douleur ressentie devient elle-même une source
d’inspiration poétique.
■■ Analyser la forme poétique du rondeau.
■■ Comprendre la méditation sur l’existence que pro-
HISTOIRE DES ARTS
pose un poème du xve siècle.
La tapisserie s’intitule « À mon seul désir » et elle
1. Le refrain du rondeau « Je ne sais comment je constitue le sixième et dernier panneau de la série
dure… » insiste de façon lancinante sur la douleur que « La Dame à la licorne », tenture du xve siècle. Dans la
ressent le sujet poétique. En effet, le présent employé tapisserie, la dame dépose le collier qu’elle porte dans
dans ce refrain indique que cette plainte lyrique a un les cinq autres tapisseries ; ce geste montre qu’elle
lien direct avec la situation de la poétesse : veuve à renonce aux plaisirs matériels pour se consacrer au
vingt-cinq ans, la jeune femme souffre de la dispari- sixième et dernier sens, le sens du cœur à l’époque
tion de l’être aimé. Rappelons que Christine de Pisan médiévale, le cœur renvoyant à l’amour dans toutes
naît à Venise vers 1363. À l’âge de quinze ans, elle ses acceptions (amour charnel, affectif, philoso-
épouse un homme dont elle aura trois enfants, et qui phique). Or, Christine de Pisan ne peut plus aimer. La
disparaîtra la laissant « seulette » ainsi que le répète dame de la tapisserie tout comme la poétesse n’ont
à l’envi un autre de ses poèmes, insistant par là sur qu’un seul désir : l’amour, possible pour l’une, impos-
la douleur causée par son veuvage et actant le fait sible pour l’autre. La mort constitue alors l’alternative
qu’elle reste inconsolable. à ce désir d’aimer.
En outre, le présent auquel la poétesse recourt dans
son refrain a une valeur durative : la répétition du
PAGE 345
refrain, tout comme l’état de douleur dans lequel
se trouve Christine de Pisan et qui semble infini, la
montre enfermée dans un présent pesant, comme
si aucun futur apaisé ne semblait possible. L’emploi
¤
▶▶
Charles d’Orléans, « Encore
est vive la souris », vers 1465.
Objectifs
de la négation nous amène à considérer que la seule
issue possible à la situation dans laquelle se trouve
■■ Analyser la forme poétique de la ballade.
■■ Comprendre que ce poème est un hymne à la vie.
la voix poétique est la mort : quand elle ne tiendra
plus, elle se taira. 1. ENTRER DANS LE TEXTE
2. L’écriture du rondeau permet cependant à Christine La ballade est pleine d’humour : s’adressant à tous
de Pisan de sublimer sa peine. En effet, la douleur ceux auxquels on rapporte qu’il est prisonnier, Charles
devient un chant, et ce tout d’abord grâce au rondeau, d’Orléans proclame « Qu’encore est vive la souris ».
forme poétique légère : l’écriture poétique devient de Il passe par l’animalisation pour dire qu’il est encore
la sorte un moyen d’exprimer la souffrance, mais de vivant.
façon vive ; cette vivacité est renforcée par l’usage 2. « Souris » rime avec « amis » dans la première
de l’heptasyllabe qui donne au poème un rythme strophe et « maudits » dans la deuxième : on retrouve
rapide, voire saccadé. Ainsi, la souffrance est expri- le partage manichéen du Moyen Âge entre le bien
SÉQUENCE 15 Les temps de la vie | 335

et le mal. La souris, le poète, sait et saura très bien Par le jeu de la personnification, le poète indique qu’il
faire la part des choses et distinguer les loyaux amis est en train de vieillir. Cette situation n’aboutit pas
des traîtres. « Souris » rime avec « Paradis » dans la à la déploration, mais au contraire à une affirmation
troisième strophe ; de la sorte, le poète rend grâce à renouvelée de la vie : le poète ne veut pas faire pleurer
Dieu de l’avoir gardé vivant et désigne aussi l’avenir son héritier (v. 24). Il affirme de la sorte son inten-
qui l’attend. Enfin, « souris » rime avec « gris » dans tion de rester en vie. L’envoi et le refrain nuancent
l’envoi : le gris est la couleur de la souris, donc celle cette progression dramatique et sombre (une mort
de la vie, par opposition au noir, couleur du deuil et annoncée, la menace du châtiment divin, le temps
de la mort. Les rimes de souris servent la progression qui passe) en proposant une autre lecture de la situa-
dramatique du poème parce qu’elles mettent à mal tion : ce qui compte, c’est l’affirmation répétée d’être
une rumeur en la plaçant sous un arbitrage divin, en toujours en vie.
proposant un tableau de sa véritable situation et en
réaffirmant la pulsion de vie. VERS LE BAC. Commentaire
La ballade écrite par Charles d’Orléans et connue pour
3. L’envoi et le refrain modifient l’image que le poète
son refrain « Encore est vive la souris » a été écrite
donne de sa situation ; en effet, ces éléments opèrent
quand le chevalier poète se trouvait en captivité. En
un retournement de perspective. En effet, Charles
effet, Charles d’Orléans, petit-fils de roi, appartient à
d’Orléans est dans une situation dramatique : fait
la famille royale. Il vit durant la guerre de Cent Ans et,
prisonnier lors de la bataille d’Azincourt, il reste captif
au cours de la bataille d’Azincourt qui opposa Français
pendant vingt-cinq ans. La longueur de sa captivité
et Anglais, il est fait prisonnier par ces derniers. En
est évoquée dans cette ballade : au vers 20, le poète
raison de son rang, les conditions de sa captivité ne
constate qu’il en train de vieillir. Cet état conduit
furent pas dramatiques. Néanmoins, cet état eut des
souvent Charles d’Orléans à exprimer sa mélan-
incidences sur la vie du prince : de chevalier guer-
colie (songeons par exemple à la ballade « Quand
royant, il devint poète chantant sa nostalgie pour son
je regarde vers le pays de France »). Or, ici avec le
pays – on pense à la ballade « En regardant vers le
refrain, le poète met l’accent sur qu’il lui reste : le
fait d’être en vie, fût-ce en mode mineur, à l’instar pays de France ». La ballade que nous avons à lire
d’une petite souris. L’animalisation de plus insiste sur ici se singularise par son humour : la captivité n’est
le caractère vif et espiègle du poète : ce dernier est pas l’occasion d’une plainte mélancolique, mais au
aussi vivant et aussi rapide qu’une souris. Dans cette contraire une réaffirmation de la pulsion de vie.
ballade, l’humour remplace donc la plainte élégiaque
HISTOIRE DES ARTS
et, outre le refrain, l’envoi renforce cette idée : il est
inutile que les amis (v. 7) et héritiers (v. 24) du poète Le poète ici est représenté à la fenêtre de la tour de
portent le deuil (v. 28) ; tous n’ont qu’à porter du gris, Londres, vaste ensemble architectural qui pour une
ressemblant ainsi à la souris et formant de ce fait avec partie abritait les prisonniers de haut rang au Moyen
elle un tout. L’humour a ici une valeur agrégative : Âge. Le poète ne subit pas des conditions drama-
il rassemble Charles d’Orléans et les siens dans un tiques. On peut le remarquer à son habit : il est vêtu
objectif commun, la survie et l’assurance de triompher conformément à son rang, comme un prince. En outre,
de la captivité. il prend l’air à une fenêtre ouverte : il n’est pas dans un
4. SYNTHÈSE cachot derrière une étroite meurtrière. Cependant, sa
La forme de la ballade sert la médiation du poète. En condition de prisonnier n’en est pas moins patente :
effet, les trois strophes proposent une progression il n’est pas libre de ses mouvements. On retrouve sur
dramatique. La première strophe part du fait divers : cette enluminure l’affirmation d’être en vie : Charles
une rumeur circule et diffuse l’idée que Charles d’Or- d’Orléans s’intéresse à ce qui se passe à l’extérieur et
léans est mort. La deuxième strophe en appelle au ne se complaît pas dans son malheur.
châtiment divin ; Dieu (v. 11 et v. 14) devient l’arbitre, Si l’on souhaite mettre en perspective ce poème qui
ou plutôt un allié du poète : grâce à lui, Charles d’Or- célèbre la vie en dépit de circonstances difficiles avec
léans est toujours en vie et, de surcroît, ses détracteurs un poème qui évoque la mort, il est possible de propo-
et faux amis seront punis pour s’être réjouis de sa ser un poème d’André Chénier, extrait des Bucoliques
disparition. La troisième strophe bascule dans l’allé- (1788), « La jeune Tarentine », dans lequel il évoque
gorie (avec « Jeunesse », v. 19 ; et « Vieillesse », v. 20). une jeune fille morte la veille de son mariage.

PAGE 346 Quant à l’enjambement des vers 10 et 11 (« Puis
qu’une telle fleur ne dure/Que du matin jusques au
‹ Pierre de Ronsard, « Mignonne,

allons voir si la rose… », 1550
Objectifs
soir ! »), il résume la vie de la rose et l’exclamation
finale rend compte du regret que l’on peut éprouver
pour cette vie si brève.
■■ Analyser la forme poétique de l’ode.
■■ Comprendre le thème du « carpe diem ».

4. Dans la troisième strophe, la conjonction de coor-
dination « donc » suppose un raisonnement logique.
1. ENTRER DANS LE TEXTE Ce raisonnement a été préparé et l’ode peut se lire
Le poète s’adresse à une seule personne, la femme comme l’écriture poétique du syllogisme suivant :
appelée « Mignonne ». « Mignonne », qui se tradui- 1. La rose est mortelle
rait aujourd’hui par « chérie », prend donc ici une 2. Or la femme est rose
valeur d’apostrophe familière. Le poète invite la jeune 3. Donc la femme est mortelle.
femme, qui se nomme Cassandre (le poème a d’ail- Dans ce dernier sizain cependant, Ronsard nuance
leurs été publié dans un premier temps sous le titre l’idée de mort puisque seule apparaît « la vieillesse ».
« Ode à Cassandre »), à une promenade sentimentale Le raisonnement implicite est donc que, à la suite du
en lui proposant « Allons voir si la rose ». rapprochement entre la femme et la rose, tout comme
2. Lexique la rose se fane, la beauté de la femme disparaît.
Dans le premier sizain, les termes qui permettent 5. Parmi les termes répétés en écho, on trouve tout
l’assimilation de la femme à la rose sont « robe » (v. 3 d’abord « Mignonne » qui ouvrait le poème et qui est
et 5), « plis » (v. 5) et « teint » (v. 6). Ils donnent au repris au vers 13, où l’invitation de la première strophe
poème son caractère galant. Le nom « robe » associé devient conseil (« si vous me croyez »). De plus, cette
à la pourpre et au soleil insiste sur la beauté de la reprise opère un croisement avec la première strophe.
rose, et par le biais de la personnification, sur celle de Celle-ci comparait la rose à la femme ; dans la troi-
la femme. Ensuite, le nom « plis » accentue l’assimi- sième strophe, le mouvement s’inverse, les vers 14
lation de la femme à la rose. Le dernier vers du sizain et 15 assimilant la femme à la rose par l’emploi des
« Et ce teint au vôtre pareil » achève l’assimilation termes suivants : « fleuronne » (v. 14), « verte nou-
de la rose à la femme avec la comparaison (« pareil veauté » (v. 15). De la sorte, grâce à ce contexte
au »). Cela permet au poète d’adresser indirectement floral, la leçon d’épicurisme peut être introduite avec
un compliment à Cassandre. Ainsi, la strophe établit le verbe « cueillez » répété deux fois, comme pour
une équivalence entre la rose et la femme : aux mots signifier l’urgence de la situation. La jeune femme est
« Mignonne » et « rose », qui pour l’un débute et pour invitée à profiter de sa jeunesse, et donc à répondre à
l’autre clôt le vers 1, fait écho le nom « teint » au l’invitation du poète. Sa réaction se doit d’être rapide :
vers 6 qui se réfère à la rose, puis à « Mignonne » la répétition de « Las » insiste sur les ravages produits
par le biais du pronom démonstratif « vôtre ». Cette par le temps ; en écho, la répétition de « cueillez »
première strophe a donc préparé l’assimilation de la indique l’attitude que Cassandre doit rapidement
rose à la femme. avoir afin de contrer la fuite inexorable du temps.
3. Grammaire VERS LE BAC. Commentaire
La ponctuation exclamative scande le deuxième sizain Avec le vers 16 « Cueillez, cueillez votre jeunesse »,
puisque les deux phrases de cette strophe sont à la on retrouve le thème du Carpe diem. Ce motif a été
forme exclamative. En outre, l’on trouve des interjec- préparé par tout un contexte floral, à savoir l’assimi-
tions qui, au sein même de ces phrases, sont suivies lation de la rose à la femme et celle de la femme à la
d’un point d’exclamation. rose, si bien que l’emploi du verbe cueillir ne surprend
Cette ponctuation donne au poème un caractère élé- pas. Ce qui étonne davantage est le complément
giaque. Mais pourquoi donc le poète se plaindrait-il d’objet « jeunesse », nom abstrait qui par son asso-
alors qu’il vient d’inviter Cassandre à une promenade ciation avec un verbe concret fait image. Les vers 17 et
galante ? « Las » signifie « hélas », et cette interjec- 18 expliquent la leçon d’épicurisme. En effet, le nom
tion introduit un changement de ton : le poète, avec « vieillesse » (v. 17) répond à la rime à son contraire
l’impératif « voyez », invite la jeune fille à constater « jeunesse » (v. 16). Placé en contre-rejet, « vieillesse »
que la vie est brève. Au vers 9, la répétition de l’inter- donne le sentiment que le temps va plus vite que
jection montre que l’on ne peut pas arrêter le temps. l’on ne croit et rappelle le vers 12 : « Que du matin

jusques au soir », où le « matin » et le « soir » coexis- perspective universelle et de pratiquer l’imitation des
taient dans le même octosyllabe. Ce rapprochement Anciens, prônée en France comme une manière, sinon
entre le matin et le soir, entre la jeunesse et la vieil- la manière de créer, depuis la Renaissance.
lesse montre que le temps passe vite et que le seul 3. Lexique
moyen est de s’emparer de l’instant présent, ou plus Le langage amoureux est fortement représenté dans
précisément pour Ronsard, de la jeunesse, car la vieil- la strophe 2. Le nom « amour » au vers 19 suggère
lesse (mais « vieillesse » peut aussi être lue comme un sentiment très fort pour la solitude. L’idée se
un euphémisme pour désigner la mort) arrive très poursuit au vers suivant puisque les adeptes de la
vite. Il y a donc une urgence existentielle dans cette retraite sont nommés ses « amants » (v. 20). La
ode à cueillir les jours de la jeunesse. Si l’on souhaite solitude au demeurant est fort généreuse avec qui
prolonger la lecture de « Mignonne », ou bien étudier l’aime puisqu’elle prodigue « des biens sans embarras/
un autre texte de Ronsard sur le même thème, il est Biens purs » (v. 20-21) ; le pluriel du mot « biens »
possible de proposer le sonnet « Je vous envoie un comme sa répétition soulignent l’abondance des
bouquet » de Ronsard (1555), dans lequel il célèbre cadeaux offerts dans cette relation d’amour avec
une jeune femme, Marie Dupin, en lui envoyant un la retraite. Le langage amoureux persiste au vers 23
poème de quatorze syllabes pour accompagner un avec le verbe aimer (« j’aimai ») et le groupe nominal
bouquet de fleurs, associant de la sorte la beauté des « douceur secrète » au vers 22 ; l’allitération en (s)
fleurs, celle de la femme et la brièveté de la vie. de cette expression exprime la sensualité qui préside
à cette rencontre amoureuse avec la solitude. Ainsi,
PAGE 347 le langage amoureux sert l’éloge de la retraite, mise
en avant comme une occupation privilégiée qui n’a
›
▶▶
Jean de La Fontaine, « Le songe
d’un habitant du Mogol », 1678
Objectifs
d’autre inconvénient que de ne pouvoir être pratiquée
plus régulièrement par le poète (v. 23-24).
4. Dans la strophe 2, outre le recours au langage
■■ Analyser un apologue.
■■ Comprendre la défense d’une vie paisible.
amoureux, le lyrisme est très présent. La présence
du pronom personnel de 1re personne qui apparaît
1. ENTRER DANS LE TEXTE dans cette strophe dès le début du vers 18 indique que
Les deux titres qu’il serait possible de proposer sont : le poète va se livrer à une réflexion et à un épanche-
un court récit oriental prônant l’avantage de la retraite ment personnels. Le classicisme cependant ne favorise
pour la strophe 1 et une déclaration lyrique sur les pas l’expression des sentiments personnels ; souve-
avantages de la retraite pour la strophe 2. nons-nous de la réflexion pascalienne « Le moi est
2. Les références culturelles sont les suivantes : la haïssable ». Aussi, La Fontaine introduit sa confession
sagesse orientale dans la première strophe et le intime avec précaution, par le biais d’une proposition
lyrisme antique dans la deuxième strophe. En effet, subordonnée circonstancielle d’hypothèse : « si j’osais
les vers 22 à 24 sont une reprise de la deuxième ajouter au mot de l’interprète ». Cette proposition
Bucolique de Virgile où des bergers célèbrent les hypothétique permet au poète de présenter ses
charmes de la campagne : réflexions comme un appendice à la morale formu-
« Ici, parmi les rivières familières lée par le personnage qui suggérait que le goût pour
Et les fontaines saintes, tu prendras la fraîcheur l’isolement prévaut sur les mondanités de la Cour.
ombreuse. » Dans la proposition principale « J’inspirerais l’amour
Des vers 26 à 30, le poète place ses activités au sein de la retraite » (v. 19), le verbe « inspirer » suggère
de la nature, sous le patronage des Muses désignées que La Fontaine suggère non seulement de toucher
par la périphrase « les neuf Sœurs » (v. 26). Parmi elles, par la raison, mais aussi de persuader ; il formule
Uranie s’intéressait à l’astronomie et Euterpe à la donc son éloge de la retraite de façon personnelle.
poésie lyrique. Or, Virgile dans Les Géorgiques, comme Le lyrisme sert une argumentation fondée non sur l’art
La Fontaine ici, considère que l’étude des astres est de convaincre, mais sur celui de persuader.
une activité privilégiée du poète. Or, si le fabuliste se Il est également possible d’être sensible à la peinture
rattache à la sagesse orientale dans la première partie de la campagne et de ses charmes dans cette fable. En
de la fable et au lyrisme antique dans la seconde, effet, rappelons-nous que La Fontaine a été élevé en
cela vient du souci d’inscrire ses réflexions dans une Champagne par un père maître des eaux et des forêts,

et qu’il a exercé un temps ce métier. Il est l’un des yeux » indique que les lois célestes nécessitent une
rares écrivains de son siècle à évoquer ainsi la nature. observation longue et attentive ainsi que le recours
Les « lieux » agrestes ne sont pas évoqués de façon aux mathématiques. Le vers 30 rappelle la croyance
précise, ils ne sont pas situés géographiquement ; ils antique selon laquelle les étoiles influencent la vie
sont dépeints de façon suggestive en étant associés des hommes. La Fontaine deviendrait-il astrologue ?
à des impressions sensorielles : « l’ombre et le frais » Pas du tout, mais avec cette dernière remarque, il se
(v. 24), « sombres asiles » (v. 25). L’écrivain insiste place sur le plan de la rêverie autour des astres, rêverie
donc davantage sur les sentiments qui le lient à la qui sert sa défense d’une vie paisible. Ainsi, dans cette
nature que sur la description précise de cette dernière. fable, la préférence pour une vie calme est défendue
Dans cette mesure, la nature participe au lyrisme du par opposition à la vie mondaine. Elle l’est de façon
poème : un éloge très personnel de la solitude d’au- personnelle et touchante, par opposition avec la satire
tant plus aimée que cette dernière se vit dans un cadre de la vie citadine et l’éloge de la campagne que l’on
naturel empreint de l’affection du fabuliste. peut trouver dans un apologue comme « Le Rat des
villes et le rat des champs ».
Cette fable de La Fontaine intitulée « Le Songe d’un HISTOIRE DES ARTS
habitant du Mogol » peut se lire comme la défense
personnelle d’une vie paisible. En effet, la phrase inter- Le tableau du Caravage représente l’idéal d’une vie
rogative (v. 22-23) avec son verbe principal conju- heureuse dans la mesure où l’on voit Saint-Jérôme
gué au futur indique que l’auteur ne peut s’adonner dans un décor très dépouillé, voire austère (il est qua-
pour l’heure autant qu’il le voudrait à son occupation siment dénudé) en train d’étudier seul dans sa cellule
favorite : méditer, pratiquer l’otium des Anciens, à sans aucun ornement. En dépit de ce cadre, le saint est
savoir pratiquer une activité intellectuelle, au sein de paisible, s’adonnant à l’étude ainsi que le montrent les
la nature. Le début du vers 24 (« Loin du monde et livres imprimés placés sur son bureau – rappelons que
du bruit ») renvoie aux obligations qui pèsent sur le l’invention de l’imprimerie date de la fin du xve siècle
poète : se trouver des protecteurs pour vivre de son art, et qu’un ouvrage est un bien rare et coûteux. Les livres,
fréquenter les salons et la cour. Le deuxième hémis- placés au centre de la toile, constituent donc le luxe
tiche du vers 24 oppose un autre monde : le bruit et la de cette vie monacale. Mais ce luxe n’est pas inutile,
fureur urbains sont mis en balance avec « l’ombre et le il sert une ambition qui n’est pas vaine : celle de la
frais ». Deux univers sont ainsi mis en parallèle, et La connaissance. Le crâne placé sur la table d’étude, au
Fontaine préfère le second. Et de fait, l’isolement est même niveau que les livres, rappelle, comme toutes
nécessaire parce qu’il est le seul propice à l’étude et les vanités du xviie siècle, notre mortelle condition et
à l’art. Le deuxième hémistiche du vers 26 (« Loin des invite à l’humilité et à donner du sens à l’étude et aux
cours et des villes ») rappelle de façon anaphorique apprentissages. Il est inutile de s’adonner à l’étude,
le premier hémistiche du vers 24 et insiste donc sur de devenir savant si l’on ne met pas cette activité en
l’apologie de la solitude. De surcroît, le pluriel donne perspective avec notre finitude.
à la défense d’une vie paisible une valeur universelle :
l’aviation humaine détourne de l’essentiel et empêche PAGES 348-349
de s’adonner pleinement à l’étude ainsi que le souligne
l’enjambement « m’occuper tout entier ». À la vie du
courtisan, La Fontaine préfère l’observation des astres. ∞ Joachim Du Bellay, « Heureux
qui comme Ulysse… », 1558
L’astronomie est, dès l’Antiquité, considérée comme
une science propre aux esprits savants. Le poète per-
pétue cette tradition, la plaçant au premier rang de
6 Gaël Faye,
« Petit pays », 2013
ses occupations. Il se présente comme un élève de la
nature qui cherche à « apprendre » (v. 27) ses lois. Les
vers 28 à 30 exposent le contenu des connaissances
‡
▶▶
Lépold Sédar Senghor,
« Joal », 1945
Objectifs
à acquérir, à savoir les « noms », les « mouvements », ■■ Comparer trois textes d’époques différentes, mais
les « vertus », c’est-à-dire les qualités des astres dési- ayant un thème commun.
gnés par la périphrase poétique « clartés errantes » ■■ Analyser l’expression poétique de la nostalgie du
(v. 29). Au vers 28, l’expression « inconnus à nos pays natal.

Il est possible de faire écouter la chanson de Gaël Faye thèse entre Rome et l’Anjou. Le raccourci elliptique
dans son intégralité. du dernier vers (le « que » a disparu) rapproche les
2. Grammaire deux comparés, mais la comparaison se fait en faveur
« Petit pays » (Gaël Faye), « mon petit village » : ici de l’Anjou dont la douceur est renforcée par la rime
l’adjectif qualificatif « petit » n’est pas à entendre féminine. L’anaphore renforce le choix du poète en
au sens propre, mais possède une valeur affective. insistant sur les avantages de l’Anjou.
On appelle les adjectifs ainsi employés des adjectifs Dans le poème de Senghor, « Je me rappelle »
hypocoristiques. Ces derniers, dans les textes qui nous revient comme le refrain lancinant des airs de jazz
occupent, insistent sur le lien très fort des poètes pour qu’évoque le poète (v. 17). L’anaphore permet aux
leur lieu d’origine. souvenirs de surgir (mis à part aux vers 2 et 14, le
verbe est suivi d’un complément) et insiste sur la
3. Lexique nostalgie qu’entraîne l’évocation de ce monde perdu
Dans « Joal », l’emploi de termes propres à la langue (aux vers 2 et 14, les syntagmes « Je me rappelle »
natale (« signares », griots », « Kor Siga ») permet ne sont suivis d’aucun complément), enfermant les
d’incarner dans le poème le village natal ; c’est donc souvenirs évoqués au cours du poème dans un mou-
un moyen de faire revivre Joal, et ainsi de le célébrer. vement plus vaste. Au-delà des évocations précises,
4. Grammaire c’est un monde que le poète fait resurgir, un monde
Dans le sonnet de Joachim du Bellay, il est possible à saisir dans son entier, celui des souvenirs, ainsi que
d’être sensible au jeu des pronoms. Dans le premier l’indiquent les points de suspension qui suivent le
quatrain, la dimension proverbiale du propos appelle dernier « Je me rappelle » au vers 14.
la troisième personne du singulier ; aussi, nous 6. Dans le sonnet de Joachim du Bellay, les rimes des
pouvons relever « qui » et « cestuy-là ». L’universalité vers 11 à 14 sont embrassées. Les rimes masculines
de l’expérience évoquée (le plaisir de rentrer chez soi qui renvoient à des lieux romains sont cernées par
après une longue absence) est affirmée par l’excla- les rimes féminines qui renvoient à l’Anjou. C’est un
mation « Heureux qui… » et s’achève avec le détermi- moyen de faire triompher la « douceur angevine ». Par
nant possessif « ses ». Au contraire, le second quatrain ce jeu de rimes, le poète affirme donc sa préférence
devient personnel : au vers 5 apparaît le pronom per- pour son pays natal.
sonnel sujet de première personne. Le poète continue 7. Versification
à se projeter, comme dans le premier quatrain, dans la Dans le poème de Léopold Sédar Senghor, c’est le
situation du voyageur et héros antique rentrant chez vers libre qui est employé. Le vers libre renforce la
lui, mais la question « quand reverrai-je » au vers 5 dimension incantatoire des souvenirs évoqués dans
mesure avec tristesse et mélancolie l’écart entre le la mesure où il peut s’étirer (v. 7) ou se réduire (v. 1)
rêve (renter chez soi) et la réalité (le séjour à Rome en fonction de l’intensité de ce qui est évoqué : un
source de déceptions et trop long). Dans le premier seul vers est nécessaire pour dire le village natal, ce
tercet, les pronoms personnels de première personne nom seul suffisant à exprimer la force du souvenir ;
(« me », v. 10 et 12) possèdent toujours une valeur au vers 7 en revanche, le déploiement du vers étiré
particularisante : le poète regrette son séjour romain par l’enjambement renvoie aux cérémonies funèbres
et préfère son village natal. Le parallèle avec les héros du village, quotidien dont la solennité est renforcée
de la mythologie proposé dans le premier quatrain par l’allitération en (f) : « festins funèbres fumant ».
sert donc l’expérience individuelle du poète, mais le L’enjambement des vers 12 et 13 fait de ces deux
dernier vers opère un dernier renversement : il y a un vers un distique dont l’étirement est renforcé par
effacement de toute marque de première personne. la ponctuation avec les deux tirets qui introduisent
Les articles définis (« l’ », « la ») généralisent le choix une précision dans le souvenir : par cette cohérence,
affectif du poète. c’est l’univers des mouvements de Joal où danse et
5. La figure de style qui scande le sonnet de Du Bellay lutte sont associées qui surgit de façon incantatoire,
et le poème de Senghor est l’anaphore. comme le renforce l’apostrophe « Kor Siga » en fin
Dans le sonnet de Du Bellay, l’effet de répétition de vers.
amorcé dans le second quatrain (« quand reverrai- 8. SYNTHÈSE
je… ? », v. 5 et 7) devient la structure significative des Les poèmes évoquent la terre natale de façon lyrique.
deux tercets. L’anaphore de « plus » renforce l’anti- En effet, dans les trois textes, la première personne du

singulier est employée, renvoyant à la voix du poète, quelle mesure les poèmes du corpus incarnent une
mais aussi à toute voix qui peut se reconnaître et poésie qui vient du cœur. Afin de développer notre
partager la même expérience. Les figures de la répé- réflexion, nous étudierons tout d’abord l’expression
tition et de l’insistance comme l’anaphore qui scande lyrique de la souffrance dans les poèmes, puis l’ab-
chacun des trois textes (si on lit « Petit pays » dans sence de complaisance doloriste et la pulsion de vie
son intégralité) disent la préférence des poètes pour qui anime les différents textes.
leur terre natale. Ce choix est justifié par l’affection
que les auteurs vouent à leurs lieux d’origine et PAGE 350
non au prestige de ces derniers. Du Bellay en effet
préfère un village angevin à la prestigieuse ville de
Rome, Gaël Faye a du mal à renoncer à un lieu qui
n’existe plus que dans ses souvenirs, car la guerre a
8
▶▶
Saint-Amant,
« L’hiver des Alpes », 1643
Objectifs
métamorphosé son pays natal ; Senghor compose une ■■ Analyser la forme poétique du sonnet.
chanson, une longue plainte pour dire sa séparation ■■ Comprendre l’hommage baroque de la nature.
d’avec Joal. Cette affection est visible à l’emploi des 1. ENTRER DANS LE TEXTE
adjectifs hypocoristiques dans les textes de Du Bellay Le titre permet de comprendre le thème du poème
et Faye, et au lexique de la douleur dans le poème de dans la mesure où le poème débute par un détermi-
Senghor : loin des incantations de Joal, le seul rythme nant démonstratif, repris en anaphore dans le sonnet
qui reste au poète est celui de ses larmes. Le lyrisme afin de présenter différents éléments de cette mon-
dans ses poèmes est donc élégiaque puisque chacun tagne enneigée. Le titre permet de lever l’énigme, de
des textes dit le regret de la terre natale, perdue au donner le thème avant que le lecteur ne soit emporté
moment de l’écriture. par la force du tableau hivernal que construit le poète.
VERS LE BAC. Dissertation 2. Les personnifications, les allégories et les péri-
Introduction proposée : phrases associées à l’hiver sont nombreuses ; elles
Avec le romantisme et depuis lors, bien des œuvres sont ici en gras.
poétiques sont consacrées à l’expression de la souf- Ces atomes de feu qui sur la Neige brillent,
france. Citons des titres de recueils poétiques évo- Ces étincelles d’or d’azur et de cristal
cateurs de cette alliance féconde entre désespoir et Dont l’Hiver, au Soleil, d’un lustre oriental
création : Les Complaintes de Jules Laforgue, Capitale Pare ses cheveux blancs que les vents éparpillent ;
de la douleur de Paul Éluard. Plus qu’un thème poé- Ce beau Coton du Ciel, de quoi les monts s’habillent,
tique, la souffrance devient une source d’inspiration Ce Pavé transparent fait du second Métal,
poétique. C’est pourquoi Alfred de Musset fait dire Et cet air net et sain, propre à l’esprit vital,
à sa Muse dans La Nuit de mai : « Les plus désespé- Sont si doux à mes yeux que d’aise ils en pétillent.
rés sont les chants sont les chants les plus beaux,/
Cette saison me plaît : j’en aime la froideur ;
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots ».
Sa Robe d’Innocence et de pure candeur
Ces paroles de la Muse interviennent dans le poème
Couvre en quelque façon les crimes de la Terre.
après que la Muse a proposé au poète un large choix
de thèmes d’inspiration poétique (voyages, poésie Aussi l’Olympien la voit d’un front humain ;
élégiaque, héroïque, fantastique) et se les voit tous Sa colère l’épargne et jamais le tonnerre
refusés par le poète qui propose « une larme de Pour désoler ses jours ne partit de sa main.
(ses) yeux ». La Muse répond alors au poète que Ces procédés sont conformes à l’esthétique baroque
la souffrance doit être exprimée ; elle est en effet en ce qu’ils permettent de faire naître des images
divine, envoyée par Dieu afin de nous grandir. Dans inattendues d’un paysage hivernal précieux (voir éga-
cette perspective, il convient de distinguer la souf- lement la SYNTHÈSE ci-dessous).
france stérile de celle qui permet une transfigura- 3. Dans le premier quatrain, les terres placées à la
tion esthétique, et c’est d’ailleurs en ce sens qu’il césure renvoient à des couleurs : « feu » (v. 1), « or »
faut comprendre l’adjectif « purs » dans « purs san- (v. 2), « soleil » (v. 3), « blanc » (v. 4). On retrouve ici,
glots » : il s’agit de sanglots purifiés par l’écriture dans l’évocation des couleurs, l’exubérance baroque.
poétique. Aussi, nous allons nous demander dans Au vers 8, le nom commun « yeux » renforce l’image

picturale de la nature. On a ici une hypotypose du PAGE 354
paysage de la montagne en hiver qui permet, grâce à
la nouveauté du sujet, de porter un autre regard sur
le monde et, grâce à la vérité des images, de percevoir
ce paysage sous un angle inédit.
⁄
▶▶
Pétrarque, « Il raconte comment et
quand il devint amoureux », 1374
Objectifs
■■ Comprendre le pétrarquisme.
VERS LE BAC. Commentaire ■■ Analyser l’expression du sentiment amoureux dans
La représentation de la nature qui est proposée est

un sonnet de Pétrarque.
conforme à l’esthétique baroque. Cette dernière
Tout d’abord, rappelons que Pétrarque est un poète
est évoquée par l’exubérance des couleurs, comme
italien du xive siècle qui exerça une influence consi-
si le poète imitait le faste des églises baroques : la
dérable sur des générations de poètes, car son recueil
montagne envisagée est « étincelles d’or d’azur et
de sonnets a renouvelé le code amoureux, la manière
de cristal » (v. 2). Autre caractéristique baroque : le
de penser et d’exprimer l’amour. Dans Il Canzoniere,
paysage n’est pas présenté dans sa totalité. Le poète Pétrarque évoque sa rencontre avec Laure, une jeune
procède par juxtaposition de tableaux introduits par femme avec laquelle il ne vivra jamais et dont la der-
le déterminant démonstratif « ce » (v. 1, 2, 5-6, 7, 9). nière partie du recueil nous apprend la mort. Ce qui
Le poète isole un détail dans le paysage hivernal : la est nouveau dans ce recueil est l’évocation de la tris-
neige, ainsi que les aspects qu’elle prend en fonction tesse et de l’incertitude qui accompagnent le poète
de la lumière. Il n’embrasse donc pas le panorama amoureux.
proposé dans le titre du sonnet « L’Hiver des Alpes ». 1. ENTRER DANS LE TEXTE
Ensuite, le mouvement, autre caractéristique baroque, Le thème de la prison d’amour est évoqué ici grâce
est ici figé, immobilisé, ce qui accentue la majesté de à l’image du « cœur englué » et du « labyrinthe » par
ce paysage et contribue à la singularité de ce poème : lequel, par amour, le poète est entré.
dans le dernier tercet, Jupiter, saisi par la grandeur 2. La joie amoureuse est perceptible notamment
du paysage, suspend le tonnerre (v. 14) et donc la avec l’oxymore « piège délicieux » (v. 11). Ce procédé
pluie qui entraînerait des métamorphoses dans cette indique à la fois la souffrance que vit le poète de ne
nature grandiose. L’allusion à Jupiter (v. 13) renforce pouvoir échapper à cet état amoureux et la volonté
l’évocation de cette nature puissante puisque le dieu qu’il met à refuser de s’y soustraire. Ce dilemme
des dieux s’y intéresse et décide d’empêcher toute amoureux se manifeste dans l’image de la prison
mutation, de figer ce paysage, de le rendre éternel. d’amour tissée avec « piège délicieux ».
Ainsi, le paysage d’hiver qu’évoque ce sonnet révèle 3. Les mots que l’on reconnaît en langue originale
une nature puissante et figée dans sa majesté. sont : « Amor » (v. 1), « Piacer » (v. 2), « Usanza » (v. 2),
« Sperenza » (v. 4). Ces termes sont des allégories,
Dossier personnel allégories que la traduction française ne rend pas.
Ils forment, du fait de l’allégorie, une sorte de petite
La lecture des poèmes de Saint-Amant consacrés aux
galerie de personnages qui accompagnent le poète
autres saisons (« Le printemps des environs de Paris »,
et le soumettent à leur puissance. En effet, dans les
« L’été de Rome » et « L’automne des Canaries ») peut phrases où ces termes sont employés, le poète est
être mise en perspective avec la représentation des complément des verbes et les allégories ont la fonc-
saisons de Nicolas Poussin dans sa série consacrée tion de sujet. Les rimes, dans le quatrain en italien,
aux quatre saisons, et ce de façon à distinguer poésie sont embrassées ; de ce fait, elles renvoient à la prison
baroque et peinture classique. d’amour qu’évoque le sonnet.
HISTOIRE DES ARTS

