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Alternatives Managériales et Economiques

E-ISSN : 2665-7511
https://revues.imist.ma/?journal=AME
MACHMOUME & NMILI/ Revue AME Vol 4, No 3 (Juillet, 2022) 434-452

Financement optimal de la protection sociale au Maroc :


Quel Benchmarking des expériences internationales
MACHMOUME, S.1, NMILI, M.2
1. Docteure chercheuse, Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, siham.machmoume@usmba.ac.ma.
2. Professeur Chercheur, laboratoire ERMOT, Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, FSJES, Fès,
mohamed.nmili@usmba.ac.ma.

Date de soumission : 31/05/2022 Date d’acceptation : 26/07/2022

Résumé :

Dans son discours du trône du 29 juillet 2020, le roi du Maroc annonça que la protection sociale
sera généralisée à l’ensemble des citoyens marocains. De ce fait, la mise en œuvre de ce chantier
sociale pharaonique, devenu effectif dès 2022 avec l'élargissement graduel de l'assurance
maladie obligatoire à 22 millions nouveaux bénéficiaires, se poursuivra avec la généralisation à
moyen terme des allocations familiales et dès 2025 avec l'élargissement de l'assiette des
adhérents aux régimes de retraite. Dans ce sens, une loi-cadre a été adoptée par le
gouvernement en février 2021.

Le présent article a pour objectif, d’étudier dans un premier temps, les deux grands modes de
financement de la protection sociale dans le monde, à savoir le modèle « bismarckien » et le
modèle « Beveridgien « et dans un second temps, d’analyser le choix de financement adopté par
le Maroc pour sa protection sociale généralisée.

De ce fait, nous posons la problématique suivante : Avec quels modes de financement, la


protection sociale généralisée peut-elle être financée au Maroc ?

Nous avons donc adopté une méthodologie exploratrice basée sur une approche
benchmarking entre les deux grands modes de financement de la protection sociale au
niveau international.

En somme, les résultats de notre étude énoncent clairement que le mode de financement de la
protection sociale généralisé au Maroc demeure tributaire de la conjoncture économique et donc
du niveau de la croissance.

Mots clés : Protection sociale, Modèle bismarckien, Modèle Beveridgien, Approche


Benchmarking, Mode de financement .

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Optimal financing of social protection in Morocco: What benchmarking of
international experiences
Abstract:

In his speech from the throne on July 29, 2020, the King of Morocco announced that social
protection will be generalized to all Moroccan citizens. Consequently, the implementation of this
pharaonic social project, which became effective from 2022 with the gradual extension of
compulsory health insurance to 22 million new beneficiaries, will continue with the generalization
in the medium term of family allowances and from 2025 with the broadening of the base for
members of the pension scheme. In this sense, a framework law was adopted by the government
in February 2021.

The purpose of this article is first to study the two major modes of financing social protection in
the world, namely the "Bismarckian" model and the "Beveridgian" model, and secondly, to
analyze the choice of financing adopted by Morocco for its generalized social protection.

Therefore, we pose the following problem: With what modes of financing, can generalized social
protection be financed in Morocco?

We have therefore adopted an exploratory methodology based on a benchmarking approach


between the two major modes of financing social protection at the international level.

In short, the results of our study clearly indicate that the method of financing generalized social
protection in Morocco remains dependent on the economic situation and therefore on the level
of growth.

Keywords: Social protection, Bismarckian model, Beveridgian model, Benchmarking approach,


Mode of financing.

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Introduction :

Le gouvernement marocain a adopté le 17 novembre 2021, six décrets liés au projet de la


généralisation de la protection sociale. A cet effet, de nombreux observateurs de la vie
économique et sociale du pays, estiment qu'eu égard à l’impact que produira ce système de
protection sur l’amélioration des conditions de vie des citoyens1, sur l’assistance qu’il apportera
aux personnes les plus vulnérables, ce projet constitue assurément le « chantier social » le plus
crucial de la décennie.

Dans ce sens, une commission interministérielle a été créée fin novembre 2021, chargée du
pilotage de ce projet titanesque. Elle devra en particulier « Définir les dispositions et les outils
nécessaires au développement des aspects de gestion, et à la préservation de la pérennité
financière du système de protection sociale et à appliquer les réformes parallèles à la réforme de
la protection sociale » (Gharbaoui, 2021). Lorsque nous passons en revue les compétences dont
jouira cette commission interministérielle, on découvre que le principal rôle de cette dernière,
concerne trois aspects essentiels à savoir, l’aspect technique, financier et opérationnel du projet.

Néanmoins, la pierre angulaire de ce projet, demeure son mode de financement. En effet, le cout
de la généralisation de la protection sociale au Maroc échelonné sur cinq ans, est estimé 51
milliards de dirhams annuellement et que le financement reposera sur deux mécanismes, à savoir
un système d’affiliation (28 milliards de DH) qui concerne les personnes ayant la capacité de
participer au financement de la couverture sociale, et un dispositif basé sur la solidarité (23
milliards de DH) qui concerne les personnes n’ayant pas la capacité d’y participer.

