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SYMPTÔME ET MAISON VERTE

Bernard This

De Boeck Supérieur | « Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de


réseaux »

2002/2 no 29 | pages 203 à 211


ISSN 1372-8202
ISBN 2804138712
DOI 10.3917/ctf.029.0203
Article disponible en ligne à l'adresse :
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familiale-2002-2-page-203.htm
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Symptôme et Maison Verte

Bernard This1

Si le symptôme s’écrit avec un accent circonflexe, c’est pour rappeler


que ce mot vient du grec : « Sun-piptô » – « tomber ensemble ». Il y a de la
chute, de la « ptose » dans ce mot, et « ensemble » indique la synchronisation
de la chute, donc fait référence au temps, alors que la « Maison Verte »
indique le lieu.
À la « Maison Verte », qu’en est-il du symptôme ? Comment
l’accueillons-nous ? « Lieu d’accueil de l’enfant et de ses parents », la
« Maison Verte » n’existe que depuis 1979, date précise de cette temporalité
de lieu et d’espace offert à l’expression du symptôme.
En titrant « Symptôme et Maison Verte », nous pourrions laisser
entendre qu’il s’agit, ici, d’étudier cette « Maison Verte » comme
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« symptôme » d’un moment de l’histoire humaine où l’on s’est mis à écouter
l’enfant dans son « dire », dans ce qu’il pouvait exprimer de sa souffrance,
de ses difficultés. La « Maison Verte » fait symptôme, est un symptôme du
malaise de notre civilisation.
En mettant l’accent sur la temporalité du symptôme, nous accentuons
le phénomène du déplacement d’un lieu à un autre, de l’espace familial à
l’espace social, spécifié sous cette appellation « Maison Verte » : une
maison, mais pourquoi est-elle « verte » ? Allant de sa maison à la « Maison
Verte », « ouverte », celle qui nous est commune, l’enfant « arrive » dans ce
lieu où il est accueilli : son prénom est énoncé, répété, chanté, inscrit au
tableau des prénoms. Et quand il s’en va, quand il se sépare de « nous », il
conserve son prénom qui a été chanté, ainsi que son identité sexuée, reconnue
par tous.
Qui est ce « nous », première personne du pluriel, qui accueille
l’enfant et sa famille, son père ou sa mère, mais aussi bien son grand-père ou
sa grand-mère ? « Nous », c’est l’équipe des accueillants : un homme et une
femme, le plus souvent un homme et deux femmes ou deux femmes et un
homme. Mais il arrive aussi qu’ils soient quatre, ce qui pose tout de suite le

