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Collection fondée par Michel BOUVIER


Directeurs de collection :
Michel BOUVIER, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Laurent RICHER, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
PR ATI QU E
Les transformations de l’État se font en très grande partie dans le cadre de la
décentralisation des collectivités territoriales. Les finances locales se trouvent
donc au cœur des changements et des processus de régulation. Elles sont Michel BOUVIER
aujourd’hui particulièrement concernées par la nécessité impérieuse d’assainir
l’ensemble des finances publiques, et l’autonomie financière des collectivités
territoriales, reconnue par la Constitution, prend des formes tout à fait inédites.
Ainsi, les finances locales sont-elles prises dans un mouvement inexorable qui

Les finances
les conduit vers une nécessaire reformulation de leurs procédures et de leurs
techniques. Ce sont les mutations du modèle financier local, et finalement de la
décentralisation, que cet ouvrage s’attache à décrire.
Ce livre s’adresse à un public désireux de connaître l’essentiel des mécanismes

locales
présidant à la gestion financière locale et de comprendre le sens des mutations
qui la traversent.

Professeur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Michel BOUVIER


y a créé le Master « Droit et gestion des finances publiques ». Auteur de plusieurs
ouvrages, il a fondé et dirige la Revue française de finances publiques. Il est

Les finances locales


président-fondateur de FONDAFIP (association pour la Fondation internationale
de finances publiques, www.fondafip.org). Il est membre de l’Observatoire des 18e édition
finances et de la gestion publique locales du Comité des finances locales et
du Comité consultatif d’orientation du Conseil de normalisation des comptes
publics. Il est expert international et avocat au barreau de Paris.

M. BOUVIER

www.lgdj-editions.fr

ISBN 978-2-275-07782-6
24 €

Magenta Yellow Black


Michel Bouvier
Professeur émérite de l’Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne

Les finances
locales
18e édition
Du même auteur
M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, Le système communal : État actuel et perspectives de la
gestion financière locale, préf. de P. Lalumière, LGDJ, 1981.
M. BOUVIER et alii (sous la dir. de), Solidarités locales, LGDJ, 1986.
M. BOUVIER, L’État sans politique, préf. de G. Vedel, LGDJ, 1986.
M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, L’administration fiscale en France, PUF, collection « Que
sais-je ? », 1988.
M. BOUVIER (sous la dir. de), Réforme des finances publiques, démocratie et bonne gou-
vernance, LGDJ, 2004.
M. BOUVIER (sous la dir. de), Innovations, créations et transformations en finances publi-
ques, LGDJ, 2006.
M. BOUVIER (sous la dir. de), Réforme des finances publiques : la conduite du change-
ment, LGDJ, 2007.
M. BOUVIER (sous la dir. de), La bonne gouvernance des finances publiques dans le
monde, LGDJ, 2009.
M. BOUVIER, A. BARILARI, La LOLF, une nouvelle gouvernance financière de l’État, LGDJ,
collection « Systèmes », 3e éd., 2010.
M. BOUVIER (sous la dir. de), La nouvelle administration financière et fiscale, LGDJ, 2011.
M. BOUVIER (sous la dir. de), La cohérence des finances publiques au Maroc et en France,
LGDJ, 2012.
M. BOUVIER (sous la dir. de), La transparence des finances publiques : vers un nouveau
modèle, LGDJ, 2013.
M. BOUVIER (sous la dir. de), Quel pilotage des réformes en finances publiques au Maroc
et en France ?, LGDJ, 2014.
M. BOUVIER (sous la dir. de), L’État territorial au Maroc et en France, LGDJ, 2015.
M. BOUVIER (sous la dir. de), La gouvernance financière des villes, LGDJ, 2016.
M. BOUVIER, (sous la dir. de), Pouvoir politique et finances publiques, LGDJ, 2017.
M. BOUVIER (sous la dir.), Finances publiques et souveraineté des États, LGDJ, 2018.
M. BOUVIER, M.-C. ESCLASSAN, J.-P. LASSALE, Finances publiques, LGDJ, collection
« Manuels », 19e éd., 2020.
M. BOUVIER (dir.), Finances publiques et justice sociale, LGDJ, 2019.
M. BOUVIER, L’impôt sans le citoyen ? LGDJ, coll. Forum, 2019.
M. BOUVIER, Introduction au droit fiscal et à la théorie de l’impôt, LGDJ, collection « Sys-
tèmes », 14e éd., 2020

© 2020, LGDJ, Lextenso


1, Parvis de La Défense
92044 Paris La Défense Cedex
www.lgdj-editions.fr
ISBN 978-2-275-07782-6
ISSN 0987-9927
Sommaire

CHAPITRE 1
Une nouvelle gouvernance financière locale............................................. 7

CHAPITRE 2
Le financement par le contribuable : l’impôt ............................................ 55

CHAPITRE 3
Le financement par concours de l’État : les subventions ...................... 137

CHAPITRE 4
Le financement par les institutions bancaires : l’emprunt .................... 183

CHAPITRE 5
Le financement de l’action locale par la gestion du patrimoine
et des services .................................................................................................. 199

CHAPITRE 6
Contrôle et régulation de la décision et de la gestion financière
locale ................................................................................................................... 223

Conclusion .......................................................................................................... 263

Bibliographie ...................................................................................................... 265


Chapitre 1
Une nouvelle gouvernance
financière locale

On retiendra liminairement ce fait sans doute essentiel pour toute étude


de finances publiques : l’État parlementaire s’étant construit en France
autour de l’élaboration d’un droit budgétaire, l’éclat de la démocratie est
intimement lié à un projet de transparence financière de ses institutions.
Aussi est-on en présence d’un champ qui, étroitement lié dès ses origines
à la question de l’équilibre des pouvoirs, s’est toujours situé au cœur des
changements du système politique. C’est d’ailleurs ce que soulignait très
explicitement G. Jèze lorsqu’il écrivait que « faire abstraction du facteur
politique, c’est tenir pour négligeable ce fait historique que de tout temps,
la plupart des grandes réformes politiques ou sociales ont eu des causes
financières et que de très importants problèmes financiers ont été posés
et résolus sous l’influence de causes politiques »1.
Si l’on observe les transformations de l’État de ces quarante dernières
années et non plus celles qui l’ont affecté aux XVIIIe et XIXe siècles, il ressort
que celles-ci se sont précisément faites, au départ, dans le cadre de la
décentralisation et de la responsabilisation financière des collectivités terri-
toriales. Ce sont bien cette fois les finances publiques locales qui se sont
trouvées placées au cœur même du dispositif de changement et la réforme
budgétaire engagée avec la loi organique du 1er août 20012 a poursuivi cette
logique de responsabilisation avec pour objectif de la faire pénétrer au cœur
de l’État.
On peut dire que les finances locales se présentent à maints égards
comme un parfait révélateur des évolutions que connaissent les sociétés
contemporaines. Elles apparaissent tout d’abord comme l’un des éléments
essentiels pour juger de l’accomplissement de la réforme de décentralisa-
tion engagée en 1982, relancée en 2003, en 2009, en 2010 puis en 2014-2015
et 2020. Elles mettent aussi en évidence la distance qui peut exister entre
les discours tenus et la réalité. Mais leur perspective est plus large. Partie
intégrante des finances publiques, les finances locales ont été et restent tra-
versées par les nombreuses mutations intervenues dans ce champ plus

1. G. Jèze, Cours de finances publiques, Giard, 1925.


2. Cf. M. Bouvier, A. Barilari, La LOLF, une nouvelle gouvernance financière de l’État, LGDJ, coll.
« Systèmes », 3e éd., 2010.

