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Management stratégique

Année universitaire 21-22


ENCG Fès – S8

AUCHAN, UNE SUCCESS STORY À LA FRANÇAISE


Auchan ou comment l’esprit de famille devient la clé du succès
-A.Masingue (CEROS-UPOND) ; A.Mullenbach (IRG -UPEC)-

Le cas pratique Auchan est une illustration particulièrement intéressante de la stratégie d’une entreprise familiale dans la grande
distribution, autour d’enjeux spécifiques, tels que la pérennité de la firme et la transmission entre générations. Il met en avant le
contexte de développement, les atouts de l’enseigne, son système de valeurs et ses orientations stratégiques. Il illustre les spécificités
et les avantages du modèle de l’entreprise familiale: contrôle du capital, valeurs affichées, mode de management, système d’entraide,
et permet ainsi d’enrichir la notion de stratégie d’entreprise.

Auchan est une entreprise familiale créée en 1961 par Gérard Mulliez. Elle est l’une des enseignes les plus
prestigieuses détenue par les membres de l’association familiale Mulliez (AFM) aux côtés de Décathlon, Leroy
Merlin, Boulanger, Norauto, Phildar et bien d’autres. Conformément à la vision patrimoniale de la famille, qui
refuse les financements extérieurs, et comme toutes les autres sociétés du groupe, Auchan n’est pas cotée en
Bourse. Son capital est détenu par l’association familiale (87,5%) et par les salariés (12,5%, ce que l’entreprise
appelle le partage de l’avoir).
La saga des Mulliez est d’abord celle d’une conversion du textile à la grande distribution. À
l’origine, un petit capital: celui d’une dot que Marguerite Les tienne remet lors de son mariage
à son époux, Louis Mulliez, grand-père de Gérard Mulliez. Louis utilise cet argent pour ouvrir
en 1903 un minuscule atelier de retordage de laine à Roubaix, à l’époque «capitale mondiale
du textile». Les affaires vont alors prospérer grâce au commerce avec les Anglais, entre
grossistes et bonnetiers, puis en 1923, avec la création d’une usine de fabrication de fibres
mélangées à des fils fantaisie: les Filatures de Saint-Liévin, installées à Wattrelos. Cette
entreprise, dans le capital de laquelle vont entrer les membres d’une autre famille textile
roubaisienne, les Toule monde, va connaître un important développement au début des années
soixante-dix, elle est le leader européen des fibres textiles chimiques.
En outre, Louis opère une diversification de ses activités en inaugurant un premier magasin Les textiles
d’Art rebaptisés Au Fil d’Art puis Phildar en 1956 par Gérard Mulliez-Cavrois, l’un de ses onze enfants.
Ce fils, Gérard Mulliez-Cavrois, va chercher à court-circuiter les grossistes en bâtissant un
réseau de magasins franchisés exclusifs pour commercialiser la laine sous la marque Phildar
(lancée en 1942) : le succès est au rendez-vous et en 1963, les Filatures comptent plus de
2.000 salariés. Par ailleurs, en 1963, Gonzague, le frère de Gérard Mulliez-Cavrois, crée
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Textile Saint-Maclou pour le négoce de moquette et de ruban
synthétique. La distribution prend progressivement le pas sur la production. Gérard Mulliez-
Mathias, fils de Gérard Mulliez-Cavrois et surnommé «Gérard-fils» ou encore
«G2M» du fait de ses initiales est le fondateur d’Auchan. Il est né le 13mai 1931 à Roubaix.
Son parcours scolaire s’inscrit au sein des institutions Notre-Dame des Dunes à Dunkerque et
JeanXXIII à Roubaix, collège Mayfield en Grande Bretagne, Institut technique roubaisien. Son
cursus professionnel lui permet de commencer contremaître d’un atelier de teinture textile aux
Filatures Saint-Liévin (1954), puis directeur des machines de fil à tricoter chez Phildar,
entreprise créée par son grand-père et développée par son père (1956) et enfin directeur des
ventes (bas, laines, chaussettes,etc.).
En 1961, il crée le premier magasin Auchan, dans le quartier des «Hauts Champs» (qui donnera
son nom à l’entreprise). Les trois premiers exercices étant décevants, le père de Gérard-fils,
Gérard Mulliez-Cavrois, accepte d’investir les bénéfices de Phildar, qu’il a lui-même créée,
dans Auchan; il donne ainsi à son fils trois années supplémentaires pour revoir ses méthodes.
