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Par une décision du 21 février 2023, le Cour de cassation rappelle que « commet
sciemment le délit de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, le
donneur d’ordre qui ne vérifie pas, lorsque l’entreprise dont il utilise les services est établie
dans un autre État membre de l’Union européenne, que cette dernière est en mesure de fournir
les certificats de détachement A1 ». Dès lors, on constate que l’évolution du cadre juridique
européen en matière de travail détaché entraîne directement des effets sur les droits
fondamentaux des administrés, notamment sous l’impulsion de la révision de la directive sur
le travail détaché datant de 2018.
Le détachement des travailleurs est un type de mobilité de la main d’œuvre permettant
d’assurer la «libre circulation des services» (un des piliers du marché unique). D’un point de
vue juridique, un « travailleur détaché » (statut défini par la directive de 1996) désigne « un
salarié envoyé par son employeur dans un autre État membre en vue d’y fournir un service à
titre temporaire, dans le cadre d’un contrat de services, d’un détachement intragroupe ou d'un
travail intérimaire. » (Commission de l’Union européenne). Il s’agit donc d’un travail qui ne
dure pas sur le long terme et qui doit permettre de répondre à un enjeu précis pour une
entreprise ou une organisation. Le détachement au niveau européen dans le cadre d’une
mobilité intragroupe implique une relation entre deux entreprises d’un même groupe dans
deux Etats membres différents, sans qu’il n’existe nécessairement de contrat. Il s’agit alors
d’un prêt de main-d’œuvre transnational –qui devra rester sans but lucratif pour ne pas tomber
dans le champ du délit du marchandage en France- et qui pourra notamment avoir pour objet
la réalisation d’une mission, d’une période de formation etc. En garantissant une concurrence
loyale et le respect des droits des travailleurs détachés, la législation de la Communauté
européenne détermine un cadre précis qui permet aux entreprises et aux travailleurs de tirer le
meilleur parti des possibilités offertes par le marché intérieur.
Le travail détaché a augmenté significativement au sein de l’Union européenne ces
dernières années. En France, le travail détaché a augmenté de 64% en 2017 contre 46% en
2016. Le cadre juridique applicable en matière de travail détaché a évolué, devenant plus
précis. Ainsi, la directive 96/71/CE de 1996 a été modifiée par la directive 2018/957 du
Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne du 28 juin 2018 dont la
transposition en France est prévue par la loi 2018-771 du 5 septembre 2018.
Dans quelle mesure l’évolution du cadre juridique s’agissant du travail détaché permet
de garantir une protection des droits fondamentaux des administrés et quelles sont les
limites ?
Afin de répondre aux enjeux soulevés par la problématique, il s’agira de présenter les
causes et les conséquences de l’adoption de la directive du 28 juin 2018 (I) et d’expliquer
quels sont les enjeux juridiques qui demeurent en matière de travail détaché aujourd’hui (II).
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GARATE Camille M1 Droit Economique
Règlement Européen du 17 juin 2008 prévoit que le contrat de travail est régi par la loi choisie
par les parties et, qu’à défaut de choix explicite de leur part, la loi applicable au contrat de
travail sera la loi du pays où le travailleur accomplit habituellement son travail, même s’il est
détaché à titre temporaire dans un autre pays. Il prévoit cependant que, peu importe la loi
choisie par les parties, l’Etat d’accueil peut imposer certaines de ses règles à une relation de
travail en principe soumise à un autre droit, à condition que ces règles aient le caractère de
« lois de police » (définies comme étant des dispositions impératives de la loi d'un pays
applicables quelle que soit la loi régissant la situation). C’est dans ce cadre que s’inscrit la
révision de la directive de 2018 : elle vise à garantir que les travailleurs détachés bénéficient
durant leur occupation à l’étranger des normes minimales en vigueur ainsi que des clauses
minimales prévues dans les conventions collectives déclarées d’application générale dans
l’Etat membre où ils sont détachés (l’Etat d’accueil). Pour ce faire, la directive de 2018 élargit
le champ du « noyau dur » de règles impératives, pour renforcer la sécurité juridique des
travailleurs détachés, en faisant entrer dans le champ d’application trois nouveaux objets, sur
les conditions d’hébergement des travailleurs détachés, la rémunération visée au lieu du
salaire minimum légal de l’Etat d’accueil, ainsi que des allocations permettant de couvrir les
dépenses des travailleurs détachés lors de leur voyage. La directive prévoit également que
l’application des règles du pays d’accueil des travailleurs détachés peut toutefois être écartée
lorsque l’application de ces règles n’apparaît pas opportune, car ni proportionnée ni nécessaire
à la protection des travailleurs concernés, alors qu’ils bénéficiaient déjà d’une protection
sociale dans leur pays d’origine. En effet, lorsque le socle de règles du pays d’accueil est
moins favorable que celui en vigueur dans le pays d’origine, ce sont ces dernières qui
s’appliquent. La directive de 2018 affirme que le « noyau dur » des règles impératives
minimales protectrices ne fait pas obstacle à l’application de conditions plus favorables.