7
Les finances locales

particulièrement depuis la fin des années 1970. Aussi doit-on souligner d’en-
trée que les finances locales ne se situent pas seulement au centre d’un
processus de transformation des structures locales ; celui-ci concerne
plus globalement les structures de l’État ainsi que celles du marché écono-
mique et financier.
On accordera que parmi les bouleversements ayant affecté le champ
local tout au long des quatre dernières décennies, les lois de décentralisa-
tion ont toujours été des moments forts de cette période. Néanmoins, sur le
seul terrain financier public, il faut observer que plutôt qu’éléments fonda-
teurs d’une nouvelle configuration, ces lois ont davantage constitué une
étape dans un processus de recomposition en réseaux3 des institutions et
circuits économiques et financiers locaux et nationaux, un processus déjà
présent dans la société française et déterminé par une libéralisation des
institutions ainsi que du marché économique et financier.
Issue d’un double mouvement, un retrait de l’État et un élargissement
corrélatif de l’espace d’intervention des initiatives locales publiques et pri-
vées, une telle recomposition est celle qui résulte d’une connexion plus
étroite entre organismes du secteur public et du secteur privé et dans
laquelle les multiples rapports qui se nouent en viennent à former de véri-
tables systèmes, dépassant les cadres habituels de fonctionnement.
De fait, l’on peut constater que depuis quelques années, les ponts se
sont multipliés entre sphère publique et sphère privée ; des partenariats se
sont instaurés, des relations se sont établies, qui forment aujourd’hui un
ensemble aux ramifications particulièrement étendues. D’autre part, une
multitude d’acteurs interviennent dans un tel cadre, non seulement les
communes, les départements, les régions et leurs établissements publics,
l’État ainsi que les autorités déconcentrées de celui-ci, mais aussi des
sociétés d’économie mixte, des sociétés locales, des associations, des grou-
pements d’intérêt public, des entreprises, des banques, sans oublier les
liens avec les institutions financières européennes voire internationales.
On se trouve véritablement en présence d’un ensemble structuré en
réseaux, auquel nolens volens, toute collectivité territoriale se trouve
connectée dès lors qu’elle accède ne serait-ce qu’à un seul de ceux-ci et
d’ailleurs sans toujours en connaître l’existence ni les multiples circuits.
La réalité financière locale déborde ainsi largement ses cadres organi-
ques traditionnels en se trouvant enserrée dans un maillage de structures
et de rapports à la complexité et aux interrelations croissantes, autrement

3. Cf. M. Bouvier, M.-C. Esclassan, Le système communal, préf. P. Lalumière, LGDJ, 1981. Sur
la notion de systèmes, le lecteur peut se reporter au Chapitre 6. On insistera sur l’idée que
la complexité est inhérente à la vie locale, qu’elle est source de désordres ou d’ordres
pouvant être remis en cause en fonction des relations qui se nouent ou se dénouent.
C’est pourquoi la rationalité des systèmes est à redécouvrir ou rebâtir en permanence ;
ils forment des ensembles plus ou moins instables selon leur degré de complexité. Sur
une application plus détaillée de l’approche par les systèmes à la gestion locale,
cf. M. Bouvier, M.-C. Esclassan, Le système communal, op. cit.

8
Une nouvelle gouvernance financière locale

dit dans un système interactif, composé d’ensembles et de sous-ensembles,


qui s’est et continue à se bâtir progressivement. Et c’est bien un tel système
qui confère un éclairage nouveau à la gestion financière locale, comme il
n’est pas sans modifier l’action et la texture des pouvoirs financiers locaux.
Sur le terrain financier et de gestion, cette réorganisation du système
local n’est pas sans poser de nouvelles questions. La contrepartie d’une
telle réalité s’exprime en premier lieu dans les difficultés d’administration
qu’elle soulève, notamment au regard des règles traditionnelles de gestion
du secteur public4. Ces multiples réseaux qui forment l’ossature dans
laquelle se meuvent désormais les finances locales ont parfois des difficul-
tés à fonctionner dans une logique qui reste encore imparfaitement définie,
ni véritablement publique, ni véritablement privée, tout en se rapprochant il
est vrai sur le fond des critères qui sont ceux de la gestion financière privée.
En second lieu, une telle organisation pose aujourd’hui de manière cruciale
la question de sa maîtrise, de son contrôle. Cette complexification, les inter-
faces de plus en plus nombreuses qui se créent, les informations qui foison-
nent, les fonctions qui se multiplient, ont engendré une diversification du
système local qui non seulement le rend de plus en plus difficile à gérer,
mais qui le rend aussi difficile à maîtriser, réguler, contrôler. Un tel système
est d’abord fragile dans la mesure où la défaillance éventuelle d’un secteur
peut se répercuter en chaîne sur l’ensemble des autres avec lesquels il est
en relations. Certes, l’avantage de ce maillage est que chaque collectivité y
bénéficie des synergies qui s’y établissent, mais avec l’inconvénient en
retour d’être atteinte par les effets négatifs qui peuvent s’y produire. D’autre
part, la régulation d’un tel système devient plus ou moins incertaine du fait
de l’autonomie plus ou moins relative des différents acteurs. Enfin, et en
raison de l’opacité qui résulte inévitablement de cette multiplication et de
cet enchevêtrement des circuits, c’est bien la question du contrôle, des
modalités de celui-ci, des objectifs à lui assigner, qui se trouve aussi
posée. Faut-il par exemple faire primer l’objectif d’efficacité de la gestion
financière locale sur celui de clarification, qui a toujours été en France
depuis la Révolution de 1789 la préoccupation dominante, et redéfinir un
contrôle dans ce sens5 ?
Partie prenante d’un tel ensemble, les finances locales sont ainsi prises
dans un mouvement inexorable qui les conduit vers une nécessaire refor-
mulation des procédures et des techniques. Sans doute, les problèmes tra-
ditionnels de ce champ demeurent bien présents, comme par exemple ceux
relatifs à l’augmentation continue des dépenses, ou encore à la nécessité

4. Cf. les interrogations relatives à la pertinence des méthodes de gestion des collectivités
locales dès le milieu des années 1980, « Peut-on gérer une commune comme une entre-
prise ? » in RFFP no 13-1986.
5. Cf. M. Bouvier, « Structures administratives et pouvoir financier : réflexions sur le pouvoir
financier local », in Démocratie et aménagement, ouvrage collectif sous la direction de Jac-
ques de Lanversin, LGDJ, coll. « Décentralisation et développement local », 1996 ; Cf. éga-
lement, M. Bouvier, « Les transformations du droit public financier local », in LPA,
avril 1999, no spécial Le droit des collectivités locales demain.

9
Les finances locales

d’une réforme de la fiscalité. Mais il est tout aussi vrai que ces problèmes
ne peuvent être appréhendés que dans le cadre d’une attitude compréhen-
sive vis-à-vis de l’évolution générale en cours. On veut dire par là qu’une
grille de lecture aussi complexe que la réalité financière locale est aujour-
d’hui indispensable pour tout à la fois la définir et l’interpréter, ainsi qu’é-
ventuellement dans un second temps pouvoir envisager des réformes du
système financier local. C’est autrement dit un cadre général en mutation
constante qu’il convient en premier lieu d’identifier pour le comprendre.
Pareille ambition suppose aussi une méthodologie permettant une formali-
sation au plus près de la réalité financière locale6.

I. L’inexorable montée en puissance


des finances locales
Les finances locales ont longtemps été tenues pour secondaires. Ce
n’est que dans une récente période qu’a été reconnue la place essentielle
qu’elles occupent dans les finances publiques ainsi que l’influence qu’elles
exercent sur l’économie nationale. Celle-ci est considérable.