Concernant la répartition des 51 MMDH, il faut relever que 14 MMDH seront consacrés à la
généralisation de l’AMO2 (dont 8,5 MMDH issus du budget général de l’Etat), 20 milliards à la
généralisation des allocations familiales (dont 14,5 milliards auprès du budget général de l’Etat),
16 MMDH à l’élargissement de la base des adhérents au système de retraite et 1 MMDH à
l’élargissement de l’accès à l’Indemnité pour perte d’emploi (IPE).

Certes, la Contribution sociale de solidarité (CSS), reconduite dans la loi de finances de 2022, est
censée financer une partie de la protection sociale généralisée mais, cette option fiscale présente
certaines lacunes : d’abord, elle reste insuffisante pour couvrir les dépenses prévues pour cette
couverture, ensuite, la CSS est « montrée du doigt » par certains économistes que ce prélèvement

1
Ce projet cherche à intégrer 22 millions de bénéficiaires supplémentaires au système de protection
sociale.
2
Assurance Maladie Obligatoire.

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obligatoire, risque d’intensifier la pression fiscale sur les entreprises, ce qui manquera pas de se
répercuter négativement sur l’activité économique (emploi, investissement, épargne, etc.).

Certes et il faut le rappeler, le gouvernement envisage de financer une grande partie de cette
protection sociale généralisée grâce au budget général de l’Etat. Or cette alternative peut avoir
des incidences sur les autres budgets importants, comme celui de l’éducation ou de la santé. En
outre, ce choix demeure irrémédiablement lié à l’ouverture de crédits. En d’autres termes, la
protection sociale sera soumise à la conjoncture économique du pays, une situation qui peut subir
de fortes fluctuations entre croissance, crise et stagnation, comme c’est actuellement le cas avec
la crise sanitaire de la Covid 19, ou plus récemment avec la crise Ukrainienne.

C’est donc cet aspect qui concerne la réflexion sur les différents modes de financement de la
protection sociale généralisée au Maroc que nous aborderons dans le présent article. A ce titre,
nous énonçons la problématique suivante : Avec quels modes de financement, la protection
sociale généralisée peut-elle être financée au Maroc ?

Pour pouvoir répondre à notre problématique de recherche, nous envisageons dans un premier
temps, de mobiliser une revue de littérature qui nous permettra de procéder à un benchmarking
entre les modes de financement de la protection sociale dans certains pays comme la France et
le Royaume-Uni, deux pays qui ont adopté deux modes de financement sensiblement opposés.
Dans un second temps et en nous appuyant sur cette étude comparative, nous exposerons le
mode d’organisation de la protection sociale au Maroc en mettant en exergue les orientations
fiscales susceptibles de financer cette protection sociale généralisée au Maroc et en soulignant
les limites que peut présenter ces différents modes de financement.

1. Etude Benchmarking des modes de financement de la protection sociale

1.1. Modèle Bismarckien

1.1.1. Organisation de la protection sociale en France

En 1945, juste après la seconde guerre mondiale, l’Etat français a institué un système de sécurité
sociale sur le modèle « Bismarckien »1 qui préconise une gestion par les partenaires sociaux et un
financement par les cotisations à la charge des employeurs et des salariés. D’ailleurs le préambule
de la Constitution de la IVème République de 1945, reconnaît le droit à tous les citoyens à
«la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

1
Prise en charge privilégiant une logique assurantielle où les prestations sont versées aux individus qui se
sont assurés et donc sur leur capacité à s’ouvrir des droits grâce à leur activité professionnelle.

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Lorsqu’on aborde le système de protection sociale en France, on parle surtout du « régime
général » qui couvre les salariés du secteur privé de l'industrie, du commerce et des services et
depuis 2018, ce régime général gère également les risques sociaux des indépendants (artisans,
industriels, commerçants et professions libérales non règlementées).

Quant aux fonctionnaires français en activité, ils cumulent des droits sociaux de deux natures
distinctes : droits à congé maladie et à congé pour invalidité temporaire imputable au statut
général des fonctionnaires avec l’octroi de prestations en espèces de sécurité sociale. Dans tous
les cas, ce sont les employeurs publics qui versent ces prestations en auto-assurance1.

Nous rappelons qu’à côté du Régime général, il existe le régime agricole, le régime des professions
libérales et de nombreux autres régimes spéciaux. Le régime général de la protection sociale en
France est organisé autour de cinq branches :
▪ La branche maladie, maternité, paternité, invalidité, décès ;
▪ La branche accidents du travail et maladies professionnelles gérées de manière
distincte par la Caisse nationale d'assurance maladie ;
▪ La branche vieillesse gérée par la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), pour
les pensions de retraite de base ;
▪ La branche famille gérée par la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) ;
▪ La branche recouvrement des cotisations sociales : pilotée par l'Urssaf qui assure, par
l'intermédiaire de caisses locales le recouvrement des cotisations sociales, patronales
et salariales ce qui permet le financent et le remboursement des soins médicaux, des
indemnités en cas d'arrêt maladie, de congés maternité ou d'accidents du travail ainsi
que le paiement des retraites de base et des allocations familiales des bénéficiaires du
régime général de la Sécurité sociale.

1.1.2. Financement de la protection sociale en France

Le régime général de sécurité sociale en France est financé à environ 80 % par les cotisations et
les contributions assises sur les rémunérations. Le tableau ci-dessous (figure 1) détaille la
ventilation de ces dernières.