Pari gagné! En 1967, soit six ans après l’ouverture du premier magasin de Roubaix, un premier
hypermarché ouvre à Roncq, dans le Nord de la France.
Auchan est aujourd’hui une société anonyme à directoire et conseil de surveillance dirigée par Vianney
Mulliez. Le fondateur Gérard Mulliez a en effet cédé sa place à la tête de l’entreprise au fils de son
cousin germain –ancien président d’Immochan– en 2006, au terme d’un âpre débat au sein de la
famille Mulliez. Son activité principale est la distribution avec les hypermarchés, les
supermarchés et le e-commerce. Néanmoins, Oney Banque Accord et Immochan, les filiales
bancaire et immobilière du groupe, accompagnent son développement. La société a réalisé un
chiffre d’affaires HT sous enseigne de 51,7milliards d’euros en 2016 grâce à 2,7milliard de
clientset 345.396 salariés appelés «collaborateurs»
Dès la construction de ses premiers hypermarchés, Gérard Mulliez voit «large» en achetant
l’ensemble des terrains entourant son magasin pour y implanter des parkings. Rapidement, ces
terrains vont permettre l’implantation sur le site d’Auchan des autres enseignes du groupe,
avec par-fois des mises en concurrence avec des enseignes extérieures (cf. l’exemple Toys’r
Us vs. Picwic à Englos). Les surfaces foncières appartiennent à une filiale d’Auchan,
Immochan, qui n’est pas intégrée à l’AFM. «C’est à Englos que Gérard Mulliez a eu à la fois
l’opportunité et la vision sur la stratégie foncière.», estime Philippe Petitprez, directeur de Citania,
filiale d’Immochan. «L’opportunité, c’est du terrain disponible. Et la vision, c’est l’installation d’enseignes
spécialisées autour de l’hypermarché. À l’époque, ça n’existe pas ailleurs.» «L’offre créée la demande. Dès lors,
Gérard Mulliez achètera toujours plus de foncier que nécessaire.» «Nous optons toujours pour des emplacements
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avec de fortes potentialités de développement en fonction des infrastructures et
à l’essor envisageable. Le foncier, c’est la matière première, c’est la clé du développement.»
Les facteurs clés de succès du groupe
Dès les années 1965-1966, les cousins de Gérard Mulliez commencent à créer des grandes surfaces
spécialisées dans des secteurs en plein développement: les accessoires automobiles, le sport,
l’électroménager, les restaurants en libre-service…La création de nouveaux concepts et de nouvelles
enseignes est encouagée par l’AFM, qui en favorise le financement. Selon Camal Gallouj, «la structure
de la gouvernance particulière de l’enseigne joue un rôle dans le développement des innovations il y a
beaucoup d’entrepreneurs dans la famille Auchan, ça stimule de lancer de nouvelles choses. Il ne faut
pas oublier la réglementation qui oblige à faire preuve d’imagination, car il est de plus en plus difficile
d’ouvrir un nouveau magasin. Enfin, il y a l’idée que le consommateur d’aujourd’hui n’est pas celui
d’hier. Il faut s’adapter à ses besoins, proposer de nouveaux concepts.»
Auchan a été le pionnier du drive en France, en lançant dès 2000, Chronodrive (qui fait partie
aujourd’hui de la holding drive d’Auchan). Le drive est aujourd’hui un important vecteur de croissance
pour la grande distribution il représente déjà un pourcentage important de la distribution des produits
de grande consommation et cette part de marché devrait grimper. Auchan compte en 2017 une centaine
de ces points de retrait. De même, Auchan a été l’un des premiers grands distributeurs à se lancer dans
le e-commerce et la livraison à domicile avec la création de sa filiale Auchan direct (2001).
En 2006, Auchan crée Grosbill, un site Internet dédié aux produits high-tech et à l’électroménager (la
commande est passée sur le Web et elle est livrée à domicile ou peut être retirée directement dans l’un
des entrepôts de l’enseigne). Auchan investit également le hard discount électroménager, avec le
lancement au milieu des années 2000 de l’enseigne Electro dépôt.
Les orientations stratégiques
Stratégiquement, l’expansion de l’entreprise Auchan s’appuie d’une part sur une politique de croissance internationale et,
d’autre part, sur une politique de croissance externe via divers rachats, alliances, partenariats et accords. L’entreprise