A. Une croissance discrète des budgets locaux au XIXe siècle


De fait, bien éloigné paraît le temps où l’on pouvait écrire comme en
1884 que « le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de
la commune », sans autres précisions sur la nature des « affaires » dont il
s’agissait. Une telle nécessité il est vrai ne se faisait pas sentir à une époque
où, comme l’ont souligné les auteurs du rapport Vivre Ensemble7, « la vie
communale se réduisait à la gestion du patrimoine, à l’attribution de
secours à l’enseignement primaire, à l’entretien de la voirie vicinale, à la
surveillance de quelques personnes par le garde champêtre. Le conseil
municipal édictait quelques règlements, votait un budget, ordonnait fêtes
et cérémonies, et à propos des litiges collectifs, rendait son jugement ».
Dès la fin du XIXe siècle pourtant, les premiers signes se manifestent
d’une croissance certes encore bien discrète des budgets locaux, mais qui
déjà ne laisse pas d’inquiéter. Ainsi, « doctrine ou gouvernants qui se pen-
chent au XIXe siècle sur les finances locales sont d’abord impressionnés par
l’énormité des dépenses, leur rapide progression, et insistent sur la néces-
sité de les freiner, ou cherchent accessoirement de nouvelles ressources
pour les couvrir »8.

6. Cf. sur ce point Chapitre 6. Voir aussi, M. Bouvier, « Concevoir une méthodologie pour des
finances publiques dans un monde en transition », Rev. Fr. de Finances Publiques, nº 135-2016.
7. Rapport Vivre Ensemble, La Documentation française, 1976, 2 vol.
8. R. Hertzog, « L’éternelle réforme des finances locales », in Histoire du droit des finances
publiques, Economica, 1988, vol. 3.

10
Une nouvelle gouvernance financière locale

B. Un développement inexorable de l’action locale


L’évolution ultérieure va confirmer cette montée inexorable des dépen-
ses locales et même leur élargissement. Les insuffisances d’une seule
régulation par le marché ayant peu à peu conduit à une intervention accrue
des collectivités locales – et du secteur public en général – sur le terrain
économique et social, l’on verra apparaître ainsi « des dépenses publiques
à caractère économique »9... « les municipalités (prenant) directement en
charge certains besoins publics qui n’étaient plus satisfaits par le secteur
privé »10.
La Première Guerre mondiale, avec la nécessité de reconstruire le pays,
comme la crise économique de 1929, a été des éléments décisifs d’une telle
orientation au terme de laquelle le secteur local a réalisé un nombre tou-
jours plus important d’équipements collectifs, comme en témoigne l’aug-
mentation de ses budgets d’investissement11.
Mais l’après-Seconde Guerre mondiale voit se confirmer le phénomène,
cette fois il est vrai en plein accord avec les théories keynésiennes qui pré-
dominent alors et dans un contexte où l’État va progressivement déléguer
de fait aux collectivités territoriales un nombre croissant de tâches. C’est
ainsi que les dépenses locales d’investissement, et par ricochet celles de
fonctionnement, vont s’accroître encore considérablement, et que l’on a
surtout pu observer, tout au long de ce processus, l’écart allant se creusant
entre une demande sans cesse en augmentation en équipements collectifs,
issue de l’émergence de nouveaux besoins liés à l’expansion industrielle, et
un mode de financement resté quant à lui archaïque et peu performant.

C. De la crise des finances locales à la maîtrise du pouvoir


financier
Tout au long de cette évolution, les ressources des collectivités territo-
riales sont demeurées pour l’essentiel constituées par des recettes fiscales
nettement insuffisantes. D’où l’apparition très tôt de tensions financières au
plan local, voire parfois d’une crise des finances locales, qui ont donné lieu à
une succession de propositions de réformes depuis la fin du XIXe siècle. Cette
crise financière locale, qui a pris des formes plus ou moins aiguës selon les
époques et qui a subsisté quelques années après l’instauration de la décen-
tralisation en 1982, tire ses racines profondes de la place que les collectivi-
tés locales ont été appelées à tenir dans l’évolution générale de la société
sans qu’il n’ait été toujours efficacement remédié aux carences des moyens

9. Cf. P. Lalumière, Les finances publiques, Armand Colin, 1975.


10. Ibid.
11. Pour R. Delorme et C. André, la notion de crise des finances locales remonterait à la
période des années 1930-1935. Ils remarquent également une croissance de longue
période des dépenses locales par rapport au PIB, in L’État et l’économie, Le Seuil, 1983.

11
Les finances locales

financiers dont elles disposaient12. Et il faut y voir par conséquent non un


problème récent, mais bien davantage une question récurrente qui se
pose, selon les moments, au sein de contextes toujours différents13.
Quoi qu’il en soit, les finances locales ont pris aujourd’hui une ampleur
inégalée, ce qui de prime abord paraît aller de pair avec les initiatives de
plus en plus larges accordées aux collectivités territoriales. Si l’on se réfère
aux statistiques, on peut observer que les dépenses des administrations
publiques locales (APUL14) représentent maintenant environ 60 % des
dépenses de l’État et 20 % des dépenses publiques. Elles réalisent près
des trois quarts de la formation brute de capital fixe des administrations
publiques (FBCF en investissements civils), ce qui correspond environ à
11 % de la FBCF de la nation. D’autre part, l’on constate aussi que les bud-
gets locaux pèsent d’un poids chaque année plus lourd, tant en ce qui
concerne les dépenses15 que les recettes, et parmi elles la fiscalité16.

II. D’une culture administrative à une culture


du développement économique
On peut dater de la deuxième moitié des années 1970, scandées notam-
ment par différents « chocs pétroliers », une plus grande attention apportée
aux structures et mécanismes financiers publics, en liaison avec les problè-
mes budgétaires et financiers d’alors, mais aussi à la faveur des controver-
ses théoriques suscitées par le modèle de l’État providence sous l’effet des
difficultés grandissantes de celui-ci. Sous l’impulsion de différentes écoles
économiques, celles par exemple du Public Choice, de Chicago, ou encore de
l’ultralibérale école libertarienne, et sous l’autorité d’économistes comme
F. Hayek qui n’a pas été sans contribuer à ce renouveau des thèses écono-
miques libérales, l’idée est soutenue qu’il convient de substituer aux politi-
ques keynésiennes conduites jusqu’alors une politique de « l’offre », celle-ci
impliquant un large mouvement de libéralisation de l’économie, passant en
particulier par un retrait de l’État vis-à-vis d’un marché économique étouffé
par les réglementations et les transgressions à la libre concurrence, ainsi

12. Cf. sur ce point M. Bouvier, M.-C. Esclassan, Le système communal, op. cit.
13. C’est dans une perspective européenne et plus encore, mondiale, qu’il convient de situer
maintenant les finances des collectivités locales françaises (Cf. RFFP no 62-1998 : Passage
à l’Euro et no 68-1999 : L’Union européenne et les finances publiques nationales).
14. Les APUL comprennent les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que
leurs services annexes, mais sont également inclus certains organismes tels que les
organismes consulaires. En revanche, n’y figurent pas les opérations des départements
d’outre-mer.
15. Près de 250 milliards d’euros.
16. Près de 150 milliards d’euros, soit environ 60 % du total des ressources des collectivités
locales (y compris l’emprunt).