1
Signifie que l’employeur assure ses agents contre les différents risques en supportent la charge financière
et en indemnisent lui-même ceux qui remplissent les conditions.

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Figure 1 : Financement de la protection sociale en France

Source : Commission des Comptes de la Sécurité sociale, juin 2021

On observe que le financement de la protection sociale en France, s’articule surtout autour des
prélèvements obligatoires à savoir :
• Les cotisations : sont calculées à partir de taux fixés à l'échelon national et sont à la charge
pour partie de l'employeur, et pour partie du salarié.
• Les impôts et taxes affectés (ITAF) : sont des prélèvements obligatoires explicitement
affectés au financement de la protection sociale, parmi lesquels la cotisation sociale
généralisée (CSG) qui représente à elle seule plus de la moitié des ITAF.
• La contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de
la dette sociale (CRDS) : sont prélevées sur les revenus d'activité, les revenus de
remplacement1, les revenus du patrimoine, les produits de placement et des jeux. Les
personnes résidant fiscalement en France sont soumises à la CRDS (0,5 %) et à la CSG selon
les taux suivants : 9,2 % sur leurs revenus d'activité, 6,2% sur leurs revenus de
remplacement (indemnités journalières de maladie, allocations de chômage, etc.).

Le tableau 1 ci-après permet d’appréhender les taux de prélèvements à la CSG, à la CRDS et à la


CASA.

1
Les revenus de remplacement sont des prestations sociales pour les personnes qui ont exercé une activité
professionnelle et qui ont versé des cotisations ouvrant droit à ces revenus en cas de cessation ou de
rupture de l’activité professionnelle. Ils permettent de faire face aux conséquences financières des
"risques sociaux" (maladie, invalidité, chômage...).

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Tableau 1 : Les taux de prélèvements
Revenu fiscal de référence 2020
Taux de prélèvements
(pour une seule part)
Inférieur ou égal à 11 431 € Aucun prélèvement
CSG au taux de 3,8 %
Compris entre 11 432 et 14 944 €
CRDS : 0,5 %
CSG au taux de 6,6 %
Compris entre 14 945 et 23 193 € CRDS :0,5 %
CASA : 0,3 %
CSG au taux plein de 8,3 %
Supérieur ou égal à 23 193 € CRDS :0,5 %
CASA : 0,3 %
Source : Commission des Comptes de la Sécurité sociale en France, juin 2021

L’étude du financement du système de protection sociale en France, révèle que ce sont surtout
les prélèvements obligatoires qui financent la protection sociale dans ce pays. Rappelons que le
taux de prélèvements obligatoires est défini comme l’ensemble des impôts et des cotisations
sociales effectives perçus par les administrations publiques, rapporté au PIB. A ce titre, il est
important de noter que les prélèvements obligatoires finançant la protection sociale représentent
30 % du PIB français en 2019.

Néanmoins, il faut noter que la sécurité sociale en France accuse un déficit important de l’ordre
de 38 milliards d’euros en 2020 et de 24,6 milliards d’euros en 2021. D’ailleurs, l’Etat français
cherche à réduire ce déficit pour le stabiliser à un niveau de 15 milliards d’euros en 2025, surtout
au niveau de la branche « maladie » qui, à elle seule, accuse un déficit de 19 milliards d'euros en
2021.

1.2. Modèle Beveridgien

1.2.1. Mode de fonctionnement de la protection sociale au Royaume -Uni

Le régime de la protection sociale au Royaume-Uni, diffère sensiblement du régime français. En


effet et historiquement, le système de protection sociale au Royaume Uni, est le résultat du
fameux rapport " social insurance and allied services " publié en 1942 par William Beveridge. On
parle alors d’un mode « Beveridgien » qui s’articule autour de quatre grands principes à savoir :
universalité, généralité, unicité, uniformité des prestations en espèces.

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De ce fait, la protection sociale au Royaume-Uni, comporte 3 branches :

Tableau 2 : Les braches de la protection sociale


▪ Branche d'allocations familiales (Family Allowance Scheme).
▪ Branche nationale de la santé (National Health Service, N.H.S.) financé par l'impôt, avec
gratuité des soins.
▪ Branche d’assurance nationale (National Insurance) octroyant la plupart des prestations
en espèces.
Source : Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS)

Néanmoins, le régime général de protection sociale au Royaume-Uni, fait la distinction entre les
prestations contributives qui sont généralement forfaitaires et les prestations non contributives
qui intéressent les personnes en situation de précarité et qui relèvent du régime dénommé
« Universal Credit » (le crédit universel).

Bien entendu dans notre article, nous allons uniquement nous intéresser au système de
protection sociale relatif à la branche santé et surtout au mode de financement de ce dernier.