1. Psychanalyste, Paris.
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problème de leurs relations. Pourquoi sont-ils ici, que font-ils, que se passe-
t-il entre eux. Dire qu’ils accueillent, c’est indiquer qu’ils n’agissent pas, ne
commandent pas au nom de leur « bon vouloir », de leur fantaisie, de leurs
caprices. Une éthique préside à cette « rencontre ».
Prenons un simple exemple : un enfant s’est installé sur « son »
camion et veut rejoindre sa mère qui se trouve dans la pièce à côté, là où les
parents sont assis, avec les tout petits au milieu, allongés ou assis sur le tapis.
Pour que les camions ne viennent pas jouer aux auto-tamponneuses avec les
tout petits, « nous » avons posé, convenu, édicté une règle dite de la « ligne
rouge », cette « séparation » de la pièce où ils peuvent se servir des camions
et autres engins de locomotion, pièce qui, par une double porte maintenue
toujours ouverte, « communique » avec la pièce plus intime où l’on peut se
reposer, jouer de façon plus paisible.
La séparation est indiquée par un « ruban rouge » collé sur le sol, et
c’est comme ça, ici, à la « Maison Verte », « les camions ne dépassent pas
la ligne rouge ». Mais évidemment, les enfants ne l’entendent pas toujours
ainsi. Certains veulent tra-verser, trans-gresser, dépasser l’interdit, et ils ne
se gênent pas pour s’empresser de rejoindre leur père ou leur mère, tout fiers
de montrer leur mobilité. Alors que se passe-t-il ? La règle de fonctionnement
est rappelée : « Tu vois, ici, les camions restent de l’autre côté, et tous les
enfants qui veulent jouer avec les camions sont dans cette pièce. Mais si tu
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veux rejoindre ta maman, tu peux y aller, en laissant le camion au garage,
ici ».
La règle est énoncée calmement, d’un ton amical mais assuré,
s’adressant aux parents et à l’enfant, et en général, elle est acceptée. L’enfant
fait comme tous les autres, il intériorise la règle, et ça ne fait pas de
problèmes. Mais parfois, cette règle est refusée, l’enfant insiste, veut passer,
reste sur la ligne attendant que l’accueillante disparaisse pour s’introduire
sur le lieu « interdit ». C’est Annie ou Simone ou Mathilde, qui vient rappeler
la règle, mais l’observation nous montre que les garçons, plus que les filles,
réagissent à la parole d’une femme en s’opposant : « Je suis un Mec, moi !
Et ce n’est pas une “ bonne femme ” qui va m’interdire de faire ce que je
veux ! ».
Si j’observe le manège, il me suffit le plus souvent de tousser
légèrement, de racler le fond de ma gorge ou de me lever en regardant
l’enfant, pour que tout rentre dans l’ordre. « Bon, il est d’accord avec elle !
Acceptons cette règle pour l’instant ! ».
Parfois, l’opposition est manifeste, l’enfant refuse énergiquement. En
ce cas, je m’approche de l’enfant, « force tranquille », je m’accroupis à sa
hauteur, et j’explique, en m’amusant, pourquoi nous avons pensé qu’il
convenait de réserver la rue à la circulation des autos et des camions, le
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trottoir étant réservé aux piétons, ceux qui sont « à pieds ». On se ferait
écraser ! Et tu comprends, ça ne serait pas amusant, n’est-ce pas Monsieur !
Quand tu rentres dans ta maison ou ton appartement, tu laisses ta voiture au
garage ou dans la rue, tu ne l’emmènes pas au 10e étage ! L’humour suffit le
plus souvent, et l’enfant que j’ai touché en plaçant ma main sur son épaule,
accepte cette parole d’homme. Il ne deviendra pas une femme en se
soumettant à cette règle qui est valable pour tous, hommes et femmes.
C’est comme ça, ici, chez nous, à la Maison Verte ! Chez toi, si tu
voulais dormir dans ton camion, tu pourrais essayer de le monter au dernier
étage, mais ce serait difficile, impossible ! Ce « nous » offert à l’enfant,
implique les hommes autant que les femmes, chaque enfant pouvant
s’identifier à un accueillant ou une accueillante, selon « le génie de son
sexe », pour reprendre l’expression de Françoise Dolto.
Rarement, certains enfants refusent énergiquement de se soumettre à
la règle. Trépignant de colère, ils révèlent leur difficulté d’être « un parmi
d’autres », appliquant une même règle. L’enfant « tyran » veut imposer sa
loi, et le plus souvent, sa mère est débordée. L’enfant-roi adulé, choyé,
jamais contrarié, est en difficulté à la Maison Verte, car il ne peut y faire « la
pluie et le beau temps ». S’il veut y séjourner, il accepte de ne pas « faire la
loi », en se conformant à la règle.
Un jour, un enfant de deux ans et demi, venu pour la première fois,
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s’était opposé à la règle de la ligne rouge, énoncée par Annie, et je m’étais
levé pour lui expliquer mon point de vue sur la question, mais « cause
toujours ! » : il me regardait droit dans les yeux, et mon pied devait s’opposer
à l’avancée du camion. Il était déterminé à ne tenir aucun compte de mes
paroles. D’ailleurs, il ne me voyait pas, regardant derrière moi. Je me suis
retourné et j’ai vu une femme souriante, qui paraissait s’amuser de cette