12
Une nouvelle gouvernance financière locale

que par un mode de gestion du secteur public à l’image de celui des entre-
prises privées .
17

Parallèlement, et parce qu’une telle libéralisation signifie aussi un redé-


ploiement des fonds publics sur le terrain économique (par un encourage-
ment aux initiatives venant de la société civile et plus particulièrement des
entreprises, notamment par le biais d’incitations fiscales) et par conséquent
une redéfinition des politiques publiques, il était également prôné que les
collectivités territoriales prennent une part plus importante de responsabi-
lités dans cette dynamisation réclamée du tissu économique et social. La
décentralisation est devenue ainsi l’un des concepts importants des théories
économiques libérales18 dans lesquelles, sans qu’il soit question de leur
accorder un champ d’intervention économique susceptible de porter
atteinte à la liberté du marché, les collectivités territoriales ont été pensées
comme susceptibles de participer activement au développement de l’écono-
mie, soit en l’accompagnant, soit en l’insufflant. C’est dans ce même cadre
d’analyse que, d’administrateurs ou de bâtisseurs qu’ils étaient jusqu’alors,
les élus locaux ont été appréhendés comme devant être bien davantage des
animateurs économiques, ayant vocation à susciter et catalyser les énergies
pour impulser un développement économique local, domaine dans lequel
l’un des principaux problèmes est celui de la localisation des entreprises
ainsi que des moyens à mettre en œuvre en vue d’encourager et inciter les
implantations d’établissements sur tel ou tel espace territorial.
C’est dans ce contexte d’idées qu’une nouvelle ambition, le développe-
ment économique local, a été assignée aux finances locales et plus précisé-
ment à la gestion des ressources locales. Celle-ci est regardée en effet
comme un moyen de première importance pour générer le développement
économique local ou en tout cas pour contribuer à son essor.

A. Les finances locales, moteur du développement


économique local et de l’aménagement du territoire
La notion de développement économique local, très largement associée à
celle d’aménagement du territoire, fait aujourd’hui partie intégrante des
objectifs assignés aux finances locales. On rappellera que traditionnellement
conçu comme relevant de l’État, l’aménagement du territoire est devenu, au
moins pour partie, le fait des collectivités territoriales puisque celles-ci
conduisent leurs propres politiques d’aménagement dans lesquelles il faut
inclure celles relatives au développement économique.
La notion de développement économique local et les pratiques qui l’il-
lustrent – qui ont pris leur véritable essor au début des années 1980 dans
un contexte marqué par le lancement de la dynamique décentralisatrice et

17. Pour une approche synthétique de ces courants, cf. M. Bouvier, M.-C. Esclassan,
J.-P. Lassale, Finances publiques, LGDJ, coll. « Manuels », 18e éd., 2019.
18. Cf. « Cato Symposium on the New Federalism », in The Cato Journal, vol. 2, no 2, 1982.

13
Les finances locales

la préoccupation de remédier aux phénomènes de désindustrialisation – est


celle dans laquelle s’est affirmée d’abord la conception d’un développement
endogène et ascendant19, qui s’oppose à la conception d’un développement
exogène et descendant.
Dans un second temps, c’est une approche transversale du développe-
ment qui a fini par prévaloir (celui-ci étant entendu comme un développement
global dépassant les clivages entre développement ascendant ou descendant),
et qui est venue étayer l’idée d’un développement devant reposer sur des par-
tenariats au plan local entre secteur public et privé. Le développement, dans
une telle approche, repose fondamentalement sur une intégration de l’en-
semble des partenaires, potentiels ou déclarés, susceptibles de générer le
développement économique sur un espace local déterminé, étant entendu
que chacun d’eux conserve ses intérêts propres, mais s’intègre dans une stra-
tégie globale porteuse d’une dynamique favorable à tous.
Partie prenante d’une telle logique, et stimulées aussi par l’extension de
leur champ de compétences avec la loi du 7 janvier 198320, les collectivités
territoriales, communes, départements, régions, se sont trouvées de fait
placées à l’interface du secteur public et du secteur privé. Il est indéniable
que toutes, notamment dans le champ communal, n’ont pas été et ne sont
pas concernées avec la même intensité ; la taille de celles-ci, leur situation
géographique, les problèmes plus ou moins aigus qui se posent à elles, la
personnalité des élus, mais également les programmes émanant des grou-
pements, du département, de la région, font que les collectivités se sont
plus ou moins impliquées dans des stratégies partenariales de développe-
ment. Il n’en reste pas moins cependant qu’au travers de ces multiples par-
tenariats, une sorte de maillage du territoire s’est amorcé et vivifié, renforcé
depuis par l’orientation prise en faveur du développement urbain.

B. Développement urbain, développement rural


Une orientation nouvelle s’est imposée depuis la fin de la décennie 1980 :
celle d’un recentrage du développement local sur les villes, marquant une rup-
ture nette avec le contenu du développement local des débuts des années 1980,

19. Soutenue notamment dans certains cercles d’économistes et d’aménageurs, cette


conception est celle dans laquelle les collectivités territoriales sont considérées comme
susceptibles de favoriser les conditions d’une reprise économique en développant les
potentialités de leur territoire. On précisera qu’une telle approche, qui, à l’époque, a pu
apparaître comme faisant en quelque sorte écho au thème largement diffusé
de E. Schumacher « Small is beautiful », était fondée sur des études économiques valori-
sant le rôle essentiel des petites et moyennes entreprises dans la possibilité d’une
reprise économique. La plus connue de ces études est celle de D. Birch (Job Creations in
Cities, MIT Press, 1980) montrant que les PME, plus souples, plus dynamiques que les
grandes entreprises, portent en elles, notamment par leur capacité à créer des emplois,
le ferment d’une renaissance économique. On pourra consulter également : P. Aydalot,
Économie régionale et urbaine, Economica, 1985 ; B. Planque et alii, Le développement
décentralisé, Litec, 1983.
20. À laquelle il faut ajouter celle du 29 juillet 1982 portant réforme de la planification.

14
Une nouvelle gouvernance financière locale

plutôt identifié au développement rural et associé aux notions de « pays »21 ou


encore de « microrégions » qui paraissaient particulièrement cohérentes avec
l’approche d’un développement endogène ascendant. On mentionnera à cet
égard le rôle et l’influence qu’a pu avoir la procédure des chartes intercommu-
nales de développement et d’aménagement instituée à l’article 29 de la loi du
7 janvier 198322, qui bien que sans contenu juridique et financier très précis, a
cependant fait l’objet de nombreuses expérimentations23 soutenues par l’État
et d’un bouillonnement d’initiatives qui ont pu laisser penser que le fameux
« désert français »24 retrouvait une vivacité nouvelle. Si l’on peut retenir
comme traits caractéristiques de ces expériences la véritable idéologie de soli-
darité qui s’y est affirmée, au moment même où les vertus de la compétition
étaient prônées dans les analyses économiques néolibérales, l’autre aspect ori-
ginal des pratiques et initiatives en la matière réside en ce que ces chartes ont
nettement représenté une invitation à dépasser les clivages habituels dans le
domaine de l’action et qu’à travers elles des partenariats se sont noués entre
municipalités et acteurs du secteur privé visant à une coaction, à une coproduc-
tion du développement local allant à l’encontre d’habitudes et de mentalités
encore fortement marquées par le clivage entre secteur public et secteur
privé. C’est au fond un rôle d’organe médiateur entre les deux secteurs qu’ont
joué ces chartes qui ont très certainement contribué à faire pénétrer dans le
secteur local des notions nouvelles, qui se sont banalisées depuis, telle que
celle de stratégie de développement par exemple, et plus généralement à faire
réfléchir sur une philosophie de l’action locale en ce domaine.
C’est cependant aujourd’hui la ville, le monde urbain, la métropole qui,
malgré les efforts déployés en direction du milieu rural, s’affirme expressé-
ment dans les faits comme véritable pôle de développement économique25,
en même temps que cet espace est reconnu comme porteur de très impor-
tants problèmes sociaux à résoudre.