4. SYNTHÈSE
La poésie pétrarquiste offre une vision de l’amour sin-
Dans le tableau, le paysage hivernal est animé par gulière : l’objet d’amour est toujours déjà perdu, et
la présence humaine. Les hommes sont absents du pourtant il enferme le poète dans une mélancolie dou-
poème de Saint-Amant rendant plus majestueuse loureuse et infinie. On pourrait aller plus loin et consi-
et plus forte l’évocation de la montagne enneigée, dérer, à la lecture de l’oxymore « piège délicieux »,
majesté accentuée par les personnifications. que le poète trouverait la joie dans les tourments de

l’amour. Ce paradoxe d’une situation qui emprisonne 1. ENTRER DANS LE TEXTE
le poète pour son plaisir est également perceptible La structure du poème est conditionnée par la forme
quand ce dernier devient objet (v. 1), désarmé et du rondeau qui impose au poète de réutiliser le début
passif. L’écriture poétique n’est en rien une libération du vers 1 à la fin du second et du troisième couplets.
de l’état amoureux. Au contraire, elle exprime une Le poème est donc scandé par l’expression « Au bon
situation inéluctable et tragique : le poète ne peut vieux temps ».
plus échapper à la souffrance amoureuse depuis sa La première strophe évoque un cadeau donné par
rencontre avec Laure évoquée dans le dernier tercet. l’amour « au bon vieux temps ».
La deuxième strophe évoque la durée d’une relation
amoureuse « au bon vieux temps ».
La poésie magnifie le sentiment amoureux dans la
La troisième strophe consacre deux vers (v. 10 et 11)
mesure où elle en propose une expression sublimée,
à la satire des mœurs amoureuses contemporaines
non pas tant enjolivée et niaise que réfléchie. Dans
de l’époque du poète. C’est la raison pour laquelle
le Canzoniere de Pétrarque, le poète se dépeint pri-
ce dernier désire revenir « au bon vieux temps »
sonnier de son amour, mais sans chercher à sortir de
(v. 12-15), ce qui ramène le lecteur au premier vers du
cet enfermement. L’amour est doux et douloureux en
poème. Chanson à la mode, ce rondeau fait donc une
même temps. La poésie en construisant la naissance
boucle sur lui-même et revient à son point de départ.
d’une parole tragique – chez Pétrarque, c’est le destin
Il faut savoir que Clément Marot a composé quatre-
qui le conduit et l’enferme dans la prison d’amour –
vingts rondeaux, poèmes à forme fixe très à la mode
donne toute son intensité au sentiment amoureux
au xve et encore au début du xvie siècle. Les rondeaux
et ainsi le magnifie. Par ailleurs, Louise Labé, dans
sont donc écrits au début de la carrière poétique de
ses Sonnets, poursuit de façon originale et person-
Marot, qui par la suite abandonnera cette forme au
nelle l’expression sublimée de l’amour autorisée par
profit de compositions humanistes comme les épi-
Pétrarque. Le sonnet XII par exemple, « Oh, si j’étais en
grammes, les épîtres, les élégies et les sonnets.
ce beau sein ravie », reprend le thème du poète, ici de
Dans le rondeau qui nous occupe, la virtuosité poé-
la poétesse, malheureux en amour et appelant de ce
tique de Marot est perceptible dans l’accord entre les
fait la mort qui le délivrera. Cependant, si Louise Labé
exigences de la forme poétique et le thème même
mêle les registres de l’amour et de la mort, ce n’est
du poème.
dans ce sonnet non par désespoir, mais par abandon
Ce rondeau est composé d’un premier couplet de cinq
au plaisir amoureux. L’amour est donc sublimé par
décasyllabes suivi d’un couplet de trois décasyllabes
l’articulation à la mort : recevoir un baiser de l’être
auquel s’ajoute le refrain, puis d’un troisième couplet
aimé n’est pas anodin. Au contraire, cela est aussi fort
de cinq décasyllabes suivi du refrain.
que la mort. Ainsi, la poésie, en proposant une expres-
Ce refrain exprime l’idée centrale du rondeau : c’était
sion sublimée de l’amour, renouvelle l’idée même de
mieux avant. Le groupe nominal prépositionnel « au
ce que l’on entend par amour.
bon vieux temps » se nomme un rentrement (on
HISTOIRE DES ARTS
appelle rentrement le refrain qui reprend les premiers
mots du premier vers). De la sorte, l’idée majeure du
Les éléments de l’enluminure qui représentent une poème revient trois fois : une fois à l’ouverture (v. 1),
expression sublimée de l’amour résident essentielle- une fois à la clôture (v. 15) et une fois à la fin du
ment dans le regard, la position courtoise de l’homme, couplet central (v. 9). Elle revient donc régulièrement
jambe tendue presque fléchie, et l’union pudique des pour exprimer la nostalgie alors que ce rondeau est
mains des deux personnages. une chanson à la mode quand il est diffusé.
2. Les termes qui désignent la relation amoureuse
PAGE 355 d’antan se caractérisent par leur simplicité : « se
démenait » (v. 2), « bouquet » (v. 3), « sans grand art
¤
▶▶
Clément Marot, « De l’Amour
du siècle antique », 1525
Objectifs
et dons » (v. 2), « cœur » (v. 5), « se prenait » (v. 5).
Le choix du verbe « se démenait » qui appartient au
registre courant concourt à créer un climat de simpli-
■■ Comprendre la structure du rondeau. cité qui va dans le sens de l’éloge du temps passé ; cet
■■ Analyser l’expression du sentiment amoureux. effet est renforcé par l’expression « sans grand art et

dons » (v. 2). Le nom commun « bouquet » précédé de Dans la première strophe, « au bon vieux temps »
l’article indéfini « un » et qu’aucun adjectif ne caracté- introduit le thème du regret de l’âge d’or : autrefois,
rise incarne l’amour d’autrefois : on offre à la femme les hommes vivaient heureux dans une nature qui
aimée un bouquet, et ce qui compte ce n’est pas le subvenait à leurs besoins. L’antéposition de l’adjectif
bouquet, mais l’importance du geste : il comme si « bon » devant « vieux » confère à ce temps passé
l’on offrait l’immensité du monde. Au dernier vers de regretté un aspect familier et touchant. Dans la pre-
la première strophe, le poète explique pourquoi cet mière strophe, le poète regrette la façon dont autre-
amour d’autrefois était simple et durable : « Car seule- fois on exprimait ses sentiments. Dans la deuxième
ment au cœur on se prenait » (v. 5) ; le verbe du registre strophe, le refrain va dans le même sens d’un regret
courant « se prendre » qui fait écho à la rime avec de l’amour d’autrefois. En revanche, dans la troisième
« se démenait » (v. 2) caractérise l’amour d’autrefois : strophe, le sens varie. Cette strophe est introduite par
si deux verbes du registre courant le représentent, « or » qui signifie ici « désormais ». L’opposition avec
c’est que l’amour d’autrefois se caractérise par des les deux premières strophes se lit également dans
sentiments simples. Ainsi, les termes qui désignent le changement de temps : les verbes sont conjugués
la relation amoureuse d’antan, par le registre courant au présent. Si le poète regrette l’amour d’autrefois,
auxquels ils appartiennent, insistent sur la simplicité la conclusion de son poème n’est pas pessimiste
et la profondeur de l’amour d’autrefois. (v. 12-15). En effet, ces vers nous indiquent que l’évo-
3. Les trois temps de la relation amoureuse dans la cation de l’amour comme on le pratiquait autrefois
deuxième strophe ont été évoqués dans la première n’amène pas le poète à une position de refus ; au
strophe : après le bouquet donné au vers 3, le poète contraire, ce dernier envisage d’aimer à nouveau et,
a évoqué au vers 5 un amour sentimental (« car seu- dans cette perspective, il souhaite un changement qui
lement au cœur on se prenait »), pour évoquer au ramènerait les mœurs anciennes. Ainsi, Marot conclut
vers 6 l’aboutissement de cette relation amoureuse son texte sur ce refrain, qui dans la troisième strophe
dans la relation physique (« Et si, par cas, à jouir on prend une coloration optimiste : le regret du temps
venait »). Ces trois temps de la relation amoureuse jadis sert un nouveau projet amoureux.
sont importants à remarquer, car ils ont tendance à
disparaître dans les évocations verbales et verbeuses HISTOIRE DES ARTS
de l’amour que Marot critique. Dans ce couplet, le Dans la mythologie grecque, Philémon et Baucis
poète, après avoir évoqué le plaisir de l’amour, y sont deux vieillards phrygiens unis depuis de longues
ajoute la durée (v. 6-8). Les trois verbes conjugués à années. La solidité et la longévité de leur couple
l’imparfait (« venait », « s’entretenait » et « durait ») illustrent l’idéal d’une relation amoureuse pérenne,
expriment la durée de l’amour ; cette valeur durative qui durerait plusieurs décennies.
est renforcée par les deux compléments circonstan-
ciels « vingt ans, trente ans » : ces deux compléments PAGE 356
évoquent de longues durées. De plus, leur imprécision
ajoute à la force du sentiment : qu’importe que l’on
s’aime vingt ou trente ans, ce qui compte c’est la force
du sentiment qui s’inscrit dans la durée.
‹
▶▶
Joachim Du Bellay,
« Contre les pétrarquistes », 1558.
Objectifs
4. Au vers 14 (« Et qu’on le mène ainsi qu’on le ■■ Comprendre la critique du pétrarquisme.
■■ Analyser l’expression du sentiment amoureux.
menait »), la figure de style employée est le polyptote
(répétition du même verbe à des formes verbales dif- 1. ENTRER DANS LE TEXTE
férentes). Ce procédé d’écriture insiste sur la nécessité Dans le poème de Du Bellay, la critique porte sur la
de revenir en arrière dans le domaine amoureux. Le façon factice d’exprimer des sentiments amoureux.
vers 13 exprime l’idée qu’une refondation de l’amour Plus précisément, ainsi que l’indique le titre « Contre
est nécessaire et le polyptote du vers 14 indique que les pétrarquistes », le poème critique les imitateurs de
cette refondation ne peut se faire qu’avec des valeurs Pétrarque qui s’emparent de la thématique de l’amour
amoureuses qui appartiennent au passé. ainsi que des procédés d’écriture du poète (antithèses,
5. SYNTHÈSE image de la prison d’amour) pour célébrer l’amour
Le refrain prend une valeur différente dans chacune de façon convenue. Il s’agit donc d’une attaque, non
des strophes. contre Pétrarque, mais contre ceux qui le copient.

Ce poème est une accusation contre les pétrarquistes – tout d’abord, le texte que nous venons d’étudier.
conçus comme faux poètes. Du Bellay, en se livrant à En effet, il ne faut pas oublier que le très long poème
cette critique, s’inscrit dans une tradition poétique : on de Du Bellay « Contre les pétrarquistes » dont nous
trouve la critique des pétrarquistes dans la poésie ita- ne proposons ici que le début relève du genre de la
lienne, chez Nicolas Franco par exemple, et ce dès les palinodie. Le poète explique qu’il refuse dorénavant le
années 1530. De même, Ronsard reproche à ceux qui discours amoureux et ses artifices au profit d’une écri-
« pétrarquisent » de manquer du feu de l’amour. En ture de la sincérité, mais dans la dernière des trente
effet, dans l’avertissement « Au lecteur » des Quatre strophes, il se dit prêt à tenir ce discours si telle est la
premiers livres des Odes, en 1550, Ronsard oppose le volonté de sa dame ;
« style à part » qu’il a choisi et celui goûté par les – il est possible aussi de proposer le sonnet suivant :
« rimeurs [c’est-à-dire les faux poètes] et principa- J. Du Bellay, L’Olive, 1549-1550, sonnet XXXIII. Ce
lement les courtizans » « qui n’admirent qu’un petit sonnet reprend un sonnet de Pétrarque (Le Canzo-
sonnet Petrarquizé, ou quelque mignardise d’amour niere, 1337, sonnet CCXI). Il illustre en cela le succès
qui continue toujours en son propos ». L’ironie de la que le recueil du poète italien a connu en France à
situation, c’est que le « dolce stil novo » prôné par la Renaissance. En effet, beaucoup de poètes ont
Pétrarque avait lui aussi refusé la rhétorique au profit voulu l’imiter parce qu’il propose un nouveau code
de la sincérité… amoureux.
2. Lexique VERS LE BAC. Dissertation
Le poème est construit sur l’opposition de deux Paragraphe rédigé :
réseaux lexicaux : le vocabulaire de la franchise qui La poésie n’a pas nécessairement vocation à sublimer
qualifie les amours d’antan (« franchement », v. 2 ; le sentiment amoureux. En effet, pareille entreprise
« vraie », v. 5), par opposition au vocabulaire de l’hy- peut nuire à la sincérité des sentiments évoqués, les
pocrisie qui renvoie à l’expression de l’amour en vogue rendre artificiels, et ainsi ne pas toucher le lecteur.
chez les pétrarquistes ; on peut relever « déguiser » Ce phénomène est mis au jour de façon critique par
(v. 3), « feintes » (v. 8 et 10). Ainsi, ce que dénonce Molière dans la scène 2 de l’acte I du Misanthrope :
Du Bellay, par cette tension lexicale, c’est l’artifice Oronte vient de lire à Alceste un sonnet amoureux de
du discours amoureux représenté comme une rhéto- style précieux, et Alceste ne manque pas de critiquer
rique creuse. Aux vers 5 et 6, on trouve la critique de le sonnet, le trouvant peu sincère. Molière critique
l’amplification rhétorique de l’intensité et de la peine ainsi la dérive de la forme poétique du sonnet qui
amoureuses. L’oxymore « froides chaleurs » insiste sur ne célèbre plus l’amour, mais en devient l’expression
l’idée d’un discours convenu qui manque de sincérité. formelle.
Les négations restrictives « ce n’est que » (v. 10, 11,
HISTOIRE DES ARTS
13-14) insistent sur la pauvreté de la rhétorique des
émotions fortes qui donne de l’amour une image Le tableau de Van Eyck représente un couple de
manichéenne, exempte de nuances (« ce n’est […]/que façon non idéalisée, mais au contraire ancré dans
flammes et glaçons », v. 14-15). De plus, la critique la réalité de son époque. En effet, que l’artiste ait
des pétrarquistes a une dimension éthique : ceux qui ou non représenté une véritable cérémonie, nous
pétrarquisent sont des simulateurs qui ne ressentent voyons un couple marié. Dans cette perspective,
rien (« Ceux qui font tant de plaintes/N’ont pas le le chien peut représenter la fidélité, et la bougie
quart d’une vraie amitié,/Et n’ont pas tant de peine allumée l’œil de Dieu qui voit tout. Les sabots et
la moitié », v. 4-6). Par opposition, le poète propose les sandales que le couple a retirés peuvent être
un discours associant la sincérité des sentiments à des cadeaux de mariage. Le ventre rond de la jeune
une expression simple, éloignée du grand style : « Je femme indique une grossesse et la figure sculptée
veux d’amour franchement deviser,/Sans vous flatter sur le banc est celle de sainte Marguerite, sainte
et sans me déguiser » (v. 2 et 3). patronne des femmes sur le point d’accoucher.
Tous ces éléments contribuent à dresser le portrait
Dossier personnel d’un couple bourgeois vivant dans la crainte de Dieu.
Nous sommes ici à l’opposé de la vision du couple
Quelques poèmes du xvie siècle d’inspiration pétrar- pétrarquiste : des amants séparés par des désac-
quisante : cords, ou brûlants d’un même feu.

PAGE 357 3. Lexique
Les champs lexicaux dominants sont d’une part celui de
›
▶▶
Boris Vian, « La Complainte
du progrès », 1956
Objectifs
la passion amoureuse : « cour », « amour », « ardeur »,
« cœur », « séduire le cher ange », « glisse à l’oreille ».
Mais ce premier couplet est suivi d’un second qui
■■ Analyser les stéréotypes de l’expression poétique développe le champ lexical des appareils ménagers :
de l’amour. « Un frigidaire », « un joli scooter », « un atomixer »,
■■ Comprendre la portée critique de la chanson. un « Dunlopillo », « Une cuisinière, avec un four en
1. ENTRER DANS LE TEXTE verre », « Des tas de couverts et des pelles à gâteau ! »,
La chanson de Boris Vian possède les apparences « Une tourniquette pour faire la vinaigrette », « Un bel
d’une chanson d’amour puisqu’elle parle d’amour aérateur », « Des draps qui chauffent », « Un pistolet
(v. 2), et elle promet le bonheur (v. 27). Cependant, à gaufres ». La juxtaposition de ces deux champs lexi-
le titre même de la chanson indique que l’enjeu de ce caux produit un effet burlesque puisque la relation
texte est une critique de la société de consommation : matérielle remplace relation amoureuse. Rappelons
le poète se lamente de la multiplication des objets, que le burlesque est caractérisé par l’emploi de termes
car cette dernière fausse la relation amoureuse. C’est familiers pour évoquer des choses nobles, des réalités
en ce sens que la chanson de Boris Vian peut être sérieuses, créant un décalage comique entre ce qui est
comprise in fine comme une chanson d’amour : la évoqué et la façon dont il l’est. Ici, l’amour se mesure
critique de la société de consommation qu’elle déve- au nombre d’appareils ménagers promis ; de plus, le
loppe est une critique de la place que cette dernière choix du prénom de Gudule, rare et ridicule, renforce
occupe désormais chez un couple d’amoureux ; si le la dimension burlesque de cette chanson et en fait
véritable amour n’est pas celui qui est nourri par les la parodie d’une chanson d’amour. Le burlesque sert
objets, c’est qu’il en existe un autre que cette chanson ici une satire de la société de consommation, satire
soutient en filigrane. nourrie également par le procédé de l’énumération
[question 4].
2. Grammaire
La chanson débute par le recours au passé avec l’ad- 4. La figure de style qui domine dans les strophes 2
verbe « autrefois » (v. 1) et les verbes sont conjugués à et 3 est celle de l’énumération.
l’imparfait (« on parlait », v. 2 ; « on offrait », v. 4) pour La liste des objets met au jour l’abondance et la diver-
évoquer une vision de l’amour finie où la valeur de sité qui caractérisent la société de consommation.
ce dernier se mesurait à l’intensité du sentiment res- De plus, il convient de remarquer que ces objets sont
senti (on offrait son cœur, tout comme chez Clément juxtaposés, mais n’entretiennent entre eux aucun lien
Marot on offre un bouquet qui vaut tous les trésors logique. La seule logique qui les réunit est celle de
de la Terre). Puis vient le présent « maintenant » au la rime : ainsi « Dunlopillo » rime avec « gâteaux ».
vers 5, qui met en évidence les évolutions que connaît L’énumération qui juxtapose de façon gratuite ces
le rapport amoureux : « Aujourd’hui, c’est plus pareil/ objets, ne leur trouvant une pertinence que sonore,
Ça change, ça change ». En 1956, durant les Trente fait qu’ils perdent de leur valeur utilitaire et appa-
Glorieuses, on séduit une femme en lui promettant raissent dans leur absurdité : s’ils sont là pour les
des objets de consommation ; et ce que donne la besoins de la rime, leur évocation est aléatoire, ils ne
femme, un baiser, devient une monnaie d’échange : possèdent aucune valeur intrinsèque.
un baiser contre des objets. 5. SYNTHÈSE
Cette marchandisation du sentiment amoureux La chanson de Boris Vian constitue un prolonge-
connaît un avenir d’après la chanson, puisque le futur ment des poèmes étudiés dans la mesure ou elle
est employé dans les strophes suivantes (« donnerai », critique les poèmes qui proposent de l’amour une
v. 11 ; « serons », v. 27). Ce temps indique que l’amour vision artificielle, car stéréotypée. En effet, derrière
lié à la société de consommation conduit au bonheur, l’opposition amour d’autrefois/amour d’aujourd’hui
mais cette promesse est annulée par le titre même de se joue une critique de l’amour factice par rapport
la chanson : « La complainte du progrès ». Si l’on se au véritable amour. Ce dernier peut s’exprimer par
plaint du progrès, c’est qu’il n’est pas vraiment gage le biais d’un renouveau de l’écriture poétique ainsi
du bonheur qu’il promet. que le fait Pétrarque avec son Canzoniere, par le refus

d’une écriture poétique affectée et artificielle, signe 2. Les préfixes utilisés dans les mots sont : « a- »
d’un manque de sentiment (et telle est la leçon du Les suffixes utilisés sont : « -esse », « -itude », « -e/
rondeau de Clément Marot « De l’amour du siècle ment »
antique »), et enfin par une critique d’une poésie facile 3. Les préfixes utilisés dans chaque colonne per-
qui copie Pétrarque au lieu de l’imiter dans l’extrait mettent d’indiquer la catégorie grammaticale : nom,
du poème de Joachim du Bellay intitulé « Contre les verbe, adverbe.
pétrarquistes ».
EXERCICE 2. Préfixation
HISTOIRE DES ARTS
1. L’adjectif qualificatif « associal » est composé du
préfixe privatif « a- », du radical « soci » et du suffixe
La scène représentée dans le tableau d’Edward Hooper « -al ».
peut être analysée comme la suite de l’histoire 2. Les adjectifs formés à partir des mots suivants en
d’amour évoquée dans la chanson, dans la mesure utilisant le même préfixe sont : « abattu » et « affai-
où l’on voit un couple confortablement installé, mais bli ». Le sens du préfixe « a- » est privatif ; il vient de
désuni. La promesse de la chanson « et nous serons la préposition latine « a/ab » qui possède également
heureux » est démentie, ainsi que l’on pouvait le ce sens privatif.
prévoir. Les signes qui montrent que le couple n’est
EXERCICE 3. Connotations
pas heureux sont les suivants : l’homme et la femme
Nostalgie : le nom est créé au xviie siècle, et ce avec
ne se regardent pas et ne regardent pas non plus
les mots grecs nostos, « retour », et algos, « mal, souf-
dans la même direction, mais chacun s’adonne à
france ». Il désigne au départ le mal du pays puis, au
une activité propre ; la porte d’entrée au fond et la
xixe siècle, il renvoie à un état de regret mélancolique
table séparent les deux personnages et contraint le
du passé, ou d’une chose que l’on n’a pas eue.
regard à ne pas les envisager ensemble. Pourtant, ce
Le nom ne possède pas de connotation péjorative.
couple vit dans l’aisance : l’homme est en chemise,
Désarroi possède un sens psychologique de trouble
il y a un piano, des cadres, un fauteuil en velours,
moral, avec une idée de tristesse.
une table en acajou, de la lumière, autant d’éléments
que sont loin de connaître nombre d’Américains dans
Pleurnicher signifie « pleurer bruyamment ».
les années 1930, en période de crise économique.
Le verbe possède une connotation péjorative.
Le tableau renvoie donc à une vision pessimiste du
Spleen est un mot anglais qui renvoie à un état
couple, prisonnier de son confort, alors que la chanson
mélancolique.
de Boris Vian dénonçait le même phénomène, sur un
ton plus léger.
Larmoyer signifie « pleurer », et parfois « se
lamenter ».
PAGE 358 Le verbe possède une connotation péjorative.
Sangloter signifie « pleurer d’abondance ».
Le verbe ne possède pas de connotation péjorative.
Découragement s’applique à l’état d’une personne
L’expression des sentiments sans énergie, sans désir, sans envie.
EXERCICE 1. Préfixes et suffixes Affliction désigne un état de tristesse et d’abattement.
1. Voir le tableau ci-dessous. Le nom ne possède pas de connotation péjorative.
Adjectif Nom Verbe Adverbe
Tendre Tendresse Attendrir Tendrement
Triste Tristesse Attrister Tristement
Seul Solitude Isoler (rattaché par Seulement

étymologie populaire)