situation :
– Je l’ai toujours habitué à ne pas se laisser faire, à ne pas se soumettre à tous
les ordres !
– Eh bien, ça ne doit pas être rose tous les jours !
– Ah, ne m’en parlez pas !
– Si, justement ! Il a un père à la maison ?
– Non, il n’a pas de papa !
– Il ne dit « papa » à personne ?
– Si, à mon frère !
Vous le voyez, les choses se compliquaient. Je m’étais relevé pour
parler à cette femme et j’avais quelque peu délaissé l’enfant qui, abandonnant
le camion, était entré dans la grande pièce, et tout de suite avait pris une
timbale, l’avait remplie d’eau et était venue la boire sous mes yeux, ignorant
la règle du jeu d’eau : « On ne transporte pas l’eau partout, à travers la pièce.
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On met un tablier pour jouer à l’eau ». Ayant bu toute l’eau, il était reparti
sans que je puisse verbaliser quoique ce soit au sujet de cette deuxième règle.
Je me rendais bien compte qu’il s’agissait d’un enfant « en difficulté », sa
mère n’étant pas simple, se réjouissant de l’affrontement pour s’en plaindre
ensuite. Mais l’enfant, comme du vif-argent, était revenu avec sa timbale
remplie d’eau, et sous mes yeux, l’avait renversée par terre. « Tu vois, ici, on
ne renverse pas de l’eau partout. On joue à l’eau là-bas en mettant un tablier.
Attendez-moi ici, je reviens avec une éponge pour enlever l’eau répandue ».
Je suis revenu avec une serpillière que j’ai placée dans ses mains, et une
éponge dont je me suis servi. Sa mère voulait prendre sa place pour « réparer
les dégâts ». « Non, c’est lui qui a renversé l’eau, c’est lui qui s’occupe de
tout ça ! Tiens, tu m’aides pour qu’on ne glisse pas sur le plancher ».
Voyant que je n’étais pas fâché, il est parti à l’autre bout de la pièce,
là où il avait repéré un berceau, et il a pris ma main pour m’entraîner de ce
côté. Il s’est allongé dans le berceau trop petit pour lui, mais qu’importe. Il
m’attira vers lui ; j’étais penché sur lui, à genoux. Il a pris ma tête pour que
je m’approche de sa tête, tout près de lui, et j’ai déposé un baiser sur son front.
Il s’est alors tourné vers sa mère qui nous avait suivis, et il a attiré son visage
près du sien : elle lui a donné un « petit bisou » en souriant. À ce moment,
il a rapproché nos deux têtes, et j’ai donné à cette jeune femme le bisou qu’il
attendait. Elle n’a pas osé me le rendre, mais l’essentiel venait de se jouer.
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Il s’est relevé, tout souriant, disant : « Viens Maman, c’est fini ! ».
Son opposition avait disparu, il était devenu un garçon aimable et
sociable, comme tous les autres. Ce qu’il attendait, était-ce simplement
qu’un homme se penche sur lui tendrement, trinifiant2 avec sa mère cette
relation affective qui lui avait si cruellement fait défaut ? Mathilde parla
longuement avec cette mère, étonnée de ce renversement imprévu de la
situation : il avait voulu dépasser la limite, il avait renversé de l’eau et s’était
retrouvé dans un berceau pour y être accueilli par un homme et une femme.
Drôle de naissance à la Maison Verte !
Ce jour-là, une mère est venue occuper mon attention. Je ne la
connaissais pas, mais elle m’a dit : « Bernard, je peux vous parler ? ». Elle
s’est assise, m’a invité à prendre place à côté d’elle et tout de suite m’a parlé
de son fils : « Pendant les vacances, il ne pouvait plus parler, il n’achevait pas
ses phrases, il bégayait. Et pourtant nous étions avec lui, son père et moi !
Cela m’inquiète ». « Oui », me suis-je contenté de dire, mais je n’ai pas
demandé ce qui s’était passé. J’attendais, mon silence signifiait : « Allez-y,
osez, risquez, parlez jusqu’au bout de ce que vous avez à dire ! Il y a sûrement
quelque chose qui vous dépassera et vous étonnera ».
2. Établissant une structure ternaire, à trois personnes (communication de l’auteur),
NDLR.
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Je n’ai rien dit de tout cela, mais l’inattendu, l’étranger, l’étonnant est
venu faire irruption : tout à coup, l’enfant est venu prendre sa mère par la
main : « Viens maman ! ». « Non, je parle avec Bernard, je veux lui parler ! ».
Comme elle ne voulait manifestement pas venir, je lui ai dit : « Ta maman
est en train de me parler de toi et de tes difficultés à parler ». Il m’a regardé
droit dans les yeux, et il a pris ma main pour m’emmener dans l’autre pièce.
Et là, il s’est installé sur un camion ; il avait découvert que son camion
pouvait faire du bruit : « Brrbrrroum ». « Tu es un conducteur de camion et
ton camion fait un bruit terrible ! ». Il s’est alors arrêté devant moi. « Tu veux
que je fasse le plein d’essence. Du normal ou du super ? Du sans plomb, c’est
mieux ! Bon, voilà, ça fait 100 francs, Monsieur ! »
J’ai tendu la main, il a tapé dans ma main pour me payer. J’ai
dit : « Merci Monsieur » et il est reparti, tout content et tout fier. Il ne m’avait
rien dit, il avait seulement joué avec moi. Accueillir, c’est aussi jouer, être
vivant, animer l’imaginaire.
Je suis revenu près de sa mère : « Formidable, votre enfant. Il est plein