III. Les métropoles :


avenir du développement local
Selon un rapport de l’ONU, en 1950 « plus des deux tiers (70 %) de la
population mondiale vivait en milieu rural et moins d’un tiers (30 %) en
milieu urbain. En 2018, 55 % de la population mondiale était urbaine ». Et il

21. Notion réactualisée par la loi du 4 février 1995 (loi d’aménagement et de développement
du territoire). Les « pays » sont entendus comme des espaces présentant une cohésion
géographique, culturelle, économique et sociale.
22. Cf. à ce sujet M. Bouvier (sous la dir. de), Solidarités locales, LGDJ, 1986.
23. Cf. les 12 chartes expérimentales de 1984.
24. Cf. J.-F. Gravier, Paris et le désert français, Flammarion, 1958.
25. Il est à observer que près des trois quarts de la population française résident dans les
villes ; la question à résoudre est bien entendu celle du risque de mise à l’écart du quart
de la population non concernée.

15
Les finances locales

est estimé par les auteurs du rapport qu’en 2050 cette proportion sera de
l’ordre de 68 %26.
En même temps que l’explosion du phénomène urbain, c’est une logique
nouvelle qui se met progressivement en place dans le monde, c’est égale-
ment une culture inédite de la gouvernance publique et du développement
économique qui se dessine et prend forme.
Les métropoles qui font aujourd’hui l’objet en France27 d’une construc-
tion juridique28 constituent un phénomène qui n’est pas absolument nou-
veau. En revanche ce qui l’est, c’est l’environnement actuel dans lequel
elles naissent ou se développent. Un environnement marqué par une véri-
table mutation de notre société qui, depuis la seconde moitié des années
1970, et à la suite des chocs pétroliers de 1973 et 1979, a vu un peu partout
dans le monde l’État se transformer en profondeur sous les effets d’une
crise économique suivie d’une crise des finances publiques.
L’urgence actuelle de rendre nos finances publiques soutenables consti-
tue en effet un fait majeur qui détermine nombre de politiques publiques et
l’avenir des métropoles en particulier. À cet égard, la mise en place des
métropoles en France intervient à la fois au pire et au meilleur moment. Au
pire moment dans la mesure où la situation des finances publiques est diffi-
cile ; or, sans moyens financiers suffisants, les plus belles constructions
institutionnelles ne sont que des châteaux de sable. C’est pourquoi sans
une mise en perspective des métropoles avec les contraintes budgétaires
et sans un statut financier clair, et notamment fiscal, elles ne peuvent que
se développer dans la confusion. Au meilleur moment dans la mesure où
leur dynamisme peut participer de manière efficace à une stratégie de déve-
loppement économique et par conséquent permettre d’inverser la logique
infernale du développement incontrôlé des déficits publics et de la dette
publique qui est susceptible d’obérer lourdement l’investissement et par
suite la croissance économique.
D’ores et déjà, les métropoles, qu’elles soient internationales ou non,
s’inscrivent complètement dans le processus de mondialisation et consti-
tuent une des têtes de pont de la construction économique et politique du
futur29. Elles ouvrent de nouveaux horizons et offrent l’occasion d’innover.
Elles sont porteuses d’une manière de s’organiser et d’un processus de
décision en réseaux qui préfacent les figures du modèle politique de
demain. Elles sont aussi amenées à bousculer beaucoup de certitudes intel-
lectuelles et de situations institutionnelles acquises.
En d’autres termes on peut considérer qu’à travers les métropoles, c’est
un vrai projet de société qui prend forme et c’est même certainement la

26. World urbanization prospects, Department of economic and social affairs, ONU, 2018.
27. Cf. les lois des 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales et 27 janvier
2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.
28. Cf. E. Marcovici, Les métropoles en France, LGDJ 2019, Collection Systèmes.
29. Cf. « L’an 1 des métropoles » in RFFP, no 129.

16
Une nouvelle gouvernance financière locale

grande affaire de l’action et de la réflexion politique, économique et sociale


pour les prochaines années. Certes, on est face à un ensemble composite
complexe qui peut laisser douter de sa cohérence globale et par conséquent
de la capacité à le piloter. Or, à un moment où une stratégie financière
s’avère indispensable pour maîtriser un déficit et une dette publique sus-
ceptibles de mettre en cause l’équilibre de la société, il est crucial d’inventer
un nouveau processus de décision. Mais il ne s’agit pas d’en revenir à l’État
centralisé, vertical et quasiment caricatural, que la France a autrefois
connu ; il ne s’agit pas non plus de laisser se développer à l’infini des pou-
voirs autonomes, horizontaux, et finalement une néoféodalité. La voie est
donc étroite, car elle ne peut que se formaliser dans un système associant
unité et diversité30.
Au final, tout incite à penser que le développement local est conduit à
passer par le développement urbain et plus particulièrement par la création
d’un maillage du territoire dont la structure fondamentale, le squelette, doit
être constituée par un réseau de villes groupant diverses agglomérations.
L’objectif n’est pas bien entendu de réaliser des oasis d’opulence ci et là,
mais de charpenter le territoire sur la base de réseaux décentralisés,
ceux-ci prenant appui d’abord sur les grandes métropoles régionales, puis
sur les villes moyennes et enfin sur les petites villes. Réunir au sein de ces
réseaux des potentialités complémentaires, forger des solidarités, telle est
l’idée de fond qui contribue à définir cette conception du développement
local. Une telle logique ne peut toutefois faire abstraction de la compétition
qui existe entre métropoles aussi bien à l’échelle internationale et euro-
péenne notamment, que nationale. Le phénomène concerne en premier
lieu les grandes villes à vocation européenne, dans leurs efforts pour se
positionner comme villes internationales : « séduire par l’apparence (fonc-
tions urbaines), s’affirmer par la puissance (fonction économique), s’impo-
ser par l’audience (fonctions politiques et culturelles)31 », tels sont bien les
objectifs que se donnent nombre de cités, qui s’expriment notamment dans
ces vraies ou fausses « technopoles »32 qui exigent des moyens financiers
dépassant largement ceux dont disposent normalement les communes et
nécessitent une administration particulièrement performante. Mais la com-
pétition n’oppose pas seulement les grandes villes entre elles ; elle s’établit
également entre certaines de celles-ci et les départements ou les régions.
D’ailleurs, à terme, le traditionnel dilemme département/région pourrait

30. Sur la recherche d’une organisation politique associant unité et diversité cf. M. Bouvier,
L’État sans politique, préface de G. Vedel, LGDJ, 1986.
31. Cf. P. Dommergues, N. Gardin, Les stratégies internationales des métropoles régionales,
Syros, 1989.
32. Cf. à ce sujet C. Heurteux, P. Nguyen, « Les zones d’entreprises en France », in RFFP
no 18-1987 ; voir également M. Bouvier, « L’expérimentation des zones d’entreprises en
Grande-Bretagne et aux États-Unis », in RFFP no 9-1985 ; voir aussi Vingt technopoles :
un premier bilan, DATAR, La Documentation française, 1990.

17
Les finances locales

bien être dépassé par le développement exponentiel des métropoles33. C’est


bien la raison pour laquelle apparaît, en vue d’un développement écono-
mique équilibré du territoire, la nécessité d’une meilleure concertation ou
coordination des actions locales soit dans un cadre contractuel, soit au tra-
vers d’une logique de groupements fiscalement intégrés34. L’objectif doit
être de dépasser les clivages de toutes sortes et de rompre avec une
conception cloisonnée de la société, une conception qui ne reconnaît pas et
ne formalise pas les multiples interactions et la multirationalité qui les
caractérisent. Au final, il s’agit de construire un ordre polycentré que l’on
pourrait qualifier d’ordre des autonomies relatives : un ordre organisé à la
fois sur un plan vertical et horizontal, autrement dit transversal, une gouver-
nance en réseaux, aux niveaux local, national, européen et même, au-delà,
international. Dans un tel cadre, il s’avère d’autant plus nécessaire, comme
le souligne le rapport Lambert, de réfléchir à une « clarification des mis-
sions et de l’organisation de l’État territorial »35.