s’implante ainsi progressivement en Europe avant de conquérir les pays de l’Est et l’Asie : Alcampo est créé en 1981 en
Espagne, le premier Auchan ouvre en Italie en 1989 puis au Luxembourg en 1996. La Pologne et la Hongrie constituent les
implantations suivantes en 1996 puis 1998. Le plus grand hypermarché Auchan du monde ouvre d’ailleurs ses portes à
Dunakeszi, dans le nord de Budapest, sur près de 19.600 mètres carrés de surface de vente, en 2001. Les années 2000 sont
également marquées par l’alliance avec RT Mart pour la Chine et Taïwan et l’accélération de la présence de l’enseigne dans
les pays de l’Est avec des ouvertures en Russie (2002), en Roumanie (2006) et en Ukraine (2008). Cette expansion s’appuie,
d’autre part, sur une politique de croissance externe par le biais de rachats comme celui du groupe des Docks de France et
des activités espagnoles et portugaises de Pao de Açucar à la fin des années 1990, du groupe italien Rinascente en 2004 ou
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encore par le biais de partenariats: avec le chinois RT Mart (cité précédemment), le
roumain DGV Disti-Hiper ou encore le russe Enka.
Auchan s’appuie sur un projet d’entreprise ambitieux à l’appui duquel elle communique largement: «améliorer le
pouvoir d’achat et la qualité de vie du plus grand nombre de clients, avec des collaborateurs responsables,
professionnels, passionnés et considérés». Mais, au-delà du projet d’entreprise, c’est sur un projet de société que
l’entreprise est assise: le catholicisme social dont l’ensemble des règles, des procédures, et des techniques de
management de l’entreprise est empreint. Gérard Mulliez-Cavrois et ses frères ont en effet imprimé à la fameuse charte
familiale élaborée en 1955 à Ostende trois principes: l’argent récompense un travail laborieux; l’argent doit être
réinvesti au profit du bien-être général; l’entreprise doit satisfaire les besoins de l’homme. Et, outre le rejet de l’argent
facile et du «droit au fauteuil», c’est bien sur la dimension humaine que se fonde la politique sociale du groupe.Chez
Auchan, les modes de management s’appuient sur ce que l’entreprise appelle le partage du savoir. Le
partage du savoir passe par deux éléments incontournables: l’information et la formation.
L’information des salariés revêt, en premier lieu, une importance capitale pour les gestionnaires RH de
l’entreprise. Elle se traduit par des réunions régulières qui ont pour vocation principale d’entretenir la
convivialité telle qu’elle peut exister au sein d’une famille, mais également de faire participer ces
salariés à l’information relative au magasin, à la région, à l’entreprise et, lorsque le cas se présente, à la
prise de décision concertée (le partage du pouvoir). Elle passe également par l’apport de réponses :
chaque collaborateur doit pouvoir obtenir de sa hiérarchie la réponse qu’il attend, ce qui se traduit par-
fois par le «savoir dire non», dans des délais raisonnables.
Enfin, un soin tout particulier est apporté à la gestion des bonnes relations entre les différents
interlocuteurs de l’entreprise: du supérieur hiérarchique en magasin au DRH de région. Entrer chez
Auchan, c’est comme entrer dans une famille avec ses codes et ses rites, notamment : le port de la
chemise blanche, de la cravate rouge pour les hommes, le SBAM («Sourire, Bonjour, Au Revoir,
Merci»). «Le SBAM est le credo du salarié Auchan, celui que l’on apprend dès son arrivée, et pour
lequel on suit des sessions de formation. Le SBAM, c’est tout simplement notre premier symbole, car il
représente l’attitude vis-à-vis du client», rappelle Denis Lionnet, directeur des rémunérations.
Cette politique de partage du savoir, via une politique de formation particulièrement favorable au salarié et son projet
professionnel, et du pouvoir permet à Auchan de fidéliser durablement ses salariés. Même si l’entreprise cultive l’esprit du
secret et communique peu en termes de chiffres, celle-ci affiche des résultats bien meilleurs que ses concurrents sur le plan
des ressources humaines: un turnover et un absentéisme plus faibles, une ancienneté de ses salariés plus élevée, une
productivité accrue et une adaptabilité supérieure de ses collaborateurs (Everaere, 2012).