de répartie et de bonheur de vivre ». Et cette femme, en souriant m’a dit :
« Oui, mais pourquoi n’achève-t-il pas ses phrases ? » Je l’ai regardée et tout
à coup, j’ai réalisé : elle est enceinte. Elle m’a regardé, je lui ai
demandé : « C’est pour quand ? » « Pour bientôt ! »
Est-ce que cela suffisait pour cet enfant bégaye ? Elle m’a aussitôt
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posé cette question : « Mais c’est à cause de ça ? ». « Peut-être,... mais aussi
peut-être pour d’autres raisons que je ne connais pas ». « Qu’est-ce que vous
voulez dire ? » « Je ne sais pas ». « Mais, j’ai déjà perdu une petite Alice ».
Il y avait donc un enfant mort dont on ne parlait pas. Pour cet enfant vivant,
le camionneur, les pulsions agressives, le désir de rentrer dedans, de faire
disparaître le bébé, tout cela était horriblement culpabilisé, puisque c’était
déjà ce qui avait fait mourir la petite Alice, le fantôme de cette famille, celle
dont on ne parlait pas, celle qui n’avait pas achevé ses phrases. Il s’agissait
donc d’en parler, nous en avons parlé. Mais des mots, des mots, cela ne
suffisait pas, des larmes ont coulé, l’émotion maternelle s’exprimait dans la
proximité affective de ma présence. C’est à ce moment que Paul est revenu
près de sa maman. « Et lui, comment le sécuriser ? ». « Comme ça,
précisément ! ». Paul était venu dans les bras de sa mère qui l’avait accueilli,
joue contre joue, jouant son rôle de thérapeute de sa mère. « Voilà, il suffit
d’être avec lui, en accompagnant son rythme respiratoire, en chantonnant
son prénom : « Papa, Maman et Paul ! Maman, Papa et Paul ! Un câlin tendre
ne demande rien, ne fait rien, simplement être-avec ».
J’aurais pu expliquer à cette mère que l’amour ne donne rien en chose
mais tout en cœur, et que « rien » c’est « res-non », la négation de la chose,
mais Paul ne m’en a pas laissé le temps, il a quitté les bras de sa mère pour
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aller jouer ailleurs. Et comme un enfant, avec son camion, avait franchi la
ligne rouge, je suis allé rappeler à l’impétrant que la ligne rouge était comme
la séparation du trottoir et de la rue. « Pour être en sécurité et ne pas se faire
écraser par les camions, il vaut mieux marcher sur le trottoir ! »
Annie lui avait déjà expliqué tout cela, je ne faisais que « paterner »,
confirmer son « dire ». J’en ai profité pour lui signaler que la maman de Paul
était en difficulté : deuil douloureux d’une petite fille morte. Pourquoi lui ai-
je « passé le ballon », lui parlant de ce que la mère de Paul m’avait dit ? Je
ne tenais pas à être le dépositaire exclusif de cette souffrance, je voulais
qu’elle soit paterno-maternée, en ce lieu. Annie a pu parler avec cette mère,
et Simone est venue, elle aussi, un peu plus tard, en fin de journée. Elle m’a
dit : « On est bien, c’est… la paix du soir ». Elle me rappelait cette phrase,
prononcée par Lacan, dans son Séminaire, et nous avons convenu que notre
journée avait été bien remplie.
Vous le voyez, c’est un simple exemple de disponibilité : l’enfant est
accueilli comme une personne, un être parlant, surtout s’il ne parle pas.
L’enfant, sa famille, l’inconscient. Pour nous, la découverte freudienne de
l’inconscient éclaire la position de l’enfant par rapport au désir de l’Autre.
L’enfant symptôme et témoin du « Malaise dans la famille » et « dans la
civilisation » s’exprime à sa façon, pour manifester sa souffrance et celle de
ses parents, mais pour répondre, nous ne possédons pas un « savoir » fondé
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sur la psychologie du développement de l’être. Les parents font appel à notre
« savoir », mais il n’y a pas de réponse toute faite, elle sera fournie que par
le sujet lui-même, dans une rencontre non maîtrisable, non calculable, qui se
présente comme contingente, soumise à un part de hasard, dont il se
démontre ensuite qu’il était nécessaire.
Un dernier exemple emprunté à la « Maison Verte » nous montrera
comment le symptôme de l’enfant s’inscrit dans la dynamique familiale : un
père me téléphone, un soir, très inquiet, voulant me rencontrer rapidement
parce que son fils âgé de deux ans et demi ne peut plus « aller à la selle »,
constipation depuis plus d’un mois, avec suppositoires ; des lavements sont
prescrits par le médecin, si ça continue. Bref, un cycle infernal qui empoisonne
la vie de la famille. Ne pouvant le recevoir chez moi, je ne peux que lui dire :
– Venez demain avec votre fils vers quinze heures, à la Maison Verte, 13
rue Meilhac. Ce n’est pas une consultation, mais nous pourrons parler de
tout ce qui arrive dans la vie de votre enfant.
– Je peux venir avec ma femme qui est enceinte de six mois maintenant ?
– Bien sûr ! Venez avec elle et avec votre fils ,…
et comme ce père m’apparaît très inquiet, j’ajoute :
– Rassurez-vous, ça ne me paraît pas très grave, ça peut même s’arranger
rapidement, je pense.
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Le lendemain, à quinze heures, ils arrivent et je les accueille, le garçon