1.2.2. Le financement de la protection sociale au Royaume -Uni

On observe que le mode de financement de la protection sociale au Royaume Uni, diffère selon
qu’il s’agisse de prestations en nature ou des prestations en espèce. Ainsi :
• Les prestations en nature : concernent la couverture du risque maladie en nature (soins
chez les médecins et dans les hôpitaux). Il s’agit donc d’une couverture universelle
dénommé « NHS ». Cette couverture est financée en majeure partie par l'impôt. De ce
fait, le patient qui réside au Royaume Uni, bénéfice des soins médicaux gratuitement, mais
à la condition se faire inscrire (sans attendre d'être malade), auprès d'un médecin
généraliste agréé par le NHS. L'inscription est sanctionnée par la délivrance d'une carte
d'identité médicale qui marque à la fois le droit d'être soigné par ce médecin et
l'impossibilité d'en consulter un autre, sauf urgence. Au Royaume Uni, on ne peut changer
de médecin que lors d'un déménagement ou avec l'accord du conseil médical dépendant
du N.H.S. Quant aux médicaments, une participation forfaitaire est exigée. D’ailleurs dans
ce pays, si un patient s'adresse à un médecin privé (non agrée par le NHS) il doit prendre
à sa charge la consultation sans pouvoir solliciter de remboursement. Concernant les
hospitalisations, celles-ci et sauf urgence, doivent avoir lieu après prescription médicale
et dans ce cas, le patient peut choisir l'hôpital agréé par le NHS dans lequel il souhaite
recevoir ses soins.

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• Les prestations en espèce : concernent l’invalidité, la vieillesse, le chômage. Ces
prestations sont financées par les cotisations sociales aussi bien salariales que patronales
et permettent le versement des prestations contributives à tout salarié en arrêt de
maladie qui après un délai de carence de trois jours, a droit à des indemnités journalières
de maladie. Le versement de ces indemnités est effectué par l'employeur qui se fait
ensuite rembourser par l'assurance nationale. Concernant les personnes qui ne
bénéficient pas des indemnités journalières de maladie (non-salariés, chômeurs, retraités,
personnes n'ayant pas suffisamment cotisé ou ayant des revenus faibles), elles peuvent
percevoir un forfait, directement versé par l'assurance nationale, pendant au maximum
28 semaines.

Par ailleurs il faut rappeler que la protection contre le risque accident du travail, le régime
d’assistance chômage et les prestations familiales sont financés par l’Etat.

Nous notons que le système de la protection sociale au Royaume Uni a représenté en 2017, 26,
3% du PIB, ce qui situe ce dernier, dans la moyenne européenne qui est de l’ordre de 27%. Le
déficit de la NHS en Angleterre s’élève à 30 milliards d’euros en 2021.

Lorsqu’on compare les deux modes de financement (bismarckien et Beveridgien) de la protection


sociale dans ces deux pays, on observe que ces deux systèmes présentent des déficits importants.
Par contre, au Royaume Uni le contrôle très strict imposé par l’Etat, réduit sensiblement la qualité
des soins et crée un système de protection à deux vitesses.

2. La protection sociale au Maroc

Nous rappelons d’abord que la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 prévoit que
toute personne a droit à la protection sociale, c’est-à-dire, un droit de se prémunir contre le
chômage, la maladie, l’invalidité, le veuvage, la vieillesse et toutes autres circonstances
indépendantes de sa volonté qui peuvent mener à la perte de ses moyens de subsistance.

Dès lors, on observe que l’objectif principale d’une couverture sociale généralisée est de pouvoir
réduire sensiblement la pauvreté. Cette protection et comme nous venons de l’étudier, peut se
réaliser à travers des régimes de protection contributifs (cotisations sociales) que non-contributifs
(assistance sociale) ou les deux à la fois.

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2.1. L’organisation actuelle de la protection sociale au Maroc et son mode de financement

Le système de protection sociale au Maroc actuel peut être qualifié de « Bismarckien » car basé
essentiellement sur un mode contributif (cotisations). Néanmoins, certains économistes comme
Gharbaoui (2021), considèrent que le mode de financement de la protection sociale au Maroc est
hybride car basé sur deux pôles :

Tableau 3 : Les pôles de financement de la protection sociale au Maroc


Les pôles de financement de la protection sociale au Maroc
Un pôle contributif Inclut un régime de base obligatoire (assurantiel) dont le
financement fait appel aux cotisations sociales des travailleurs et
des employeurs ainsi qu’à la règlementation. Il inclut également
l’imposition des prélèvements et autres paramètres du système,
qui sont des attributions étatiques. En outre, un régime
complémentaire, avec des assurances privées et une retraite
complémentaire est mis en place au bénéfice de ceux qui optent
pour une prestation retraite au-delà des plafonds du système de
base ;
Un pôle subsidiaire S’occupe de ceux qui n’ont pas accès à l’assurance sociale de base
contributive et qui ont besoin d'assistance et d’aide sociale. Ce
système est financé par le budget général de l’Etat.
Source : Elaboré par nos soins

A la lecture du système de protection sociale actuel au Maroc, on peut dire que ce dernier
présente de fortes inégalités quant à la manière dont les systèmes contributifs et non-contributifs
sont développés actuellement. Dans notre article nous allons justes nous intéresser à la
couverture maladie au Maroc.

2.1.1. Le système de couverture médicale au Maroc

Le mode de financement de la couverture médicale au Maroc est soumis à un double système de


financement :
▪ Un système contributif : C’est le système de base obligatoire (Assurance Maladie
Obligatoire – AMO) qui couvre 10,7 millions de personnes (2019). elle est gérée par la
CNSS pour le secteur privé, les indépendants et professions libérales, et par la CNOPS pour
les fonctionnaires de l’administration publique.
Or, on observe que même si on inclue l’AMO-étudiant, seuls 36% de marocains sont
couverts. Par ailleurs, on relève qu’au niveau du paiement des prestations, le « reste à
payer » reste élevé, ce qui va à l’encontre du principe de solidarité, de mutualisation et
d’unification, affirmé par la loi 65-00 sur la couverture médicale de base.