EXERCICE 4. Champs lexicaux et enrichissement 2. Le champ lexical de l’amour est associé à celui de
du vocabulaire la souffrance : « ennuis » (v. 4), « tourment » (v. 6),
1. Découragement attristé : déception, « douleur » (v. 10).
désappointement 3. La vison de l’amour proposée est une vision ambi-
Mépris pour quelqu’un : dédain valente : l’amour produit des effets contradictoires
Rancœur à la suite d’un échec : ressentiment de joie et de souffrance. Elle s’inscrit ainsi dans la
Chagrin profond : douleur, accablement tradition pétrarquiste.
Hostilité immense : inimitié 4. Parmi les poètes rencontrés dans la séquence,
Tristesse profonde : désespoir, démoralisation Pétrarque est celui que l’on peut rapprocher de Louise
2. « Dans la vie, des principes rigoureux donnent, Labé. Les deux poètes en effet évoquent les effets
dit-on, plus de déceptions que de joies. » (Euripide, contradictoires de l’amour dans des sonnets, Louise
Hippolyte, 261-262, traduction Méridier) Labé s’inscrivant dans la tradition de la lyrique amou-
« Le dédain profond que Modeste conçut alors de tous reuse héritée de Pétrarque.
les hommes ordinaires imprima bientôt à sa figure EXERCICE 7. Écrit d’appropriation
je ne sais quoi de fier, de sauvage qui tempéra sa 1. Léa jubile pour son ami ; pour elle, c’est une réelle
naïveté germanique » (Honoré de Balzac, Modeste satisfaction, un sentiment de fierté. Elle espérait le
Mignon, 1844) succès, c’est un triomphe. Face à une telle situation,
« Karelina, pétrifiée, muette, la regardait venir, image son ami aussi éprouve une véritable félicité. Il est très
vivante du pardon. Il n’y avait ni ressentiment, ni heureux, son visage est réjoui. C’est l’euphorie la plus
amertume, sur le fin visage amaigri et pensif » (Van totale.
der Meersch, Empreinte dieu, 1936) 2. Léa est affligée pour son ami ; pour elle, c’est une
« Il passait à présent par des crises d’accablement réelle désolation, un sentiment d’impuissance. Elle
glacé, qui le tenaient des heures assis au pied d’un espérait le succès, c’est un échec. Face à une telle
arbre, les yeux vides, ou bien vautré contre terre à situation, son ami aussi a beaucoup de peine. Il est
plat ventre, sans un mouvement et semblable à un très malheureux, son visage est attristé. C’est la catas-
mort. Cela durait jusqu’à ce que la fièvre lui brûlât trophe la plus totale.
de nouveau toute la chair… » (Maurice Genevoix,
Raboliot, 1925) PAGE 362
« [L’Angleterre et la France] ont donné à l’Europe,
BAC Commentaire
durant des siècles, le spectacle d’une inimitié d’autant
plus vive, qu’elle semblait une de ces haines de famille, Pierre de Ronsard, « Quand je suis vingt ou
les plus âcres de toutes, comme dit Tacite. » (Barante, trente mois… », Odes, 1550
Histoire des ducs de Bourgogne, tome 1, 1821-1824) Introduction
« Le désespoir n’est pas une idée ; c’est une chose, une Dans l’ode « Quand je suis vingt ou trente mois »,
chose qui torture, qui serre et qui broie le cœur d’un Pierre de Ronsard oppose l’immutabilité de la nature à
homme comme une tenaille, jusqu’à ce qu’il soit fou la précarité de la condition humaine. En effet, dans ces
et se jette dans la mort comme dans les bras d’une six dizains d’octosyllabes, le poète prend conscience
mère. » (Alfred de Vigny, Chatterton, 1835) que, pour lui le temps passe, alors que les éléments
de la nature ne changent pas. Aussi, afin d’étudier ce
EXERCICE 5. Connotations et champs lexicaux poème, il est loisible de se demander quelle médita-
Les mots proposés appartiennent aux états amoureux. tion sur l’existence propose cette ode. Pour répondre
Ils peuvent être regroupés de la façon suivante : à cette question, nous étudierons une médiation
– affection, tendresse, attachement ; mélancolique qui induit une réflexion sur le temps.
– inclination, penchant, tocade, trouble ;
(Première partie)
– supplice, tourment ;
« Quand je suis vingt ou trente mois » est en effet
– passion, égarement ;
une ode mélancolique en raison de son ton élégiaque.
EXERCICE 6. Champs lexicaux et réseau lexical Dans ce poème lyrique, un pronom personnel de pre-
1. Le champ lexical de l’amour dans le sonnet de mière personne fait entendre sa voix mélancolique
Louise Labé est le suivant : « amour » (v. 9), « joie » dès la première strophe, où figure l’expression de la
(v. 4 et v. 12), « plaisir » (v. 6), « bien » (v. 7). nostalgie (« sans retourner en Vendemois », v. 1), celle

de la déploration (« je me plains », v. 5), ainsi que le le temps, seul biais possible pour maîtriser ce dernier,
lexique de la dépression (« pensées vagabondes », v. 3 ; du moins ne pas trop le subir.
« souci », v. 4 ; « remords », v. 4). Si la voix poétique En effet, si la hantise de la mort est présente dans
qui dit « je » se lamente, c’est que la situation dans cette ode et lui confère sa mélancolie, le poète ne
laquelle elle se trouve engendre la mélancolie. manque pas de réagir avec humour aux effets du vieil-
En effet, le poète se confronte à différentes formes de lissement. Il évoque ainsi sa calvitie : « Mais le mien ne
la nature. Les strophes 2, 3, et 5 opposent l’homme à peut derechef/R’avoir perruque nouvelle » (v. 17-18),
la nature ainsi que l’indique la conjonction de coordi- ainsi que la raideur de ses articulations : « Mais ores
nation à valeur adversative « Mais » (v. 10). Cette der- j’ai le corps plus dur/(…) que n’est le mur » (v. 22-23).
nière ne vieillit pas : « vous en changez/jamais ni d’état Outre cela, la dernière strophe crée un effet de sur-
ni de forme » (v. 8-9). Les enjambements de deux pre- prise et retourne la situation en faveur de l’homme
miers vers de la seconde strophe (« Rochers, bien que en avançant l’idée suivante : si le poète avait eu la
soyez âgés/De trois mille ans, vous ne changez/Jamais longévité des éléments naturels dont il envie la per-
ni d’état ni de forme », v. 7-9) soulignent la solidité manence, il n’aurait pu aimer sa maîtresse (« Car
des rochers en exhibant leur longévité. Il en va de ainsi dur je n’eusse aimé/Toi qui m’a fait vieillir, maî-
même pour les antres qui échappent au vieillissement. tresse », v. 35-36). Avec cette chute inattendue, le
Enfin, le cours de l’eau est infini alors que le poète lui poète suggère que l’amour, qui amplifie le sentiment
connaît la finitude et s’en va (v. 29-30). La nature ne de la fuite du temps, permet pourtant, de façon para-
subit donc pas les effets du temps ainsi que le souligne doxale, de mieux supporter cette fuite. Il convient
le parallèle entre le poète et elle : « L’an d’après qui d’opposer l’évocation du temps dans l’ensemble de
se renouvelle/Renouvelle aussi votre chef ; /,Mais le l’ode par opposition à la pointe finale. Le temps au
mien ne peut derechef/R’avoir perruque nouvelle » départ est décompté de façon précise (« quand je suis
(v. 15-18). En se comparant à la nature éternellement vingt ou trente mois », v. 1), cyclique (« tous les ans »,
jeune, le poète ne peut que regretter la fragilité de v. 13), pesante (« de trois mille ans », v. 7-8). À cette
sa condition. lourdeur, à ce poids des ans s’oppose l’image légère du
Ce sentiment de précarité est également induit « temps emplumé » (v. 34) qui suggère que ce dernier
lorsque le poète se compare à lui-même plus jeune, a des ailes et qu’il s’envole plus qu’il ne s’écoule. Le
et mesure la distance qui le sépare du passé : « Je temps passe certes, mais s’il s’envole c’est qu’il passe
me suis vu chez vous/Avoir jadis verts les genoux de façon légère grâce à la relation amoureuse. Certes,
(…)/,Mais ores j’ai le corps plus dur » (v. 19-20). Le l’homme n’a pas la solidité de la nature, mais pour
poète ressent le temps qui passe avec une lucidité lui le temps n’est pas pesant, il s’envole grâce à la
douloureuse. Il analyse ce phénomène assez longue- possibilité d’aimer. Ce trait-là, l’amour, est une carac-
ment en lui consacrant quatre strophes (strophes 2 à téristique humaine et permet de transformer la fra-
5). Il mentionne d’abord la vieillesse : « Mais toujours gilité humaine en atout : subir l’outrage des ans c’est
jeunesse me fuit,/Et la vieillesse qui me suit/De jeune connaître la possibilité d’aimer.
en vieillard me transforme » (v. 10-12). La rime entre (Conclusion)
« fuit » et « suit » invite à envisager le temps qui passe Cette ode propose donc une méditation sur l’exis-
sur le mode de la perte, de ce qui nous échappe ; de tence humaine contrastée : la douloureuse prise de
plus, l’assonance en « esse » de deux noms communs conscience du temps qui passe, humiliant l’homme
soutient et renforce cette rime, et fait apparaître le et épargnant la nature, est nuancée par la pointe
nom « vieillesse » comme logiquement et chronolo- finale. La gravité de la réflexion est atténuée par
giquement superposable au premier. l’introduction de la galanterie, qui permet d’associer
Ainsi, la tonalité élégiaque de l’ode invite à une médi- gravité et sourire. Cette médiation sur le temps se
tation sur la vie construite sur l’opposition entre retrouve chez les poètes romantiques, notamment
l’homme et la nature, et sur celle entre le poète jeune dans « Le Lac » de Lamartine où le poète apostrophe
et âgé ; ce contraste souligne la fragilité de l’homme, le temps (« O temps, suspends ton vol »), regrettant
accentuant de la sorte le ton mélancolique du poème. ainsi la fuite du temps associé à un moment amou-
(Deuxième partie) reux. Ronsard dépasse la déploration en faisant de la
Le poète prend douloureusement conscience du conscience du temps qui passe une force, puisqu’elle
temps, mais ce parcours n’exclut pas une réflexion sur seule donne la possibilité d’aimer.

PAGE 363
MÉTHODES
BAC Dissertation
La poésie n’exprime-t-elle que la beauté ? PAGES 364-365
Plan possible :
FICHE 13
1. La poésie exprime la beauté
a) La poésie exprime la beauté en raison de l’im- La versification
portance privilégiée accordée à certains thèmes  Reconnaître les types de vers
comme l’hommage à la beauté (exemples : Louise A. Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome
Labé, sonnet II « ô beaux yeux bruns », ou Pierre (décasyllabe).
de Ronsard « Mignonne ») ou à l’amour (exemple : B. Mort m’a ôté ma (pentasyllabe)
Pétrarque, « il raconte comment il devint amoureux », Dame de valeur. (pentasyllabe)
ou J. Du Bellay, « Ô prison douce »). L’heur que j’avais est tourné en malheur (décasyllabe)
b) La poésie exprime la beauté par l’usage du langage C. La fortune envieuse, (hexasyllabe avec la diérèse
poétique qui transcende les propos les plus ordinaires « en/vi/euse »)
(le sonnet baroque de Saint-Amant crée la beauté Voyant mon jour passer, (hexasyllabe)
de la montagne par l’usage des images poétiques, De la nuit est joyeuse (hexasyllabe avec la synérèse
comme si le paysage hivernal n’était qu’un prétexte « nuit »)
dont la représentation réaliste que peut en avoir le
lecteur avant de commencer le poème s’efface au  Reconnaître les types de vers
profit de l’envoûtement et du chatoiement lumineux et de strophes
des images), voire métamorphose l’horreur en beauté a. Il s’agit d’alexandrins. Au vers 2, le « e » de « amère »
(Gaël Faye, « Petit pays » : l’horreur de la guerre et le ne compte pas pour une syllabe devant la voyelle du
tourment de la nostalgie du pays natal sont sublimés mot « et ». Au vers 3, le « e » de « abîme » ne compte
par la beauté du texte). par pour une syllabe devant la voyelle du mot « en ».
2. Cependant, le genre poétique ne saurait b. Les strophes sont des quatrains. La première dresse
se spécialiser dans l’évocation de la beauté le constat que l’amour et la mer peuvent être amers.
a) En effet, la poésie rend compte de tous les sujets, La deuxième en est la conséquence : elle donne des
les plus douloureux (par exemple la difficulté qu’il y conseils pour une vie sage et paisible.
a à vivre quand on perdu ce qui nous est le plus pré- c. Les allitérations en [m], [r] et [l] ainsi que l’assonance
cieux, comme Christine de Pisan dans son rondeau en [a] dans les expressions « l’amour » et « la mer »,
« Je ne sais comment je dure ») comme ceux qui sont qui forment une paronomase, sont renforcées par les
davantage réflexifs et qui vont plus dans le sens de parallélismes des vers 2 et 3. Ce jeu d’échos sonores
la philosophie que de l’esthétisation du sujet évoqué insiste sur le lien entre l’amour et la mer.
(par exemple, la fable de La Fontaine, « Le Songe  Reconnaître la structure des vers et les jeux
d’un habitant du Mogol » propose une médiation sur de rythme et de syntaxe
ce qu’est la vie heureuse), voire les plus prosaïques a. La deuxième strophe présente plusieurs enjambe-
(ainsi Boris Vian dans sa chanson « La complainte du ments puisque la moitié du vers 2 (« fumer la che-
progrès » dresse la liste des objets de consommation minée ») constitue un rejet du vers 1, et la deuxième
des Trente Glorieuses afin de faire la satire de la soif moitié « et en quelle saison » un contrerejet du vers 3.
consumériste de son temps). Cette rupture dans l’harmonie métrique renforce
b) La poésie propose également un langage varié l’expression de la peine du poète liée à la nostalgie.
et des formes d’expression diverses : elle n’est pas b. Dans les tercets, les césures coupent les vers au
seulement synonyme de poésie lyrique, mais peut centre, après la sixième syllabe, ce qui permet d’in-
également être didactique (La Fontaine) ; de plus, sa sister sur les oppositions entre Rome et la patrie du
beauté peut être « bizarre » et non conventionnelle poète, à l’image du vers 11 : « Plus que le marbre dur/
(la beauté d’une ballade comme « Encore est vive la me plaît l’ardoise fine ».
souris » vient de l’humour et de la malice présents c. On observe une diérèse sur le mot « audacieux ». La
dans le refrain, et non du thème ou d’une expression grandiloquence du terme s’en trouve accrue. Le poète
poétique lyrique). y oppose la simplicité de son Anjou natal.

d. L’orchestration musicale fait d’abord entendre un PAGES 366-367
rythme imitant une horloge, afin de marquer le motif
FICHE 14
du temps. Ce tempo est ensuite repris et renforcé par
les répétitions de mots, de vers et d’expressions, ce Le lyrisme en poésie
qui vient renforcer la dualité présente dans les oppo-  Reconnaître les thèmes lyriques
sitions entre le séjour romain et la nostalgie du pays a. La poétesse expose sa souffrance existentielle par
natal. le champ lexical de la tristesse : « dolent », « ire »,
 Identifier les jeux de sonorités « plaindre », « doloreuse », « dolente ». Des images
a. Dans la première strophe, l’allitération en [r] du soulignent ces émotions, par exemple « mon dolent
premier vers (« pourront larme épandre ») alourdit cœur fond d’ire ».
le rythme de façon à traduire le chagrin d’amour. b. Le poème aborde le thème lyrique de la souffrance
L’allitération en [s] du vers 3 (« sanglots et soupirs ») existentielle, dont l’origine reste imprécise ici : amour
renforce le champ lexical de la tristesse. Les asso- déçu, mal-être ? On trouve également le thème de
nances en [a] dans la deuxième strophe (« ma », la dissimulation avec la nécessité de masquer ses
« pourra », « mignard », « grâce », « voudra ») sentiments en société, ce qu’indique l’emploi des
marquent l’élan créateur de la poétesse qui trouve expressions « par couverture » ou « faire semblant ».
dans l’art une raison d’être. c. L’allitération en [d] souligne les mots qui expri-
b. Les vers sont des décasyllabes. Les rimes sont ment la souffrance : « dure », « dolent », « d’ire »,
embrassées dans les quatrains. Dans les tercets, aux « doloreuse »…
deux rimes suivies des vers 9 et 10 succèdent des Des répétitions donnent une impression de ressas-
rimes embrassées. Les rimes sont riches à l’exception sement mélancolique. Ainsi, le vers 1 est répété aux
des vers 2 et 3, puis 11 et 13, qui sont suffisantes. vers 7 et 12, suivant la structure du rondeau. On
Les rimes soulignent l’opposition thématique entre observe également des phénomènes de rupture. La
le chagrin et la résistance, par exemple aux vers 2 et phrase qui se développe dans la première strophe se
3 (« regretter »/« résister »). termine avec le premier vers de la deuxième strophe.
 Identifier les jeux de rythme, de syntaxe  Identifier les marques de l’énonciation
et de sonorités a. Le poète s’adresse directement à une personne en
a. Le vers 5 déploie une force expressive par le jeu la tutoyant au premier vers par l’impératif « Assieds-
des images qu’il convoque, mais aussi par le rythme toi ». Il peut s’agir d’un ami, d’une amante, du lecteur,
ample produit par les expansions du nom, ainsi que de tout être humain.
par les sonorités, avec les allitérations en [f] et en [l], b. Le thème est universel, car il correspond à une
et l’assonance en [o]. méditation sur l’existence, présentée comme un flux
b. Le reste du poème s’oppose à cette image flam- continuel, un perpétuel mouvement lié au passage du
boyante, en évoquant la finitude de la vie. Les sonori- temps. Même si les choses comme les êtres gardent le
tés des mots à la rime mettent en évidence le thème même nom, ils se transforment, changent et varient.
de la mort, par exemple dans la dernière strophe : c. Cette dimension universelle est renforcée par
« tarir », « sans rage », « mourir ». Le rythme, fondé l’emploi de procédés qui généralisent le propos : un
sur l’anaphore « J’ai vu » dans les tercets, est marqué vocabulaire simple et symbolique (« flots », « onde »,
par l’énumération des éléments qui symbolisent la « jours », « temps », « trépas »), le présent de vérité
mort. général (« Ainsi l’homme varie »), le pronom per-
c. Le paragraphe de commentaire peut reprendre les sonnel de la première personne du pluriel « nous »,
éléments mis en évidence dans les questions précé- le vocabulaire du temps (« aujourd’hui », « hier »,
dentes. D’autres exemples peuvent être commentés : « toujours »).
la présence de l’énonciateur avec l’emploi de la pre- d. Le paragraphe de dissertation peut présenter
mière personne, l’emploi du futur dans la première ce texte comme exemple et montrer comment le
strophe, l’expression d’une vérité universelle avec poète passe du « tu » au « nous », d’une expérience
la maxime qui ouvre et clôt le poème, l’emploi de personnelle qui consiste à observer une rivière, à
l’apostrophe et de l’impératif répété dans le dernier une méditation universelle avec une réflexion sur
vers : « Vivez, homme, vivez, mais… ». la vie humaine.
Méthodes | 351
 Interpréter les procédés du registre lyrique est répété à la fin des deux strophes suivantes, à la
a. L’anaphore « Quand vous » structure le poème, manière d’un refrain. Il est fondé sur deux rimes.
débutant chacune des strophes. De plus, la répétition b. L’effet de ronde correspond au sujet du poème, car
du même vers en fin de strophe « Ne me devrez-vous le poète évoque l’éternel retour de la mélancolie qui
bien aimer » insiste sur le sentiment amoureux. l’assaille. Des expressions le soulignent : « jamais la
b. Des images expressives soulignent ce sentiment. fin », « soir […] matin », « suis-je destiné ».
Par exemple, dans la première strophe, la poétesse c. Des jeux de sonorités renforcent la dimension
emploie une métaphore couplée d’une allégo- musicale : les allitérations en [v] (« verrai-je », « Vers
rie « l’étincelle/Du chaste Amour ». La métaphore moi, venez ») ou en [l] (« Plaisance lie ») ainsi que les
du feu est d’ailleurs reprise au vers 7 avec le verbe assonances (en [a] au vers 4 par exemple) renforcent
« consumer ». la musicalité et le motif de la répétition.
c. L’assonance en [ou] dans la première strophe  Analyser une chanson
(« Amour », « tous les jours ») renforce la constance a. Le poème présente une série d’octosyllabes qui
amoureuse. L’allitération en [s] dans la deuxième alternent dans la deuxième strophe avec des vers de
strophe (« celle », « souffre », « cèle », « laissant », quatre syllabes. Le genre de la chanson se reconnaît
« consumer ») insiste sur le sacrifice de l’amante. surtout par la répétition des deux premiers vers, qui
 Interpréter les procédés du registre lyrique reviennent comme un refrain.
a. L’anaphore « Je veux » rythme le poème et marque b. La poétesse exprime la tristesse liée à l’amour qui
la volonté de la poétesse. Les énumérations per- ne peut se partager : la personne évoquée est présen-
mettent de lister ses désirs. tée dans sa solitude.
b. De nombreuses allitérations et assonances ren-  Analyser une ballade
forcent l’univers sonore évoqué de façon thématique, a. Ce poème est une ballade : il est composé en hui-
par exemple l’allitération en [b] du vers 3 (« beaucoup tains d’octosyllabes, avec un même vers en refrain
de bruit ») ou celle en [t] au vers 9 (« qui tant chanta (« Mais où sont les neiges d’antan ?) suivi d’un envoi,
contre mon ventre »). L’assonance en [i] dans la der- dernière strophe plus courte de moitié qui dédie le
nière strophe (« vie », « fifre », « bruit ») souligne la poème au « Prince ».
dimension musicale qui symbolise l’énergie de la vie. b. Le refrain donne une tonalité nostalgique au
c. Des images expressives développent une vision poème, avec la question finale évoquant les effets
joyeuse : l’antithèse « des clowns sur les tombes destructeurs du temps.
ouvertes » ou des personnifications comme « ma c. Des jeux de sonorités contribuent à la musicalité
bière aux hanches fines ». du texte : l’allitération en [l] du vers 2, l’allitération
d. Le paragraphe de commentaire peut reprendre les en [k] et l’assonance en [an] du vers 5 par exemple.
éléments évoqués pour montrer comment ce poème Le rythme souligne également cet aspect, avec les
constitue à la fois un portrait intime et un hymne répétitions syntaxiques de « Qui » en début de vers 4
à la vie. Concernant la dimension intime, il est pos- et 6, ou celle de « Dessus » et « sur » au vers 6.
sible d’analyser également l’énonciation à la première d. Dans la version chantée par Georges Brassens, les
personne. L’hymne à la vie peut être démontré en choix d’interprétation et de musique renforcent la
s’appuyant sur les références à l’art, « musiciens » et musicalité du poème pour exprimer la beauté des
« poètes ». femmes mais aussi la nostalgie liée au passage du
temps. L’accompagnement musical à la guitare, avec
PAGES 368-369 le tempo lent et répétitif ainsi que les notes mineures,
renforce l’impression d’une méditation triste et belle.
FICHE 15
 Analyser un sonnet
Les formes fixes a. Le poème est un sonnet : il comprend deux qua-
 Interpréter les variations sur un rondeau trains suivis de deux tercets. Il est composé de déca-
a. Le poème est un rondeau : il est composé de trois syllabes et répond au schéma de rime ABBA ABBA
strophes, mais la première et la troisième n’ont pas CDC CDD.
le même nombre de vers. La deuxième strophe est b. Les tercets donnent la clé pour comprendre ce
plus brève. Le premier vers de la première strophe qui est exprimé dans les quatrains puisque l’amour