s’appelle Gabriel, c’est un bon gamin intimidé, qui me regarde avec ses
grands yeux étonnés, comme s’il me demandait : « Qu’est-ce qui m’arrive ? ».
Il s’est assis entre père et mère, et j’apprends que tout a commencé, il y a
quelques mois : « Il faut que je vous dise que ma femme a fait une première
fausse-couche, et quelques mois plus tard… » À ce moment le téléphone
sonne et Mathilde, à l’autre bout de la pièce, m’appelle : « C’est pour toi ! ».
En prenant le téléphone, au passage, j’ai le temps de lui dire : « Il y a là, des
parents qui ont quelque chose à te dire, concernant la constipation opiniâtre
de leur fils, après une deuxième fausse-couche ». Mathilde me sourit,
comme si elle savait d’avance, ayant bien vu que la maman était bien
enceinte.
Elle prend donc le relais, pour apprendre qu’après une première
fausse-couche, une deuxième a suivi. Cette jeune femme était encore très
émue, endolorie, en l’évoquant, et des larmes sont venues, discrètement,
souligner cette souffrance. Et son mari a même précisé : « Elle était si triste
que Gabriel a dit : « Ne pleure pas, maman, je les ferai tes bébés ! »
Ce que Mathilde lui a dit, je n’en sais rien, mais quand je suis revenu
auprès de cette famille, elle parlait à l’enfant de ce que “ jamais un enfant ne
poussait dans le ventre d’un garçon » et j’ai alors ajouté : « Jamais ta maman
n’aurait eu le plaisir de te mettre au monde, si ton papa ne lui avait pas donné
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tout ce qu’il faut pour que tu sois un beau petit garçon ». Tout fier, il m’a
regardé en souriant, et il est parti jouer avec les autres enfants, escaladant
l’échelle, sautant, dansant, ayant récupéré sa motricité et la liberté de ses
membres inférieurs. Le soir, Mathilde m’a dit : – Tu m’as fait un beau
cadeau ! Tu savais ?
– Non, mais je m’en doutais, j’avais ma petite idée. Et tu as compris tout de
suite, puisque tu souriais dès que j’ai parlé de constipation .
Il s’agissait d’inviter l’enfant à ne pas se tromper d’échelles, à ne pas
grimper sur l’échelle de « l’allant-devenant-femme », non conforme au
« génie de son sexe ». « Castration primaire » disait Françoise Dolto, mais
j’ai préféré parler de son « devenir homme » en valorisant la fonction
paternelle, ouvrant ainsi la porte de l’avenir. C’est comme si nous lui avions
dit : « Mais pourquoi grimper sur l’échelle des femmes ? Tu es un homme
toi ! » et ça avait suffi. Une solide poignée de main du père, au moment du
départ, tout heureux de ce « coup de main » donné à son garçon, et le
lendemain, comme prévu, un coup de téléphone m’annonçait que la
constipation avait disparu.
Vous voyez par cet exemple l’utilité du travail ensemble, « un homme
et une femme » qui s’entendent, se font signe sans parler ou à « demi-mot »,
et tout autour, d’autres parents, d’autres enfants qui jouent et s’amusent…
210 Bernard This