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▪ Système non-contributif : dénommé système « RAMED » qui peut être qualifié d’un
programme d’assistance médicale déployé en faveur des populations démunies. Il vise à
combler les insuffisances de l’AMO en termes de couverture, et a permis de couvrir près
de 10 millions de personnes supplémentaires. Signalons que le RAMED est accessible
gratuitement, offre une couverture des services de santé presque similaire à celle de
l’AMO, à condition de respecter la filière de soins qui doit commencer au centre de santé
de rattachement et se terminer, éventuellement, par le centre hospitalier universitaire
(CHU). On remarque que ce régime affiche un degré de progressivité plus élevé que les
autres régimes d’assurance maladie.
Par ailleurs, le système non contributif comporte aussi l’AMO pour les étudiants inscrits
dans les établissements universitaires publics.

A cet égard, de nombreuses critiques ont eté formulées à l’encontre des deux systèmes cités ci-
dessus. Ainsi au niveau de l’AMO les principales critiques concernent :

Tableau 4 : Critiques au niveau de l’AMO


▪ La faible couverture de l’AMO.
▪ Le problème des droits fermés
▪ Un reste à charge important (TNR dépassée ; des actes non-pris en charge ; des
médicaments non-remboursables ; recours de la majorité des assurés au secteur privé) ;
▪ La lenteur du processus d’intégration des caisses internes et assurances privées dans
l’AMO
▪ La différence des paramètres de l’AMO entre le public et le privé
▪ Les Défis de mise en œuvre de l’assurance maladie pour les indépendants et non-salariés.
Source : Elaboré par nos soins

Tableau 5 : Critiques au niveau du RAMED


▪ Le problème de ciblage : effet d’inclusion et d’exclusion.
▪ La multitude d’intervenants dans le processus avant la prise en charge effective.
▪ L’absence d’un système de facturation pour évaluer le coût réel.
▪ Les frais de pharmacie, d’analyses biologiques, etc., non pris en charge.
▪ Pas de distinction entre les maladies chroniques et autres pathologies.
▪ Coordination limitée entre les différents niveaux d’infrastructures engendrant des coûts
supplémentaires à la charge du patient
Source : Elaboré par nos soins

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D’ailleurs plusieurs études (CESE 2017) ont été menés sur le système de protection sociale au
Maroc et ont conclu que ce dernier ne repose pas sur une vision unifiée et coordonnée et que par
conséquent de mesures importantes doivent être prises par les autorités afin de :
▪ Restructurer le système de protection sociale et d’améliorer sa gouvernance globale.
▪ Rééquilibrer à long terme les fonds des régimes contributifs et harmoniser leurs
paramètres en cherchant l’unification des régimes de base et faire des efforts pour
accélérer les processus d’incorporation des indépendants et travailleurs non-salariés au
sein du régime contributif.
▪ Améliorer considérablement les systèmes informations sur la protection sociale afin
d’assurer le suivi et l’évaluation des et des programmes d’assistance sociale, ce qui
permettra la mise en place d’une protection sociale cohérente, performante, transparente
et efficace.

2.1.2. Le projet de protection sociale généralisée au Maroc

En tenant compte des défaillances que connait le système actuel de la protection sociale au Maroc
et dans l’objectif d’une grande réforme, le roi du Maroc a annoncé le 29 juillet 2020, le projet de
généralisation de la couverture sociale « Le moment est venu de lancer, au cours des cinq
prochaines années, le processus de généralisation de la couverture sociale au profit de tous les
Marocains. Ce projet requiert une réforme rigoureuse des systèmes et programmes sociaux ». Ce
colossal chantier social qui doit normalement s’étaler entre 2021 et 2025, permettra dans un
premier temps d’intégrer près de 22 millions de Marocains à la l’assurance maladie obligatoire,
tandis qu’une extension ou une généralisation de la retraite, des allocations familiales et de
l’indemnité pour perte d’emploi doit suivre.

A ce titre, le gouvernement a élaboré le 11 février 2021, un projet de loi-cadre relatif à la


protection sociale, adopté en Conseil des Ministres. Ce texte est décrit par un communiqué du
Cabinet Royal comme « la pierre angulaire et le cadre référentiel » de la réforme de la protection
sociale au Maroc. A cet effet, un calendrier indique une généralisation de la couverture santé en
2022, la généralisation des allocations familiales aura lieu quant à elle en 2023 et 2024. Par contre,
aucune date n’est fixée pour l’étape suivante, à savoir l’élargissement du système de retraite, la
généralisation de l’indemnité pour perte d’emploi.

Dans notre article nous aller uniquement nous intéresser au mode de financement de cette
protection sociale généralisé afin de préciser les points forts et faibles des différents choix.

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2.2. Financement du projet du projet de la protection sociale généralisé.