IV. Entre gestion publique et gestion privée


Quoi qu’il en soit de ces évolutions pour l’avenir, il en résulte aujourd’hui
une confrontation permanente des modes de faire, une multiplication des
rapports entre institutions publiques et privées qui n’est pas sans consé-
quences sur la morphologie, l’action, la gestion du secteur local. Une muta-
tion en profondeur s’est opérée. Le secteur local, en pleine métamorphose,
s’apparente à un système dont le contrôle et la régulation, deviennent particu-
lièrement malaisés à assurer. Là se trouve très certainement un enjeu majeur
pour les collectivités territoriales, sachant que d’ores et déjà les réseaux finan-
ciers publics traditionnels qui sont les leurs et qui sont alimentés en grande
partie par l’impôt payé par les « citoyens-contribuables »36, se trouvent connec-
tés à d’autres, privés, fonctionnant selon une logique différente.

33. Avec 37 millions d’habitants Tokyo est la plus importante des métropoles. Elle est suivie
par New Delhi (29 millions), Shanghai (26 millions), Mexico City et São Paulo (22 millions),
Le Caire (20 millions). La planète devrait compter 43 métropoles de plus de 10 millions
d’habitants en 2030 pour la plupart situées dans les pays en développement.
34. Cf. M.-C. Esclassan, « Les relations de coopération entre l’État et les régions : un parte-
nariat en constante évolution. L’exemple des contrats de plan », Les Finances régionales,
Economica, 1992 (ouvrage sous la dir. de L. Saïdj). Cf. également : J. Manesse, L’aména-
gement du territoire, LGDJ, coll. « Systèmes », 1998 ; M. Casteigts, L’aménagement de l’es-
pace, LGDJ, coll. « Politiques locales », 1999. Sur les groupements de communes, cf. infra,
Chapitre 5, II, B.
35. « Les relations entre l’État et les collectivités territoriales », Rapport du groupe de travail
présidé par Alain Lambert, décembre 2007. Cf. également le Rapport du Comité pour la
réforme des collectivités locales (Rapport Balladur, mars 2009), le Rapport d’étape sur la
réorganisation territoriale (Sénat, mars 2009), ou encore, « Sept questions préalables à la
conception d’une nouvelle gouvernance financière locale » (Rapport FONDAFIP téléchar-
geable sur : www.fondafip.org).
36. Selon l’expression de G. Vedel, in Allocution d’ouverture du colloque Revue française de
finances publiques/CDC, « Les finances communales à l’heure de la décentralisation »,

18
Une nouvelle gouvernance financière locale

Le deuxième enjeu résultant d’une telle confrontation concerne les


modes de gestion. Si l’on peut certainement écarter toute probabilité de
retour en arrière de même qu’une assimilation totale des modes de gestion
du secteur public à ceux du secteur privé, les « raisons d’être » et les logiques
étant par certains aspects trop dissemblables, l’on peut cependant constater
pour le secteur local, un développement de méthodes de gestion empruntant
largement à celles de l’entreprise répondant à un souci d’efficacité. Aussi,
sans vraiment disparaître, les différences dans les méthodes, qui restaient
tranchées jusqu’à il y a peu encore, s’estompent progressivement. Quant au
fond, ces rapprochements n’ont rien de surprenant en vertu du principe qui
veut qu’une logique commune minimale préside aux échanges au sein d’un
système, à peine de générer des blocages dommageables pour la survie de
celui-ci (ce qui n’exclut pas que chaque élément conserve son identité pro-
pre). C’est maintenant une logique de performance qui domine la gestion
publique, qu’il s’agisse de l’État ou des collectivités locales.
Ainsi, la révision par le secteur local de ses pratiques pourrait bien aller
de pair à terme avec une redéfinition de son essence. On peut regretter à cet
égard que ces révisions soient faites de manière souvent trop pragmatique et
qu’il ne soit pas pris davantage de distance avec les problèmes immédiats de
la gestion locale, en ne réfléchissant pas assez, notamment au sens des chan-
gements qui s’opèrent. Or, sans identification de ceux-ci, on risque d’être
dans l’incapacité de fixer des objectifs globaux au système local et de voir
dès lors se répéter les problèmes qui ont été ceux des finances locales depuis
un siècle environ. Il conviendrait à cet égard de ne pas perdre de vue que
l’espace local est devenu un espace à géométrie variable au sein duquel se
nouent et se dénouent des alliances en fonction des problèmes à résoudre
et des stratégies qui se mettent en œuvre, que ces dernières sont le fait
d’acteurs de plus en plus divers avec des objectifs qui ne se situent pas tou-
jours à la même échelle spatiale (locale, nationale, internationale) ou qui
sont plus ou moins déterminées par des pesanteurs différentes (historiques,
sociologiques, culturelles).

V. Culture juridique vs culture de gestion ?


Un examen attentif des évolutions du système financier public depuis ces
trente-cinq dernières années montre que deux cultures ont peu à peu été
amenées à y cohabiter, et parfois même à s’y opposer : d’une part une
culture juridique ancienne, reposant sur un certain nombre de principes
essentiels et procédant plus largement d’une tradition politique, celle de
l’État de droit, parlementaire et démocratique ; d’autre part une culture de
gestion, nouvelle pour les administrations d’État ou locales, qui relève

Paris, Sénat, 1985, dont les Actes ont été publiés dans la Revue française de finances publi-
ques no 13-1986.

19
Les finances locales

quant à elle d’une conception économique de l’action publique. Si ce phéno-


mène concerne aujourd’hui l’ensemble du secteur public, il a pris très vite,
dès les débuts des années 1980, une intensité particulière au sein de l’admi-
nistration décentralisée des collectivités territoriales. Depuis, le droit public
financier local n’a cessé d’être confronté aux impératifs posés par la recher-
che d’une efficacité maximale de la gestion.

A. Une culture juridique et politique ancienne


Une culture politique, celle de l’État parlementaire et démocratique,
s’est depuis plus de deux siècles progressivement construite et institution-
nalisée à travers le développement du droit public financier, c’est-à-dire du
droit budgétaire, du droit de la comptabilité publique et du droit fiscal. On
peut de la sorte affirmer qu’une longue tradition lie le parlementarisme
démocratique et le droit public financier et que ce dernier, depuis la Révo-
lution française, constitue finalement l’ossature du premier, en particulier à
travers l’édification des grands principes budgétaires, comptables et fiscaux
qui ont servi de point d’ancrage à l’État de droit (consentement de l’impôt,
spécialité budgétaire, séparation ordonnateur/comptable...). Ces principes
avaient pour objectif d’assurer un pouvoir effectif de décision et de contrôle
aux représentants des citoyens ; ainsi, par exemple, la clarté des comptes
publics, leur transparence, a constitué une voie d’accès primordiale à la
démocratie, de même que le parlementarisme a pu s’enraciner dans le
consentement de l’impôt37. Et cette construction progressive du droit public
financier a en quelque sorte scandé celle de l’État de droit, de même qu’elle
a considérablement favorisé le développement d’une culture démocratique,
laquelle représente maintenant une véritable tradition politique.