grimpant à l’échelle, par exemple. Et vous constatez que pour faire disparaître
ce symptôme, nous n’avons fait usage d’aucun médicament, nous n’avons
pas fait appel à l’intelligence de l’enfant, en lui disant que la constipation est,
étymologiquement, à partir du latin « constipatio » - « l’action de
resserrer »,… en langage militaire, l’action de « serrer les rangs » - « se
concentrer », le latin « stipere » signifiant « rendre rigide, raide, compact ».
Il ne venait pas pour s’instruire, nous n’étions pas en classe de latin, mais il
convenait de comprendre ce qui se disait dans ce symptôme.
« Sym-ptôma » – « ce qui tombe avec », en même temps, ensemble –
le dictionnaire en fait « une marque, un présage, un signe, un indice qui
révèle et permet de prévoir une évolution », mais un symptôme est plus
qu’un signe qui « représente quelque chose pour quelqu’un ». Quand vous
voyez de la fumée, c’est le signe, pour vous, qu’il y a du feu quelque part.
Pourquoi cet accent circonflexe, ce chapeau posé sur le « Ô » de symptôme ?
C’est pour nous rappeler l’histoire de ce mot grec « piptein » - « tomber » –
mot qui implique un rebondissement de la chute, de la « ptose », dans le mot
lui-même, puisque la racine « Pt » y est redoublée.
Dans le symptôme, quelque chose insiste. Et nous nous fions à la
lettre, au signifiant en tant que débarrassé du sens, en accueillant le « discours
de l’inconscient » à la Maison Verte, ce « lieu d’accueil des signifiants ».
Qu’est-ce que l’inconscient ? C’est ce qui, dans le sujet, l’amène à « se fier
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aux mots », à mettre en mots, à parler librement. C’est à ça que nous invitons
tout humain, à la Maison Verte : allez-y, faites confiance aux mots, jusqu’à
ce qu’ils vous fassent défaut, pour s’accomplir ailleurs.
Dans un premier temps, « ça parle » d’un garçon de deux ans et demi,
d’une fausse-couche, c’est-à-dire d’une naissance qui n’a pas eu lieu (« ab-
ortus » - avortement), sans lieu d’accueil, donc d’un enfant privé de naissance,
et ça insiste, deuxième fausse-couche, double chute, alors jaillis cette
parole : « Je les ferais tes bébés ! » Dépassé, décontenancé, l’enfant ne
comprend pas « qu’est-ce qui m’arrive ? Aidez-moi, je ne maîtrise plus
rien ! » Déchéance, destitution subjective. Au « je les ferais tes bébés ! »
s’oppose cette constipation inattendue. « J’en souffre… et je ne sais
pourquoi ! » Un symptôme est apparu, qui insiste, ne cessant de s’écrire dans
le corps de cet enfant, dans le réel de son ventre, dans ces parties de lui, qui
ne peuvent plus partir, quitter son digestif, parce que la digestion est
confondue avec la gestation (« gero » – c’est porter dedans, dans le ventre
ou dans l’utérus, mais « fero » – c’est porter sur la tête, les bras, le dos).
Dans le « transfert », nous devenons « partenaires-symptôme », nous
« prenons part », nous « tenons » notre rôle dans cette « partie » qui se joue
entre ce qui ne cesse de se répéter, « c’est plus fort que moi », les exigences
du symptôme, et l’accueil des signifiants (tout ce qui fait signe) produits par
Symptôme et Maison Verte 211