2.2.1. Les modes de financement

Tout d’abord, nous rappelons que ce faramineux chantier social devrait coûter 51 milliards de
dirhams par an à l’État d’ici à 2025. Par ailleurs et comme le précise Gharbaoui (2021) « le
transfert des Ramédistes au régime AMO constituera le point le plus critique car il risque de peser
lourdement sur le régime de la protection sociale dans son ensemble car la question qui se pose
est de savoir qui assumerait le financement de la couverture sociale de cette catégorie de la
population qui n’a pas le moyen de cotiser ».

Ce choix impose donc une logique subventionnelle où l’Etat assume en totalité ou en partie les
cotisations de cette population. En somme nous sommes en présence d’un système de
financement qu’on peut qualifier d’hybride car d’un côté, on aura :
• Un mécanisme d’affiliation qui va consister comme le précise Gharbaoui (2021) « en le
paiement à l’avance des droits d’affiliation par les assurés ou par des tiers en leur faveur ».
Il s’agit des cotisations dues en application des textes législatifs en vigueur et des droits
complémentaires appliqués par l’Etat sur certaines catégories professionnelles, dans le
cadre du régime de la Cotisation Professionnelle Unique.
• Un mécanisme basé sur le principe de la solidarité et qui accorde le droit aux personnes
n’ayant pas la capacité de cotiser de bénéficier de l’AMO et des allocations familiales. A
ce sujet, le projet de loi-cadre dispose dans son article 13 que ce mécanisme repose sur le
paiement à l’avance des droits par l’Etat en faveur de cette catégorie.

Le tableau ci-dessous, indique les sources de financement qui seront utilisées par l’Etat pour
financer la protection sociale généralisée au Maroc :

Tableau 6 : Les sources de financement


Les sources de financement
La part réservée du budget de l’Etat,
Les recettes fiscales réservées au financement de la protection sociale,
Les ressources disponibles suite à la réforme de la compensation
Les dons et legs,
Toutes les autres ressources qui peuvent être mobilisées en vertu de textes législatifs ou
réglementaires.
Source : Elaboré par nos soins

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Dans cet objectif et afin d’assurer une bonne coordination du projet, la loi cadre précise qu’une
instance sera désignée et sera responsable de e mener à bien les dispositions prévues dans le
projet de la protection sociale généralisée. Il s’agit donc d’un outil de pilotage qui permet de
suivre l’exécution de la réforme et d’organiser les interventions des différentes parties
prenantes.

2.2.2. Résultats de l’exploration des modes de financement de la protection sociale


au Maroc

A la lecture détaillée des deux modes de financement (cotisations et impôt), on peut dire que le
projet de protection sociale généralisée au Maroc, est structuré autour de deux archétypes : le
modèle « bismarckien » et le modèle « beveridgien », le premier faisant appel aux cotisations et
donc aux prélèvements obligatoires et le second dépend presque exclusivement du financement
par le budget de l’Etat. Or, si nous voulons aborder les différentes limites que présente ces deux
modes de financement, nous devons tout d’abord rappeler que notre étude benchmarking sur le
système de protection sociale aussi bien en France (mode bismarckien) qu’au Royaume Uni
(mode « beveridgien ») a montré que ces deux pays, enregistrent un déficit important au niveau
de leur système de protection sociale.

Ainsi, le système bismarckien basé sur les cotisations présente des défaillances importantes que
nous présentons en cinq points :
• Au niveau des cotisations salariales en général, celles-ci supposent une certaine
dynamique favorable de la masse salariale dans le pays et donc une activité économique
soutenue et un nombre important de salariés soumis aux prélèvements obligatoires. Or,
l’économie marocaine à l’instar de nombreuses économies mondiales, subit un
fléchissement important lié en particulier aux crises successives (Covid, crise Ukrainienne,
tensions politiques, augmentation des matières premières,) ce qui se répercute
négativement sur le recrutement et affecte ipso facto la quantité de la masse salariale
soumise à ces prélèvements obligatoires.
• Le niveau des salaires au Maroc reste modeste, ce qui a un impact important sur le taux
des cotisations dans la mesure où de nombreux salariés se trouvent exclus du champ
d’application de ces prélèvements obligatoires.
• Lorsque l’Etat opte pour un niveau élevé des cotisations salariales, ces prélèvements ont
tendance à affecter le pouvoir d’achat des citoyens. Or comme le précise Zemmour et
Théret, « lorsque le pouvoir d’achat dégringole, la production, l’investissement et l’emploi
en subissent les conséquences ce qui a une incidence notoire sur la masse salariale
concernée par les cotisations ». En d’autres termes, un niveau élevé de cotisations

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salariales réduirait à fortiori le montant global de la part salariale consacré à la protection
sociale et obligerait l’Etat à prendre en charge une partie le financement de cette
protection, ce qui alourdira son budget général de fonctionnement.
• Un niveau élevé des cotisations de la « part patronale » pour la protection sociale
augmenterait significativement le coût du travail et affecterait l’emploi. Ce coût élevé du
travail encouragerait indirectement le développement du sous-emploi, voire du travail
dissimulé (travail au noir), ce qui ne ferait que marginaliser un peu plus une partie de la
population qu’on cherche paradoxalement à protéger et remettrait bien entendu en cause
l’efficacité de la couverture sociale généralisée.
• Un autre point important à prendre en considération dans l’avenir est celui du
vieillissement de la population au Maroc. En effet, le HCP1 a publié une étude faisant état
d'une augmentation de la part des séniors dans la population, cette part a quasiment
doublé de 2004 à 2021. D’ailleurs, d’après cette étude, cet élan devrait se poursuivre dans
les années à venir. Or lorsqu’une population vieillit, les cotisations salariales ont tendance
à baisser puisque les jeunes actifs sont moins nombreux. Ce vieillissement de la population
-s’il se confirme dans l’avenir-, pousserait probablement le pays à faire appel à la main
d’œuvre étrangère aussi bien pour son activité économique que pour maintenir sa
protection sociale. Rappelons que cette situation est subie de plein fouet par des pays
comme l’Allemagne.