Le système de valeurs
La seconde dimension largement inspirée des valeurs du catholicisme social est ce que l’entreprise appelle «le
partage de l’avoir » ou partage des fruits du travail. Il se traduit par une rémunération à double entrée : individuelle
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et collective. La rémunération individuelle est, classiquement, composée du
salaire mensuel –fonction du niveau de qualification de l’expérience, du diplôme, du marché… – et d’une prime
annuelle (le célèbre «treizième mois»). La rémunération collective est plus atypique dans la mesure où elle est
constituée de trois éléments:
– la prime de progrès: elle est versée tous les trimestres et dépend des performances de chacun, mais
également des résultats du magasin et de la société. C’est une marge sur coûts variables dont le taux est
calculé puis appliqué à la partie brute de la rémunération. Elle est exonérée de charges patronales et
sociales.
– la participation est fondée sur les résultats d’Auchan France de l’année. Elle permet de redistribuer une
part des bénéfices réalisés. Tous les salariés de l’entreprise sont bénéficiaires de ce mécanisme, quel que
soit leur type de contrat. Leurs droits sont, normalement, bloqués cinq ans à compter de leur ouverture, bien
qu’il soit possible d’obtenir un déblocage anticipé pour des raisons prévues par la loi.
– l’actionnariat salarié qui constitue l’une des spécificités de l’entreprise. Au travers de l’actionnariat salarié,
Auchan permet à chaque collaborateur, depuis 1977, de devenir propriétaire d’une partie de son entreprise. Fait
unique dans les annales de la grande distribution française, 94% des salariés d’Auchan sont actionnaires de
l’entreprise.
La valeur de l’action est dégagée chaque année par un groupe d’experts extérieurs à l’entreprise sur le fondement
des résultats de la société, en raison de l’absence de cotation en Bourse. Les critères d’évaluation retenus combinent
la valeur patrimoniale, celle du rendement par les résultats dans chaque magasin et les potentiels de croissance, la
capacité à réaliser les objectifs. Les salariés choisissent ou non de convertir leur participation légale, leur prime de
progrès, leur prime annuelle en actions, ou d’effectuer des versements volontaires ne pouvant excéder 25% de leur
salaire. Ces sommes sont conservées à hauteur de 20% par Valauchan afin de pouvoir anticiper certains
déblocages: on parle de caisse de rachat. Le patrimoine moyen théoriquement disponible est de 22.000€ par salarié
actionnaire qui détient 61 parts en moyenne. Valauchan pèse environ 1,5milliard d’euros. La valeur de la part est
annoncée chaque année au mois de mars et relayée dans chacun des hypermarchés.
Néanmoins, quelques voix syndicales modèrent les enthousiasmes. C’est le cas de Guy Laplatine,
délégué central CFDT: «Nous sommes des propriétaires impuissants ! ». Si Guy Laplatine reconnaît que
11,9% des fonds propres du groupe Auchan sont propriété de l’actionnariat salarial, il y reconnaît aussi
une forme d’hypocrisie: «Derrière la bienveillance paternaliste, les représentants des employés
actionnaires sont en fait des managers et des cadres sup, peu représentatifs des employés, qui sont là
pour relayer la parole du système. En fait, les salariés n’ont aucune gouvernance». En outre, certaines
critiques relativisent le partage de l’avoir lorsque 84% du capital appartient à 600 personnes et 11,9% à
262.977 personnes.
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L ES QUESTIONS CLÉS DE L’ANALYSE


1. Quels sont les éléments constitutifs d’une entreprise familiale?
2. Quels sont les facteurs clés de succès de la famille Mulliez?
3. Présentez un SWOT de l’entreprise Auchan (forces, faiblesses, opportunités, menaces).
4. Comment Auchan a-t-il réussi à concilier les relations affectives et la rationalité managériale?
5. Expliquez les choix d’Auchan en termes de politique d’internationalisation et de croissance externe.
6. En quoi le mode de gouvernance centré sur l’AFM présente-t-il un grand nombre d’avantages?
7. Expliquez en quoi le partage de valeurs communes constitue le ciment de la stratégie de la famille
Mulliez.

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