l’enfant, mais entendus par nous, notre éthique étant, dans notre « laboratoire »,
de faire travailler ceux qui viennent nous parler, et qui découvriront, comme
une poésie, qu’il est possible d’entendre autrement, dans l’équivoque, en
brisant les usages de la langue, en vidant la parole de ses sens, pour se
décoller des identifications aliénantes. Sans nourrir le sens, sans faire usage
de quelques suggestions, ce qui est le propre de toute thérapie, nous tentons
d’être « poètes », assez, pour faire basculer le « discours Maître » de
l’inconscient, qui s’inverse en « discours de l’analyse », quand le « signifiant
S1 » quitte sa position de Maîtrise, et chute à la place de ce qui est « produit »
par le sujet ($) alors que l’analyste, se faisant ainsi « cause du désir », en
place de semblant, objet « a », est propulsé à la place de l’agent, indispensable,
qui préside à cette transformation : « Wo es war, soll Ich werden », « là
où c’était » le « plus de jouir » répétitif, « “Je” dois advenir », j’ai la
possibilité de devenir, je suis appelé à naître.
Morsure du symbolique dans le champ du réel, le symptôme témoignait
d’un désaccord avec le monde, et l’angoisse, morsure du réel dans le champ
de l’imaginaire, venait perturber l’existence de l’enfant. Il convenait
d’accueillir l’enfant et sa famille pour que s’expriment les signifiants qui les
déterminaient à leur insu, l’inconscient c’est cela. Mais le réel, c’est aussi
tout ce qui ne peut se dire avec des mots, toutes ces engrammations qui
doivent s’exprimer autrement, ce qui suppose inventivité et disponibilité de
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la part de l’ensemble des analystes.

Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux – n° 29, 2002/2

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