Quant au système beveridgien qui repose essentiellement sur une logique de solidarité laissant
par conséquent à l’Etat le soin de financer le système de protection sociale. Il s’agit d’un système
de nature étatique financé essentiellement par l’impôt. Certes ce mode de financement présente
l’avantage d’assurer la couverture sociale à toute la population en leur donnant des droits égaux.

Néanmoins on peut observer trois limites importantes :


• Le système beveridgien basé sur le financement de la protection sociale par l’impôt
semble plus approprié lorsque le pays connait une stabilité économique et une croissance
continuelle, car dans ce cas, les recettes fiscales sont importantes et l’Etat peut aisément
financer la protection sociale. Par contre lorsque les pays traversent des crises
économiques importantes et incessantes (comme c’est le cas actuellement), ce système
beveridgien a tendance à alourdir le budget de l’Etat consacré non seulement à la
protection sociale, mais aussi le budget total de fonctionnement (Education nationale,
infrastructures, ect). Or, un niveau d’impôt élevé a tendance à freiner l’activité
économique et affecte les investissements et l’emploi ce qui réduit sensiblement
l’efficacité de la protection sociale.

1
Haut Comissariat au Plan.

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• Le système beveridgien implique un contrôle strict des dépenses de l’Etat pour éviter les
dérapages possibles. Or ce contrôle, à l’instar de ce qui se pratique en Angleterre, engage
une grande responsabilité des pouvoirs publics dans l’organisation de la distribution des
soins aux patients et donne la primauté au secteur public des soins. Ainsi et à titre
d’exemple, en Angleterre, ce système beveridgien impose aux patients un « médecin de
quartier » et rend presque impossible la liberté de changer de praticien, car dans le cas
contraire, le patient n’est plus couvert. Ce contrôle impacte directement la qualité des
soins.
• Devant les difficultés financières (déficits budgétaires importants et incessants ) que
rencontrent les Etats qui ont adopté le système beveridgien de la protection sociale, on
constate de plus en plus, un retrait fonctionnel de l’administration du système des soins,
une certaine décentralisation qui vise à encourager des prestataires privés (assurances
privées à l’instar du système adopté aux USA) à remplir le rôle de la protection sociale, ce
qui crée indirectement un système de santé à deux vitesses : d’un côté ceux qui disposent
des moyens financiers leur permettant d’adhérer à ces assurances privées et choisir par
conséquent leurs médecins et disposer d’une qualité de soins élevée et de l’autre côté,
une partie de la population qui se trouve dans l’obligation de se soumettre aux directives
imposés par la logique « administrative » du système de protection sociale, supportant
ainsi, une certaine bureaucratie caractérisée par une grande lenteur ( plusieurs mois
d’attente en Angleterre pour avoir un rendez-vous avec un spécialiste ou se faire opérer).

Conclusion et perspectives :

L’ampleur des déficits qu’enregistre le système de protection sociale en France (mode


bismarckien), pousse de nombreux auteurs comme le sociologue Barbier (2020) ou encore les
économistes Zemmour et Théret (2021), à proposer un changement radical dans les modes de
financement de la protection sociale en France en encourageant le gouvernement français à
passer du modèle basée sur une gestion paritaire, au modèle « beveridgien » qui privilégie une
couverture minime mais universelle, avec un financement supporté par l’Etat. Ce choix conduirait
selon ces auteurs, à réduire significativement le déficit incessant de la sécurité sociale en France.
Cependant, le modèle « beveridgien », n'est pas non plus exempt de critiques car il engendre
durant les périodes de crises économiques, un dérapage important pour ne pas dire
« phénoménal » du budget général de l’Etat, sans oublier les lacunes que présente ce modèle
comme le manque de liberté des citoyens dans le choix des praticiens, la lenteur bureaucratique,
une protection à deux vitesses, etc. Cette observation montre en réalité qu’il n’existe pas un
système « idéal » ou un système « sans failles » dédiée à la protection sociale.

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En choisissant de généraliser la protection sociale, le Maroc doit tenir compte non seulement des
failles de ces deux modes de financement, mais aussi de la conjoncture économique nationale et
mondiale qui pourrait affecter aussi bien les cotisations sociales (salariales et patronales) que le
financement basé sur l’impôt.