conduit la poétesse à éprouver des sentiments rime est assoupli et, de fait, incomplet : ABBA ABBA
contradictoires. CCD ED.
c. Plusieurs oppositions marquent l’écriture du poème, c. Le poète se décrit avec humour. Il expose son accou-
avec des antithèses. trement dépareillé dans la première strophe, son atti-
 Analyser les variations sur un sonnet tude dans la deuxième, n’hésitant pas à recourir à la
a. Le poème est un sonnet : il comprend deux qua- caricature et au registre familier (« dandinant du cul
trains puis deux strophes dont l’une est un tercet. Il est comme un sonneur de cloche »).
composé d’alexandrins. d. Le paragraphe de commentaire peut démontrer
b. Le poète prend des libertés cependant. Il n’achève que, tant au niveau de la forme que du fond, le poème
pas son sonnet, le privant du dernier vers, laissant au détourne les codes, fait preuve de dérision à l’égard
lecteur le soin de le terminer : « Si quelqu’un sait la de la figure sacrée du poète et de la forme respectée
rime, il peut bien l’achever ». De même, le schéma de du sonnet.
Méthodes | 353
Méthodes
PAGE 373  Former et employer des adverbes
1. prudent ➞ prudemment ; bruyant ➞ bruyamment ;
FICHE 17
sérieux ➞ sérieusement ; vif ➞ vivement ; violent
L’orthographe lexicale courante ➞ violemment ; élégant ➞ élégamment ; simple
➞ simplement ; faux ➞ faussement ; précis ➞ préci-
EXERCICES sément ; vrai ➞ vraiment ; fréquent ➞ fréquemment ;
 Justifiez l’orthographe des noms féminins savant ➞ savamment ; constant ➞ constamment ;
en caractères gras différent ➞ différemment.
Les mots « liberté » et « beauté » (A), « complexité »  Ajouter des connecteurs logiques bien
(C) ne prennent pas de « e » final, car ce sont des noms
orthographiés
féminins en -té et -tié. Les mots « montée » (B) et
Tout d’abord, la littérature constitue un moyen de
« dictée » (D) constituent des exceptions à cette règle.
s’engager pour transformer la société. Ainsi, Victor
 Orthographier correctement les noms Hugo dénonce la peine de mort dans de nombreux
masculins et féminins textes, notamment par son roman Le Dernier Jour
a. La colère de Pyrrhus, qui avait connu un apogée d’un condamné. Cependant, il fait aussi des discours
lors de la guerre de Troie, s’est calmée. Aucune équi- publics sur la question. Par conséquent, il utilise son
voque n’est possible, il a décidé de protéger l’enfant, art pour défendre ses idées.
de ne pas faire un amalgame entre sa rancune, sa
 Connaître les mots invariables fréquents
dignité et sa pitié. Mais ce qui pourrait être un épi-
logue à cette histoire, une apothéose de justice, un a. Les mots en caractères gras sont des adverbes
éloge de la clémence, n’est que le commencement formés à partir des adjectifs « furtif », « sournois » et
d’une intrigue fatale. « honteux ». Ils signifient respectivement « de façon
b. Les mots féminins en caractères gras s’écrivent sans rapide », «de façon hypocrite et malveillante », « qui
« e », car ce sont des noms féminins en -té et -tié. fait honte ». Ils renforcent la critique de Victor Hugo
en montrant la manière dont agissent les bourreaux
 Identifier les consonnes muettes et, à travers eux, ceux qui condamnent à mort.
a. La poétesse s’adresse à ses enfants impatients. b. L’énumération d’adverbes peut être complétée par
Elle jette sa voix pour se faire aimer. Elle les appelle « méchamment, grossièrement, impatiemment ».
à la reconnaître, à l’apprécier. Cette sensibilité est c. À partir des adjectifs soulignés, les adverbes sui-
marquée par la répétition du verbe « gronder », sou- vants peuvent être formés : « fraîchement » et
tenue par les allitérations en [r], mais atténuée par « solennellement ».
le champ lexical de la douceur (« amour »…) et les
assonances récurrentes en [an] qui témoignent de
PAGE 374
sa tranquillité. C’est un encouragement à les voir
grandir, pour qu’elles développent sensibilité et FICHE 18
rationalité. Les homophones
b. Les mots de la même famille que « enfant » sont
« enfanter », « enfantement », « infantile ». Les mots  Compléter le texte avec le bon
« patient », « impatiente » ou « s’impatienter » sont homophone : c’est/s’est/sait/ces
de la même famille que « impatient ». a. Le poète sait traduire par les mots ce qu’il ressent.
c. Pour le mot « voix » qui vient du latin vox, on trouve C’est là tout son art !
les mots « vocal », « vocalement », « vocalique ». b. Que ce soit par des poèmes lyriques ou épiques, il
L’expression latine vox populi signifie la « voix du sait exprimer les élans ou les révoltes. Il s’est toujours
peuple ». engagé entièrement dans l’écriture.
Le mot « champ » vient du latin campus. Les mots de c. On ne sait pas toujours exactement ce que les
la même famille sont « champagne », « champêtre », Illuminations signifient, et c’est la force de ce texte,
« campagne », « camper ». qui sait par contre toucher les émotions.
MÉTHODES | 355
d. Qui sait ? Il s’est peut-être trouvé dans un état qu’elle pense de l’amour. Pour elle, la présence de Max
propice à percevoir ces visions extraordinaires. est une porte qu’elle ferme à tous les autres êtres et à
e. Il s’est toujours trouvé quelqu’un pour témoigner, tout élan vers d’autres formes de beauté. Une année
quelqu’un qui sait exactement ce qu’il s’est alors tout entière pourrait s’écouler, qu’elle ne changerait
passé. C’est extraordinaire : la poésie, c’est pourtant pas du tout d’avis.
l’art du mystère.  Les homophones avec un pronom
 Complétez le texte avec le bon et un déterminant : leur/leurs
homophone : Ont/on/on n’ Mais bientôt, malgré nous, leurs (déterminant pos-
a. Ces mots ont un pouvoir de suggestion : on entend sessif) princes les rallient ;
leur résonnance dans la scène, mais ils n’ont pas que Leur courage renaît, et leurs (déterminant possessif)
cette force auditive. Ils ont aussi un pouvoir visuel. terreurs s’oublient :
b. De plus, on a souvent l’impression d’une ambiguïté La honte de mourir sans avoir combattu
chez le narrateur, on n’arrive pas toujours à le cerner Arrête leur (déterminant possessif) désordre, et leur
complètement : ses pensées ont souvent l’aspect d’un (pronom) rend leur (déterminant possessif) vertu.
masque.
c. On a beaucoup de marques de l’indignation qui PAGES 376-377
traduisent un engagement de l’auteur. Elles ont alors
FICHE 19
une portée qu’on arrive toujours à ressentir.
d. Enfin, on est encore surpris en le lisant. Ces lignes, Nature et fonction
parcourues du frisson et d’une indignation dont on
perçoit les effets, ont une grande force émotionnelle. TESTER SES CONNAISSANCES
1. La question « Qui fait l’action du verbe ? » permet
 Compléter le texte avec le bon
de trouver le sujet de ce verbe.
homophone : c’est/s’est/sait/ses/ces
« Les sanglots longs/Des violons/De l’automne » :
C’est Sganarelle qui sait le mieux voir le jeu de Dom
sujet de « Blessent »
Juan, ses habitudes : ses tromperies, ses hypocrisies, la
« l’heure » : sujet de « Sonne »
séduction des femmes par jeu et non par amour. Tous
« Je » : sujet de « me souviens » ; « je » : sujet de
ces défauts, que Sganarelle sait exposer au specta-
« pleure » ; « je » : sujet de « m’en vais »
teur directement ou indirectement, sont perceptibles
« Qui » : sujet de « emporte »
tout au long de la pièce. Le valet constitue ainsi, par
2. « Les sanglots longs/Des violons/De l’automne » :
ses répliques, un miroir révélateur de son maître. Il
groupe nominal => sanglots, violons, automne :
a vu agir un homme qui s’est toujours masqué en
noms (variables) ; les, l’ : déterminants, articles
société, mais qui a toujours dévoilé sa nature pro-
définis (variables) ; longs : adjectif (variable) ; des :
fonde avec lui.
= de + les : préposition (invariable) et article défini
 Distinguer les homophones ses/ces ; (variable), contractés ; de : préposition (invariable)
son/sont « l’heure » : article défini + nom (variables)
a. Et en disant ces mots, il osa prendre la main de Mme « Je » : pronom personnel (variable)
de Rênal, et la porter à ses lèvres. Elle fut étonnée de « Qui » : pronom relatif (variable)
ce geste, et par réflexion choquée. Comme il faisait 3. Monotone : adjectif (N), épithète liée de « lan-
très chaud, son bras était tout à fait nu sous son châle, gueur » (F)
et le mouvement de Julien, en portant la main à ses Des jours anciens : groupe nominal préposition-
lèvres, l’avait entièrement découvert. nel (N), COI de « me souviens » (F)
b. Les déterminants possessifs « son » sont employés delà : adverbe (N), CC de lieu (F)
pour marquer la possession. Ils peuvent être rempla-
cés par « le sien ». EXERCICES
 Distinguer les homophones avec un  Identifier la nature des mots
déterminant : tout/tous le mien : pronom possessif ; quand : conjonction de
Dans le roman La Vagabonde, de Colette, la narratrice subordination ; hé : interjection ; un : article indéfini ou
rompt avec le personnage de Max et explique tout ce déterminant numéral ou pronom indéfini ; vraiment :
356 | MÉTHODES
adverbe ; on : pronom indéfini ; tendre : adjectif ou b. « grosse » (tête) ; « blancs et rares » (cheveux) ;
verbe à l’infinitif ; donc : conjonction de coordina- « plate » (face) ; « livide » (pâleur) ; « maculée » (face) ;
tion ; celui : pronom démonstratif ; sous : préposition « bleuâtres » (taches) ; « petit » ; « énorme » (cou) ;
ou nom au pluriel ; marron : adjectif ou nom ; loin : « longs » (bras) ; « carrées » (mains)
adverbe L’image qui est donnée du personnage est néga-
 Identifier la nature des mots tive. Il semble difforme et est associé à la vieillesse
a. Je : pronom personnel ; tombai : verbe ; d’abord : (« cheveux blancs et rares ») et à la maladie (« pâleur
adverbe ; sur : préposition ; deux : déterminant livide », « taches bleuâtres »).
numéral ; Lettres : nom ; du : préposition et article  Aborder un texte par la nature des mots
défini contractés ; mari : nom ; mélange : nom ; indi- L’énumération de verbes met en valeur l’enthou-
geste : adjectif ; de : préposition ; détails : nom ; de : siasme de Cyrano, son amour de la vie et de la liberté.
préposition ; procès : nom ; et : conjonction de coor-
dination ; de : préposition ; tirades : nom ; d’ : préposi-  Analyser un texte à partir de fonctions
tion ; amour : nom ; conjugal : adjectif ; que : pronom a. « une plaine désertique jonchée de rochers
relatif ; j’ : pronom personnel ; eus : verbe ; la : article effrayants » (verbe : « devenait » ; sujet : « La ter-
défini ; patience : nom ; de : préposition ; lire : verbe ; rasse dallée de petites pierres ») ; « la jungle d’où
en entier : locution adverbiale ; et : conjonction de sortait en formidable douceur un tigre mangeur de
coordination ; où : pronom relatif ; je : pronom person- petites filles » (verbe : « était » ; sujet : « l’herbe »). Ces
nel ; ne : adverbe ; trouvai : verbe ; pas : adverbe ; un : attributs du sujet mettent en avant des métaphores.
article indéfini ; mot : nom ; qui : pronom relatif ; eût : b. « géants maudits et pétrifiés » : apposition au nom
verbe ; rapport : nom ; à : préposition ; moi : pronom « rochers ». Il s’agit encore une fois d’une métaphore.
personnel. c. Le nom « miracle » évoque la transfiguration du
b. On ne trouve dans cet extrait aucune interjection. jardin.
d. On attend des élèves qu’ils réutilisent toutes les
 Identifier la fonction des mots
réponses précédentes : le terme de miracle qui rend le
Romain : épithète liée de « empereur » ; à longues
souvenir merveilleux, la transfiguration du jardin grâce
oreilles : complément du nom « Coursiers » ; chargé :
aux métaphores fondées sur des attributs du sujet
épithète liée de « l’un » ; l’autre : sujet de « Portait » ;
et une apposition. L’étude des épithètes, notamment
on : sujet de « dit » ; les bouteilles : COD de « portait ».
« désertique », « effrayants », « maudits », « pétri-
 Identifier la fonction des mots fiés », « formidable », « mangeur », montrera que cet
Ce soir : CC de temps ; les hirondelles : sujet de imaginaire se fonde sur la peur, une peur maîtrisée et
« volent » ; haut : CC de manière ; dans le ciel : CC porteuse de plaisir.
de lieu. Les boulevards : sujet de « grondent » ; du
vacarme des klaxons : CC de cause ; des klaxons : CDN PAGE 379
« vacarme » ; La poussière soulevée par les embou-
teillages : sujet de « est » ; soulevée : épithète liée de FICHE 20
« poussière » ; par les embouteillages : complément I. Les accords dans le groupe
d’agent du participe passé « soulevée » ; chaude : nominal
attribut du sujet « la poussière [...] » ; du soleil de la
journée : CC de cause ; de la journée : CDN « soleil » ;  Réussir l’accord des adjectifs
Mon frère Jamal : sujet de « dit », Jamal : apposé Des dialogues glacials ; des romanciers connus ; un
à « mon frère » ; un mot : COD de « dit » ; Nous : nouvel auteur ; des poèmes banals ; de mauvais vers ;
sujet de « roulons » ; Je : sujet de « sais » ; que nous un bel éloge ; un oxymore expressif ; de longues
partons cette nuit : COD de « sais » ; nous : sujet de tirades ; un héros fatigué ; des parodies subtiles
« partons » ; cette nuit : CC de temps.  Réussir l’accord des adjectifs de couleur
 Aborder un texte par la nature des mots Des cheveux noir d’encre ; des ciels azurés ; des eaux
a. corbeille ; feu ; tête ; cheveux ; face ; pâleur ; taches ; glauques ; une jupe vert clair ; des cerfs-volants
cou ; mollets ; talons ; bras ; mains ; genoux mauves ; des draps rouge sang ; des drapeaux bleus
On reconnaît le champ lexical du corps. et blancs
MÉTHODES | 357
 Réussir les accords dans le groupe nominal  Accorder le participe passé
Institutionnelles ; pertinente ; explicatives ; écrite ; Entré ; épanoui ; changé ; allongée ; pris ; arrêtées ;
doctes ; première ; menus ; financés ; tapageuse ; arqués ; empreints ; éloigné ; pris ; encadré ; acquise ;
immense ; populaire ; colossal ; faramineux ; suivantes reflété
 Réécrire en maîtrisant les accords . Corriger les erreurs d’accord dans le GN
a. Nous avons commencé, nous par la canaille, parce et entre le sujet et le verbe
que la femme du peuple, plus rapprochée de la nature Fasciné par l’essor des grands magasins, Émile Zola
et de la sauvagerie, est une créature simple et peu a voulu les célébrer à travers le onzième volume
compliquée. de la série des Rougon-Macquart. Au Bonheur des
b. … toute de ces petites choses, pareilles aux petites Dames fait coïncider le récit de l’ascension sociale de
choses coquettes et neutres avec lesquelles se façonne Denise Baudu, avec les agrandissements successifs du
le caractère d’une toilette distinguée de femme… magasin éponyme.
Le roman s’achève sur la grande vente de l’exposition
 Vérifier les accords dans un texte
du blanc, à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle
Quoique de petite taille, elle paraissait grandie par
façade.
sa démarche élancée et sa coiffure, les cheveux
Zola souligne alors le triomphe du nouveau commerce
relevés sur la tête en un chignon impressionnant. Sa sur les petites boutiques, balayées par la modernité.
peau brune, comme la noirceur de ses yeux ou de Le chapitre XIV s’ouvre sur la description de la rue
ses cheveux, tranchait avec celle des autres femmes du Dix-Décembre bordée par la nouvelle devanture
présentes dans la salle. Malgré la finesse de ses traits, du magasin.
il restait quelque chose de l’enfance dans son visage,
une certaine rondeur, un caractère naïf, qui faisait
PAGE 383
hésiter sur son âge. Les voiles qui la couvraient à peine
laissaient apercevoir la matité de sa peau tendue sur FICHE 21
des muscles saillants, tandis qu’elle s’approchait du Le verbe : la valeur temporelle
milieu de la salle en faisant sonner les bracelets qui
entouraient ses poignets.  Distiguer temps simples et temps compsés
Temps simples : voulut ; prendra ; mettrions ; cou-
PAGE 381 rurent ; fût ; puisses
Temps composés : as mangé ; était parti ; eux joué ;
FICHE 20
auriez compris ; seras tombé ; ayez mangé ; eussiez
II. Les accords dans le groupe verbal répondu
 Réussir les accords sujet-verbe  Comprendre la chronologie des actions
A. lisent ; B. ai ; C. suscite ; D. participent ; E. vas ; parle. « s’embrassaient » : imparfait de l’indicatif
 Accorder l’attribut du sujet « prouvent » : présent de l’indicatif
« entendirent », « tournèrent », « virent » : passé
a. « menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites,
simple de l’indicatif
orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels », attri-
buts du sujet « tous les hommes ». entendirent tournèrent virent
« perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et
dépravées », attributs du sujet « toutes les femmes ».
« un égout sans fond », attribut du sujet « le monde ».
b. Chaque homme est menteur, inconstant, faux, s’embrassaient
bavard, hypocrite, orgueilleux ou lâche, méprisable
et sensuel ; chaque femme est perfide, artificieuse,  Comprendre la chronologie des actions
vaniteuse, curieuse et dépravée.
a. passé simple : « lissa », « refit », « songea »
 L’accord du participe passé dans les formes imparfait : « tendait », « révoltaient »
verbales plus-que-parfait : « s’étaient vus », « avait laissé »,
Conduits ; déposés ; rouillée ; enfuis ; connue ; entrée ; « avait décidé »
constaté ; sortie ; essuyé conditionnel présent : « reconnaîtrait », « offenserait »
358 | MÉTHODES
s’étaient vus avait laissé offenserait avait décidé virent lissa songea refit
reconnaîtrait
révoltaient
b. La narration utilise le moment anodin de la toilette Elles auront abouti : aboutir, futur antérieur
féminine, le fait de se recoiffer en se regardant dans On vainc : vaincre, présent
le rétroviseur de la voiture, comme déclencheur du Vous voudriez : vouloir, conditionnel présent
souvenir qui émerge au plus-que-parfait et renvoie Elle aurait vécu : vivre, conditionnel passé
à une période huit ou neuf années antérieures au
 Identifier le temps et le mode d’un verbe
moment de la narration. L’utilisation du condition-
Précisant : préciser, participe présent
nel est plus complexe : il constitue un futur dans le
Il répondît : répondre, subjonctif présent
passé par rapport au moment où le personnage se
Vous voudriez : vouloir, indicatif, conditionnel présent
recoiffe (« reconnaîtrait »), mais aussi un futur dans
Tu auras pris : prendre, indicatif, futur antérieur
un passé plus lointain correspondant à la décision
Cours : courir, impératif, présent
prise de ne plus respecter les injonctions paternelles
Je meure : mourir, subjonctif, présent
(« offenserait »).
J’eusse souhaité : souhaiter, subjonctif, plus-que-parfait
 Analyser les valeurs du présent Nous avions rejoint : rejoindre, indicatif, plus-que-
a. « survient », « s’approche », « prétend » : présent parfait
de narration ; « s’introduisent », « font » : présent de Elles résolvaient : résoudre, indicatif, imparfait
vérité générale Avoir vécu : vivre, infinitif, passé
b. Les présents de narration correspondent au corps Tu es né : naître, indicatif, passé composé
de la fable et plus précisément au moment de l’appa- Nous aurions préféré : préférer, indicatif, cond. passé
rition de la mouche qui ressort d’autant plus que le En chantant : chanter, gérondif, présent
présent tranche avec les imparfaits qui ont précédé. Elle comprendra : comprendre, indicatif, futur simple
Le présent de vérité générale correspond à la morale Elles créeraient : créer, indicatif, conditionnel présent
de la fable. Tu eus choisi : choisir, indicatif, passé antérieur
 La valeur temporelle du conditionnel Il fût : être, subjonctif, imparfait
Ayez fini : finir, impératif, passé
Futur dans le passé Valeur modale  Conjuguer au subjonctif présent
« contenteraient » « pourrais « (A, l. 2), soit ; réponde ; forme ; n’aille ; soient
(B, l. 2) « aurions » (A, l. 4),  Corriger les fautes de conjugaison
« permettrait » (A, l. 6) du présent de l’indicatif
Le discours sur les femmes est aujourd’hui un terri-
toire battu en tous sens, labouré par une histoire des
PAGE 385 femmes en pleine expansion. Mais même quand ce
FICHE 21 sont des femmes qui le signent, on tient pour une
évidence que ce sont les hommes qui en détiennent
Rappel : Maîtriser la conjugaison les clefs. Eux qui définissent les rôles et les devoirs
 Identifier les temps de l’indicatif des femmes entassent les métaphores de la faiblesse
J’aurais voulu : vouloir, conditionnel passé et de la puissance, de la soumission apparente et du
Tu as gagné : gagner, passé composé despotisme caché, fixent les règles canoniques du
Ils avaient couru : courir, plus-que-parfait portrait. Même quand les héroïnes de la politique ou
Nous déjeunâmes : déjeûner, passé simple de la littérature mettent la féminité au centre de leurs
Il tombait : tomber, imparfait écrits – encore souligne-t-on, contre toute évidence,
Je serais : être, conditionnel présent que c’est très rare –, on les soupçonne de loger leur
Vous saurez : savoir, futur simple réflexion à l’intérieur des représentations dominantes.
Tu eus appris : apprendre, passé antérieur Il paraît malaisé, voire impossible, à une femme de
Il naquit : naître, passé simple s’en émanciper pour dire ce qu’est la féminité
MÉTHODES | 359
 Conjuguer au passé simple d’écrivains que Sartre rend responsables en raison de
garda (1er groupe) ; souffla (1er groupe) ; attendit leur passivité.
(3e groupe) ; fit (3e groupe) ; crut (3e groupe) ; ces- b. Pour Sartre, l’écrivain est « en situation ». Cela signi-
sèrent (1er groupe) ; inquiéta (1er groupe) ; éveilla fie qu’il ne peut s’abstraire de son époque. Tout ce
(1er groupe) ; se mit (3e groupe) qu’il fait trahi sa pensée, que ce soit de l’indifférence
ou non, ce qu’il écrit est toujours signifiant. L’écrivain
 Conjuguer au futur et au conditionnel
a donc une responsabilité morale qu’il ne peut pas
présent
ignorer au motif qu’il est un artiste.
aurait ; brûlerais ; romprais ; seriez ; saurais ; jouerons ;
ferons ; renverrons  Analyser la valeur modale des modes
et des temps
PAGE 387 a. Conditionnel : « brillerait », « aurait étouffé »
FICHE 22 Subjonctif : « ait emporté »
Les verbes relevés expriment le regret en même temps
Le verbe : la valeur modale que l’indignation.
 Analyser le subjonctif b. Le narrateur apparaît comme un être sans pitié
dans les subordonnées puisqu’il regrette que le fils ne soit pas mort.
a. « Je ne crois pas qu’il soit d’accord. » / « Je ne crois  Employer le bon mode et le bon temps
pas qu’il sera d’accord. »
« serait » ; « devrais » : la conjonction « quand » pose
Dans la première phrase, la subjectivité est plus
une condition qui justifie l’emploi du conditionnel.
marquée et la subordonnée est donc plus douteuse
« éloignez-vous » : prière
que dans la deuxième phrase.
« suffisent » : c’est parce que l’énonciatrice a compris
b. « Tu es le seul qui peut le faire. » L’indicatif dans la
le changement qui s’est fait dans le cœur d’Oswald
relative montre que l’énonciateur a la certitude que
qu’elle lui rend sa liberté. Le présent de l’indicatif se
celui à qui il s’adresse peut réussir.
justifie donc parce qu’elle présente le fait comme
« Tu es le seul qui puisse le faire. » Le subjonctif
certain.
suggère que la tâche demandée est si difficile que si
« détesterait » ; « pourriez » : le conditionnel présent
quelqu’un peut y arriver, ce dont il n’est pas certain,
exprime ici une hypothèse ; on est dans l’imaginaire.
c’est la personne à qui il s’adresse.
« soyez » : injonction
c. « Elle a rappelé qu’il soit à l’heure. » La phrase
« affranchirait » : principale au conditionnel, derrière
exprime une sorte d’injonction. Le personnage a l’obli-
une subordonnée hypothétique à l’imparfait
gation d’être à l’heure.
« attachent » : énonciation au présent de vérité
« Elle a rappelé qu’il est à l’heure. » La phrase signale
générale (ou du moins présent élargi), fait présenté
une qualité du personnage qui est en général à l’heure.
comme certain
 Étudier le subjonctif dans les
indépendantes et l’impératif PAGE 389
a. subjonctif : « que je l’écarte », « qu’il s’éloigne »,
FICHE 23
« qu’il parte » ; « ne le retrouve plus » – impératif :
« n’en doutez point », « allez », « approchez » Le verbe : la valeur aspectuelle
Les deux modes ont une valeur d’injonction.  Analyser la valeur d’accompli
b. Les verbes au subjonctif et à l’impératif contribuent A. « a vécu » : passé composé. La valeur d’accompli
à donner une image autoritaire de Néron. souligne le fait que la personne est morte.
 Analyser la valeur du conditionnel B. « ai connu » : passé composé. Ce temps fait com-
a. « serions-nous muets » ; « serait une action » ; prendre que le père dont il est question est mort.
« consacrerait » ; « serait » C. « avait repris », « avait existé » : plus-que-parfait.
Les conditionnels peuvent se comprendre de deux Ce temps semble tourner la page sur des faits qui ont
manières : ils peuvent exprimer l’hypothèse, Sartre eu lieu et que l’on souhaite oublier.
imaginant le cas d’écrivains restant muets sur la situa- D. « tu m’as nourri » : passé composé. Du Bellay
tion de leur époque, mais aussi le regret, car ce cas exprime ses regrets et en particulier celui de ne plus
imaginaire renvoie en réalité à des exemples précis avoir de relation privilégiée avec la France.
360 | MÉTHODES
 Analyser les valeurs aspectuelles coutumée. Ils se donnèrent rendez-vous au lieu habi-
de l’imparfait tuel de leurs duels, le lendemain matin à 7h00, et
a. « il affichait », « il montait » : on identifie ces impar- allèrent quérir des témoins. À lieu dit et à l’heure dite,
faits d’habitude grâce au complément circonstanciel ils se trouvèrent face à face en présence de deux amis
« comme tous les soirs ». et d’un médecin qu’on était allé cherché, mais au lieu
b. Les autres imparfaits sont employés pour montrer d’épées, on avait apporté des pistolets. Ils se mirent
que l’on saisit l’action dans son déroulement. Le calcul dos à dos, marchèrent vingt pas, se retournèrent. Celui
de la recette, sa collecte et son transport apparaissent qui avait été désigné par le sort comme le premier
comme une sorte de cérémonie qui dure et que tout tireur fit si bien son office que le duel pris fin immé-
le monde observe, particulièrement en ce soir où « l’or diatement : il avait tué son ami d’une balle dans le
et l’argent dominaient ». cœur. Désespéré de n’avoir pas été plus maladroit, il
quitta Paris et se fit définitivement oublier.
 Utiliser les temps dans le récit
vint (action de premier plan) ; avait parlé (aspect
PAGE 391
accompli + antériorité) ; eus (action de premier
plan qui tranche par rapport à l’habitude) ; faisait FICHE 23
(imparfait d’habitude) ; avait (imparfait de descrip- Rappel : la concordance des temps
tion) ; promis (action de premier plan) ; serait (futur
dans le passé) ; rassurai (action de premier plan) ; dis  Comprendre le rapport chronologique
(action de premier plan) ; répondis (action de premier entre la principale et la subordonnée
plan) ; fit (action de premier plan) ; savait (action de a. A. « ai assuré » : passé composé de l’indicatif ; « se
second plan) ; connaissais (action de second plan) ; trompait » : imparfait de l’indicatif ; « s’agissait » :
était (action de second plan) ; lassais (action de imparfait de l’indicatif.
second plan) ; retardèrent (action de premier plan) ; B. « comprit » : passé simple de l’indicatif ; « pour-
continua (action de premier plan) ; restait (imparfait rait » : conditionnel présent de l’indicatif.
d’habitude) C. « assure » : présent de l’indicatif ; « vint », « vit » :
passés simples de l’indicatif.
 Étudier la valeur aspectuelle dans la récit D. « avait pensé » : plus-que-parfait de l’indicatif ;
a. Imparfait : courait, était côtoyée (imparfait passif), « attendraient » : conditionnel présent de l’indicatif.
restaient, allaient, se penchait b. « qu’il se trompait », « qu’il ne s’agissait point […]
Plus-que-parfait : avait gagné (deux fois), s’étaient absolument » : subordonnées exprimant une action
rapprochés simultanée à celle de la principale.
Passé simple : laissa « qu’il ne pourrait pas […] programme » : la subor-
b. Les imparfaits sont employés pour montrer le donnée exprime une action postérieure.
déroulement de la course : on ne connaît pas le début « que le Père Joseph vint secrètement » : la subor-
ni la fin des actions exprimées. En revanche, les plus- donnée exprime une action antérieure.
que-parfaits peuvent sembler étranges, car leur aspect « que les Mercenaires l’attendraient à Utique »,
accompli pourrait donner l’impression que la course « qu’ils reviendraient contre lui » : les subordonnées
est finie. En réalité, cela permet de donner l’impres- expriment une action postérieure.
sion que le commentateur de la course ne voit pas la
 Appliquer la concordance des temps
totalité du parcours : il retrouve les chevaux à certains
dans le discours indirect
points précis et constate alors comment leurs posi-
a. Il dit qu’il lui semble qu’il n’a commencé à vivre que
tions respectives ont pu être modifiées dans le temps
depuis deux mois.
où il ne les voyait pas.
Il se demande ce qu’ils peuvent faire aujourd’hui tous
 Maîtriser la valeur aspectuelle les trois.
a. Les imparfaits expriment l’habitude comme Il demande s’il faudra tout recommencer.
le montre le CC de temps au pluriel : « les jours Elle lui dit que, s’il veut parvenir, elle l’aidera.
d’amitié ». Elle dit à sa fille qu’elle a vraiment l’air bête aujourd’hui.
b. Un soir cependant, alors qu’ils jouaient aux cartes, b. Il disait qu’il lui semblait qu’il n’avait commencé à
un querelle éclata entre eux, plus violente qu’à l’ac- vivre que depuis deux mois.
MÉTHODES | 361
Il se demanda ce qu’ils pouvaient faire ce jour-là tous appliquer ma force et mes ressources (les proposi-
les trois. tions ne sont pas indépendantes). Tout ici me laisse
Il demanda s’il faudrait tout recommencer. intact, je n’abandonne rien de moi-même, je ne revêts
Elle lui dit que, s’il voulait partir, elle l’aiderait. aucun masque, car (relation de causalité) il me suffit
Elle dit à sa fille qu’elle avait vraiment l’air bête ce d’apprendre patiemment la difficile science de vivre
jour-là. qui vaut bien tout leur savoir-vivre.
3. L’emploi des phrases complexes permet à l’auteur
 Appliquer la concordance des temps
d’approfondir son analyse, car elles précisent sa
dans le récit
réflexion : les liens de causalité, même implicites,
Je me dis qu’il reviendra de sa colère. Qu’il réappren-
donnent des explications à ce qu’il ressent, à son
dra à me voir, je me dis qu’il s’adoucira […] je me dis
mode de vie, aux valeurs qu’il défend, à sa philoso-
tout ça parce que moi je n’ai plus peur, je ne crains
phie de l’existence.
plus son regard de pierre sur mes yeux baissés et sur la
salive que je renvoie d’un coup au fond de ma gorge. EXERCICES
 Comprendre la concordance des temps  Distinguer les propositions indépendantes
dans les subordonnées au subjonctif juxtaposées et coordonnées
« qu’il ne devinât la cause de mon trouble », « que A. Le processus de création nécessite du calme
Prévan me vît ainsi », « que Prévan ne profitât de l’es- et implique de la concentration. (Propositions
pèce de rendez-vous », « qu’il n’y vînt d’assez bonne coordonnées)
heure », « que l’attaque ne fût vive » : les verbes sont B. Les écrivains quittent leur bureau, vont sur le terrain,
au subjonctif imparfait parce que les principales sont interrogent des gens : ils enquêtent. (Propositions
à l’imparfait et parce que les subordonnées expriment juxtaposées)
des actions simultanées ou postérieures à celles de C. La mise en scène a plusieurs caractéristiques : elle
la principale. joue sur les lumières et privilégie un décor simple. (Les
 Comprendre les nuances de sens deux premières sont juxtaposées, la deuxième et
la troisième sont coordonnées)
de la concordance des temps
D. Les journaux clandestins ont joué un rôle crucial
ont rampé ; avons posé ; commencerait ; continuerait ;
pendant la période de l’Occupation : ils relayaient
va ; invitais ; soyez fait (« fassiez » serait également
de vraies informations non soumises à la censure, ils
possible, mais l’aspect accompli semble plus pertinent
soudaient les réseaux de résistance et ils diffusaient
ici, puisque les personnages sont déjà entrés et qu’ils
un esprit de liberté et d’espoir parmi le peuple. (Les
sont seuls).
quatre premières propositions sont juxtaposées,
PAGES 392-393 la quatrième et la cinquième sont coordonnées).
FICHE 24  Distinguer les propositions indépendantes

juxtaposées et coordonnées
Les relations au sein de la phrase a. Les écrivains de la négritude s’engagent dans leurs
complexe : les propositions poèmes puis s’affirment en politique.
indépendantes Les propositions sont coordonnées ; elles entre-
tiennent un rapport temporel de succession.
TESTER SES CONNAISSANCES Ils s’associent pour échanger des idées, critiquent le
1. et 2. La brise est fraîche et le ciel bleu. J’aime cette colonialisme, défendent leur culture.
vie avec abandon et veux en parler avec liberté, car Les propositions sont juxtaposées avec un rapport
(relation de causalité) elle me donne l’orgueil de d’addition.
ma condition d’homme. Pourtant, on me l’a souvent Ils cherchent à redonner leur dignité au peuple noir et
dit : / il n’y a pas de quoi être fier (deux propositions ils chantent pour cela l’humiliation mais aussi l’espoir.
indépendantes). Si, il y a de quoi, car (relation de Les propositions sont coordonnées ; la conjonction
causalité) ce soleil, cette mer, mon cœur bondissant de coordination « et » marque un rapport d’addition.
de jeunesse, mon corps au goût de sel et l’immense b. Le courant de la négritude a été fondé dans l’entre-
décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans deux guerre : il rassemblait des écrivains francophones
le jaune et le bleu. C’est à conquérir cela//qu’il me faut noirs, comme Aimé Césaire ou Léopold Sédar Senghor.
362 | MÉTHODES
 Interpréter et employer des propositions tion entre les propositions des vers 3 et 4. Ces propo-
indépendantes juxtaposées sitions insistent sur la vie agitée, remplie et aliénante,
a. L’extrait est constitué d’une série de propositions du poète.
juxtaposées :
Athènes me montra mon superbe ennemi : PAGE 395
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ; FICHE 24
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Les relations au sein de la phrase
Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
b. Leur succession contribue à traduire les émotions
complexe : les propositions
du personnage : à partir du vers 2, Phèdre explique les subordonnées
conséquences de la vue d’Hippolyte.  Distinguer les différentes propositions
Les trois propositions du vers 2 constituent une gra- subordonnées
dation renforcée par l’assonance en [i]. A. Au xvie siècle, la poésie et la musique entretiennent
La parataxe due à l’absence de connecteurs logiques des relations qui sont étroites (proposition subordon-
renforce la rapidité et donc la force des sentiments née relative).
éprouvés. B. Le romancier s’est inspiré d’un tableau romantique
 Analyser et employer les propositions lorsqu’il a mené sa description (proposition subordon-
indépendantes juxtaposées et coordonnées née circonstancielle conjonctive).
a. Les deuxième et troisième paragraphes sont consti- C. Les acteurs étant arrivés (proposition subordonnée
tués de propositions indépendantes : circonstancielle participiale), le spectacle commença.
Des gens arrivaient hors d’haleine ; des barriques, des D. Il lui demande s’il l’a écrit lui-même (proposition
câbles, des corbeilles de linge gênaient la circulation ; subordonnée complétive interrogative).
les matelots ne répondaient à personne ; on se heur- E. Lors d’un aparté, les spectateurs voient les person-
tait ; les colis montaient entre les deux tambours, et le nages leur parler (proposition subordonnée complé-
tapage s’absorbait dans le bruissement de la vapeur, tive interrogative).
qui, s’échappant par des plaques de tôle, enveloppait  Distinguer les différentes propositions
tout d’une nuée blanchâtre, tandis que la cloche, à subordonnées
l’avant, tintait sans discontinuer. a. Le roman permet de s’interroger sur la condition
Enfin le navire partit ; et les deux berges, peuplées de humaine qui peut paraître absurde (proposition
magasins, de chantiers et d’usines, filèrent comme subordonnée relative). Ainsi, Sartre exprime ce senti-
deux larges rubans que l’on déroule. ment dans La Nausée qu’il publie en 1938 (proposition
b. Elles accélèrent le rythme, contribuant ainsi à subordonnée relative). Albert Camus montre dans La
dresser un tableau énergique de la scène. Le rythme Peste que l’engagement pour autrui peut donner du
de ces phrases s’oppose à l’attitude du personnage sens (proposition subordonnée complétive conjonc-
présenté comme « immobile », ce qui démontre une tive). Parce qu’ils créent des personnages confrontés
certaine passivité chez lui. à des choix existentiels (proposition subordonnée cir-
 Analyser et employer les propositions constancielle conjonctive), les romanciers souhaitent
indépendantes que les lecteurs interrogent les valeurs humaines (pro-
a. L’extrait présente plusieurs propositions position subordonnée complétive conjonctive).
juxtaposées : b. Des propositions relatives peuvent être ajoutées
Je vais, je viens, je cours, je ne perds point le temps, pour caractériser les mots soulignés :
Je courtise un banquier, je prends argent d’avance : Le roman, dont on peut suivre l’évolution depuis le
Quand j’ai dépêché l’un, un autre recommence, Moyen Age, permet de s’interroger sur la condition
Et ne fais pas le quart de ce que je prétends. humaine, qui peut paraître absurde.
Les trois premières propositions entretiennent un Ainsi, Sartre exprime ce sentiment, qu’il ressent lui-
rapport de succession. On observe un rapport de même, dans La Nausée, qu’il publie en 1938.
conséquence entre la troisième et la quatrième. On Parce qu’ils créent des personnages qui sont com-
retrouve l’idée de succession au vers 2, puis d’opposi- plexes et qui sont confrontés à des choix existentiels,
MÉTHODES | 363
les romanciers souhaitent que les lecteurs interrogent c. Ces deux strophes illustrent le premier vers, car elles
les valeurs humaines. démontrent l’inconstance que provoque l’amour sur
le comportement : la souffrance et la joie alternent.
 Analyser les propositions subordonnées
relatives
a. Les propositions subordonnées relatives sont PAGES 396-397
soulignées : FICHE 25
Ma sœur, voici le bras qui venge nos deux frères,
La syntaxe des propositions
Le bras qui rompt le cours de nos destins contraires,
Qui nous rend maîtres d’Albe ; enfin voici le bras
subordonnées relatives
Qui seul fait aujourd’hui le sort de deux États ;
TESTER SES CONNAISSANCES
Vois ces marques d’honneur, ces témoins de ma gloire
1. Les propositions subordonnées relatives sont
Et rends ce que tu dois à l’heure de ma victoire.
soulignées :
b. Elles expliquent l’importance du bras d’Horace en
L’autre hypothèse qui mobilise la ferveur de certains
le caractérisant et en montrant en quoi il est décisif,
d’entre nous concerne la probabilité d’un sursaut de
puisqu’il permet d’assouvir une vengeance, de changer
conscience qui permettrait de sortir de l’inconscience.
le destin, et d’assurer le pouvoir politique. Un sursaut qui mobiliserait toutes nos énergies pour
c. La lecture à voix haute peut marquer l’ampleur de construire le monde en mettant nos aptitudes, qui
la tirade, son caractère solennel, sa gravité. sont considérables, au service de l’intelligence. Celle
 Analyser les propositions subordonnées qui a donné cohésion et cohérence au réel, ce réel
complétives dans lequel s’inscrit notre réalité.
a. Les propositions principales sont en gras et les pro- 2. Lire le texte en omettant les propositions relatives
positions subordonnées complétives sont soulignées : révèle leur rôle : elles caractérisent les mots dont elles
Eh bien, messieurs, je dis que ce sont là des choses sont les expansions, approfondissent la réflexion, et
qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit précisent la pensée.
dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute 3. L’auteur affirme son engagement et sa respon-
son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles sabilité devant les problèmes écologiques auxquels
choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un l’humanité est confrontée.
pays civilisé, engagent la conscience de la société tout
entière ; que je m’en sens, moi qui parle, complice et EXERCICES
solidaire, et que de tels faits ne sont pas seulement  Identifiez les propositions subordonnées
des torts envers l’homme, que ce sont des crimes relatives adjectives, substantives,
envers Dieu ! attributives
b. Victor Hugo affirme, par l’emploi des complétives, A. La comédienne qui interprète le rôle (adjective)
sa position contre la misère dans la société. s’identifie-t-elle à l’héroïne ?
 Analyser les propositions subordonnées B. L’actrice qui travaille son personnage (adjective)
circonstancielles trouve en elle-même les ressources dont elle va se
a. Les propositions subordonnées circonstancielles servir pour l’incarner (adjective).
(soulignées ci-dessous) indiquent le temps : C. Qui s’exprime (substantive) ainsi a alors le pouvoir
Ainsi Amour inconstamment me mène de toucher son public.
Et, quand je pense avoir plus de douleur, D. Elle peut emmener les spectateurs où elle veut
(attributive) : elle est la guide que tous veulent suivre
Sans y penser je me trouve hors de peine.
(attributive).
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être en haut de mon désiré heur,  Enrichir son propos en utilisant des
Il me remet en mon premier malheur. propositions subordonnées relatives
b. Les propositions principales se situent en fin de a. La répétition des deux premières phrases peut être
strophes, après les circonstancielles, qui créent ainsi évitée en employant une relative : « Le mouvement
un effet d’attente, puisque la situation n’est indiquée réaliste, qui s’est développé au xixe siècle, cherche à
qu’après que les circonstances ont été précisées. montrer la réalité dans tous ses aspects. »
364 | MÉTHODES
b. Des propositions relatives peuvent être ajoutées PAGE 399
aux mots en caractères gras pour en préciser le sens :
FICHE 26
Ainsi, ces auteurs peuvent décrire les gens du peuple,
qui sont rarement représentés dans les romans, et La construction du lexique
montrer les ravages de la pauvreté, qui touchent les en français
classes sociales défavorisées.
c. Des propositions relatives peuvent être ajoutées TESTER SES CONNAISSANCES
pour caractériser les mots soulignés afin de donner de 1. Le mot « impressionnisme » est formé à partir du
l’ampleur et de la force à la dernière phrase : nom « impression » avec l’ajout du suffixe « -isme »
Émile Zola, qui s’est engagé par ses œuvres, va consa- qui désigne un courant artistique (romantisme, réa-
crer des romans à montrer cette réalité, que l’on a lisme…) Le mot « avant-gardes » est composé de
souvent omise, mais aussi à dénoncer ces injustices, l’adverbe « avant » et du nom « garde ». En art, il
dont on ne pouvait plus taire l’existence, pour trans- désigne les personnes ou les groupes d’artistes qui
former la société, qui devra être plus juste et plus entreprennent des expérimentations artistiques. De
humaine. même, les mots « Art brut » et « Nouveau Réalisme »
sont des mots composés.
 Identifier et utiliser les propositions 2. « Arte Povera » est emprunté à l’espagnol, et « Land
subordonnées adjectives Art » à l’anglais.
a. Les propositions relatives adjectives sont soulignées Tous ces mots ont été inventés pour désigner des
ci-dessous. Elles révèlent la tristesse de la poétesse. pratiques artistiques ou des courants esthétiques
Claire Vénus, qui erres par les Cieux, nouveaux.
Entends ma voix qui en plaints chantera,
Tant que ta face au haut du Ciel luira, EXERCICES
Son long travail et souci ennuyeux.
 Analyser la formation des mots
b. La virgule dans le premier vers marque une pause
A. Ce sont des mots dérivés. Les mots « intolérance »
dans le rythme, ce qui détache le groupe nominal de
et « injustices » sont formés par l’adjonction du
la relative et leur confère une importance à chacun,
préfixe « in- » aux noms « tolérance » et « justice ».
afin de renforcer la gravité de la situation.
Le nom « fanatisme » est créé par l’ajout du suffixe
 Analyser la proposition relative substantive « -isme » au nom « fanatique ». Le mot « dysfonc-
a. La proposition « qui rit d’autrui » est une relative tionnements » voit l’ajout du préfixe « dys- » au nom
substantive qui est sujet du verbe « Doit » au vers 2. « fonctionnement ».
b. Elle contribue à donner un caractère général à la B. Les mots « chef-d’œuvre » et « faux-semblants »
phrase par l’imprécision du pronom relatif « qui », sont créés par composition.
désignant ici tout être humain. C. L’expression « a priori » est empruntée au latin, le
 Reconnaître les types de relatives mot « scénario » à l’italien. Le nom « post-apocalyp-
pour mieux les comprendre tique », créé par composition, désigne un genre de la
science-fiction. Le verbe « divulgâcher » est un néo-
a. La proposition relative attributive se trouve dans
logisme formé par la fusion des mots « divulguer » et
la première phrase : « C’est tout ça qui l’a usé, rongé,
« gâcher », afin de désigner une situation où l’intrigue
Albert ». Elle montre à quel point le personnage
d’un livre ou d’un film est révélée à quelqu’un qui ne
est marqué par la guerre, à la fois physiquement et
l’a pas lu ou vu. Il concurrence ainsi le mot emprunté
moralement.
à l’anglais « spoiler ».
b. Des propositions relatives adjectives caractérisent
leur antécédent : « tous les copains qui sont morts et  Analyser la formation des mots pour
auxquels il voudrait ne pas trop penser. Il en a déjà interpréter un texte
vécu, des moments de découragement, mais là, ça a. Le néologisme « négraille » est formé à partir
tombe mal. Justement à l’instant où il aurait besoin du nom « nègre » qui désigne péjorativement les
de toute son énergie. » personnes de couleur noire et du suffixe péjoratif
c. Elles contribuent à exposer la situation d’Albert, « -aille » à valeur dépréciative. Il s’agit de la vision
en adoptant ses pensées par le point de vue interne. des esclavagistes.
MÉTHODES | 365
Le mot « inattendument » est un dérivé de l’adjec- – « sitographie » : ce mot valise est composé des
tif « inattendu » auquel l’auteur a adjoint le suffixe noms « site » et « graphie », sur le modèle du mot
« -ment » servant à créer des adverbes. « bibliographie », pour désigner une liste de sites
b. La progression du poème montre la révolte de ce Internet qui servent de source à un travail documen-
peuple opprimé et sa possibilité d’affirmer sa dignité taire par exemple.
et sa liberté, ce qu’accentuent les choix lexicaux, avec – « twittosphère » : ce mot valise, composé des noms
les termes « debout » ou « libre » par exemple. « twitter » et « sphère », désigne la communauté qui
 Analyser l’emploi d’un lexique nouveau pratique le réseau social Twitter.
a. Le poète emprunte plusieurs mots à l’italien, – « troller » : le mot est emprunté à l’anglais et
puisqu’il décrit la cour qu’il fréquente à Rome : désigne l’action de perturber les forums sur Internet
« Messer non », « Messer si », « E cosi », « Son Servitor ». en envoyant des messages inconvenants ou en créant
Ces termes indiquent le jeu des apparences de servia- des polémiques artificielles.
bilité qui ne sont que démonstrations hypocrites, ce – « défaçage » : le mot est dérivé du verbe « défacer »
que souligne le verbe « contrefaire ». par l’ajout du suffixe « -age » qui permet de créer un
b. Le néologisme « seigneuriser » est dérivé du nom nom. Le terme « défacer », emprunté à l’anglais, est
« seigneur » avec l’adjonction du suffixe « -iser » qui utilisé lorsque la page d’accueil d’un site web est rem-
transforme le mot en verbe. Il est employé pour criti- placée par une autre, à la suite de son piratage.
quer l’attitude de ceux qui complimentent les autres – « déréférencement » : mot dérivé par l’ajout du
à la manière de grands seigneurs, dénonçant l’excès préfixe « dé- » au nom « référencement », il désigne
de respect et donc leur hypocrisie. le fait qu’un moteur de recherche ne référence plus
c. Les poètes de la Pléiade ont voulu enrichir la un mot ou un site Internet par exemple.
langue française pour lui donner une légitimité et une – « émoticône » : mot valise formé à partir des mots
importance équivalente au latin, qui était alors une « émotion » et « icône », il désigne de petites images
langue plus considérée par les savants, les artistes et qui symbolisent les émotions.
l’administration. – « téléverser » : ce verbe est formé à partir du préfixe
« télé- » signifiant « à distance » et du mot « verser ».
 Analyser et employer un lexique nouveau
Il est utilisé pour qualifier un transfert de données
a. Le néologisme « combattant-protecteur » est
informatiques d’un ordinateur vers un autre.
composé de deux noms. Le mot « strerf » est complè-
tement inventé. On peut cependant reconnaître une
proximité phonique avec le mot « stress », emprunté PAGE 401
à l’anglais. FICHE 27
b. Ils contribuent à la création d’un univers de science-
fiction, car ils permettent de désigner des réalités
Les relations lexicales
inconnues dans notre monde.
TESTER SES CONNAISSANCES
c. D’autres passages de l’extrait manifestent un travail
1. Les mots du texte qui sont inclus par le terme
sur le langage : les noms des personnages (« Erg », « Te
Jerkka ») dont les consonances sont étranges, ainsi général, ou hyperonymes, « robots », correspondent
que la phrase présentée en discours rapporté, dont la à l’énumération de la première phrase : « acier bien
syntaxe est bouleversée (« Le meilleur tu deviendras à trempé, d’automobiles, de tracteurs, de frigidaires,
force de ne pas l’être, et de toi battre pour surmonter d’éclairage électrique, d’autoroutes, de confort
ce sentiment »). scientifique ».
2. Cette énumération renforce l’argumentation
 Employer des mots nouveaux en listant les éléments que l’auteur juge inutiles.
pour développer sa créativité L’aspect hétéroclite des éléments mentionnés
a. Le sens et la formation des mots sélectionnés sont accentue leur dimension absurde et étrangère à
les suivants : toute humanité.
– « nomophobie » : le terme est un mot valise créé à 3. Au monde froid et matériel des « robots », Jean
partir de la contraction de l’expression anglaise « no Giono oppose le rôle « spirituel » de la « beauté »,
mobile-phone phobia » pour désigner la peur de se qu’il valorise avec la métaphore « charpente de son
trouver séparé de son téléphone mobile. âme ».
366 | MÉTHODES
EXERCICES b. L’expression « rien ne me chaut » signifie « rien ne
m’intéresse », qui s’oppose à « j’admire tout ». « Je
 Identifier les relations lexicales
me relie » signifie qu’il se lie à nouveau après s’être
A. Le mot « sens » est un hyperonyme, décliné en
« délacer », c’est-à-dire détaché.
différents hyponymes : « le toucher, l’ouïe, la vue, le
goût et l’odorat. »  Analyser et employer des hyperonymes
B. Les mots « affirmé, clamé, scandé, martelé » sont a. Les mots hyponymes correspondent à l’énuméra-
synonymes. tion « honneur, justice, moralité, internationalisme,
C. La phrase présente des termes antonymes : « tolé- démocratie, science, religion. » De la même façon, les
rance » et « intolérance », « Lumière » et « obscuran- mots « liberté et d’égalité » sont regroupés dans le
tisme », « raison » et « superstitions ». terme « penséecrime » et « les mots groupés autour
des concepts d’objectivité et de rationalisme » dans
 Employer les relations lexicales pour
celui d’« ancipensée », où le préfixe « anci- », traduc-
enrichir un paragraphe
tion du old anglais, signifie ancien, pour déprécier
Le paragraphe peut être amélioré :
ces mots. Le pouvoir souhaite développer l’emploi
Le théâtre, que ce soit la comédie, la tragédie ou
d’hyperonymes, appelés ici « mots-couvertures », de
le drame, défend des idées, des conceptions, des
façon à limiter les nuances de la pensée, réduire la
visions du monde. La représentation d’une pièce sur
capacité de réflexion de la population et ainsi asseoir
la scène auprès de spectateurs permet de toucher les
le régime autoritaire qui contrôle les esprits.
émotions, la tristesse, la joie, la peur par exemple et
de comprendre la complexité du monde : la tolérance PAGES 402-403
et l’intolérance, la philanthropie et la misanthropie, la
solidarité et l’égoïsme. FICHE 28
 Analyser et employer des synonymes La lecture littéraire :

