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Éditorial

Eva Mouial-Bassilana
Professeur à l’université de Nice-Sophia
Antipolis, GREDEG-CREDECO,
CNRS UMR 7321

Droit des sociétés et bien commun


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epuis quelques années, le droit des sociétés est l’objet de modifications
législatives qui provoquent des réactions passionnées, tant au sein de la
doctrine universitaire que du patronat. Augmentation du nombre de
femmes dans les conseils d’administration (L. n° 2011-103, 27 janv. 2011), essor de
la RSE ou encore devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses
d’ordre (L. n° 2017-399, 27 mars 2017), ont fait naître agacement et inquiétudes.
La violence des débats autour de ces questions souligne en creux leur dimension
philosophique, voire morale. La conception même du droit (des sociétés) est en jeu.
Dans l’actuel contexte de mondialisation, de prise en compte du défi climatique,
de moralisation de la vie publique, de protection des personnes vulnérables, le droit
des sociétés ne peut rester hermétique. « Droit post-moderne » privilégiant réalisme
et efficacité (Couret A. in BJS mai 2015, n° 113k9, p. 213), le droit des sociétés
semble devoir en outre promouvoir certaines valeurs. Les sociétés, assimilées rapi-
dement aux « entreprises » dans les médias, ont un rôle à jouer dans la cité, sur-
tout lorsque leur puissance économique est avérée. Les pouvoirs publics semblent
déterminés à passer à la vitesse supérieure dans le cadre de la future loi sur le plan
d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) annoncée
pour avril 2018.
Le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, s’est exprimé
le 11 décembre 2017 devant le Medef, évoquant notamment l’évolution de l’objet
social des entreprises, « qui ne peut plus être le simple profit, sans considération
aucune pour les femmes et les hommes qui travaillent, sans regard sur les désordres
environnementaux » et annonçant une « réforme, qui nous conduira vraisemblable-
ment à modifier le Code civil ». La modification symbolique de ses articles 1832
et 1833, réclamée par certains depuis quelques années, semble ainsi à même de se
concrétiser. Le risque de contentieux autour de la gestion des sociétés souligné par
le Medef, l’Afep et l’Ansa existe certes mais ne saurait empêcher toute évolution.
La réflexion est nourrie déjà par de nombreux travaux dont celui du Collège des
Bernardins depuis 2009. De grands patrons tel que le président du groupe Danone,
Emmanuel Faber, ont pu exprimer de longue date leur soutien à l’idée d’utilité
sociale de l’entreprise. Les exemples dans les législations étrangères ne manquent
pas. Au Royaume-Uni, le Companies Act de 2006 prévoit en sa controversée sec-
tion 172 consacrée aux devoirs du dirigeant en vue de « promouvoir le succès de la
société » notamment la prise en compte des impacts environnementaux des activités
ou encore des parties prenantes tels que les clients, les salariés, les fournisseurs et
autres. Dans le cadre de la loi PACTE, une mission « Entreprise et bien commun »
a été confiée à l’ancienne secrétaire de la CFDT, Nicole Notat, et au président
du groupe Michelin, Jean-Dominique Sénard. Après consultation un rapport sera
remis d’ici le 1er mars 2018. Plusieurs pistes pourraient être envisagées : créer un sta-
tut pour des « entreprises de mission », équivalent français des Benefit Corporations
et Public Benefit Corporations américaines (qui combineraient recherche du profit
et préservation du bien commun) ; favoriser les investissements de long terme par
la modification des règles de distribution des dividendes ; inciter fiscalement les
investissements vers des entreprises « responsables », etc.
Le défi du droit des sociétés pour les années à venir est donc de trouver les meilleurs
compromis entre la nécessité de préserver la possibilité pour les sociétés de faire du
profit tout en les amenant à s’impliquer activement dans les grands enjeux socié-
taux. Le « bien commun » dans tous les sens du terme…
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Bulletin Joly Sociétés • Mars 2018 125

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