B. Une culture de la gestion financière publique nouvelle


D’un autre côté, une culture de la gestion financière s’est développée à la
faveur du déclin de l’État providence lorsque celui-ci s’est révélé incapable
de jouer son rôle de stabilisateur de l’économie. L’idée s’est alors imposée
qu’il fallait désormais gérer des contraintes, répartir des économies plutôt
que de partager des richesses et qu’en tout cas il convenait d’administrer
plus rationnellement le secteur public. S’est amorcée ainsi une logique de
fond tendant à rapprocher le fonctionnement des institutions publiques de
celui des entreprises privées ; très vite, le souci d’une plus grande rapidité
dans l’action, d’une meilleure efficacité, d’une gestion plus rigoureuse de
l’argent public, s’est imposé aux décideurs politiques et administratifs ;
d’une manière plus générale, la maîtrise de la gestion financière a pris la
forme d’un véritable projet s’identifiant à celui de la modernisation du secteur
public et, plus largement, de l’État. C’est dans ce contexte que les collectivi-
tés locales, à la faveur de la décentralisation, ont très tôt appliqué des

37. Cf. M. Bouvier, L’impôt sans le citoyen ?, LGDJ, coll. Forum, 2019.

20
Une nouvelle gouvernance financière locale

méthodes empruntées au management privé et que le droit public financier a


pu parfois être ressenti comme un frein à la dynamique gestionnaire (c’est
d’ailleurs parfois ce même sentiment qui s’exprime à l’égard de la nouvelle
gestion de l’État mise en œuvre avec la LOLF) ; souvent appréhendé comme
passéiste, voire archaïque, ce droit a difficilement supporté la comparaison
avec une logique de gestion présentée comme une voie innovante et comme
une parfaite illustration de ce que devait être la modernité. C’est même un
véritable engouement pour la gestion financière qui s’est manifesté dès les
premières années de la décentralisation, au cours des années 1983-1984 ;
comme si une ère nouvelle s’ouvrait sous le signe d’une autonomie qu’il fal-
lait assumer en sachant notamment piloter au mieux une collectivité locale.
C’est donc tout naturellement que les regards se sont tournés vers l’entre-
prise pour y chercher des modèles de gestion rationnelle, puisque les procé-
dures utilisées jusqu’alors apparaissaient bien dérisoires et surtout inadap-
tées eu égard aux possibilités qui commençaient à se dessiner et bien sûr à
la liberté de choix qui semblait si grande. Cet engouement n’a fait que s’am-
plifier par la suite, au fur et à mesure que les collectivités locales accrois-
saient leur champ d’action et que s’imposait l’idée qu’il était absolument
nécessaire de contrôler efficacement la gestion financière au sein d’un sys-
tème devenu de plus en plus complexe et de plus en plus source de risques.
Ainsi aurait-on pu supposer sans grande hésitation que l’issue de cette
évolution et de cette confrontation ne faisait aucun doute et que la tradition
juridique laisserait plus ou moins rapidement la place à la modernité ges-
tionnaire. En réalité, et comme cela s’est déjà produit à plusieurs reprises
dans le passé, le droit public financier a su entamer un processus d’intégra-
tion progressive des dispositifs de gestion utilisés, ce qui a eu en même
temps pour effet de l’inscrire dans une dynamique le conduisant à se trans-
former et partant, à s’adapter.
L’intégration de la culture juridique et de la culture de gestion dans le
cadre de l’administration des institutions locales est à cet égard parfaite-
ment exemplaire d’une modernisation réussie des méthodes de gestion uti-
lisées et les collectivités locales constituent à ce titre un véritable labora-
toire de recherches38.

C. La législation financière : une nécessité pour la gestion


financière
L’impératif de clarté de la gestion financière locale qui a commencé à se
faire fortement sentir au début des années 1990 n’a pas été sans effet sur le

38. L’État fait maintenant l’objet d’une évolution similaire avec la réforme budgétaire mise en
œuvre depuis le 1er janvier 2006 (la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de
finances) ; cf. M. Bouvier, « La LOLF du 1er août 2001 », in AJDA du 20 octobre 2001,
v. aussi A. Barilari et M. Bouvier, La LOLF et la nouvelle gouvernance financière de l’État,
LGDJ, 3e éd., 2010 ; cf. également RFFP no 76-2001 et 82-2003 ainsi que no 86 et 87-2004,
91 et 92-2005, 93 et 94-2006.

21
Les finances locales

renouveau d’intérêt qui a été porté alors au droit public financier. La trans-
parence des finances locales est certes indispensable pour des raisons poli-
tiques, il s’agit d’un enjeu essentiel pour la démocratie, mais elle l’est aussi
parce que l’opacité ne permet pas une gestion efficace. Autrement dit, il est
apparu que démocratie et gestion avaient chacune besoin de clarté et fina-
lement que la législation financière était nécessaire à la gestion financière.
C’est ainsi, sur la base de cette double préoccupation que les gestionnaires
locaux comme les institutions de contrôle des finances locales sont devenus
plus attentifs aux impératifs de régularité et que des mesures d’importance
visant à normaliser la gestion locale ont été instituées par le législateur (par
exemple la loi du 6 février 1992 qui a notamment introduit l’obligation d’un
embryon de consolidation des comptes ou encore, la loi du 22 juin 1994 qui a
réformé la comptabilité communale en la rapprochant étroitement de celle
des entreprises...). En réalité, sans que l’on en prenne immédiatement
conscience, une nouvelle ère de la gestion publique était en train de s’ouvrir,
celle de la nouvelle gouvernance financière publique.

VI. Rien n’a changé mais tout a changé


Si l’on considère les finances locales au regard de leurs seuls aspects
structurels, rien, il est vrai, ne paraît avoir fondamentalement changé. La
nature des moyens financiers est dans l’ensemble identique même si les
techniques utilisées sont devenues largement plus compliquées.
Le seul élément qui a eu une portée fondamentale sur la gestion locale
est l’évolution qui s’est enclenchée, à la fin des années 1970, vers une res-
ponsabilisation financière de plus en plus marquée des collectivités locales.
C’est en effet à la périphérie de l’État et non au centre que le phénomène de
responsabilisation des acteurs financiers publics a commencé à voir le jour.
Dès 1976 une expérience (généralisée en 1979) de globalisation des prêts fut
engagée pour des communes de plus de 10 000 habitants par le groupe
formé par la Caisse des dépôts et consignations, les Caisses d’épargne et
la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales. Cette expérience
nous paraît d’importance car la confiance accordée par les institutions
financières aux acteurs locaux a représenté, à notre sens, un premier pas
tangible vers l’autonomie de décision en matière de gestion financière. Ce
processus de responsabilisation a ensuite été marqué par des mesures
importantes, par exemple la création de la dotation globale de fonctionne-
ment (1979), ou encore la loi du 10 janvier 1980 qui a continué la logique de
responsabilisation en autorisant les assemblées délibérantes des collectivi-
tés locales à voter les taux de quatre grands impôts directs locaux qui exis-
taient alors : la taxe professionnelle, la taxe d’habitation, la taxe foncière sur
les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties. C’est
ainsi qu’à l’autonomie de gestion est venue s’ajouter une certaine autonomie
de décision fiscale, les lois de décentralisation de 1982-1983 venant