a. Les deux énumérations de mots synonymes accen- entrer dans le texte
tuent la gravité de la situation et sa violence. u Identifier la nature du texte
b. Chacun des mots apporte une nuance de sens : a. Le texte de l’exercice 2 est un texte narratif, plus
– « massacres » : le mot désigne toute action qui précisément un portrait. Le texte de l’exercice 3 est
consiste à tuer violemment et à grande échelle ; un texte argumentatif. Le texte de l’exercice 4 est un
– « guerres » : terme général qui désigne tout conflit texte poétique.
le plus souvent armé, entre des États, des groupes, b. Pour étudier le texte de l’exercice 2, on peut penser
des personnes ; qu’il faudra s’intéresser particulièrement au point de
– « pogroms » : violences, voire massacres, commis vue adopté, à la progression thématique, aux carac-
contre la communauté juive, puis par extension térisations et au réseau lexical.
contre toute communauté sous l’effet de l’intolérance Pour analyser le discours de l’exercice 3, on peut s’at-
et du racisme ; tendre à devoir analyser davantage la ponctuation,
– « épurations » : massacres perpétrés à l’encontre le rythme, les sonorités, les arguments, le ton et les
d’une ethnie par exemple, de façon à l’éliminer ; types de phrases.
– « apartheids » : le terme désigne à l’origine la Enfin, le poème de l’exercice 4 joue certainement
ségrégation des populations noires en Afrique du Sud sur le rythme et les sonorités, la ponctuation et les
jusqu’en 1991 ; par extension, il s’applique aux discri- réseaux lexicaux.
minations et exclusions d’une partie de la population.
v S’assurer de la compréhension littérale
c. Des synonymes permettent d’amplifier ces énu-
mérations : conflit, attaque, bataille, lutte, hostilité. a. Le portrait du colonel Chabert suit une progression
à thème éclaté : la première phrase donne une idée
 Analyser et employer des antonymes de sa physionomie d’ensemble, « sec et maigre » ;
a. On peut identifier des couples d’antonymes : puis le narrateur décrit différents éléments, en allant
« J’espère et crains », « je me tais et supplie », « glace » globalement de haut en bas (« son front », « sa per-
et « feu chaud », « admire » et « rien ne me chaut », ruque », « ses yeux », « le visage », « le cou », « le
« délace » et « relie ». Ils expriment la confusion du corps »). Comme le corps est dans l’ombre et que
poète. seule la tête émerge dans la lumière, comme « un
MÉTHODES | 367
portrait de Rembrandt », le narrateur revient sur le PAGES 404-405
visage, sur « cette vieille tête » dont il évoque les rides
FICHE 29
et l’impassibilité.
b. Les couleurs dominantes sont le noir et le La lecture cursive : développer
blanc : « taie transparente », « nacre sale », « reflets sa culture littéraire
bleuâtres », « pâle », « livide », « cravate de soie La plupart des exercices de cette fiche sont des exer-
noire », « l’ombre », « un sillon noir », « les rides cices en autonomie incitant les élèves à se rendre en
blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré bibliothèque et à commencer un carnet de lecture ou,
de cette physionomie cadavéreuse ». plus largement, un dossier personnel, sous quelle que
c. La plupart des autoportraits de Rembrandt en clair- forme que ce soit. Les activités proposées ne sont que
obscur peuvent servir de base à l’exercice d’écriture. Il des exemples et peuvent aisément être complétées
faut bien faire travailler les élèves sur l’organisation du ou adaptées au public.
portrait, le clair-obscur et l’atmosphère créée. Ici, on
u Être curieux
a comme une apparition de fantôme. Tout le champ
a. Daniel Pennac voudrait que les bibliothécaires par-
lexical de la mort y concourt.
tagent leur amour des livres en racontant les histoires
w Analyser les effets sur le lecteur qu’ils ont préférées. Ils donneraient ainsi l’envie de lire
a. La thèse de Victor Hugo est que lorsque l’on ces livres et guideraient les lecteurs perdus au milieu
condamne un prisonnier à mort, c’est sa famille que des rayonnages.
l’on punit, alors qu’elle est innocente.
b. Ce texte devrait déclencher de la révolte contre la
y Compléter par des éléments personnels
peine de mort et de la compassion pour la famille du a. Le texte donne un nom – Gabcík –, un lieu – Prague –
condamné. Les questions et l’utilisation de la deu- et une date – 1942. Le roman s’intitule HHhH. La seule
xième personne interpellent le lecteur. L’évocation date peut faire penser à la Seconde Guerre mondiale.
de la famille, notamment de la femme et des enfants, Une simple recherche avec les mots-clés « gabcik
permet d’émouvoir le lecteur. Les images concrètes Prague 1942 » conduit à la page sur le résistant
du bagne et du musico sont aussi frappantes et aident tchèque qui réussit à tuer dans un attentat Reinhard
le lecteur à se projeter et à s’imaginer concrètement Heydrich, chef des services secrets nazis et organisa-
les conséquences de la peine capitale. Dans le même teur de la « solution finale », principal adjoint d’Hein-
esprit, la personnification de la « gauche et aveugle rich Himmler, bras-droit d’Adolf Hitler.
pénalité » qui « frappe » fait appel à l’imagination des
lecteurs. Le ton emphatique utilisé augmente enfin PAGES 406-407
la portée persuasive du propos, notamment avec la
FICHE 30
lamentation finale : « Oh ! les pauvres innocents ! ».
x Analyser les effets sur le lecteur
Expose et débattre
a. Dans ce poème, Rimbaud dénonce la guerre.  Préparer un exposé
b. On peut s’attendre à ce que les élèves expriment b. Des critères de réussite de l’organisation et du
des idées autour de la tristesse et de l’injustice. contenu de l’intervention peuvent être définis :
c. Les deux quatrains se fondent sur des sonorités – pertinence et organisation de la réflexion avec un
dures comme les dentales [t] et [d], les [r], les [k], les sujet ciblé, problématisé et un plan clair ;
[p] et les [s] : on croirait entendre les coups de feu et – précision et développement du contenu, des
les sifflements des balles avec ces allitérations. Les connaissances ;
deux tercets jouent davantage sur les assonances en – maîtrise de la communication verbale : fluidité et
[an], [è] et [o] : le poète nous place cette fois non plus clarté de l’élocution, intonations vivantes, conviction :
dans le feu de la bataille mais à l’arrière, dans le silence – maîtrise de la communication non verbale : précision
des prières des mères. de la gestuelle, posture assurée, liens avec l’auditoire.
c. Les quatrains, plus dynamiques dans les sonorités,
 Préparer un débat
le sont aussi par la ponctuation, notamment dans
les deux derniers vers. En revanche, les sonorités plus a. Dans le premier texte, Maupassant présente le
douces et les enjambements dans les tercets incitent voyage positivement comme un moyen de s’évader
à lire le texte plus lentement et sur un ton plus calme. de la réalité. Il donne ainsi accès à une autre dimen-
368 | MÉTHODES
sion du réel qui se rapproche du rêve et qui procure que les deux protagonistes sont très mal à l’aise et
du plaisir. Il donne des exemples de lieux propices à ne savent pas quoi dire.
ce transport : gare, port… c. À l’oral du baccalauréat, c’est souvent l’un des pro-
Inversement, la journaliste Weronika Zarachowicz blèmes rencontrés par les candidats, qui ne savent
alerte sur les dangers du voyage de masse et appelle pas bien comment lire les textes de théâtre. Il suffit
à retrouver le sens de l’immobilité, car les transports souvent de respirer et de changer légèrement de
génèrent de la pollution à grande échelle. Elle nourrit ton. Il ne faut pas changer de voix, en revanche, cela
son argumentaire d’exemples : la ville de Barcelone, le fait courir le risque de rendre la lecture ridicule ou
transport aérien, les chiffres du nombre de touristes. caricaturale.
b. D’autres arguments peuvent nourrir le point de
v Faire entendre le texte
vue de Maupassant : le voyage permet de rencontrer
a. L’accumulation des verbes d’action rend la situa-
d’autres modes de vie, de s’enrichir mutuellement et
de lever des préjugés ; il favorise la connaissance de tion particulièrement rapide et vivante, comme si l’on
soi et du monde. L’autre point de vue peut égale- assistait à la scène. L’usage de l’imparfait donne le
ment être argumenté : la mondialisation uniformise sentiment que les actions se produisent à répétition
les modes de vie et ne nous confronte plus à la diffé- et se prolongent. D’ailleurs, lorsque Gavroche sera
rence ; la culpabilité liée à la pollution engendrée par touché, dans la suite de l’extrait, l’action sera expri-
les modes de transport conduit à moins apprécier le mée au passé simple : action unique et achevée.
voyage. b. Le rythme ternaire créé par la double répétition
c. Des écrivains voyageurs peuvent servir d’appui de la négation retardant la caractérisation positive
à l’argumentation. Nicolas Bouvier explique dans de Gavroche ainsi que la gradation de « enfant » à
L’Usage du monde : « Un voyage se passe de motifs. « homme » puis « étrange gamin-fée » amplifie la
Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. phrase et suscite l’admiration.
On croit qu’on va faire un voyage mais bientôt c’est w Rendre sa lecture vivante
le voyage qui vous fait ou vous défait. » Claude Lévi- a. La Muse s’exprime en alexandrins alors que le poète
Strauss déplore l’uniformisation du monde dans s’exprime en octosyllabes.
Tristes Tropiques : « L’humanité s’installe dans la b. La brièveté du vers choisi pour les propos du
mono-culture ; elle s’apprête à produire la civilisa- poète est un premier indice d’agitation : cela accé-
tion en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne lère le rythme. Cette accélération est amplifiée par
comportera plus que ce plat. » la ponctuation expressive avec les interrogations et
w Maîtriser la communication non verbale les exclamations. Les quatre derniers vers sont encore
a. Plusieurs attitudes renforcent le pouvoir de convic- davantage saccadés par le jeu de la ponctuation et
tion : la posture droite qui suggère l’assurance, l’ac- du faux dialogue que le poète tient avec lui-même.
compagnement du discours par la gestuelle de la c. Le poète s’adresse avant tout à lui-même, puis au
main qui traduit la précision, le regard qui marque « Dieu puissant », puis à quelqu’un qui viendrait ou
la détermination. l’appellerait, puis de nouveau à lui-même. Ce schéma
circulaire souligne bien la solitude du poète, isolé et
PAGES 408-409 malheureux mais ne trouvant aucun interlocuteur.
FICHE 31
PAGES 410-413
La mise en voix d’un texte
FICHE 32
u Préparer sa mise en voix
Les figures de style
a. Les hésitations sont très faciles à repérer puisqu’elles
sont marquées par les points de suspension et l’ono-  Identifier les figures de style
matopée « euh ». On en dénombre une douzaine. A : métaphore/personnification
b. Toutes ces hésitations ainsi que la conversation qui B. accumulation/métaphore
tourne autour du temps, notamment du soleil alors C. antithèse/métaphore
qu’il fait nuit, ou de la plus belle chaussure entre les D. accumulation/prétérition
deux que porte le Prince sont drôles. On comprend E. allégorie
MÉTHODES | 369
F. euphémisme/accumulation « cet enfant du soleil peint aux mille couleurs » :
G. litote périphrase
v Étudier les figures d’analogie « ces champs, ces monts sacrés, cette vieille nature » :
accumulation
a. « de mots écrits quelque part en un livre » :
métaphore « l’homme lion » : métaphore à valeur d’hyperbole
« de feuilles volantes disséminées de-ci de-là » : b. En célébrant la beauté des territoires colonisés et
métaphore de leurs peuples, leur abondance, leur caractère ances-
« comme les graines » : comparaison tral, Victor Hugo fait ressortir l’incurie des colons qui
« de paroles déclamées sur le théâtre par un artiste » : viennent imposer la laideur de leur mode de vie à ces
métaphore peuples et piller leurs territoires.
« comme d’un instrument d’ivoire » : comparaison  Étudier les figures d’amplification
« tissé de murmures » : métaphore a. Le texte utilise de nombreuses hyperboles : « une
b. Les figures d’analogie soulignent la spécificité de vipère », « le scorpion », « un basilic », « me perce le
ce château qui n’est pas seulement une construction cœur qui fond et frit et brûle », « m’ont tué ».
de pierre ou de parole, mais aussi un lieu de mémoire, b. Dans la strophe 1, les animaux monstrueux men-
un monument au sens étymologique du terme, qui tionnés sont des métaphores à valeur d’hyperboles.
semble avoir gardé la trace de ses occupants. c. Si le texte révèle les douleurs de l’amour, il montre
c. Les nombreuses figures d’analogie tendent à trans- surtout la cruauté de la femme aimée.
figurer le château qui apparaît alors comme un lieu
mystérieux et inédit grâce à la magie du langage.  Étudier les figures d’atténuation
a. « partir tout à l’heure », « que je parte » : il s’agit
w Étudier les figures d’analogie
d’un euphémisme.
et de substitution
b. C’est le vieillard qui emploie ces euphémismes dans
a. « mon superbe ennemi », « à ce dieu ». Désigné
des paroles rapportées aux discours indirect et direct :
comme ennemi de Phèdre, Hippolyte apparaît en
il ne parvient pas à prononcer le mot « mort », qu’il
même temps comme celui vers qui elle se sent irré-
atténue, preuve qu’il n’accepte pas son sort.
médiablement attirée puisqu’elle va même jusqu’à le
désigner comme un dieu.  Analyser l’emploi de figures variées
b. La famille de Phèdre est désignée par la synecdoque a. L’auteur se moque de la sophistication de la cuisine
« d’un sang qu’elle poursuit ». Cette figure insiste sur présentée dans Elle, dont tout naturel est chassé
la filiation qui lie Phèdre à sa famille, mais aussi sur et dont la meilleure représentation réside dans le
la malédiction qui pèse sur elle. « nappé » qui masque la nature réelle du plat.
c. « Ma main » et « ma bouche » désignent Phèdre, b. Le texte utilise principalement des accumulations.
mais montrent en même temps la dichotomie du Elles permettent de montrer la surenchère dans le
personnage qui se retrouve comme dédoublé : tout raffinement de la cuisine, mais aussi le fait que tous
en accomplissant le rituel nécessaire pour obtenir la les pans de la cuisine sont touchés sans exception par
clémence de Vénus, son cœur ne songe en réalité cette mode du nappé.
qu’à Hippolyte. c. Le texte utilise l’hyperbole en qualifiant le journal
x Étudier les figures d’opposition Elle de « trésor mythologique » de manière un peu
a. « de jour et de nuit » ; « penser/oublier » ; « front ironique. On trouve également des métaphores qui
joyeux/langueur extrême » ; « chaud/froid » ; « le expriment là encore le caractère artificiel de cette
cœur le dit/la langue est muette » cuisine : « le sédiment lisse des sauces » (l. 11), « ponc-
b. L’amour apparaît comme un sentiment complexe tuation de cerises » (l. 19).
et paradoxal qui fait souffrir, mais auquel il est impos-  Analyser l’emploi de figures variées
sible de résister. a. On repère la répétition du nom « entaille » ainsi
y Étudier les figures d’amplification qu’une personnification de Paris que l’on peut hacher
a. « du Gange à l’Orégon, des Andes au Thibet, du Nil pour en révéler les « veines » (l. 6) au grand jour.
aux Cordillères » : accumulation b. Les figures révèlent la violence des travaux et donc
« ses lacs, miroirs d’un lieu secret » : métaphore l’incurie du personnage dont on comprend qu’il n’a
« sa vierge, la forêt » : personnification pas d’état d’âme et qu’il ira au bout de son projet.
370 | MÉTHODES
PAGES 414-417 amour incommensurable : « ma pauvre maîtresse »,
« le visage pâle et mouillé d’un ruisseau de larmes »,
FICHE 33
« son linge sale et dérangé », « un désordre et un abat-
Les outils de la lecture littéraire : tement inexprimables » montrent Manon en grande
tons et registres détresse et les expressions « pauvre maîtresse »,
u Déterminer les effets recherchés « mains délicates », « composé charmant », « cette
a. Racine cherche à provoquer la compassion, Balzac figure capable de ramener l’univers à l’idolâtrie »
veut déclencher le rire et La Fontaine fait sourire, mais montrent à quel point Des Grieux l’aime.
jaune. w Repérer les procédés utilisés
b. Racine dit de Phèdre qu’elle n’est « ni tout à fait a. Plusieurs éléments rendent Dame Pluche ridicule :
coupable, ni tout à fait innocente » : il montre ici son son apparition « durement cahotée par son âne » est
personnage souffrant et victime de la malédiction d’emblée comique. On peut l’imaginer secouée dans
de sa famille. Balzac dresse un portrait caricatural de tous les sens et tenant difficilement sur l’animal.
Mme Vauquer, dont il se moque. La Fontaine est enfin Son physique ensuite, osseux et maigre, correspon-
bien évidemment très ironique et dénonce ici le sort dant à son tempérament colérique, est caricatural.
injuste que l’on réserve à l’âne, qui n’a fait que manger L’opposition entre l’extrême politesse du Chœur et
de l’herbe alors que d’autres ont mangé des moutons l’agressivité dont elle fait preuve à son égard est drôle,
et des bergers, et qui est condamné à mort. d’autant que l’on ressent toute l’ironie du Chœur. Sa
c. Les termes « déplorable » et « misérable », placés politesse relève de l’obséquiosité, et les analogies
à la rime, caractérisent Phèdre dont le malheur est avec « la fièvre » et les « blés secs », bien que très
immense, ce qui est exprimé notamment par l’hy- joliment tournées, sont insultantes. La description
perbole « la plus misérable », dernière victime d’une qu’il fait d’elle est éminemment moqueuse, et peut
lignée de femmes maudites. Le vocabulaire choisi faire penser à la description de Mme Vauquer (exer-
par Balzac est particulièrement péjoratif : « attifée », cice 1, texte B). Ce portrait permet de l’imaginer toute
« tour de faux cheveux mal mis », « traînassant » décoiffée, sa perruque de travers et la robe relevée
et « pantoufles grimacées » montrent bien toute la jusqu’aux cuisses.
moquerie du narrateur. Les exclamations et exagéra- b. À l’origine, Musset écrit ses pièces non pas pour les
tions ainsi que l’utilisation du discours indirect libre monter sur scène mais pour être des « spectacle[s]
sont autant d’indices de l’ironie du fabuliste qu’est dans un fauteuil ». Il faut donc appel à l’imagination
La Fontaine. La chute ménagée par l’enjambement de ses lecteurs. Toutefois, dans le cadre d’une mise
des deuxième et troisième vers est particulièrement en scène, cette évocation permet de visualiser l’âne,
brutale, renforcée par le « on » anonyme désignant difficile à mettre réellement sur un plateau : on peut
les juges et bourreaux mais impliquant une distance imaginer que le Chœur dit cette partie alors que Dame
de la part du narrateur. Pluche est encore hors scène et qu’elle n’apparaît réel-
v Repérer les procédés utilisés lement qu’à la deuxième réplique du Chœur. Cela
renforce le comique de la scène puisque l’on attend
a. Le narrateur exprime un extrême malheur et de la
l’apparition de ce personnage hautement ridicule et
compassion pour la femme qu’il aime et pour qui il
que l’on peut l’imaginer avant même de le voir.
exprime son amour.
b. L’utilisation de la narration à la première personne x Définir le registre utilisé
et du point de vue interne rend le propos subjectif. a. On peut attendre des élèves qu’ils trouvent le
L’interpellation directe par l’interrogation et l’emploi paysage beau et doux, coloré, printanier. L’évocation
de la deuxième personne tend à toucher davantage est poétique. Il y a quelque chose de féminin dans ce
le lecteur. Les exclamations et onomatopées comme paysage qui peut être perçu avant même d’identifier
« ah ! » soulignent la souffrance du personnage, tout la personnification des lignes 10 à 12.
comme les hyperboles comme « si languissante et si b. La description est majoritairement construite
affaiblie » ou encore « une des plus tristes situations autour de la métaphore filée de la mer à partir de
dont il y ait jamais eu d’exemple ». Les caractérisa- la ligne 13 : « ce fut la mer, la mer des céréales, rou-
tions utilisées pour qualifier Manon montrent à la lante, profonde, sans bornes » (l. 13-14), « une houle,
fois la douleur de Des Grieux de la voir ainsi et son qui partait de l’horizon, se prolongeait, allait mourir à
MÉTHODES | 371
l’autre bout » (l. 18-19), « l’éternel flux » (l. 24), « des neutre et objectif pour évoquer le sort des prisonniers
voiles blanches » (l. 27), « des mâts » (l. 28), « cette à qui l’on avait accordé un sursis de six mois et à qui
sensation humide et murmurante de pleine mer » l’on a donné de l’espoir, ce qui est de nouveau un fait.
(l. 29-30). Toutefois, l’adverbe « gratuitement » (l. 36) implique
c. Cet extrait de La Terre de Maupassant présente une un jugement et annonce le retour à l’ironie à partir
description de la Beauce. Le paysage est vu à travers de la ligne 43 : « sans raison, sans nécessité, sans trop
les yeux de Buteau, en focalisation interne, ce qui rend savoir pourquoi, pour le plaisir, on a un beau matin
l’évocation subjective. On voit les champs de céréales révoqué le sursis ». La fin relève du registre polémique
pousser peu à peu, la temporalité étant indiquée par avec les exclamations, interpellations directes et
les connecteurs « d’abord » (l. 1) et « puis » deux fois interrogations, et l’emploi de la première personne.
(l. 3 et 5). Dès le début de l’évocation, l’adjectif péjo- b. La satire du bourreau repose sur un récit amusant
ratif « verdâtre » (l. 2) nous indique que nous sommes mettant en scène le bourreau apeuré et « blotti sous
plongés dans la perception intime du personnage, qui sa guillotine » (l. 4-5), fuyant le soleil « comme un
ne voit pas encore à quel point ces petites pousses oiseau de nuit » (l. 6). L’analogie permet de bien
vont devenir belles. Peu à peu, au gré du texte, l’évo- visualiser le bourreau accroupi derrière sa guillotine,
cation se fait de plus en plus poétique, à mesure que guettant le moindre bruit. L’accumulation de verbes le
les plantes croissent. Les notations de couleur font de montre agité et effrayé. Le rythme ternaire créé par la
ce paysage une sorte de tableau impressionniste avec succession des trois grands dangers qui l’ont effrayé,
du « vert jaune », « vert bleu », « vert gris » et « rouge « humanité, philanthropie, progrès » (l. 3) souligne
[…] incarnat » (l. 6-9). La personnification de la Beauce, avec emphase toute l’ironie du narrateur. Cette ironie
« ainsi vêtue de Printemps » (l.11), et celle du vent réapparaît très nettement à partir de la ligne 12 avec
qui souffle « par grandes haleines régulières » (l. 17) la répétition de la structure « Plus de… » et la succes-
confère au paysage une dimension presque fantas- sion ainsi créée de deux phrases nominales évoquant
tique ou féérique. Peu à peu, les champs se transfor- les « grands mots sonores » ou les « commentaires
ment en océan à partir de la ligne 13 : « ce fut la mer, déclamatoires ». L’ironie se ressent dans l’exagéra-
la mer des céréales, roulante, profonde, sans bornes » tion faussement péjorative concernant le débat sur
(l. 13-14), « une houle, qui partait de l’horizon, se la peine capitale, d’autant que celle-ci s’oppose à la
prolongeait, allait mourir à l’autre bout » (l. 18-19), liste des préoccupations toutes plus légères les unes
« l’éternel flux » (l. 24), « des voiles blanches » (l. 27), que les autres. La satire reprend aux lignes 19 et 20
« des mâts » (l. 28), « cette sensation humide et mur- avec la désignation « coupe-tête » détachée en fin
de phrase, de manière à être soulignée. Peu à peu, le
murante de pleine mer » (l. 29-30). Ce paysage trans-
personnage se remet en action, comme le montrent
porte le personnage dans une rêverie qui le mène à
le style paratactique des phrases et l’accumulation de
imaginer des « voiles », « des mâts » et même, au loin,
verbes d’action au présent de narration.
« la tache perdue d’un continent » (l. 27-31).
La phrase « Tout cela est affreux, mais c’est de l’his-
y Définir le registre utilisé toire » rompt par son ton objectif au présent de vérité
a. Toute la première partie du texte est ironique et générale et sa brièveté.
satirique. Hugo ironise sur le malheur du bourreau Le dernier paragraphe joue davantage sur les ressorts
et en crée un portrait tout à fait satirique, « blotti de l’éloquence et de la persuasion. Le « oui » initial à la
sous sa guillotine ». Il ironise ensuite sur la gravité ligne 35 rend le propos plus oral, comme si l’on entrait
des préoccupations de l’État, par exemple le cas dans un dialogue avec le lecteur, qui est d’ailleurs
d’un « chemin vicinal » (l. 16). Il nous offre alors de directement interpellé par « je vous le demande »
nouveau un portrait vivant et fort moqueur du bour- (l. 40). Le narrateur s’implique directement dans son
reau, remettant en état son échafaud et se transfor- propos et implique le lecteur avec lequel il s’associe
mant de nouveau en monstre saisissant « au hasard même dans le « nous » inclusif qui suit. Les questions
par les cheveux dans la première prison venue un de visent à faire réfléchir le lecteur.
ces infortunés qui comptaient sur la vie » (l. 29-31). c. Hugo construit ici son argumentation en deux
On peut noter un changement de ton à la ligne 33 : temps. Dans un premier temps, il dresse un tableau
« Tout cela est affreux, mais c’est de l’histoire ». À ce vivant et satirique du bourreau pour dénoncer toute
moment, Victor Hugo adopte un ton neutre, pure- l’absurdité et toute l’horreur de la peine capitale. Il
ment déclaratif. C’est un fait. Il garde ce ton déclaratif frappe les esprits dans un récit qui parle à l’imagina-
372 | MÉTHODES
tion. En une phrase, il rompt la satire et passe dans le un dialogue avec le lecteur, qui est d’ailleurs direc-
discours polémique. Il interpelle alors directement le tement interpellé (l. 40) par « je vous le demande ».
lecteur qu’il espère ainsi faire réfléchir. Le narrateur s’implique directement dans son propos
d. Dans Le Dernier Jour d’un condamné, Victor Hugo et implique le lecteur avec lequel il s’associe même
rédige un long texte argumentatif contre la peine dans le « nous » inclusif qui suit. Les questions visent à
de mort. Dans l’extrait ici présenté, il utilise diffé- faire réfléchir le lecteur. Hugo construit ainsi son argu-
rents registres afin de rendre son argumentation mentation en deux temps. Dans un premier temps,
plus efficace. Il commence par une satire du bour- il dresse un tableau vivant et satirique du bourreau
reau. Celle-ci repose sur un récit amusant mettant pour dénoncer toute l’absurdité et toute l’horreur de
en scène le bourreau apeuré et « blotti sous sa guil- la peine capitale. Il frappe les esprits dans un récit qui
lotine » (l. 4-5), fuyant le soleil « comme un oiseau parle à l’imagination. En une phrase, il rompt la satire
de nuit » (l. 6). L’analogie permet de bien visualiser le et passe dans le discours polémique. Il interpelle alors
bourreau accroupi derrière sa guillotine, guettant le directement le lecteur qu’il espère ainsi faire réfléchir.
moindre bruit. L’accumulation de verbes le montre
agité et effrayé. Le rythme ternaire créé par la suc- PAGES 418-421
cession des trois grands dangers qui l’ont effrayé,
FICHE 34
« humanité, philanthropie, progrès » (l. 3) souligne
avec emphase toute l’ironie du narrateur. Cette ironie Se construire une culture littéraire
réapparaît très nettement à partir de la ligne 12 avec et artistique : tenir un dossier
la répétition de la structure « Plus de… » et la succes- personnel
sion ainsi créée de deux phrases nominales évoquant
La plupart des exercices de cette fiche sont des exer-
les « grands mots sonores » ou les « commentaires
cices en autonomie incitant les élèves à commencer
déclamatoires ». L’ironie se ressent dans l’exagéra-
un dossier personnel. Les activités proposées ne sont
tion faussement péjorative concernant le débat sur
que des exemples et peuvent aisément être complé-
la peine capitale, d’autant que celle-ci s’oppose à la
tées ou adaptées au public.
liste des préoccupations toutes plus légères les unes
que les autres. La satire reprend ligne 19-20 avec la w Repérer les informations
désignation « coupe-tête » détachée en fin de phrase, a. La scène d’exposition de Britannicus est riche en
de manière à être soulignée. Peu à peu, le person- informations : Agrippine attend son fils Néron, au
nage se remet en action, comme le montrent le style petit matin, devant la porte de sa chambre. Néron
paratactique des phrases et l’accumulation de verbes est empereur depuis deux ans. Jusqu’à présent, il a
d’action au présent de narration. été un bon prince, aimé de ses sujets. Mais il a décidé
Hugo nous offre ici un portrait vivant et fort moqueur désormais de « se faire craindre » (v. 12). Il s’en est
du bourreau, remettant en état son échafaud et se pris à Britannicus, son demi-frère, qu’Agrippine a
transformant de nouveau en monstre saisissant détrôné au profit de son fils à elle. En effet, quand
« au hasard par les cheveux dans la première prison elle a épousé Claudius, le père de Britannicus, elle lui
venue un de ces infortunés qui comptaient sur la vie » a fait adopter son fils Néron, qui est alors devenu
(l. 29-31). La phrase « Tout cela est affreux, mais c’est l’aîné, donc l’héritier du trône. Même si cela fait trois
de l’histoire » rompt par son ton objectif au présent de ans qu’il a adopté un comportement parfait, et deux
vérité générale et sa brièveté. Le dernier paragraphe ans qu’il règne en étant aimé de Rome, Agrippine sent
joue davantage sur les ressorts de l’éloquence et de qu’il se passe quelque chose et que son fils prend le
la persuasion. S’il garde ce ton déclaratif neutre et chemin inverse d’Auguste, qui avait commencé tyran
objectif pour évoquer le sort des prisonniers à qui et fini en bon empereur.
l’on avait accordé un sursis de six mois et à qui l’on b. En cherchant sur Internet, les élèves devraient
a donné de l’espoir, ce qui est de nouveau un fait, trouver un certain nombre d’informations sur Néron
l’adverbe « gratuitement » (l. 36) implique toutefois et sa famille. Il faut les inciter à chercher aussi des
un jugement et annonce le retour à l’ironie à partir informations sur Britannicus afin de compléter l’arbre
de la ligne 43 : « sans raison, sans nécessité, sans trop généalogique avec le remariage d’Agrippine et de
savoir pourquoi, pour le plaisir, on a un beau matin Claude.
révoqué le sursis ». Par ailleurs, le « oui » initial (l. 35) c. Les arbres généalogiques simplifiés sont en ligne
rend le propos plus oral, comme si l’on entrait dans sur www.empereurs-romains.net
MÉTHODES | 373
Pour Néron : https://www.empereurs-romains.net/ – Écrivez un poème qui soit, comme celui d’Andrée
emp06agen.htm Chedid, une salve d’avenir.
Pour Britannicus : https://www.empereurs-romains.
v Comprendre et analyser la consigne
net/empret85a.htm#12a
a. Les mots clés du sujet sont les suivants :
x Choisir les informations – dialogue : deux personnes doivent échanger ; il peut
Autour du nom de Victor Hugo, on peut mettre par s’agir d’un récit ou d’une scène de théâtre ;
exemple les mots suivants en premier niveau : litté- – poésie : le sujet concerne ce genre poétique, des
rature/engagement politique/famille. En deuxième exemples précis d’auteurs, de recueils et de poèmes
niveau, il faudra faire apparaître la diversité de l’œuvre doivent apparaître ;
hugolienne qui touche à tous les genres et tous les – beauté : le terme peut recouvrir plusieurs réalités,
registres, la formidable activité politique de l’homme celle du monde, des individus par exemple ;
engagé jusque dans l’exil, la famille Hugo aux diverses – fonctions : la poésie peut traduire un engagement,
influences politiques et culturelles et aux deuils ingué- montrer le monde dans sa réalité, y compris sa
rissables. Les recherches complémentaires devraient laideur…
permettre d’évoquer le romantisme et le « sublime », b. Le sujet implique de débattre sur les fonctions attri-
et d’illustrer toutes ces notions par des titres d’œuvres buées à la poésie afin de dépasser l’opinion courante
et de textes. qui consiste à associer la poésie à la beauté. Le travail
 Choisir les informations peut permettre de montrer la variété et la complexité
a. D’après ces trois textes, l’ambition des romanciers du genre.
réalistes du xixe siècle est de rendre compte de la c. Des arguments et des exemples peuvent être choisis
société de leur temps, de manière complète et objec- pour montrer que la poésie doit exprimer la beauté :
tive. Il s’agit de faire « l’inventaire » comme dit Balzac – montrer la beauté morale et un élan vers l’idéal,
des faits de société, des traits de caractère, soit en comme chez les poètes de la Pléiade ;
« composant des types », soit en prenant le cas d’une – manifester la beauté des sentiments, amoureux par
« famille » comme Zola. Ces deux auteurs font réfé- exemple chez Ronsard ;
rence à la science, l’histoire pour Balzac, les mathé- – traduire la beauté du langage, avec Marot ;
matiques pour Zola. Maupassant confirme cette idée – explorer la beauté du monde.
de recherche de l’exactitude mais en montrant que, Des arguments et des exemples peuvent prouver que
paradoxalement, c’est en choisissant ce qu’il montre la poésie a d’autres rôles :
que l’artiste parvient à donner « la vision la plus – méditer sur l’existence, avec la réflexion sur la briè-
complète » de la vie. En somme, pour Maupassant, veté de la vie chez Ronsard ;
le travail du romancier consiste à créer « l’illusion – exprimer des sentiments douloureux, comme le
complète du vrai ». regret avec Du Bellay ;
b. Les chapitres sur le roman réaliste et les pages – s’engager pour défendre des causes humaines,
d’histoire littéraire et de prolongements artistiques sociales ou politiques.
constitueront un bon point de départ pour guider les w Comprendre et analyser la consigne
recherches des élèves sur Internet. a. Les verbes qui indiquent les tâches à réaliser sont
« Écrivez » et « composez ».
PAGES 422-425 b. Les mots clés qui désignent le contenu du texte à
FICHE 35 écrire sont :
– « lettre de présentation où il explique l’intérêt
Pratiquer les écrits de son projet et du roman en général pour éveiller
d’appropriation les consciences » : il s’agit d’une lettre où l’auteur
 Comprendre et analyser la consigne explique ses choix et les argumente dans la mesure
a. Plusieurs sujets d’écriture d’appropriation en lien où il doit convaincre son éditeur ;
avec l’objet d’étude peuvent être proposés, par – « dossier documentaire avec des articles sur les
exemple : migrants et une carte situant Lampedusa » : le dossier
– Imaginez le poème écrit par un des auteurs étudiés doit apporter des informations et nécessite pour cela
pour expliquer sa conception de la poésie. une recherche documentaire.
374 | MÉTHODES
c. L’écrit doit présenter deux types de document : une gea-t-il. Et il revit encore une fois des images d’océans
lettre qui doit respecter les règles du genre épistolaire immenses, de cieux grandioses. Qui pouvait l’arrêter
(destinateur, destinataire, objet, date, lieu) et avoir quand il était pris ainsi de cette fièvre de liberté, qui
une dimension explicative et argumentative avec un pouvait freiner ce désir irrépressible de s’éloigner et de
registre qui peut alterner entre le lyrisme et le pathé- visiter des contrées sublimes.
tique ou le tragique ; un dossier documentaire plus Pourtant…
didactique destiné à faire comprendre la situation.
PAGES 426-429
x Trouver et organiser les idées
a. Le genre littéraire attendu est une scène roman- FICHE 36
esque au cours de laquelle la narration et la descrip- La lecture de l’image
tion peuvent alterner.
b. Le personnage défie Paris, et l’avidité de son regard u Décrire une image
laisse supposer que son ambition et sa soif de réus- Cette image est un photogramme du film L’Ombre
site vont en faire un arriviste. Il peut ainsi être pré- d’un doute d’Alfred Hitchcock. On voit le personnage
senté comme un jeune homme, avec une belle allure, filmé en plongée, dans l’encadrement de la porte. Le
peut-être un peu provocateur. Son portrait moral peut jeu de lumière crée une ombre qui double le person-
traduire son ambition, son esprit calculateur ou son nage situé au centre de l’image. De manière horizon-
orgueil. tale, l’image se divise en deux parties. De manière
c. Du vocabulaire peut être mobilisé : cupide, auda- verticale, l’image se divise en trois parties. Les lignes
cieux, téméraire… formées par la rampe de l’escalier et son ombre portée
d. La scène se déroulera dans un salon parisien par dirigent le regard vers le personnage selon une pers-
exemple, en suivant une progression : l’entrée du pective dirigée vers un point de fuite. Le choix de
personnage et son portrait physique avec son allure filmer en noir et blanc accentue le jeu d’ombre et de
générale, ses vêtements, son regard ; une conversa- lumière. La composition en ligne de fuite donne de la
tion avec d’autres personnages avec un dialogue qui profondeur à l’image, comme si les deux personnages
pourra contribuer à dresser son portrait moral. étaient très éloignés.
 Rédiger efficacement v Analyser la composition
a. Le peintre peut faire une rencontre (une femme, un a. Cette image est une photographie prise par
autre artiste…), affronter un événement (abandonner Raymond Depardon en 1980. Elle s’intitule Écosse,
la peinture, découvrir une nouvelle passion) éprouver Glasgow, lieu où elle a été prise. On voit une petite
une émotion (l’envie de tout arrêter, le désir de créer fille seule au milieu de grandes barres d’immeubles,
quelque chose de nouveau). certainement des logements sociaux ou ouvriers. Tout
b. Il pourrait décider de peindre son auto-portrait, ses le quartier est gris. La robe rose de la petite fille crée
émotions, une personne dont il tombe amoureux. Le un contraste.
récit peut basculer dans le fantastique : les sujets du b. Les lignes créent une perspective avec un point de
tableau prendront alors vie… fuite vers l’angle supérieur droit de l’image.
c. Ces longues lignes de fuite en courbe qui s’échap-
10 Rédiger efficacement
pent vers le fond de l’image semblent créer un long
Des améliorations sont possibles :
couloir désert et soulignent la solitude de la petite
Le jeune homme était à un carrefour de son exis-
fille. Le photographe tente de nous montrer à la fois
tence. Julien n’était pas sûr de lui. Il hésitait. Pourrait-il
la pauvreté et la tristesse des quartiers ouvriers de
partir en laissant tout derrière lui ?
Glasgow, et en même temps l’espoir que l’on peut y
C’était risqué, certes, mais il lui fallait prendre son envol,
trouver. Il s’agit d’émouvoir le spectateur avec cette
tel le jeune oiseau prenant sa volée, et partir à la con-
petite fille habillée comme une poupée, suçant son
quête du monde : l’Espagne, le Portugal, le Brésil, la
pouce dans un geste enfantin attendrissant.
Chine. Il leva la tête et vit à travers la fenêtre ouverte
la ligne d’horizon qui semblait l’appeler. Il tendit le bras w Analyser la composition