l’établissement et au paiement des cotisations sociales en France, alors que les salariés
affectés à l’activité de ces compagnies aériennes sur le territoire français étaient munis de
certificats de détachement délivrés par les organismes de Sécurité sociale anglais et espagnol
(ils avaient donc la qualité de travailleurs détachés). Quelle force juridique s’attache à ces
certificats lorsqu’ils sont produits en France par les entreprises étrangères lors d’un contrôle,
et sont-ils opposables de façon absolue au juge national français, avec, en arrière-plan
immédiat, les pratiques éventuelles de dumping social ? Les juges du fond avaient considéré
que les salariés des compagnies Easy Jet et Vueling, eu égard à leurs conditions d’emploi sur
le territoire français, ne pouvaient pas avoir la qualité de détachés et que les cotisations
sociales devaient être versées en France, et considère alors la nullité des certificats de
détachement. Les juges ont retenu le critère de l’absence de déclaration sociale de ces
travailleurs pour identifier une situation de travail dissimulé, malgré la présence des
certificats. La Cour de cassation confirme
que l’absence de déclaration sociale constitue une infraction de travail dissimulé, et s’appuie
sur la règle selon laquelle la vérification du respect de l’ordre public ne peut empêcher le juge
pénal de constater une infraction à la loi. Ainsi, dans le cadre de la constatation d’une
infraction, les certificats de détachement sont dès lors nuls. Cette décision s’écarte du droit
communautaire, pour pouvoir condamner plus facilement la création d’un établissement
en France pour obtenir un marché, qui n’est entretenu que par des travailleurs détachés munis
de certificat de détachement. De même, des groupes internationaux utilisent la mobilité
internationale de leurs salariés dans leurs établissements en France, sous couvert de certificats
de détachement, pour pouvoir s’exonérer du paiement des cotisations sociales. Dans ces cas-
là, la jurisprudence communautaire n’a plus force de loi, malgré la présentation d’un certificat
de détachement. La Cour de Cassation durcit donc sa position concernant les abus et les
fraudes, avec pour objectif une lutte efficace contre le dumping social causé par les
entreprises étrangères.
2. La directive de 2018 permet une plus grande égalité entre les travailleurs détachés et les
travailleurs locaux
Selon une étude d’Eurostat en 2016, les coûts horaires de la main-d’œuvre (coûts
salariaux et non salariaux) oscillent entre 4,1 et 41,3€ (plus faibles en Roumanie, Bulgarie,
plus élevés au Danemark, Belgique). Le coût moyen est de 25€ dans l’UE et 29,5 dans la zone
euro, mais avec des différences importantes entre les Etats membres. De plus, les lacunes dans
la législation européenne en matière de détachement laissées par la directive de 1996 ont pu
aboutir à des conditions de travail portant atteinte à la dignité humaine, faisant du travailleur
détaché une victime collatérale d’entreprises véreuses voulant optimiser leur profit dans un
climat fiscal plus favorable. Face à l’augmentation du travail détaché, la directive choisit de
privilégier la sécurité juridique et mieux protéger le travailleur détaché à long-terme, illustré
par la notion de « noyau dur étendu ». De nouvelles mesures sont donc introduites par la
directive. Après la durée de détachement maximale de 12 mois, la directive prévoit une
possibilité pour le détaché de revendiquer l’application de la législation du travail de l’Etat
d’accueil si elle est plus favorable au travailleur. Les travailleurs détachés sont également
traités de la même manière que les travailleurs locaux, comme prévu par la loi ou par des
conventions collectives, en termes de rémunérations. Cette égalité de rémunération concerne
également les primes, qui sont désormais comprises dans le respect des conventions
collectives, avec les collègues du pays d’accueil. La révision de la directive cherche donc à
instaurer une égalité de traitement entre les travailleurs intérimaires locaux et détachés, avec
un alignement de la législation actuelle sur le travail intérimaire au niveau national.