22
Une nouvelle gouvernance financière locale

couronner ce mouvement en poursuivant le processus de globalisation et en


réaménageant le partage des compétences entre l’État et les collectivités
locales. Il faut également souligner à cet égard l’affirmation du principe de
subsidiarité qui a engendré un accroissement considérable des actions loca-
les et par conséquent des budgets locaux, ainsi que de leurs objectifs.
Hormis cette plus large autonomie de gestion, il reste cependant que
l’augmentation des budgets locaux et leurs orientations étaient en réalité
inscrites dans les faits depuis longtemps. Le principe énoncé du « faire
faire » plutôt que « faire » a certes amplifié un mouvement déjà en germe,
on l’a dit, dans la période précédant les années 1980, mais il ne l’a pas créé.
Aussi peut-on observer que, sur le fond, tout était déjà en place.
S’il n’y a donc pas eu véritablement rupture au sein des structures finan-
cières locales avec la décentralisation, la formidable reformulation des don-
nées et des enjeux qui s’est dégagée depuis autorise à affirmer que, néan-
moins, tout a changé.
C’est d’abord dans un contexte économique bien spécifique qu’est venu
s’inscrire cet épanouissement du pouvoir local puisque l’on est passé d’une
période d’aisance sinon d’opulence à une période de crise. Par ailleurs, les
mentalités elles-mêmes se sont modifiées, avec la montée d’un individua-
lisme, la déshérence de l’idée d’État centralisé, l’affirmation des analyses
économiques néolibérales. Au même moment, l’Union européenne a connu
également une nouvelle phase de son développement avec l’instauration de
la monnaie unique et l’obligation pour l’ensemble du secteur public, y com-
pris les collectivités locales, de participer à la réalisation d’objectifs finan-
ciers contraignants (respect de critères de convergence, limitation du déficit
public, limitation de la dette publique...). Sur le terrain des méthodes et
techniques, des technologies nouvelles se sont imposées avec le type d’or-
ganisation plus fluide, plus réseauté, plus complexe qu’elles induisent pro-
gressivement dans le fonctionnement de la société. Les techniques financiè-
res elles-mêmes se sont transformées. À cet égard, si les instruments
financiers des collectivités territoriales sont demeurés identiques sur le
fond, en revanche, leurs mécanismes se sont modifiés et particulièrement
compliqués, nécessitant des connaissances de plus en plus spécialisées39.
Enfin la crise financière des subprimes de 2008 a amené à replacer l’État
au premier plan ce qui n’a pas été sans conséquences sur l’étendue de l’au-
tonomie financière locale ; on peut même estimer que la configuration du
pouvoir financier local est en pleine recomposition et que l’on assiste à une
transformation de ses rapports avec l’État. La crise du coronavirus du prin-
temps 2020 ne peut que conforter cette évolution.
Aussi, c’est indéniablement dans un cadre général en mutation que s’in-
scrit l’action financière des collectivités territoriales.

39. Cf. « Les nouveaux instruments financiers et de gestion des collectivités territoriales »,
RFFP no 95-2006 ; également, « La LOLF et les collectivités locales », no 107-2009.

23
Les finances locales

VII. L’autonomie fiscale locale : un enjeu politique


majeur

A. Libre administration des collectivités territoriales


et pouvoir fiscal
Les interrogations au sujet des rapports que peuvent entretenir l’auto-
nomie fiscale et le principe de libre administration des collectivités territo-
riales conduisent à s’intéresser aux réponses données par le juge constitu-
tionnel. Force est de constater que les décisions prises en la matière
aboutissent toutes à la même conclusion : par exemple, le conseil a jugé
en ce qui concernait la suppression de la part salaire de la taxe
professionnelle40, que « les règles posées par la loi [...] n’ont pour effet ni
de diminuer les ressources globales des collectivités locales ni de restrein-
dre leurs ressources fiscales au point d’entraver leur libre administration »
(décision no 98-405 DC du 29 décembre 1998 relative à la loi de finances ini-
tiale pour 1999). La même réponse a été donnée dans le cas de la suppres-
sion partielle de la vignette ; selon le juge constitutionnel, « les dispositions
critiquées n’ont pour effet ni de restreindre la part de ces recettes ni de
diminuer les ressources globales des collectivités concernées au point d’en-
traver leur libre administration » (décision no 2000-442 DC du 28 décembre
2000 relative à la loi de finances pour 2001).
Certes, la Haute Juridiction, dans sa décision du 12 juillet 2000 (no 2000-
432 DC relative à la loi de finances rectificative pour 2000), s’est montrée
soucieuse de l’étendue de la capacité fiscale des collectivités locales en
relevant que « les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de
diminuer les ressources globales des collectivités territoriales ou de réduire
la part de leurs recettes fiscales dans ces ressources au point d’entraver
leur libre administration ». Mais elle n’a apporté aucun élément précis per-
mettant de déterminer un seuil à ne pas franchir41.
On peut ainsi comprendre que, face à une position ne définissant pas net-
tement quel est le seuil de recettes fiscales en deçà duquel serait remis en
cause le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités
locales, la réaction ait été de quitter le terrain juridictionnel pour se tourner
vers celui du politique. Dans la mesure en effet où ni la Constitution, ni le
juge constitutionnel ne permettaient de trancher sur une question aussi fon-
damentale pour l’avenir de la décentralisation, il pouvait paraître logique
que le dernier mot revienne aux parlementaires. C’est bien la conclusion à
laquelle semblent avoir abouti les sénateurs qui ont déposé une première

40. Cet impôt, créé en 1975, était supporté par les entreprises. Il a été supprimé par la loi de
finances pour 2010 et remplacé par la contribution économique territoriale (cf. Chapitre
2).
41. Cf. P. Raymond, « L’autonomie financière des collectivités locales et le Conseil constitu-
tionnel », in RFFP no 81-2003.

24
Une nouvelle gouvernance financière locale

proposition de loi constitutionnelle relative à la libre administration des col-


lectivités territoriales et à ses implications financières en octobre 2000, puis
une seconde en juillet 200242.

B. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 :


un rendez-vous manqué
Cette évolution s’est poursuivie en 2003 par une révision constitution-
nelle initiée par le gouvernement, la loi du 28 mars 2003 relative à l’organi-
sation décentralisée de la République. Outre que ce texte étend le champ de
compétences des collectivités territoriales et introduit la possibilité pour
elles de « déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités,
aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de
leurs compétences », il élargit l’autonomie financière locale et en pose le
principe. En effet, un article 72-2 est inséré dans la Constitution qui dispose :
— que les collectivités territoriales peuvent recevoir tout ou partie du
produit des impositions de toutes natures et que la loi peut les autoriser à
en fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine ;
— que les recettes fiscales et les autres ressources propres des col-
lectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités,
une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ;
— que tout transfert de compétences entre l’État et les collectivités
territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à
celles qui étaient consacrées à leur exercice et que toute création ou exten-
sion de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses
des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées
par la loi.
On peut estimer que ce dispositif a pour conséquence de donner
un fondement financier au principe de libre administration des collectivités
territoriales, en instituant un principe d’autonomie financière reconnu par
le Conseil constitutionnel43. Ainsi, et à travers cette révision, il est répondu
constitutionnellement aux enjeux les plus brûlants des finances locales,
c’est-à-dire ceux qui concernent l’autonomie financière et qui portent
sur le pouvoir fiscal, la compensation des transferts de compétences et
les péréquations financières. On peut aisément admettre qu’un tel
ancrage constitutionnel venant donner une base financière au principe
de la libre administration ne laisse pas indifférent.
La loi organique du 29 juillet 2004 relative à l’autonomie financière des
collectivités locales qui a été prise en application de l’article 72-2 de la
Constitution définit quant à elle les éléments permettant de déterminer la
notion d’autonomie financière, et par conséquent ce que l’on entend par
« ressources propres ». Les débats parlementaires parfois vifs auxquels a

42. Cf. Ch. Poncelet, « La décentralisation à la croisée des chemins », in RFFP no 81-2003.
43. Décision no 2009-599 DC du 29 décembre 2009.

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