pour la refermer. a. Le choix de cadrage est audacieux puisque le peintre
Soudain, il songea aux grands navires qui flottaient dans a placé au centre du tableau un mur. Cela lui permet
le port. Quel rêve de prendre part à leur aventure, son- de diviser l’image en deux espaces et de bien montrer
MÉTHODES | 375
l’isolement de la jeune femme à droite par rapport à revanche, le photogramme de Titanic joue sur l’élé-
la salle de cinéma où il y a du monde, à gauche. Le vation des personnages, comme s’ils flottaient dans
mur qui sépare la jeune femme du reste du monde les airs. Un sentiment d’immensité et de liberté se
paraît d’autant plus imposant et infranchissable qu’il dégage de cette image. Enfin, le photogramme du
est au centre. film Inglourious Basterds crée un effet de focalisation
b. Les élèves pourront évoquer la solitude, l’isole- interne : les deux personnages sont vus par le person-
ment, la tristesse, le silence aussi. Le titre est para- nage tenu en joue par l’homme brun, certainement
doxal puisqu’on voit à peine l’écran de cinéma. Mais allongé au sol et fixant ses deux adversaires rendus
peut-être le peintre veut-il nous dire que le vrai film particulièrement menaçants, puisqu’ils le dominent.
à New York ne se trouve pas sur l’écran, mais à côté, U Définir les effets et les visées
qu’il faut regarder les gens, notamment ceux qui sont
a. Les deux tableaux représentent un tableau devant
en coulisses, cachés et silencieux. On aurait pu ima-
une ouverture, une fenêtre ou une porte. Les tableaux
giner un titre davantage centré sur le personnage de représentent le paysage qui se trouve derrière, dans
la jeune femme ou sur sa solitude. la continuité du paysage que l’on voit à travers l’ou-
x Analyser la composition verture, ce qui crée une confusion entre ce qui est
a. Les premières impressions que l’on peut attendre peint et ce qui est, ce qui est dedans et ce qui est
devant ce tableau sont liées à la violence, à l’horreur, dehors. Chaque fois, la figure utilisée est la mise en
au désespoir. abîme puisqu’il s’agit d’un tableau dans un tableau. Le
b. Le tableau s’organise globalement dans un carré. Il premier tableau représente un paysage verdoyant, le
faut demander aux élèves de quadriller le tableau en second un paysage marin. Le premier tableau paraît
tiers, comme dans l’exemple de la page 426 : la ligne plus réaliste que le second, avec la présence du cadre
horizontale supérieure relie la main de l’homme au de fenêtre et le rideau, alors que le second est une
visage de la femme en bleu, en passant par la cape ; simple ouverture dans un mur avec un boulet ou un
la ligne horizontale inférieure suit le muret derrière ballon qui perturbe la référence. Ceci étant dit, le
les personnages du premier plan ; une ligne verticale premier tableau joue aussi sur la perception : alors
se crée naturellement en suivant la colonne à gauche, qu’à première vue, on pourrait croire que la fenêtre
mais surtout le regard de l’homme vers le bébé en est ouverte, la baguette verticale aux trois quarts de
suivant sa jambe ; une dernière ligne se crée vertica- la hauteur indique plutôt qu’elle est fermée.
lement à droite avec la femme en bleu. Une diagonale b. Les deux tableaux jouent sur une illusion d’optique :
relie l’angle inférieur droit à l’angle supérieur gauche on peut croire que les tableaux représentés dans
par le corps de la femme suppliant dans l’axe du corps chaque tableau montrent le paysage qu’ils cachent.
de l’homme, jusqu’à sa main armée. L’autre diagonale Si cela peut paraître vraisemblable dans le premier
relie le visage du bébé, celui de sa mère et celui de la tableau, le second tableau pose question du fait de la
femme regardant le ciel. perspective : d’où on le voit, le mur se trouve derrière,
c. L’organisation du tableau est extrêmement rigou- et on peut plutôt penser qu’il représente le paysage
reuse et symétrique. Les couleurs sont aussi utili- dans l’encadrement, donc celui que l’on voit. Magritte
sées de manière complémentaire, alliant le rouge, s’amuse avec notre perception et notre réflexe qui
le jaune et le bleu. Il s’agit d’un tableau typique du consiste à recréer ce que l’on voit et à compléter ce
classicisme, fondé sur les notions d’ordre, de symétrie qu’on ne voit pas.
c. et d. Le titre La Condition humaine peut sembler
et d’équilibre.
obscur de prime abord. Il faut inviter les élèves à réflé-
y Définir les effets et les visées chir au pouvoir des images dans notre société et à la
a. Chacun des photogrammes est vu en contre- manière dont on peut se laisser duper par l’illusion du
plongée. vrai. On peut renvoyer les élèves à l’un des tableaux
b. Dans le photogramme de Citizen Kane, la contre- les plus célèbres de Magritte (p. 194 du manuel), le
plongée crée un effet de perspective et de pro- fameux « Ceci n’est pas une pipe », dont le véritable
fondeur. Le personnage à l’arrière-plan semble titre est La Trahison des images. Enfin, étudier le mythe
particulièrement menaçant, surplombant l’autre de la caverne de Platon peut permettre une ouverture
personnage qui le guette du coin des yeux. Une vers un texte philosophique antique qui éclairera aussi
impression très oppressante émane de l’image. En très bien la présence du boulet dans le second tableau.
376 | MÉTHODES
PAGES 430-432 danger, la lettre ayant été intervertie avec celle de
FICHE 37
son cousin.
d. Deux idées directrices de commentaire possibles :
De la lecture du texte I. Rosine, un personnage rusé et qui s’affirme
au plan du commentaire II. Un retournement de situation par le jeu comique
 Comprendre le texte et exprimer ses avec l’accessoire de la lettre
impressions de lecture
 Analyser le texte dans le détail
a. Dans cet extrait, le personnage de Louise prend
a. Le texte est organisé en deux strophes, et rappelle
une importance centrale dans la vie de la famille qui
l’emploie ; Myriam devient dépendante d’elle. la forme poétique de la chanson avec la répétition
b. Plusieurs réactions sont envisageables : on observe des deux premiers vers à deux reprises, comme un
un contraste entre la simplicité habituelle de la fonc- refrain. La première strophe dresse le constat du
tion de « nounou » et le fait de la présenter comme chagrin d’amour. La deuxième strophe revient sur le
une divinité qui dirige tout ; on peut ressentir de la passé et la promesse non tenue de Silvie. Les deux
reconnaissance pour le dévouement de Louise, mais strophes en tirent une même leçon de vie sur le carac-
s’interroger sur les raisons qui la poussent à prendre tère éphémère de l’amour.
cette place prépondérante ; on peut comprendre b. Le tableau d’analyse permet d’identifier les pro-
Myriam qui cède par fatigue à cette facilité et en cédés grâce auxquels l’auteur illustre l’instabilité de
même temps critiquer son laisser-aller. l’amour :
c. La situation semble confortable pour Myriam
dans un premier temps, car elle peut se reposer sur Citations Procédés Interprétations
Louise ; en même temps, elle perd le contrôle de sa « Plaisir Tournure Indique les limites
vie en confiant toutes ces tâches à son employée. d’amour ne restrictive de l’amour dans la
dure qu’un durée
Cette tension interne au texte peut permettre de pro- moment ; »
blématiser son approche et de dégager deux idées
« Chagrin Parallélisme Insiste sur la fragilité
directrices. d’amour dure et l’opposition du sentiment
En quoi la situation devient-elle ambiguë et poten- toute la vie. » avec le vers amoureux qui finit
tiellement dangereuse ? précédent toujours par un
I. Un confort apparent échec
II. Une situation de dépendance Répétition des Traduit la fatalité
deux premiers de la morale : les
 Observez la structure et la progression vers sentiments ne
du texte durent pas
a. La scène peut être découpée en trois parties : « l’ingrate Adjectif Marque le
– jusqu’à la ligne 23 : la dispute entre Rosine et Silvie » péjoratif ressentiment
face à l’instabilité
Bartholo
amoureuse
– lignes 24 à 26 : l’aparté de Rosine qui conçoit son
« Elle me quitte, Coordination Souligne la rapidité
plan et prend un avec laquelle
– ligne 27 à la fin : Rosine, en position de force, reprend autre amant. » Sylvie change de
la dispute pour se jouer de Bartholo sentiment
b. Cette progression révèle des qualités chez le per- « L’eau coule Juxtaposition Malgré les
sonnage de Rosine : elle a le sens de la répartie et encore ; elle et connecteur promesses, le cœur
sait argumenter, elle peut se rebeller et défendre son a changé d’opposition humain est variable
honneur, elle est ingénieuse et est capable de se jouer pourtant. » et inconstant
des autres pour parvenir à ses fins.
c. La structure sert le jeu comique, car Rosine profite x Analyser un texte dans le détail et formuler
de l’inattention de Bartholo pour lui jouer un tour avec un projet de lecture
l’échange des lettres : le spectateur se fait complice a. Le texte a été écrit au xixe siècle. Il s’agit d’un dis-
de son jeu de dupe. Un comique de situation s’en cours abordant le thème de la paix avec l’emploi d’un
suit puisque Rosine va pousser à bout Bartholo sans registre lyrique.
MÉTHODES | 377
b. Le tableau d’analyse peut permettre d’identifier PAGES 434-435
les procédés qui montrent l’espoir de la paix future :
FICHE 38
Citations Procédés Interprétations Développer un paragraphe
« Un jour Futur Marque l’espoir d’analyse littéraire
viendra »
« où vous Anaphore, Les nations sont
u Approfondir l’analyse des exemples pour
France, vous accumulation, présentées comme construire un plan détaillé
Russie, vous apostrophe, des êtres placés sur a. et b. Plusieurs citations montrent que la ville se
Italie, vous personnification le même plan métamorphose sous le regard du personnage. La des-
Angleterre, cription exprime ainsi ses sensations visuelles, à la
vous manière d’un tableau impressionniste, mais aussi ses
Allemagne, sentiments intérieurs, qui influent sur sa perception.
vous toutes,
nations du Citations Procédés Interprétations
continent » « ses regards, Personnification Marque
« vous vous Champ lexical Traduit l’union qui amoureusement » avec l’adverbe un rapport
fondrez de l’unité fonde la paix amoureux
étroitement
« redescendaient Métaphore Insiste sur la
dans une unité
toujours sur cette vitalité de la ville
supérieure »
mer vivante et
« les boulets Antithèse Opposition entre pullulante »
et les bombes la barbarie et le
seront progrès « la ville, sous le Personnification Montre
remplacés par grand ciel pâle, l’atmosphère
les votes » s’alanguissait » sensuelle
« une poussière Métaphore Traduit la
Le tableau d’analyse peut permettre d’identifier les
d’or, une rosée d’or sensation
procédés qui montrent l’engagement de l’orateur :
tombait sur la rive visuelle saisie
Citations Procédés Interprétations droite de la ville » dans sa beauté
« Un jour Anaphore Marque la conviction « C’était comme Comparaison Aspect
viendra » le coin enchanté imaginaire,
« il n’y aura Futur Indique la certitude d’une cité des Mille merveilleux
plus d’autres et une Nuits »
champs de
« d’émeraude », Champ lexical Exprime la
bataille que les
« saphir », « rubis », des pierres beauté, mais
marchés »
« lingot d’or » précieuses aussi la cupidité
« ce que Phrase Traduit du personnage
l’assemblée exclamative l’emportement
législative est à
la France ! »
v Approfondir l’analyse des exemples
pour construire un plan détaillé
c. Le projet de lecture pourrait être : « En quoi ce a. Le mot « vices » désigne les défauts qui sont
discours marque-t-il l’engagement de l’auteur pour contraires à la morale. À l’inverse, le terme « vertus »
convaincre qu’une paix future est possible ? » signifie les qualités qui élèvent ceux qui suivent la
d. Le plan de la première partie du commentaire pour- morale.
rait être la suivante : b. Dom Juan peut heurter puisqu’il fait l’éloge de
I. L’espoir de la paix future l’hypocrisie et donc d’un vice. Il peut aussi fasciner
1. La vision d’un avenir uni par son indépendance d’esprit ou sa lucidité sur les
2. Des nations et des peuples comme des êtres vivants relations humaines.
et fraternels c. On peut analyser le texte pour justifier l’idée direc-
3. Un système d’opposition entre la barbarie et la paix trice suivante : un éloge de l’hypocrisie.
378 | MÉTHODES
Citations Procédés Interprétations « des temps Rythme de la Le dernier temps
« Il n’y a plus de Négation Dom Juan nie meilleurs auront phrase et emploi de cette phrase
des joies que du pluriel au rythme
honte » toute culpabilité
nous ne pouvons ternaire ponctue
à pratiquer
comprendre. » la période sur
l’hypocrisie
une image forte
« l’hypocrisie Phrase Affirme une
« Cet incendie-là, Antithèse Exprime l’idée
est un vice à la affirmative vérité qui c’est une aurore » que la révolution
mode » présente aboutit à un
« Cette
positivement ce monde nouveau
espérance-là »/
qui est pourtant « l’horreur de la
un vice vie »
« la profession Adjectif Affirme sa thèse
d’hypocrite a mélioratif x Rédiger et structurer clairement
de merveilleux le paragraphe
avantages »
On peut analyser le texte pour justifier l’idée directrice
« C’est un art de Champ lexical de Développe son suivante : le tableau d’une île en proie à la violence.
qui l’imposture l’art et argument argumentation
est toujours Citations Procédés Interprétations
respectée » « Gaza c’est Définition avec L’île est présentée
« l’hypocrisie un no man’s des expansions d’emblée à travers
est un vice land violent où du nom le prisme de la
privilégié » les bandes de traduisant la violence et de
gamins shootés violence l’anarchie
« ferme la Personnification Traduit la force
au chimique font
bouche à tout de cette attitude
la loi »
le monde, et
jouit en repos « cauchemar », Champ lexical de Marque la vision
d’une impunité « guerre », la violence du narrateur
souveraine » « violence »
« cette onde Métaphores Traduit de façon
w Approfondir l’analyse des exemples pour destructrice, expressive la
cette énergie perception
construire un plan détaillé brûlante » violente de l’île
a. Plusieurs termes ou expressions donnent l’impres-
« Depuis le Répétition du Souligne l’idée
sion d’un espoir : « Révolution », « battront nos ailes »
temps » connecteur qu’il s’agit d’un
par exemple. temporel drame annoncé,
b. On peut analyser le texte pour justifier l’idée direc- fatal
trice « un élan d’espoir pour l’humanité » et organiser
les remarques dans un tableau d’analyse : y Rédiger et structurer clairement
le paragraphe
Citations Procédés Interprétations
a. Le poète a la nostalgie du passé :
« Révolution » Majuscule Confère une
importance à Citations Procédés Interprétations
ce terme et ce « Las » Interjection qui Exprime la
qu’il représente ouvre le poème lamentation
en matière de du poète
changement
« où est » Anaphore Traduit le ques-
« battront nos Emploi du futur Construisent du pronom tionnement sur ce
ailes » et métaphores l’image d’un interrogatif qui a disparu
« la chrysalide avenir plus libre
« cœur Adjectifs Renforce le
sera vainqueur », mélioratifs sentiment de
transformée » « Cet honnête et noms qui regret
« moisson-là qui désir », « cette correspondent
croîtra en gerbes honnête à des qualités et
merveilleuses » flamme » des valeurs
MÉTHODES | 379
« Où sont ces Harmonie des Contraste entre w Rédiger une introduction
doux plaisirs sonorités : le bonheur passé a. Le dialogue apparaît absurde, car les personnages
qu’au soir sous la allitérations en et la situation se contredisent et leur sujet de conversation n’est
nuit brune » [s], assonance présente pas cohérent. Deux idées directrices peuvent être
en [ou] dégagées :
« Donnaient » Imparfait Ce temps est 1. Une situation étrange
révolu 2. Un dialogue impossible
« Maintenant » Adverbe au Marque b. L’introduction peut être rédigée ainsi :
début du l’opposition entre Le théâtre de l’absurde s’est développé après la
premier tercet les quatrains qui
Seconde Guerre mondiale, dans une période de crise
évoquent le passé,
du sens et des valeurs. Eugène Ionesco est l’une des
et les tercets
marqués par le figures majeures de ce mouvement.
présent du regret Avec La Cantatrice chauve, représentée pour la pre-
« je ne l’ai plus » Négation Insiste sur l’écart mière fois en 1950, il présente une pièce fondée sur
entre sa situation des situations, des personnages et des dialogues qui
passée et présente s’écartent du sens commun pour atteindre l’absurde
et le grotesque, mêlant le comique et le tragique.
Dans l’extrait, les personnages de monsieur et
PAGES 438-439 madame Smith entretiennent une conversation
FICHE 39 absurde à propos d’une personne décédée, Bobby
Watson. Comment l’absurdité du dialogue et de la
Rédiger un commentaire
situation révèle-t-il les limites de la communication
u Rédiger une introduction humaine ? Nous verrons d’abord en quoi la situation
L’introduction peut être ainsi complétée : est étrange, puis nous étudierons les difficultés du
Le mouvement naturaliste, dans le prolongement dialogue liées au langage.
du réalisme, vise à étudier la société sous tous ses
aspects, reproduisant en cela la démarche scienti- x Rédiger une partie de développement
fique. Émile Zola est un écrivain naturaliste, auteur a. L’idée directrice correspondant au tableau d’analyse
du Bonheur des dames. Ce roman raconte la naissance pourrait être : « une société artificielle ».
d’un grand magasin qui va peu à peu tuer le petit b. La partie peut être organisée en deux sous-par-
commerce, et montre les stratégies commerciales qui ties, dont les exemples peuvent prendre la forme de
sont mises en place. Cet extrait explique le fonction- tableaux d’analyse :
nement d’un grand magasin et sa capacité à créer le 1. L’éloge ironique du progrès scientifique
désir de consommer. Dans quelle mesure fait-t-il du Citation Procédé Interprétation
« Bonheur des dames » un temple dédié à la consom-
« plus rien en Négation Renforce
mation ? Nous verrons dans un premier temps qu’il
terre » l’aspect
mène une écriture réaliste, puis nous étudierons la artificiel
dimension critique de l’extrait.
« Légumes »/ Antithèse Insiste sur la
v Rédiger une conclusion « bacs » dimension
La conclusion peut s’ouvrir sur la comparaison avec absurde
plusieurs auteurs et œuvres, par exemple : « produits Champ lexical Montre
« Dans la même perspective, Albert Camus, au chimiques », de la science l’intervention
xxe siècle, s’est impliqué dans le combat contre la « ondes », de l’homme
peine de mort. Il a ainsi publié un essai, Réflexions « atmosphères
sur la peine capitale (1957), dans lequel il développe conditionnées »
son argumentaire. Le roman L’Étranger montre éga- « accéléraient Hyperboles Permettent
lement le parcours d’un personnage, en adoptant la croissance », l’éloge de ce
son point de vue, qui sera également celui d’un « récoltes système
continues »
condamné à mort.
380 | MÉTHODES
2. La critique ironique de la vie naturelle « Rejeter avec Expression du Insiste sur
soin tout préjugé rejet l’importance de
Citation Procédé Interprétation
nuisible », ne pas se fier
« la marâtre Expression Critique l’état « Paraître aux jugements
Nature » péjorative naturel qu’il indifférent sur le d’autrui, ni d’en
oppose au progrès mépris des sots » être dépendants
de la science
« Bienfaisant », Vocabulaire Souligne les
« ami possible » positif valeurs d’amitié et
« L’élevage, cette Apposition Rejet d’un modèle d’ouverture
horreur » agricole
« L’homme Champ lexical du Imprime la
« c’étaient bien Opposition Regard dépréciatif heureux bonheur, présent direction à suivre
là des mœurs passé/présent sur le rapport aux possible », « prix dès le titre et
dignes des animaux du bonheur développé dans
barbares du d’exister », « se le poème
xxe siècle » croire heureux »
« Le « bétail » Emploi des Renie les termes
n’existait plus » guillemets et de et les pratiques du  Rédiger un développement
la négation modèle agricole a. Le poète dresse un tableau sombre de la ville de
ancien Paris.
y Rédiger une partie de développement
« Paris » Anaphore Donne une
La grande partie de commentaire peut être présentée dimension
ainsi : pathétique à
1. Une leçon de bonheur l’évocation
a) Un poème en forme de morale de l’existence « Paris a froid Parallélisme Accentue la vision
Paris a faim » de misère
« Paris ne mange Négation Évoque la
« La vie est » Présent de vérité La poétesse
plus » privation
générale définit ce qu’est
la vie, ce qui va « vieux Allitérations en Accentuent
conditionner vêtements de [v] et en [d] l’impression
l’attitude à vieille », « dort misérable
adopter tout debout sans
air dans »
« il en faut » Expression Précise la marche
du devoir à suivre « Paris Personnification Touche les
malheureux » émotions du
« Rejeter », Succession Indiquent lecteur
« Croire », d’infinitifs comment
« connaître » appréhender b. Ce texte est un poème d’espoir.
l’existence
« Être toujours Chiasme Explique ce qu’il
« C’est l’air pur Anaphore qui Elan vital de Paris
fidèle et jamais faut être et ne pas
c’est le feu/C’est présente des et de son peuple
n’être époux » être la beauté c’est la éléments positifs
« Enfin » Connecteur Manifeste la bonté »
logique structure logique « Tu es vivant Allitération en Mettent en valeur
du texte d’une vie sans [v], assonance les mots « vie » et
égale » en [i] « vivant »
b) Une voie vers la sagesse
« Tout ce qui est Personnification La ville est
Citations Procédés Interprétations humain se révèle profondément
« un instant »/ Rythme du vers Met en parallèle en tes yeux » humaine
« profiter » les deux mots « Fine comme Comparaisons Valorisation
pour montrer une aiguille forte de ses qualités,
l’importance de comme une notamment de
l’élan vers la vie épée » résistance
MÉTHODES | 381
« Tu vas te Expression du Évocation de 2. Une tirade pour convaincre
libérer Paris », futur l’espoir a) Un personnage qui explique comment se comporter
« Notre espoir
survivant »
« N’accablez Apostrophe Interpelle
point, Madame » directement
 Définir un projet de lecture et rédiger Bérénice pour lui
un commentaire demander de ne
a. et b. Plusieurs problématiques et idées direc- pas lui en vouloir
trices sont possibles, parmi lesquelles : « En quoi le « Forcez votre Impératif Lui indique
déchirement intérieur que présente Titus a-t-il pour amour à se comment elle doit
taire » agir par rapport
but de convaincre Bérénice de la nécessité de leur
à ses propres
séparation ? » sentiments
1. Un personnage qui se présente en proie à la souf- « Sans que des Expression de la Montre comment
france de ne plus pouvoir aimer pleurs si chers négation les sentiments
a) L’expression du devoir tout puissant me déchirent que Bérénice
encore » peut manifester
Citations Procédés Interprétations risquent de
« Il ne faut Verbe falloir Exprime le devoir renforcer sa peine
point »
b) Convaincre et persuader
« Et d’un œil que Champ lexical du Titus insiste sur
la gloire et la devoir les impératifs Citations Procédés Interprétations
raison éclaire moraux qui « Rappelez bien Démonstratif Traduit son
Contemplez priment sur son plutôt ce cœur » attachement à
mon devoir amour Bérénice pour
dans toute sa mieux l’attendrir
rigueur. » « Et que tout Hyperbole et Montre la
« Que la gloire Personnification Présente l’univers parallélisme grandeur de
du moins la gloire comme reconnaisse sans leur position et
soutienne nos un élément sur peine la dignité dont
douleurs, » lequel s’appuyer Les pleurs d’un ils doivent faire
pour supporter empereur et preuve
leur situation les pleurs d’une
reine. »
b) Les conséquences sur son état intérieur : une pré- « Car enfin, ma Expression de la La tirade trouve sa
sentation pathétique de soi-même Princesse, il faut causalité conclusion sur ce
nous séparer. » qui est présenté
Citations Procédés Interprétations par Titus comme
« Un trouble Deux Titus exprime la une évidence
assez cruel propositions difficulté de son
m’agite et me coordonnées choix qui se fait
PAGES 440-442
dévore » qui présentent contre son cœur
une gradation FICHE 40
dans la douleur
De l’analyse du sujet au plan
« Aidez-moi, Déterminant Il se présente
s’il se peut, possessif et comme une
de la dissertation
à vaincre ma allitération en [s] victime u Analyser la formulation du sujet
faiblesse, » et problématiser
« À retenir Champ lexical Il se décrit dans a. Les mots clés du sujet peuvent être définis :
des pleurs qui de la souffrance son désespoir – « La presse et la littérature d’idées » : le sujet
m’échappent concerne cet objet d’étude, les exemples peuvent
sans cesse ; »
être pris dans les genres concernés avec la presse, les
382 | MÉTHODES
textes de l’argumentation directe comme les discours c) Les ressources logiques du langage peuvent être
ou les essais, ou ceux de l’argumentation indirecte mobilisées : lexique, connecteurs logiques, syntaxe
comme les récits, pièces de théâtre, poèmes ; 2. La presse et la littérature d’idées peuvent égale-
– « pouvoir de changer l’homme » : l’expression ment toucher les émotions pour mieux persuader
évoque la capacité à transformer les individus a) Les genres de l’argumentation indirecte peuvent
et la société par son pouvoir de conviction et de toucher les émotions : récits, poèmes, théâtre…
persuasion. b) L’auteur peut marquer sa présence, modaliser son
b. La formulation du sujet laisse supposer un mode propos, interpeler le destinataire
de raisonnement dialectique : on peut répondre par c) Les ressources expressives du langage peuvent être
« oui » ou par « non » à la question et l’opinion pré- mobilisées : lexique, figures de style, syntaxe
sentée est discutable.
y Construire un plan
c. La question peut être reformulée en explicitant la
partie implicite pour formuler une problématique : a. Analysez les mots clés du sujet.
« La presse et la littérature d’idées peuvent-elles – « miroir » : le roman reflète la réalité, la vie, la psy-
changer l’homme ou rencontrent-elles des limites chologie humaine, les relations sociales, la société,
dans cette entreprise pour convaincre et persuader ? » notre rapport au monde
– « sur une grande route » : il s’agit d’une métaphore
v Définir le mode de raisonnement désignant la vie ou le réel
et problématiser – « Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux » : la
a. Les modes de raisonnement attendus sont les métaphore évoque les aspects positifs de l’existence,
suivants : la beauté, la joie, l’harmonie, les idéaux…
A : plan dialectique, car l’opinion est discutable et on – « tantôt la fange des bourbiers de la route » : la
peut répondre par « oui » ou par « non » à la question.
métaphore évoque les aspects négatifs de l’existence,
B : plan analytique ou thématique, car le sujet
le mal-être, les relations difficiles ou trompeuses entre
implique une analyse.
les hommes, les dysfonctionnements de la société…
C : plan dialectique, car l’opinion est discutable et on
b. c. et d. Deux idées directrices, des exemples et des
peut répondre par « oui » ou par « non » à la question.
arguments pour chacune de ces deux grandes parties
D : plan analytique ou thématique, car le sujet
peuvent être définis :
implique une analyse.
1. Le roman reflète les aspects négatifs de
w Construire un corpus d’exemple l’existence
a. Les mots clés du sujet peuvent être définis : a) Le roman peut explorer les difficultés humaines,
– « langage » : désigne tout ce qui fait sens, construit mal-être ou relations interpersonnelles
un discours qui porte une signification ; – Musset, Le Mal du siècle
– « les mots, les gestes, les objets » : les répliques – Balzac, Le Père Goriot
apportent du sens, mais les didascalies également. b) Le roman peut analyser les dysfonctionnements
Elles précisent les gestes des personnages qui révèlent de la société
leur caractère ou construisent les situations, et par- – Zola, L’Assommoir, Préface et roman
ticipent ainsi à la portée de la pièce. De même, les – Le genre du roman d’anticipation : Orwell avec 1984,
accessoires peuvent jouer un rôle dramatique ou Huxley avec Le Meilleur des mondes
symbolique. 2. Le roman reflète les aspects positifs de l’existence
x Trouver des arguments a) Le roman peut montrer les qualités humaines et
Différents arguments peuvent être proposés : les valeurs positives
1. La presse et la littérature permettent de déve- – Anatole France, Éloge funèbre de Zola
lopper une argumentation – Les héros du roman de Pierre Lemaître, Au revoir
a) Ces genres peuvent défendre une thèse et l’argu- là-haut
menter explicitement, notamment avec l’argumen- b) Le roman peut chercher à mettre en évidence des
tation directe éléments harmonieux de notre rapport au monde
b) L’espace d’expression qui correspond au livre est – Le lien avec la beauté : Michel Tournier, Vendredi ou
vaste, ce qui permet de développer les idées et de les les limbes du Pacifique
nourrir par des exemples – David Foenkinos, Vers la beauté
MÉTHODES | 383
PAGES 443-445 D’autres exemples D’autres exemples
peuvent servir d’appui, peuvent illustrer cette
FICHE 41
pris notamment dans thèse, comme dans la
Rédiger un paragraphe la séquence 13 « Vivre séquence 13 « Vivre
de dissertation en poésie », comme en poésie », la page
le poème de Clément consacrée au mythe
u Chercher des exemples Marot, « Petite épître au d’Orphée.
a. Les mots clés du sujet sont les suivants : roi ».
– « miroir grossissant » : le théâtre met en évidence
des défauts ou des qualités, il grossit par la caricature, w Structurer le paragraphe
la stylisation, la concentration sur des situations révé- Des exemples peuvent être proposés pour illustrer
latrices ou symboliques ; les arguments :
– « de l’homme » : l’expression peut comprendre les 1. Les personnages 2. Cependant, ils
émotions, états d’âme, relations interpersonnelles, romanesques peuvent peuvent aussi
etc. ; incarner des qualités manifester des défauts
– « de la société » : se réfère au fonctionnement de la positives
société, ce qui peut comprendre le monde du travail, Le personnage d’Albert Le narrateur de la
les institutions comme la politique ou la justice. dans Au revoir là-haut (à nouvelle de Romain
partir de la page 104), Gary, J’ai soif d’innocence
b. La thèse énoncée est la suivante : le théâtre permet,
avec la solidarité humble (à partir de la page 62)
par son exagération, de révéler ou de dévoiler la dont il fait preuve envers est avide derrière son
nature humaine ou le fonctionnement de la société. le personnage d’Édouard. masque de personne
c. Le texte de Ionesco présente des éléments qui désintéressée.
peuvent servir d’exemples : Céline, dans Voyage au Madame de Beauséant
– l’exagération des sentiments ; bout de la nuit (p. 112), explique à Rastignac les
– la désarticulation du langage ; fait le portrait du clés pour parvenir (p. 23),
personnage d’Alcide, qu’il en s’appuyant sur la
– le théâtre doit bousculer les habitudes qui nous
présente dans toute son corruption féminine et
masquent l’étrangeté du monde ; humanité : « Évidemment la vanité des hommes :
– le théâtre présente des éléments qui peuvent sym- Alcide évoluait dans le « Plus froidement vous
boliser les angoisses ou les états intérieurs, grâce aux sublime à son aise et pour calculerez, plus avant
accessoires et aux décors notamment. ainsi dire familièrement, vous irez. Frappez sans
il tutoyait les anges, ce pitié, vous serez craint. »
v Approfondir l’analyse des exemples pour garçon, et il n’avait l’air
enrichir le plan détaillé de rien. »
a. et b. La thèse et l’antithèse sous-entendues dans le
sujet peuvent être définies dans un tableau à double x Rédiger clairement le paragraphe
entrée, et illustrées par des exemples : a. Le texte de Sénèque peut servir d’exemple pour
l’argument suivant : « Le voyage par les livres permet
La poésie est La poésie présente
essentiellement un jeu d’autres fonctions de mieux se connaître ». En effet, il oppose le voyage
de langage géographique qui apporte une connaissance du
Boileau, L’Art poétique : Ronsard, Hymnes : le monde et l’étude qui apporte une connaissance de
le poète est un artisan poète recherche la vérité, soi et une sagesse bien plus grande. Pour Sénèque,
du langage, ce que l’on ce qui se traduit dans le il convient d’abord de s’étudier soi-même avant de
perçoit dans l’extrait par poème par l’énumération
partir étudier le monde.
la métaphore filée de des personnages qui
l’« ouvrage », la question voient l’avenir, auxquels b. D’autres exemples peuvent être trouvés dans
de la temporalité qui est associé le poète, la séquence 3, « Étonnants voyageurs » : la rêverie
marque un travail avec les l’emploi du superlatif exotique en poésie comme dans le poème « Parfum
adverbes ou les locutions « Les plus doctes
exotique » de Baudelaire (p. 68), la lettre de
adverbiales « sans poètes », la rime du mot
cesse », « quelque fois » « poète » avec le mot Gauguin (p. 69), ou l’extrait des Lettres persanes de
et « souvent », ou encore « prophète », ou encore Montesquieu (p. 70), dans lequel les personnages
le préfixe « re- » dans le le mot « vérité » qui apprennent par le déplacement du point de vue lié
mot « repolissez-le ». ponctue la strophe.
au voyage à mieux connaître le monde et les hommes.
384 | MÉTHODES
y Rédiger un paragraphe 1. le théâtre permet de dramatiser les conséquences
b. Plusieurs indices montrent la fureur de Médée : des défauts humains
– la position de supériorité de Médée comme l’indique 2. le théâtre peut également tourner en dérision les
la didascalie : « en haut sur un balcon. » ; failles humaines
– l’apostrophe par un adjectif péjoratif : « perfide » Un plan dialectique peut également être envisagé :
(v. 2) ; 1. le théâtre peut chercher à montrer la réalité des
– l’accessoire du poignard (v. 4) ; défauts humains
– la litote du vers 4 pour exprimer la mort : « Ce poi- 2. le théâtre peut instruire en exagérant ou en s’éloi-
gnard que tu vois vient de chasser leurs âmes » ; gnant de la réalité humaine
– la métaphore « noyer dans leur sang » (v. 5). b. et c. L’introduction peut être rédigée ainsi :
Beaumarchais a mené une vie d’aventurier, touchant
à différents domaines, dont celui du théâtre. Sa pièce
PAGES 446-449
Le Mariage de Figaro est considérée comme une
FICHE 42 œuvre qui annonce la Révolution française, par son
Rédiger une dissertation ton satirique, la remise en question des privilèges de
l’aristocratie, la satire de façon générale d’une société
 Rédiger l’entrée en matière inégalitaire. Le but du théâtre est donc d’agir sur la
d’une introduction société et les hommes. Ainsi, Beaumarchais affirme
L’entrée en matière peut être complétée de la façon dans la préface du Mariage de Figaro, qu’« On ne peut
suivante : corriger les hommes qu’en les faisant voir tels qu’ils
La représentation de la poésie se limite parfois à un sont. » Il sous-entend que le théâtre a pour fonction
genre qui consiste à écrire en vers. L’étymologie du de « corriger les hommes », c’est-à-dire que ce genre
mot montre déjà que ce genre est plus complexe et comporte une dimension morale. Pour parvenir à
comporte une dimension supplémentaire, puisque cette fin, une exigence de vérité est requise, qui peut
le terme vient du grec poiein qui signifie « créer ». déranger, ce qu’indique la formule restrictive. On peut
Le poète est considéré comme le créateur, l’artiste aussi interpréter l’expression « en les faisant voir »
qui invente à la fois le langage et ce qu’il désigne. Il dans le sens où une exagération est requise pour
s’agit donc d’un être supérieur, ce que son lien avec rendre visible ce qui naturellement ne nous est pas
les mythes confirme. En effet, Apollon est le dieu des perceptible. Par conséquent, dans quelle mesure le
arts, de la poésie et de la musique notamment, et il théâtre est-il une entreprise de vérité pour instruire
guide le cortège des muses qui apportent l’inspiration les hommes et corriger leurs défauts ? Nous verrons
divine. Quant à Orphée, il est celui qui, de retour des d’abord que le théâtre peut chercher à montrer la
enfers, charme tous les êtres par son chant, accom- réalité des défauts humains, puis qu’il peut aussi
pagné de sa lyre. instruire en exagérant ou en s’éloignant de la réalité
humaine.
v Rédiger une introduction
a. Le sujet peut être analysé ainsi : la citation sous- w Rédiger l’ouverture d’une conclusion
entend que le théâtre a pour fonction de « corriger les L’ouverture peut évoquer plusieurs œuvres artistiques
hommes », c’est-à-dire qu’il comporte une dimension qui ont pour ambition d’atteindre une meilleure
morale. Pour parvenir à cette fin, une exigence de connaissance de soi-même. On pourrait penser à l’art
vérité est requise, qui peut déranger, ce qu’indique de l’autoportrait en peinture, avec les tableaux réalisés
la formule restrictive. On peut aussi interpréter l’ex- par Van Gogh par exemple, ou encore à l’analyse de
pression « en les faisant voir » dans le sens qu’une la relation maternelle dans l’art (voir séquence 4, « Se
exagération est requise pour rendre visible ce qui libérer de l’emprise familiale et sociale », p. 86).
naturellement ne nous est pas perceptible. x Rédiger une partie de développement
Une problématique possible : « Dans quelle mesure le a. Il est possible d’analyser les mots clés et la formu-
théâtre est-il une entreprise de vérité pour instruire lation du sujet :
les hommes et corriger leurs défauts ? » – « s’attaquer aux préjugés » évoque l’idée que la lit-
Plusieurs idées directrices sont envisageables, parmi térature peut combattre les opinions pour atteindre
lesquelles : la vérité ;
MÉTHODES | 385
– « toujours efficaces » pose la question de la réussite c) Les rimes c) Les images c) Le poète
d’une telle entreprise. Les moyens dont la littérature peuvent peuvent donner peut s’explorer
et la presse disposent permettent-il d’atteindre cette produire des vie au réel lui-même
vérité qu’elles poursuivent ? effets, mettre
en évidence des
– « Sont-elles toujours » : la formulation du sujet
mots et jouer
implique un raisonnement dialectique ; il s’agira de sur le sens
s’interroger sur cette question de l’efficacité.
b. et c.  Rédiger un développement
Thèse Antithèse a. L’analyse des mots clés permet de comprendre la
1. La presse et la littérature 2. La presse et la littérature conception du théâtre que défend Victor Hugo : une
d’idées sont efficaces pour d’idées ne sont pas pièce de théâtre exprime par son intrigue, ses person-
s’attaquer aux préjugés efficaces pour s’attaquer nages, ses éléments constitutifs, la pensée d’un auteur
aux préjugés qui cherche à traduire sa vision du monde. Les expres-
a) Ils peuvent aborder a) Dans certaines périodes, sions « un esprit qui éclaire » et « une conscience
différents thèmes sociaux la censure oblige les qui avertit » suggèrent l’idée d’un engagement, qui
et humains, comme auteurs à s’autocensurer cherche à faire progresser la société et l’homme.
l’hypocrisie, l’intolérance ou à évoquer leurs idées
La formulation peut impliquer un plan dialectique ou
raciale, religieuse… de façon indirecte.
analytique, selon les œuvres et les documents étudiés.
b) Ces genres peuvent b) Ces genres littéraires
b. et c. Différentes problématiques et idées directrices
mobiliser les moyens ne touchent qu’une
du langage pour toucher partie de la population et peuvent être proposées en fonction des œuvres ou
