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BILLET
C
ertes le débat sur la dette qui va à nouveau secouer les États-Unis dans les
prochains mois semble n’être que l’onde de choc d’une crise financière de
2008 qui n’a jamais été résolue, la poussière ayant été mise sous le tapis.
Certes tous les pays industrialisés connaissent ce débat. Mais une évidence a surgi,
qu’il est inconséquent d’ignorer : les États-Unis vont faire défaut à leur dette mais
surtout à leur rôle de locomotive, et la seule question est désormais de savoir quand.
Il est vrai que, en cette fin d’année 2013, le Trésor américain est autorisé à
emprunter jusqu’au 7 février prochain, et l’État fédéral est financé jusqu’au 15 janvier.
Mais après ? Le déficit public sera encore de 800 milliards en 2014 et au mieux
de 600 milliards en 2018, et encore si la croissance atteint 4 % par an. La balance
des paiements enregistre un déficit de l’ordre de 500 milliards par an depuis plus de
dix ans. Le plafond autorisé de la dette va donc être franchi quels que soient les relè-
vements votés. La crise peut recommencer dès le début de l’année prochaine, et plus
sûrement le 1er octobre prochain, premier jour de la nouvelle année fiscale, en pleine
campagne électorale, moment où les élus comptent leurs troupes.
La grande prédation
Et ils sont entrés dans un processus de survie. Car s’ils vont faire défaut,
c’est aussi et surtout parce qu’ils savent mieux que quiconque que leur sous-
productivité ne leur permettra jamais de rembourser la dette abyssale qu’ils ont
accumulée depuis le milieu des années 1970, lorsqu’ils ne firent pas les mêmes
efforts de productivité que le reste des pays industrialisés. Ils font semblant de faire
de la croissance dans une économie subventionnée à tous les étages : c’est un Plan
Marshall à l’envers. Cette croissance n’est tirée que par la production de dollars, ce
qui permet de gaspiller davantage de richesses qu’il ne s’en crée.
Et tout le monde triche, parce que personne ne peut envisager que la loco-
motive du monde n’en soit pas une. C’est comme au Monopoly, les après-midis
pluvieux de vacances bretonnes : il arrive un moment où la petite sœur n’a plus de
quoi acheter l’hôtel de l’avenue Mozart, alors on lui fait une avance pour que le jeu
continue, qu’il fait trop froid pour aller se baigner et qu’on est déjà allé à la crêpe-
rie hier. C’est à peu près ce que dénonce Charles de Gaulle dès février 1965 : « Le
fait que de nombreux États acceptent des dollars pour compenser les déficits que
présente à leur profit la balance américaine des paiements, amène les États-Unis à
s’endetter gratuitement vis-à-vis de l’étranger, avec des dollars qu’il ne tient qu’à
eux d’émettre, et alors que le dollar est un moyen de crédit approprié à un État ».
2
TRIBUNE
D’où vient alors que ceux qui passent la Grèce en coupe réglée au nom du
respect des critères de Maastricht, supplient dans le même temps les États-Unis de
laisser filer leur déficit et de relever le plafond de leur endettement ? « Un
Schpountz n’est pas un idiot, il raisonne parfaitement sur toute chose, il a même du
bon sens, sauf en ce qui concerne l’Amérique », fait dire Marcel Pagnol, au début
du film, à un de ses personnages, à un mot près, bien sûr. Il y a dans nos élites une
véritable addiction à l’Amérique, on ne sait plus faire sans elle, et on ne lui connaît
pas de méthadone de substitution.
Mais un jour tout va s’arrêter. « C’est le mal des empires, écrivait Jean
Giraudoux dans Sodome et Gomorrhe. Tout se rue sur l’empire, de la chenille à
l’ennemi héréditaire et aux hypothèques de Dieu. Le mal surgit là même d’où il
était délogé pour toujours, et les fleuves tournent, les armées tournent, le sang et
l’or tournent, et il ne reste plus que la faillite, la honte, un visage d’enfant crispé
de famine, une femme folle qui hurle, et la mort ».
Et cette fois-ci, de manière totalement prévisible, ce sont les Américains
eux-mêmes qui vont dire : ça suffit !