Certes, nous notons que pour financer en partie la protection sociale généralisée, la loi de finance
(LDF) de 2021 a instauré une contribution sociale de solidarité à laquelle était soumis aussi bien
les entreprises (soumises à l’I.S.) que les revenus des personnes physiques. Mais la LDF de 2022 a
supprimé la contribution pour les personnes physiques disposant de revenus salariaux, agricoles
ou fonciers ; ne faisant que reconduire cette contribution pour les personnes morales soumises à
l’impôt sur les sociétés (IS) et pour les personnes physiques et morales disposant de revenus
professionnels selon le régime du revenu net réel. Voilà qui risque de réduire sensiblement la
contribution de la CSS dans le financement de la protection sociale généralisée. Pourtant le cout
total estimé de la protection sociale généralisée est estimé à 51 milliards de dirhams
annuellement et qu’à fin octobre 2021, la contribution sociale de solidarité sur les bénéfices et
les revenus, instituée par la loi de finances 2021, n’a rapporté que 3,8 MMDH imputés au compte
d’affectation spéciale intitulé « Fonds d'appui à la protection sociale et à la cohésion sociale »
(TGR, 2021).

Or, les lourds déficits qu’enregistrent les budgets sociaux à travers le monde, poussent certains
chercheurs comme Monnier (2021), à proposer un système de financement par la TVA qui serait
selon cet auteur, le moyen le plus efficace pour financer la protection sociale, car cette TVA
demeure un impôt « indolore » et rentable. Dès lors, une partie du financement de ce projet,
serait prélevée sur les dépenses de consommation. Or, cette proposition qui semble à premier
abord intéressante, soulève à son tour de nombreuses objections dans la mesure où elle pourrait
entrainer une baisse de la consommation et donc de l’activité économique et amplifierait l’idée
selon laquelle la TVA est un impôt injuste, puisqu’elle pénalise les ménages à revenus modestes,
ceux que paradoxalement l’Etat cherche à protéger !

Dans cette perspective, de nombreux économistes et fiscalistes comme Oubouali (2021)1


appellent à « une réelle réforme fiscale pour combler le fossé entre les recettes fiscales et les
dépenses de l’Etat ». En effet, ces auteurs pensent qu’une fiscalité mal adaptée, pourrait remettre
en question la pérennité de la protection sociale généralisée au Maroc.

En somme si le système de protection sociale généralisée au Maroc, peut être considérée comme
une révolution sociale qui poursuit quatre nobles objectifs : garantir la dignité du citoyen, soutenir

1
Cité par Jaidani.C, (2021).

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le pouvoir d'achat des plus larges catégories sociales, protéger les couches sociales vulnérables
et instaurer la justice sociale, il n’en demeure pas moins que les modes de financement choisis,
la conjoncture économique nationale et internationale et la refonte du système d’information
(statistiques) sont les garants réels de la viabilité de cette protection sociale généralisée.

Bibliographie :
Barbier, J.C., Zemmour, M., Théret, B. (2021), Le système français de protection sociale, Editions
la Découverte,
Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS), (2021), Le régime
britannique de sécurité sociale, rapport 2021,
https://www.cleiss.fr/docs/regimes/regime_royaumeuni_s.html.
Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS), (2021), le régime
français de la protection sociale, rapport 2021,
https://www.cleiss.fr/docs/regimes/regime_france_index.html.
Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) (2020), La protection sociale au Maroc
Revue, bilan et renforcement des systèmes de sécurité et d’assistance sociales, Auto-Saisine
n°34/2018, http://www.cese.ma/media/2020/10/Rapport-La-protection-sociale-au-Maroc.pdf.
Gharbaoui, H. (2021), Généralisation de la pr otection sociale : Le détail du projet de
loi-cadre, article paru dans le journal Mediaş 24 du 12 /02/2021 .
Gharbaoui, H., (2021), Protection sociale : voici le détail des décrets adoptés, revue Mediaş 24,
article paru le 1 novembre 2021.
Jaidani, C. (2021), Réforme fiscale : le prochain gouvernement aura du pain sur la planche, revue
Finances News, article paru le 16 juillet 2021.
Monnier, J.M., (2021), Financement de la protection sociale par la TVA, perspectives et limites,
Université de Zurich (Suisse), mai 2021
Organisation internationale de travail (OIT) (2017), Rapport mondial sur la protection sociale
2017-2019 : Protection sociale universelle pour atteindre les objectifs de développement durable,
Genève, Bureau international du Travail, https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---
dgreports/---dcomm/documents/publication/wcms_624892.pdf.
Organisation internationale de travail (OIT) (2019), Construire des systèmes de protection sociale:
Normes internationales et instruments relatifs aux droits humains, Troisième édition 2021,
Edition Genève: BIT.
Organisation internationale de travail (OIT) (2020), Focus sur la protection sociale : Les réponses
de la protection sociale à la pandémie de COVID-19 dans les pays en développement : Renforcer
la résilience grâce à la mise en place d'une protection sociale universelle”. Note de synthèse de
l’OIT,https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_protect/---
soc_sec/documents/publication/wcms_747844.pdf

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Trésorerie Générale du Royaume (TGR) (2021), Bulletin mensuel de statistiques des finances
publiques, Octobre 2021, publié par la Trésorerie Générale du Royaume.
Universal Social Protection (2019), “Ensemble pour une protection sociale universelle d’ici 2030
Universal Social Protection: (2019), “Key Concepts and International Framework”. Social
Protection for All Issue Brief 2019b.
Vasselle, A. (2017). Mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale (MECSS) de la
commission des affaires sociales, Sénat, rapport d’information, 31 octobre 2017.

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