le lecteur et donc n’ont donc qu’une portée textes pris comme objets d’étude. Parmi celles-ci :
transformer les idées. limitée. Problématique : « Dans quelle mesure une pièce de
théâtre est-elle la voix d’un auteur qui s’engage pour
y Rédiger une dissertation de façon transformer l’homme et la société ? »
collaborative 1. Une pièce de théâtre cherche à faire progresser
Des arguments peuvent être trouvés : la société et les hommes
1. La poésie 2. Elle traduit 3. La poésie
a) Elle peut s’attaquer aux dysfonctionnements de
est un art du également une constitue la société
langage musical vision du monde finalement une Ex : Victor Hugo, avec Ruy Blas (séquence 6, p. 148)
qui permet originale par quête de sens remet en question de façon violente et tragique le
d’exprimer des la recherche qui s’interroge rapport de domination du maître sur son serviteur.
émotions d’images par les mots sur
Ex : Molière, avec L’École des femmes (séquence 9,
expressives notre rapport au
monde p. 210) opère une critique de la place réservée aux
femmes dans la société.
a) Le poète a) Les images a) Le poète
b) Elle peut proposer d’autres modèles de société
peut travailler (métaphores, peut traduire
l’amplitude et comparaisons, ses visions Ex : Marivaux dans L’Île des esclaves (séquence 6)
la cadence des personnifications et montrer remet en question le rapport entre le maître et le
phrases pour par exemple) l’harmonie du valet à travers l’inversion des rôles dans une utopie
traduire des permettent monde comique.
émotions d’explorer Ex : Beaumarchais, dans Le Barbier de Séville
l’imaginaire,
le rêve, (séquence 9, p. 213) met en scène avec Rosine un
l’inconscient exemple de révolte féminine à l’égard des usages
b) Il peut jouer b) Les images b) Le poète
habituels dans la société envers les femmes.
sur les sonorités, permettent de peut s’engager  Rédiger une dissertation
allitérations révéler la réalité dans les débats
a. Les mots clés et la formulation du sujet peuvent
et assonances, sous un aspect de société
réalisant des nouveau et dénoncer être définis :
échos sonores des situations – « rendre sensible l’âme humaine » : le but du roman-
à des fins ou proposer cier est de montrer au lecteur ce que sont les êtres
expressives ou de nouveaux humains, le roman explore la nature humaine et en
imitatives horizons rend compte.
386 | MÉTHODES
– « la faire connaître et aimer »/« Admiration et complot. En effet, il juxtapose plusieurs paragraphes
pitié » : l’entreprise romanesque vise à toucher les qui commencent tous par l’anaphore « J’accuse »,
sentiments du lecteur et à lui faire ressentir de l’empa- ce qui lui permet de frapper les esprits. Il se réclame
thie pour les hommes. également de grandes valeurs auxquelles le lecteur
– « dans sa grandeur comme dans sa misère, dans ne peut qu’adhérer, par le biais de métaphores : « Je
ses victoires et dans ses défaites » : c’est la totalité n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de
de l’expérience humaine qui est appréhendée, le l’humanité. » De la même façon, Albert Londres, dans
romancier ne doit pas avoir d’a priori mais s’ouvrir à son article « Au bagne », datant de 1924, raconte
la complexité des hommes. son travail d’enquête en Guyane pour comprendre
– « Dans quelle mesure ce propos s’applique-t-il » : le fonctionnement du bagne de Cayenne. Il présente
le plan peut être analytique ou dialectique, selon les son point de vue personnel, marquant de sa subjec-
exemples mobilisés. tivité l’article afin de renforcer le réalisme de ce qu’il
b. La citation met en évidence des éléments contra- dénonce et n’hésite pas à employer des expressions
dictoires sur l’expérience humaine, qui peut être posi- fortes pour toucher le lecteur, comme avec cette
tive ou négative. métaphore : « C’est une usine à malheur qui travaille
c. La problématique pourrait être : « Dans quelle sans plan ni matrice ».
mesure le roman permet-il de mieux connaître l’âme
humaine dans toute sa complexité ? » PAGES 450-451
Plan détaillé proposé :
1. Le roman permet de susciter l’admiration devant FICHE 43
les qualités humaines Comprendre les idées
a) Montrer le courage et l’esprit d’engagement et l’organisation du texte
b) Manifester une sensibilité à contracter
2. Le roman permet de susciter la pitié devant les
défauts humains u S’assurer des caractéristiques du texte
a) Exposer la fragilité a. Le texte A parle du capitalisme, le texte B de la
b) Souligner la fatalité littérature utopique, le texte C de la loterie nationale.
3. Le roman permet d’explorer la complexité b. Le texte A est rédigé dans un registre didactique,
humaine à la troisième personne du singulier et au présent de
a) Traduire l’ambiguïté vérité générale. L’ambiguïté de la relation de l’État
b) Se faire le témoin des différentes facettes de au capitalisme est soulignée par la répétition de
l’humanité « tantôt » et le parallélisme de construction ainsi créé.
Le texte B est rédigé à la première personne du singu-
 Améliorer la rédaction d’un début de partie
lier, sur un ton oral, comme le montrent l’exclamation
b. c. et d. Des problèmes de mise en page sont per- finale ou le verbe familier « se vautrer ». Le registre
ceptibles : la phrase introductive de la partie n’est pas globalement utilisé est l’ironie, notamment grâce au
distincte de la sous partie, ce qui manque de clarté. jeu des antithèses entre « satisfaction » et « péni-
Pour améliorer la disposition, il faudrait introduire un
tence » ou « mortification », ou encore « aubaine »
retour à la ligne après la phrase d’introduction de la
et « consommer de l’illisible ».
partie et un alinéa au début du premier paragraphe.
Le texte C adopte lui aussi un ton relativement fami-
Le début de partie remis en page avec l’insertion de
lier, tout du moins oral, notamment avec les deux
connecteurs logiques et le développement d’un autre
points d’exclamation qui soulignent le discours indi-
exemple pourrait donner :
rect libre. Néanmoins, l’emploi de la 3e personne et
Dans un premier temps, la littérature d’idées et la
du présent de vérité générale relève du registre didac-
presse peuvent sensibiliser les lecteurs.
tique ou polémique : il s’agit d’un article de presse
Tout d’abord, les auteurs ont la capacité de toucher
qui dénonce la « trompeuse loterie » qu’est le Loto.
les émotions pour persuader. Ainsi, Émile Zola,
dans son article « J’accuse » (p. 238), publié dans le v Mettre à jour l’organisation du texte
journal L’Aurore en 1898, prend la défense d’Alfred a. Roger Pol-Droit aborde les questions éthiques liées
Dreyfus, selon lui accusé injustement d’espionnage. à la biotechnologie, c’est-à-dire les progrès techniques
Il dénonce alors ceux qu’il considère coupables de ce touchant à l’homme et au vivant.
MÉTHODES | 387
b. Roger Pol-Droit annonce dans une phrase introduc- « manière », « façon », « action », « expédient »,
tive qu’il distingue « deux pôles ». Il définit le premier : « modalité », « procédé », « ressource », « strata-
poser des limites aux progrès techniques touchant au gème », « stratégie », « tactique ». Le mot « juste »
vivant. Il définit ensuite le second : le désir de dépas- peut être associé aux notions de « justice », « hon-
ser les limites naturelles pour augmenter le bonheur nêteté », « équité », « impartialité », « droiture »,
individuel. Enfin, il conclut dans une adresse directe à « vertu », « légitimité ». Le mot « injuste » peut être
son interlocuteur fictif que celui-ci peut choisir entre associé à tous les antonymes des mots précédents. Le
ces deux pôles. terme « idéal » va avec les mots « parfait », « exem-
c. Le philosophe parle à la première et à la deuxième plaire », « modèle », « sublime », « suprême », « rêvé ».
personne du singulier : il a fait le choix d’un dialogue c. Il a souvent été dit que « la fin justifie les moyens »,
fictif qui rend son propos plus vivant et interpelle que l’on peut passer par des expédients iniques si la
directement le lecteur, qui peut s’assimiler à l’inter- finalité est bonne. Or, cela implique de séparer l’action
locuteur fictif du dialogue. de sa finalité, ce qui est une erreur puisque la façon
w Distinguer les éléments essentiels du texte dont on agit implique la manière dont nos actes
s’accomplissent.
a. Les mots-clés du texte sont : « nature », « culture »,
« civilisation », « sauvage » et « barbare ». Lévy-Strauss
défend ici l’idée que l’on qualifie de « sauvage » ou w Choisir les expressions les plus efficaces
de « barbare » tout ce qui nous est étranger, car l’on a. Les deux mot-clés de ce texte de Bourdieu sont
préfère rejeter l’autre plutôt que chercher à le com- « ordinaire » et « extraordinaire ».
prendre ou se remettre en question. b. Pour remplacer « ordinaire », on peut utiliser :
b. Tout le texte est une série d’exemples : citations « banal », « quotidien », « récurrent », « habituel »,
de phrases toutes faites et de clichés, exemple de « déjà vu », « toujours pareil », « la même chose »,
l’Antiquité puis de la civilisation occidentale, éty- « de tous les jours », « commun », « courant »,
mologie des termes « barbare » et « sauvage ». Seule « familier », « normal », « usuel ». Pour remplacer
la dernière phrase est réellement argumentative et « extraordinaire », on peut utiliser : « exceptionnel »,
énonce la thèse de l’auteur. Lévy-Strauss organise « hors norme », « inouï », « inédit », « scoop », « inha-
son raisonnement de manière inductive, en partant bituel », « hors du commun », « incroyable », « singu-
de l’exemple particulier pour arriver à l’idée générale. lier », « événement ».
c. Depuis l’Antiquité, l’Occident préfère rejeter tout ce c. À force de toujours vouloir créer l’événement, les
qui est étranger, et donc différent, car l’autre fait peur. médias finissent paradoxalement par tous faire la
même chose.
PAGES 452-453 d. La tournure emphatique « c’est… qui » est uti-
lisée à trois reprises de la ligne 11 à la ligne 17.
FICHE 44
Les trois phrases peuvent être ainsi reformulées :
Reformuler et contracter le texte « L’extraordinaire est ce qui diffère des autres jour-
u Comprendre les mots du texte naux, de ce qu’ils disent de l’ordinaire ou ce qu’ils
b. Texte A : Dans la forêt, chaque geste devient utile disent ordinairement. La poursuite du scoop est une
et précieux. contrainte terrible ».
Texte B : Bientôt, les nouvelles technologies annule- e. Pour vendre, les médias se copient les uns les autres,
ront les limites du corps humain. au point de tous proposer les mêmes informations
Texte C : L’homme ne peut être vraiment bon qu’en- inédites qui en deviennent parfaitement banales.
vers ceux qui ne le menacent pas.
v Travailler les synonymes et les réseaux PAGES 454-455
lexicaux FICHE 45
a. Les mot-clés de ce texte sont : « fin », « moyen »,
« juste », « injuste », « idéal ».
Rédiger la contraction de texte
b. Le mot « fin » peut être remplacé par « but », u Bien se relire
« finalités », « objectifs », « aboutissement ». Le mot a. b. c. Avec l’arrivée du petit écran, la capacité de
« moyen » peut être remplacé par « biais », « outil », concentration de l’homme a changé. Contrairement
388 | MÉTHODES
à la radio, les images fascinent et rendent distrait. w Bien compter les mots
La radio et la presse ne se contentent plus de créer b. Les deux mot-clés dans ce texte sont « vedette » et
des articles ou des chroniques, elles insistent sur les « vedettariat » : le texte suit une progression à thème
photographies ou les gros titres. Malgré leurs consé- constant, listant paragraphe par paragraphe les carac-
quences néfastes sur la concentration, les enfants téristiques du « statut de vedette ». On peut associer
comme les adultes préfèrent les images aux livres. les mots « vedette » et « vedettariat » à « succès »,
Elles sont comme une drogue. Cela implique qu’au- « popularité », « renom », « célébrité », « personna-
jourd’hui il faut faire un effort pour se concentrer. lité », « idole ».
On peut s’y entraîner en éteignant sa télévision ou c. L’expression « comme par magie » (l. 4) indique une
sa radio. certaine distance de la part du locuteur. L’utilisation
Évidemment, il faut savoir se détendre, mais un esprit du discours indirect libre imitant le discours de l’ado-
habitué à la concentration saura mieux sélectionner lescent qui croit pouvoir réussir comme son idole sans
ses divertissements. faire d’études marque de nouveau la même ironie :
v Bien construire ses phrases évidemment, tout le monde ne peut pas réussir
a. Voici des propositions de reformulation des dans le show-business, surtout si l’on considère qu’il
exemples : faut « beaucoup de talent et de travail ». Le vedet-
– « d’Ulysse à Robinson, de Lindbergh à Dieuleveult » : tariat devient ensuite une « grâce » (l. 16) touchant
d’hier à aujourd’hui quelques élus permettant de les « absou[dre] de tout
– « ce ne sont plus de fiers conquérants […] ce sont péché » (l. 23-24) et de déclencher la « dévotion des
des agents de police […] de modestes employés » : les admirateurs » (l. 32). L’exagération de la référence
héros guerriers ont laissé la place aux héros ordinaires religieuse se double de la généralisation des compé-
– « les romans et les bandes dessinées, les films et les tences de la vedette qui devient « conseiller patenté
émissions télévisées, les jeux et les jouets… la publi- en tous genres » (l. 18-19) puis « porte-drapeau du
cité » : les médias et les divertissements prolétariat et de la révolte contre la société » dans
– « Les Aventuriers de l’Arche perdue » : films un parfait paradoxe puisqu’il est aussi un « privilégié »
d’aventure (l. 27) constituant une « nouvelle aristocratie » (l. 21)
– « raids motorisés transsahariens », « Thierry Sabine, extrêmement riche.
Philippe de Dieuleveult et Arnaud de Rosnay » : les d. Les célébrités médiatiques sont uniques : modèles
sports extrêmes ou sports d’aventure pour nos jeunes, elles réussissent partout, ont une
b. « Mais ce ne sont plus de fiers conquérants que nous opinion sur tout et, grâce à leur formidable fortune,
avons devant nous. Ce sont des agents de police qui se font les porte-parole du peuple. (30 mots)
s’enfoncent dans la jungle amazonienne… Ce sont de
modestes employés qui traversent le Grand Nord… » : PAGES 456-457
Devant nous, non plus de fiers conquérants, mais des
FICHE 46
agents de police qui s’enfoncent dans la jungle ama-
zonienne ou de modestes employés qui traversent De l’analyse du sujet
le Grand Nord. au plan de l’essai
« Mais, ce qui frappe le plus, c’est la diffusion cultu- u Analyser la formulation du sujet
relle et l’impact des représentations de l’aventure par
a. Selon vous, la presse est-elle importante dans un
les grands moyens de communication de masse. » :
pays démocratique ?
Mais le plus frappant est la diffusion culturelle et l’im-
Presse : ensemble des publications périodiques, prin-
pact des représentations de l’aventure par les grands
cipalement des journaux quotidiens
moyens de communication de masse.
Pays démocratique : pays dans lequel le pouvoir est
« Mais ce sont les revues de grand public qui diffusent
exercé par le peuple, par l’ensemble des citoyens
avec le plus de force le mythe de l’aventure. » : Les
b. La question posée est grammaticalement totale et
revues de grand public diffusent avec le plus de force
appelle un raisonnement dialectique.
le mythe de l’aventure.
c. Les héros d’aujourd’hui ne sont plus des chevaliers, v Analyser la formulation du sujet
mais des gens ordinaires vivant d’incroyables aven- a. Selon vous, la condition des femmes décrite par S.
tures exotiques. (18 mots) de Beauvoir a-t-elle changé ?
MÉTHODES | 389
Condition des femmes : l’expression renvoie au c) Le culte du corps peut devenir problématique pour
statut, à la situation civile et familiale des femmes notre société : il faut être ouvert aux autres au-delà
à un moment donné, celui de la publication du texte de leur seul aspect corporel.
de Beauvoir, soit après la Seconde Guerre mondiale. Ex. : de nombreux adolescents sont aujourd’hui har-
Changé : il s’agit de s’interroger sur l’évolution de celés pour leurs différences, provoquant des patho-
1949 à aujourd’hui. logies importantes. Il ne faut pas « standardiser »
b. La question posée est grammaticalement totale l’apparence de toute une société.
et appelle un raisonnement dialectique. x Construire un plan
w Construire un plan 1. Sujet A : raisonnement dialectique (interrogation
totale : il faut prendre position)
a. Beauté : les définitions du beau et de la beauté
Sujet B : raisonnement analytique (interrogation par-
évoquent l’effet provoqué, « une vive impression
tielle : il faut proposer des solutions)
capable de susciter l’admiration en raison de ses qua-
Sujet C : raisonnement analytique (interrogation par-
lités supérieures dépassant la norme ou la moyenne »
tielle : il faut expliquer l’urgence du défi écologique)
(TLFI).
Sujet D : raisonnement dialectique (interrogation
Corporelle : qui renvoie au corps totale : il faut prendre position)
N’est-elle que : formule restrictive qui laisse entendre 2. Sujet A : Selon vous, l’homme et la nature s’en-
que la beauté n’est pas seulement corporelle tendent-ils encore ?
b. idée 1 : La beauté corporelle a une place importante Tous les mots sont ici importants : on attirera l’atten-
dans notre société. tion des élèves sur la présence de l’adverbe « encore »,
idée 2 : Pourtant, la beauté ne se limite pas au seul qui sous-entend que le dialogue est rompu entre
corps. l’homme et la nature.
c. et d. Sujet B : Que peut-on faire pour la nature aujourd’hui ?
1. La beauté corporelle a une place importante dans Le mot-clé principal est ici le verbe « faire ». Il s’agit
notre société de trouver des actions et des modalités d’action pour
a) La beauté est d’abord associée au corps, elle fait sauver la nature.
l’objet d’un culte dans notre société Sujet C : En quoi le défi écologique est-il urgent ?
Ex. : concours de beauté comme Miss France, Miss On définira le « défi écologique » avec quelques
Univers, etc. indicateurs clés de l’évolution climatique. L’adjectif
b) La beauté joue un rôle important dans notre vie « urgent » sera redéfini pour lui donner tout son
quotidienne poids : « qui contraint à agir sans délai ; dont on doit
Ex. : études qui prouvent le rôle de la beauté dans s’occuper sans retard, qu’il est nécessaire de faire tout
de suite. »
l’entreprise, dans le recrutement
Sujet D : La littérature peut-elle nous aider à mieux
c) De nombreuses personnes cherchent donc à
comprendre le défi écologique ?
répondre aux critères dont ils pensent qu’ils sont
On précisera ce que le terme de « littérature »
attendus
recouvre, de la fiction à la littérature d’idées. On sen-
Ex. : modification des images de soi (Photoshop), sibilisera les élèves à l’intérêt d’une réflexion longue,
régimes alimentaires, chirurgie esthétique nourrie et qui ne repose pas seulement sur des images
2. Pourtant, la beauté ne se limite pas ou des slogans.
au seul corps
a) Le corps n’est que l’image de soi, il ne dit rien de PAGES 458-459
notre caractère, notre tempérament, notre bonté
FICHE 47
Ex. : on parle de « beauté intérieure », pour l’oppo-
ser à la beauté du corps. Elle est pour beaucoup une Rédiger un paragraphe d’essai
condition sine qua non. u Chercher des exemples
b) Les canons de la beauté évoluent a. Dans quelle mesure s’informer est-il un besoin pour
Ex. : au xixe siècle, l’embonpoint était synonyme de l’homme ?
bonne santé. La femme parfaite n’était pas mince Dans quelle mesure : la formule interrogative appelle
(voir les tableaux de Ingres). une analyse, une évaluation.
390 | MÉTHODES
S’informer : le verbe à la forme pronominale suppose w Structurer le paragraphe
des démarches pour obtenir des nouvelles, des a. et b.
connaissances sur un sujet précis
Arguments Exemples
Besoin : situation de manque ou prise de conscience
d’un manque. Le terme renvoie aux besoins primaires Les animaux ont – Il y a plus de
de l’individu, comme la nourriture. aujourd’hui toute 63 millions d’animaux
L’homme : l’être humain leur place dans notre domestiques en
b. Reformulation possible : « Arrive-t-on à vivre bien société. France. (source :
sans s’informer ? » enquête FACCO/TNS
c. Le texte de Jeanneney compare l’animal et l’homme. SOFRES)
L’animal agit en suivant son instinct. Il n’a donc pas – Ils sont protégés
besoin d’informations. L’homme utilise son instinct, par la loi depuis 1850,
mais également sa raison. Il a pour cela besoin de et ont été reconnus
connaître le monde et donc d’être informé. en 2015 comme des
d. Exemples pour construire le plan : « êtres vivants doués
– la presse livre une analyse des événements, notam- de sensibilité ».
ment les plus tragiques. Exemple de la bombe sur La maltraitance est – Chaque année,
Hiroshima (Camus), les attentats du 11 septembre encore une réalité que des campagnes de
(Colombani) ; l’on ne peut nier. presse dénoncent
– la presse permet d’alerter les consciences. Exemple l’abandon des animaux
de la peine de mort (tribune dans Le Monde), de à l’approche des
l’injustice (lettre de Zola) ; vacances.
– le dessin de presse utilise la satire pour donner une – Des faits divers
opinion sur le monde. Exemple des prolongements mettent régulièrement
artistiques sur la caricature. en lumière des
v Approfondir l’analyse des arguments traitements barbares à
l’égard d’animaux.
pour enrichir le plan détaillé
– L’association L214
a. Thèse : tout le monde s’accorde sur ce qui est beau.
alerte l’opinion
Antithèse : Pourtant, la beauté est insaisissable
publique sur les
b. et c. Plan détaillé conditions de vie
1. Tout le monde s’accorde sur ce qui est beau cruelles de certains
a) La beauté est unanimement reconnue et on peut animaux d’élevage.
tenter de la définir
Ex. : les critères établis par J.-F. Dortier (p. 277) c. et d.
b) La beauté est louée par les artistes, qui recon- Même si notre société est très attentive au bien-être
naissent des canons animal, force est de constater que la maltraitance
Ex. : Prolongements artistiques et culturels : les Vénus n’a pas disparu. Ainsi, chaque année, des associa-
de la littérature (p. 285-286) tions pour la défense des animaux rappellent par
c) La beauté exerce un pouvoir fascinant sur autrui le biais de campagnes de presse que l’abandon est
Ex. : C. Baudelaire, p. 276 encore fréquent dans notre pays à l’approche des
2. Pourtant, la beauté est insaisissable congés d’été. Selon la Fondation 30 Millions d’Amis,
a) On ne sait pas vraiment dire pourquoi ce qui est la France serait même championne d’Europe en la
beau l’est matière. Les mauvais traitements n’ont d’ailleurs pas
Ex. : D. Diderot, p. 459 complètement disparu : il n’est pas rare de lire dans
b) La beauté varie avec les époques et les sociétés la presse des faits divers qui ont mené à la torture
Ex. : É. Zola, p. 279 et M. Chollet, p. 281 d’animaux domestiques. Enfin, de façon très specta-
c) Le beau peut être bizarre, paradoxal culaire, depuis plusieurs mois, l’association L214 alerte
Ex. : A. Rimbaud, p. 288 l’opinion sur les conditions cruelles auxquelles sous
MÉTHODES | 391
soumis les animaux d’élevage, jusque dans les abat- a) Il peut prendre de la hauteur et faire des proposi-
toirs. Elle a pu produire à plusieurs reprises des images tions qui servent l’intérêt collectif.
d’animaux maltraités, choquant l’opinion publique Ex. : la limite de vitesse fixée à 80 km/h, même si
française. L’objectif affiché sur le site de l’association le gouvernement a passé le relais aux collectivités
est de « montrer les conditions de vie, de transport et locales. La réflexion est malgré tout engagée.
de mort des animaux en s’appuyant sur des arguments b) Il doit mettre en perspective son action, sur le plan
solides, exposer des informations fiables, soulever des historique notamment, quitte à aller contre l’opinion
questions éthiques, proposer des solutions ». publique.
Ex. : L’abolition de la peine de mort en 1981, contre
l’opinion de l’époque, mais cohérente avec l’abolition
PAGES 460-461
de la torture et de l’esclavage.
FICHE 48 d) Rédaction de la seconde partie
Rédiger un essai Même si les hommes politiques sont l’émanation du
peuple souverain, ils peuvent faire des propositions
u Rédiger l’entrée en matière qui vont à contre-courant des idées dominantes, dans
de l’introduction leurs programmes électoraux ou en cours de mandat.
La vie en société nous impose un peu plus chaque jour En effet, ils doivent réfléchir à la marche de la société
son rythme et nous pourrions être tentés, comme et sont amenés à prendre de la hauteur. Surtout, leur
Sylvain Tesson, de marquer une pause. Cet auteur a action doit être au service de l’intérêt collectif, qui
choisi de vivre six mois loin du monde moderne, au n’est pas la simple somme des intérêts individuels.
cœur d’une nature hostile, puisqu’il s’agissait du froid Ainsi, le gouvernement français a récemment proposé
de la Sibérie. Serions-nous capables, à notre tour, de de réduire la limite de vitesse sur la route de 90 à
nous isoler du monde et d’affronter au quotidien la 80 km/h. Il s’est attiré les foudres des automobilistes,
nature ? qui dénonçaient une décision inadaptée à l’ensemble
Nous verrons que ce projet peut être séduisant, mais du territoire. La question a été à de multiples reprises
aussi qu’il implique des renoncements qui peuvent débattue, mais il a aussi fallu constater que le nombre
nous faire hésiter. de morts sur la route a diminué. Dans ces conditions,
le gouvernement a proposé aux collectivités dépar-
v Rédiger une partie de développement tementales de reprendre la main et de décider, au
a. Pouvoir politique : l’expression renvoie à la forme cas par cas, s’il fallait limiter la vitesse à 80 ou 90
de gouvernement en place dans notre pays, la démo- km/h. Cela étant, la réflexion a été engagée et il est
cratie. C’est un pouvoir exercé par le peuple, qui est parfois souhaitable, sur une voie dangereuse, de rouler
souverain. moins vite.
Aller à l’encontre : s’opposer Par ailleurs, les politiques peuvent inscrire leur action
Opinion publique : « Ensemble des idées et juge- dans un temps long et proposer des lois qui participent
ments partagés par la majorité des membres d’une de l’écriture de l’histoire. Candidat à l’élection prési-
société, en particulier en ce qui concerne le champ dentielle en 1981, François Mitterrand avait inscrit
politique, social et culturel de cette société. » (Trésor l’abolition de la peine de mort à son programme.
de la langue française informatisé, www.atilf.fr/tlfi) Robert Badinter, nommé ministre de la Justice et
La question posée est une question grammaticale garde des Sceaux, a été en charge de l’écriture et de
totale (réponse en oui/non, même avec des nuances) : la défense de cette loi. Son argumentaire s’appuyait
il faut donc adopter un raisonnement dialectique. sur la construction de l’histoire et la grandeur de
b. Thèse : le pouvoir politique doit tenir compte de la France : après l’abolition de la torture et celle de
l’opinion publique car il représente le peuple l’esclavage, le respect de la dignité humaine, fruit de
Antithèse : le pouvoir politique peut malgré tout faire la Déclaration des droits de l’homme, appelait cette
d’autres propositions, à contre-courant des idées nouvelle évolution historique.
dominantes w Rédiger une partie de développement
c. Antithèse : le pouvoir politique peut malgré tout a) Beauté : les définitions du beau et de la beauté
faire d’autres propositions, à contre-courant des idées évoquent l’effet provoqué : « une vive impression
dominantes capable de susciter l’admiration en raison de ses qua-
392 | MÉTHODES
lités supérieures dépassant la norme ou la moyenne. » (l. 25), de « surpasser la nature » (l. 29) et finalement
(TLFI) d’« ajoute[r] à un beau visage féminin la passion mys-
Standardisée : qui est ramenée à un modèle, sans térieuse de la prêtresse » (l. 36-37). Le maquillage est
originalité par ailleurs comparé à un « art » (l. 6) alors que la
b) Plan détaillé plupart des contemporains de Baudelaire semblent
1. Mona Chollet a raison : la beauté s’uniformise sous le considérer comme un artifice « niaisement ana-
l’effet de la mondialisation thématisé » (l. 18). La dernière partie sur le rouge des
a) Une beauté standard s’impose : le type occidental pommettes et le noir des yeux s’apparente à un com-
devient dominant mentaire sur un tableau et associerait indirectement
Ex. : Mona Chollet sur la couleur de la peau (p. 281) l’art du maquillage à l’art du peintre.
b) Notre société n’encourage pas la différence : il est
v Déterminer une problématique
difficile de se singulariser
a. Le point de vue adopté est celui de Gervaise, point
Ex. : la publicité est aujourd’hui envahie par les pro-
de vue interne qui transmet toute l’admiration qu’elle
duits amincissants, les produits de beauté, etc. Tout
porte à Gueule-d’Or.
un chacun est invité à se conformer aux standards qui
b. Le personnage, éclairé par la forge, est décrit de
fixent le beau, la santé, le bien-être.
haut en bas selon une progression à thème éclaté :
2. Mais la standardisation n’est pour l’instant qu’une
on voit tout d’abord « ses cheveux courts », puis « son
réalité médiatique
front bas », « sa belle barbe », « la figure », son « cou »,
a) Si l’on regarde la télévision, par exemple, il existe
sa « poitrine », ses « épaules », puis ses « bras ».
effectivement une standardisation.
c. La description du personnage justifie tout d’abord
Ex. : les « minorités » sont peu visibles à la télévision,
son surnom « Gueule-d’Or » : dans l’éclairage de la
qui n’est pas à l’image de la société, nettement plus
forge, il semble que sa barbe blonde éclaire tout son
métissée. Les « seniors » sont également peu présents
visage de « fils d’or » et lui donne « une vraie figure
à l’antenne.
d’or ». La comparaison avec la colonne blanche puis
b) Cette standardisation va à l’encontre d’un réel
avec une statue de « géant, dans un musée » font de
besoin de se singulariser et d’exister qui parcourt
lui un colosse tout droit sorti de l’Antiquité. À la fin
notre société
de l’extrait, il devient « tout-puissant, comme un Bon
Ex. : les services à la personne dans le domaine du
Dieu », accédant au statut de divinité, mais avec le
corps se développent de plus en plus. Visagistes, bar-
regard naïf de Gervaise.
biers, tatoueurs, etc., sont là pour permettre l’expres-
d. Comment Zola s’y prend-il pour valoriser l’ouvrier
sion de toutes les aspirations. Mais la mode fait aussi
Gueule-d’Or ? Gueule-d’Or est décrit à travers le
parfois d’un projet individuel un phénomène collectif.
regard de Gervaise, qui l’aime. L’amour et l’admira-
tion de la jeune femme transparaissent donc dans le
PAGES 462-464 portrait fort élogieux qu’elle fait de lui. Elle le regarde
FICHE 49 de haut en bas, selon une progression à thème éclaté :
on voit tout d’abord « ses cheveux courts », puis « son
L’explication de texte : construire
front bas », « sa belle barbe », « la figure », son « cou »,
son projet de lecture sa « poitrine », ses « épaules » puis ses « bras ». La
u Analyser le texte et ses effets lumière de la forge crée une atmosphère fantastique
a. Baudelaire défend le maquillage : pour lui, le maquil- qui transfigure le personnage, qui semble se trans-
lage est un moyen de sublimer la beauté de la femme. former et s’illuminer, justifiant ainsi son surnom :
b. Baudelaire fonde son éloge sur une comparaison de Gueule-d’Or. Sa barbe blonde, en effet, éclaire tout
la femme à une divinité : elle doit paraître « magique son visage de « fils d’or » et lui donne « une vraie
et surnaturelle » (l. 3), elle est une « idole » (l. 4), faite figure d’or ». La comparaison avec la colonne blanche
pour être « adorée » (l. 5). Elle doit tout faire pour puis avec une statue de « géant, dans un musée » font
« s’élever au-dessus de la nature » et ainsi « subjuguer de lui un colosse tout droit sorti de l’Antiquité. À la
les cœurs et frapper les esprits » (l. 6-8). Le maquillage fin de l’extrait, il devient « tout-puissant, comme un
permet de la « diviniser » (l. 14), de la rapprocher de Bon Dieu », accédant au statut de divinité, mais avec
« la statue, c’est-à-dire d’un être divin et supérieur » le regard naïf de Gervaise.
MÉTHODES | 393
w Construire un projet de lecture la mort de la rose par les assonances en [an] et [eu].
a. Ce poème allie éloge et tristesse : c’est un tombeau Les deux quatrains ont donc suivi une progression de
poétique écrit en l’honneur de Marie de Clèves, maî- la naissance à la mort de la rose.
tresse d’Henri III, trop tôt décédée. Vers 9 : début de la deuxième partie de la comparai-
b. Ronsard y compare Marie à une rose, à la fois belle son avec « ainsi » : les deux tercets vont comparer la
et éphémère. jeune femme à la rose qui vient d’être évoquée. On
c. Le poème est un éloge à la défunte, mais aussi une peut donc s’attendre à une progression identique, de
réflexion sur la mort et sur la poésie. la naissance à la mort. D’emblée, les termes rentrent
d. Vers 1 : Début de la comparaison par l’ouverture du en écho avec le vers 2, mais en chiasme : « en sa belle
poème avec l’adverbe de comparaison « comme » qui jeunesse, en sa première fleur »/« en ta première et
trouvera sa réponse avec l’adverbe « ainsi » au vers 9, jeune nouveauté ».
à l’ouverture des tercets. Deux GN prépositionnels Vers 10 : Marie, comme la rose, est admirée par les
circonstanciels de lieu et de temps permettent le rejet divinités : le ciel de nouveau, qui était déjà jaloux de la
du mot « rose » à la rime, ainsi mis en évidence, et rose (v. 3), et la terre avec lui, « honor[ent] » la jeune
surtout en écho avec le dernier mot du poème. Le femme et sa « beauté », qui peuvent s’apparenter à
présent gnomique rend le propos général et toujours la « vive couleur » de la rose.
vrai, évoque une réalité toujours vérifiée, naturelle. Vers 11 : la Parque est ici la troisième des sœurs qui
Vers 2 : le parallélisme de construction permet un filent, tissent et coupent le fil de la vie. Il est notable
balancement avec un rythme binaire. Insistance sur que le verbe « repose » réapparaisse à la rime, en écho
la jeunesse, le printemps, le début avec « première avec « déclose », mais aussi et surtout « se repose » au
fleur ». Musicalité du poème qui s’apparente à un vers 5 : un verbe positif lié à la vie devient un verbe
chant, d’éloge encore, mais qui se révèlera un chant triste lié à la mort, selon un schéma récurrent dans
funèbre à la fin. le poème qui passe de la vie à la mort, comme cela
Vers 3 : enjambement qui allonge le vers et est est arrivé à Marie.
en réalité la suite du vers 1. Une première divinité Vers 12 : première occurrence du pronom de première
apparaît : le ciel, ici personnifié et « jaloux » de la personne : le poète s’inclut dans son sonnet. Registre
« vive couleur » de la rose, ici caractérisée comme lyrique renforcé avec l’évocation des « larmes » et des
« vivante ». « pleurs ».
Vers 4 : « l’Aube » est une deuxième divinité person- Vers 13 : le poème devient une offrande à la manière
nifiée, notamment avec la majuscule et les pleurs, qui des libations antiques, comme le montre le démons-
sont une image de la rosée, mais peuvent déjà faire tratif « ce » répété deux fois au début du vers et à
penser au deuil. l’hémistiche, dans un rythme binaire qui crée un
Vers 5 : de nouveau, distorsion syntaxique qui permet balancement musical. Toujours idée du chant, déjà
de placer les deux divinités que sont « la grâce » et évoqué au vers 2, mais qui devient cette fois concrè-
« l’amour » l’une en tête de vers, l’autre à l’hémistiche, tement un chant funèbre.
avec insistance grâce à la conjonction de coordination Vers 14 : l’ultime vers donne l’immortalité à Marie en
« et » : la rose accueille les plus belles divinités « dans transformant son corps en « roses ». Il s’agit en fait
sa feuille ». des fleurs poétiques qui constituent tout le sonnet
Vers 6 : après la beauté et les « vives couleurs », qui et lui permet « vif, ou mort » de traverser les âges
faisaient appel à la vue, appel à l’odorat avec les et les siècles.
« odeurs » qui « embaument ». Toutefois, comme les e. Introduction : Pierre de Ronsard est le chef de file
pleurs de l’aube au vers 4 pouvaient déjà faire penser de la Pléiade, un groupe de sept poètes qui souhaitent
au deuil, on peut penser au double sens du verbe donner à la poésie en langue française toutes ses
« embaumer », par un jeu de syllepse. Importance de lettres de noblesse en s’inspirant à la fois des auteurs
la nature avec les « jardins » et les « arbres ». antiques et des auteurs italiens comme Pétrarque. Ils
Vers 7 : rupture par la conjonction de coordination introduisent ainsi le sonnet, dont le poème ici étudié
« Mais » et la violence de la pluie ou de la chaleur est un exemple. « Comme on voit sur la branche… »
« excessive », mimée par les sonorités en [b], [d], [p] est extrait du second livre des Amours, paru en 1578.
et [x]. Il appartient à la section intitulée « Sur la mort de
Vers 8 : ralentissement du rythme qui mime cette fois Marie » et a été écrit en l’honneur de Marie de Clèves,
394 | MÉTHODES
maîtresse d’Henri III, trop tôt décédée. Il s’agit donc idée de l’immortalité par la poésie et la postérité est
d’un tombeau poétique, c’est-à-dire un poème écrit récurrente chez Ronsard, en lien avec les idées de la
en hommage à un défunt. Ronsard y compare Marie Pléiade : on peut penser par exemple au sonnet pour
à une rose, à la fois belle et éphémère, tout en pro- Hélène « Quand vous serez bien vieille… » dans lequel
posant une réflexion sur la mort et sur la poésie. Ce il rappelle à la jeune femme que sa jeunesse, à elle,
poème respecte la composition traditionnelle du est éphémère, alors que sa poésie, à lui, lui survivra.
sonnet : les deux premiers quatrains portent sur la
fleur, les deux tercets sur Marie. Comment le poète PAGES 465-467
s’y prend-il pour rendre hommage à Marie ? FICHE 50
Conclusion : Ce tombeau poétique dédié à Marie
de Clèves, maîtresse d’Henri III, est donc un éloge L’entretien de l’épreuve orale
à maints égards : le poète, certes, compare Marie à x Se mettre en situation afin de mobiliser
une rose, ce qui est élogieux, mais surtout il lui offre et développer ses connaissances et sa
ce qu’il sait le mieux faire, un chant funèbre digne réflexion
des plus grands poètes, grâce auquel Marie deviendra a. Une grille d’évaluation de l’entretien peut être
immortelle, transmuée de « rose » fragile (la fleur) définie autour de trois grandes compétences, par
en « roses » immortelles (les fleurs poétiques). Cette exemple sous forme d’échelle descriptive :
Partiellement
Pas atteint Acquis
atteint
Communiquer :
– l’élocution est claire, fluide et convaincue
– absence de mots parasites
– la gestuelle est précise et convaincue
– absence de gestes parasites
Mener une réflexion :
– la réflexion est développée et structurée
– la réflexion met en relation des textes et des notions
Mobiliser des connaissances :
– les connaissances sont précises
– les connaissances sont complètes et approfondies
– les connaissances sont variées
MÉTHODES | 395