Cet objectif d’égalité entre travailleurs est de plus en plus pris en compte par la CJUE,
avec l’arrêt Bouygues du 14 mai 2020. Il énonce que l’opposabilité du certificat de
détachement, délivré à un salarié en mobilité transnationale, en application de textes
communautaires spécifiques à la sécurité sociale, n’a pas d’incidence et de conséquence sur
les obligations sociales de l’employeur de ce salarié qui résultent du droit du travail, telle la
déclaration préalable à l’embauche.
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II. Malgré les avancées apportées par la directive de 2018, des obstacles demeurent à la
parfaite coordination des législations des États membres en matière de travail détaché et
notamment pour le transport routier
A. Le renforcement de la coopération entre États membres et la coordination des législations
nationales est nécessaire
1. La création d’une Autorité européenne du travail répond partiellement au renforcement de
la coopération entre EM
Toutefois, cette autorité rencontre des limites. Elle ne dispose pas d'un pouvoir
exécutif pour soumettre les États membres au respect de la législation européenne en matière
de droit du travail et de sécurité sociale. Elle n'a donc pas le pouvoir de réglementer les
conditions de travail dans les États membres. Elle est plutôt chargée d'assister les autorités
nationales dans la mise en œuvre de la législation européenne existante. De surcroît, la
coopération entre les États membres et l'AET est basée sur une volonté de coopérer et
d'échanger des informations. Ainsi, l’AET ne peut pas obliger les États membres à coopérer et
à fournir des informations, bien qu'il existe des mécanismes de contrôle et de sanctions en cas
de non-respect des obligations européennes. Enfin, l'AET ne peut pas se substituer les
systèmes de sécurité sociale nationaux existants. Son rôle est plutôt de faciliter la coordination
entre ces systèmes pour garantir que les travailleurs mobiles bénéficient des droits et des
protections auxquels ils ont droit. Pour être pleinement efficace, l’AET doit plutôt travailler
en étroite collaboration avec les autorités nationales pour s'assurer que la législation est
correctement appliquée.
2. Une plus grande coordination des régimes de sécurité sociale serait souhaitable mais reste
complexe à mettre en œuvre
La directive de 2018 affirme l’importance de l’égalité de traitement entre les
travailleurs détachés. Néanmoins, à cause de l’hétérogénéité des sources de droit applicable,
les réponses de ces instruments en ce qui concerne le régime juridique des travailleurs
détachés sont différentes en fonction des 2 champs du droit social, car le droit du travail et le
droit de la sécurité sociale ne s’appliquent pas de la même façon. Ainsi, la directive établit
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que les conditions minimales de travail relèvent du pays d’accueil mais maintiennent
l’affiliation du travailleur détaché au régime de sécurité de l’Etat d’envoi.
D’autres limites peuvent être pris en compte : CJUE, 8 décembre 2020, Hongrie c/
Parlement européen et Conseil de l'Union européenne, aff. C-620/18 (désaccords dans l’UE)
B. Le transport routier n’est pas suffisamment inclus dans la directive de 2018 alors que les
enjeux sociaux, économiques et environnementaux de cette activité sont nombreux
1. Le paquet mobilité prévoit les dispositions relatives au travail détaché dans les transports
routiers
Le secteur des transports de passagers et de marchandises n’est pas concerné par la
révision de la directive. L’Espagne a notamment demandé que ce secteur soit exempté du
travail détaché. Pour l’instant c’est donc la directive de 1996 qui s’applique en la matière.
En l’absence d’accord entre les Etats membres, de nouvelles dispositions ont toutefois
été introduites, par le Paquet mobilité, présenté par la Commission de l’UE en 2017. Ce
dernier intervient après le règlement 561/2006 sur l’amélioration des conditions de travail des
transporteurs routiers et la sécurité routières