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Nicolas Filliâtre Céline Le Gall

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du xviiie au xxie siècle

PRÉSENTATION DU CHAPITRE Livre de l’élève p. 16

OBJECTIFS ET PRÉSENTATION Outre l’ambition de Rastignac, le parcours d’œuvre

SÉQUENCE 1 Des personnages à la conquête de la société |7

dans la haute société.

8 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 1 Des personnages à la conquête de la société |9

SÉQUENCE 1 Des personnages à la conquête de la société | 11

12 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 1 Des personnages à la conquête de la société | 13

PARCOURS 1. Compétences de lecture ŒUVRE INTÉGRALE

14 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

dans son triomphe, entièrement dû à l’orgueil de M. ■■ Découvrir un duo d’ambitieux en action.

son rival, M. Valenod. un milieu social et professionnel précis.

SÉQUENCE 1 Des personnages à la conquête de la société | 15

et « il » : Madeleine commence (l. 12-13), Georges ■■ Connaître un texte théorique majeur.

16 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

introduit par le connecteur « en outre » – la réalité tuation.

SÉQUENCE 1 Des personnages à la conquête de la société | 17

18 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 1 Des personnages à la conquête de la société | 19

20 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 1 Des personnages à la conquête de la société | 21

22 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

OBJECTIFS ET PRÉSENTATION mais aussi sur la réécriture de Zola et l’amplification,

SÉQUENCE 2 Des femmes libres ? | 23

24 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 2 Des femmes libres ? | 25

26 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

ACTIVITÉ 1. Développer un épisode d’Un mariage

SÉQUENCE 2 Des femmes libres ? | 27

28 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

⁄ Pierre Choderlos de Laclos,

SÉQUENCE 2 Des femmes libres ? | 29

30 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 2 Des femmes libres ? | 31

l’ordre social le discours direct.

32 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 2 Des femmes libres ? | 33

34 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 2 Des femmes libres ? | 35

36 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 2 Des femmes libres ? | 37

38 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 2 Des femmes libres ? | 39

OBJECTIFS ET PRÉSENTATION patrimoine artistique mondial, mais son appréciation

40 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 3 Étonnants voyageurs | 41

42 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 3 Étonnants voyageurs | 43

44 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

SÉQUENCE 3 Étonnants voyageurs | 45

46 | Le roman et le récit du xviiie au xxie siècle

la couleur et les personnages, égyptienne par le trai- talisme.

religion, occidentale dans le sujet et la perspective. 1. ENTRER DANS LE TEXTE

SÉQUENCE 3 Étonnants voyageurs | 47

PRÉSENTATION DU CHAPITRE Livre de l’élève p. 16